FABLES DU PAYSAGE FLAMAND - Palais des Beaux Arts de Lille
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Auteur<br />
Oeuvre<br />
Date<br />
Technique<br />
Dimensions<br />
Lieu conservation<br />
Mots clé<br />
Lucas van Valckenborch (Louvain,<br />
1535 – Francfort-sur-le-Main, 1597)<br />
La Tour <strong>de</strong> Babel<br />
1595<br />
Huile sur bois<br />
42 x 68 cm<br />
Mittelrhein Muséum, Coblence<br />
(Allemagne)<br />
Paysage, religion, mythologie,<br />
humanisme, Renaissance.<br />
CONTEXTE<br />
Avant d'être sous contrôle espagnol, les dix-sept provinces <strong><strong>de</strong>s</strong> Pays-Bas étaient réunies sous une même couronne<br />
par les Ducs <strong>de</strong> Bourgogne puis, <strong>de</strong> 1515 à 1555, par Charles Quint, empereur issu <strong>de</strong> la Maison <strong><strong>de</strong>s</strong> Habsbourg. En<br />
1549, celui-ci fait <strong><strong>de</strong>s</strong> Pays-Bas un État distinct du Saint Empire romain germanique et du Royaume <strong>de</strong> France<br />
s'assurant ainsi <strong>de</strong> la pérennité <strong>de</strong> cette main mise espagnole sur ces dix-sept provinces qui rapportent quatre fois<br />
plus que les Amériques ou l'Espagne elle-même.<br />
Sous le règne <strong>de</strong> son fils Philippe II un conflit s'engage avec l'Espagne. Si Charles Quint était « un enfant du pays »,<br />
son successeur <strong>de</strong>meure un souverain étranger, éduqué en Espagne. À cela s’ajoute un conflit contre le<br />
gouvernement trop centralisateur et une fracture religieuse - les rois catholiques luttant fermement contre<br />
l'« hérésie protestante ». En 1581, les sept provinces à majorité protestantes, situées au nord <strong><strong>de</strong>s</strong> Pays-Bas font<br />
abjuration du roi et constituent les Provinces-Unies. Les dix provinces catholiques restent sous le contrôle <strong>de</strong> la<br />
couronne d'Espagne. De 1581 à 1609, puis <strong>de</strong> 1621 à 1648, plusieurs guerres sont alors nécessaires pour garantir<br />
aux Provinces-Unies leur indépendance définitive.<br />
ARTISTE<br />
Né à Louvain en 1535, Lucas van Valckenborch est admis comme maître à la guil<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> peintres <strong>de</strong> Malines en<br />
1564. Suite aux persécutions religieuses infligées par les troupes du Duc d'Albe aux sympathisants <strong>de</strong> la Réforme, il<br />
se réfugie à Liège puis, en 1566, à Aix-la-Chapelle. Résidant momentanément à Anvers, il entre en 1577 au service<br />
<strong>de</strong> l'archiduc Matthias, alors gouverneur <strong><strong>de</strong>s</strong> Pays-Bas espagnols. A partir <strong>de</strong> 1581, il accompagne ce <strong>de</strong>rnier à<br />
Vienne, à Prague, à Linz et à Nuremberg. Vers 1592, il rejoint son frère Maarten, peintre lui aussi, avec qui il<br />
partage un atelier à Francfort-sur-le-Main. Il y obtient la citoyenneté en 1594 et y meurt en 1597.<br />
Lucas van Valckenborch est un paysagiste dans la lignée <strong>de</strong> Pieter Bruegel l'Ancien qui s'adonne à la représentation<br />
<strong>de</strong> scènes <strong>de</strong> saison dans lesquelles le travail <strong><strong>de</strong>s</strong> paysans et l'amusement <strong><strong>de</strong>s</strong> bourgeois sont habilement décrits.<br />
Ses paysages panoramiques, montagneux ou boisés, aux nuances lumineuses et raffinées, donnent souvent une<br />
impression <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> précision topographique tout en s'appuyant sur une conception imaginaire <strong>de</strong> l'espace.<br />
OEUVRE<br />
Entre terre et ciel, s'élève une gigantesque tour dont le sommet encore inachevé traverse déjà quelques nuages<br />
