Les vitraux de Brou et le mécénat de Marguerite d'Autriche dans le ...

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
professeur au département d’histoire de l’art et d’archéologie
et doyenne de la faculté de philosophie et lettres à l’université de Namur (Belgique)
Résumé
Le retour de Marguerite d’Autriche aux Pays-Bas en 1506 correspond au début d’une période
extrêmement faste pour le vitrail dans cette région. Si les vitraux des anciens Pays-Bas de
la première moitié du xvi e siècle n’innovent pas vraiment pour la technique et l’iconographie,
ils développent de larges compositions et des architectures très décoratives, et font preuve
d’une grande richesse en introduisant, progressivement, des motifs décoratifs puis un nouvel
esprit issu d’Italie.
Les ducs de Bourgogne s’étaient déjà montrés très généreux dans leurs donations de
vitraux ; les Habsbourg vont poursuivre dans cette voie, en affirmant la continuité du pouvoir
avec les Bourguignons et en faisant des vitraux un véritable outil politique. Après Maximilien
et Philippe le Beau, Marguerite reprend le flambeau et son mécénat est extraordinaire.
Les œuvres qu’elle commande montrent une véritable stratégie de pouvoir, affirmant la grandeur
dynastique et s’appuyant sur une longue histoire familiale.
En Belgique, subsistent trois ensembles de la famille de Habsbourg où apparaît Marguerite
d’Autriche : abside de la collégiale Sainte-Waudru de Mons (vitraux de 1511), Saint-Gommaire
de Lierre (vitraux de 1516-1519), cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles (vitraux
placés entre 1520 et 1530) et attribués à Nicolas Rombouts, peintre verrier qui travailla
beaucoup pour la cour.
En France, outre ceux de la chapelle ducale de Chambéry que Marguerite aurait fait placer
en 1527 et qui auraient été déjà remplacés en grande partie en 1548, les vitraux de Brou
occupent évidemment une place particulière dans les œuvres financées par Marguerite.
Les vitraux étudiés ici ornent le chœur de l’église, ainsi que la chapelle de Marguerite. Aucune
véritable critique d’authenticité n’ayant été faite pour l’ensemble de Brou, il est difficile de
porter des jugements définitifs. On peut pourtant remarquer des différences de traitement
du visage de Marguerite entre les vitraux des anciens Pays-Bas et ceux de Brou, d’autres
statures pour les saints patrons, une utilisation de damas beaucoup plus riche à Brou que
dans les vitraux belges, des architectures (pour autant que les restaurations ne les aient pas
trop perturbées) d’un esprit différent, de même que l’entourage des écus.

The stained glass windows of Brou
and Margaret of Austria’s patronage
in the field of stained glass windows
by Yvette Vanden Bemden
Professor, Department of Art History and Archaeology
and Dean of the Faculty of Philosophy and of Literature at the University of Namur (Belgium)
Abstract
Margaret of Austria’s return to the Netherlands in 1506 coincides with the beginning of an
extremely fastuous period for stained glass windows in this area. If the stained glass windows
of the erstwhile Netherlands of the first half of the XVI th century didn’t really innovate in terms of
technique or iconography, nevertheless they develop large compositions and very decorative
architectures, they manifest a sumptuous richness and little by little decorative motifs and a
new spirit originating in Italy.
The Dukes of Burgundy had already shown themselves to be very generous in their stained
glass windows donations and the Hapsburgs will continue this tradition, thus asserting the
continuity of their power with that of the Burgundians, the stained glass windows becoming
effectively a political tool of representation. Margaret uses this tool, as had her predecessors,
the Emperor Maximilian and Philip the Handsome, and her patronage will be extraordinarily
munificent. The works she commissions are statements affirming both her dynastic position
and her family’s lengthy history.
In Belgium there remain three groups of artworks commissioned by the Hapsburgs in which
Margaret of Austria appears: the apse of the collegiate church of Sainte-Waudru de Mons
(stained glass windows dated 1511), that of Sainte-Gommaire de Lierre (stained glass
windows dated 1516–1519), the Saint-Michael-and-Gudula Cathedral in Brussels (stained
glass windows dated between 1520 and 1530), attributed to Nicolas Rombouts, the stained
glass window painter who often worked for the Court.
