Les vitraux de Brou et le mécénat de Marguerite d'Autriche dans le ...

Les vitraux de Brou
et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Yvette Vanden Bemden
On connaît les sources utilisées pour les scènes bibliques. Les deux épisodes de la verrière
centrale reprennent, en les adaptant, des gravures de la Petite Passion de Dürer exécutée
entre 1509 et 1511. Le vitrail du Couronnement de la Vierge, quant à lui, interprète une gravure
de Dürer datée de 1510 ; il est coupé par la frise supérieure, peinte à la grisaille et au jaune
d’argent, représentant le Triomphe de la foi d’après une gravure de Titien dont la première
édition daterait de 1517 12 . Les concepteurs ou les peintres verriers se sont donc inspirés
de gravures mais ils les ont adaptées à la structure des fenêtres à meneaux. Pour la scène
de l’Assomption de la Vierge, il s’agit d’une copie assez libre tant pour les apôtres groupés
autour du tombeau que pour la scène du Couronnement ; le bas du vitrail est comme écrasé
et il manque une vraie sensation spatiale. Mais surtout, la partie supérieure du Couronnement
de la Vierge est coupée de façon peu heureuse par la frise représentant un cortège : un ange
conduit Adam et Ève, suivis des personnages de l’Ancien Testament, du Christ sur un char
au centre, avec les évangélistes et les docteurs de l’Église, puis par les saints du Nouveau
Testament. Au-dessus de la frise court une inscription 13 .
Cette frise, dont l’association avec le Couronnement de la Vierge a toujours semblé naturelle,
pose pourtant bien des questions ; aucun artiste des anciens Pays-Bas n’aurait, à
l’époque, créé une composition aussi disgracieuse, brisant l’unité entre la scène inférieure
et le tympan. Ce dernier comporte des anges musiciens et chantant, rendant louange et
gloire à la Vierge : il s’agit donc bien d’un vitrail consacré à la gloire et au triomphe de la
Vierge. On peut objecter que le texte qui surmonte la frise se rapporte au triomphe du
Christ sur la mort, ce qui rejoint le thème général de Brou 14 , mais l’observation du vitrail
montre des anachronismes. En effet, on remarque que, dans le Couronnement de la
Vierge, l’Esprit saint est absent, chose impensable dans la représentation de la Trinité ; il
est également très clair que la scène originale fut amputée dans le haut, puisque la hampe
de la croix du Christ est coupée de façon brutale.
Cette frise aurait-elle éventuellement pu exister dans le vitrail dès l’origine ? D’après nous elle
n’a pas été conçue en même temps que le Couronnement et le tympan. Dans ce cas le vitrail
aurait eu une tout autre allure. Une reconstitution hypothétique (ill. 10) peut être comparée
à un vitrail (1530), semblable, de la cathédrale Saint-Paul de Liège (ill. 11), où le majestueux
Couronnement de la Vierge s’accompagne d’anges musiciens et de banderoles reprenant
le Te Deum, unis à des versets des psaumes 100 et 148 15 . Si cette hypothèse est exacte, il
est peu probable que la frise ait été déplacée d’une autre verrière. Il pourrait s’agir alors soit
d’un changement de programme en cours de travail, soit d’une adjonction lors des premières
restaurations de 1539 ou plus tardives. Toutefois, après la mort de Marguerite, les moyens
financiers semblent avoir été fortement réduits.
12. Voir spécialement, pour les gravures du Triomphe du Christ d’après Titien : M. Bury, « The Triumph of Christ after Titian », The
Burlington Magazine, CXXXI, 1989, p. 188-197 ; Konrad Oberhuber, « Le Triomphe de la Foi », Le Siècle de Titien. L’âge d’or de la
peinture à Venise, cat. exp., Paris, Grand Palais, 1993, p. 473. Ce Triomphe a connu plusieurs éditions depuis la première xylographie
de 1517 ; Titien y aurait travaillé de 1510 à 1516.
13. « Triomphatorem m o r t i s Christum eterna pace terris restituta celique janua bonis omnibus ad aperta tanti beneficii m e m o r e s deducentes
divi canunt angeli ». Ce texte peut se traduire par : « Le Christ qui a triomphé de la mort, après avoir rétabli sur terre la paix
éternelle et ouvert à tous les bons la porte du ciel, les anges de Dieu, qui se souviennent d’un si grand bienfait, l’accompagnent
en chantant » ou « Les anges de Dieu chantent, en l’accompagnant, le Christ triomphateur de la mort, qui a rétabli sur terre la paix
éternelle et ouvert la porte du ciel à tous les bons ; ils ont en mémoire un bienfait si grand ». Nous remercions le Pr Guy Philippart
de Foy de son aide pour cette traduction.
14. Pour le thème du Triomphe du Christ, voir Staale Sinding Larsen, « Titian’s Triumph of Faith and the medieval tradition of the
Glory of Christ », Acta ad Archaeologiam et Artium Pertinentia. Istitutum Romanum Norwegiae, VI, 1975, p. 315-351. Larsen souligne
l’absence de la Vierge dans la frise de Titien, mais pense que celle-ci devait figurer – avec la frise – dans l’ensemble initialement
peint par Titien pour un édifice qui aurait précédé la gravure, idée que Konrad Oberhuber remet en cause.
15. Yvette Vanden Bemden, Les Vitraux de la première moitié du xvi e siècle conservés en Belgique. Provinces de Liège, Luxembourg
et Namur (Corpus Vitrearum, Belgique, IV), Gand / Ledeberg, 1981, p. 285-319.