Le château de Pont-d'Ain, place militaire et résidence comtale ...

Le château de Pont-d’Ain,
place militaire et résidence comtale :
nouvelles données livrées par les textes
et l’archéologie du bâti
Chantal Delomier
archéologue de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives)
Alain Kersuzan
docteur en histoire, rattaché à l’université Lyon-II (Rhône, France)
Résumé
Le château de Pont-d’Ain, édifié dès 1296 durant la guerre delphino-savoyarde pour contrôler
la frontière et les passages sur le seul pont qui existait sur l’Ain au Moyen Âge, est assez vite
devenu un lieu de résidence très apprécié des comtes de Savoie et de leur héritiers. Malgré
son rôle militaire et politique de première importance, c’était un lieu qui, par la pureté de
son air et le panorama donné par la plaine de l’Ain, offrait de multiples agréments à la cour.
L’aula, ou grande salle, du château de Pont-d’Ain était sans doute une des plus vastes parmi
les possessions des princes de Savoie. Elle avait comme les autres un double caractère de
résidence somptueuse, d’exercice et de symbolisme du pouvoir. Par les comptes de la châtellenie,
nous sommes assez bien renseignés sur la structure, les dimensions, les espaces de
ce bâtiment.
Philibert le Beau et Marguerite d’Autriche y ont séjourné à de multiples reprises et c’est ici
qu’à vingt-quatre ans la mort emporta Philibert, le 10 septembre 1504. Fidèle aux principes
médiévaux de faire conserver son cœur dans un lieu que l’on affectionne particulièrement, le
cœur de Philibert fut placé dans l’église de la paroisse jusqu’en 1623, date à laquelle une crue
de l’Ain emporta le cœur de Philibert et le chœur de l’église qui contenait la relique.
La fouille préventive entreprise sur les élévations intérieures et extérieures de l’aula comtale a
permis de proposer une stratigraphie complexe, composée de dix horizons chronologiques
se succédant du Moyen Âge à nos jours.

The Pont d’Ain Castle,
military fortress and count’s residence:
new elements provided by the texts
and the archaeology of the built work
by Chantal Delomier
INRAP archaeologist (National Institute of Preventive Archaeology)
and Professor Alain Kersuzan
PhD, History Professor at the University Lyon‐II (Rhône, France)
Abstract
The Pont-d’Ain Castle, which was built as early as 1296, during the Delphino-Savoyard war
over the control of the border and the passages on the only existing bridge on the Ain River
during the Middle Ages, very soon became a resort much appreciated by the Savoy Counts
and their heirs. Despite its primeval importance in the military and political domains, it was
a spot which by the purity of its air and the lovely panorama it displayed of the Ain plains,
provided many attractions to court life.The aula or Main Hall of the Pont d’Ain Castle was
probably one of the largest among the Savoy princes’ possessions. As was the case for other
princely residencies, it had a dual character, being at once a splendid royal residence and the
symbolic embodiment of the exercise of power. Through the castle’s accounts we are quite
accurately informed of the Castle’s structure, its dimensions and its spaces.
Philibert the Handsome and Margaret of Austria stayed there several times and it was there
that Philibert passed away on September 10 th 1504. In keeping with a mediaeval tradition
according to which a deceased person’s heart was kept in a place he or she especially appreciated,
Philibert’s heart was kept in the parish church until 1623, at which date the Ain River
flooded the church and swept away Philibert’s heart as well as the Church’s choir which contained
the relic.
The preventive excavation undertaken on the Counts’ aula’s inner and outer elevations has
enabled us to propose a complex stratigraphy, composed of ten successive chronological
horizons from the Middle Ages up to today.

Le château de Pont-d’Ain,
place militaire et résidence comtale :
nouvelles données livrées par les textes
et l’archéologie du bâti
Chantal Delomier
archéologue de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives)
Alain Kersuzan
docteur en histoire, rattaché à l’université Lyon-II (Rhône, France)
Notre participation à l’évocation de Marguerite d’Autriche sera ici singulière
car notre angle de vue est issu de la confrontation des sources textuelles et
archéologiques 1 . Il permet de renouveler le questionnement touchant le lignage
de Savoie, le château de Pont-d’Ain où naquit Philibert le Beau et où résida
Marguerite d’Autriche pendant la construction du monastère de Brou, dans cette
terre de conflits aux marges de la France. Afin de rester dans le cadre du colloque,
nous n’avons retenu ici que certaines phases chronologiques – les plus pertinentes
– de la construction du château. La simplification du propos exigée par
la courte durée de notre communication nous a conduits à illustrer les aspects
militaires par les résultats de la fouille de la façade ouest et à mobiliser le vocabulaire
résidentiel issu des sondages ouverts sur la façade orientale.
1. Vue générale du château de Pont-d’Ain ;
fresque datée de 1624-25, située au château des Echelles à Jujurieux (Ain) ;
dimensions : 4,50 × 2,50 m. Par autorisation de M. Luc Orcel Desagets.
1
1. Responsable scientifique : Chantal Delomier, INRAP, UMR 5648. Relevés et dessins : Frédéric Pont, INRAP. Recherche d’archives :
Sophie Savay-Guerraz, INRAP. DAO : Ghislaine Macabéo, INRAP. Relevés topographiques : Véronique Vachon, INRAP.

Le château de Pont-d’Ain, place militaire
et résidence comtale : nouvelles données
livrées par les textes et l’archéologie du bâti
Chantal Delomier et Alain Kersuzan
La construction du château de Pont-d’Ain (1296-1355)
par Alain Kersuzan
Le site de Pont-d’Ain se situe à une trentaine de kilomètres au sud/sud-est de Bourg-en-
Bresse, à l’extrémité méridionale du Revermont, sur un léger promontoire qui domine la plaine
de l’Ain au sud, avec le Bugey à l’est et la Bresse au nord-ouest . Pont d’Ain se trouve donc
aux confins de plusieurs régions et à la jonction des routes qui mènent vers Lyon et, au
Moyen-Âge, vers l’Italie. Cet intérêt géographique est accru par le changement de régime de
la rivière qui, freiné par plusieurs méandres, s’élargit quelques kilomètres en amont, rendant
possible la construction d’un pont, en pierre au temps des Romains puis en bois au Moyen-
Âge. Il fut pendant longtemps le seul ouvrage le long du cours de la rivière. Au débouché du
pont, existe depuis longtemps une petite bourgade qui tire profit du passage des marchands
qui se rendent aux foires de Châlon-sur-Saône 2 , de Champagne et en Italie.
2. Axonométrie du château de Pont-d’Ain ; dessin de l’auteur.
2
2. Henri Dubois, Les foires de Châlon-sur-Saône et le commerce dans la vallée de la Saône à la fin du Moyen-Âge, vers 1280-vers 1430,
Paris, 1976.