In France, besides the stained glass windows of the ducal chapel of Chambéry commissioned
by Margaret of Austria in 1527, and which were replaced for the larger part by 1548, the
stained glass windows of Brou evidently occupy an essential place in Margaret’s patronage.
The stained glass windows studied here decorate the choir of the church, as well as
Margaret’s chapel. There has never been a real deliberation about the authenticity of the
stained glass windows of Brou, which makes it difficult to pass a definitive judgment. Yet one
can notice different ways of rendering Margaret of Austria’s face in the Netherlandish stained
glass windows and in those of Brou, as well as different sizes for patron saints, as well as
a far richer treatment of the damask in the stained glass at Brou as compared with their
Belgian counterparts, not to mention, animated by a different spirit, as well as the frames of
the armorial devices.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
professeur au département d’histoire de l’art et d’archéologie
et doyenne de la faculté de philosophie et lettres à l’université de Namur (Belgique)
Le retour de Marguerite d’Autriche (1480-1530) aux Pays-Bas en 1506 correspond
au début d’un âge d’or pour le vitrail dans cette région. Les Habsbourg poursuivent
dans la voie du mécénat ouverte par les ducs de Bourgogne et veulent,
par leurs vitraux, affirmer la continuité du pouvoir avec les Bourguignons, imposer
leur image, affirmer leur puissance et leur grandeur dynastique, répondre à
de nombreuses sollicitations, perpétuer en certains lieux des traditions et souvenirs
familiaux, témoigner des liens privilégiés avec une région, une ville, une famille,
un proche, se présenter comme croyants. Bref, les Habsbourg font des vitraux
un véritable outil politique et Marguerite d’Autriche y participe pleinement 1 .
Marguerite d’Autriche peut offrir des verrières au nom de son père, l’empereur, et/ou de son
neveu Charles et sans doute prend-elle souvent – comme régente – l’initiative de ces donations.
Dans d’autres cas, elle finance à l’évidence des verrières avec sa cassette personnelle ;
à chaque page de son livre de comptes, on en trouve mention. En outre, Marguerite encourage
aussi ses proches à offrir des vitraux qui accompagnent les siens et ceux de sa famille
dans les mêmes édifices. Trois ensembles de vitraux subsistent en Belgique, pour lesquels
Marguerite joua un rôle certain.
Les vitraux de l’abside du chœur de la collégiale Sainte-Waudru de Mons en Hainaut, datés
de 1511 2 , représentent l’empereur Maximilien et Philippe le Beau au centre, entourés de l’empereur
et ses fils Philippe et François, Philippe le Beau et ses fils Charles et Ferdinand, Marie
de Bourgogne et Marguerite d’Autriche (ill. 1), Jeanne de Castille et ses filles. Ces personnages,
agenouillés devant un épisode de la vie de la Vierge et du Christ, sont accompagnés
par leurs saints patrons et entourés de leurs écus territoriaux, d’emblèmes et de devises, ainsi
que des armes du Hainaut et de celles du chapitre de la collégiale Sainte-Waudru. Les grands
dignitaires du pays s’associèrent à leurs souverains : les ecclésiastiques d’abord, puis des
membres des plus nobles familles des anciens Pays-Bas, et – dans le transept et la nef – des
seigneurs ayant des charges régionales ou locales. Il s’agit donc bien ici d’une claire présentation
hiérarchique du pouvoir et de la société.
Les verrières (1516-1519) de l’abside de l’église Saint-Gommaire de Lierre en Flandre 3 (ill. 2)
représentent Maximilien d’Autriche et son épouse Marie de Bourgogne, Philippe le Beau et
Isabelle de Portugal, Ferdinand et Charles, les sœurs de ce dernier, Marguerite d’Autriche
– qui figure ici comme veuve – et Philibert de Savoie. Elles se composent de trois étages
superposés : écus armoriés, membres de la famille impériale en prière et saints patrons.
