Cahier de la Coopération N° 7.pdf - Cooperation at EPFL

Cahier de la Coopération n°7
Juillet 2010
Electrification Rurale
Décentralisée :
les leçons de la
vallée de l’Ouneine
Ouvrage collectif:
Benjamin Michelon, Jacques Dos Ghali, Jean-Claude Bolay,
Abdeslam Dahman Saïdi, Ali Nejmi, Mohamed Tamim,
Mohamed Tozy, Mohamed Yghir, Jean-Jacques Simond

Conception maquette et mise en page : B. Michelon (sauf couverture)
Crédits photographies: EPFL et Targa-Aide
L'unité cooperation@epfl publie régulièrement des études/analyses faisant le point sur un
sujet scientifique en rapport avec une problématique de développement. Ils s’adressent aussi
bien aux professionnels de la coopération qu’aux chercheurs intéressés par les projets de
développement Nord-Sud. Ces publications font parfois l’objet de partenariat avec d’autres
acteurs de la coopération pour permettre d’ouvrir le champ d’expertise et de connaissance
des problèmatiques de la coopération.
Ces documents sont regroupés dans les Cahiers de la coopération:
Numéro 6 (décembre 2009): Capitalisation du projet de réhabilitation des marchés de Mahajanga
Auteur : Benjamin Michelon, avec la collaboration de Juliette Férard
Numéro 5 (décembre 2007): La pauvreté urbaine: Un défi mondial / Sous la direction de Françoise
Lieberherr et Jean-Claude Bolay
Numéro 4 (août 2007): Politicas urbanas y convivencia en ciudades de América Latina: hacia
una gestion integral de la ciudad / Sous la direction de Charlotte Boisteau
Numéro 3 (septembre 2006): Construire le vivre ensemble: Aménagement urbain et politique
de sécurité / Sous la direction de Charlotte Boisteau
Numéro 2 (juillet 2005): Ingénierie de crise: vers une culture du risque et de la prévention /
Auteur: Magali Schmid
Numéro 1 (décembre 2004): La fracture digitale dans les pays du Sud et les pistes possibles
de sa rémédiation / Auteurs: Pierre Rossel et Olivier Glassey
Collection dirigée par Jean-Claude Bolay, Professeur et Directeur de l’Unité de Coopération@epfl

Les auteurs
Bolay Jean-Claude, Professeur, Directeur de l’Unité coopération@epfl, Ecole Polytechnique
Fédérale de Lausanne (EPFL), Suisse
Dahman Saïdi Abdeslam, Professeur à l’Institut Vétérinaire Hassan II, Directeur de
l’ONG Targa Aide, Maroc
Dos Ghali Jacques, Consultant auprès du Laboratoire de Machines Electriques, EPFL
Michelon Benjamin, Collaborateur à l’Unité coopération@epfl, EPFL
Nejmi Ali, Chargé de cours à l’Université Beni Mellal, Maroc
Simond Jean-Jacques, Professeur, Directeur du Laboratoire de Machines Electriques,
EPFL
Tamim Mohamed, Professeur à l’Institut National d’Aménagement et d’Urbanisme,
Rabat, Maroc
Tozy Mohamed, Professeur à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme
d’Aix en Provence et Président de l’ONG Targa Aide
Yghir Mohamed, Collaborateur à l’ONG Targa Aide

Faculté Sciences et Techniques de l’Ingénieur,
Laboratoire de machines électriques
Station 11
CH-1015 LAUSANNE
Tél. + 41 21 693 48 04
Fax + 41 21 693 26 87
Vice Présidence pour les Affaires Institutionelles
Coopération@epfl
CM 2 Centre Midi
Station 10
CH-1015 Lausanne
Tél. +41 21 693 60 12
Fax. +41 21 693 60 10
Targa-Aide
BP 6284 Madinat al irfane
10101 Rabat / Maroc
Tél : +212 5 37 68 17 05
Fax : +212 5 37 77 58 01

En hommage à Jacques Dos Ghali
Au moment où parait cet ouvrage, chaque partenaire du projet d’Électrification Rurale Décentralisée dans
la vallée de l’Ouneine a une pensée émue et reconnaissante à la mémoire de Jacques Dos Ghali qui en
fut l’instigateur et le coordinateur infatigable.
Il avait proposé ce projet voici plus de 10 ans. Les objectifs fixés étaient à la fois techniques et socioéconomiques.
Il s’agissait ainsi de la mise en place d’un micro-réseau électrique en alimentation multisources
renouvelables dans une vallée isolée du Haut Atlas marocain afin d’améliorer la qualité de vie
d’une population vivant dans des conditions précaires.
Jacques Dos Ghali réunissait les qualités et compétences nécessaires pour réussir cette aventure : une
solide expérience d’ingénieur doublée du désir profond d’apporter une aide précieuse a une population
en situation difficile.
L’engagement de Jacques Dos Ghali pour ce projet a toujours été remarquable, nous ressentons tous une
profonde reconnaissance à son égard.
Jean-Jacques Simond, Professeur à l’EPFL, Directeur du Laboratoire des Machines Électriques

TABLE DES MATIÈRES
RÉSUMÉ............................................................................ 11
LIMINAIRE....................................................................... 15
Mohamed Tozy
Comment apprivoiser le terrain ? Une fable à méditer ..................................................................15
Rationalités vernaculaires et sortie de la communauté..................................................................16
Les temporalités concurrentes ..................................................................................................17
INTRODUCTION................................................................ 19
Collectif
LA DURABILITÉ D’UN PROJET DE DÉVELOPPEMENT......... 23
Benjamin Michelon, Jean-Claude Bolay
7
La pérennité d’une action de développement...............................................................................23
Les piliers de la durabilité d’un projet.........................................................................................25
LE PROJET ERD DANS LA VALLÉE DE L’OUNEINE.............. 29
Collectif
Les promoteurs du projet.........................................................................................................29
L’énergie, une nécessité pour le Maroc.......................................................................................31
La vallée de l’Ouneine : un espace rural montagnard....................................................................34
Les "objectifs durables" du projet ERD .......................................................................................35
Les axes de travail...................................................................................................................38
Les partenaires du projet..........................................................................................................39
Les phases du projet................................................................................................................40
LA DÉFINITION DU SYSTÈME “ PRODUCTION, TRANSPORT,
DISTRIBUTION, UTILISATION ”....................................... 43
Jacques Dos Ghali
ESSAI SUR UNE INSTITUTIONNALISATION PAR LES
MARGES: DU LABORATOIRE SOCIAL A LA CONSOLIDATION
DE L’INSTITUTION COMMUNALE...................................... 47
Abdeslam Dahman Saïdi
De la réflexion à l’action...........................................................................................................47
De l’expérimentation à la tentative d’instauration d’un service public..............................................47
Quand un territoire et sa population se construisent une identité institutionnelle..............................50
La dynamique institutionnelle garante de la durabilité des actions de développement .......................51
L’implication de l’ONE : une douloureuse tentative d’insertion institutionnelle...................................53

LA PRODUCTION DE NORMES : DU BON USAGE DE LA
MEDIATION TECHNICIENNE............................................. 55
Ali Nejmi, Benjamin Michelon
Normes techniques, normes sociales .........................................................................................55
L’adaptation de normes à travers le projet ERD............................................................................56
Innovation et médiation technicienne.........................................................................................59
L’ACTION COLLECTIVE DANS LA VALLÉE DE L’OUNEINE... 63
Mohamed Tamim, Mohamed Yghir
L’implication de la population dans le projet ERD..........................................................................63
Action collective et participation des populations..........................................................................63
Les principes mis en œuvre pour la participation dans le projet ERD...............................................65
Les leçons du projet.................................................................................................................68
L’adaptation constante du mécanisme de participation..................................................................73
8
CONCLUSION.................................................................... 77
Jean-Claude Bolay, Benjamin Michelon
Une recherche-action partenariale pour le développement durable ................................................77
Les forces du projet ERD..........................................................................................................77
Des articulations dans la durée parfois difficiles à trouver .............................................................78
Une articulation des échelles à mieux maîtriser ...........................................................................80
Pour conclure: des apprentissages pour faire mieux ici et ailleurs...................................................83
BIBLIOGRAPHIE............................................................... 87

Liste des encadrés
Encadré 1. Les grandes lignes du projet ................................................................................... 11
Encadré 2. Prix, conférences et publications du projet ERD.......................................................... 14
Encadré 3. La DDC et l’énergie rurale....................................................................................... 30
Encadré 4. Le Maroc en quelques chiffres clés........................................................................... 32
Encadré 5. La vallée de l’Ouneine en quelques données.............................................................. 33
Encadré 6. Le bois dans la vallée de l’Ouneine........................................................................... 36
Encadré 7. Le cadre logique du projet...................................................................................... 40
Encadré 8. OptElDec, logiciel d’aide à la décision développé par le Laboratoire de Machines Électriques
(LME) de l’EPFL...................................................................................................................... 43
Encadré 9. Caractéristiques des centrales................................................................................. 44
Encadré 10. La nuit de l’électricité........................................................................................... 49
Encadré 11. Programme d’Électrification Rurale Global (PERG)..................................................... 52
Encadré 12. Les moulins et l’irrigation...................................................................................... 58
Encadré 13. Participation de la population au financement du réseau ERD..................................... 67
Encadré 14. Gestion du travail collectif..................................................................................... 68
Encadré 15. Action collective et stratégies individuelles d’évitement............................................. 69
Encadré 16. Une bataille de douars… ....................................................................................... 71
9
Liste des figures
Figure 1. Les piliers du développement durable........................................................................... 27
Figure 2. La vallée de l’Ouneine : à 6 heures de routes de Marrakech ........................................... 37
Figure 1. Schématisation du micro-réseau................................................................................. 46
Figure 3. Schéma du prototype de l’armature institutionnelle........................................................ 50
Figure 4. Recettes communales de 1996 à 2006......................................................................... 51
Figure 5. Processus d’hybridation des normes : passage d’un schéma classique à une réinterprétation
technologique........................................................................................................................ 61
Figure 6. La participation en tant que transaction........................................................................ 64
Liste des photographies
Photographie 1. Vue panoramique de la vallée de l’Ouneine.......................................................... 33
Photographie 2. Une population vivant de l’agriculture................................................................. 33
Photographie 3. Un habitat traditionnel...................................................................................... 33
Photographie 4. Réunion avec la population............................................................................... 42
Photographie 5. Pose des poteaux électriques en bois.................................................................. 42
Photographie 6. Électrification du douar central par l’ONE............................................................ 62
Photographie 7. Ateliers de formation avec les membres des associations...................................... 66
Photographie 9. Construction du bassin de rétention................................................................... 76
Photographie 8. Construction de la conduite forcée..................................................................... 76

LISTE DES SIGLES ET SYMBOLES
10
BT : Basse Tension
CEI : Comité Électrotechnique International
CO2 : Dioxyde de carbone
DDC : Coopération Suisse
DH : Dirham CHF (1DH= 1,23 CHF = 0,9€)
EPFL : École Polytechnique Fédérale de Lausanne
ERD : Électrification Rurale Décentralisée
IAV : Institut Vétérinaire Agronomique Hassan II de Rabat
IDH : Indicateur de Développement Humain
Hz : Hertz
kVA : kilo-volt-ampère
kW : kilowatt
km : Kilomètre
MT : Moyenne Tension
ONE : Office National d’Electricité
ONU : Organisation des Nations unies
PMA : Pays les moins avancés
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
PTDU : Production, Transport, Distribution et Utilisation
V : Volt

RÉSUMÉ
Le projet d’Électrification Rurale Décentralisée (ERD) pour les zones enclavées s’inscrivait dans le cadre d’une
collaboration entre l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), l’Institut Agronomique Vétérinaire Hassan
II (IAV) de Rabat, Targa-Aide, association marocaine de développement et l’Office National de l’Electricité
du Maroc (ONE).
Ce projet a été entrepris sous la forme d’une recherche-action, c’est à dire que réalisations et analyses s’alimentent
les unes les autres pour affiner progressivement le processus de transfert de technologie. L’objectif
était de contribuer à la fois à une amélioration progressive des conditions de vie des habitants et à la production
de connaissances largement applicables et partageables.
Au niveau local, il visait à promouvoir un développement durable de la vallée de l’Ouneine (dans le Haut-Atlas
marocain), en fournissant une électricité de qualité à un ensemble de villages grâce à un micro-réseau décentralisé,
alimenté par des sources d’énergies renouvelables (deux micro-centrales hydroélectriques mises en
réseau).
Au niveau global, il s’agissait de produire de nouvelles connaissances dans le domaine de l’électrification rurale,
tant sur le plan technique que sociologique. Dans ce cadre, cette publication propose un témoignage et une
réflexion sur ce projet de transfert de technologie. Sont abordés à la fois les enjeux et les méthodes nécessaires
à la définition d’une technologie appropriée, les mécanismes d’insertion institutionnelle indispensables à
la gestion durable de l’infrastructure ainsi que les problèmes inhérents à la participation de la population dans
la mise en œuvre d’une action collective.
11
Encadré 1. Les grandes lignes du projet
Objectif général : Contribuer au développement durable au niveau local par l’électrification décentralisée à base
des ressources naturelles
Terrain d’étude : Vallée de l’Ouneine, dans le Haut-Atlas marocain
Partenaires :
> Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) ;
> Targa-Aide ;
> DDC (Coopération suisse)
Axes de travail :
> la recherche et le développement mise au point une méthodologie d’approche globale, ainsi que des logiciels
adéquats, pour la production et la distribution d’énergie électrique décentralisée ;
> la formation orientée sur le développement de compétences pluridisciplinaires dans les domaines des énergies
renouvelables et de micro-réseaux électriques décentralisés ;
> la réalisation sur un site d’application, en l’occurrence la, avec l’implantation d’un micro-réseau électrique à
injection multiple interconnectant 18 villages, et de promouvoir leur développement local à travers l’électrification
durable et adaptée.
Durée : 1999 – 2009 (10 ans)
Principaux résultats :
> Réalisation d’un micro-réseau décentralisé et connection au réseau national d’électricité,
> Constitution et formations d’association pour chacun des douars,
> Nombreuses publications et formations

Passer de l’expérience au partage des connaissances acquises est l’un des objectifs pris en compte dès la
conception du projet et tout au long de sa mise en œuvre. Dans ce cadre, cette publication propose un témoignage
accompagné d’une réflexion sur un projet de transfert de technologie, à restituer et analyser le travail
effectué dans le cadre du projet ERD.
Notamment, elle insiste à plusieurs reprises sur la notion de technologie approprié: un des aspects fondamentaux
de se projet a été la recherche d’une solution technique «durable» qui prennent en compte à la fois les
aspects environnementaux (pour s’adapter au contexte montagnard local) mais également sociaux (prise en
compte du niveau de revenu des ménages);
Dans un premier temps, ce document met en évidence les principaux résultats obtenus aussi bien d’un point
de vue technique que socio-économique. Pour ce faire, la présentation du projet s’appuie sur le thème fédérateur
qui a uni l’action des différents partenaires de ce projet tout au long de son parcours: le développement
durable.
12
Après avoir décrit le concept du développement durable et montré quelles réponses nous avons apporté, nous
avons chercher à démontrer comment les méthodes et outils utilisés ont permis d’atteindre les objectifs du projet
et étudier comment le cadre social et territorial local a influencé la mise en œuvre du processus d’implantation
d’une nouvelle technologie, l’appropriation de la technique et la pérennisation des actions entreprises.
Pour cela, trois chapitres détails les aspects qui nous semblent important à retenir de ce projet:
> l’implication des institutions locales et nationales : ce chapitre s’appuie sur le fait qu’une réflexion est
nécessaire sur l’implication des institutions dans les projets de développement. Pour les acteurs du développement,
il est nécessaire de voir le rôle des pouvoirs publics dans la mise en oeuvre d’un projet impliquant
fortement la société civile, au travers la mise en place d’associations. Cet article fait le point sur les synergies
qui ont ainsi pu se créer au cours du projet, avec une évolution du positionnement des différents acteurs qui
ont cherché à améliorer leurs coordinations pour le bien-être de la population. Il est ainsi démontré comment
le projet à favoriser l’institutionnalisation de la vallée par les marges et, de ce fait, l’importance d’un processus
permettant de favoriser cette implication à différents niveaux ;
> l’élaboration et la pratique des normes techniques : il s’agit ici de questionner les méthodes d’action pour
permettre une appropriation de la technologie par la population tout en gérant les divergences entre un opérateur
national et un projet de développement local dont les visées sont parfois antagonistes. Pour cela, les
potentialités des sources de production d’énergie local ainsi que des matériaux de construction locaux ont été
pris en compte afin de favoriser le processus d’appropriation de la technologie par la population bénéficiaire.
Cette méthode a donné au projet une plus grande souplesse en termes de financement des raccordements
par les foyers même si, sur le terrain, elle a occasionné de nombreux problèmes de faisabilité, notamment
pour le partage des sources de production. Il a ainsi été nécessaire de trouver des compromis entre des
adaptations qui semblaient nécessaires au contexte local (poteaux en bois) et l’efficacité attendu par un
opérateur national qui a pour mission d’électrifier rapidement tout le pays ;
> la participation: la participation de la population a été vivement encouragé par l’ensemble de l’équipe tout
au long du projet au cours duquel elle a revêtu différentes formes: participation financière, participation aux
activités techniques,... Ainsi, la participation de la population aux travaux de réalisation du réseau électrique
proprement dit (du terrassement des différents bassins et conduites à l’implantation des câbles et des lignes
de distribution), a permis aux habitants des villages en voie d’électrification de mettre la main à la pâte, tout
d’abord pour favoriser le processus d’appropriation, mais aussi pour encourager une péréquation en donnant
l’occasion aux moins riches de payer en heures de travail la connexion au réseau que leurs moyens ne leur
permettaient pas de couvrir.
Cependant, l’implication des différentes couches dont la société locale est composée a été variable selon les
acteurs et leurs intérêts. Il a donc fallu sans cesse analysé le positionnement des différents acteurs et adapter
les discours et les stratégies pour maintenir la dynamique de l’action collective enclenchée au démarrage
du projet.

Au final, cette vision panoramique du projet nous permet de proposer cinq principales leçons pour la mise en
oeuvre future de projet de partenariat scientifique pour le développement technologique :
1. Un partenariat solide entre opérateurs scientifiques et techniques fait de valeurs partagées, de complémentarités
professionnelles et scientifiques, et de confiance mutuelle : seule une telle configuration permet de
débattre de manière franche et ouverte des options techniques et sociales choisies, mettant en évidence les
convergences entre acteurs tout comme les points de divergence et de conflits.
2. Interdisciplinarité et transdisciplinarité, des armes pour la compréhension du réel et des instruments pour
une mise en œuvre de solutions adaptées au plan technologique en faveur des populations impliquées dans
le processus : L’interdisciplinarité apparaît, dans la simplicité de sa formulation, comme la réponse adaptée à
tout projet multidimensionnel. Cette vision holistique demeure véritablement la seule en mesure de profiler
des transformations durables au profit de l’ensemble de la société.
3. Une organisation institutionnelle de qualité fondée sur un partage des responsabilités, une planification
rigoureuse et un monitoring en temps réel des actions de manière à faciliter l’adaptation au changement :
face à la complexité d’un processus de développement tant territorial que social et économique, il apparaît
très clairement que l’unique voie pour avancer est de s’appuyer sur une organisation exemplaire dans la
conception et la gestion du projet, à la fois en termes d’objectifs, de résultats à atteindre, de répartition des
ressources financières et humaines disponibles.
13
4. Une stratégie d’intégration sociale au bénéfice des communautés humaines impliquées dans le projet et
de dialogue réel à l’égard des institutions locales, nationales et internationales appuyant le projet : Si tout
le monde s’accorde à reconnaître une force constructive au dialogue entre partenaires d’un projet, l’on sait
aussi que de telles collaborations internes et externes, sans véritables cadres de concertation dûment formalisé
et avalisé par l’ensemble des acteurs, risquent de sombrer dans d’inutiles luttes d’influence et de pouvoir,
préjudiciables tant aux bénéficiaires directs de projets de développement qu’à leurs initiateurs.
5. Une politique constante d’ouverture et d’information à l’égard du public en général et des spécialistes intéressés
à répliquer l’expérience dans des contextes similaires : Encourager une « coopération scientifique
pour le développement » tend à faire émerger une logique nouvelle à partir de laquelle la rigueur de l’analyse
scientifique se confronte à l’urgence de réformes de fonds dans la structure du monde et dans la répartition
des richesses, par une gouvernance plus démocratique et inclusive. Cette rencontre d’un nouveau type oblige
les uns et les autres à faire preuve de souplesse, d’inventivité et de conviction dans un changement en faveur
d’un développement plus durable.

Encadré 2. Prix, conférences et publications du projet ERD
> Prix Hassan II pour l’environnement, 3ème Catégorie en 2007
Ce prix est décerné annuellement à une ou plusieurs personnes physiques ou morales, de droit public ou privé, en
récompense de tout travail ou ensemble de travaux réalisés dans trois domaines dont « la recherche scientifique
et ses applications ».
Principales conférences et publications :
> IEEE International Conférence on Suistanable Energy Technologies, Singapore, 24 – 27 Novembre 2008
B. Michelon, A. Nejmi, J. Dos Ghali, A. Dahman Saïdi and J.-C. Bolay, Electrification of isolated areas by interconnecting
different renewable sources (ERD project): lessons learned
> IASTED Conférence «International Association of Science and Technology for Development» , Gaborone, Botswana,
Septembre 2008
B. Michelon, A. Nejmi, J. Dos Ghali, A. Dahman Saïdi and J.-C. Bolay, Electrification of isolated areas by interconnecting
different renewable sources: lessons learned
14
> Conférence Internationale sur l’Electrification Rurale, Marrakech, Maroc, 22 au 25 Janvier 2008
B. Michelon, M Yghir, Electrification décentralisée au Maroc : une approche locale
> IEEE International Conference on Clean Electrical Power Renewable Energy Resources Impact, Capri, Italie, 21-
23 Mai 2007.
B. Michelon, A. Nejmi, J. Dos Ghali, A. Dahman Saïdi and J.-C. Bolay, Electrification of isolated areas by interconnecting
different renewable sources
S. Keller, S. Naciri, A. Nejmi, J. Dos Ghali : Simulation based decision support tool for electrification of isolated
areas using a network with multiple renewable sources
> Congrès international : « Défi éolien pour un monde durable – Le Nord à la rencontre du Sud », Berne, 6 février
2004
M. Schmid, J. Dos Ghali, Electrification par interconnexions d’énergies renouvelables dans le Haut Atlas marocain
: Une approche participative
> Conference Sustainable Environmental Solutions for Emerging Countries, Lausanne, le 29 Janvier 2003:
Jacques Dos Ghali, L’électrification rurale d’une zone enclavée au Maroc: le cas de l’Ouneine
> Conférence donnée à Terre Solidaire, Genève, le 14 décembre 2001
M. Schmid, J. Dos Ghali, Le partenariat dans les pays en développement est-il possible ? Expérience en cours dans
une vallée enclavée du Haut-Atlas marocain
> Electrification décentralisée par micro-réseau à partir d’énergies renouvelables : pour un développement intégré
de la vallée de l’Ouneine, Haut-Atlas marocain
M. Schmid, J. Dos Ghali, J. In: Coopération et développement durable, vers un partenariat nord-sud, 2004, Presses
Polytechniques et Universitaires Romandes, p. 91-128

LIMINAIRE
Mohamed Tozy
La rencontre à l’initiative de feu Paul Pascon d’un
groupe de jeunes chercheurs marocains avec les communautés
montagnardes de la vallée de l’Ouneine remonte
au début des années quatre-vingt.
Depuis, la relation entre population locale et chercheurs
n’a cessé de se complexifier. En cheminant
avec ces communautés avant et durant ce projet nous
avons appris que l’altérité radicale se situe au seuil de
soi et qu’être autochtone (Lakhsassi, 2005) ne fournit
aucun privilège. Nous avons aussi gagné en humilité.
Nos certitudes ébranlées se sont mues en incertitudes
mais ont gagné en clarté et nous ont ouvert de
grandes possibilités de questionnements et d’interrogation
qui nourrissent nos vécus de chercheurs et que
l’on voudrait partager avec nos lecteurs experts en
développement ou simples curieux.
Comment apprivoiser le terrain ? Une
fable à méditer
Dans les années quatre-vingts dix nous avions accueilli
un groupe de jeunes doctorants à l’Ouneine.
Pour préparer leur séjours nous leurs avions imposé
des lectures obligatoires sur le Maroc profond. Ils ont
ainsi pris connaissance des écrits d’Edmond Doutté
(1914), de Robert Montagne (1930), d’Ernest Gellner
(1969) et de Jacques Berque (1955).
Un des jeunes était particulièrement brillant et nous
semblait être le mieux préparé à affronter le terrain.
Son aisance comblait ses encadrants. Quelques jours
après notre arrivée, nous devions joindre Takordmit,
premier village qui a été électrifié dans la vallée.
Après trois heures de marche, le groupe est arrivé
chez le président de l’association, personnage affable
et habitué aux visites des experts qui venaient admirer
«la prouesse technique d’une centrale autogérée».
Les étudiants fourbus sont alors introduits dans une
salle de réception longue et étroite. Une vingtaine de
filles et garçons se sont assis des deux côtés du salon
après s’être déchaussés comme on le leur avait expliqué.
Au bout d’une demi-heure un jeune homme de la
maison se présente avec un lave-main, accessoire de
réception dans les grandes maisons composé d’une
bouilloire et d’un réceptacle pour l’eau usée en argent
très ouvragé. Le jeune homme s’arrête devant
David, l’un des jeunes doctorants qui était assis juste
à gauche de la porte, position qui lui assurait une
vision panoramique de la pièce. Il était absorbé par
son journal d’enquête qu’il noircissait avec frénésie.
Observations, croquis description des paysages vus
en route, tout y était. Le jeune serveur de la maison
attira son regard en entrechoquant la bouilloire et le
réceptacle. David leva la tête et découvrit le jeune
homme qui déposait à ses pieds le réceptacle et levait
la bouilloire à mi hauteur pour signifier qu’il s’apprêtait
à verser l’eau chaude et parfumée.
David était paniqué. Il ne comprenait pas ce qu’on
attendait de lui, il réfléchit quelques secondes puis
il leva ses pieds et les présenta au jeune homme dix
centimètres au dessus du réceptacle. Notre hôte ne
comprenait pas non plus l’offense que venait de lui
faire le jeune américain. La situation scabreuse et tragique
ne fut sauvée que par un éclat de rire venu du
fond de la salle.
Un des chercheurs qui observait la scène avait compris
le malentendu révélateur d’un choc des rationalités.
David qui avait marché trois heures pensait logiquement
que seuls ses pieds avaient besoin d’être lavés
après tant d’effort, lui qui avait ses couverts dans son
petit sac à dos et qui n’utilisait pas directement ses
mains pour manger n’avait pas besoin de les laver.
Notre hôte, parvenu à un certain niveau de notabilité
et de richesse avait fait l’effort de nous faire bénéficier
de l’apparat d’une grande maison en assurant le
service du lave main avant le repas. Le fait que David
présenta ses pieds était une grande offense, un désir
d’asservissement qui, en d’autre temps, n’aurait pu
être lavé que par le sang …
L’épisode a donné lieu à une grande séance d’explication.
La confrontation au terrain a une saveur particulière,
elle nous invite à y entrer sur le bout des pieds,
non qu’il s’agisse de respecter béatement les us et
coutumes locales mais de se méfier des choses qui
nous paraissent aberrantes et gratuites.
15

