Magazine pour la clientèle de Sanitas Troesch: casanova «Le ...
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16 <strong>casanova</strong> Mai 2013 sanitas troesch<br />
L’architecture du bonheur<br />
Interview avec Fortunat Werner et Philipp Glück<br />
Comment définit-on une belle maison? En gros, selon A<strong>la</strong>in <strong>de</strong> Botton, il faut examiner quelle<br />
impression elle fait vue <strong>de</strong> l’extérieur, comment sont les sols et les p<strong>la</strong>fonds, <strong>de</strong> quelle couleur<br />
sont les murs, si les pièces sont c<strong>la</strong>ires et répon<strong>de</strong>nt aux besoins <strong>de</strong>s habitants et comment<br />
elles sont meublées. En ce qui concerne ce <strong>de</strong>rnier critère, Le Corbusier conseil<strong>la</strong>it toujours à<br />
ses clients <strong>de</strong> se limiter au minimum. Le puriste convaincu ne pensait pas autrement <strong>pour</strong><br />
l’architecture: «L’homme mo<strong>de</strong>rne veut une cellule monacale, éc<strong>la</strong>irée et chauffée, avec un<br />
coin d’où il peut observer les étoiles.» Les Grecs et les Romains n’étaient pas tout à fait<br />
aussi rigoureux: «À <strong>de</strong> rares interruptions près, un beau bâtiment était dans l’histoire <strong>de</strong><br />
l’Occi<strong>de</strong>nt pendant plus <strong>de</strong> mille ans synonyme d’un édifice c<strong>la</strong>ssique: une construction avec<br />
fronton et colonnes ouvragées, avec <strong>de</strong>s proportions régulières et une faça<strong>de</strong> symétrique.»<br />
Par contre, une maison <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes doit essentiellement être pratique et impeccable<br />
techniquement par<strong>la</strong>nt, sans décorations et fioritures superflues.<br />
Deux architectes dont le nom évoque chance et bonheur<br />
(Note du trad.: Glück est le mot allemand <strong>pour</strong> bonheur)<br />
répon<strong>de</strong>nt aux questions du livre d’A<strong>la</strong>in <strong>de</strong> Botton.<br />
Fortunat Werner a son cabinet unipersonnel à Uster et<br />
Philipp Glück travaille <strong>pour</strong> <strong>la</strong> société d’architectes GMT<br />
Architekten AG à Lucerne.<br />
1. Quand l’architecture rend-elle heureux?<br />
Fortunat Werner: À divers moments. Souvent déjà lors <strong>de</strong> sa<br />
conception. Lorsque tout va bien en <strong>de</strong>ssinant, on a un sentiment<br />
agréable. Et il augmente d’étape en étape jusqu’à l’achèvement <strong>de</strong><br />
l’ouvrage: quand on réalise <strong>la</strong> première idée, que <strong>la</strong> communication<br />
est flui<strong>de</strong> et que finalement le client est content. Car construire est<br />
souvent un apprentissage.<br />
Philipp Glück: Quand elle fonctionne, c’est-à-dire quand l’édifice,<br />
l’aménagement et le logement remplissent leur fonction. Quand<br />
<strong>la</strong> maison n’est pas seulement une belle enveloppe composée <strong>de</strong><br />
matériaux agréables, mais que son utilité est également visible.<br />
Idéals <strong>de</strong> beauté et notions <strong>de</strong> bonheur<br />
A<strong>la</strong>in <strong>de</strong> Botton est convaincu que, lorsqu’on parle <strong>de</strong> beauté, il s’agit en fait <strong>de</strong> l’idée qu’on<br />
se fait <strong>de</strong>s valeurs qui doivent définir notre vie. Nous trouvons qu’un édifice est beau lorsqu’il<br />
incarne sous une forme concentrée les valeurs qui manquent à ce moment à <strong>la</strong> société et<br />
à nous-mêmes. Ainsi donc, <strong>la</strong> maison qui correspond à notre idéal <strong>de</strong> nous-mêmes et <strong>de</strong><br />
l’époque à <strong>la</strong>quelle nous vivons. Selon A<strong>la</strong>in <strong>de</strong> Botton, notre sentiment <strong>de</strong> beauté et l’idée<br />
que nous nous faisons d’une bonne vie sont étroitement liés: «Dans nos chambres à coucher,<br />
nous cherchons <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> paix, dans nos fauteuils <strong>de</strong>s métaphores <strong>pour</strong> l’indulgence et<br />
l’harmonie et dans nos robinets un souffle <strong>de</strong> sincérité et <strong>de</strong> générosité. Une colonne qui<br />
porte gracieusement sa charge peut nous émouvoir profondément, mais <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s marches<br />
<strong>de</strong> pierre usées qui <strong>la</strong>issent <strong>de</strong>viner <strong>la</strong> sagesse, ou une porte d’entrée géorgienne dont <strong>la</strong> lunette<br />
symbolise tant le tact que le jeu.» L’écrivain français Stendhal a certes souligné le lien étroit<br />
entre les préférences visuelles et nos idées <strong>de</strong> valeur par son aphorisme «La beauté n’est que<br />
<strong>la</strong> promesse du bonheur», mais il a dû, lui aussi, admettre qu’il y a autant d’idéals <strong>de</strong> beauté<br />