1. Voir entre autres : M. J. M. Damen, « Vorstelijke vensters. Glasraamschenkingen als instrument van devotie, memorie en representatie
(1419-1519) », Jaarboek voor middeleeuwse Geschiedenis, 8, 2005 (a), p. 140-200 ; idem, « Memorie en mecenaat. Glas-in-lood als vorstelijk
geschenk, 1425-1530 », Spiegel Historieel, 40, 2005 (b), p. 440-445 ; Yvette Vanden Bemden, « Le vitrail sous les ducs de Bourgogne et les
Habsbourg dans les anciens Pays-Bas », in Joost Vander Auwera (éd.), Liber Amicorum Raphaël de Smedt, 2, Artium Historia (Miscellanea
Neerlandica, XXIV), Louvain, 2001, p. 19-46.
2. Voir spécialement Yvette Vanden Bemden, Les Vitraux de la première moitié du xvi e siècle conservés en Belgique. Province du Hainaut
(Corpus Vitrearum, Belgique, V), fascicule 1 « La collégiale Sainte-Waudru, Mons », Namur, PUN, 2000, spécialement p. 75-160.
3. Jean Helbig, Les Vitraux de la première moitié du xvi e siècle conservés en Belgique. Province d’Anvers et Flandres (Corpus
Vitrearum, Belgique, II), Bruxelles, 1968, spécialement p. 229-251.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
2
1. Mons, collégiale Sainte-Waudru,
vitrail de Marie de Bourgogne et Marguerite d’Autriche
devant la Fuite en Égypte, 1511. © IRPA / KIK, Bruxelles.
1
2. Lierre, église Saint-Gommaire,
vitraux de l’abside du chœur, 1516-1519.
© Corpus Vitrearum Belgique.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
À la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles, cinq verrières occupent l’abside du
haut chœur 4 . Les archives montrent que Marguerite paya la fabrique d’église pour sa verrière
en 1524. Les membres de la famille de Habsbourg, en prière devant un saint personnage
et sous un haut couronnement d’architecture, sont accompagnés d’écus, d’emblèmes, d’initiales
et de bannières. Dans les trois verrières centrales figurent Maximilien et Marie de Bourgogne,
Philippe le Beau et Isabelle de Castille, Charles Quint et son frère Ferdinand. Les deux
verrières latérales, un peu plus tardives, représentent, à gauche, un prince et une princesse
et, à droite, Marguerite d’Autriche – en vêtements de veuve – et Philibert de Savoie (ill. 3).
3. Bruxelles, cathédrale
Saints-Michel-et-Gudule,
vitrail de Marguerite
d’Autriche et Philibert
de Savoie, vers 1524.
Cliché I. Lecocq.
3
4. Jean Helbig et Yvette Vanden Bemden, Les Vitraux de la première moitié du xvi e siècle conservés en Belgique. Brabant et Limbourg
(Corpus Vitrearum, Belgique, III), Gand / Leberg, 1974, spécialement p. 17-48. Yvette Vanden Bemden, « Historique des vitraux.
Les vitraux anciens », in I. Lecocq (dir.), Les Vitraux de la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule de Bruxelles. Histoire, conservation
et restauration, Scientia Artis, 2, Bruxelles, Institut royal du patrimoine artistique, p. 47-99, spécialement p. 55-71.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
Dans ces trois séries de verrières, Marguerite intervint à coup sûr pour la commande, le choix
du concepteur et, peut-être partiellement, pour l’iconographie des deux dernières séries.
À Mons, en revanche, le programme iconographique fut sûrement choisi par les chanoinesses.
Toutes ces œuvres sont traditionnellement attribuées à Nicolas Rombouts, né au milieu
du xv e siècle, qui travailla beaucoup pour la cour. Malheureusement, les réalisations de cet
artiste, mentionnées dans les archives, ont disparu et sa signature ne subsiste que sur un
vitrail du chœur de la collégiale de Mons 5 . Marguerite est partout présentée de façon semblable,
coiffée d’un chaperon, et en veuve lorsqu’elle accompagne son mari.
Ce n’est pourtant pas le cas dans un vitrail
disparu, mais dont le dessin subsiste,
qui ornait depuis 1530 la cathédrale de
Malines (ill. 4). Marguerite et Philibert sont
agenouillés, face à face, somptueusement
habillés et couronnés, sous la scène de
l’Entrée du Christ à Jérusalem. Dans le
tympan apparaissent emblèmes, écus et
devises. Ce vitrail réalisé par Pierre Van
den Houte fut payé sur la cassette personnelle
de la régente ; il s’agit du seul vitrail
connu en Belgique où Marguerite porte
une couronne 6 . Il faut donc faire la distinction
entre les verrières où la régente apparaît
comme membre de la famille impériale
et celle où elle figure exclusivement en tant
qu’épouse de Philibert 7 .