Durant notre chantier nous en avons rencontrées des
dizaines. Les dénouer demande beaucoup de doigté
et de temps. Les savoirs et les savoirs faire locaux ne
sont pas toujours économiquement et techniquement
compréhensibles mais ils sont à coup sûr toujours sociologiquement
signifiants et parfois efficaces.
Rationalités vernaculaires et sortie
de la communauté
sans contenu sémantique fixe.
Son usage procède souvent d'une instrumentalisation
de la violence verbale du groupe sur l'individu. Il
appartient par conséquent plus à un registre idéologique
qui fait de la quête du consensus un programme
d'occultation de la contradiction et de l'inégalité. Aussi
entoure-t-il les lieux du pouvoir d'une opacité nécessaire
au maintien du leadership.
16
En 1982, une enquête réalisée pour le compte de
l’United Nations Children's Fund (UNICEF) nous avait
conduit à mettre l’eau potable au centre de toutes
actions de développement.
Les autochtones considéraient que l’eau vive est par
définition pure et que seules les eaux stagnantes sont
des vecteurs de maladie.
Nos premières actions ont consisté à mettre en place ce
qu’on avait appelé à l’époque le complexe hydro-sanitaire.
Nous découvrions avec enthousiasme la vigueur
de la djemâ’a, une sorte de structure démocratique
primaire dans le Maroc rural. La djemâ’a regroupait
les chefs de foyers décideurs qui nous initiaient à ce
qui va devenir plus tard le développement participatif.
L’engagement des chefs de foyers était total, mais les
négociations étaient difficiles, les priorités n’étaient
pas les mêmes pour nous et pour eux. Nos interlocuteurs
mâles considéraient que l’embellissement de la
mosquée était prioritaire alors que pour nous c’était
la diminution de la corvée d’eau pour les femmes et la
construction de bain maures pour qu’elles puissent se
laver et laver leurs progénitures.
Nous savions que nous avions raison mais la coalition
des intérêts au sein de la djemâ’a éliminait les
femmes. Pour nous le mythe de la djemâ‘a fraternelle
qui a rendu nostalgique Ferdinand Tonnies volait en
éclats.
Nous avons commencé à la reconsidérer autrement et
à penser sérieusement à l’axe innovation institutionnelle
en favorisant l’émergence des associations et
en reconsidérant notre rapport ambigu à l’institution
communale.
Désormais nous sommes plus méfiants envers les projets
de réactivation de la culture tribale pour prendre
en charge les nouvelles formes de participation des
communautés de base. Cette perspective débouche le
plus souvent sur une minimisation des changements
intervenus dans la morphologie des groupes et l’érosion
de l’esprit du corps qui en a découlé. Le concept
de djemâ’a est tellement galvaudé qu'il s'est trouvé
En raison de son caractère polysémique et des enjeux
que le concept de djemâ’a représente, sa définition
dans la perspective d'une formulation concrète et utilitaire
de la participation des populations aux actions
de développement n'est pas sans difficulté.
Afin d'échapper à ce déterminisme, nous avons été
amené à chaque fois à approcher cette forme d'organisation
à partir du point de vue des groupes qui
en font usage ; ceci à la fois au niveau des modes
de structuration discursive de l'identité communautaire
que de la réalité empirique observée à l'occasion
d'une mise à contribution effective et concrète de celui-ci.
Du coup on pouvait observer le fonctionnement
de la machine consensuelle et débusquer les mises en
quarantaine, et les stratifications et inégalités qu’elle
recèle.
L’expérience de l’Ouneine nous a convaincus que la
djemâ’a semble davantage être une virtualité consensuelle
entre les membres de la collectivité qu’une
assemblée d’égaux. C’est un concept à géométrie variable.
La djemâ’a qui va conclure le contrat du maître
de l’école coranique (charte du taleb) n’a pas la même
configuration/composition que celle qui va engager
des dépenses, répartir des charges, ou conduire
une action collective comme l’électrification. Cette
souplesse se traduit dans le temps par une grande
évolution des normes. La permanence des modes de
régulations juridiques prend en charge aussi leur évolutivité.
Les groupes créent du droit, et ne se contentent
pas d’appliquer le legs des ancêtres.
C’est pourquoi nous avons eu à discuter des dizaines
de fois le contenu des contributions des uns et des
autres lors du chantier d’électrification, à revenir sans
cesse sur les protocoles d’organisation des excavations,
à rappeler d’avoir une pensée pour les veuves et
les sans ressources. Ce n’est de leur part ni de la roublardise,
ni de la mauvaise foi, mais une conscience
aiguë de la tension permanente entre intérêts individuels
et intérêt du groupe.
Pour développer, il faut tout le temps négocier, les
gens ont plus besoin d’arguments que de bons sen-

timents !
Les temporalités concurrentes
L’un des grands enseignements de la pratique de
développement est la découverte du temps comme
enjeu.
Pendant une dizaine d’années notre atout dans la
négociation avec les populations pour la conduite
des chantiers d’eau potable consistait en la possibilité
de pouvoir choisir nos interlocuteurs, nos projets
n’étaient pas encadrés par des cycles fixés à l’avance.
Le temps de la négociation était considéré comme
un investissement. Une communauté qui n’était pas
mûre pour négocier voyait son projet reporté.
C’est pourquoi un véritable bilan du projet ERD doit
prendre en charge le temps de la négociation qui a
duré plus de huit ans. L’élasticité d’une temporalité
du changement social ne peut pas être comptabilisée
dans le temps du chantier alors qu’elle a conditionné
son déroulement et son aboutissement.
Comment expliquer à la population de Taourirt, en
conflit historique avec Ait Soual, doublé d’une forte
tension politique (Lakhsassi et Tozy, 2000), que leur
source d’eau, propriété privée inscrite au sommier
oral de la communauté et transférable par vente à la
minute, va servir à produire de l’électricité (alors que
l’eau et le feu/lumière ne se marient pas) sans être
détournée par leurs ennemis héréditaires ?
Comment rassurer une population habituée à la spoliation
par domanialisation que la construction d’un
équipement collectif ne signifie pas sa publicisation ou
son transfert à l’Etat ?
Comment déchiffrer les murmures inaudibles d’un
groupe de jeunes interdits de parole dans une assemblée
consensuelle, alors qu’ils posaient un problème
grave du tracé d’une conduite forcée qui condamnait
une dizaine de moulins hydrauliques et des dizaines
de noyers centenaires ?
La réponse est simple : il faut disposer de temps. C’est
ce temps qui nous a manqué pour comprendre pourquoi
un groupe de notables s’opposait à un réseau
électrique enterré malgré les arguments écologiques
et techniques que nous avancions et malgré notre
engagement à assumer le surcoût d’un abandon du
réseau aérien qui défigurait le paysage. Avec un peu
de temps, nous aurions pu déconstruire les enjeux
locaux et comprendre que ces notables étaient également
des tâcherons qui avaient sous-traités le marché
des pilonnes et des poteaux avec la société adjudicataire.
Chaque trou abandonné coûtait à ces notables
la bagatelle de 600 dirhams, ils négociaient le trou à
700 et le faisaient faire par des ouvriers du crû à 100.
C’est toujours du temps qui nous a manqué pour comprendre
que le calendrier autochtone rendait cruciale
la finalisation du chantier à la veille de l’Aïd el kébir
(fête du mouton), qui coïncide avec le retour des émigrés
dans la vallée et que reporter la mise en réseau
d’un mois éliminait les deux tiers des actifs pour la
célébration de l’arrivée de l’électricité. Le coût symbolique
étant énorme ; les gens préfèrent retarder
l’échéance d’une année plutôt que d’opérer le branchement
une fois les émigrés partis.
C’est aussi grâce à la maîtrise du temps qe nous avons
pu faire crédit à des dizaines de foyers et échapper
aux syndromes des créances douteuses et des impayés
juste après que les remboursements ont été
ajusté aux calendriers des deux récoltes d’amende et
d’olives.
Réfléchir sur les temporalités, c’est pouvoir faire ce
qu’on a appelé un développement fait main. Une broderie
attentive à l’esthétique du geste capable de marier
les efficacités symboliques et techniques.
De la modernité aux modernités
L’expérience de l’électrification a été une occasion rare
d’aborder les questions du changement, de la modernisation
et des facteurs culturels dans les analyses
produites par les chercheurs aussi bien autochtones
qu’allogènes aux pays du Sud.
Mis à l’épreuve, le concept de la modernité multiple
(Eisenstadt 1997 ; 2002) n’est plus un simple slogan
des études post-coloniales. Il a révélé tout son
potentiel heuristique pour identifier des institutions
modernes immergées dans la tradition. Des critiques
récentes du concept de « modernité » nous permettent
d’interroger l’approche moniste qui ne considère
que la conception européenne de la modernité et
ignore les historicités propres à chaque société. Dans
ses travaux, Eisenstadt nous donne les moyens de
discuter cette question sur deux points. Les traditions
philosophiques qui ont pensé la modernité en Europe
ont eu tendance à ériger le modèle européen en étalon
unique du progrès.
L’émergence de nouvelles puissances à la faveur de
la globalisation (Inde, Chine, Brésil) a remis en cause
la domination d’une seule historicité. Ces nouvelles
nations ont en effet cheminé différemment. Elles
ont certes partagé certains préalables de la modernité
(diffusion de l’écriture, disparition du fossé entre
17

grande et petite tradition, sortie de la civilisation
agraire, etc.) mais ont su aussi développer d’autres
perceptions qui mobilisent les concepts de raccourci
historique, de réinvestissement des traditions propres
et d’innovation institutionnelle préfigurant des rapports
particuliers entre le groupe et l’individu.
Notre critique de la djemâ’a ne nous a pas empêchés
d’y déceler les germes potentiels d’une sortie de la
communauté et l’avènement d’une structure positionnée
dans l’espace public à égale distance entre l’Etat
-et ses multiples démembrements- et l’individu soucieux
de son indépendance et de son intégrité physique
et intellectuelle.
18
Le concept de «multiple modernité» met le projet ERD
en phase avec la critique d’Eisenstadt qui constate
l’émergence «de nouvelles formes d’identité collective
dépassant les modèles de l’État-nation et de
l’État révolutionnaire et ne se fondant plus sur eux».
Beaucoup de ces identités jusqu’alors «assujetties»
– identités ethniques, locales, régionales, transnationales
– sont devenues centrales, selon des voies tout
à fait inédites, dans leurs sociétés respectives et, bien
souvent également, sur la scène internationale.
La mondialisation a reconfiguré le rapport du global
au local. Le palier national tout important qu’il est
peut être contourné. Dans son travail de thèse, Tamim
(2005) montre que le territoire de l’Ouneine de
déploie en dehors de l’espace d’une vallée encaissée
du Haut Atlas central. Ce territoire qui s’appréhende
sous la forme d’un réseau dense de migrants est très
dynamique à Casablanca, mais aussi au Québec, dans
la Ruhr ou le Nord Pas de Calais.
Le lien que l’Ouneine a désormais tissé avec ses partenaires
suisses ajoute un nouveau palier à cette
reconfiguration spatio-temporelle. Le projet a montré
que les populations sont capables de s’approprier
et de gérer des technologies avancées en réinventant
leurs propres traditions pour les mettre en phase avec
les exigences du progrès. L’association des sciences
sociales et des sciences de l’ingénieur a permis de
relever ce défi. A charge pour les uns et les autres
de rester vigilant pour en mesurer toutes les conséquences.

INTRODUCTION
Collectif
Dans le cadre de ce travail de restitution et de reflexion
du projet Electrification Rurale Décentralisée
(ERD), l’équipe Targa-Aide / EPFL est partie d’un précepte
de départ, très global mais néanmoins utile de
rappeler : la science et la technologie – recherche,
formation universitaire de haut niveau, et innovation
technologique – contribuent au développement durable
de la planète.
En effet, le monde a changé profondément, au cours
de ces deux ou trois dernières décennies. La globalisation
fixe désormais le cap d’une économie totalement
mondialisée. Daniel Cohen (2004) rappelle à ce
sujet que de 1950 à 2000, la part du commerce dans
le Produit Intérieur Brut (PIB) a plus que doublé. Les
progrès technologiques ont permis la mise en place de
réseaux de télécommunication et de systèmes d’information
reliant, en temps réel et continu, tous les
points du monde habité. C’est bien cela qui, aux yeux
de Manuel Castells (1996), représente le nouveau
paradigme technologique, marquant, à la fin du XX ème
siècle, une étape clé vers une nouvelle société-monde
centrée sur les technologies de l’information, dotée
de ce pouvoir qui, pour reprendre sa démonstration,
«par la diffusion de la technologie, amplifie sans cesse
le pouvoir de la technologie, à mesure que les usagers
se l’approprient et la redéfinissent».
Cette révolution technologique et la globalisation des
échanges économiques au plan mondial n’ont cependant
pas réduit de manière significative la pauvreté
qui caractérise encore de nombreuses régions du
monde (Bolay, 2004 ; Stern, 2002). Tant au plan international
que dans la structuration de chaque pays,
la globalisation ne coïncide pas avec une diminution
généralisée des inégalités.
Par exemple, la pauvreté énergétique de beaucoup
de pays en développement, en particulier les pays les
moins avancés (PMA), est notoire, et plus particulièrement
en ce qui concerne l’énergie électrique dont
l’écart de consommation entre pays à Indicateur de
Développement Humain (IDH) faible et ceux à IDH
élevé est très important (comme le prouve les statistiques
du Programme des Nations Unies pour le Développement).
Le fossé entre pays nantis et pays pauvres n’est pas
prêt de se combler. Les chiffres sont là pour en témoigner.
L’Agence Internationale de l’Electricité estime
que de nos jours, 1,6 milliards de personnes n’ont
toujours pas accès à l’électricité. En 1980, un habitant
de la Suisse consommait en 4 jours l’équivalent
de la consommation annuelle d’un habitant d’un Pays
Moyennement Avancé.
Actuellement, cette durée est de 3 jours. Il y a donc
un creusement des inégalités, les pays industrialisés
consommant comparativement toujours plus que les
PMA.
Face à ces constats, la coopération scientifique au
développement représente, de fait, un défi novateur,
pour concilier trois objectifs :
> l’excellence scientifique ;
> l’adaptation au contexte des pays du Sud ;
> le transfert approprié auprès des partenaires.
L’excellence scientifique est un impératif avoué de
toute démarche universitaire. Elle l’est tout autant
dans le cadre de projets de coopération au développement,
de manière à encourager le meilleur de la formation
et de la recherche en faveur des bénéficiaires
du Sud, seule voie pour éviter un élargissement du
fossé existant entre pays occidentaux et pays en développement
par le biais du partage et de la création
de connaissances nouvelles.
L’adaptation au contexte des pays du Sud est un impératif
afin que les initiatives universitaires se focalisent
sur les besoins prioritaires de développement
des populations des pays partenaires. Elle doit également
associer les ressources humaines, technologiques,
financières et infrastructurelles présentes, de
façon à offrir une qualité optimale en adéquation avec
l’environnement scientifique du pays partenaire.
Le transfert des projets ou programmes de coopération
scientifique auprès des partenaires des pays
en développement est un objectif explicite (ou parfois
implicite) de ce type de démarche. C’est une
contrainte supplémentaire qu’il ne faut pas minimiser
dès lors qu’à la qualité scientifique et à l’adaptation
aux besoins s’ajoute une volonté d’appropriation individuelle
et institutionnelle ; toute démarche de coopération
vise, à plus ou moins long terme, sa disparition
au profit de véritables partenariats scientifiques Nord-
19

Sud fondés sur un partage équitable des compétences
et des ressources existantes.
restituer et analyser le travail effectué dans le cadre
du projet ERD.
20
Le projet d’Electrification Rurale Décentralisée pour
les zones enclavées s’inscrivait parfaitement dans
ce cadre. Fruit d’une collaboration entre l’Ecole Polytechnique
Fédérale de Lausanne (EPFL), l’Institut
Agronomique Vétérinaire Hassan II (IAV) de Rabat,
Targa-Aide, association marocaine de développement
et l’Office National de l’Electricité du Maroc (ONE), ce
projet est rendu possible grâce à l’important soutien
financier de la Direction du Développement et de la
Coopération à Berne (DDC – Département fédéral des
affaires étrangères de la Confédération suisse).
Son objectif principal était la mise à disposition, pour
une population isolée, d’un micro-réseau décentralisé
de production d’électricité à partir de plusieurs
sources d’énergies renouvelables raccordé à terme au
réseau national de l’ONE. Plus concrètement, la distribution
devait toucher 3 000 personnes dans la vallée
de l’Ouneine, suspendue entre 900 et 2 816 mètres
d’altitude, dans le Haut-Atlas marocain, à 50 kilomètres
(km) de la localité la plus proche à l’ouest (à
60 km au sud) et ne disposant que d’une piste, impraticable
en hiver, pour l’atteindre. Le choix de ce terrain
est dû en partie au fait que Targa-Aide en avait une
bonne connaissance, mais également en raison de la
disponibilité dans la vallée des trois sources d’énergies
renouvelables. Eau, soleil et vent s’y trouvent en
effet tous trois en quantité suffisante pour être exploités
de façon satisfaisante. Si ces deux aspects ont favorisé
l’implantation du projet dans la vallée, ce choix
s’explique principalement pare la demande répétée la
population de ce territoire en énergie électrique, alors
que la région ne faisait l’objet d’aucun projet d’électrification
de la part de l’ONE avant 2015. La vallée
était donc toute désignée pour accueillir une réelle
expérimentation en décentralisé sur un terrain connu.
Ce projet a été entrepris sous la forme d’une recherche-action,
c’est à dire que réalisations et analyses
s’alimentent l’une l’autre pour affiner progressivement
le processus de transfert de technologie.
L’objectif était de contribuer à la fois à une amélioration
progressive des conditions de vie des habitants
et à la production de connaissances largement applicables
et partageables. Passer de l’expérience au partage
des connaissances acquises est l’un des objectifs
pris en compte dès la conception du projet et tout au
long de sa mise en œuvre.
Ce document s’inscrit directement dans ce cadre : il
cherche à proposer un témoignage accompagné d’une
réflexion sur un projet de transfert de technologie, à
Il s’agit ainsi de mettre en évidence les principaux
résultats obtenus (en détaillant les difficultés, les limites
et les enseignements que l’on peut en tirer),
montrer comment les méthodes et outils utilisés ont
permis d’atteindre les objectifs du projet et étudier
comment le cadre social et territorial local a influencé
la mise en œuvre du processus d’implantation d’une
nouvelle technologie, l’appropriation de la technique
et la pérennisation des actions entreprises.
Ce travail de réflexion et de restitution a été mené de
manière collective et pluridisciplinaire pour étudier à
la fois les aspects propres aux deux volets constitutifs
du projet : volet socio-institutionnel et volet technologique.
Pour ce faire, nous avons organisé la préparation
et la rédaction de cet ouvrage comme l’a été le
projet lui-même. Il s’est agi, pour les différents collaborateurs,
de soumettre ses idées à l’ensemble des
collègues impliqués dans le projet afin de leur laisser,
le cas échéant, effectuer les propositions d’améliorations
et de modifications qu’ils jugeaient appropriées.
Grâce à des réunions régulières, les thèmes abordés
ont été discutés, redéfinis et approfondis avec un
recentrage constant sur la notion de développement
durable.
Pour le mener à bien, il nous est tout d’abord apparu
nécessaire de contextualiser le projet afin de bien cerner
les enjeux aux niveaux globaux et locaux auxquels
les acteurs ont été confrontés. Les trois premiers
chapitres présentent les éléments généraux de
contexte : les enjeux du développement durable., le
projet ERD et ses aspects techniques.
Nous insistons ainsi sur le paradigme du développement
durable a en effet été progressivement été
pris en compte dans les politiques énergétiques par
bon nombre de pays qui ont cherché de nouveaux
modes de production d’énergie. Suite la Conférence
de Nairobi sur les énergies renouvelables de 1980,
les Etats ont alors lancé des campagnes d’études
en vue d’évaluer la faisabilité d’intégrer des énergies
renouvelables dans leur politique énergétique
(Frisch, 1989) et d’amorcer un virage dans le choix
des sources d’énergie. Cette problématique touche
aujourd’hui avec acuité les pays en développement
qui doivent à la fois répondre à une demande d’énergie
en constante augmentation et prendre en compte
les modes de production durables leur permettant
d’assurer une certaine indépendance énergétique.
Dans cette logique d’articulation des chapitres de

ce document, nous revenons donc dans un premier
temps sur les enjeux du développement durable et
leurs mises en pratiques dans un projet de développement.
En effet, le projet ERD s’inscrit en effet dans la mouvance
de ceux qui, suite aux crises pétrolières de 1973
et 1979, remettaient en cause un mode de croissance
économique basé sur le " tout pétrole " ne se souciant
pas des limites imposées par notre environnement.
Si le développement durable est souvent résumé par
la devise : «Agir local, penser global», ce raccourci
amène parfois à envisager le développement durable
uniquement comme un slogan ou un vœu pieu qui
n’envisage le concept de durabilité que sous l’aspect
environnemental. Même si ce dernier tire clairement
sa légitimité des « trois piliers « classiques (écologique,
social, économique), il nous a semblé intéressant,
dans le cadre de ce travail, de repenser la philosophie
du développement durable selon nos propres
termes pour préciser la définition initialement proposée
(Brutland, 1987). C’est ainsi que nous sommes
arrivés à ajouter aux trois axes traditionnels des aspects
qui nous sont apparus essentiels à considérer :
la technologie et la politique institutionnelle.
Dans un deuxième temps, nous présentons largement
le projet en le reliant au paradigme du développement
qui a été le fil conducteur de notre action. Le
second chapitre présente les grandes lignes du projet
détaillant à la fois le terrain d’étude, les objectifs
et les axes de travail ainsi que les différents acteurs
impliqués. Cette analyse prend en compte le fonctionnement
général du projet aussi bien du point de vue
de l’approche méthodologique mise en œuvre, que du
cadre de coopération entre les acteurs et des objectifs
visés. Ceci permet de proposer au lecteur une vision
globale du projet et de fournir une liste d’indications
utilisées par la suite pour analyser le projet et pour
jauger de sa reproductibilité.
Cette présentation est complété par un troisième chapitre
qui détaille les aspects techniques de l’expérimentation
pour montrer les innovations techniques
qui ont été mises en oeuvre. Notamment, il insiste sur
l’intégration des réalités sociales et économiques dans
le choix des techniques mises en oeuvre et présente
les instruments technologiques utilisés pour s’adapter
au contexte local.
Une fois ce cadre posé, les trois chapitres suivants
offrent une lecture critique du projet à travers le
prisme du développement durable en se focalisant
sur: la gouvernance institutionnelle, la mise en oeuvre
de techniques appropriées et l’action collective.
Le quatrième chapitre, intitulé «Essai sur une institutionnalisation
par les marges: du laboratoire social à
la consolidation de l’institution communale» met ainsi
en avant les changements observables dans l’organisation
institutionnelle locale. Ce texte fait le point
sur l’expérimentation sociale mise en oeuvre dans le
projet. Il décrit la construction d’une identité institutionnelle
d’un territoire et ses conséquences sur la
mise en oeuvre d’un projet ayant des répercussions
en termes de développement local.
Il montre comment, au fil du temps et des changements
sociaux et institutionnels, les différents acteurs
se sont positionnés : le projet est ainsi passé de la
constitution d’associations locales à une implication
croissante d’une institution nationale (Office Nationale
d’Electricité).
L’auteur souligne que ce processus s’est réalisé en parallèle
à celui d’appropriation et d’affermissement du
rôle de la Commune Rurale. Il montre comment ces
implications institutionnelles (nationale et locale) se
sont, au final révélé nécessaire à la réussite du projet.
En effet, ce processus de renforcement de l’armature
territoriale garantit la durabilité de la dynamique
de développement local amorcée par l’expérience du
projet ERD.
Le cinquième chapitre « Normes techniques, normes
sociales » propose une lecture critique de la confrontation
des normes (décidées et validées avec l’aval de
la population) se heurte à une pratique de l’opérateur
national.
Les auteurs démontrent tout d’abord que l’importance
du choix des technologies adoptées prend une dimension
supplémentaire lorsque la technique doit s’insérer
harmonieusement dans une société traditionnelle.
Il s’agissait donc de trouver le moyen pour atteindre
ces objectifs en prenant en compte le fait que les prérequis
technologiques, en termes d’utilisation et de
sécurité, ne pouvaient pas être diffusés dans la population
de la vallée de l’Ouneine comme ils le sont dans
une société industrielle contemporaine. La simplicité
et la fiabilité des installations devaient donc être assurées
pour faciliter l’appropriation du projet par la
population.
Pour arriver à ce résultat, il a été nécessaire d’étendre
le processus de négociation à une nouvelle entité et
réévaluer nos solutions techniques à l’aune des standards
de l’ONE. Cette articulation entre des enjeux
locaux (développer la vallée) et nationaux (électrifier
rapidement le pays) s’est révélé parfois délicate.
21

22
Le sixième chapitre « Action collective et participation
des populations » détaille pour sa part la manière
dont l’approche socio-économique retenue a permis
de poser les bases d’un cadre de travail englobant
tous les aspects définis comme nécessaires à créer
une dynamique de développement durable dans les
villages concernés. Ainsi, la participation de la population
aux travaux de réalisation du réseau électrique
proprement dit (du terrassement des différents bassins
et conduites à l’implantation des câbles et des
lignes de distribution), a permis aux habitants des
villages en voie d’électrification de mettre la main à
la pâte, tout d’abord pour favoriser le processus d’appropriation,
mais aussi pour encourager une péréquation
en donnant l’occasion aux moins riches de payer
en heures de travail la connexion au réseau que leurs
moyens ne leur permettaient pas de couvrir. Parallèlement,
la création d’associations villageoises de
gestion des fonds visait à contribuer à faire émerger
de nouveaux acteurs, impliqués dans les associations
gérant les fonds issus de la production d’électricité. Il
s’agissait ainsi de créer une structure qui soit indépendantes
des structures, politiques et de décision,
déjà existantes dans la vallée (pour ne pas créer de
conflits d’intérêt) tout en lui garantissant une pertinence
et une légitimité incontestables.
Ainsi, les promoteurs du projet tiennent à remercier
ici l’ensemble des personnes qui ont accepté de participer
et de s’impliquer, de près ou de loin, dans l’aventure
du projet ERD : population de la Vallée de l’Ouneine,
chercheurs marocains et suisses (EPFL, IAV ou
Targa-Aide), administrations marocaines et bailleur
de fonds suisse (DDC).
En conclusion, des axes de réflexions plus généraux
sur la mise en oeuvre de projet de développement
établis dans le cadre de partenariat scientifique sont
présentés. En s’appuyant sur un regard à la fois positif
et critique de cette opération, des axes de travail
nécessaire au bon déroulement de ce type d’opération
sont proposés.
Au final, l’ensemble de ce document cherchent à
confronter le concept de développement durable à la
réalité du contexte local. En effet, la notion de durabilité
ne peut être utile que s’il est constamment enrichi
et remis en question par la pratique. Le développement
durable n’est rien en lui-même : il advient dans
une co-construction développée par les différents
acteurs : d’un côté les techniciens qui doivent faire
évoluer leurs pratiques pour intégrer une approche
multidimensionnelle dans la conception et mise en
œuvre de technologie ; de l’autre, la population qui
apprend, au fil du temps, à construire puis défaire des
actions collectives au gré des opportunités qui leur
sont présentées.