effilochés. Dans le lointain, <strong><strong>de</strong>s</strong> pics bleuâtres d'un ton émail prolongent cette édifiante construction et se mêlent<br />
progressivement à la profon<strong>de</strong>ur <strong><strong>de</strong>s</strong> cieux. Sur le côté gauche, un vieil arbre ayant pris racine sur la roche semble<br />
être le <strong>de</strong>rnier rappel <strong>de</strong> ce que fut l'endroit avant que l'homme ne domine complètement les forces <strong>de</strong> la nature.<br />
Plus bas, au premier plan, au bord d'une crevasse et <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>ux soldats armés <strong>de</strong> piques, un roi coiffé d'une<br />
couronne, portant un sceptre à la main et un grand manteau d'hermine au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong>de</strong> son pourpoint, discute du<br />
chantier avec un maître d'œuvre humblement agenouillé et le bourgmestre.<br />
Ce tableau au format mo<strong><strong>de</strong>s</strong>te évoque évi<strong>de</strong>mment l'épiso<strong>de</strong> biblique <strong>de</strong> la tour <strong>de</strong> Babel. Le motif <strong>de</strong> la<br />
construction fait intervenir <strong>de</strong>ux espaces essentiels : le haut, domaine du divin, et le bas, réservé aux hommes, que<br />
la dynamique verticale <strong>de</strong> la tour tente en vain <strong>de</strong> réunir. Le monarque du premier plan représente probablement<br />
Nemrod, fils aîné <strong>de</strong> Cham et petit-fils <strong>de</strong> Noé, qui, dans la Genèse, est décrit comme celui qui défia Dieu en faisant<br />
croire à son peuple que la ville qu'il bâtira n'aura pour but que <strong>de</strong> se protéger <strong><strong>de</strong>s</strong> ennemis. Nemrod souhaitait<br />
surtout ériger une tour suffisamment haute pour que les flots d'un nouveau Déluge ne pussent la submerger.<br />
A l'instar <strong>de</strong> celles que réalisa Bruegel l'Ancien quelques années plus tôt, la tour <strong>de</strong> Lucas van Valckenborch<br />
<strong>de</strong>meure équivoque. S'il exprime l'insignifiance et l'orgueil démesuré <strong>de</strong> l'homme, l'artiste s'applique également à<br />
dépeindre les connaissances et l'ingéniosité <strong>de</strong> ses contemporains. La forme <strong>de</strong> la tour, respectant les arca<strong><strong>de</strong>s</strong>, les<br />
vomitoires et les soutènements du Colisée que redécouvrent les artistes <strong>de</strong> la Renaissance, suggèrerait aussi celle<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> monuments <strong>de</strong> l'Amérique précolombienne dont les navigateurs et conquérants ont pu faire connaître l'image.<br />
Tel un <strong><strong>de</strong>s</strong>sin en coupe, la représentation <strong>de</strong> la tour dans ses différentes étapes <strong>de</strong> construction montre avec<br />
minutie, les procédés techniques <strong>de</strong> l'architecture (grues, échelles, monte-charges...) employés à cette époque.<br />
De plus, l'édification près <strong>de</strong> ce qui semble être l'embouchure d'un fleuve, à proximité d'un port, exalte l'essor<br />
commercial tant <strong>de</strong> Francfort-sur-le-Main où travaille alors Lucas van Valckenborch que les gran<strong><strong>de</strong>s</strong> villes maritimes<br />
<strong><strong>de</strong>s</strong> Provinces-Unies dont il est originaire. Babel, symbole du développement économique, évoque enfin les violents<br />
conflits politico-religieux qui secouent encore l'Europe septentrionale en ce XVI e siècle finissant : l'entreprise<br />
avortée <strong>de</strong> Nemrod par la colère divine ne préfigure-t-elle pas l'échec du roi catholique Philippe II d'Espagne dans<br />
sa tentative d'imposer son autorité sur ces riches provinces du Nord et <strong>de</strong> lutter contre les « hérésies<br />
protestantes » ?