En France, outre les verrières de Brou, on
peut rappeler les trois vitraux que Marguerite
fit placer en 1527 dans la chapelle
ducale de Chambéry, mais qui ne sont plus
dans leur état d’origine 8 .
4
4. Dessin du vitrail de Marguerite d’Autriche
et Philibert de Savoie, autrefois dans la chapelle
des Chevaliers-de-Jérusalem de la cathédrale
Saint-Rombaut de Malines, 1530, bibliothèque
municipale de Valenciennes, ms. 1025, f o 118 v o .
Cliché François Leclercq.
5. E. Duverger a avancé l’existence de deux Nicolas Rombouts, père et fils, ce qui expliquerait des différences stylistiques dans les
différents vitraux, spécialement au niveau des architectures ; des signatures, trouvées sur les vitraux de la chartreuse de Miraflores
(Burgos), permettront sans doute de clarifier cette question. Concernant Rombouts, voir surtout : Yvette Vanden Bemden 2000,
spécialement p. 61-65 ; J. Van Damme, « Niclaes Rombouts y las vidrieras de la Cartuja de Miraflores », La cartuja de Miraflores.
III. Las vidrieras (Cuadernos de restauracion de Iberdrola, XIII), Burgos, spécialement p. 41-59.
6. I. Lecocq et T. Petev, « Le relevé d’un vitrail offert par Marguerite d’Autriche à l’église Saint-Rombaut de Malines et attribué à
Bernard Van Orley », Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, LXXIII, 2004, p. 39-61.
7. Nous ne parlerons pas du vitrail de l’église Sainte-Catherine de Hoogstraten (1531-1533), postérieur à la mort de Marguerite, où celle-ci
figure avec Philibert de Savoie ; cette partie fut refaite au xix e siècle par Capronnier. Voir Jean Helbig, Les Vitraux de la première
moitié du xvi e siècle conservés en Belgique. Province d’Anvers et Flandres (Corpus Vitrearum, Belgique, II), Bruxelles, 1968, p. 153-
200, spécialement p. 157.
8. Les Vitraux de Bourgogne, Franche-Comté et Rhône-Alpes (Corpus Vitrearum, France, III, recensement), Inventaire général des
monuments et richesses artistiques de la France, Paris, 1986, p. 317-320.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
Venons-en à présent aux vitraux de Brou ou, plus
précisément, à ceux qui concernent directement
Marguerite d’Autriche, dans le chœur et dans sa
chapelle.
Nous savons 9 que des patrons et des plombs
furent envoyés de Bruxelles en 1525 et qu’on travaille
au placement des verrières de Marguerite à
Brou de 1526 à 1528 surtout. On connaît également
les verriers Jean Brachon, Jean Orquois et Antoine
Noisin. En 1539, les verrières sont fort détériorées
par une grêle et, en 1547, par les soldats du roi de
France ; des restaurations se suivent jusqu’à Émile
Hirsch, qui intervient – de façon plus importante –
à partir de 1884 dans le cadre de la restauration
générale ; d’autres ont encore lieu au xx e siècle.
Avant d’aller plus loin, il faut signaler qu’une sérieuse
critique d’authenticité – qui, à notre connaissance,
n’a pas encore été publiée – s’impose avant que
l’on puisse porter des jugements définitifs sur ces
œuvres, manifestement fort restaurées.
Ces verrières se signalent surtout, techniquement,
par de nombreux verres doublés et gravés, des
pièces insérées en chefs-d’œuvre – pour les écus
armoriés par exemple –, et des damas d’une variété
et d’une richesse remarquables.