LA DURABILITÉ D’UN PROJET DE DÉVELOPPEMENT
Benjamin Michelon, Jean-Claude Bolay
La pérennité d’une action de
développement
L’énergie est un facteur crucial à bien des égards pour
le développement durable et pour la réalisation des
Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD)
fixés par l’Organisation des Nations unies (ONU). Il
est en effet essentiel de disposer d’énergie pour pouvoir
optimiser la production agricole et industrielle
et faire, ainsi, reculer la faim et la pauvreté. La production
d’électricité par le biais d’énergies propres
améliore la gestion des ressources et préserve les
ressources naturelles. Pour atteindre les OMD, il faut
appréhender les questions énergétiques de manière
appropriée.
La coopération au développement doit relever un
double défi : d’une part, améliorer l’accès des populations
pauvres à une énergie moderne et sûre; d’autre
part, organiser l’approvisionnement en énergie de
manière à en assurer l’équité, l’écologie et l’efficacité.
Il en va de même pour les périodes d’incertitude économique,
où les énergies fossiles sont souvent privilégiées
du fait de leur moindre coût à brève échéance.
Or c’est précisément en période d’incertitude qu’il faut
investir sur le long terme et miser sur les énergies
renouvelables, garantes d’un avenir durable.
C’est ce souci de prendre en compte les différents aspects
du développement durable qui a guidé les promoteurs
du projet ERD.
Le concept de durabilité
Ce concept trouve son origine dans l'idée, très tôt présente
dans de nombreux discours, que l'homme et
la société dégradent les ressources naturelles de la
planète.
L'économiste écossais Malthus, au début du XIX ème
siècle, soulignait déjà la contradiction entre les forts
taux de croissance de la population et ceux bien plus
faibles de la production. Selon lui, il était inutile d'accroître
la productivité par défrichement ou amélioration
des terres, car l'augmentation de la population
et la demande demeureraient toujours plus rapides
(Malthus, 1823).
A la fin du XIX ème siècle, les interrogations sur les
usages des ressources se sont multipliées, elles émanent
de naturalistes, de géographes, de philosophes
et d'économistes, tous sensibilisés à la fragilité de la
planète et au caractère fini des ressources. Ainsi, l'inventeur
de la biocénose, Mobius, présente l'homme
comme "destructeur" (1877).
Au début des années 1970, la société occidentale
s'inquiète fortement des effets de l'urbanisation, de
l'industrialisation et de la croissance démographique.
Ainsi, le rapport du Club de Rome (1968), et le rapport
Meadows (1972) insistent sur la "croissance
zéro", indispensable à leurs yeux pour limiter à la fois
l'usage des ressources et les risques générés par les
sociétés. Les chocs pétroliers ont rappelé que les ressources
naturelles n’étaient pas inépuisables.
De telles analyses ont commencé à mobiliser politiques,
décideurs et citoyens qui militent pour « penser
globalement, agir localement» . Cette tendance,
largement popularisé par les médias, débouchera sur
une prise de conscience, au niveau mondial, de la nécessité
de réfléchir sur le devenir de la planète et sur
ses implications en termes de choix de sociétés.
Force est de reconnaître que, durant les années 70 et
80, de nombreuses initiatives ont déjà été prises et
ont imposé une prise en compte des questions environnementales
sur le plan politique : créations d'associations,
de partis et de ministères, se succèdent dans
de nombreux pays. « À la croissance mimétique, inégalitaire
et destructrice du milieu et des ressources,
il faut opposer le développement endogène, axé sur
la satisfaction des besoins fondamentaux de toute
population, s’efforçant de ménager les ressources et
l’environnement» (Sachs, 1977). L'écologie est un
véritable phénomène de société mais le lien avec la
globalisation, restait à faire.
Ce n’est qu’en 1987 que l’expression "agir local, penser
global" 1 apparaîtra de manière officielle dans le
rapport « Our common future » de la Commission des
Nations Unies sur l’Environnement et le Développement
(Bruntland, 1987). Présidée par une ancienne
1 Maxime que l’on attribue généralement à Jacques Ellul
(1912-1994). On peut le considérer, avec son ami Ivan Illich,
comme un des pères de l’idée de décroissance raisonnée et de
simplicité volontaire, ou, plus simplement, de l’écologie politique.
23

24
ministre norvégienne, la Commission sur l'Environnement
et le Développement fixe ce qui deviendra la
"bible" de la durabilité en positionnant le développement
sur deux axes :
> l'un temporel, en insistant sur le fait que le développement
n'est durable «que s'il garantit que les
besoins de la génération actuelle sont satisfaits
sans porter préjudice aux facultés des générations
futures de satisfaire leurs propres besoins» ;
> le second, portant l'accent sur «la compatibilité à
trouver entre les dimensions écologiques, sociales
et économiques du développement, exigeant une
diminution des risques et des dégradations environnementales,
une transformation dans les valeurs et
les comportements sociaux, un changement d'orientation
dans la production économique de biens et de
services » (ONU, 1992a).
Ce document implique une vision élargie du bien-être
humain, une perspective à long terme des conséquences
des activités actuelles et une coopération
globale pour parvenir à des solutions viables. Les
grandes lignes de ce concept ont été, par la suite,
entérinées au niveau mondial dans l'Agenda 21, programme
d'action pour le XXI ème siècle adopté à Rio en
1992 (ONU, 1992a)80.883 . 27 principes fondateurs
du développement durable ont été arrêtés. Ces postulats,
débattus en parallèle par les Etats comme par
les organisations de la société civile, laisseront, quel
que soit l'avis que l'on émet à leur égard, un impact
notoire tant sur le plan politique qu'institutionnel.
(OCDE, 2006).
L’évolution de la notion de projet
Si les Etats et les agences de coopération adaptent
leurs discours à cette nouvelle donne, cette vaste
notion de projet reste pourtant difficile à mettre en
pratique dans les actions de développement. En effet,
il ne s’agit plus maintenant de convaincre du bienfondé
des stratégies de développement durable engagées
par les bailleurs ; il s’agit de proposer des pistes
d’action concrètes pour réaliser des projets prenant
en compte les impératifs sociaux, environnementaux
et économiques sur du long terme. Ce changement de
paradigme a eu des répercussions sur la notion même
de projet.
Initialement, le terme "projet" introduisant ainsi à la
fois le caractère " dynamique " d’un processus (action
de projeter, c'est-à-dire de jeter quelque chose vers
l'avant), et une durée défini de l’action avec un début
et une fin dans le temps (du lancement à l’atterrissage)
et d’un contenu (l’objet jeté) qu’il convient de
délimiter précisément. Le projet de développement
doit donc chercher à contribuer au passage d’un stade
à un autre, en visant une amélioration des conditions
de vie de la population concernée par cette action.
Or, si les projets de coopération internationale et les
structures qui les gèrent ont toujours une durée de vie
limitée, il est aujourd’hui unanimement reconnu qu’un
projet de développement ne peut plus être simplement
terminé quand l’objet projeté à atteint sa cible.
Au niveau international, cette recherche d'un équilibre
durable entre dimensions à première vue antagoniques
devient la clé de voûte de nombreuses initiatives.
En effet, à cet événement, sont venues s’ajouter
d’autres rencontres internationales, telles que la
Conférence de New York et le Protocole de Kyoto en
1997, le Sommet du Millénaire en 2000 2 ou encore,
le Sommet de Johannesburg sur le développement
durable en 2002, organisé par les Nations Unies.
Peu à peu, cette préoccupation a gagné le monde entier
et a été introduite dans l’agenda politique de l’ensemble
des institutions internationales et nationales.
Le rapport de la Banque mondiale sur le développement
de 2003 promeut cette approche (World Bank,
2004). Dans un rapport récent, l’Organisation de Coopération
et de Développement Économique rappelle
tout l’intérêt qu’il y a à mettre en œuvre ce précepte 3
2 Débouchant sur la déclaration du Millénaire définissant
8 Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
3 « Dans l’esprit de beaucoup, le développement durable
suppose un meilleur équilibre entre les objectifs économiques,
environnementaux et sociaux, et une répartition plus équitable
des avantages tirés de la croissance entre les personnes et les
La conception du projet a évolué vers celle de processus,
de cheminement engageant une démarche
et des acteurs sur le long terme. Ainsi, si l’action de
développement (le projet en tant que tel financé par
un bailleur de fonds) est bien souvent définie comme
incitative, elle doit amorcer un processus de développement
local qui doit se poursuivre à l’issue du projet
contractuellement achevé. La durabilité d’un projet
se traduit par la continuation des bénéfices résultant
d'une action de développement après la fin de l'intervention.
Sachs résume cette assomption par l’idée d’écodéveloppement
(Sachs, 1997), qui est vu comme un
moyen de réconcilier le développement humain et
l'environnement, indissociables l'un de l'autre. Il affirme,
par ce biais, la nécessité d’une remise en cause
du mode de développement aujourd’hui globalisé à
pays. Qui dit développement durable dit aussi préservation de
l’environnement et des ressources naturelles comme condition
indispensable au progrès. De plus, dans un modèle durable, les
décisions publiques prennent en compte l’intérêt des générations
futures. »

l’ensemble de la planète, misant sur une croissance
économique exponentielle et une marchandisation de
tous les services, générateur d’inégalités sociales en
augmentation et d’une dégradation des ressources
environnementales pouvant remettre, à terme, en
question la vie sur la planète. A ce concept, il a adjoint
notamment la notion d’applicabilité, en indiquant qu’il
faut tenir compte :
1) de la compatibilité culturelle qui touche directement
des projets de coopération ;
2) de la juste répartition territoriale des transformations
mises en œuvre.
Les notions de pérennité, d’impact à long terme et de
durabilité sont aujourd’hui des objectifs clés accolés
régulièrement aux cadres logiques qui définissent le
contour de l’action à mettre en œuvre dans les projets
de développement. Cependant, il convient de ne
pas négliger une "cinquième dimension" relative au
contexte d’application politico-institutionnel. Il n’y
a pas de développement durable s’il n’y a pas des
moyens mis en œuvre pour leur application.
Les piliers de la durabilité d’un
projet
Afin que le développement durable ne reste à l’état de
concept, comme une coquille vide, un certain nombre
d’acteurs s’emploient à mettre en application ses préceptes,
notamment au travers de la mise en place
d’Agenda 21 ou encore, dans la mise en œuvre des
actions de développement. Dans les faits, il est difficile
d’opérer une distinction entre les cinq aspects du
développement durable, indissolublement liés dans la
définition de la durabilité, soit :
> un aspect social de valorisation tant des acteurs
qui participent au projet que des destinataires de
ce projet, dans le meilleur des cas les acteurs étant
eux-mêmes les destinataires ;
> un aspect économique de plus-value apportée sous
formes d’avantages, de production de nouveaux
moyens, de nouveaux biens ou services, en contrepartie
des coûts engagés par le projet ;
> un aspect environnemental, lié au cadre de vie et
à la culture du lieu et des habitants où le projet est
mis en œuvre ;
> un aspect technique de réalisation d’un nouvel
aménagement ;
> un aspect socio-institutionnel de gestion (réalisation,
maintenance et exploitation) de l’infrastructure.
Chacun des aspects du développement durable mérite
d’être développé un par un, afin de faire ressortir
les difficultés qu’il y a parfois : concilier des objectifs
contradictoires et des compromis nécessaires à réaliser
pour aboutir à des résultats. Dans une perspective
de développement durable, l’économie doit dorénavant
intégrée les impacts environnementaux dans
ses modes de calcul, l’environnement doit prendre en
compte les réalités sociales, le social et l’économique
doivent s’enchâsser pour permettre un développement
durable.
La durabilité économique : le bien-être
économique
L'approche en termes de développement durable
s'oppose aux théories macro-économiques classiques
libérales, fondées sur l'idée que les ressources naturelles
sont infinies et inépuisables. De la même façon,
les défenseurs de ces théories défendent traditionnellement
l’idée que la pollution est une externalité
qui ne doit pas faire partie des préoccupations principales
dans l'élaboration des politiques économiques,
fiscales et socio-politiques. Cependant, il existe des
nuances entre les écoles de pensée économique.
Pour un certain nombre d’économistes (Grossman et
Krueger, 1995), la durabilité économique définit une
poursuite du dogme de la croissance économique
intégrant le coût réel des dépenses induites par le
processus de transformation industrielle, externalités
négatives, afin de ne pas le reporter en termes de
pollution et d’atteinte à la santé. La durabilité économique
est ainsi totalement liée à sa compatibilité
environnementale.
Pour d’autres (Constanza, 1997, Passet, 1996), l'économie
écologique aborde le développement durable
dans une optique plus large en prônant l'étude des
interactions entre les dimensions économique, sociale
et écologique. Elle insiste sur les limites naturelles et
sociales des activités économiques. Le bien-être économique
n'est plus exprimé par la croissance, mais
par un plus grand respect de la nature en tant que lieu
habitable pour l'homme et par une réduction des inégalités
sociales dans le monde, considérées comme
un facteur de dégradation de l'environnement.
Si l’on applique ce concept à un projet de développement,
ces apports doivent répondre au double souci
de proposer des réponses techniques et sociales, intégrant
cette approche durable de l’économie au service
de l’homme.
Surgit alors la notion de rentabilité des ouvrages basée
sur le ratio obtenu de la comparaison entre le dimensionnement
de l’infrastructure et son adéquation
avec la capacité contributive des bénéficiaires. L’étude
25

26
de la capacité économique des habitants devient
alors indispensable pour prévoir un éventuel recouvrement
des coûts de l’opération ou un mécanisme
de péréquation financière pour ne pas faire supporter
l’ensemble des dépenses aux populations les plus
défavorisées qui sont souvent la cible des projets de
développement.
D’autre part, la mise en œuvre du projet doit aboutir
au démarrage d’une dynamique locale profitant à la
population ciblée : un processus de développement
économique local sur le long terme. Pour mettre en
œuvre ce processus, la question territoriale et l’échelle
d’intervention représentent également une donnée
importante. En effet, il convient aujourd’hui d’insérer
les projets dans une dynamique régionale, nationale,
voire internationale, afin de ne pas négliger les forces
liées à la mondialisation. Avec la mondialisation, les
territoires sont devenus des espaces perméables qui
subissent des influences et des apports (humains,
financiers) provenant d’autres espaces Ce processus
entraîne un bouleversement dans l’approche locale
dont les répercussions ne sont pas négligeables. En
s’imbriquant et en s’articulant avec les enjeux globaux,
le niveau local, est ainsi promu comme un « lieu
de créativité, d'expérimentations de solutions alternatives,
la dimension où il est possible de décider d'un
minimum d'accords sur l'être ensemble » (Calame
2001), un espace de décision, de revendication, de
recherche de consensus où la promotion de la participation
aboutit à la création de lieux de rencontres
entre les individus. Ceci constitue un véritable défi !
Selon cette approche, un développement endogène,
valorisant les potentialités locales et stimulant les
formes d’organisation sociale nouvelles et existantes,
doit être privilégié. Ce processus de développement
économique local doit être orienté vers les besoins et
vers les intérêts locaux, en intégrant l’ensemble des
membres de la communauté, et dépend de la possibilité
de les articuler avec les intérêts globaux. Ainsi,
chaque localité, communauté, municipalité ou région
devrait choisir un développement respectueux des
valeurs qui lui sont propres (culturelles, naturelles,
éthiques et morales) tout en augmentant ses chances
de participer au processus mondial de développement.
La durabilité sociale : la recherche de
l’équité
La durabilité sociale se manifeste par la reconnaissance
et l’acceptation par l’ensemble de la population
de la diversité sociale et culturelle des membres qui
constituent la société. Cette démarche vise à intégrer
les différentes catégories. Cela doit, à terme, conduire
à « un haut niveau d’intégration des intérêts des acteurs
faibles dans le système décisionnel local (équité
sociale) » (Magnaghi, 2005).
La question de l’équité est donc au centre de cette
démarche "socialement durable", véritable projet de
société : « la problématique du développement durable
rejoint ainsi les grandes constructions de philosophie
économique, du libéralisme au socialisme,
qui recherchent les conditions d'une garantie d'équité
entre les êtres humains, et ce, quelles que soient
les différences de réponses apportées, et même en
amont, les différences de conceptions de l'équité ellemême
» (Laganier, Villalba, Zuindeau, 2002).
Dans le cadre d’un projet de développement, cela nécessite
de repérer les inégalités observables au niveau
de la population des bénéficiaires. Ceci passe alors par
une définition des standards des conditions de vie et
une détermination de la population des exclus et des
"vulnérables", c'est-à-dire de la frange la plus pauvre
de la population. Cette approche demande de ne pas
définir uniquement la pauvreté à partir de l’observation
du niveau de vie et de l’évolution du revenu par
habitant, mais d’analyser la réalité sociale et humaine
de ce que l’on nomme la pauvreté.
Pour cela, deux approches sont possibles : l’une prônant
une approche par le capital social, l’autre par
celle des capacités.
Le capital social (Bourdieu, 1983, Putman, 2000) a
été défini comme l’ensemble des pratiques civiques,
des liens interpersonnels, des relations sociales caractérisées
par la confiance. Ce concept joue un rôle
prépondérant dans la production et la perception du
bien-être dans nos sociétés. De ce fait, il constitue un
indicateur important de pauvreté mais également une
base de travail - en facilitant la coopération et la coordination
entre les individus - pour une gestion communautaire
des problématiques de développement
auxquelles ces populations sont confrontées.
Un autre économiste (Sen, 1982), dont la pensée a
rapidement imprégné les grands bailleurs de fonds
(World Bank, 2000 et UNDP, 2000), parle de la valorisation
des capacités de l’individu : il est nécessaire
de développer un ensemble de libertés réelles qui lui
offriront la possibilité d’exploiter ses capacités (capacités
de savoir-faire et de savoir-être qui sont définies
par les caractéristiques personnelles, les biens possédés
et les conditions sociales de l’individu) et d’orienter
son existence.
Une fois ce repérage réalisé, il convient de proposer

des instruments valorisant "une discrimination positive",
qui intègre pleinement ces personnes au dispositif
mis en œuvre par le projet, mais également de cibler
les effets et impacts du projet sur ces personnes.
L’intégration de cet aspect dans l’approche sociale du
développement durable est déterminante pour aboutir
à « un développement qui garantit, aux générations
présentes et futures, l’amélioration des capacités de
bien-être (économiques, sociales ou écologiques)
pour tous, à travers la recherche de l’équité d’une
part, dans la distribution intragénérationnelle de ces
capacités et, d’autre part, dans leur transmission intergénérationnelle
» (Ballet, Dubois, Mahieu, 2005).
de production et de consommation qui ne sont pas
viables à l’heure actuelle doivent être modifiés, dans
l’intérêt de notre bien-être futur et dans celui de nos
descendants» (ONU, 2000). En effet, il est nécessaire
d’insister sur le fait que «la technologie et l'innovation
sont des facteurs clé du développement durable»
(OCDE, 2007).
La mise en œuvre de ce projet a démontré la pertinence
de cette approche durable qui se décline aussi
bien au niveau des objectifs que de la méthodologie.
Elle nécessite sans cesse de s’adapter au contexte local
et aux mutations rapides que subissent les sociétés
en développement.
De la durabilité environnementale et
technique : du concept à la pratique
Parmi les objectifs du Millénaire pour le développement
(OMD), adoptés par les 191 Etats membres des
Nations Unies, l’un d’entre eux (objectif 7) vise à «assurer
un environnement viable en intégrant les principes
du développement durable dans les politiques
et programmes nationaux et en inversant la tendance
actuelle à la déperdition des ressources environnementales»
(ONU, 2000).
Dans la Déclaration du Millénaire, nous pouvons également
lire une remise en cause des modes de production
qui peuvent s’avérer polluants : « les modes
Ce changement passe par la prise en compte de
"l’empreinte écologique" de l’action de développement.
Telle que définie par certains auteurs (Rees et
Wackernagel, 1994), l’empreinte est la mesure de la
charge qu'impose à la nature une population donnée.
Elle représente plus précisément la surface du sol nécessaire
pour soutenir les niveaux actuels de consommation
des ressources et de production de déchets de
cette population. Elle vise à prévoir les effets sur du
long terme et à promouvoir une analyse d’intervention
multi-échelle. Si la définition précise du calcul de
cette empreinte peut faire débat (Moffatt, 2000), elle
revêt à la fois des aspects visibles et invisibles : les
externalités, voire les irréversibilités, ricochets dans
le temps et dans l’espace.
27
Figure 1. Les piliers du développement durable
Gouvernance
Environnement
Durabilité
Technique
Economique
Social

La durabilité technique, quand à elle, n’est pas un
terme conceptualisé et répandu parmi les chercheurs
et praticiens. Certains trouveront dans l’emploi de
cette terminologie un abus de langage. Cependant,
la technique peut être comprise comme une composante
intrinsèque de la société, puisque conçue et
développée dans les cerveaux des ingénieurs de nos
sociétés. De plus, l’imbrication de la technique dans
l’économie est très importante car le progrès technologique
est une des composantes nécessaires au
fonctionnement de la société de consommation. De
ce fait, il peut paraître abusif de parler de "durabilité
technique ", en tant que tel.
28
Pour autant, il nous paraît nécessaire d’étendre le
concept de durabilité à la technique pour définir les
technologies prenant en compte les effets causés sur
l’environnement, s’intégrant à la dynamique locale de
développement économique et étant utilisables et utilisées
par toutes les catégories de population.
La durabilité socio-institutionnelle ou bonne
gouvernance
De manière générale, au vu des résultats du projet
ERD, il apparaît naturel de lier la notion de gouvernance
aux objectifs du développement durable dans
la mise en œuvre de tout projet de développement.
En effet, telle que définie par l’UNDP (2004), prenant
acte de la diversité des définitions, la gouvernance locale
est « un ensemble d’institutions, de mécanismes
et de processus qui laissent les citoyens et les groupements
de citoyens exprimer leurs intérêts et leurs
besoins, régler leurs différends et exercer leurs droits
et obligations à l’échelon local ».
Cette bonne gouvernance locale est fondée sur les
piliers suivants : la participation, la transparence, des
partenariats entre des acteurs clés à l’échelon local, la
transdisciplinaire des acteurs du projet et l’interculturalité,
le renforcement des capacités des institutions
et la recherche d’atteinte des objectifs de lutte contre
la pauvreté. L’ensemble de ces thèmes est traité cidessous
car il nous paraît pertinent de souligner son
importance dans la mise en œuvre des projets de développement.

LE PROJET ERD DANS LA VALLÉE DE L’OUNEINE
Collectif
Les promoteurs du projet
L’implication de l’EPFL, une démarche
inscrite dans la durée
Depuis plus de 40 ans, l’Ecole polytechnique fédérale
de Lausanne (EPFL) a acquis une culture des
différentes actions de coopération dans les Pays En
Développement (PED) (Bolay, 2002), d’abord dans le
domaine de la formation (cours ponctuels, création
d’écoles d’ingénieurs, conseils, formation de formateurs,
….), puis avec des recherche-actions selon les
spécialisations à l’EPFL ou encore des expertises (parfois
confiées à l’EPFL pour sa neutralité).
Les valeurs humanistes et l’esprit scientifique de
l’EPFL se combinent pour monter des projets de recherche
guidés par le sens des responsabilités envers
les problèmes majeurs auxquels sont confrontées
les populations des pays émergents et en développement.
Cette ouverture est reflétée par les liens de
longue date établis entre la Suisse et d'autres pays,
ainsi que par le grand nombre de professeurs, chercheurs
et étudiants de l'EPFL actifs dans le domaine
de la coopération.
La politique de l'EPFL est en ligne avec les politiques
fédérales et la législation nationale. En effet la coopération
est devenue une priorité scientifique majeure
pour le Secrétariat d'Etat à la Recherche (SER) et
à l'éducation ces dernières années. La coopération
scientifique au développement implique que les enjeux
majeurs du monde contemporain soient traités
scientifiquement, par la recherche et par l'enseignement,
à l'EPFL et avec ses partenaires des pays émergents
et en développement, et que les résultats de
ce travail aient un impact effectif et positif sur nos
sociétés.
Dans le domaine de l’énergie, dés le début des années
80, plusieurs instituts collaborent à un projet d’école
sur la problématique complexe de l’époque (Borel et
al., 1981). L’EPFL est alors mandaté pour réaliser, de
1980 à 1983, une étude sur la planification du secteur
énergétique du Rwanda (EPFL 1983), en collaboration
avec différentes institutions locales, gouvernementales
et associatives. Pays enclavé, la population du
Rwanda était à l’époque composée à 95 % de ruraux
et à 5% de citadins. Ce pays importait alors la majorité
de son énergie commerciale. La consommation de
bois de feu représentait 96,6 % de la consommation
d’énergie intermédiaire. Les énergies renouvelables
n’étaient pratiquement pas utilisées.
Pour remédier à ces problèmes, l’étude a établi une
liste de 40 projets, planifiés sur 20 ans, allant dans
le sens d’améliorer le bien-être social, de développer
l’économie, de garantir une plus grande autonomie
énergétique du pays. Parmi les grandes lignes communes
à ces projets, on trouvait déjà des éléments
qui feront recette par la suite : économie des ressources
non-renouvelables, utilisation massive des
sources d’énergies renouvelables, gestion des ressources
restructurée de façon à être plus analytique.
Ce fut le premier projet d’envergure dans ce domaine
qui favorisa la réalisation d’autres projets.
Parallèlement, durant les années 80 et 90, les actions
de formation et Recherche et Développement (R&D)
dans le domaine de l’énergie se sont multipliées
à l’EPFL, en particulier grâce à des études de systèmes
énergétiques, de la mise au point de logiciels
d’optimisation, de l’ amélioration des rendements des
procédés de transformation, de l’utilisation optimale
des énergies renouvelables et enfin par l’organisation
d’un cycle postgrade en énergie, participation à des
programmes tels que le " Programme d’Action Energies
Renouvelables " (Dos Ghali et al., 1995). A cette
période également, sont imposés aux étudiants de
l’EPFL des travaux de recherche concernant les liens
entre technique et société, d’abord intitulé " Homme,
Technique, Environnement " (HTE), puis " Science,
Technique, Société " (STS).
Plus particulièrement encore, dans le domaine de la
production d’électricité décentralisée, des cours ont
été organisés pour les Pays en Développement (au
Népal et aux Philippines) et des développements sont
effectués pour l’utilisation des moteurs asynchrones
industriels en génératrice avec réalisations de régulateurs.
Le cycle post-grade sur la problématique du développement,
organisé par l’EPFL, se poursuit sur le terrain
d’abord en Tunisie (1985 et 1987), puis au Sénégal
29

30
(1989-1990), au Maroc (1992 et 1994) et au Burkina
Faso (1994-2006). C’est dans le cadre de cette formation
qu’une collaboration s’intensifie entre l’EPFL et
l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (IAV),
Rabat/Maroc.
Targa-Aide, une forte implantation locale
Au Maroc, les premières interventions d’une équipe
pluridisciplinaire de l’Institut Agronomique et Vétérinaire
Hassan II, initiées en 1982, suite à la perspective
de la construction d'une voie ferrée qui devait
traverser la vallée de l'Ouneine pour relier Marrakech
à Agadir, avaient pour finalité la mise au point d’une
méthodologie d'étude des zones de montagnes en
voie de transformation.
Ce projet a suscité l’intérêt du sociologue Paul Pascon,
«père de la sociologie marocaine» (Aït Akdim, 2005),
pour la population de la vallée de l’Ouneine. A
l’époque, ces études à caractère académique avaient
fortement interpellé l'équipe de chercheurs à expérimenter
la faisabilité d'actions participatives à l'échelle
d'un nombre restreint de douars de la vallée. Cette
expérimentation, à la fois sectorielle et ponctuelle, a
exacerbé l'expression d'une demande sociale s'étendant
à des domaines de plus en plus nombreux, dictant
progressivement à l’équipe l’initiative d’élaborer
et de mettre en œuvre un programme de développement
intégré de la vallée de l'Ouneine.
A terme, ce programme s'était fixé comme objectif
général la contribution à la mise au point de modalités
d'interventions appropriées pour le développement
des zones de montagnes au Maroc. A court et
à moyen termes, l'ambition du programme était de
concilier l'amélioration des conditions de vie et des
revenus des populations de l'Ouneine et la préservation
de ses ressources naturelles.
Les successeurs de Paul Pascon ont formé une équipe
pluridisciplinaire de chercheurs de l’IAV et d’autres
universités pour suivre ce projet de développement,
baptisé "Targa". L’objectif était de photographier les
écologies sociales de la vallée avant, pendant et après
l’installation de la voie ferrée.
Bien que le projet de liaison ferroviaire ait été abandonné
en 1984, l’équipe de l’IAV a continué ses investigations
dans la vallée de l’Ouneine avec le démarrage
des premières interventions sous la forme de
recherche-action avec une intention de favoriser un
développement rural intégré : problématique des ressources
en eau, adduction d’eau potable, amélioration
des cultures et de l’élevage, pisciculture.
En 1992, une micro-centrale hydro-électrique expérimentale
de 6 kilo-Watt (kW) est installée pour alimenter
un des villages (environ une centaine d’habitants)
de l’Ouneine. En 1998, l’équipe de chercheurs de l’IAV
créent l’association Targa-Aide (Association interdisciplinaire
pour le développement et l’environnement).
Cette équipe continue dans la même lignée aussi bien
Encadré 3. La DDC et l’énergie rurale
Le Programme global Changement climatique a deux axes d’action dans le domaine de l’énergie :
L’électrification décentralisée des zones rurales et l’accès à des énergies renouvelables locales (protection du climat
et lutte contre la pauvreté) :
1. L’accès à des sources d’énergie modernes et renouvelables a un impact positif à plusieurs niveaux : favorisant le
développement économique et la prospérité, il réduit la dépendance et la vulnérabilité au changement climatique.
En Inde, le Programme global Changement climatique encourage les innovations et les technologies adaptées aux
besoins locaux dans les zones rurales. L’accent est mis sur les petites centrales hydrauliques et sur l’exploitation
énergétique de la biomasse disponible à l’échelle locale, telle que les déchets agricoles.
2. La diminution de la consommation énergétique des bâtiments :
Les techniciens suisses ont une très longue expérience et un grand savoir-faire technique et scientifique en matière
d’utilisation de l’énergie dans la construction. Le transfert de connaissances vers les pays nouvellement industrialisés
permet des économies d’énergie importantes entraînant une forte réduction des émissions dans le secteur du
bâtiment. Un nouveau programme en Afrique du Sud soutient entre autres le développement de normes énergétiques
pour les bâtiments ; il contribue ainsi à optimiser le bilan énergétique des logements construits dans le cadre
de programmes destinés aux couches les plus pauvres de la population.
Avec ces deux axes d’action, la DDC contribue à la progression des pays en développement et des pays nouvellement
industrialisés sur la voie d’un développement durable - générateur de peu de gaz à effet de serre et
diminuant la dépendance de ces pays à l’égard des combustibles et des carburants fossiles. Membre fondateur de
la plate-forme REPIC pour la promotion des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique dans la coopération
internationale, la DDC encourage la mise en œuvre concrète des traités internationaux sur la protection du climat.