Le château de Pont-d’Ain, place militaire
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Historique
Aux xi e et xii e siècles, le site est au cœur des possessions des Coligny qui s’étendent de Lonsle‐Saulnier,
au nord, jusqu’à Serrières-de-Briord, au bord du Rhône. Comme le comte de
Bourgogne revendique le Revermont et que la région de Pont-d’Ain est tenue en hommage
du comte de Savoie, mais que le Dauphin nie ces deux obligations, ce refus sert de nouveau
prétexte pour relancer la guerre qui opposait le Dauphiné à la Savoie depuis 1140. À l’issue de
cette guerre dite « bourguignonne », en 1285, le Revermont échoie au comte de Bourgogne,
qui le vend au comte de Savoie en octobre 1289 : le comte de Savoie réduit ainsi la distance
qui sépare le Bugey de la Bresse, dont il était le maître depuis 1272. Pont-d’Ain devient alors
une des deux têtes de pont du passage vers la Bresse, l’autre étant Saint-Rambert-en‐Bugey,
où les comtes de Savoie sont établis depuis 1196 3 .
Avec la vente du Revermont, la guerre recommence de plus belle. Dès le début de l’année 1296,
le comte de Savoie avait pris soin de faire reconstruire le pont pour percevoir les revenus du
péage 4 et réactiver les foires de la Saint-Michel à Pont-d’Ain ; la maîtrise d’œuvre en avait été
confiée à un dénommé Perret du Port. Ce pont était détruit depuis plusieurs décennies parce
que les sires de Coligny n’avaient pas les moyens financiers de l’entretenir ni de le reconstruire ;
par ailleurs, la guerre profitait de la fermeture du passage.
Pour conforter sa position à cet endroit - hautement stratégique, puisque le Dauphin restait
maître de la plaine de l’Ain, qui était aussi un lieu de passage pour son allié le sire de Thoire-
Villars, permettant à ce dernier d’aller de ses terres de montagnes à celles de la plaine autour
de Villars-en‐Dombes, le comte de Savoie fait ériger un vaste et puissant château à partir
de 1298. En même temps que commencent les travaux du château, le comte fonde une ville
neuve et une nouvelle foire qui se tient à l’octave de la Saint-Martin (18 novembre) 5 pour augmenter
ses revenus et payer ainsi une partie des travaux du château. Ces dispositions nous sont
connues par les comptes de la châtellenie de Châtillon-en‐Dombes (sur‐Chalaronne de nos
jours) et par deux comptes d’œuvre tenus par Jean Fleuri, chapelain nommé pour cela par le
comte Amédée V. Ces deux comptes précèdent ceux de la châtellenie proprement dite 6 .
Les travaux commencent par la construction d’une forte palissade tout autour du site et par le
creusement d’un fossé pour barrer le promontoire du côté de la Bresse. Ce fossé est entrepris
en trois tronçons : deux à partir de la rive droite de l’Ain, de part et d’autre de la ville, et le troisième
sur le plateau en avant de ce qui deviendra la porte principale du château. Il sera sans
cesse approfondi et élargi jusqu’à atteindre 35 mètres de large et 11 mètres de profondeur
devant la porte principale.
En même temps, Girard Guiot, le maître des œuvres du comte de Savoie, fait construire la tour
maîtresse du château par le maître maçon Jean Amédée. On utilise les pierres tirées du fossé
que l’on creuse non loin des pieds de la tour. Ces pierres ne sont pas de bonne qualité et ne
peuvent être taillées ; les murailles de la grande tour, comme celles de tous les autres édifices,
sont donc construites en petit éclats noyés dans le mortier. Seuls les chaînages d’angles et
les encadrements des ouvertures sont en pierres de taille, qui proviennent d’autres carrières
non localisées dans les comptes. Cette grande tour est de plan légèrement barlong, avec une
emprise au sol de 11,26 mètres pour les côtés nord et sud et 12,45 pour les autres. Il ne reste
plus que quelques lignes de maçonnerie au dessus des fondations de trois d’entre eux, mais
le mur nord est conservé sur la moitié de sa hauteur qui devait avoisiner les 28 mètres 7 .
3. Pour une histoire détaillée de l’évolution politique et territoriale de ces régions voir Alain Kersuzan, Défendre la Bresse et le Bugey,
les châteaux savoyards dans la guerre contre le Dauphiné, 1282-1355, Lyon, P.U.L., 2005, p. 20-37.
4. Louis Moyret, Le péage de Pont-d’Ain au xiv e siècle, mémoire de maîtrise, dact. Paris IV-Sorbonne, 1983.
5. Pour le retour des marchands ayant participé à la « foire froide » de Châlon (en automne).
6. Dans les transcriptions et traductions réalisées par Paul Cattin : « Le château et le pont de Pont-d’Ain au début du xiv e siècle,
d’après les comptes de la châtellenie », Cahiers René de Lucinge, n o 27 et 28, Ambérieu, 1992.
7. Pour la hauteur des grandes tours des châteaux savoyards voir Alain Kersuzan, Défendre la Bresse et le Bugey, op. cit., p. 260-266.