L’iconographie des verrières de Brou a été maintes
fois commentée. Les fenêtres centrales du chœur
sont conçues comme un triptyque : deux scènes
d’Apparition au centre (ill. 5a et b) ; le couple ducal,
les saints patrons et des écus armoriés sur les
« volets » (ill. 6a et b, 7). La Crucifixion centrale
habituelle est remplacée par l’Apparition du Christ
à la Vierge et à Marie Madeleine, thèmes de résurrection
et non de mort. Le retable qui devait prendre
place dans l’abside était consacré à la Crucifixion
et les épisodes représentés formaient donc un
tout avec les peintures sur verre ; des allusions à
la Passion existent également, discrètement, dans
le vitrail central.
5b
5a
5. Brou, église Saint-Nicolas-de-Tolentino, vitrail central de l’abside,
Apparition du Christ à Marie Madeleine (registre supérieur, 5a)
et Apparition du Christ à la Vierge (registre inférieur, 5b), 1526. Cliché M. Damien.
9. Voir l’abondante bibliographie sur les vitraux de Brou et entre autres : manuscrit du père Raphaël de la Vierge Marie, prieur du
monastère de Brou, Description historique de la belle église et du couvent royal de Brou, tirée de leurs archives et des meilleurs
historiens qui en ont écrit, par ***, transcription par Marie-Françoise Poiret ; Françoise Baudson, « Le vitrail », Visages de l’Ain, n o 3,
1948, p. 10-18 ; Victor Nodet, « Un vitrail de l’église de Brou. Titien et Albert Dürer », Gazette des beaux-arts, 35, 1906, p. 95-112 ;
Victor Nodet, « IV. Église de Brou », in Lucien Bégule, Les Vitraux du Moyen Âge et de la Renaissance dans la région lyonnaise et
spécialement dans l’ancien diocèse de Lyon, Lyon, 1911, p. 165-199 ; M. D. Nivière, « Fenêtres et vitraux », Brou. Histoire du site, le chantier
de construction au xvi e siècle, cat. exp., Bourg-en-Bresse, musée de l’Ain, 1980, p. 49-52 ; Marie-Françoise Poiret, Le Monastère
de Brou. Le chef-d’œuvre d’une fille d’empereur, Paris, Caisse des monuments historiques et des sites, 1994 ; Marie-Anne Sarda
et Magali Philippe, Le Monastère royal de Brou. Bourg-en-Bresse, Paris, Éditions du patrimoine, 2005, spécialement p. 37-47.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
Le thème de la résurrection et du triomphe sur la mort se retrouve dans le vitrail de la chapelle
de Marguerite, avec le Couronnement de la Vierge après sa mort et sa montée au ciel, ce dont
témoigne le tombeau vide (ill. 8). La mort, partout présente à Brou, est donc, dans les vitraux,
teintée d’une réelle espérance puisque présentée comme prémisse de résurrection, de vie
éternelle et d’heureuses retrouvailles.
Philibert et Marguerite sont, de façon conventionnelle, agenouillés en prière sur un prie-Dieu
devant un livre ouvert. À Brou et en Belgique, Philibert est représenté de façon semblable.
Il n’en va pas de même pour Marguerite : à Brou, elle apparaît dans de somptueux vêtements
colorés et armoriés, sa coiffe maintenue par des filets bordés de bandeaux orfévrés. Elle est
aussi accompagnée d’un chien dont les proportions diffèrent ; à Brou il s’agit de chiens réels
plutôt que de simples animaux symboliques.
6a
6b
6. Brou, église Saint-Nicolas-de-Tolentino, vitrail avec, à gauche, Philibert de Savoie et saint Philibert (a)
et, à droite, Marguerite d’Autriche et sainte Marguerite (b), 1527. Cliché M. Damien.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
7. Brou, église Saint-Nicolas-de-Tolentino, armes familiales de Marguerite d’Autriche, 1528. Cliché M. Damien.
7a 7b 7c
Le couple est accompagné à Brou d’éléments permettant clairement de les identifier : initiales,
cartouches, devises, inscriptions. L’héraldique – qui s’inscrit dans une tradition d’arbres
généalogiques – prend ici une ampleur extraordinaire qui ne peut être comparée, mais en
plus monumental encore, qu’à la présentation héraldique de certains vitraux liégeois 10 (ill. 9) ;
les écus – contrairement à ceux des vitraux belges – sont entourés d’opulentes couronnes de
feuillages et se détachent sur des damas diversifiés. Marguerite affirme donc ici son ascendance,
l’ancienneté et la grandeur de sa famille, son statut de fille d’empereur et son titre de
duchesse de Savoie 11 .