à l’Ouneine, en particulier avec l’implantation d’une
centrale photovoltaïque de 2 kW, que dans d’autres
vallées du Haut-Atlas ainsi que dans le Rif occidental
et certains oasis de Mauritanie et du Mali.
Le désir de collaboration dans le domaine de l’énergie
et de l’électrification décentralisée entre l’EPFL et
l’IAV, puis plus tard avec l’équipe Targa-Aide, a démarré
au cours du cycle postgrade sur le développement
de 1994 à Rabat. Il s’est ensuite concrétisé
par la mise en œuvre du projet ERD dans la vallée de
l’Ouneine.
L’identification du projet
Les intérêts communs pour une approche pluridisciplinaire
de l’implantation de l’électrification rurale décentralisée
(ERD) aboutissent en 1999 au démarrage
du projet ERD au Maroc dans la vallée de l’Ouneine
selon les 11 principes du partenariat scientifique
(KFPE, 1998).
mort, libéralisation du champ audiovisuel, etc.).
Dans le domaine économique, le Maroc a réussi à préserver
un cadre macro-économique stable (inflation
maîtrisée, monnaie stable, compte courant excédentaire)
tout en libéralisant et ouvrant l’économie à la
concurrence étrangère, en améliorant le cadre des
affaires et de l’investissement, en diversifiant les activités
productives (en particulier vers le tourisme et
le tertiaire informatique) et enfin, en modernisant les
infrastructures.
Cette politique, entraînant le pays sur la voie du libéralisme,
ne doit pas cacher les nombreuses difficultés
socio-économiques dont souffre le pays, également
touché par la crise. La croissance du pays reste
soumise aux fluctuations de la production agricole et
aux aléas conjoncturels. Un des problèmes majeurs
auquel le Maroc reste confronté est le faible taux d’alphabétisation
(environ 51%) même si une profonde
réforme du système éducatif est engagée.
31
Le projet ERD prend racines dans une réflexion qui
date du début des années 1980, suite aux crises pétrolières
des années 70. Pour les pays en développement,
la croissance passe en partie par la suffisance
en énergie commerciale qui devrait, selon toute vraisemblance,
augmenter les ressources à disposition de
leurs populations. En outre, il s’agit d’être très attentif
à l’utilisation inconsidérée de ressources énergétiques
naturelles et gratuites.
Le projet ERD constitue par ailleurs le résultat d’une
négociation entre l’IAV, l’association Targa-Aide et
l’EPFL, ayant abouti au recoupement entre les besoins
de la recherche-action et la réponse à des besoins de
la population : il n’était pas question, en effet, d’ouvrir
des enquêtes auprès de la population pour faire une
évaluation des besoins en énergie et de simuler l’analyse
de l’impact éventuel, sans l’assurance de réalisations
concrètes qui suivent. Cela aurait équivalu à
ouvrir les vannes à des demandes de la population
qu’on ne pouvait pas satisfaire.
L’énergie, une nécessité pour le
Maroc
Si, au cours des dernières années, la politique libérale
marocaine a permis une réduction du chômage et de
la pauvreté, ces taux restent encore à des niveaux
élevés : le taux de chômage est passé de 13,9% en
1999 à 9,7 % en 2006 ; le niveau de pauvreté de 19
% en 1999 à 14,3 % en 2004. Le Programme des Nations
Unies pour le Développement classe le Maroc au
130 ème rang sur 182 (PNUD, 2009) en termes d’indice
de développement humain (derrière la Tunisie, l’Algérie
et l’Egypte).
Cette pauvreté touche avant tout les zones rurales et
les femmes. Elle a eu pour conséquence un important
exode rural vers les villes qui a commencé lors de la
colonisation avec le déclin de l’agriculture vivrière.
Devenue minoritaire, la population rurale (44,9 % de
la population totale) se regroupe en gros villages -
ce sont les ksours sahariens ou les villages étagés
du Haut et de l’Anti-Atlas - ou se disperse dans les
douars aux dimensions très variées dans les plaines
ou les plateaux, ou encore dans les habitations isolées
de certaines régions irriguées ou désertiques (tentes
nomades).
Le Maroc, un pays émergent
Sous l’impulsion du Roi Mohamed VI, qui a accédé au
trône en 1999, le Maroc s’est engagé dans une politique
ambitieuse de réformes politiques et de société
(nouveau code de la famille, loi sur les partis politiques,
loi contre la torture, moratoire sur la peine de
Parmi les différents espaces qui constituent le Maroc,
les espaces montagnards ruraux représentent
un grand potentiel de développement touristique qui
n’est malheureusement que trop rarement mis en
valeur.
Ce constat a d’ailleurs été fait dans le Schéma National
d’Aménagement du Territoire (SNAT) qui vante

32
les atouts du milieu montagnard tout en dressant un
diagnostic assez sévère de la situation : « Le Maroc
existe grâce à ses montagnes. Elles sont les sources
de la vie, les châteaux d’eau qui nourrissent les
plaines en contrebas. Elles sont aujourd’hui les principales
victimes de la dégradation des milieux, en particulier
par la déforestation. Leur rôle de château d’eau
est remis en cause; ce qui constitue une menace
majeure pour le pays tout entier. Les problèmes de
sécheresse ne peuvent que s’aggraver. La montagne
cumule aujourd’hui tous les handicaps du délaissement:
surcharge démographique, enclavement, souséquipement,
inconsistance économique et misère
sociale. Le risque est celui d’un véritable blocage, en
particulier du fait du surpeuplement qui peut étouffer
à priori toute tentative de développement » (Royaume
du Maroc, 2003).
Une consommation énergétique en
constante hausse
Au Maroc, la consommation d’énergie électrique représente,
selon les projections de l’ONE pour l’année
2008, environ 761 kWh/an par habitant (moyenne
nationale). Elle est en évolution constante depuis le
milieu des années 1970.
Les ressources énergétiques locales étant faibles, la
production nationale est dépendante de ressources
non renouvelables, telles que les hydrocarbures et
le charbon, qui constituent les principales sources
d’énergie primaire utilisées dans le pays.
Selon une évaluation réalisée pour le compte d’un
projet de la Banque Africaine de Développement, « le
taux de dépendance énergétique du pays, qui mesure
l’importance de l’énergie importée dans la satisfaction
de la demande nationale d’énergie, est de l’ordre de
97 %. La contribution du parc hydroélectrique à la
satisfaction des besoins en énergie du pays, varie fortement
au gré de la pluviométrie; de 17 % en 1996
et 1997, il n’a pu satisfaire que 8,6% des besoins en
énergie du pays en 2003.
La part de l’électricité éolienne disponible depuis 2000
est encore marginale; elle se situait à 53,5 MW en
2003, alors que le potentiel en énergie éolienne du
pays est estimé à 6 000 MW » (Royaume du Maroc,
2004).
Il est à noter que le processus d’augmentation de la
consommation électrique est lié au phénomène d’urbanisation
du pays : une concentration importante
des consommations est observée en milieu urbain.
Quant au milieu rural, il présente les mêmes caractéristiques
que dans la plupart des pays en développement
: consommation électrique faible, caractère
dispersé de l’habitat et enclavement, faibles revenus
de la population.
Une telle situation risque de durer encore longtemps
pour certaines régions, car l’électrification conventionnelle
impose des coûts d’investissement prohibitifs
et non rentables. Le coût d’investissement par
abonné rural est très élevé au Maroc : il varie de 10
000 DH pour 50 foyers électrifiés par km de ligne à 37
000 DH pour 10 foyers par km de ligne. Ces variations
s’expliquent notamment par la dispersion et l’éloignement
des villages, ainsi que par le caractère plus ou
Encadré 4. Le Maroc en quelques chiffres clés
Superficie : 446 550 km² (710 850 km² avec le Sahara occidental)
Géographie: Massifs montagneux, chaîne de l’Atlas (Haut, Moyen et Anti-Atlas. 700 km de long, point culminant
au Toubkal à 4 165 m)
Population : 30,8 millions (dont 44,9 % rurale)
Densité de population : 43,4 hab./km²
Taux annuel de croissance démographique : 1,1%
Taux de fécondité (2004) : 2,5 (2,1 en milieu urbain; 3,1 en milieu rural)
IDH (2000 /2009 selon rapports PNUD) : 0.583 / 0.654
Rang IDH : 130 sur 182 pays
Population au dessous du seuil de pauvreté : 14,3 %
Salaire minimum (brut mensuel) : 1 841,77 dirhams 1 (9,66 dirhams/heure)
Espérance de vie à la naissance: 70,3 ans (hommes : 68,1, femmes : 72,7)
Taux d'analphabétisme : 43 % (hommes : 30,8 %, femmes : 54,7 % ; urbain : 29,4 % ; rural : 60,5 %)
Source : PNUD, 2009
1 Soit 170€ ou CHF 230.- avec un taux de change d’octobre 2009 : 10Dh = CHF 1,23 = 0,9€

Photographie 1. Vue panoramique de la vallée de l’Ouneine
Photographie 2. Une population vivant de l’agriculture
33
Photographie 3. Un habitat traditionnel
Encadré 5. La vallée de l’Ouneine en quelques données
Situation administrative : Province de Taroudant (culture berbère), Commune rurale autonome depuis 1992, 60
douars disséminés sur les flancs du cirque de montagnes et le long d’une ligne de sources
Géographie : 200 km 2 de superficie, cirque de montagne enclavé, situé entre 900 m et 2 800 m
Activités économiques : petite paysannerie, arboriculture et élevage de type traditionnel (ovin et caprin)
Démographie : 10 000 personnes, environ 1 200 foyers (taux moyen de croissance démographique : 1,82 % par
an)
Infrastructures : routes (2 pistes d’accès), 3 écoles-mères (ouverture de nombreuses classes dans les années 90),
dispensaire (1), centre féminin (1), marché (2 fois par semaine)

34
moins accidenté du relief.
Toutefois, depuis 1995, le Maroc a orienté sa politique
énergétique en faveur de l’électrification rurale.
Une analyse des différents projets a été effectuée par
l’ONE. Cela a abouti à l’élaboration du Programme
d’Électrification Rurale Global (PERG), destiné à tout
le pays à l’horizon 2010.
Dans les campagnes marocaines, la population rurale,
souvent peu desservie par les grands réseaux de
production d’énergie, a tendance à mettre en œuvre
des stratégies propres qui compromettent son environnement
immédiat. Le bois est la première source
d’énergie utilisée pour la cuisine et le chauffage. Il
représente 90 % de l’énergie consommée, ce qui en
fait la première source d’énergie. Les poêles à cuire
et à chauffer consomment beaucoup de combustibles,
émettent du dioxyde de carbone (CO2) en quantité,
et dégagent des fumées nocives. Ces émissions de
CO2 ont de lourdes conséquences sur le climat, et la
surconsommation de bois pèse sur l’environnement,
en favorisant la désertification.
La vallée de l’Ouneine : un espace
rural montagnard
Marrakech, la vallée de l’Ouneine est aujourd’hui reliée
à l’extérieur par une piste minière allant au Nord,
par le col de Wijddane (2 089 m) pour atteindre la
route nationale n°501, qui passe par le col du Tizi
n’Test, et au Sud, par les pistes forestières de Lkhmiss
n’Imi n’Ouassif et celle d’Iguer n’Tznar pour rejoindre
la Route Nationale 10 reliant Agadir et Ouarzazate.
Malgré son aspect enclavé, l’Ouneine est loin d’être
un canton montagnard isolé, refermé sur lui même et
à l’écart de tout échange. Bien au contraire, il constitue
un lieu de passage historique et un couloir de
circulation des populations où, cinq fractions se sont
fixées autour de grandes sources hydrauliques dominant
des périmètres irrigués pour constituer ce qu’on
peut appeler la «tribu» de l’Ouneine. Cette population
pourtant, bien avant la reconnaissance administrative
de 1992, avait sa propre construction des lieux et de
leurs configurations géographiques focalisées sur des
liens de solidarité et d’échanges commerciaux (la fréquentation
du souk hebdomadaire d’Adouz configurait
partiellement un début d’identité spatiale).
Ce sont peut être ces difficultés d’accès et cette cohésion
sociale qui ont permis jusque-là de préserver
un environnement et un paysage caractéristiques de
cette partie du Maroc.
Un environnement protégé par
l’enclavement
Située sur le versant sud du Toubkal, dans le Haut-
Atlas, la vallée de l’Ouneine est un bassin interne de
forme quasi-circulaire, délimité par une série de crêtes
dépassant 2 000 mètres. et drainé par l’Assif Lmdad,
un des affluents supérieurs de l’Assif n’Sous 1 . Cette
vallée, située dans la Province de Taroudant, forme
un canton montagnard d’environ 200 km², dont l’altitude
varie entre 900 m et 2 816 m. Elle est composée
de 67 douars 2 , regroupant 1 300 foyers et totalisant
une population d’environ 9 400 habitants de langue et
culture berbères, répartis sur les flancs de ce cirque
naturel le long d’une ligne de sources.
L’enclavement est une des caractéristiques principales
de la vallée de l’Ouneine. La liaison avec l’extérieur,
par voie carrossable, est assurée par des pistes difficilement
praticables en période de pluie ou de neige.
De même, les liaisons entre les villages et le cheflieu
de la commune rurale connaissent des conditions
similaires, voire parfois plus difficiles. Ancienne voie
de passage caravanier et muletier entre Taroudant et
1 Assif signifie torrent
2 Signifie village : les termes « douar » et « village » sont
utilisés de façon indifférente dans ce document
En effet, l’enjeu des espaces montagnards réside
dans la préservation d’écosystèmes particuliers. Ce
constat est partagé maintenant par l’ensemble des
acteurs du développement qui s’emploient à proposer
des solutions pour favoriser un développement qui
prenne en compte les spécificités environnementales.
« Les montagnes sont un important réservoir d’eau,
d’énergie et de diversité biologique. En outre, elles
contiennent des ressources essentielles telles que les
minéraux, les produits forestiers et agricoles, et les
services récréatifs. En tant que grands écosystèmes
au sein de l’écologie complexe de notre planète, les
environnements de montagne sont indispensables à
la survie de l’écosystème mondial. Toutefois, les écosystèmes
de montagne se modifient rapidement. Ils
sont exposés à une érosion accélérée du sol, à des
glissements de terrain et à une perte rapide de l’habitat
et de la diversité génétique. Sur le plan humain,
la pauvreté est très répandue parmi les montagnards
et les connaissances des populations autochtones se
perdent. En conséquence, la plupart des régions montagneuses
du globe sont soumises à une dégradation
de leur environnement » (ONU, 1992b)
Une société plutôt conservatrice
L’évolution de la population de la vallée de l’Ouneine

est caractérisée par un taux d’accroissement annuel
moyen, entre 1982 et 1994, de 1,82 % , chiffre qui
dépasse largement la moyenne nationale rurale qui
est de 0,7 %. Par ailleurs, sur une période de 34 ans
(1960-1994), la croissance démographique de la population
de la vallée est de 82,08 %. Même si la population
n’a pas doublé, l’Ouneine peut être considérée
comme une sorte de «réservoir démographique». A
l’intérieur même de la vallée, les taux d’accroissement
de la population varient de façon importante selon les
zones. En revanche, de manière générale, le niveau
d’éducation et de technicité de la population est relativement
bas.
Face aux multiples contraintes de cet espace, la population
a peu à peu développé des stratégies de survie
à travers un réseau complexe de relations migratoires,
basées sur la solidarité, entre la vallée et l’extérieur.
Le mouvement migratoire saisonnier fournit des ressources
financières essentielles aux foyers de la vallée,
ceux-ci ayant tous au moins un émigré parmi les
leurs, avec lequel ils entretiennent des liens étroits.
Les émigrés établis depuis un certain temps dans les
villes du Maroc ou de l’étranger servent à leur tour de
relais indispensable pour les nouveaux arrivants issus
de l’Ouneine. Le phénomène de la migration, qu’elle
soit saisonnière ou permanente, joue un rôle central
dans la structure socio-économique de la vallée. Il
tend à accentuer les disparités économiques entre les
villages, ainsi qu’entre les foyers, et par là même les
repositionne au sein de la vallée. Au fil du temps, certains
villages se sont spécialisés dans des activités
acquises à l’extérieur de la vallée, ou favorisées par
l’introduction de nouveaux produits importés : agriculture,
élevage, commerce ou artisanat.
Une économie rurale encore peu
développée
Située dans la région montagneuse du Haut Atlas,
l’une des régions les plus pauvres du Maroc, la vallée
de l’Ouneine est touchée par des problèmes d’enclavement
et par l’absence d’une dynamique de développement
local intégré. Le taux de pauvreté est supérieur
à 30 % selon l’INDH.
L’agriculture, l’arboriculture (amandiers, caroubiers,
oliviers, noyers) et l’élevage (bovins, ovins, caprins)
constituent l’essentiel de l’économie de la vallée, soit
72 % de son PIB. Les ressources productives sont
donc relativement diversifiées, ce qui est caractéristique
de l’économie des exploitations agricoles de
montagne. Celles-ci sont modestes mais l’alternance
entre récoltes et ventes de produits d’élevage assurent
la survie des familles. Pourtant, 11,5 % des
foyers ne disposent pas de terre et sont obligés de
travailler chez les autres ; cela constitue l’un des principaux
indices de pauvreté de la vallée 3 .
Enfin, les services et le commerce forment 7 % du PIB
de la vallée. Ce chiffre, quoique modeste, reste significatif
pour une zone de montagnes enclavée, compte
tenu du pouvoir d’achat réduit des populations. Le
souk, point central des activités économiques de
l’Ouneine, revêt une importance capitale : il constitue
le point de rassemblement hebdomadaire incontournable
des chefs de foyers car c’est là que toutes
les informations circulent et qu’une grande partie des
flux économiques y transitent. En tant que micro-pôle
d’urbanisation embryonnaire, son électrification devient
dès lors une étape prioritaire pour la réalisation
des objectifs, en particulier l’incitation à de nouvelles
activités génératrices de revenus.
L’électrification des zones rurales et enclavées constitue
pour de larges franges de la population des pays
en développement un besoin prioritaire ; pour eux,
l’électricité contribue à l’amélioration des conditions
de vie et les rapproche des standards de vie urbains.
Les "objectifs durables" du projet
ERD
Fort de ce constat, l’EPFL et Targa-Aide ont choisi de
développer conjointement et de mettre en application
dans la vallée de l’Ouneine une technique de production
d’énergie électrique à partir de plusieurs types de
sources d’énergies primaires renouvelables (hydraulique,
solaire, éolienne, biomasse), alimentant de petits
réseaux de consommateurs isolés, avec possibilité
d’interconnexion entre eux.
Ce micro-réseau décentralisé devrait être compatible
avec le réseau national pour une interconnexion
future. Le projet ERD s’inscrit dans une vision d’ensemble
de la vallée d’Ouneine, à couvrir progressivement
en électricité par des sources d’énergies renouvelables
(hydraulique, solaire et éolienne).
Cependant, les institutions responsables de ce projet
de recherche-action ont convenu, dès la conception
de ce projet, que l’application de techniques de production
d’énergie décentralisée n’a de sens que si elle
s’intègre dans le cadre d’un développement durable
d’une région et qu'elle contribue à l’amélioration des
conditions de vie et des revenus des populations rurales.
Un consensus est vite apparu sur les objectifs du pro-
3 Selon les enquêtes de Targa-Aide réalisées en 1999.
35

36
jet :
> d’une manière globale, il s’agissait de produire de
nouvelles connaissances et de l’expérience dans le
domaine de l’électrification rurale, tant sur le plan
technique que sociologique. Le projet ERD est un
projet pilote pour les zones enclavées ;
> d’une manière locale, il s’agissait de participer à
la promotion d’un développement durable de l’Ouneine,
en fournissant une électricité de qualité à un
ensemble de villages grâce à un micro-réseau décentralisé,
alimenté par différentes sources d’énergies
renouvelables.
La durabilité socio-économique : adapter
le projet aux plus démunis et créer une
dynamique locale
Une étude de la Banque mondiale révèle que « seulement
sept pour cent des projets d’électrification rurale
et du secteur de l’énergie ont pour objectif spécifique
la réduction de la pauvreté ». Selon ces experts, le
problème, pour une population pauvre, est qu’elle ne
bénéficie que très rarement des effets directs de l’électrification
: « quand l’électricité arrive dans un village,
les frais de connexion sont si élevés que cela empêche
les pauvres de se connecter au réseau, même si les
bénéfices qu’ils pourraient en tirer seraient supérieurs
au coût du raccordement » (World Bank Independant
evaluation group, 2008).
Pourtant, un des véritables objectifs fixés par le projet
a été de faire bénéficier à l’ensemble des ménages,
quel que soit son statut social, de pouvoir bénéficier
d’un raccordement. La mise en œuvre d’une électricité
produite par une micro-centrale hydraulique a été à
ce niveau, un élément important pour faire admettre
ce point dans les discussions avec les villageois.
Encadré 6. Le bois dans la vallée de l’Ouneine
Une hypothèse de la recherche-action portait sur les impacts du projet d’électrification sur l’environnement. L’un
de ces aspects les plus directs concerne la réduction potentielle de consommation de bois. Certes, l’impact sur
ces consommations a été relativement faible dans la mesure où la consommation électrique est, à tout le moins à
court et moyen termes, modeste et concerne en premier lieu l’éclairage et l’audiovisuel.
Toutefois, au vu des quantités très importantes de bois prélevées dans des zones déjà surexploitées, une diminution,
même moindre, ne peut pas être négligée. Il faut en outre préciser que cette surexploitation est davantage
le fruit de trafiquants que celui de la population qui prélève essentiellement le bois mort ou les branchages pour
les animaux. Il n’en demeure pas moins qu’à plus ou moins brève échéance, le problème du renouvellement des
espèces se posera.
Le bois est utilisé avant tout pour la cuisson des aliments. Le feu est entretenu en permanence et sert, du même
coup, au chauffage de la maison, quand bien même ce n’est pas sa vocation première. Le bois est également
utilisé pour chauffer l’eau des hammams. Lors de manifestations particulières (réunions de village, mariages), un
feu est entretenu à l’extérieur des maisons et un gros chaudron est installé au-dessus afin d’offrir en permanence
aux convives de l’eau chaude, en particulier pour le thé.
Afin d’analyser de façon précise l’évolution de la consommation de bois par foyer, lors des enquêtes des questions
ont porté sur la quantité de bois prélevée par mois et par foyer. Certains résultats obtenus sont assez surprenants
et doivent être pris avec précaution. Malgré cela, le résultat global obtenu auprès des notre échantillon indique une
quantité moyenne de bois prélevée par semaine de 58,6 kg par foyer, ce qui semble réaliste (1,1 kg par personne
et par jour).
Généralement, les foyers vont chercher du bois une fois par semaine. Ils y vont en principe à deux (si les chefs de
foyers sont jeunes, ils y vont parfois avec leurs épouses, ou alors ce sont les femmes du foyer ou encore les fils
qui s’y rendent). 82 % des foyers qui vont régulièrement chercher du bois, utilisent un âne ou un mulet. Pourtant,
dans trois foyers, ce sont les femmes qui doivent elles-mêmes porter le chargement sur leur dos.
La plupart du temps, les membres du foyer chargés de la corvée de bois doivent parcourir des distances de plus
en plus importantes. Sur l’ensemble de l’échantillon, 17 vont régulièrement chercher du bois (sauf la personne
seule et un foyer qui déclare acheter le bois). Mis à part quatre foyers qui consacrent à chaque fois une heure au
maximum à la corvée de bois (y compris les trajets et la collecte), les 13 autres foyers déclarent quant à eux y
passer 4 heures de temps ou plus, soit en moyenne 5 heures 12 à chaque fois.