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Une fois cette tour maîtresse achevée en 1303, Pont-d’Ain devient le centre d’une châtellenie
nouvelle, dont une partie importante du mandement territorial est composé par ce qui a été
retiré de la châtellenie de Saint-André-en‐Revermont. Le premier châtelain en est Guillaume
Musi, qui remplit également l’office de péager. À sa gestion des constructions s’ajoutent celles
des œuvres tenus par d’autres officiers jusqu’en 1306 8 . Durant ce temps, on s’est employé au
creusement du fossé, ainsi qu’ l’édification de la tour-porche de l’entrée principale du château
et celle des murs adjacents de part et d’autre, enfin à la construction jusqu’au premier niveau
de la porte orientale (dite porte « d’Oussiat ») de la ville de Pont-d’Ain et de la muraille crénelée
menant de cette porte jusqu’à l’Ain.
En 1305, à partir du mur nord de la grande tour, avec un retrait de 2,60 mètres par rapport
à l’angle nord ouest, on construit, avec les pierres provenant de l’élargissement et de l’approfondissement
du fossé, une forte courtine dite « triplée » : sa hauteur est égale à trois fois
l’unité de hauteur standardisée à 2,50 toises (4,70 mètres) pour les constructions princières
du comté de Savoie (ce standard avait été établi dès le dernier tiers du xiii e siècle 9 ); la courtine
s’élevait donc à 14,10 mètres environ. Au pied de la grande tour, une poterne est ménagée
dans cette courtine.
De l’autre côté de la tour maîtresse, la palissade est renforcée et descend en pente raide
jusqu’à une maison noble appartenant au sire Albert d’Ambronay, près de la porte ouest
de la ville (dite « de Varambon ») que l’on construit à cette époque avec les pierres tirées du
fossé creusé devant elle. Cette maison se trouve à proximité du pont et de la rive de l’Ain.
Des constructions en bois et en encorbellement, que les comptes appellent des échiffes 10 ,
défendent cette palissade. Cependant dès le printemps 1306, cette palissade est remplacée
par une courtine en pierre dont le parapet est crénelé.
Durant tout ce temps, pour protéger et défendre en permanence le pont comme le chantier,
une garnison est installée dans les tours en bois (chaffaux) situées aux extrémités et au milieu
du pont. De temps à autre, selon les rapports d’espions qui parcourent sans cesse les terres
ennemies 11 , cette garnison est renforcée par des clients venant de la châtellenie de Saint- Andréen‐Revermont
(sur‐Suran de nos jours).
Pendant deux années (du 5 mars 1306 au 24 juin 1308), les comptes témoignent d’un énorme
travail effectué dans le fossé pour joindre les trois tronçons, pour élargir le fossé et l’approfondir,
et enfin pour y récupérer une grande masse de matériaux nécessaires à la construction des
courtines et des autres tours du château. C’est en 1307-1308 que la tour dite neuve est
élevée à l’extrémité de la courtine « triplée ». Comme pour la grande tour, l’entrée est pratiquée
au premier étage. La poutraison des étages n’est réalisée qu’en juin 1311, sans doute
à cause des dépenses importantes liées à la guerre ; d’ailleurs, durant tout ce temps, on a
constamment élargi et approfondi le fossé, muré et démuré les portes de la ville comme les
accès au château.
En 1314, un accord est signé à Villars-Benoit. Quoiqu’il ne soit pas vraiment respecté, on
y retrouve la mention des moyens financiers permettant entamer d’importants travaux de
construction : courtines, tours nouvelles, tours surélevées. C’est ainsi qu’en 1315, par une lettre
écrite au château de Ripaille (Haute-Savoie) et datée du 26 mars, le comte de Savoie ordonne
la construction de la grande salle, en indiquant l’endroit et les mesures qu’elle doit avoir.
8. Les comptes d’œuvre tenus durant ce temps sont ceux de Guillaume de Saint-Cyr, B 9015 (2) en 1305, Hudry de la Têtière, B 9017
(1) en 1305 et (2) en 1306.
9. Pour une compréhension précise de l’établissement de cette norme et de ses valeurs voir Alain KERSUZAN, « L’organisation
technique et financière des châteaux savoyards dans l’ancienne Manche des Coligny », Études savoisiennes 9/10, Chambéry,
2001-2002, p. 169-175.
10. Alain Kersuzan, Défendre la Bresse et le Bugey, op. cit., p. 225- 231.
11. Les terres ennemies sont les terres dauphinoises, genevoises et celles de Thoire Villars ; la guerre qui les oppose à la Savoie
durera jusqu’en 1355.

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3. Plan du château de Pont-d’Ain ; dessin de l’auteur.
3
1. Grande tour
2. Tour neuve
3. Tour du châtelain
4. Tour « Mancisse »
5. Tour du « portier »
6. Fausses tours
7. Barbacane
8. Aula
9. Chapelle
10. Loges
11. Pralet
12. Recept
13. Chambre et tour du gardien
14. Maréchalerie
15. Cuisine
16. Maison du four et du grenier
17. « Dos d’âne »