10. Yvette Vanden Bemden, Les Vitraux de la première moitié du xvi e siècle conservés en Belgique. Provinces de Liège, Luxembourg
et Namur (Corpus Vitrearum, Belgique, IV), Gand / Ledeberg, 1981, spécialement p. 218-248.
11. Mérindol a étudié les écus de Brou, leur signification familiale, dynastique et mythique ; concernant ce sujet, on peut utilement se
reporter à son étude : Christian de Mérindol, « Le programme emblématique et les verrières armoriées du couvent de Saint-Nicolas
de Tolentino à Brou », Revue française d’héraldique et de sigillographie, 1994, n o 64, p. 149-177 ; idem, « Les Maisons de Bourgogne
et d’Autriche dans le décor du couvent de Saint-Nicolas-de-Tolentin à Brou », Publications du Centre d’études bourguignonnes
(xiv e -xvi e s.). Rencontres de Nimègue, 1995. Pays bourguignons et terres d’Empire (xv e -xvi e s.) : rapports politiques et institutionnels,
n o 36, 1996, p. 117-137.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
8
8. Brou, église Saint-Nicolas-de-Tolentino, chapelle de Marguerite, vitrail du Couronnement de la Vierge, 1526.
Cliché M. Damien.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
9a et b. Liège, basilique Saint-Martin,
vitrail de Florent d’Egmont, 1527.
Cliché I. Lecocq.
9b
9a

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
On connaît les sources utilisées pour les scènes bibliques. Les deux épisodes de la verrière
centrale reprennent, en les adaptant, des gravures de la Petite Passion de Dürer exécutée
entre 1509 et 1511. Le vitrail du Couronnement de la Vierge, quant à lui, interprète une gravure
de Dürer datée de 1510 ; il est coupé par la frise supérieure, peinte à la grisaille et au jaune
d’argent, représentant le Triomphe de la foi d’après une gravure de Titien dont la première
édition daterait de 1517 12 . Les concepteurs ou les peintres verriers se sont donc inspirés
de gravures mais ils les ont adaptées à la structure des fenêtres à meneaux. Pour la scène
de l’Assomption de la Vierge, il s’agit d’une copie assez libre tant pour les apôtres groupés
autour du tombeau que pour la scène du Couronnement ; le bas du vitrail est comme écrasé
et il manque une vraie sensation spatiale. Mais surtout, la partie supérieure du Couronnement
de la Vierge est coupée de façon peu heureuse par la frise représentant un cortège : un ange
conduit Adam et Ève, suivis des personnages de l’Ancien Testament, du Christ sur un char
au centre, avec les évangélistes et les docteurs de l’Église, puis par les saints du Nouveau
Testament. Au-dessus de la frise court une inscription 13 .
Cette frise, dont l’association avec le Couronnement de la Vierge a toujours semblé naturelle,
pose pourtant bien des questions ; aucun artiste des anciens Pays-Bas n’aurait, à
l’époque, créé une composition aussi disgracieuse, brisant l’unité entre la scène inférieure
et le tympan. Ce dernier comporte des anges musiciens et chantant, rendant louange et
gloire à la Vierge : il s’agit donc bien d’un vitrail consacré à la gloire et au triomphe de la
Vierge. On peut objecter que le texte qui surmonte la frise se rapporte au triomphe du
Christ sur la mort, ce qui rejoint le thème général de Brou 14 , mais l’observation du vitrail
montre des anachronismes. En effet, on remarque que, dans le Couronnement de la
Vierge, l’Esprit saint est absent, chose impensable dans la représentation de la Trinité ; il
est également très clair que la scène originale fut amputée dans le haut, puisque la hampe
de la croix du Christ est coupée de façon brutale.