La quasi-unanimité des réponses de notre enquête
socio-économique avant la mise en place du micro-réseau
indiquait qu’aux yeux de la population l’hydraulique
était une source d’énergie économique, l’eau
étant gratuite.
Parmi les inconvénients invoqués, le manque d’eau
était souvent cité, de même que l’importance des travaux
nécessaires pour la réalisation. Concernant les
autres sources d’énergies, les gens n’avaient pas une
idée très claire, sauf en ce qui concerne la biomasse,
beaucoup estimant que cela serait difficilement réalisable
à l’Ouneine du fait du manque de fumier disponible.
Outre les perspectives privées, de nombreuses personnes
avaient déclaré dès le début du projet, qu’elles
envisageaient de se lancer dans une nouvelle activité
commerciale ou artisanale requérant de l’électricité;
certaines d’entre elles sont connues pour avoir les capacités
de le réaliser. La mise en service du micro-réseau,
visait donc à encourager ces initiatives privées.
La durabilité socio-institutionnelle : une
nouvelle échelle de gestion
Pour assurer une gestion durable de l’infrastructure,
un effort particulier dans la conception et la mise en
Figure 2. La vallée de l’Ouneine : à 6 heures de routes de Marrakech
37
Vallée de
l'Ouneine
Source : D’après fond de plan Google

œuvre de la gestion du micro-réseau a été porté.
L’un des objectifs a été la gestion et l’exploitation des
équipements du projet qui ont donc été attribuées à
des associations villageoises organisées spécialement
pour l’occasion, ou qui s’étaient constituées auparavant
pour d’autres projets communautaires (comme
la construction d’une mosquée ou l’adduction en eau
potable).
Pour chacun des villages, la gestion de la consommation
et de l’entretien du réseau électrique (le relevé
des compteurs, paiement des consommations, maintenance
des installations…) était également placée
sous la responsabilité de l’association villageoise.
L'obtention de la personnalité morale a été définie
comme condition, sans laquelle la structure ne pouvait
pas créer les conditions favorables à l'établissement
d'un rapport de confiance entre le projet, la commune
et les habitants eux-mêmes. Chacune d’elles
est aujourd’hui enregistrée selon les lois marocaines.
Un règlement intérieur et des statuts ont été adoptés.
Au-delà, la participation de la Commune et de l’ONE
se sont également relevées indispensables pour la
réussite du projet. Il a donc été nécessaire d’articuler
ces différentes échelles de gestion qui se sont révélées
au cours du projet.
La durabilité environnementale
Les montagnes sont des écosystèmes particuliers
qu’il convient de préserver. L’accent a ainsi été mis
sur la nécessité de développer des actions en faveur
de ces territoires : « Une gestion convenable des
ressources des montagnes et un développement
socio-économique de leur population justifient une
action immédiate » (ONU, 1992).
Pour mettre en œuvre notre action, il a donc été nécessaire
de consulter les besoins et les demandes au
niveau de la vallée de l’Ouneine. Un premier constat
a été de voir qu’à l’Ouneine comme pour la plupart
des vallées enclavées, la population rurale n’était pas
desservie par le grand réseau national de production
d’énergie et avait encore un accès très limité à l'électricité
et au gaz.
De ce fait, le bois était la première source d'énergie
utilisée pour la cuisine et le chauffage (représentant
90 % de la consommation en énergie d'un ménage en
zone rurale). Les poêles à cuire et à chauffer consomment
beaucoup de combustibles, émettent du CO 2
en
quantité, et dégagent des fumées nocives. Ces émissions
de CO 2
ont de lourdes conséquences sur le climat,
et la surconsommation de bois pèse sur l'environnement,
tendant à la désertification du paysage.
Pour répondre à cela, l’un des objectifs du projet a
été de fournir à cette zone un système de production
d’énergie électrique décentralisée, qui se fonde sur les
ressources naturelles disponibles dans la région et qui
soit adaptée aux besoins de la population.
38
La durabilité technique : une énergie
prenant en compte l’environnement,
l’économie et le social
L’électrification, en tant que technologie et outil de
développement, doit satisfaire aux trois conditions
indissociables du développement durable : équité
sociale, protection de l’environnement, efficacité économique.
Dans ce cadre, certains types de productions d’énergie
électrique décentralisées ont eu du succès, d’autres
moins à cause de la difficulté de tenir compte de toutes
les contraintes sociales (croissance démographique,
niveau d’éducation faible, habitations dispersées),
technologiques (sophistication de matériel importé,
manque de maintenance), environnementales (ressources
énergétiques limitées), économiques (revenus
très bas, investissements) et politiques (manque
de programme actif approprié).
Il convenait donc de proposer une approche claire et
simple pour définir et mettre en œuvre un processus
d’aide à la décision dans le choix d’un système optimal
d’électrification.
Les axes de travail
Pour atteindre ces objectifs, le partenariat EPFL/Targa-Aide
s’est inscrit dans le cadre d’une rechercheaction
selon trois axes :
> la recherche et le développement : il s’agit de
mettre au point une méthodologie d’approche globale,
ainsi que des logiciels adéquats, pour la production
et la distribution d’énergie électrique décentralisée
à partir de plusieurs sources renouvelables
(simulation, conception et gestion optimales), qui
intègrent à la fois les dimensions technique et socioéconomique
et qui soient reproductibles ;
> la formation : elle est orientée sur le développement
de compétences pluridisciplinaires dans les
domaines des énergies renouvelables et de microréseaux
électriques décentralisés à injection multiple
adaptés aux zones enclavées (laboratoires,
stages, séminaires, formation de formateurs) ;
> la réalisation sur un site d’application, en l’occur-

ence la vallée de l’Ouneine, dans le Haut-Atlas
marocain, avec l’implantation d’un micro-réseau
électrique à injection multiple interconnectant
18 villages, distribués géographiquement dans 3
zones, et de promouvoir leur développement local à
travers l’électrification durable et adaptée.
Le succès du projet est lié à la multiplicité et à l’interaction
de ses composantes. La formation, le développement,
la notion de conseil, l'impact socio-économique
sont indissociables de la réalisation et du suivi
du projet. L’approche d’une telle problématique doit
donc être globale et pluridisciplinaire.
Les partenaires du projet
porter un fusil, soit aux adultes mariés;
> La djemâ’a conseil délibératif visant à répartir les
charges ; elle est généralement composée par des
représentants des maisons (tigmmi) qui peuvent
comporter plusieurs foyers. La fonction de cette
jma’a étant plutôt formelle ou de diffusion de l’information,
la capacité à assister n’est pas rigoureusement
définie. Celui qui est là assistera, il suffit que
la maison soit représentée ;
> La djemâ’a conseil de prise de décision. En fonction
de la nature de la stratification au sein du groupe et
de celle des décisions à prendre, la jma’a peut être
composée soit de l’ensemble des chefs de foyers
(argaz), le doyen vivant de la maison ou des leaders
des principaux « ikhss « (lignages) composant
le douar.
Les djemâ’as
Historiquement, à l’Ouneine comme dans le reste du
milieu rural marocain de manière générale, l’action
me dans le reste du milieu rural marocain de manière
générale, la mobilisation de la population reste surtout
importante au niveau du douar, lieu de la vie quotidienne,
d’interconnaissance et de voisinage.
Le douar, ou moda suivant l’appellation locale, se présente
ici comme une individualité sous la forme d’une
agglomération d’habitat d’un seul tenant, disposant
de sa propre mosquée ordinaire ou joumou’a (pour les
prières du vendredi), d’un cimetière, et parfois d’un
mçalla (lieu de prières lors des fêtes religieuses).
Cette individualité et cette fonctionnalité du douar se
donnent à voir à travers une organisation informelle,
la djemâ’a, porte parole de ce niveau territorial, qui
peut être définie comme une des « formes de vie
sociale les plus capables d’initiative à la base de la
société paysanne » (Pascon, 1986).
Les observations faites les deux dernières décennies
en milieu rural marocain, et à l’Ouneine en particulier,
aboutissent au constat suivant : la djemâ’a est
un concept à géométrie variable, qui change de configuration
en fonction de la gravité du sujet traité, des
ressources à mobiliser et de l’urgence. Ainsi, la jma’a
est restreinte lorsqu’il s’agit de prendre des décisions,
élargie lorsqu’il s’agit de diffuser l’information.
Au moins trois types de djemâ’as ont été relevés
(Tozy, 1993), à des occasions diverses, qui se combinent
et s’articulent au sein d’un même douar :
> La djemâ’a assiette fiscale qui permet de lever des
taxes auprès d’une main d’œuvre qui s’étend soit,
aux jeunes de sexe masculin en âge de jeûner ou de
L’Office National d’Électricité
Au cœur d’un service public stratégique et essentiel
pour la compétitivité du pays, l’Office National de
l’Électricité est l’unique opérateur national du secteur
électrique au Maroc. Établissement public à caractère
industriel et commercial, créé en 1963, l’ONE a pour
principales missions de :
> satisfaire la demande en électricité du pays en
énergie électrique dans les meilleures conditions de
coût et de qualité de service;
> gérer et développer le réseau de transport ;
> planifier, intensifier et généraliser l’extension de
l’électrification rurale ;
> œuvrer pour la promotion et le développement des
énergies renouvelables ;
> gérer, d’une façon générale, la demande globale
d’énergie électrique du Royaume.
Après plusieurs rencontres au courant de 2002 entre
les responsables du projet ERD et l’ONE pour une implication
de ce dernier dans le projet ERD, le Directeur
général de l’ONE a effectué en mars 2003 une visite
à Ouneine. Pendant cette rencontre sur le terrain,
le Directeur de l’ONE a exprimé son émerveillement
de l’action entreprise à l’époque. Cependant, deux
mois plus tard, après discussion avec le Directeur de
l’Électrification Rurale de l’ONE, son avis changeait et
l’électrification de l’Ouneine était programmée.
Le projet ERD pouvait continuer l’électrification des
18 douars prévus au départ, mais la cadence de son
travail était réduite. Poursuivant sa logique d’électrification
et de développement du réseau défini dans le
PERG, l’ONE n’était pas disposé à épauler et à suivre
une telle expérience.
Depuis, de nombreux contacts ont été noués pour assurer
une gestion durable du micro-réseau décentra-
39

lisée : l’ONE a accepté d’acheter l’électricité produite
par ce micro-réseau à la société locale en charge de
son exploitation.
La commune rurale
La plus importante réforme administrative au royaume
chérifien date de 1992. Le royaume du Maroc est subdivisé
en unité administrative déconcentrée et en collectivités
locales. En partant du sommet vers la base,
on a la province, la région, la préfecture et la commune.
Depuis 1996, la région est érigée comme la commune
au rang des collectivités locales. Ainsi, le découpage
administratif du Royaume comprend deux niveaux
d’administration territoriale hiérarchisés. Les gouverneurs
et les Walis sont des autorités déconcentrées
nommés par décision Royale, c’est-à-dire par dahir.
De ce fait, depuis 1992, la commune rurale de l’Ouneine
est un acteur important de la vallée qui renforce
progressivement ses compétences et son pouvoir.
Les phases du projet
La première phase, de mai 1999 à décembre 2002,
a été financée à concurrence de 220 000 CHF par le
fonds mis à disposition de l’EPFL par la DDC pour la
gestion de projets de partenariat inter-universitaire.
Elle a porté essentiellement sur la formation et la
recherche consistant essentiellement en un travail
de formation, d’établissement d’hypothèses de recherche,
de collectes de données de base, techniques
et socio-économiques, de pré dimensionnement. Les
40
Encadré 7. Le cadre logique du projet
Objectif général : Contribution au développement durable au niveau local par l’électrification décentralisée à base
des ressources naturelles
Objectifs spécifiques
1 Assurance d’un approvisionnement en énergie électrique en suffisance et de qualité
2 Autonomie de gestion du micro-réseau électrique par les associations villageoises
3 Dynamisation de l’économie locale (AGR)
4 Accès équitable à l’énergie électrique pour toute la population concernée
5 Amélioration de la gestion et l’exploitation des ressources en eau
6 Reproductibilité du projet à d’autres contextes
Résultats attendus
1 Augmentation de la production avec un réglage optimisé (répartition des puissances produites,
tension et fréquence constantes)
2 Renforcement institutionnel
3 3.1 Augmentation des activités génératrices de revenus
3.2 Lancement de projets collectifs
4 Electrification de tous les foyers
5 Elaboration d’une méthodologie interdisciplinaire
Activités, apports
1 1.1 Construction de la centrale hydroélectrique de Takbilt
1.2 Augmentation de la puissance de la centrale actuelle de Takordmi
1.3 Elaboration d’un réglage et d’une synchronisation adéquats
1.4 Liaisons MT des centrales au micro-réseau actuel
1.5 Raccordements BT
2 2.1 Organisation d’un cycle de formation pour les membres des associations
2.2 Poursuite de la formation des techniciens
3 3.1 Liaisons MT entre la zone de production (Tamterga) et le souk
3.2 Installations intérieures des commerces du souk
3.3 Raccordements BT
3.4 Organisation de séances d’information et d’encadrement pour les AGR
3.5 Organisation d’ateliers participatifs d’identification de projets collectifs
4 Gestion d’un crédit ERD
5 Travaux de recherche

travaux ont consisté en la mise en place du partenariat,
l’établissement d’hypothèses de développement
inhérentes à l’électrification et l’analyse des résultats
de premières enquêtes. Ceux-ci ont permis de
connaître le contexte de la vallée et de ses habitants,
leur mode de vie, leurs attentes et perspectives ainsi
que l’organisation institutionnelle des villages. C’est
ainsi que l’évaluation de l’évolution de la consommation
en énergie électrique a pu être établie ainsi qu’un
pré dimensionnement d’installations hydroélectrique
et solaire photovoltaïque.
La deuxième phase (2002-2004), financée par la DDC
à raison de 700 000 CHF, correspond à l’étape de réalisation.
Elle a, en effet, consisté à la réalisation du système
« Production, Transport, Distribution et Utilisation
» (PTDU) nécessaire à l’alimentation en électricité
de 7 villages (sur 9) de la zone de Tamterga (cf. carte
précédente). Tout au long du processus, l’approche
participative a été privilégiée. Chaque étape de réalisation
s’est déroulée en concertation avec la population
: financement des installations électriques intérieures,
travaux de réalisation, exploitation et gestion
(pour lesquels une formation spécifique a eu lieu).
Cela a permis de prendre en compte les contraintes
d’ordre socio-économique (conflit d’intérêts entre villages,
partage de l’eau, maintien des moulins hydrauliques,
préservation de l’irrigation des noyers, etc.) et
de dimensionner le système PTDU en conséquence.
En juillet 2003, avant de poursuivre le projet, il a fallu
prendre en compte la décision de l’Office national de
l’électricité (ONE), d’électrifier la vallée de l’Ouneine
par le réseau électrique national.
Il a notamment été convenu, durant une phase intermédiaire,
d’analyser plusieurs scénarios en les comparant
du point de vue des différents acteurs, en particulier
la population.
De septembre 2004 à décembre 2005, cette phase
intermédiaire de consolidation sur le terrain financée
par la DDC à raison de 340 000 CHF, a fourni l’opportunité
de produire des améliorations sur le plan
technique, un début de formation des associations
villageoises, le financement d’avances remboursables
pour l’Électrification rurale décentralisée (ERD) au
profit de la population, la continuation des négociations
avec l’ONE. Durant cette période, une évaluation
externe, mandatée par la DDC, en décembre 2003,
ainsi que la visite du projet par le délégué de la DDC,
en avril 2005, ont mis en exergue les résultats obtenus
ainsi que la qualité du processus participatif. A
l’issue de cette phase, il a été décidé, pour prendre en
compte la venue de l’ONE, de renforcer le partenariat
technique et financier avec l’ONE, tout en garantissant
l’autonomie de gestion locale.
La troisième et dernière phase, de janvier 2006 à décembre
2009, a été la phase de finalisation, financée
par la DDC à raison de 1 200 000 CHF.
L’équipe du projet a cherché à tirer les enseignements
techniques de la réalisation de la première centrale. Il
a donc été nécessaire de reprendre l’étude technique
pour valider les choix initiaux (en prenant en compte
l’évolution de la situation locale, à savoir l’implantation
dans la vallée du réseau national de l’ONE, l’avancée
du projet au rythme de la population).
Trois solutions ont donc été étudiées (selon les critères
techniques et socio-économiques initiaux) avec
l’aide du logiciel OptElDec :
> l’augmentation du bassin de la première micro-centrale
: cette solution a été vite écartée par la population
qui a peur que ces travaux aient des conséquences
sur l’irrigation ;
> la réalisation d’une deuxième micro-centrale hydroélectrique
;
> la réalisation d’une micro-centrale photovoltaïque.
Au final, la deuxième micro-centrale hydroélectrique a
été installée et reliée au réseau ONE. Pour la gestion
future, une convention a été signée entre la DDC, Targa-Aide
et l’ONE pour le transfert du réseau à l’ONE.
En outre, cette convention prévoit que les deux micro-centrales
seront gérées par une micro-entreprise
locale, que Targa-Aide doit mettre sur pied. L’ONE est
engagé à acheter l’énergie produite et introduite dans
son réseau.
41

Photographie 4. Réunion avec la population
42
Photographie 5. Pose des poteaux électriques en bois

LA DÉFINITION DU SYSTÈME “ PRODUCTION, TRANSPORT,
DISTRIBUTION, UTILISATION ”
Jacques Dos Ghali
Le projet-pilote ERD a choisi comme approche d’évaluer
les options techniques préconisées et la méthodologie
développée pour l’électrification dans l’optique
de garantir son appropriation par la population
et d’aménager un système de gestion permettant de
dégager des revenus en faveur d’actions de développement
régional autonome.
La création du micro-réseau décentralisé a pour objectif
de développer une technique de production d’énergie
électrique avec des sources d’énergies primaires
renouvelables alimentant, dans des zones enclavées,
de petits réseaux de consommateurs isolés, avec possibilité
d’interconnexion entre eux.
Ce système “Production, Transport, Distribution, Utilisation”
(PTDU) comprend aussi bien la production
(centrales nucléaires, thermiques, hydrauliques, ou
production décentralisée : éoliennes, petite hydraulique,
cogénération…), reliés par le réseau électrique
(transport et la distribution) en fonction des besoins
des utilisateurs (collectivités locales, entreprises, particuliers…).
Dans le cadre du projet ERD, des normes techniques
(telles que les spécifications, les performances requises
par le réseau) ont été introduites (en se basant
sur des normes existantes) avec l’arrivée de l’électricité
produite selon une méthodologie que les promoteurs
du projet ont adaptée au contexte local tout
en sachant que tout le système PTDU est basé sur le
principe des normes internationales.
Dès le départ du projet, il avait été décidé de fournir
au consommateur une énergie électrique de qualité
avec un certain nombre d’assurances, selon les
normes et recommandations internationales du Comité
Électrotechnique International (CEI) : protection
des personnes, fiabilité du matériel, constance de la
fréquence et de la tension malgré les variations de la
charge, sécurité d’approvisionnement à tout moment.
L’atteinte de cet objectif a été rendue difficile par
une moins bonne rigidité du micro-réseau décentralisé
en tension et fréquence 1 que les grands réseaux
1 Degré de sensibilité du réseau (tension, fréquence, stabilité)
aux perturbations telles que des variations brusques de
charge ou des défauts intempestifs comme des court-circuits
43
Encadré 8. OptElDec, logiciel d’aide à la décision développé par le Laboratoire de
Machines Électriques (LME) de l’EPFL
OptElDec est un outil d’aide à la décision permettant de sélectionner un système optimal de production et de
consommation d’énergie électrique parmi plusieurs systèmes envisageables dans des régions isolées.
Ce logiciel est composé de deux couches superposées. La couche de base, qui est la couche de simulation, encapsulée
dans une deuxième couche apparentée à un outil multicritère d’aide à la décision.
Cette conception en deux couches permet à l’utilisateur de générer, puis de sélectionner, un certain nombre de variantes
de réseaux d’électrification envisageables en respectant plusieurs contraintes. Ces variantes sont ensuite
simulées, et départagées sur la base de plusieurs critères préalablement sélectionnés et de notes (évaluations)
basées sur les résultats de la simulation.
Le but de cette approche est de fournir au planificateur, dans un premier temps, une grande marge de manœuvre
dans la conception du réseau. Ensuite, les contraintes fixées permettent de se focaliser progressivement vers
les configurations de réseaux les plus réalistes en évitant de perdre du temps à faire tourner des simulations de
variantes peu intéressantes.
Cet outil permet la modélisation des charges de consommation (les consommations des foyers), les éléments de
production (centrales hydroélectriques, solaires, éoliennes) et de stockage (batteries, bassins), sans oublier un
groupe électrogène uniquement d’appoint en cas de besoin de façon à assurer l’approvisionnement en tout temps
aux utilisateurs.

44
interconnectés. Cette difficulté a été amplifiée par la
longueur du réseau à couvrir, certains villages étant
éloignés les uns des autres de plusieurs kilomètres.
Le réglage de la fréquence et de la tension revêt alors
un caractère particulier.
L’approche technologique du système PTDU sur le site
de la vallée de l’Ouneine a été conventionnelle en prenant
en considération les contraintes locales établies
après enquêtes in situ :
> les revenus faibles de cette population rurale et
montagnarde ;
> les différentes catégories de la population comprenant
à la fois des foyers relativement aisés et très
démunis ;
> l’utilisation d’énergies uniquement renouvelables ;
> la nécessité de réutiliser l’eau turbinée pour l’irrigation
;
> la volonté de réduire la consommation de grandes
quantités de bois (en particulier dans les centres
communautaires tels que les mosquées, les hammams)
;
> la préservation du paysage du site montagnard ;
> le manque de connaissances techniques des habitants
;
> la nécessité absolue d’une appropriation par le destinataire
(les habitants) ;
> la prévision de raccordement futur du micro réseau
décentralisé au réseau national de l’ONE.
En ce qui concerne le système « Utilisation », constitué
au départ de 18 villages, soit environ 437 foyers
auxquels il faut rajouter les bâtiments ou surfaces
communautaires tels que les mosquées, les hammams,
le souk, la consommation est déterminée sur
un minimum de besoin en éclairage et audiovisuel
pour les plus pauvres, alors que pour les plus aisés il
a été compté l’acquisition d’un frigo et d’autres appareils
électroménagers.
L’évolution de la consommation a été déterminée
sur une période de 10 ans avec deux hypothèses
(minimum et maximum) sur les taux de croissance
démographique et de l’augmentation moyenne des
revenus. Notamment, étant donné le mode vie de
la population, il s’est avéré que les consommations
présentent des pointes de demandes entre 12 et 13
heures ainsi qu’entre 19 et 23 heurs. Il en résulte un
surplus d’énergie électrique à certaines heures de la
journée qui a pu être mis à profit pour des chauffeeaux
électriques dans les mosquées en lieu et place
du bois.
Du point de vue des installations intérieures, une attention
particulière a été portée à la sécurité. Pour
s’en assurer, les normes suisses en la matière ont été
prises en compte : séparation des réseaux éclairage
et prises, installation de disjoncteurs différentiels de
30 mA sur les prises.
Les régimes statique et dynamique d’un tel système
PTDU, comportant des sources hydroélectriques, photovoltaïques
et éoliennes fonctionnant en parallèle,
comme prévu à l’origine du projet, ont donc été simulés
avant réalisation, selon différents scénarios, pour
s’assurer du bon fonctionnement de chaque solution 2 .
2 Logiciel SIMSEN (simulation de systèmes énergétiques
et d’entraînement) développé à l’EPFL par le laboratoire de machines
électriques (LME), sous la direction du Professeur Jean-
Jacques Simond
Encadré 9. Caractéristiques des centrales
Pour ce qui est du système Distribution, il s’agissait
de réaliser toute l’infrastructure de Basse Tension en
400 V : sortie de la production et des transformateurs,
alimentation des entrées des villages, distribution
jusqu’à l’entrée de chaque foyer. Pour préserver
le paysage des villages, il a été choisi, pour la réalisation,
une distribution souterraine, autant que faire
se peut, pour le passage des câbles, selon les normes
Hauteurs de chute : 300 m,
Longueur des canaux d’amenée : 1 800 à 2 500 m ;
Conduites forcées à haute pression ;
Équipement électro-mécanique :
> centrale de Tinsemlal conventionnelle avec turbine Pelton à 1 injecteur motorisé (48 kW à l’arbre, 1500 t/min) et
génératrice synchrone (54 kVA, 3x400 V, 50 Hz), régulateur par charge ballast relayé en cas de surplus d’énergie
par un chauffe-eau dans la mosquée du village – Appareil de synchronisation pour coulage au réseau national de
l’ONE ;
> centrale de Takordmi : turbine Pelton à 1 injecteur motorisé (17.5 kW à l’arbre, 1590 tours/minute) et génératrice
asynchrone (moteur asynchrone industriel à cage : 18 kVA, 3x400 V, 50 Hz, 1420 t/min) – Batteries de condensateurs
d’excitation. Le pilotage en tension et fréquence est fait par la centrale de Tinsemlal. Cette centrale est
prévue pour fonctionner aussi bien en parallèle avec la centrale de Tinsemlal en micro réseau décentralisé que sur
le réseau national de l’ONE.

de la CEI.
Etant donné les distances importantes entre villages
(minimum 2 km), le type de liaison choisie pour le
système Transport est la moyenne tension avec le
niveau de 22 kV adopté par l’ONE dans tout le pays.
Ceci d’autant plus que le micro-réseau du projet ERD
a, dès le début, été prévu pour un raccordement futur
au réseau national de l’ONE. Les transformateurs
abaisseurs sont de 50 kVA, 22 / 0,4 kV.
Le système Production comprend à la fois la source
d’énergie convertible en électricité, les machines de
conversion, les réglages en fréquence et tension. Le
potentiel de la vallée de l’Ouneine en énergies renouvelables
convertibles en électricité a été évalué sur
la base de mesures et d’une étude d’un doctorant
de l’IAV 3 , sous la direction de Targa-Aide, utilisant le
Système d’information géographique (SIG). Il ressort
de cette étude que les 3 sources disponibles dans la
vallée de l’Ouneine et dont le gisement semble intéressant
dans le cas du projet ERD sont : l’hydraulique,
l’éolien et le solaire.
45
Pour trouver la meilleure adéquation entre production
et consommation, prenant en considération les
différentes contraintes tant techniques que sociales,
environnementales et économiques, il a été nécessaire
de créer un logiciel d’aide à la décision. Celui-ci,
nommé OPTELDEC (Keller et al., 2007) a été développé
à l’EPFL par le Laboratoire de machines électriques
(LME). Un système de priorités a été établi car
il était impossible de mettre au même niveau toutes
les contraintes. Dans le cas du projet ERD, la priorité
a été mise sur le coût. Chaque solution retenue a été
simulée par le logiciel SIMSEN (fonctionnement, stabilité,
courants de court-circuits).
Par la suite, le projet a dû évoluer pour prendre en
compte les évolutions liées à la demande de la population
et aux contraintes institutionnelles: 2 centrales
hydroélectriques ont été finalement construites.
3 Rachid Chriqui

Figure 1. Schématisation du micro-réseau
Micro-centrale
hydro
Tinsemlal 25 kVA
300 m T1
46
Tinsemlal : 3,4 kW
2 000 m
Taourirt: 5,1 kW
Dar ouargen: 2,4 kW
100 m
400 m
Micro-centrale
hydro
Takordmi 25 kVA
Ait elkadi : 1,2 kW
600 m
T2 1 500 m T3
300 m
Aït Soual : 5,4 kW
300 m
Takordmi: 5,5 kW
Larbaa : 7,5 kW
300 m
Tawgnit: 7,1 kW
300 m
Légende:
Alimentation village BT
100 m
Distance ligne ou câble
Noeud MT
Centrale de production
Ligne MT
T
Transformateur

ESSAI SUR UNE INSTITUTIONNALISATION PAR LES MARGES:
DU LABORATOIRE SOCIAL A LA CONSOLIDATION DE L’INS-
TITUTION COMMUNALE
Abdeslam Dahman Saïdi
De la réflexion à l’action
douar.
Les premières interventions d’une équipe pluridisciplinaire
de l’Institut Agronomique et Vétérinaire
Hassan II (IAV), initiées en 1982, en perspective à
la construction d'une voie ferrée qui devait traverser
la vallée de l'Ouneine pour relier Marrakech à Agadir,
avaient pour finalité la mise au point d’une méthodologie
d'étude des zones de montagne en voie de
transformation.
A l’époque, ces études à caractère académique
avaient fortement encouragé l'équipe de chercheurs
à expérimenter la faisabilité d'actions participatives à
l'échelle d'un nombre restreint de douars de la vallée.
Cette expérimentation, à la fois sectorielle et ponctuelle,
a généré l'expression d'une demande sociale
plus forte s'étendant à des domaines beaucoup plus
variés, dictant progressivement à l’équipe l’élaboration
et la mise en œuvre d’un programme de développement
intégré de la vallée de l'Ouneine. A terme,
ce programme s'était fixé comme objectif général la
contribution à la mise au point de modalités d'interventions
appropriées pour le développement des
zones de montagnes au Maroc. A court et à moyen
termes, son ambition était de concilier l'amélioration
des conditions de vie et des revenus des populations
de l'Ouneine avec la préservation de ses ressources
naturelles.
C’est avec une population vivant sur un territoire
administrativement écartelé entre trois provinces 1
que ces premières actions ponctuelles suivies du programme
intégré 2 ont été menées en partenariat avec
les collectivités traditionnelles des douars, les djemâ’a,
qui assuraient déjà depuis la nuit des temps
la gestion des biens collectifs et communautaires du
1 La commune de l’Ouneine, dans son contour actuel,
relevait alors de trois provinces différentes : Marrakech, Ouarzazate
et Agadir
2 Projet « Développement communautaire participatif de
la vallée de l’Ouneine » ; plan d’opérations ; phase III : janvier
1997-décembre 1999 ; mars 1997. Ce plan d’opérations a été
élaboré à l’Institut Agronomique et vétérinaire Hassan II à Rabat,
du 7 au 10 mars 1997, à la suite d’un atelier de planification tenu
du 9 au 16 novembre 1996. Cet atelier de planification a été organisé
en deux parties : la première, tenue dans la vallée d’Ouneine
a permis de dégager les attentes de la population féminine et
masculine et de déterminer la problématique du développement
comme elle est perçue dans sa globalité par cette population ;
la seconde partie de cet atelier de planification a été tenue au
Complexe Horticole d’Agadir et a permis de définir des objectifs
clairs et les activités à entreprendre pour lever les contraintes de
développement identifiées au préalable avec la population.
L’équipe de l’IAV, à la demande de la population, négociait
les parts de participation et les modalités de la
conduite des chantiers dont le suivi était de la responsabilité
de la djemâ’a. C’est aussi dans cette logique
d’action que le premier chantier d’électrification décentralisée
du village de Takourdmi a été réalisé en
1992. Une source d’eau d’irrigation perchée à plus
de 300 mètres d’altitude par rapport aux champs des
cultures a été aménagée et l’eau ramenée en conduite
forcée pour alimenter une micro-centrale hydraulique
placée en amont du finage du village. A l’époque, pour
des raisons de limites techniques, seul l’énergie du
dénivelé équivalent à la moitié de la hauteur de la
chute totale avait été exploitée.
L’absence de tout acteur institutionnel dans la vallée
a dicté la mise en place d’un arsenal d’instruments
informels, de procédures de gestion et de mesures
d’accompagnement et de formation nécessaires à la
réussite de l’introduction et à la maîtrise d’une telle
innovation technologique.
Cependant un tel dispositif de gestion, notamment
dans les domaines liés aux aspects financiers, confié
à une entité traditionnelle informelle, posait des
problèmes de légalité, rappelés à maintes reprises
par les autorités locales. D’autre part, aussi bien la
djemâ’a que l’association créée par la suite pour se
mettre en conformité avec la loi, peinaient énormément
à prendre en charge les litiges qui nécessitaient
des actions autoritaires, empêchées en cela par la
forte dépendance des membres de ces instances et
leurs implications directes dans les enjeux internes
du douar.
De l’expérimentation à la tentative
d’instauration d’un service public
Après cette première électrification et son suivi durant
quelques années, une seconde expérience innovatrice
a été mise en place. En 1996, le village de Tighitcht
a été électrifié par une micro-centrale photovoltaïque
ondulée et par un réseau de distribution souterraine,
selon les mêmes procédures et modalités que celles
de Takourdmi.
47