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Structure architecturale de la grande salle
L’aula, ou grande salle, recouvre une double réalité : pouvoir et résidence. L’ensemble du
bâtiment, et la plus grande partie de son espace intérieur, très haut et très vaste, abritent
l’expression de la puissance du prince ; ils se différencient nettement des autres espaces
résidentiels faisant partie intégrante du bâtiment, comme les chambres, la chapelle ou la
garde-robe. On accède à la grande salle par un escalier de pierre plaqué contre la façade
élevée dans la cour. Cet escalier mène à un perron en pierre couvert d’un auvent en bois
et situé au milieu de la façade.
Cette grande salle s’appuie contre la courtine « triplée », entre la grande tour qui est laissée à
3 toises (6 mètres environ) et la tour neuve distante de 10 mètres. Ces murs sont aussi élevés
que la courtine : par deux fois, les comptes nous donnent ce renseignement. D’abord il est
déclaré un total de 111 toises pour les trois murs nouveaux, ce qui représente 209 mètres
environ ; or la mesure au sol de ces trois murs n’est que 69,50 mètres (46,50 mètres pour
le long mur et 12,30 mètres pour chacun des murs latéraux) ce qui représente le tiers de la
mesure donnée par les comptes ; on retrouve ainsi le triplement de 1305 pour la courtine contre
laquelle est édifiée la grande salle. L’épaisseur de ces murs est de 4 pieds (1,25 mètre.).
Sur les deux pignons et au sommet du mur de façade, des corbeaux soutiennent des hourds
en bois, permettant de parcourir tout le tour de la grande salle depuis le chemin de ronde
de la courtine. Vingt-quatre corbeaux de pierre sont installés pareillement sur le sommet de
la courtine pour y poser des hourds. Les créneaux sont appelés fenêtres parce qu’ils sont
percés ainsi dans le parapet du mur ; on ne sait combien il y en avait parce que les comptes
les mêlent aux fenêtres qui éclairent la salle.
La charpente et les poutres du plancher sont posées au moyen d’un engin nommé faucon
identique à celui utilisé pour la tour neuve 12 . On ne connaît rien de la forme de cette charpente
pour cette première construction en dehors du fait que la couverture était en bardeaux ;
cependant, elle ne couvrait pas le chemin de ronde puisque l’eau de pluie s’écoulant de la
toiture s’évacuait mal et stagnait sur le chemin de ronde avant de s’y infiltrer et de provoquer,
sous l’action du gel, de grosses crevasses. C’est pourquoi, en 1323, des canaux ont été
creusés dans le sol du chemin de ronde et dans les corbeaux pour que l’eau s’évacue à
l’extérieur en passant au travers du parapet. Cependant, l’eau inondait les pieds de la grande
salle et menaçait dangereusement de faire s’écrouler la façade ; on y remédiera en renforçant
la base du mur sur toute sa longueur par un mur en glacis. Malheureusement, des débris de
mortier et de mousse détachés de la toiture viennent boucher ces conduits qu’il faut curer
régulièrement pour éviter que l’eau s’infiltre dans les maçonneries.
Organisation interne
La grande salle est de dimensions vastes et hautes qui lui confèrent un aspect grandiose et
majestueux. Elle n’est éclairée que par une seule fenêtre, non loin de la porte, et chauffée par
une cheminée au manteau de bois. La toiture est lambrissée de planches de sapin. Tous les
sols sont couverts de terre et de mousse.
Le rez-de-chaussée est divisé dans la longueur par un mur de refend épais de 2,5 pieds
(80 centimètres) d’une hauteur standard d’élévation soit 4,70 mètres ; le sol du perron et
celui du premier étage étaient donc, compte tenu des poutres, à environ 5,20 mètres comme
actuellement, puisque les planchers successifs ont, jusqu’à nos jours, utilisé les appuis d’origine.
Les poutres du plancher reposaient sur le mur de refend.
Les comptes mentionnent un total de 26 toises pour ce mur, ce qui correspond à 48,90 mètres,
or la longueur interne de l’édifice n’est que de 43,90 mètres. Les cinq mètres restant appartiennent
à un mur transversal qui partage l’une des longues salles du rez-de‐chaussée pour
former deux autres salles servant respectivement de cellier et de lardier. À ce niveau, dans
12. Pour une proposition de reconstitution de cet engin voir Alain Kersuzan, Défendre la Bresse et le Bugey, op. cit., p. 355-357.

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lequel on entre par une porte pratiquée sous le perron, le sol est brut jusqu’en 1320, date à
laquelle on l’aplatit et on le décaisse pour y installer une écurie équipée de mangeoires et de
râteliers, pour la venue du comte qui y réside pour la première fois aux environs du 19 février
1320. À cette occasion, il octroie une charte aux habitants de la ville 13 .
L’étage est subdivisé en deux parties, dont l’une au nord, plus petite, contient à la fois la
chambre et la chapelle privée du comte de Savoie. La cloison de séparation est soutenue par
deux arcs tendus entre les grands murs et le mur de refend du rez-de-chaussée. La chambre
et la chapelle comportent un plafond et ne sont donc pas aussi hautes que la grande salle
elle-même. La chambre du comte est éclairée par une fenêtre ouverte sur la cour et équipée
d’accoudoir et de volets de bois.
Évolution et restructuration
De 1321 à 1334, la guerre est intense. Les comtes Amédée V et ses successeurs, Édouard
(1323-1329) et Aymon (1329-1343), poursuivent une politique militaire très agressive : prise
de Saint-Germain (1321), construction de la bâtie de Gironville (1324), siège et bataille de
Varey (1325), prise de Corlier et de Saint-Martin-du-Frêsne (1330). Le dauphin n’est pas en
reste et attaque ou assiège plusieurs places fortes savoyardes comme Miribel ou La Perrière,
où il trouve la mort en 1333. Humbert II, le nouveau dauphin, préfère négocier, et un traité est
signé à Chapareillan en 1334.
Loin de régler tous les conflits, ce traité permet néanmoins de calmer provisoirement les
agressions de part et d’autre et de reprendre en main l’entretien des constructions. Comme
on a dépensé l’essentiel de moyens financiers pour la guerre et les réparations de première
urgence, l’aula de Pont-d’Ain est restée sans entretien pendant douze ans environ. Le vent a
arraché la toiture et l’intérieur de l’aula est resté à ciel ouvert pendant plusieurs années : les
pluies ont tellement inondé l’intérieur que les lambris, les cloisons, les planchers et les poutres
sont complètement pourris ; le mur pignon au nord, est à refaire entièrement de même que
le chemin de ronde qui y est accroché ; le plâtre, détrempé, est tombé par grandes plaques ;
les poteaux et les sablières sont moisis. Tout est donc démonté et, de la grande salle, on ne
conserve plus que les quatre murs.
Tant qu’à tout refaire, autant tout repenser et donner plus de confort et plus d’habitabilité.
De la grande salle d’origine, peu confortable et fruste, on va faire un espace de prestige et
de fierté. Il est vrai que les conditions ont changé : Aymon est prince apanagé de Bresse
depuis 1322, et il a besoin d’un château digne de lui. Avant lui, Amédée et Édouard, fort
impliqués auprès du roi d’Angleterre, étaient des princes qui passaient beaucoup de temps
dans les sièges.
Par ailleurs, l’air de Pont-d’Ain est réputé, et le panorama sur la plaine et le fleuve remarquable
; on est aux portes du Bugey et de la Bresse : tout concourt à ce que ce château
acquière une fonction résidentielle importante. De fait, les comtesses puis les duchesses de
Savoie prendront l’habitude de venir accoucher à Pont-d’Ain, et plusieurs princes y mourront,
dont Philibert le Beau, le 10 septembre 1504.
L’écurie du rez-de-chaussée est supprimée : la dignité résidentielle ne saurait s’accommoder
du bruit des chevaux et de l’odeur du purin… Une fois la porte passée, on se trouve dans
un corridor qui dessert plusieurs salles. Les deux arcs et le mur de refend sont conservés,
mais l’extrémité sud du mur est abattue pour donner place à une cuisine sur toute la largeur
du bâtiment : la proximité avec la grande salle à l’étage rend le service plus commode. Cette
cuisine est éclairée par deux fenêtres nouvellement percées dans la façade sur la cour. Une
cheminée est construite contre le mur pignon et un grand arc de pierre est appliqué contre ce
mur pour soutenir la grande cheminée établie à l’étage.
13. E. Cuaz, « Histoire d’une charte », Histoire du château de Pont-d’Ain, Lyon, 1892, p. 218-226.