Cette frise aurait-elle éventuellement pu exister dans le vitrail dès l’origine ? D’après nous elle
n’a pas été conçue en même temps que le Couronnement et le tympan. Dans ce cas le vitrail
aurait eu une tout autre allure. Une reconstitution hypothétique (ill. 10) peut être comparée
à un vitrail (1530), semblable, de la cathédrale Saint-Paul de Liège (ill. 11), où le majestueux
Couronnement de la Vierge s’accompagne d’anges musiciens et de banderoles reprenant
le Te Deum, unis à des versets des psaumes 100 et 148 15 . Si cette hypothèse est exacte, il
est peu probable que la frise ait été déplacée d’une autre verrière. Il pourrait s’agir alors soit
d’un changement de programme en cours de travail, soit d’une adjonction lors des premières
restaurations de 1539 ou plus tardives. Toutefois, après la mort de Marguerite, les moyens
financiers semblent avoir été fortement réduits.
12. Voir spécialement, pour les gravures du Triomphe du Christ d’après Titien : M. Bury, « The Triumph of Christ after Titian », The
Burlington Magazine, CXXXI, 1989, p. 188-197 ; Konrad Oberhuber, « Le Triomphe de la Foi », Le Siècle de Titien. L’âge d’or de la
peinture à Venise, cat. exp., Paris, Grand Palais, 1993, p. 473. Ce Triomphe a connu plusieurs éditions depuis la première xylographie
de 1517 ; Titien y aurait travaillé de 1510 à 1516.
13. « Triomphatorem m o r t i s Christum eterna pace terris restituta celique janua bonis omnibus ad aperta tanti beneficii m e m o r e s deducentes
divi canunt angeli ». Ce texte peut se traduire par : « Le Christ qui a triomphé de la mort, après avoir rétabli sur terre la paix
éternelle et ouvert à tous les bons la porte du ciel, les anges de Dieu, qui se souviennent d’un si grand bienfait, l’accompagnent
en chantant » ou « Les anges de Dieu chantent, en l’accompagnant, le Christ triomphateur de la mort, qui a rétabli sur terre la paix
éternelle et ouvert la porte du ciel à tous les bons ; ils ont en mémoire un bienfait si grand ». Nous remercions le Pr Guy Philippart
de Foy de son aide pour cette traduction.
14. Pour le thème du Triomphe du Christ, voir Staale Sinding Larsen, « Titian’s Triumph of Faith and the medieval tradition of the
Glory of Christ », Acta ad Archaeologiam et Artium Pertinentia. Istitutum Romanum Norwegiae, VI, 1975, p. 315-351. Larsen souligne
l’absence de la Vierge dans la frise de Titien, mais pense que celle-ci devait figurer – avec la frise – dans l’ensemble initialement
peint par Titien pour un édifice qui aurait précédé la gravure, idée que Konrad Oberhuber remet en cause.
15. Yvette Vanden Bemden, Les Vitraux de la première moitié du xvi e siècle conservés en Belgique. Provinces de Liège, Luxembourg
et Namur (Corpus Vitrearum, Belgique, IV), Gand / Ledeberg, 1981, p. 285-319.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
10
10. Reconstitution hypothétique du vitrail du Couronnement de la Vierge à Brou.
Cliché M. Damien et montage Ch. Swijsen.

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
Il y a donc bien une énigme à laquelle on
tentera de répondre 16 , tout comme il reste
à éclaircir la question des modèles et des
concepteurs, mais l’espace manque ici
pour le faire. Trois noms ont été cités dans
la littérature pour les patrons de Brou : Jan
van Roome, Nicolas Rombouts et Bernard
van Orley. À ce stade néanmoins, aucun
ne semble convenir vraiment ; nous espérons
que les études en cours permettront
de proposer des hypothèses valables,
pour répondre aux questions posées : en
quoi consistaient vraiment les « patrons »
envoyés de Bruxelles, quels en furent les
auteurs et quelle fut l’intervention de l’équipe
de Van Boghem – et de ses sous-traitants –
pour la réalisation des verrières.
Je remercie spécialement M. Damien,
qui a fait les photos à Brou et m’a aidée
dans mes recherches, I. Lecocq pour ses clichés,
Ch. Swijsen pour le montage photographique
du vitrail du Couronnement de la Vierge,
Magali Philippe pour sa disponibilité constante
et son aide, ainsi que les collègues pour
les échanges enrichissants – particulièrement
lors du colloque de Brou, Brou, Un monument
européen à l’aube de la Renaissance.