48
Les enseignements tirés lors de l’exécution de ce
programme de recherche-action ont recommandé le
développement et la mise en place d'organisations
locales (reconnues légalement) en préconisant un
volet « formation » à travers le renforcement des
organes d'encadrement, d'animation et de suivi au
niveau même de leur zone d'action. Une telle option
de structuration de la société civile locale était impérative
pour diverses raisons :
> décentralisation raisonnée des activités d’identification
des actions et de leur coordination ;
> gestion et suivi afin d’accroître les opportunités de
participation des différentes composantes de la société
locale dans l'exécution des actions ;
> préparation des conditions susceptibles d'assurer la
prise en charge par les populations du processus de
leur propre développement.
Cette vision s’inscrivait dans la logique de compenser
le vide institutionnel qui caractérisait la vallée par une
dynamique associative locale. Ainsi, dans un autre
secteur que l’électricité, plus d’une trentaine de villages
de la vallée a été équipée d’eau potable. Mis à
part deux villages équipés de bornes fontaines, tous
les autres ont fait l’objet d’un réseau de distribution et
de branchements individuels. Les tâches relatives à la
gestion du réseau de la distribution de l’eau, du relevé
des compteurs aux paiements des consommations,
ont été assurées par les associations locales créées à
cet effet comme dans le cas de l’électrification. Tous
ces systèmes de gestion ont fonctionné correctement
tant que le consensus prévalait au sein des villages
mais se sont bloqués partiellement ou totalement dès
lors que des décisions autoritaires étaient nécessaires
pour le dépassement des litiges 3 .
Ces enseignements nous entraînaient à impliquer davantage
les établissements publics et les organismes
de l’État en charge de contribuer au développement
de la zone d'action. Une telle implication est de nature
à consolider la dynamique initiée pour en faire l'une
des bases d’un développement durable.
Telle est la raison d’être de ce projet d’électrification
décentralisée visant un ensemble de 18 douars (villages).
Ce projet expérimental d’électrification par
micro-réseau à injections multiples à base d’énergies
renouvelables a été initié grâce à un partenariat avec
l’EPFL et un financement assuré par la DDC. Les montages
institutionnel et financier adoptés reprenaient
ceux des expériences ponctuelles de Takourdmi et
Tighisht en élargissant le champ d’intervention audelà
du douar et en s’appuyant cette fois-ci sur des
associations légalement reconnues.
Dans le cas de ce projet, le système de gestion de
l’électricité, basé sur l’organisation de la société civile
locale, a été conçu en deux étages :
> en intra village, les tâches relatives au relevé des
compteurs, aux paiements des consommations à la
maintenance des installations sont placées sous la
responsabilité de l’association villageoise ;
> en extra village, la gestion du micro-réseau devait
être placée sous la responsabilité d’une fédération des
associations villageoises, qui devait être constituée
par des représentants de chacune des associations
villageoises concernées par cette action. L’arrivée en
2008 de l’ONE et l’intégration du micro-réseau dans
le réseau national qui en a suivi a empêché la mise en
place de cette Fédération.
Financièrement, les foyers concernés ont participé
à hauteur de 60% aux coûts des travaux et d’équipements
dont 2/3 sous forme monétaire et 1/3 sous
forme de contribution physique dans les travaux des
chantiers mis en place. En effet, la quasi-totalité de
la main d’œuvre des travaux provient des foyers
concernés par ce micro-réseau. La facturation de la
consommation électrique a été fixée par la population
selon un coût unitaire beaucoup plus élevé que le
tarif national (3,5 DH au lieu de 1 DH) sachant que ce
coût permettait de couvrir les charges de fonctionnement,
la maintenance et de réserver une marge pour
le financement d’actions sociales complémentaires au
sein du village.
Forte des leçons de ces deux expériences ponctuelles
d’électrification et de leur suivi technique, social et
institutionnel, l’idée d’installer, progressivement, un
micro-réseau interconnecté fournissant l’électricité à
l’ensemble de la vallée à partir des ressources naturelles
locales a émergé et a pris forme à travers des
discussions avec les djemâ’as des différents villages
de la vallée.
3 Ce constat a été confirmé lors de l’évaluation des
actions de l’Initiative Nationale du Développement Humain que
l’équipe de Targa a mené pour le compte de l’Observatoire National
du Développement Humain sur la quasi-totalité du territoire
national en 2008.
Comme constaté déjà préalablement, le montage
institutionnel basé sur les associations locales a vite
montré ses limites, surtout lorsqu’il s’agissait de régler
des litiges internes et encore plus quand il fallait
trouver des solutions à des blocages ou des problèmes
entre plusieurs villages.
La durabilité d’un tel système ne peut en aucun cas
être assurée par les seules associations locales en
l’absence de la régulation et de l’arbitrage de l’opérateur
technique national qu’est l’ONE, et sans réelle
existence de la Commune Rurale, en tant qu’instance

Encadré 10. La nuit de l’électricité
Cela fait plus d’une semaine que toute la population du Douar de Takourdmi est mobilisée. Ce soir, la fête du village
doit être à la mesure du double événement : la mise en service de la première électrification par micro-centrale
hydraulique de toute la vallée et même de toute la région du Haut Atlas occidental, et le retour dans la vallée du
tout premier Conseil communal fraîchement élu, suite au découpage administratif de 1992 qui fait muer Ouneine
d’une simple vallée dépendante de la commune voisine Ouzioua en Commune Rurale à part entière.
Depuis l’annonce des résultats des élections communales du 16 octobre 1992, les onze membres élus se sont rendus,
depuis plus d’une semaine, à Oulad Berhil pour élire le Président du Conseil et désigner les autres membres
du bureau du Conseil.
Les nouvelles et les rumeurs concernant les alliances qui se faisaient et se défaisaient entre les élus pour désigner
le président et concernant la pression exercée par les autorités étaient colportées par les transporteurs et les
commerçants revenant de Taroudant.
Depuis le matin, la nouvelle de la désignation de M. Naitbellali Hoceine comme premier Président du Conseil de
la nouvelle Commune Rurale l’Ouneine a détonné dans toute la vallée. Il s’agit d’un cadre du ministère de l’Education
Nationale originaire de la vallée mais résident à Rabat. La présidence, confiée ainsi à un natif du douar de
Tamselloumt, village des chorfa’s, est dans l’ordre naturel des choses, vu l’autorité spirituelle qui est reconnue à
ce douar dans toute la vallée.
49
Les chercheurs de l’IAV, eux aussi accompagnés du Secrétaire Général de l’établissement qui visite pour la première
fois cette vallée, sont installés dans la maison de Benhamou (lignage Aït Daoud), nouveau notable dont les
frères ont fait fortune en émigrant à Casablanca. Les youyous et des chants nous annoncent l’arrivée directement
de Taroudant de l’ensemble du Conseil Communal précédé du nouveau Président drapé dans son Bernouse de
Chef.
Pour préparer le repas et Ahouach de la fête d’inauguration de l’électrification les femmes de Tamterga, de Tamselloumt
et même d’Afra sont venues aider celles de Takourdmi. On a aussi invité les femmes les plus réputées pour
animer par leur sens du verbe la nuit d’Ahouach. Pendant le repas on entend déjà tambouriner et monter la clameur
des jeunes qui se positionnent dans la cour de la grande maison de Benhamou pour avoir la meilleure place
quand la grande danse commencera. Après le repas, les convives de marque sont aussi installés sur une terrasse
qui domine la grande cour, déjà remplie de monde, où les danses et les chants vont se dérouler.
Ahouach est une fête traditionnelle durant laquelle les femmes mènent les chants et les danses. Les hommes
s’occupent des percussions. C’est un pur moment de poésie où les femmes les plus douées lancent un chant
basé sur un couplet improvisé qui généralement colle à l’événement qu’on fête. Le couplet lancé en solo d’abord
par une femme est progressivement repris par les autres chanteuses pour une meilleure maîtrise de l’harmonie
avant d’être mis en musique par les hommes. Ensuite le rythme monte en crescendo accompagné de percussion
des tillounas (tambourins) pour aboutir à une très belle danse. Le même cycle reprend de nouveau sur une autre
initiative d’un nouveau couplet.
Ce soir, les couplets étaient adressés d’abord à l’équipe des chercheurs pour les remercier d’avoir amené l’eau et
l’électricité au village et puis au membre du nouveau Conseil Communal pour leur souhaiter la bienvenue quand
soudain cette femme de Tagadirt n’Tafoukt lance dans le silence de la nuit un couplet qui génère des murmures
dans l’assistance. Le couplet repris très progressivement par les autres chanteuses s’adressait au nouveau Président
de la commune et disait en berbère rythmé " L’Ouneine est heureux d’accueillir son Président mais nous le
serions encore plus si nous pourrions compter toute sa famille parmi nous ".
Le message était clair et le Président, dans un sourire gêné, assurait par la suite qu’il allait bien sûr s’installer près
de la vallée avec sa famille pour mieux répondre à l’exigence de ses nouvelles fonctions.
En 2008, après une résidence lors du premier mandat (1992-1997) à Taroudant, puis sa réélection en 1997
comme simple membre du Conseil, il retourne à Salé où il réside à ce jour, bien qu’il ait été à nouveau été élu
président de la commune en 2002.

Figure 3. Schéma du prototype de l’armature institutionnelle
Institutionnalisation d’un territoire et sa population
Collectivités Locales
Associations Locales
Entités traditionnelles informelles
Groupements Professionnels
Administration Centrale
Autorités prov. Et région.
Population et son territoire
Ou
Le territoire et sa population
Serv. Admini. Ext. Locaux :
Agri., santé, édu., …
Autorités Locales
50
Secteur Privé
Ong Nat. / Rég.
Bailleurs de fonds
Ong Internationales
Institutions de recherche
territoriale chargée de la coordination du développement
et de l’aménagement territoriaux.
Quand un territoire et sa
population se construisent une
identité institutionnelle.
Il y a plus de 25 ans, lorsqu’une équipe pluridisciplinaire
de l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan
II (IAV) a décidé de mener des actions de recherchedéveloppement
dans la vallée de l’Ouneine, suite à
une vaste étude d’écologie sociale de cette vallée (Institut
Agronomique et Vétérinaire Hassan II, 1987), il
n’existait aucun interlocuteur institutionnel local. Bien
que cette dépression soit unique dans tout le Haut
Atlas central par ses dimensions et sa forme qui lui
confèrent une indiscutable unité et originalité topographiques
(Dresch, 1983), la vallée de l’Ouneine n’a
été érigée en Commune Rurale qu’à partir de 1992,
suite à un nouveau découpage administratif.
Auparavant, Ouneine relevait de la commune Ouzioua-
Ouneine, dont le chef lieu administratif se trouve à 46
Kms du chef-lieu actuel de la commune d’Ouneine, ce
qui posait problème pour la gestion des affaires administratives
courantes de la population de la vallée et
exigeait de cette dernière des déplacements onéreux.
Malgré son aspect enclavé, l’Ouneine est loin d'être un
canton montagnard isolé, refermé sur lui même et à
l'écart de tout échange, bien au contraire il constitue
un lieu de passage historique et un couloir de circulation
des populations où cinq fractions se sont fixées
autour de grandes sources hydrauliques dominant
des périmètres irrigués pour constituer ce qu’on peut
appeler la tribu de l’Ouneine. Cette population avait
pourtant, bien avant la reconnaissance administrative
de 1992, sa propre construction des lieux et de leurs
configurations géographiques focalisées sur des liens
de solidarité et d’échanges commerciaux : la fréquentation
du souk hebdomadaire d’Adouz configurait partiellement
un début d’identité spatiale tel que définit
par Di Méo (Di Méo, 1987).
L’année même de la mise en service de la micro-centrale
de Takourdmi, le paysage institutionnel a connu
un premier changement important. Pour la première
fois de son histoire, la vallée de l’Ouneine, dans son
unité topographique et sociale, a été instituée en

Commune Rurale et dotée d’un Conseil issu d’élections
locales. Cette institution, censée jouer un rôle
fondamental et fédérateur dans toute action de développement
local, devait tout d’abord se construire une
capacité administrative et financière pour légitimer
auprès de ses administrés les fonctions et les missions
de représentativité en tant que Collectivité Locale.
La dynamique institutionnelle
garante de la durabilité des actions
de développement
Ainsi, le regard rétrospectif sur l’histoire de la vallée de
l’Ouneine pendant ces 20 dernières années a permis
de constater la mise en place progressive des pièces
constitutives du puzzle institutionnel si nécessaire à
l’instauration et à la pérennisation d’une dynamique
de développement humain local. Ces pièces viennent
s’imbriquer autour d’une population et son territoire,
dont l’identité première est censée être portée par les
élus locaux et l’institution communale qu’ils dirigent.
Au centre de ce puzzle institutionnel, qui constitue
l’armature de toute dynamique durable du développement
local, la commune rurale joue un rôle fondamental
de coordination et d’intégration dans une
cohérence d’ensemble de toutes les actions visant le
développement et l’aménagement du territoire. La
bonne gouvernance locale relève essentiellement de
la capacité de la commune rurale à développer et à
mettre en place des dynamiques partenariales.
Dans le cas précis de la vallée de l’Ouneine ce montage
est en construction progressive mais reste encore
incomplet dans la mesure où de nombreux acteurs
sont partiellement, voire totalement, absents.
Certains acteurs, bien qu’installés localement en permanence,
présentaient une capacité institutionnelle
trop faible pour leur permettre de remplir pleinement
leur rôle dans cette dynamique de développement qui
restait difficile à instaurer durablement.
L’apparition en force de l’ONE depuis l’année 2008,
suite à la sollicitation de son partenariat par Targa-
Aide/EPFL, vient renforcer les services extérieurs
de l’administration étatiques déjà présents, comme
l’Éducation Nationale, la Santé Publique, et de l’Autorité
locale.
L’ancrage antérieur de l’IAV Hassan II/Targa-Aide
dans la vallée d’Ouneine depuis 1982, soit dix années
avant l’émergence de la Commune Rurale, a permis
de faire connaître cette vallée à travers des actions
de développement, des travaux scientifiques de toute
une génération d’étudiants et des publications. Cet
ancrage a permis aussi de canaliser l’aide au développement
de plusieurs organisations internationales et
nationales (CRDI, UNICEF, les agences de Coopération
autrichienne et suisse, la Banque mondiale , Infantia,
ONE etc.) et participe à l’accompagnement de la Commune
Rurale en vue de son instauration progressive
comme opérateur de développement.
51
Figure 4. Recettes communales de 1996 à 2006
Source : Commune Rurale de l’Ouneine

Encadré 11. Programme d’Électrification Rurale Global (PERG)
Cela fait plus d’une semaine que toute la population du Douar de Takourdmi est mobilisée. Ce soir, la fête du village
doit être à la mesure du double événement : la mise en service de la première électrification par micro-centrale
hydraulique de toute la vallée et même de toute la région du Haut Atlas occidental, et le retour dans la vallée
du tout premier Conseil communal élu , suite au découpage administratif de 1992, qui fait muer l’Ouneine d’une
simple vallée dépendante de la commune voisine Ouzioua en Commune Rurale à part entière.
Lancé officiellement en août 1995, le Programme d’Électrification Rurale Global (PERG) a connu sa mise en œuvre
effective en 1996. Par son ampleur (plus de 2 millions de foyers visés) et l’investissement qu’il représente (plus de
20 milliards de dirhams sur 12 ans), le PERG constitue, avec la Grande Hydraulique, l’une des plus grandes actions
d’aménagement du territoire que l’État a conduit depuis l’indépendance.
Le montage institutionnel affiné au lendemain des premières opérations PERG a permis de figer les contributions
des communes rurales et des foyers bénéficiaires à respectivement 2 085 DH et 2 500 DH par foyer, le reliquat
restant à la charge de l’ONE.
52
Pour des raisons techniques liées à la dispersion de l’habitat rural, le coût réel par foyer devrait passer de 10.000
DH à 27 000 DH, au fur et à mesure du déploiement des différentes phases du PERG (I, II, III, IV et V). Une
péréquation territoriale devrait assurer le maintien de partage des charges même pour les zones fortement enclavées
et éloignées du réseau. Cette péréquation n’a pu être maintenu jusqu’au bout dans la mesure où le PERG
IV programme spécial a revu à la hausse cette participation. Néanmoins, le PERG a été souvent salué comme un
exemple de réussite de politique d’équipement en infrastructures de base au profit des populations vulnérables.
Il a pu relever le taux d’équipement des villages de 19% en 1995 à plus de 90% en 2008. Son succès est salué
autant pour ses résultats quantitatifs que pour la méthode qui a permis de les obtenir.
Le bilan officiel des réalisations en fin 2007 est décliné comme suit :
> 29 439 villages soit : 1 676 262 foyers (y compris solaire);
> 32 000 KM de ligne MT;
> 83 000 KM de ligne BT;
> 16 000 PT (1.150 MVA);
> 40 000 kits solaires;
> TER : 91 %.
Ainsi, le premier Conseil communal de l’Ouneine est
institué en octobre de 1992 ; il ne commença à opérer
sur le terrain qu’à partir de 1993 avec un budget
quasiment nul, et jusqu’à 1995 son déploiement et sa
prestation en matière de service public local relevant
de ses missions étaient peu significatifs.
Par la suite, la jeune Commune Rurale de l’Ouneine a
connu trois Conseils communaux successifs élus respectivement
en 1992, 1997 et en 2002.
Comme le montre le tableau ci-dessous, la capacité
institutionnelle et financière de la Commune durant
les premières années de l’installation a été extrêmement
faible ; son budget annuel de fonctionnement
ne permettait même pas le recrutement du personnel
pour assurer le minimum de service public qui lui
incombait.
Par contre, cette capacité n’a cessé ensuite de croître
surtout depuis l’augmentation de la subvention des
communes par l’État à travers la redistribution aux
communes d’une partie du produit de la Taxe sur la
Valeur Ajoutée (TVA) récoltée au niveau national.
Au cours de ces dernières années, les finances de la
Commune se sont améliorées et son fonctionnement
est assuré par un personnel jeune et de plus en plus
qualifié. Le service rendu à la population commence
à être reconnu.
En 2006, le budget d’investissement qui a permis de
payer les contributions de la commune au financement
du programme d’électrification PERG et du programme
national des routes rurales (PNRR) a dépassé
pour la première fois les sept millions de dirhams dont
une grande partie est obtenue sous forme d’emprunt
auprès du Fonds des Équipements Communaux (FEC).
Ainsi de nombreuses réalisations d’infrastructures de
base sont à mettre à l’actif de l’Institution communale
comme le renforcement de la piste principale à l’inté-

ieur de la vallée de l’Ouneine, le contrat signé avec
le ministère de l’Équipement pour transformer la piste
de communication avec la province de Taroudant en
route goudronnée, et enfin le contrat signé avec l’ONE
et la contribution financière importante de la Commune
qui se chiffre à plus de 4 millions de dirhams
pour s’acquitter de sa part de participation au financement
du PERG (20 %) pour électrifier tous les foyers
(1 677 foyers) de tous les douars la vallée (66 douars
relevés) par le réseau national.
Ces actions ont donné beaucoup de visibilité et une
certaine légitimité à la Commune, ce qu’elle n’a pas
manqué de souligner en se positionnant comme interlocuteur
et acteur incontournable dans les négociations
visant à définir les modalités d’intégration du
micro-réseau décentralisé au réseau national qui se
sont déroulées entre l’équipe du projet, la population
de Tamterga et l’ONE.
Ce positionnement de la Commune a été poussé symboliquement
en avant en ramenant les réunions et négociations
qui jusqu’à tout récemment se déroulaient
chez les notables des villages concernés, au sein des
locaux de la Commune avec ouverture des débats au
public.
Ce changement stratégique du positionnement de la
Commune est un élément fondamental dans le processus
de la restitution de l’initiative de l’action aux
vrais acteurs de coordination et d’intégration du développement
territorial et humain de la vallée. C’est
même un franc succès de tant d’années d’intervention
dans cette zone et un début d’un réel cadrage institutionnel
susceptible de garantir la durabilité de la
dynamique initiée.
L’apparition sur le territoire de ces acteurs institutionnels
interpelle les promoteurs de cette expérience
d’électrification décentralisée d’abord pour réadapter
le montage institutionnel à la lumière des mutations
et de la nouvelle dynamique institutionnelle que
connaît le paysage local et pour mener une réflexion
à partir des leçons tirées de cette expérience, sur un
référentiel conceptuel susceptible d’assurer la gestion
durable d’un service public et de redéfinir les rôles
et les fonctions de chacun des acteurs et notamment
celui que doit jouer la société civile.
L’histoire de l’institutionnalisation progressive de la
vallée de l’Ouneine et le processus d’appropriation et
d’affermissement de son rôle par la Commune apparaissent
comme un renforcement de l’armature territoriale
garantissant la durabilité de la dynamique de
développement local amorcée par cette expérience.
L’implication de l’ONE : une
douloureuse tentative d’insertion
institutionnelle
L’expérience d’électrification ainsi menée, même si
son étendue ne vise que l’échelle d’une petite zone
territoriale, ne peut prétendre à aucune généralisation
à des écosystèmes similaires sans l’implication
directe de l’unique opérateur institutionnel national,
qu’est l’Office National de l’Électricité (ONE). Ce
constat fut l’une des recommandations d’une mission
d’évaluation de la Coopération suisse menée en 2004
et conditionnant la suite de cette expérience pilote.
Il faut rappeler que l’ONE met en œuvre à l’échelle nationale,
depuis 1996, un Programme d’Électrification
Rurale Global (PERG) visant à rattraper l’immense
retard accusé par le monde rural marocain en matière
d’électrification.
L’implication de l’ONE dans l’expérience de l’Ouneine,
sollicitée et négociée par l’équipe du projet durant plus
de quatre ans, a été extrêmement difficile à mettre en
œuvre, et ce malgré la bonne volonté exprimée par
les hauts responsables de l’ONE.
Il faut, cependant reconnaître que les modalités
adoptées dans le cadre de ce projet d’électrification
décentralisée étaient fortement ancrées contextuellement
et donc difficilement reproductible à une grande
échelle sans un accompagnement et un encadrement
probablement très onéreux.
Mais la véritable limite à la prise en charge de ces
modalités par l’ONE est essentiellement à caractère
juridique et institutionnel. Les compromis issus des
quatre années de négociations visant l’implication de
l’ONE ont abouti, en fin de compte, à un résultat qui
semble dénaturer la conception initiale de ce projet
qui positionnait la population, représentée par ses
associations locales, au centre du processus.
Tout d’abord, l’ONE, qui dispose légalement d’un monopole
de distribution et de vente de l’électricité dans
le monde rural ne peut cautionner la vente par un
tiers de cette électricité, surtout quand le tarif proposé
est différent du tarif national imposé par la loi.
D’autre part, le PERG ne prévoit aucune implication
des populations dans la conduite des travaux. Seul le
paiement d’une participation monétaire relativement
élevée, est prévu (2 500 DH pour les PERG I, II, III et
IV et 5 500 DH dans le cadre du programme spécial
qui concerne la vallée de l’Ouneine). Les négociations
menées avec l’ONE pour l’intégration du micro-réseau
53

54
décentralisé dans le réseau national a permis d’obtenir
une exonération de cette redevance pour tous les
abonnés du micro-réseau ayant participé aux différents
chantiers des travaux menés lors de la mise en
place du projet.
Le second point d’achoppement a concerné la propriété
des infrastructures mises en place ; l’ONE ne
pouvant admettre que la population puisse s’approprier
le réseau de distribution mis en place et encore
moins sa gestion. Si l’intégration du micro-réseau est
assurée, la responsabilité technique ne peut être que
celle de l’ONE qui dispose (comme signalé ci-dessus)
d’un monopole légal au niveau de la distribution. Cependant
les moyens de production comme les deux
micro-centrales hydroélectriques alimentant le microréseau
peuvent connaître un autre traitement dans la
mesure où l’ONE ne dispose plus d’un monopole de
production d’électricité.
Deux solutions ont été proposées dans le cadre de
cette négociation :
> soit un achat de ces équipements par l’ONE aux
ayants droit ;
> soit l’achat de l’énergie produite à une entreprise
relevant du droit privé.
projet et ceux mis en œuvre à l’échelle nationale par
l’ONE. La reprise totale des travaux d’enterrement,
selon une profondeur plus importante et plus sécurisée
des câbles ainsi qu’une modification importante
de la configuration du réseau initial ont été décidées
et menées durant plus d’un an pour se conformer aux
normes techniques et de sécurité adoptés par l’opérateur
national.
En fin de compte, l’implication de l’opérateur national
recherché pour assurer une durabilité institutionnelle
de ce projet a nécessité plus de quatre années
de négociations et d’adaptation successives qui ont
abouti à un démantèlement complet du système de
gestion associatif mis en place et à une remise aux
normes officielles très coûteuse. Néanmoins la population
a gagné en visibilité dans le nouveau mode de
gestion et de vente de l’électricité à l’ONE. La population
représentée par la fédération des associations
d’électrification apparaît désormais comme un acteur
reconnu officiellement.
C’est cette seconde solution qui a été mise en oeuvre
après avoir fait l’objet d’une étude de faisabilité. Elle
restaure l’ONE dans sa fonction de prestataire de service
public en le positionnant comme interlocuteur
unique avec la population en éliminant la fonction des
associations locales en tant que distributeur d’énergie.
Les micro-centrales hydrauliques installées par
le projet sont interconnectées au réseau national de
l’ONE qui achètera, à une société de jeunes promoteurs,
l’énergie produite au tarif fixé par la loi.
Le troisième point concerne les innovations techniques
mises en œuvre par ce projet qui ne correspondent
pas, pour la plupart d’entre elles, aux normes et aux
standards de l’ONE. Pour ce dernier, c’est l’extension
du réseau national (le transport et la distribution) par
voie aérienne qui constitue la solution généralisée au
niveau rural et dont la maîtrise et le savoir faire sont
parfaitement acquis et éprouvés. Dans le cadre de la
négociation, l’ONE a finalement accepté le principe
d’intégrer le micro-réseau enterré au réseau national
aérien moyennant certaines rectifications de la distribution.
Cette mise à niveau technique qui semblait minime
s’est avérée beaucoup plus ardue et a révélé, après
un audit technique mené conjointement, un écart
inconciliable de standards entre ceux adoptés par le