que <strong>de</strong> notions <strong>de</strong> bonheur.<br />
Fortunat Werner<br />
4. Comment les pièces peuvent-elles influencer les<br />
sentiments <strong>de</strong> leurs habitants?<br />
Fortunat Werner: Prenons l’exemple d’une chambre d’hôtel:<br />
si elle nous p<strong>la</strong>ît, nous nous y sentons bien. Dans le cas<br />
contraire, nous sommes frustrés. La composition est<br />
essentielle: les ri<strong>de</strong>aux, le lit, <strong>la</strong> table et <strong>la</strong> <strong>la</strong>mpe doivent<br />
s’harmoniser. En outre, <strong>la</strong> surface <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce doit être<br />
proportionnelle à sa hauteur. Une pièce re<strong>la</strong>tivement petite<br />
avec un haut p<strong>la</strong>fond fait un drôle d’effet. Tout comme un<br />
long «couloir» étroit avec une fenêtre au bout.<br />
Philipp Glück: Pensez à un appartement <strong>de</strong> 4 pièces<br />
d’une surface <strong>de</strong> 110 m 2 : si <strong>la</strong> salle <strong>de</strong> séjour est c<strong>la</strong>ire<br />
et spacieuse, mais toutes les autres pièces petites et mal<br />
éc<strong>la</strong>irées, ce<strong>la</strong> aura un effet négatif sur les habitants.<br />
Ou encore les couloirs d’un hôpital: ils sont généralement<br />
étroits, froids, avec une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> portes. Chez<br />
<strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s gens, ce<strong>la</strong> n’éveille guère <strong>de</strong> sensation<br />
agréable. Par contre, <strong>de</strong>s couleurs harmonieuses et<br />
<strong>de</strong>s surfaces et matériaux agréables — qui peuvent aussi<br />
bien être le béton et l’acier — ont une influence positive<br />
sur les habitants.<br />
2. Comment définit-on une belle maison?<br />
Fortunat Werner: C’est très individuel, mais <strong>de</strong> manière générale:<br />
quand elle a <strong>de</strong> bonnes proportions et que les détails sont réussis.<br />
Quand on voit qu’on a investi du travail dans <strong>la</strong> maison et pas<br />
seulement fait le minimum. Ce<strong>la</strong> se remarque par exemple aux<br />
cadres <strong>de</strong>s portes et <strong>de</strong>s fenêtres, aux auvents et aux corniches ou<br />
au jambage en grès <strong>de</strong> bâtiments historiques. Et puis, il faut aussi<br />
que <strong>la</strong> maison s’accor<strong>de</strong> au paysage, au concept urbanistique<br />
et ne donne pas l’impression d’un corps étranger.<br />
Philipp Glück: La beauté est dans les yeux <strong>de</strong> celui qui regar<strong>de</strong>.<br />
Pour moi, une maison est belle quand elle a <strong>de</strong> bonnes proportions,<br />
quand il y a un bon équilibre entre les pièces, quand <strong>la</strong> salle <strong>de</strong> séjour<br />
est spacieuse et que les chambres ne sont pas <strong>de</strong>s «cages à <strong>la</strong>pins».<br />
Quand l’architecture<br />
rend-elle heureux? Les<br />
conclusions du livre aussi<br />
amusant qu’instructif<br />
d’A<strong>la</strong>in <strong>de</strong> Botton intitulé<br />
«L’architecture du<br />
bonheur» ne se résument<br />
pas en une seule phrase.<br />
Car, comme chacun sait,<br />
<strong>la</strong> beauté est dans les<br />
yeux <strong>de</strong> celui qui regar<strong>de</strong>.<br />
Les maisons qui parlent<br />
John Ruskin, historien d’art et philosophe social britannique du 19 e siècle, était d’avis que nous<br />
attendons <strong>de</strong>ux choses <strong>de</strong>s bâtiments: «Nous voulons qu’ils nous abritent et qu’ils nous parlent —<br />
qu’ils nous disent ce que nous trouvons important et ce dont nous <strong>de</strong>vons nous souvenir.»<br />
Et A<strong>la</strong>in <strong>de</strong> Botton en rajoute: «Ils parlent <strong>de</strong>s humeurs qu’ils suscitent ou renforcent chez<br />
les habitants. Tandis qu’ils nous donnent <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaleur et nous sont utiles d’une manière<br />
mécanique, ils nous incitent simultanément à être un certain type <strong>de</strong> personne: ils parlent<br />
<strong>de</strong> leur vision du bonheur.»<br />
Conclusion: Nous sommes à <strong>la</strong> maison quand nous rentrons après une longue absence et<br />
qu’en regardant autour <strong>de</strong> nous, nous nous rappelons qui nous sommes.<br />
3. La beauté est-elle une promesse <strong>de</strong> bonheur?<br />
Fortunat Werner: Dans un certain sens sûrement...<br />
Philipp Glück: Oui, bien sûr. Quand je vois quelque chose <strong>de</strong><br />
beau, j’attends que ce<strong>la</strong> me ren<strong>de</strong> heureux. Ce<strong>la</strong> peut aussi être<br />
une image. Quand il y a <strong>de</strong> <strong>la</strong> beauté dans un objet, ce<strong>la</strong> a un effet<br />
positif sur moi, je ressens un sentiment <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir et <strong>de</strong> satisfaction.