11
11. Liège, cathédrale Saint-Paul,
bras sud du transept, vitrail du Couronnement
de la Vierge, 1530. © IRPA / KIK, Bruxelles.
16. Depuis la remise du présent article en 2007, nos recherches se sont poursuivies et leur actualisation feront sous peu l’objet
d’une nouvelle publication

Sommaire
Marie-Anne Sarda
conservatrice en chef du patrimoine
Entre monument national et musée municipal,
problématiques de la restauration du monastère royal
Résumé Abstract
Anne Adrian
conservatrice des musées
de Metz Métropole – La Cour d’Or
(Moselle, France)
Anne de Beaujeu et le mécénat féminin en France
à l’aube de la Renaissance
Résumé Abstract
Chantal Delomier
archéologue de l’INRAP (Institut national
de recherches archéologiques préventives),
et Alain Kersuzan
docteur en histoire, rattaché à l’université
Lyon-II (Rhône, France)
Le château de Pont-d’Ain, place militaire et résidence comtale :
nouvelles données livrées par les textes et l’archéologie du bâti
Résumé Abstract
Dagmar Eichberger
professeur à l’université
de Heidelberg (Allemagne)
Distance physique – proximité spirituelle :
la double présence de Marguerite d’Autriche à Brou et à Malines
Résumé Abstract
Sophie Guillot de Suduiraut
conservatrice en chef au département
des Sculptures, responsable des collections
médiévales de l’Europe du Nord,
musée du Louvre, Paris
Le retable des Sept Joies de la Vierge
dans la chapelle de Marguerite d’Autriche à Brou :
les sculptures gothiques de style bruxellois réalisées vers 1513/1515-1522
Résumé Abstract
Lars Hendrikman
conservateur au Bonnefanten Museum
de Maastricht (Pays-Bas)
Le triptyque de la Passion de Bernard van Orley
pour le maître-autel de l’église de Brou. Commande et copies
Résumé Abstract
Ingrid van Woudenberg
doctorante en histoire de l’art médiéval
à l’université de Nimègue (Pays-Bas)
Les stalles du chœur de Brou :
expression d’un amour religieux ou profane ?
Résumé Abstract
Pierre Anagnostopoulos
doctorant en histoire de l’art et archéologie,
aspirant FNRS à l’université libre
de Bruxelles (Belgique)
Le jubé de l’église de Brou
et ses rapports avec l’architecture brabançonne du xv e siècle
Résumé Abstract
Ethan Matt Kavaler
professeur à l’université
de Toronto (Canada)
Des géomètres à Brou : architecture et ornementation en Espagne,
dans le Brabant et en Europe occidentale autour de 1500
Résumé Abstract

Sommaire
Jens Ludwig Burk
conservateur adjoint au Bayerisches
Nationalmuseum, Munich (Allemagne)
Conrat Meit : sculpteur de cour de Marguerite d’Autriche
à Malines et à Brou
Résumé Abstract
Frédéric Elsig
maître de conférences
à l’université de Genève (Suisse)
Le présumé Grégoire Guérard et la peinture en Bresse
au temps de Marguerite d’Autriche
Résumé Abstract
Laurence Ciavaldini Rivière
maître de conférences en art médiéval
à l’université de Grenoble (Isère, France)
Un nouveau jalon pour l’étude du livre d’Heures de Loys van Boghem,
maître d’œuvre de l’église de Brou. Remarques sur le calendrier
Résumé Abstract
Yvette Vanden Bemden
professeur au département d’histoire de l’art
et d’archéologie et doyenne de la faculté
de philosophie et lettres
à l’université de Namur (Belgique)
Les vitraux de Brou et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Résumé Abstract
Dominique Tritenne
géologue, président de l’association
des Amis du pays de la pierre
à Montalieu-Vercieu (Isère, France),
responsable du Conservatoire national
des pierres et marbres,
Montpellier (Hérault, France)
Le marbre de Carrare utilisé à Brou
Résumé Abstract
Magali Briat-Philippe
conservatrice du patrimoine,
coordinatrice du colloque de 2006,
musée de Brou (Ain, France)
L’évolution de la statuaire de Brou au fil des siècles
Résumé Abstract