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Contre la courtine, en arrière de la cuisine, se trouve une cave à laquelle on accède par un
escalier, de la cuisine, ou par un corridor en pente douce équipée de longerons pour y faire
rouler les tonneaux de vin. Cette cave s’étend jusqu’au cintre de pierre qui est maintenant
bouché, tout en laissant une porte d’accès à la paneterie. De l’autre côté du mur de refend,
à droite du corridor, entre l’arc et le mur pignon, est aménagée une chambre dite « chambre
basse du seigneur ». Cette chambre possède une cheminée et est nouvellement percée par
une fenêtre donnant sur la haute cour.
On emprunte le même escalier de pierre mais celui-ci est désormais entièrement bordé et
recouvert de planches. À l’étage, le plancher a été complètement refait et ses poutres sont
posées sur des corbeaux en remplacement des trous de boulins de l’origine. La cloison qui
s’appuyait sur les deux cintres du rez-de-chaussée est reconstruite, mais ne se relie plus à
la courtine : elle laisse un espace large de 2,60 mètres formant un couloir compris entre la
courtine et le mur adjacent à la cloison 14 . Ce couloir donne sur une porte haute ouvrant sur
une loge qui, en 1335, remplace la galerie de bois, construite en 1329 au recto de la courtine
pour aller directement dans la tour neuve.
Deux cheminées chauffent la grande salle ; l’une est adossée au mur pignon sud et l’autre
contre la cloison de séparation d’avec la chambre du seigneur ; les montants sont en pierre
de taille d’une seule pièce et les linteaux en chêne ; les hottes sont en briques. Une seconde
fenêtre est ouverte dans l’aula et comme pour les six autres du bâtiment, les carreaux de verre
sont sertis de plomb acheté à Lyon. Les coudières des deux anciennes fenêtres sont refaites
à neuf. La partie basse des murs est lambrissée sur tout le périmètre de la salle. Au-dessus
des lambris, assez haut pour avoir nécessité des échafaudages, les murs sont enduits
et décorés par le maître peintre Georges de Lyon. Le sol est à nouveau couvert de mousse
et de terre jusqu’à ce qu’en 1340, on y pose des carreaux de terre cuite comme dans toutes
les salles des tours du château ; pour cela on a acheté soixante mille carreaux à la tuilerie
de Seillon.
La partie interne du toit de la grande salle est lambrissée. La couverture est en bardeaux
recouverts de tuiles également achetées à la tuilerie de Seillon. Il semble que la charpente
soit radicalement différente de celle qui avait été détruite par manque d’entretien, mais on
ne saurait à coup sûr en donner la forme exacte ; quoi qu’il en soit, elle couvre dorénavant
le chemin de ronde au moyen de grands coyaux qui, à partir de chaque panne, rejoignent la
charpente des hourds.
En même temps que ces grands travaux de restauration, deux loges sont édifiées de part
et d’autre de la grande salle. Un mur, élevé parallèlement à la courtine, relie la grande salle à
la grande tour et à la tour neuve. Le mur neuf de ces loges ne s’aligne pas à la façade de la
grande tour ni à celle de l’aula, car il convient de bien laisser visible ces deux édifices manifestant
la puissance seigneuriale. Ces loges pouvaient être aussi hautes que les bâtiments contre
lesquels elles s’adossent ; ainsi la loge construite entre la grande tour et l’aula est-elle encore
visible à Pont-d’Ain : il s’agit de la tour dite « de Marguerite d’Autriche ». Comme la face extérieure
du pignon de l’aula s’est retrouvée à l’intérieur de cette loge qui abritait des chambres,
ce pignon a été peint d’un immense rinceau. L’autre loge et la tour neuve n’existent plus.
Une place importante, défensive et résidentielle
Par sa position géographique et politique, le château de Pont-d’Ain a longtemps tenu une
place importante dans le réseau castral savoyard de Bresse et de Bugey, et cela durera bien
au-delà de la guerre contre le Dauphiné : il est notamment remis en état de défense face à la
menace qu’exercent les Tards-Venus, cette grande compagnie menée par Seguin de Badefol
qui ravage la Bresse et le Lyonnais en 1363-64 15 .
14. Les poutres qui couvrent la chambre et la chapelle crées par ces cloisons ont une longueur de 9,40 mètres (cinq toises) : en les
retranchant des 12,30 mètres de l’aula on obtient la largeur proposée pour le couloir.
15. Les Tards-Venus écrasent l’armée française à Vourles (dix kilomètres au sud de Lyon) en 1364. Ils ne mettront fin à leurs exactions
qu’en partant sous la conduite de Du Guesclin pour l’Espagne, où ils mourront presque tous de dysenterie.