LA PRODUCTION DE NORMES : DU BON USAGE DE LA
MEDIATION TECHNICIENNE
Ali Nejmi, Benjamin Michelon
Au cours de sa mise en œuvre, les protagonistes du
projet ont pourtant dû affronter un certain nombre
d’épreuves qui ont influencé et remis en question les
préceptes de départ, notamment en termes de choix
techniques et d’adaptation de la technologie à la société
locale.
L’implantation inopinée du réseau de l’ONE et les
résistances de la population aux adaptations nécessaires
pour la mise en place du système sont venues
rappeler sans cesse aux promoteurs du projet la nécessité
d’adopter une approche dynamique intégrant
les facteurs locaux dans la mise en œuvre de l’électrification.
Nous proposons donc, sur la base du projet ERD, une
lecture des facteurs psychologiques, sociaux, économiques,
techniques et politiques qui interagissent sur
le choix, le développement et la diffusion des techniques
à travers la question des “normes”. Cette observation
décortique la manière dont se confrontent
les normes techniques et sociale et la méthode par
laquelle le projet ERD a cherché à prendre en compte
les aspects culturels et institutionnels locaux dans la
définition et l’implantation de la technologie 1 .
Normes techniques, normes
sociales
La technique et le social : une question
de normes ?
Les différentes sociétés contemporaines peuplant la
planète sont régies par une multitude de normes, autrement
dit de “règles à suivre”, produites dans divers
domaines (normes économiques, techniques, environnementales,
sociales) à différents niveaux (national,
continental ou encore mondial).
La cohabitation de normes produites par différents
acteurs (population locale, promoteurs du projet,
bailleurs de fonds,…) dans différents domaines se retrouve
à l’échelle d’un projet de développement.
1 Ce texte a présenté à la Conférence scientifique
internationale sur les technologies en faveur du développement
tenue à Lausanne du 8 au 10 Février 2010.
En effet, ce type d’action a pour objectif d’apporter,
dans un périmètre territorial déterminé, un changement
social qui se base également sur une avancée
technique portée par ses promoteurs.
D’un point de vue social, pour étudier l’évolution des
aspects sociaux dans le cadre d’un projet, l’usage du
terme “ norme ” se justifie par le fait que cette notion
permet de ne pas émettre de jugement moral à priori
de la société dans laquelle on travaille. Les normes
sociales ne sont pas des lois, des règles d’obligation
qui supposent une contrainte extérieure pour être
obéies. Elles rassemblent, par définition, des règles
de conduite intégrées par les individus et des modèles
de comportement prescrits par la société.. Issues des
coutumes, des traditions, des systèmes de valeurs
progressivement élaborés au sein de cette société,
elles orientent “de l’intérieur” les comportements des
individus.
Sans cesse réexaminées et renégociées entre les différentes
strates de la société, elles sont le fruit d’une
négociation, d’un compromis permanent entre les acteurs
qui l’utilisent. Ce besoin de normes est apparent
dans les relations que les individus nouent et entretiennent
avec leurs congénères, quel que soit le type
de relation familiale, hiérarchique, etc. Ce besoin est
lié à la nature même des relations humaines, basées
sur un contrat social implicite, qui ne décrit pas dans
le détail toutes les interactions entre les individus de
la société et laisse donc place à l’opportunisme, à l’incertitude
et à des actes de déviance prohibés par la
morale et l’éthique.
La déviance ou le non-respect par un individu ou un
groupe d’individus conduit inévitablement à une marginalisation,
un rejet de ces personnes. «La non-observance
est assortie de sanctions explicites ou diffuses,
auxquelles les membres de ce groupe donnent
une acceptation (adhésion) plus ou moins lucide et
complète » (Maisoneuve, 2002). Par exemple, les difficultés
de relation intergénérationnelle incitent les
jeunes à remettre en cause les normes imposées par
les “ anciens ” et la tradition.
D’un point de vue technique, le besoin de normalisation
est né avec l’apparition de l’activité technique
de l’homme. La place accordée par les organisations
55

56
professionnelles modernes dans la connaissance des
règles de l’art et dans l’élaboration des normes, s’est
inscrite dans une continuité du rôle joué par les corporations
de métiers du Moyen-âge.
Une norme technique se définit comme un ensemble
de règles d’usage, de prescriptions, relatives aux caractéristiques
d’un produit ou d’une méthode, édictées
dans le but de garantir le bon fonctionnement,
de sécuriser l’usage et d’éviter les nuisances. Ces
procédés techniques visent à établir un langage commun
qui facilite la communication et les échanges et
constitue un outil de dialogue entre les fournisseurs
(de produits ou de services), leurs clients, les experts,
les laboratoires, etc.
Ces normes reflètent l’état des connaissances au moment
où elles ont été élaborées. Établies par consensus
entre les divers intervenants concernés par un
sujet donné, elles constituent un compromis optimal
entre l’état de la technique et les contraintes économiques
et sociales. Les principaux critères de validation
et d’utilisation d’une norme technique reposent
sur son degré de perfectionnement et les avantages
qu’elle procure aux utilisateurs.
C’est ce dernier point qui questionne les opérateurs
d’un projet de coopération et de développement.
Comment, dans la pratique, peut-on arriver à conjuguer
les deux types de normes (sociales et techniques)
pour arriver à l’innovation ?
Dans le cadre d’un projet de développement, le problème
d’interrelations entre des cultures différentes
se pose de manière aiguë, reflétant ainsi ce dialogue
entre sciences et sociétés largement alimenté depuis
l’après-guerre.
Cette question du partage et de l’appropriation, par
la population locale, des connaissances et du progrès
technique renvoie ainsi à la question du transfert de
technologies dans les projets de développement : « la
parenté entre le concept de projet et celui de développement,
tous deux issus d’une civilisation marquée
par le mythe du progrès inéluctable, marquée aussi
par l’optimisme de la culture technologique » (Boutinet,
2001).
Cette problématique a longtemps été oubliée dans le
cadre des politiques de développement : la foi dans le
progrès jusqu’au milieu des années 1970, les théories
du décollage économique (Rostow, 1963) ont éludé
toute réflexion sur ce sujet. Vers la fin des années
1970, certains auteurs (Wisner, 1979) dressent le
constat du quasi échec des transferts de technologies
vers les pays en voie de développement industriel.
Les méthodes d’un transfert, pratiqué de façon brutale
et plaquée, sont alors remises en cause (Geslin,
2002).
L’adaptation de normes à travers
le projet ERD
La mise en œuvre de normes au niveau
local : une médiation
Lors des négociations de l’équipe EPFL - Targa-Aideaide
avec les chefs de foyers de l’un des douars du
projet pour l’implantation du système PDTU (celui
de Tinsemlal, le premier concerné par le projet), un
certain nombre de difficultés, liées principalement à
des enjeux socio-économiques, a été soulevé. Ces
dernières ont constitué pendant longtemps l’obstacleprincipal
pour aboutir à un accord avec les habitants
du douar.
L’utilisation de l’eau comme source d’énergie avait
des conséquences importantes dans un espace où
son utilisation est contingentée. La construction d’un
système de production d’électricité, à partir de turbines
hydroélectriques, entraînait une rationalisation
de l’approvisionnement en eau des terrains servant à
l’agriculture.
Cet élément constituait un enjeu économique et social
important car il conditionnait le bon rendement des
cultures. De plus, le partage des eaux était établi depuis
des générations (selon une réglementation informelle
complexe) et constituait un droit coutumier.
A ce niveau, il convient d’illustrer ceci par la difficulté
d’intégrer des changements techniques à la fois au
niveau de la population et au niveau de l’institution.
A Tinsemlal, il s’agissait de surmonter, de façon interne,
les difficultés que générait le projet de microcentrale
hydroélectrique en utilisant la source du village.
Comme cela a été mentionné, un certain nombre de
conflits d’intérêts liés à l’utilisation de l’eau est apparu,
qui portaient en particulier sur :
> le sort des 9 moulins hydrauliques construits le long
de la seguia (canal d’irrigation à ciel ouvert) initiale:
ils ne devaient pas disparaître ;
> la survie des noyers jusque-là irrigués à partir de
la source : ils constituent une importante source de
revenus pour le village ;

A ces premières contraintes, s’ajoutait les souhaits
des villageois :
> de ne pas changer ni interrompre le débit d’eau
pour ne pas perturber les tours d’eau d’irrigation de
leurs cultures vivrières ;
> d’assurer un approvisionnement suffisant en énergie
électrique dans la durée (réglages, facilités d’exploitation
et de maintenance,…) par un stockage
adéquat ;
> de produire et distribuer une électricité de qualité
comme pour les grands réseaux (tensions et fréquence
constantes, absence d’harmoniques). Pour
cela, le système de réglage de chaque unité de production
doit tenir compte d’un fonctionnement (1)
en interconnexion décentralisée sur le micro-réseau
considéré, (2) en pilotage en cas de nécessité et (3)
en interconnexion sur le réseau national, supposé
rigide.
Il a donc fallu accompagner la mise en place de nouvelles
«normes» de mesures garantissant aux agriculteurs
la permanence de leur système d’irrigation. Tout
en ne remettant pas en cause les normes sociales
dans leur ensemble, ceci interrogeait tout de même
des pratiques ancestrales révélatrices du pouvoir des
foyers concernés.
L’arrivée de l’électricité a également posé un problème
de rapport de force entre les différents villages
de la vallée où les relations inter-villages de la vallée
sont très complexes ; ceci est renforcé encore par le
phénomène de l’enclavement.
Au fil du temps, des complicités et des rivalités se
sont forgées entre villages (échanges commerciaux,
alliances parentales, etc.). Ces relations ont été particulièrement
exacerbées avec l’avènement du projet
d’électrification qui impliquait certains aspects collectifs
de la gestion.
Dans ce cadre, le partage de l’électricité produit par
une source unique a constitué un enjeu important
donnant à un des villages, Tinsemlal (où est implantée
la centrale), une position stratégique pour l’approvisionnement
en électricité.
Cette localisation posait également le problème de
gestion commune « inter villageoise » de l’infrastructure.
En effet, il a fallu faire admettre qu’il était
impossible de fournir une source pour chacun des villages
en raison des coûts trop élevés. Pour autant,
cela ne signifiait pas que le village qui avait été choisi
pour la réalisation est le possesseur de la centrale. Il a
été nécessaire de faire comprendre que la gestion des
risques est partagée entre les différentes communes
qui utilisent le courant. En cas de panne, tous les villages
concernés devaient payer.
L’arrivée inattendue de l’ONE :
confrontation des normes entre un
opérateur national et un projet local
intégré
Le projet ERD répondait dès sa conception à une demande
de la population de la vallée de l’Ouneine. Il se
justifiait d’autant plus que l’électrification de la zone
n’était prévue par l’ONE qu’à long terme. La faible
densité de population et l’enclavement (et donc la
faible rentabilité) avaient incité le fournisseur d’électricité
à équiper en priorité des zones économiquement
plus rentables.
Or, après une visite du projet par les responsables
de l’ONE en mars 2003, sous l’effet de la dynamique
locale engendrée par le projet ERD et certainement
par crainte de la concurrence entre deux types d’électrification,
l’ONE a entrepris de réaliser l’implantation
de lignes Moyennes et Basses Tensions dans la vallée.
Face aux modalités d’exécution de l’ONE, la dynamique
du projet fut mise à mal. L’ONE, avec l’implantation de
son réseau, a demandé de se conformer à ses propres
normes techniques. Ceci a entraîné l’application de
nouvelles règles aussi bien au niveau de la gestion du
réseau (notamment en matière de tarification puisque
le coût du kWh est fixé à l’échelle nationale par la loi)
qu’en matière de normes techniques lors de l’implantation
du réseau national et l’interconnexion entre le
réseau national et le micro-réseau local.
Après deux ans de négociations, un accord de partenariat
entre Targa-Aide-aide, la DDC et l’ONE a pu être
trouvé, et signé le 4 août 2005, précisant la position
de cette dernière institution vis-à-vis de la vallée et
du projet ERD. Cet accord précisait les relations entre
les différents partenaires. Ce document a permis de
mieux coordonner les différentes actions et d’envisager
une poursuite de l’expérimentation du projet.
Ainsi, le travail du projet ERD, cherchant à mettre au
point des normes techniques adaptées, a failli être
stoppé par une institution nationale pouvant invoquer
une double légitimité, institutionnelle et technique. Au
delà de la question purement institutionnelle, la problématique
de la définition des normes s’est posée.
Cette coexistence de deux logiques rivales (voire opposées)
sur le même terrain a conduit à la recherche
de compromis techniques et institutionnels qui permettaient
à chaque partie de pratiquer sa propre légitimité.
57

Différents exemples témoignent de la confrontation
entre les choix des promoteurs du projet ERD et ceux
de l’opérateur national du domaine d’électrification.
Pour ce dernier, l’important était d’électrifier la Vallée
en mettant en œuvre un système standard d’électrification
permettant d’arriver au plus vite à proposer
une solution de raccordement à la population.
Pour le projet, il s’agissait avant tout de proposer de
nouvelles solutions et des modes d’électrification plus
en harmonie avec des contextes socio-économiques
spécifiques, comme le milieu rural montagnard au
Maroc, en permettant à tous d’avoir accès à l’énergie.
Dans ce cadre, par exemple, la préservation du site
et de son environnement est très importante pour le
développement futur de la vallée, et a conditionné le
choix des normes appliquées. Cela s’est traduit, notamment
par le fait d’enterrer les câbles Basse Tension
et de faire supporter la ligne de Moyenne Tension
par des poteaux en bois passant à flanc de coteau. Le
projet a également accompagné le raccordement de
la population en proposant un micro-crédit permettant
à tous de pouvoir bénéficier du système.
Cette approche n’a été cependant pas été comprise ni
par l’ONE ni par la population.
En effet, une partie de la population demandait l’installation
de lignes aériennes qu’ils préféraient aux câbles
souterrains car elles représentaient à leurs yeux une
garantie visuelle de l’acheminement de l’électricité.
Cet exemple reflète les difficultés de dialoguer avec
les bénéficiaires dans les choix techniques, à tort ou à
raison, où la rationalité du « sens commun » est plus
importante que des considérations de développement
sur le long terme. Il est alors nécessaire d’argumenter
58
Encadré 12. Les moulins et l’irrigation
Dans la vallée de l’Ouneine, l’eau joue un rôle primordial, au travers de l’utilisation des moulins : le potentiel
hydraulique existant leur permet d’en assurer le fonctionnement et revêt donc une utilité économique importante.
A Tinsemmlal, neuf moulins hydrauliques, tous en état de fonctionnement, se situaient entre la source principale
d’alimentation (source d’Agwnit) et le premier bassin d’irrigation créé pour le projet, ainsi qu’avant et après le
second bassin d’irrigation.
Au total, cinq moulins étaient exploités à titre privé par des foyers, deux autres l’étaient en commun par deux
foyers, le huitième par 3 foyers et le dernier par 4 foyers. Ce partage des moulins se faisait traditionnellement au
sein du même lignage.
Pour le projet, parmi les neufs moulins, seuls trois d’entre eux posaient problème du fait de leur emplacement
: en effet, ils se situaient en amont du bassin d’accumulation, soit dans la zone où, à partir de la source, des
dérivations de la conduite principale devaient être opérées afin de pouvoir gagner un peu d’altitude et augmenter
la chute. Les trois moulins étaient respectivement exploités par un, deux et quatre foyers et concernaient deux
lignages différents.
La résolution de ce problème a été gérée à l’interne par le village. Pour trancher définitivement la question, il a
fallu se référer aux droits d’eau. C’est la propriété individuelle de l’eau qui est le principe organisateur de ce système
dont la complexité légale et la complication sociale contrastent avec la simplicité technique. La complexité
légale de ce système naît en grande partie de la distinction entre droits sur la terre et droits sur l’eau ; on peut
vendre les uns sans les autres et louer des droits sur l’eau sans terre correspondante. On peut aussi emprunter
(ou prêter) l’eau d’un champ distant de plusieurs kilomètres. Un héritier peut recevoir la terre d’un défunt et un
autre son droit sur l’eau, etc (Geerzt, 1983).
Dans le cadre du projet, il s’est avéré que les foyers qui ont manifesté plus de virulence à l’égard du projet ne possédaient
que des parts minimes de droit d’eau. Après discussions, ces derniers ont accepté, en prenant en compte
l’intérêt général du projet, un compromis. Il a été convenu avec les propriétaires, que les moulins hydrauliques
seraient par la suite remplacés par des moulins électriques.
Cependant, cette approche consistant à charger les acteurs locaux de la réalisation technique de projets de développement,
elle peut aboutir à des résultats catastrophiques, allant jusqu’à l’effondrement total de l’action et au
gaspillage de fonds énormes. « Mais s’il faut écouter les paysans dans toutes leurs demandes, s’il faut suivre
pas à pas toutes les difficultés locales, s’il faut respecter tous les usages « irrationnels » légués par l’histoire, le
technicien pense qu’il n’ a plus aucun degré de liberté : il s’asservit parfaitement à la machine locale, il est obligé
de faire du nouveau avec des bouts d’ancien : c’est exactement la définition du " bricolage " » (Pascon, 1980).

sur la base de l’intérêt général, relevant d’une démarche
qui dépasse les enjeux et intérêts immédiats
de la collectivité locale.
Ceci fit également l’objet de discorde et d’intenses débats
entre les techniciens du projet et les contrôleurs
de l’ONE. Lors du premier contact, les ingénieurs de
l’ONE ont rejeté en bloc ces apports du projet. Selon
eux, tout le travail était à refaire, les câbles enterrés,
les poteaux en bois pour la Moyenne Tension, les protections
dans les foyers (disjoncteurs différentiels de
30 mA) n’étaient pas conformes aux normes de l’ONE.
Ils s’appuyaient sur le fait que dans le Programme
d’Électrification Rurale (PERG), l’ONE utilise uniquement
des pylônes métalliques pour la Moyenne Tension,
des câbles torsadés aériens en BT et des disjoncteurs
de 300 mA pour la protection des foyers.
Innovation et médiation
technicienne
Ainsi, les promoteurs du projet ERD s’inscrivent entièrement
dans un courant qui valorise la technique
comme « inextricablement liée à la culture (valeurs,
signes et symboles, connaissances), à l’organisation
sociale et politique, au milieu naturel» (Debresson,
1993). Le micro-réseau local a dû ainsi s’intégrer
dans la vallée en prenant en compte ces différents
éléments. L’action du projet ERD vérifie le fait que
« l’implantation de la science et de la technologie
dans la société ne se réduit pas à une simple greffe
de connaissances, de savoir-faire, de pratiques et de
techniques sur un tissu social qui n’y est pas préparé.
Il n’y a pas d’un côté, la science et la technologie et
de l’autre, la société. Les premières doivent, bien au
contraire, s’enraciner profondément dans la seconde
et leur essor dépend de réalités tout à la fois matérielles,
sociales, économiques, culturelles, historiques
et politiques » (Bassand et al., 1992). De ce fait, la
technologie doit véritablement s’inscrire dans une dynamique
locale de développement local.
59
La nécessaire innovation
Dans le cas de la production de normes, les producteurs
de normes techniques doivent être vigilants sur
la qualité de la participation des acteurs bénéficiaires
du projet car c’est ce qui fonde l’autorité, la légalité
et la qualité de la norme qui va être élaborée. Dans
le cadre du projet ERD, ce sont des leaders, plus ou
moins représentatifs, qui vont permettre de faire pencher
l’avis général du côté de l’acceptation ou du rejet
de la nouveauté, de l’innovation, définie comme étant
ce qui bouscule la norme traditionnelle et ainsi, transgresse
les règles.
Ce processus d’acception peut être représenté comme
un modèle dynamique où l’innovation peut être mise
en œuvre à tout moment, et ne sort pas forcément
du cerveau fertile d’un génial inventeur (Callon et Latour,
1991). A la suite d’une série de traductions, elle
réussit à intéresser un nombre d’alliés de plus en plus
grand. C’est l’étendue et la solidité du réseau social et
non la pertinence de la solution technique, qui permet
d’expliquer le succès d’une innovation.
Le poids des facteurs « locaux »
Le projet ERD nous permet d’affirmer que pour comprendre
et agir dans la mise en œuvre de projet de
développement, il convient de prendre en compte les
facteurs culturels et organisationnels locaux participant
à la définition du type de normes techniques mis
en œuvre.
Cependant, il n’y a pas de recette miracle mais bien
la nécessité de proposer des nouvelles pratiques en
se méfiant de « l’hypothèse qui affirme que le fait de
prendre en considération les acteurs de tous bords
dans l’analyse des processus de décision, en mettant
en évidence des spécificités locales ou sectorielles
d’appropriation de la technologie, ne confère pas
automatiquement au résultat tangible de ce processus,
à savoir les technologies qui en émergent, un
caractère forcément social, au sens de « socialement
acceptable », pour ne pas parler du développement
durable» (Rossel et al., 1999).
En effet, ce type de projet ERD s’inscrit dans un environnement
local où les capacités contributives des
habitants sont relativement faibles. Il convient donc
d’inclure dans la conception des normes un certain
nombre de facteurs locaux, qui sont autant de « conditions
de l’action collective, conditions d’élaboration
de règles collectives et d’autorités légitimes » essentielles
de la réussite d’une intervention (Appolin, Peyrache,
Lavigne Delville, 1999). Ce travail d’adaptation
nécessaire aux conditions locales lors d’un transfert
de technologie a été baptisé par le terme d’anthropotechnologie,
définissant une « véritable adaptation de
la technologie à la population qui, comme l’ergonomie,
réunit des connaissances provenant des sciences
humaines pour améliorer la conception des dispositifs
techniques... l’échelle étant différente, les sources
nécessaires sont autres » (Wisner, 1979). Ceci passe
essentiellement par la prise en compte des capacités
contributives des habitants et la volonté des promoteurs
du projet de produire une énergie pour tous.

60
Un autre facteur important, intégré dans la mise en
œuvre du projet, est celui du temps. Bien souvent
dans la logique d’un développement attendu avec
impatience par la population, les projets sont réalisés
dans des délais courts (le court terme répondant
à un besoin urgent de la population locale). Face à
l’exigence de résultat, une approche pragmatique et
simple représente alors le meilleur moyen d’éviter retards
et blocages. Ceci minimise d’autant la marge de
négociations et oriente les choix des projets, perdant
ainsi la dimension « créative » et novatrice pourtant
valorisée dans le cadre d’un projet de recherche-action
comme l’ERD.
L’hybridation des normes : de l’idée à
l’action dans les projets de développement
technologiques
Avant le projet, la demande sociale en électricité était
bien réelle. Le projet est donc tout à fait légitime et
répond à une demande sociale avérée et non pas à
une volonté d’experts externes.
Cependant, l’un des objectifs du projet défini par ses
promoteurs (prônant une approche orientée par une
pensée venant du Nord) spécifie bien qu’il s’agit de
mettre au point une méthodologie d’approche globale,
pour la production et la distribution d’énergie
électrique décentralisée à partir de plusieurs sources
renouvelables (simulation, conception et gestion optimales).
Le choix des sources d’énergies est ainsi
orienté dès le départ pour trouver une solution technique
à la mise en place d’un réseau d’électrification
“propre”.
Dans ce cadre, on pourrait s’interroger sur ce à quoi
pourrait bien servir ici la participation de la population
autochtone aux choix techniques, si ce n’est que
de compliquer le problème ? La population n’a donc
fait qu’avaliser ce grand principe dans l’attente que le
projet couvre un besoin fortement exprimé. La question
se pose alors en ces termes : qui doit produire la
technologie et les normes techniques ? La technologie
doit dans le cas de ce “transfert”, être réellement
“traduite” pour être appropriée, au sens où l’entend
Callon, mais également hybridée. L’autre question
sous-jacente est : comment arriver à “co-produire”
cette technologie ?
d’action (United Nations Organisation, 1992). La récente
prise en compte des cultures techniques locales
(amorcée notamment au travers d’un programme
“connaissances autochtones” inaugurée en 1998 par
la Banque mondiale) est révélatrice de cette dynamique
nouvelle. La reconnaissance des savoir-faire locaux
traditionnels et leur valorisation dans des projets
de développement témoignent d’une représentation
endogène de la technique et du développement. Ce
processus vise à prendre en compte les technologies
existantes et le savoir faire y afférent pour permettre
une greffe de la technologie et un “ amendement ” de
la technique locale de manière à réaliser une hybridation
positive qui permettra d’apporter une amélioration
technique dans la continuité. Cette démarche
doit intégrer à la fois les normes sociales existantes et
également les pratiques techniques locales.
La figure 6 illustre la difficulté de pouvoir associer la
société du pays du Sud à la production dès son élaboration.
Si la technique vient au départ du Nord leurs
technologies “modernes” sur les pays en développement
avec leurs technologies “appropriés , bricolages
moins performants que les techniques venues du
Nord (Akubue, 2000 ; Pascon 1980).
Outre ces multiples reproches, d’autres termes sont
apparus depuis les années 90 permettant d’englober
les enjeux globaux soulevés par ce concept. La notion
de “technologie durable”, prenant en compte les
effets environnementaux et sociaux, fournit ainsi une
approche dynamique incluant l’ensemble des aspects
que revêtait le terme “approprié”.
Pour autant, ce concept de “technologie appropriée”
semble avoir été trop vite oublié. Encore aujourd’hui,
l’importance de ce terme réside dans le fait qu’il permet
à la fois de porter un regard critique sur l’interrelation
entre la science et la société, pour éviter de
tomber aveuglément dans une société “hyper-technicienne”,
et de souligner les interactions croissantes
entre les sociétés du Nord et du Sud. Ce dernier point
est fondamental : l’une et l’autre des sociétés continuent
de s’interroger mutuellement, ouvertement et
sans à priori, sur le rôle et le devenir des technologies
dans nos sociétés. Cela implique ainsi de développer
et d’affirmer un discours et une conscience politiques
sur l’impact des technologies sur notre quotidien mais
aussi sur le futur de notre planète.
Le tournant véritable du traitement de la question se
situe à la fin des années 80. La question du transfert
technologique a en effet été mise sur le devant
de la scène internationale lors de la Conférence de
Rio qui a promulgué ce transfert comme principe
La médiation technicienne : un savoir
faire à développer
Ce processus de “traductions” défendu par Callon et
Latour, peut être accompagné, comme dans le cas du
projet ERD, d’une médiation technicienne, c’est-à-dire

la mise en relation entre la technique et l’environnement.
Cette médiation vise à rendre les contraintes
technologiques socialement acceptables et d’influencer
les décisions techniques par les contraintes sociales.
Le décloisonnement entre technique et social a permis
de mettre en œuvre une logique de médiation technicienne
qu’il convient de valoriser et de bien définir.
En effet, « chaque décision technique engage une
certaine distribution des compétences entre diverses
entités, ou autrement dit, peut être lue comme l’inscription
dans le dispositif technique d’une certaine
forme d’environnement. Il s’agit plutôt de programmer
conjointement, et de manière indissociable, le
dispositif technique dans son environnement. Autrement
dit, les acteurs comme les éléments naturels ou
les dispositifs techniques, sortent transformés de ces
différentes épreuves : l’innovation en tant que processus
produit à la fois des savoirs, des dispositifs techniques
et des formes d’organisation» (Akrich, 1993).
En effet, la mise en place d’une technologie dans un
environnement local en développement n’a de sens
que si elle répond à une demande, mais également si
elle crée une relation active négociée entre l’homme et
son environnement. La normalisation technique d’un
projet doit ainsi être conçue comme un acte multilatéral
pour lequel on pratiquera une médiation. L’élaboration
des normes doit prendre en compte l’avis des
parties intéressées par son utilisation. Un consensus
devra être obtenu pour homologuer les choix et permettre
une acceptation des nouvelles « normes » par
la société.
Par exemple, le projet ERD a dû, pour être accepté
par la population, obtenir un compromis sur le devenir
des moulins hydrauliques.
Dans ce cadre, le normalisateur a un rôle d’animateur,
d’observateur et, par-dessus tout, de médiateur. De
ce fait, il adoptera une certaine neutralité vis-à-vis
du sujet traité afin d’éviter au maximum de véhiculer
un prêt à penser technique comme l’a mis en œuvre
l’ONE face aux propositions techniques faites par le
projet ERD.
C’est tout l’objet de la médiation technicienne et de la
création de “forums hybrides” impliquant l’ensemble
des acteurs du projet, quel que soit leur appartenance
et leur diversité, « lieux d’exploration des identités
des acteurs concernés par les projets, exploration des
problèmes et des options possibles et d’apprentissage
de la controverse» (Callon, Lascounes et Barthe,
2001).
Ainsi, la question de l’innovation, de la technologie
appropriée, d’une approche médiatrice nous semble
être un préalable nécessaire à la mise en œuvre de
tout projet de développement technologique qui se
préoccupe de mettre l’humain au centre de ses pré-
61
Figure 5. Processus d’hybridation des normes : passage d’un schéma classique à une réinterprétation
technologique
1
Technologie moderne
Société moderne
2
Technologie traditionnelle
Société traditionnelle
3
Technologie moderne
1
Société moderne
2
3
5
Technologie appropriée
Société traditionnelle
4

occupations, en anticipant sur les conséquences durables
entraînées par de nouveaux “modes de faire”,
liés à la technologie, et de vivre ensemble, liés à l’intégration
de la technologie dans la société.
Photographie 6. Électrification du douar central par l’ONE
62