Le château de Pont-d’Ain, place militaire
et résidence comtale : nouvelles données
livrées par les textes et l’archéologie du bâti
Chantal Delomier et Alain Kersuzan
Son très grand intérêt résidentiel tenait à plusieurs qualités : son ampleur, les vastes espaces
de ses cours en étages, les forêts giboyeuses aux alentours, sa vue sur la rivière et la plaine, la
qualité de son air, sa situation au passage des marchands et des voyageurs qui y apportaient
de la vie et des nouvelles. Par ses dimensions et ses décors, l’aula de Pont-d’Ain avait en
outre tout pour plaire et pour permettre d’y mener une vie « de château ».
Les comptes de la châtellenie recèlent une anecdote amusante : à l’ouest du château, au- delà
du grand fossé, se trouvaient des vignes et un verger. Les comtesses aimaient s’y promener
mais, par peur des araignées qui nichaient dans les arbres et redoutant que les toiles se
prennent dans leur haut hennin, coiffure dont la mode faisait rage au xv e siècle, elles faisaient
nettoyer, au moyen de grands bâtons, les branches par les paysans dont les salaires sont
consignés dans les comptes. Voilà de quoi imaginer la vie quotidienne et animée de bâtiments
qui, sans cela, ne sont des amas de pierres bien agencées…
A. K.
Quelques résultats de l’étude archéologique de l’aula
par Chantal Delomier
Du château médiéval de Pont-d’Ain subsiste une vaste demeure rectangulaire, mesurant
46,60 m de long sur 15,20 m de large, implantée sur une terrasse dominant la ville, installée
sur la rive droite de la rivière 16 . La fouille archéologique des élévations a démontré que cette
enveloppe bâtie actuelle recouvre exactement les contours de l’aula médiévale, cœur du
complexe castral érigé par les comtes de Savoie au début du xiv e siècle. Le creusement d’un
large fossé commence en effet dès 1305, à l’ouest et au nord du site castral, sur un terrain
plat. Dans le même temps, la construction d’une courtine crénelée constitue le premier horizon
archéologique bâti avéré. L’exercice comptable exécuté de mars 1335 à août 1336 apparaît
comme l’un des plus fournis parmi les comptes de châtellenie publiés ; l’aula est alors dite
« refaite », associée à « la réfection des cuisines et toute la maison du cellier, détruits à cause
de la vétusté […] refaits à neuf pour la venue du seigneur et de Madame ». Ces états successifs
de reconstruction furent retrouvés dans les sondages ouverts dans les murs, apparaissant en
« bruit de fond », et dont les reprises restent parfois extrêmement difficiles à dissocier les unes
des autres. Les données livrées par l’opération archéologique éclairent certaines mentions
textuelles restées obscures, concernant par exemple la taille et le processus de mise en œuvre
des matériaux, le phasage des constructions, les contours et la répartition du décor peint (ill. 3),
la morphologie des baies (issues de 8 campagnes de construction, ill. 4), le module exact du
crénelage de la courtine ou la datation de sa suppression. Cependant, l’altération, la disparition
ou les très nombreuses perturbations enregistrées dans le bâti interdisent toute corrélation
systématique des résultats archéologiques aux détails des comptes de châtellenie. On pense
notamment exemple à la disparition totale de tout élément stratigraphique se rapportant peu ou
prou à l’escalier d’accès extérieur mentionné dans les comptes, aux arcs structurants le cellier, aux
cheminées de l’étage ou à la séparation des espaces intérieurs. L’historien et l’archéologue usent
de registres différenciés et complémentaires dans un temps inégal. Et l’opération archéologique
reste toujours soumise à de multiples contraintes d’intervention et aux aléas de chantiers ; elle
s’est ici essentiellement concentrée à la fouille de la moitié intérieure nord de l’édifice, en un point
où les intrusions du xviii e siècle étaient rémanentes (horizon 9). En effet, la fouille entreprise sur les
élévations intérieures et extérieures de l’aula a permis de proposer une stratigraphie composée
de dix phases chronologiques, se succédant du Moyen Âge à nos jours. L’aula comtale est le
lieu emblématique de l’exercice du pouvoir qui constitue le cœur de l’ensemble castral. Dans la
première moitié du xiv e siècle, son rez-de-chaussée comprend un cellier, ponctuel lement transformé
en écurie lors de chevauchées guerrières, et éclairé à l’est par des fenêtres étroites :
quatre d’entre elles furent retrouvées lors de la fouille.
16. Kersuzan 2005, p. 45.

1,305 m 1,300 m 1,30 m
BŽton
TB è
2,73 m
1,300 m
TB è
TB è
1,70 m 1,30 m
TB 40 cm
1,30 m
Le château de Pont-d’Ain, place militaire
et résidence comtale : nouvelles données
livrées par les textes et l’archéologie du bâti
Chantal Delomier et Alain Kersuzan
La fonction résidentielle
À la lumière de récents travaux, les lieux de stockage ou celliers paraissent assez systématiquement
associés à la construction de l’aula qui désigne la grande salle, partie emblématique,
cœur du palais royal ou du complexe castral « où le seigneur loge et reçoit 17 ». Ici encore, l’aula
proprement dite s’élève au premier étage, très largement ouvert sur la plaine de l’Ain grâce à
de grandes baies géminées et trilobées, en grande partie détruites lors des reconstructions
postérieures. La composition équilibrée, l’agencement minutieux de ces fenêtres ornementées,
leurs appuis soulignés par un fin larmier parcourant toute la façade, étiré et posé sur quatre assises
de blocs de calcaire très soigneus ement taillés, évoquent un registre architectural résolument
résidentiel et princier. Cette paroi orientale fut probablement coiffée de circulations et édicules en
bois à destinations militaires. À l’arrière (à l’ouest), la courtine aveugle et crénelée fut érigée plus
précocement et sert de paroi verticale d’appui à cette résidence princière dont les ornementations
sculptées sont uniquement réservées à la façade orientale visible de la plaine de l’Ain (ill. 4).
SUD
4. Chronologie de la façade orientale.
NORD
290 m
14 m
14
6 11
288 m
12 m
286 m
F64 F63 F62 F61
8
8
3
8
1
2 5
7 7
4
8
F60 8 F59 F58 F57
15
8
8
8
7
7
10
9 9 12
F56 F55 F54
10 m
284 m
21
22
23
55
57
41
40
8 m
27
24
51
50
54
56
42
282 m
6 m
280 m
F29
29
F28
48
F27 F26 F25
53
49
52
P63
F24
58
F23 F22 F21
43
44
4 m
278 m
F9b
F8b
60
61
62
45
2 m
276 m
F9
F8
F7
F6
F5
P1
F4
F3 F2 F1
0 m
274 m
NGF
-2 m
0 m 5 m 10 m 15 m
20 m 25 m 30 m 35 m 40 m 45 m
5 m
ZONE SUD
ZONE CENTRE ET NORD
Horizon 1 Horizon 2
Horizon 3
Horizon 4
Horizon 5
Horizon 6
Horizon 7
Horizon 8
Horizon 9
Horizon 10
1303-1372
vers 1380
1480-1500
vers 1593
vers 1618
vers 1687
après 1739
après 1792
après 1833
XX e s.
La façade orientale qui surplombe la ville
forme une vaste paroi ordonnancée
et harmonieuse, rythmée par des alignements
de 31 baies cintrées, superposés sur trois
étages. Au rez-de‐chaussée, l’emplacement
du cellier mentionné dans les comptes
de châtellenie est attesté par la présence
de vestiges de quatre baies complètes
ou partielles retrouvées en fouille.
À 5 m de hauteur, les assises se stabilisent
horizontalement, l’agencement se fait
plus soigné et le recrutement des matériaux
particulièrement choisi afin de préparer
un réglage d’assises horizontal matérialisé
par un larmier composé de blocs de calcaire
froids assez minces. Des aménagements
de pierres de taille de calcaire tendre, liés
à ce larmier et placés en dessous, servent
d’allège à une succession d’éléments
architectoniques exhumés lors de la fouille
fine de ce niveau de platelage. Deux baies
géminées couvertes par deux arcs
en tiers-point ponctuaient les extrémités
nord et sud de la paroi verticale.
Au centre, se trouvait une ouverture
probablement surmontée d’un linteau droit ;
d’autres composantes de baies surgirent
au nord ; mais les altérations provoquées
par les reprises successives interdisent
toute proposition de restitution.
Le larmier constitue un excellent marqueur
du premier horizon archéologique puisque
sa présence fut repérée sur toute la longueur
de la façade, ceci malgré les perturbations
systématiques provoquées par l’intrusion
des baies actuelles.
4
17. Pierre-Yves Laffont, Atlas des châteaux forts du Vivarais, x e -xiii e siècle, Documents d’archéologie en Rhône-Alpes et Auvergne,
n o 24, 2004, p. 257.

Le château de Pont-d’Ain, place militaire
et résidence comtale : nouvelles données
livrées par les textes et l’archéologie du bâti
Chantal Delomier et Alain Kersuzan
5. Proposition de restitution
pour le décor intérieur
de la camera de l’aula.
5
La partie supérieure de l’étage noble,
transformée en combles, a conservé
les traces du décor peint pendant
sept siècles. Cette peinture exécutée
au pigment rouge (aujourd’hui sombre)
sur un fond blanc crème
représente un décor de rinceaux
assez ornementés, de type végétal.
Excellent marqueur de cet horizon,
ce décor fut également retrouvé à l’état
extrêmement fragmenté et lacunaire
en plusieurs points ; il se compose
d’une série de volutes reliées les unes
aux autres, de manière répétitive,
mesurant 0,70 m de diamètre
et s’enroulant alternativement
vers la gauche ou la droite.
Des tiges fines et assez courtes
s’échappent des spirales végétales
et se terminent par trois petites feuilles
qui ornent l’espace laissé libre
entre les enroulements.
À l’intérieur, un décor peint couvrait les murs de la pièce méridionale de l’aula, une salle très
élevée, directement placée sous la charpente et assimilable à la camera domini. Plusieurs
points de découverte permettent de restituer l’aire d’extension de cette parure murale qui
constitue un excellent marqueur de cet horizon médiéval. Le premier mur de refend sud
conserve encore une large surface peinte, aujourd’hui visible dans les combles. D’autres points
laissaient voir le décor posé sur l’enduit de protection lissant le corps d’enduit, ou encore dessiné
sur un jus de chaux recouvrant des pierres. Un fragment de décor retrouvé sur le piédroit
d’une porte placée au premier étage de l’ancien pignon sud atteste son usage comme accès
principal à la camera domini. Cette peinture exécutée au pigment rouge (aujourd’hui très
sombre) sur un fond blanc crème représente un ensemble de rinceaux assez ornementés.
Des séries de rinceaux mesurant 0,70 m de diamètre, reliés les uns aux autres, s’enroulent
alternativement vers la gauche ou vers la droite en se superposant en une succession de
registres répétitifs (ill. 5). Des tiges fines et assez courtes s’échappent des spirales végétales
et se terminent par trois petites feuilles qui ornent l’espace laissé libre entre les volutes, dont
chacune est encore ponctuée de séries de courtes virgules.
L’enquête iconographique a permis de retrouver de très nombreuses références pour ce type
de décor à rinceaux qui couvre en effet tous les genres : religieux, civil ou militaire. Un large
emploi de cette ornementation se retrouve dans des décors de demeures aristocratiques
et palatiales. Si le décor à rinceaux de la chambre du Pape à Avignon présente une grande
parenté de motif, il s’écarte franchement de ceux de Pont-d’Ain pour ce qui concerne les
pigments et l’ornementation, plus nuancés et plus subtils en Avignon. Une enluminure d’un
manuscrit du Hainaut, daté précisément de 1344, présente les rinceaux les plus similaires
que nous ayons trouvés à ce jour. On constate avec intérêt que ces deux motifs picturaux

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livrées par les textes et l’archéologie du bâti
Chantal Delomier et Alain Kersuzan
les plus semblables à ceux de Pont-d’Ain s’inscrivent dans un seul horizon chronologique,
car la peinture d’Avignon est exécutée dans les années 1335-1340 et la comptabilité des
années 1335-1336 offre plusieurs occurrences de Georges, le peintre, « pour faire le tracé et
pour peindre la chambre du seigneur ». En outre, le seigneur en question, Aymon de Savoie,
exerçait une charge de chanoine du chapitre de Lyon et se trouvait précisément en Avignon,
auprès du pape Jean XXII, lorsqu’il apprit sa nouvelle destinée princière.
Vers 1370-1380 (datation dendrochronologique), la construction d’un étage supplémentaire
et d’une nouvelle charpente entraîne la suppression du crénelage occidental et la mise en
place de baies ornées de corbeaux finement sculptés portant des traces de rubéfaction.
Le château comme élément d’une symbolique du pouvoir
À l’époque de Philibert le Beau et Marguerite d’Autriche, les espaces intérieurs prennent
une tournure franchement résidentielle, confortable et prestigieuse. La paroi occidentale alors
formée de la courtine aveugle s’ouvre enfin à la lumière, sur un vaste jardin ornemental dessiné
sur une aire aplanie après le comblement des fossés. D’autres vestiges de baies de grandes
dimensions témoignent encore des initiatives architecturales de la duchesse. Un projet de
création d’un vaste escalier intérieur, central, fut abandonné. Quelques tuiles à écaille vernissées,
identiques à celles de la toiture de l’abbatiale de Brou, couvrent aujourd’hui la toiture du
château. Un vaste escalier Renaissance, traditionnellement attribué à Marguerite d’Autriche,
bien qu’il soit daté de 1594 par un lapidaire épigraphe, ponctue la façade orientale au nord.
Il s’insère dans un espace ayant contenu une loge médiévale reliant l’aula à une grande tour
aujourd’hui disparue. Au xvi e siècle, François I er et Henri II séjournent au château, puis le duc
Charles Emmanuel de Savoie le cède à Joachim de Rye, marquis de Treffort, qui l’occupe
de 1580 à 1595. C’est à lui, et non à Marguerite d’Autriche, que l’on doit la construction de
l’escalier monumental comme l’indique son blason appliqué sur la façade.
Les dernières transformations s’attachent ensuite à parer l’édifice d’éléments de confort dont
la plupart disparaissent dans l’ample reconstruction du xviii e siècle qui confère à la demeure
un ordonnancement régulier très éloigné du château savoyard originel. Nous espérons avoir
démontré, dans ces quelques lignes, comment, de l’aula médiévale à la vaste demeure classique,
l’édifice a toujours participé à la symbolique du pouvoir de son temps.
C. D.
Bibliographie
Cattin, Paul, « Le château et le pont de Pont-d’Ain au début du xiv e siècle d’après les comptes
de châtellenie », édition des textes latins et traduction française, Cahiers de René de Lucinge,
n os 27 et 28, 1992 et 1993.
Kersuzan, Alain, Défendre la Bresse et le Bugey. Les châteaux savoyards dans la guerre contre
le Dauphiné (1282-1355), Presses universitaires de Lyon, collection d’histoire et d’archéologie
médiévales, 14, 2005.

Sommaire
Marie-Anne Sarda
conservatrice en chef du patrimoine
Entre monument national et musée municipal,
problématiques de la restauration du monastère royal
Résumé Abstract
Anne Adrian
conservatrice des musées
de Metz Métropole – La Cour d’Or
(Moselle, France)
Anne de Beaujeu et le mécénat féminin en France
à l’aube de la Renaissance
Résumé Abstract
Chantal Delomier
archéologue de l’INRAP (Institut national
de recherches archéologiques préventives),
et Alain Kersuzan
docteur en histoire, rattaché à l’université
Lyon-II (Rhône, France)
Le château de Pont-d’Ain, place militaire et résidence comtale :
nouvelles données livrées par les textes et l’archéologie du bâti
Résumé Abstract
Dagmar Eichberger
professeur à l’université
de Heidelberg (Allemagne)
Distance physique – proximité spirituelle :
la double présence de Marguerite d’Autriche à Brou et à Malines
Résumé Abstract
Sophie Guillot de Suduiraut
conservatrice en chef au département
des Sculptures, responsable des collections
médiévales de l’Europe du Nord,
musée du Louvre, Paris
Le retable des Sept Joies de la Vierge
dans la chapelle de Marguerite d’Autriche à Brou :
les sculptures gothiques de style bruxellois réalisées vers 1513/1515-1522
Résumé Abstract
Lars Hendrikman
conservateur au Bonnefanten Museum
de Maastricht (Pays-Bas)
Le triptyque de la Passion de Bernard van Orley
pour le maître-autel de l’église de Brou. Commande et copies
Résumé Abstract
Ingrid van Woudenberg
doctorante en histoire de l’art médiéval
à l’université de Nimègue (Pays-Bas)
Les stalles du chœur de Brou :
expression d’un amour religieux ou profane ?
Résumé Abstract
Pierre Anagnostopoulos
doctorant en histoire de l’art et archéologie,
aspirant FNRS à l’université libre
de Bruxelles (Belgique)
Le jubé de l’église de Brou
et ses rapports avec l’architecture brabançonne du xv e siècle
Résumé Abstract
Ethan Matt Kavaler
professeur à l’université
de Toronto (Canada)
Des géomètres à Brou : architecture et ornementation en Espagne,
dans le Brabant et en Europe occidentale autour de 1500
Résumé Abstract

Sommaire
Jens Ludwig Burk
conservateur adjoint au Bayerisches
Nationalmuseum, Munich (Allemagne)
Conrat Meit : sculpteur de cour de Marguerite d’Autriche
à Malines et à Brou
Résumé Abstract
Frédéric Elsig
maître de conférences
à l’université de Genève (Suisse)
Le présumé Grégoire Guérard et la peinture en Bresse
au temps de Marguerite d’Autriche
Résumé Abstract
Laurence Ciavaldini Rivière
maître de conférences en art médiéval
à l’université de Grenoble (Isère, France)
Un nouveau jalon pour l’étude du livre d’Heures de Loys van Boghem,
maître d’œuvre de l’église de Brou. Remarques sur le calendrier
Résumé Abstract
Yvette Vanden Bemden
professeur au département d’histoire de l’art
et d’archéologie et doyenne de la faculté
de philosophie et lettres
à l’université de Namur (Belgique)
Les vitraux de Brou et le mécénat de Marguerite d’Autriche
dans le domaine du vitrail
Résumé Abstract
Dominique Tritenne
géologue, président de l’association
des Amis du pays de la pierre
à Montalieu-Vercieu (Isère, France),
responsable du Conservatoire national
des pierres et marbres,
Montpellier (Hérault, France)
Le marbre de Carrare utilisé à Brou
Résumé Abstract
Magali Briat-Philippe
conservatrice du patrimoine,
coordinatrice du colloque de 2006,
musée de Brou (Ain, France)
L’évolution de la statuaire de Brou au fil des siècles
Résumé Abstract