L’ACTION COLLECTIVE DANS LA VALLÉE DE L’OUNEINE
Mohamed Tamim, Mohamed Yghir
L’implication de la population
dans le projet ERD
Action collective et participation
des populations
Pour ses promoteurs, la réalisation du projet ERD,
dans un contexte social grandeur nature avec la participation
de la population, est une expérience de
recherche-action, respectueuse de l’environnement,
susceptible de produire des enseignements appréciables
quant aux chances de sa reproductibilité dans
des contextes à écologie sociale similaire.
Pour la population, avoir accès à l’électrification par
ce procédé novateur, est une opportunité inespérée,
un gain appréciable, et une avancée considérable qui
rapproche une zone enclavée des standards de vie
urbains.
En interrogeant le processus d’implication et de participation
de la population dans le projet ERD et ses
moments charnières, on peut reprendre les trois idées
qui retranscrivent les enjeux socio-politiques auxquels
le projet a été confronté.
Tout d’abord, dans un univers relativement enclavé
et soustrait à la couverture du réseau national d’électricité
par l’Etat, les populations sont prêtes à lever
le défi de l’électrification et à en assumer la charge
(matérielle, financière et organisationnelle) qui leur
incombe, en dépit des difficultés que cette expérience
nouvelle peut entraîner ou cacher pour elles.
Afin de montrer la particularité de l’action collective
et de la participation des populations telles que mises
en œuvre dans les projets et actions engagés à l’Ouneine,
il convient de rappeler succinctement la logique
de l’action collective d’un point de vue théorique, la
participation des populations au regard à la fois des
objectifs du développement durable et des projets et
programmes de développement nationaux menés au
Maroc.
L’action collective d’un point de vue
théorique
L’action collective peut être définie comme une activité
qui exprime l’organisation et la moblisation intentionnée
d’une population, d’un groupe ou d’une organisation
en vue de réaliser un projet donné, entendu
comme un des modes d’anticipation du futur : « un
groupe est capable d’action collective dans la mesure
où il institue une régulation. Dans la mesure où il accepte
une régulation commune, il constitue une communauté
» (Reynaud, 1997).
D’un côté, l’explication issue de la pensée marxiste
relative à la mobilisation accorde à la lutte des classes
(et donc à la conscience de classe) un rôle historique
moteur dans le changement social.
63
En effet, quelles que soient les difficultés qui peuvent
arriver, l’engagement de la population est sécurisé par
l’accompagnement des promoteurs du projet et par la
présence du projet ERD dans la vallée.
Paradoxalement, malgré l’intérêt que représente cet
accès à l’électrification pour la population vivant en
groupes villageois fondés sur le voisinage et des intérêts
communs, les intérêts individuels auront tendance
se manifester au fur et à mesure de la réalisation
du projet, entrant plus ou moins en contradiction
avec l’élan collectif exprimé auparavant.
Il convient donc de les cerner pour mieux comprendre
comment faire aboutir le processus d’électrification
incluant l’ensemble de la population.
De l’autre, les fondements de la mobilisation et de
l’action collective, selon une explication libérale, (Olson,
1966) sont à trouver dans l’observation des acteurs.
L’intérêt égoïste des individus est, selon ces auteurs,
au centre de l’action collective : même si tous
les membres d’un groupe ont des intérêts communs,
chaque individu a en même temps intérêt à éviter les
coûts liés à la production du bien collectif.
Le concept de participation
L’idée de la participation des populations dans les
projets de développement trouve son origine à la fin
des années 70. Ce nouveau paradigme témoigne de
l’échec de la raison techniciste dans la mise en œuvre
des actions, projets et programmes de développement,
et de la nécessité d’écouter les interlocuteurs

Figure 6. La participation en tant que transaction
64
et les bénéficiaires et d’accroître leur implication dans
la démarche de développement.
Sur le plan philosophique et éthique, cette participation
renvoie successivement à une reconnaissance de
l’autonomie des individus et des groupes par rapport
aux décideurs politiques et à l’idée de justice et de
partage de responsabilités qui se déploie dans la mise
en œuvre de cadres et de mécanismes démocratiques
qui rapprochent des cadres territoriaux de vie des
populations.
La participation est ainsi vue comme une transaction,
«le processus d’échange volontaire entre une organisation
qui accorde un certain degré de pouvoir aux
personnes touchées par elle et ces personnes, qui acceptent
en retour un certain degré de mobilisation en
faveur de l’organisation» (Godbout, 1983).
Ceci marque une rupture forte avec une idée répandue
de la participation signifiant la facilitation de l’action
et, par voie de conséquence, une manipulation de
la population.
L’enjeu de la participation de la population réside
dans la double nécessité paradoxale d’avoir une vision
claire de ce que peut être l’intérêt général local, et
la prise en considération de l’ensemble des choix et
doléances individuels.
accède à une autonomie de gestion de l’action. Les
acteurs jouissent d’une large marge de manœuvre
pour décider et agir dans la gestion, assurant le
contrôle, la recherche et la mise en place des actions
en partenariat. Des équipes techniques sont
parfois nécessaires pour appuyer le pilotage effectif
des actions. Cette participation autonomisante est
la forme la plus élaborée de participation. Difficile
à mettre en place, elle nécessite une intervention
ténue et sur le long terme ;
> la participation responsabilisante : la co-gestion et
un partenariat négocié sont la règle. Les acteurs
sont responsabilisés et les prises de décision sont
co-partagées. Cette participation favorise l’émergence
et le développement d’instances locales. Elle
est la phase de transition vers la participation autonomisante.
Ces modes de gestion participative sont
les plus fréquents dans les actions de développement
;
> la participation délibérative : les actions à réaliser
sont discutées avec les acteurs. Les concertations
sont organisées à différents niveaux et les différentes
idées émises sont négociées. Ces échanges
ont à la fois comme objectif une appropriation collective
des actions à réaliser, et une collecte des
opinions des uns et des autres. Les négociations et
concertations permettent les débats ouverts ;
Une évaluation de l’état de la question, en partant
de l’observation de programmes, projets et actions
sectoriels et transversaux qui revendiquent la mise
en œuvre de la participation de la population et de la
manière avec laquelle cette participation est conduite,
a permis de dégager les types de la participation suivants
:
> la participation autonomisante : l’entité bénéficiaire
> la participation consultative : l’entité bénéficiaire
est consultée pour qu’elle donne les informations
nécessaires à la mise en place des actions. Les interrogations
faites aux acteurs sont univoques et
dans un esprit de collecte d’informations ;
> la participation contributive : l’entité bénéficiaire
participe passivement par des contributions finan-

cières ou en nature. Elle part de l’idée que la pérennité
des équipements est liée à la participation
financière des populations; par ailleurs, en période
de pénurie de ressources publiques, la participation
de la population bénéficiaire au financement des
investissements relatifs à des services publics s’impose.
Nous retrouvons ce type de participation dans
les différents programmes nationaux d’équipement
du milieu rural engagés au milieu des années 90, où
la population et les Communes Rurales sont appelées,
dans le cadre de montages financiers les intégrant,
à contribuer pour l’équipement des douars
et pour le raccordement des ménages aux réseaux
d’adduction d’eau potable, d’électrification et des
routes et pistes rurales.
Au Maroc, la participation a connu un véritable tournant
dans les années 90. Ce pays a vu la naissance,
l’élaboration et la mise en œuvre de plusieurs programmes
nationaux d’équipement du milieu rural
(Programme d’approvisionnement groupé en eau
potable des agglomérations rurales -PAGER-, PERG,
Programme national des routes rurales –PNRR-) dans
lesquels la participation de la population est devenue
une exigence. Toutefois, en dehors du PAGER qui a
poussé plus loin l’idée de la participation et de l’implication
de la population en mettant en œuvre des
équipes mobiles provinciales avec un contact avancé
avec les populations des douars concernés, la participation
dans les autres programmes est davantage
conçue comme une simple contribution financière à
l’investissement de la part de la Commune Rurale et
des ménages comme condition d’accès au service.
A partir de mai 2005 au Maroc, l’Initiative Nationale
pour le Développement (INDH) est lancée par le chef
de l’Etat. Elle vise à améliorer les indices du développement
humain en milieux rural et urbain pauvres,
et à instaurer une dynamique participative des populations
dans les projets de développement local les
concernant. Ainsi, les structures de gouvernance de
l’INDH doivent répondre au défi de la proximité et de
la représentativité des élus et des ONG des différentes
localités concernées, au niveau territorial le plus bas.
Parmi ces structures, les Équipes d’Animation Communale
(EAC) ou de Quartiers (EAQ) désignées par le
Comité Local de Développement Humain (CLDH) sont
censées faire le lien entre les populations (dont elles
font remonter les demandes et doléances) et la Division
de l’Action Sociale (DAS) et le CLDH.
Les premières investigations à ce sujet relèvent le
constat de la non fonctionnalité de ces structures, surtout
lorsque l’espace d’intervention à couvrir en milieu
rural est vaste, que les problèmes à traiter avec la population
sont complexes (cas des quartiers pauvres et
non réglementaires dans les grandes villes) et que la
structure et le ratio d’encadrement sont faibles (effectif
réduit des membres de l’équipe; manque de profils
disciplinaires compétents et ouverts sur les questions
qui se posent etc.). Par ailleurs, en l’absence de relais
locaux actifs dans les quartiers urbains ou dans
les douars des Communes Rurales (associations ;
élites et leaders actifs ; djemâ’as puissantes…) et de
moyens de travail mis à leur disposition, le travail des
EAQ/EAC reste très fragile. Dans certains cas dans les
grandes villes, elles sont supplantées par des associations
d’envergure provinciale ou même nationale dans
la relation au terrain et à la DAS.
Les principes mis en œuvre pour
la participation dans le projet ERD
La participation collective à l’Ouneine :
entre contexte traditionnel et moderne
Le projet ERD a bénéficié, lors de son démarrage,
d’un élan important d’adhésion de la population dû,
en grande partie, au fait que dans le cadre du schéma
national d’électrification de l’ONE, la Commune Rurale
d’Ouneine est prévue pour être électrifiée par des kits
photovoltaïques au lieu du réseau national. Dans ce
contexte, pour la population de Tamterga, bénéficier
d’une source d’électrification alternative et de qualité,
se rapprochant des standards urbains, était une vraie
opportunité.
Si l’on interroge la population pour savoir pourquoi
les gens se sont engagés dans le projet ERD, la réponse
est presque unanime partout dans les douars :
« avant, nous vivions dans les ténèbres ; l’idée d’avoir
l’électricité était une question importante, surtout que
l’Etat n’était pas présent dans ce domaine ». De ce
fait, les habitants ont accepté de mettre en œuvre
une action collective.
A l’Ouneine, et comparativement par rapport à
d’autres zones rurales au Maroc, les domaines d’action
collective du douar sont nombreux, mais ici aussi
l’évolution générale va dans le sens de l’amenuisement
progressif de cette action. De manière synthétique,
le capital d’action collective des populations des
douars se retrouve dans des domaines d’activité traditionnels
et modernes.
65
Au niveau traditionnel, l’action collective se retrouve
dans les domaines:
> de la production (gestion du réseau d’irrigation
entre les ayants-droit de l’eau lorsque celle-ci est

66
privée et entre les foyers de la djemâ’a lorsque l’eau
est collective 1 ; garde champêtre ; tiouizi 2 pour les
moissons et pour les labours) ;
> de la gestion de la mosquée (construction, aménagement,
réhabilitation, désignation et rémunération
d’un talb 3 , équipement…);
> de l’organisation de fêtes (mariage ; circoncision ;
pèlerinage…)
> et de la gestion des morts (préparation de la tombe,
du repas…).
Au niveau "moderne", l’action collective a lieu notamment
pour la production collective d’une eau
d’usage domestique (participation à l’aménagement
de sources ; canalisations etc.), la construction et
l’aménagement de pistes désenclavant les douars, et
l’électrification.
Cependant, le capital d’action collective tend à se réduire,
en raison de l’ouverture de la société locale sur
l’extérieur et de la contribution accrue de ce dernier
dans la formation des revenus des ménages (à travers
les transferts des émigrés).
Dans ce cadre, ce qui est important à relever et à
interroger, c’est la capacité et les ressorts qu’ont
les sociétés locales à "réinventer" leurs modes de
régulation en liaison avec les changements et les
dynamiques sociales auxquels elles participent. Ces
capacités de régulations concernent aussi bien l’émergence
de nouveaux champs d’action collective que de
nouvelles règles de gestion et de partage de la charge
collective.
1 Les eaux exploitées de manière collective sont très
réduites (moins de 1% de 20000 heures de droits d’irrigation
recensées dans la vallée).
2 Tiouzi ou prestations de travail collectif à une personne
ou douar; tiouiz est de plus en plus une affaire de femmes et de
jeunes filles, et porte généralement sur les moissons);
3 Clerc chargé de diriger les prières, d’apprendre le
Coran aux enfants et certains adultes, de laver le mort, etc.
Les types de participations contributives
dans le projet ERD
Plusieurs types d’effort ont été consentis par la population
pour la réalisation du projet.
Il y a tout d’abord la contribution en nature. Il s’agit
des travaux permettant la réalisation des installations
4 . Par exemple, la population (main d’œuvre non
qualifiée) a participé à la réalisation des travaux de
terrassement, de transport de matériaux à dos de
bêtes. Cet effort a fortement contribué à la réduction
des coûts de certains postes (surtout les travaux de
génie civil, canalisations et réseaux BT) et a favorisé
une péréquation envers les plus pauvres. Ces derniers
avaient ainsi la possibilité de payer les installations de
leurs foyers contre leurs forces de travail.
Pour chacun des foyers (avec un compteur par foyer),
une contribution financière a également été demandée
pour financer à la fois les installations intérieures
(dont les frais sont pris en charge par la totalité des
ménages à l’exception des démunis) et les installations
du réseau BT à l’intérieur des villages. Ce paiement
a posé quelques problèmes pour une population
dont les moyens sont limités.
Pour aider la population à faire face à ces contraintes
financières, il s’est avéré nécessaire de mettre en
place un fonds de roulement, remboursable par la population
par versements périodiques. Ce mécanisme
de solidarité visait à intégrer les foyers indigents 5 et
4 Pour la première micro-centrale, il s’agissait des
travaux suivants : aménagement de la source de Tinsemlal,
construction d’un chemin muletier pour le transport des buses,
creusement de la tranchée du canal d’amenée d’eau en montagne,
du creusement et construction du bassin d’accumulation
et de régulation de l’eau devant alimenter la turbine, de l’aménagement
du passage de la conduite forcée, de la construction du
local de la turbine et du creusement de tranchées pour le réseau
enterré dans les douars.
5 Sur un total de 289 compteurs installés en début novembre
2008, on compte 5 compteurs pour des boutiques (quatre
à Taouryrt et un à Arghen), 284 compteurs domestiques dont 34
Photographie 7. Ateliers de formation avec les membres des associations

Encadré 13. Participation de la population au financement du réseau ERD
Pour le cas du projet ERD, le financement de la phase de réalisation de l’électrification se répartit en trois grandes
composantes :
> l’équipement lourd (micro-centrale, Moyenne Tension MT, Basse Tension BT, chauffe-eau électrique ainsi que tout
l’appareillage correspondant) pris en charge par les promoteurs du projet (Targa-Aide et EPFL) sur le financement
de la DDC, de même que les équipements et matériaux non disponibles dans la vallée ;
> les travaux (de remblais et de déblais) et les équipements moyens : ces travaux exigeaient la mobilisation d’une
large main d’œuvre. Une grande partie de ceux-ci a été assumée directement par la population elle-même. En
l’occurrence, le nombre de journées de travaux sur les chantiers divers est estimé à environ 40 à 50 par foyer, soit
près de 18 000 jours pour la première tranche et pour la deuxième tranche ;
> la contribution financière de la population. Celle-ci s’élève à environ 3 500 DH, subdivisée comme suit : 1 500 DH,
en moyenne par compteur installé, comme participation pour les installations électriques intérieures des logements
et 2 000 DH, pour les coûts des travaux de basse tension à l’intérieur du village.
qui assurent le financement de l’électrification des espaces
publics villageois (mosquées; éclairage public ;
écoles…).
Il s’agissait de garantir l’électrification à la totalité des
foyers des douars, par le biais d’un fonds de solidarité
prélevé sur ce fonds, et notamment, à ceux qui
risquent d’être exclus pour des raisons d’incapacité
économique, et d’assurer le fonctionnement des équipements
collectifs communautaires et modernes des
douars (mosquées, écoles) et l’installation de l’éclairage
public.
communautaires (comme la construction d’une mosquée
ou l’adduction en eau potable). Ces associations
de douars comportent des mécanismes facilitant la
représentativité de la population.
L'obtention de la personnalité morale a été définie
comme condition sans laquelle la structure ne pouvant
pas créer les conditions favorables à l'établissement
d'un rapport de confiance entre le projet,
la commune et les habitants eux-mêmes. Chacune
d’elles est enregistrée selon les lois marocaines. Un
règlement intérieur et des statuts ont été adoptés.
67
En résumé, ce fonds visait l’atteinte d’un certain
nombre d’objectifs. Il s’agissait de :
> garantir l’accès à l’électricité pour tous, y compris
pour les foyers totalement indigents ;
> permettre aux foyers qui en ont besoin d’obtenir
un préfinancement de leur participation aux frais
d’électrification de leur logement et de leur village ;
> servir, une fois toutes les avances octroyées pour
l’électrification, à financer des micro-projets de
développement dans la vallée avec remboursement
sans intérêt ;
> contribuer au renforcement du développement local
endogène de la vallée d’Ouneine sous l’impact de
l’électrification, par le biais de mesures d’aménagement
et d’accompagnement financiers.
Ce système a permis un taux de raccordement au
micro-réseau à hauteur de 100%.
La participation à la gestion et les
retombées
Pour assurer une gestion durable de l’infrastructure,
la gestion et l’exploitation des équipements du projet
ont été attribuées à des associations villageoises
organisées spécialement pour l’occasion, ou qui
s’étaient constituées auparavant pour d’autres projets
sont exonérés (soit 12% des compteurs).
Ces associations ont été liées par contrats avec leurs
abonnés. Pour chacun des villages, la gestion de la
consommation et de l’entretien du réseau électrique
(relevé des compteurs, paiement des consommations,
maintenance des installations…) est également placée
sous la responsabilité de l’association villageoise.
Leur comptabilité est alimentée par le paiement de
la consommation d’électricité. L’argent ainsi récupéré
est destiné à assurer la maintenance des installations
et à financer de nouveaux projets de développement
local.
Pour leur permettre une bonne connaissance du fonctionnement
associatif, des ateliers de formation se
sont déroulés au profit des membres des bureaux
des associations concernées par le projet en matière
de connaissances de base du fondement juridique de
l’Association, de gestion, de comptabilité et de montage
de projets. La constitution de ces associations a
donc permis de former, d’encadrer et de responsabiliser
des individus en renforçant, autant que possible,
la solidarité communautaire villageoise préexistante.

Les leçons du projet
etc. Le recouvrement de ces avances devant constituer
un apport initial pour le fond de développement
communautaire signalé plus haut ;
68
Les apports du projet (formation,
sensibilisation, encadrement) : les nécessaires
contreparties
En contrepartie de cette contribution de la population,
il faut souligner, à l’actif du projet ERD pour les
populations, l’ensemble de garanties et conditions
de développement qu’il met en œuvre, et qu’on peut
énumérer comme suit :
> la désignation et la formation de techniciens de
douars et des techniciens chargés des unités de
production de l’électricité ;
> la sensibilisation des populations aux dangers de
l’électricité et au meilleur usage de l’électricité ;
> la prévision et la prospection d’activités socio-économiques
utilisant et valorisant l’électricité (pisciculture,
moulin et pressoir à olives, complexe socioculturel,
etc.) auxquelles la fédération des associations
vendra l’électricité à un prix négocié ;
> la recherche de fonds devant servir pour des
avances remboursables aux adhérents du microréseau
d’électrification afin d’assurer une avancée
cohérente de l’équipement des douars en termes
de part qui revient aux ménages pour le réseau de
basse tension et pour les installations intérieures,
Encadré 14. Gestion du travail collectif
> enfin, le projet assure un rôle d’intermédiation
entre la population concernée par le projet ERD
et les autres partenaires (Commune Rurale, ONE,
Autorité locale, services extérieurs des ministères
agissant dans la zone etc.).
Pour chacune de ces questions et interrogations posées,
le temps est d’abord donné à la négociation interne
entre les foyers des douars, suivie d’une négociation
avec le projet.
Les difficultés du renforcement des
compétences locales au niveau des
associations
Bien que la demande d’électrification soit une émanation
préalable et parfois pressante de la part de
la population de plusieurs douars, l’élaboration et la
mise en œuvre du projet ERD ont été menées de manière
à introduire et à intégrer progressivement les
douars prévus pour cette électrification ; il s’agissait
en fait de freiner l’adhésion et l’enthousiasme de la
population devant une expérience d’action collective
nouvelle, de progresser par étapes en respectant le
calendrier des activités de la population, en tenant
compte de la pénibilité du travail et de l’enchaînement
des tâches à accomplir.
L’ensemble de ce processus a donné lieu à de nombreuses
rencontres avec la population au niveau de
Arrêter une liste des adhérents au micro-réseau qui ont accompli leur part dans la charge de travail sur les chantiers
s’est avéré difficile. Le travail de marquage des travailleurs présents sur les chantiers n’a pas été fait correctement,
et l’importance de l’établissement de listes qui reflètent le travail exact fait par chaque foyer n’a pas été
estimée à sa juste valeur par les responsables de l’association dès le départ. Ici encore, la pression de membres
influents de la jma’a, ou de fauteurs de trouble pour se soustraire à un partage équitable de la charge collective,
a été forte pour intégrer ces personnes qui n’ont pas travaillé ou l’ont insuffisamment fait. Certaines personnes
n’ayant pas travaillé ou qui ont peu travaillé ont été intégrées dans les listes d’exonération à présenter à l’ONE.
A Tinsemlal, si l’enthousiasme de la population était élevé et si l’action de certains leaders du village a été importante
pour aménager la source et faire le gros du travail dans la montagne, on nous signale que la personne chargée
de faire le relevé des travailleurs était souvent absente. Lors de l’établissement des listes de la contribution en
travail de chacun, certains foyers n’ayant pas travaillé se sont retrouvés avec plus de 25 jours ; d’autres ménages
qui partageaient un seul compteur et ont travaillé pour ce compteur se retrouvent à la fin séparés et avec deux
compteurs et le double du nombre de jours de travail etc. Le même problème s’est posé dans d’autres douars avec
moins de gravité, mais la discipline dans le travail (venir à l’heure ; venir quand le maître maçon a besoin de tel
nombre de travailleurs ; venir en étant censé travailler et non boire du thé et parler…) était difficile à instaurer.
Il faut noter toutefois que les associations de Taouryrt et Tagwnit ont mené une organisation serrée du travail
collectif de leurs douars grâce notamment au sérieux et à la présence continue de leurs présidents qui bénéficient
d’une légitimité avérée des djemâ’as de douars.

chaque douar et dans la Commune Rurale pour expliquer
les objectifs du projet (qui ne se limitaient pas
aux actions à entreprendre mais allaient au-delà,
dans une perspective plus large de développement
local centré sur la population et porté par elle), les
sacrifices à endurer et les difficultés à affronter.
La question de l’appropriation du projet par la population,
qui se nourrit des apprentissages individuels
et collectifs (côté population) acquis dès la mise en
œuvre du projet, demeure, encore aujourd’hui après
la fin du projet, toujours posée : elle est tributaire
d’un accompagnement de longue durée, d’une prise
en charge institutionnelle, et de la capacité des associations
locales à prendre le relais.
Plusieurs difficultés caractérisent le fonctionnement
Encadré 15. Action collective et stratégies individuelles d’évitement
Comme toute action collective, l’action ERD a été traversée par des logiques individuelles variées inhérentes à la
position de chacun face à l’enjeu du projet. Les stratégies individuelles sont apparues permettant de renforcer la
cohésion ou entraînant des blocages. Quelques exemples mettent en exergue ces différentes positions.
Les élites traditionnels
Cette catégorie comprend deux types d’individus qui choisissent d’adopter une position en fonction du schéma
d’action collective locale auquel ils sont confrontés. Pour certains, il s’est agi de s’associer au projet pour répondre
à une demande de la population dont ils se sont fait porte-paroles depuis plusieurs années. L’adhésion au projet
rentre donc dans la droite ligne de leurs actions antérieures.
69
Pour d’autres, il s’agit de s’opposer en utilisant les arguments dont ils disposent. Parmi ces méthodes figurent l’utilisation
du "monopole du savoir". C’est le cas du président de l’association de Tinsemlal, élu de Tamterga depuis
15 ans est un farouche adversaire du projet. Directeur de l’école d’Izemrane, il dispose d’un monopole du savoir
et d’une aura liés à son niveau d’éducation. Même s’il souffre, comme il le déclare chaque fois qu’il perd la face,
d’une dépression nerveuse, il a, depuis les élections de 2003, démissionné du jeu électoral pour s’investir dans le
domaine associatif où il est aujourd’hui très actif.
Il a vu très vite senti le danger lié à la mise en œuvre du projet qui a promu l’ascension de jeunes dans les autres
associations de Tamterga ne supportant plus sa position dominatrice et sa vision archaïque de la pratique de la
politique et la gestion des associations. Depuis 2005, il a, en quelque sorte, pris en otage l’association de Tinsemlal
et tout le douar avec et a bloqué le projet dans son douar.
Dans cette catégorie des opposants, on trouve également les conservateurs. Ce sont des élites qui ne sont plus,
depuis plusieurs années, en phase avec l’évolution des besoins et des attentes de la population. Ils utilisent ainsi
les failles du projet pour critiquer les avancées du projet, dont notamment les changements qu’il apporte, et
prôner un retour au statu-quo. Par exemple, l’ancien cheikh de Tamterga a cherché en permanence à se servir
du projet pour revenir sur le devant de la scène. Certains lui reprochent de ne pas vouloir« vivre tranquillement
sa retraite et s’occuper du chapelet comme le font les gens de son âge ». Après avoir quitté l’arène de l’autorité
à cause de l’âge et de la santé, il continue à vouloir agir comme il le faisait avant, sans prendre en compte les
aspirations des différents membres de la communauté (jeunes, femmes,..).
Les médiateurs
Ce sont des personnes qui sont actives au sein de la djemâ’a et qui se mobilisent pour des questions d’intérêt local.
Elles participent à l’intermédiation entre les gens et interviennent dans le cas de litiges liés à la terre entre héritiers
ou suite à un empiétement, en cas de problème entre les époux qui entraînent le renvoi ou le départ de la femme
du foyer conjugal, ou pour l’accueil d’étrangers de passage dans le douar. Ce sont des élites locales fonctionnelles,
des facilitateurs, des leaders qui sont au cœur de la mobilisation de la population et sont relativement peu nombreux
: on compte une personne par douar. Elles ont tout au long du projet appuyé pour arriver à résoudre les
conflits, tout en se retournant contre le projet quand elles pensaient qu’il ne servait plus l’intérêt commun.
Les nouvelles élites
Le projet a permis de repositionner un certain nombre de jeunes, issus de familles aisées de la vallée, ayant bien
souvent l’appui d’un des membres de leurs familles parti travailler en ville. Ils ont compris que le projet pouvait
être l’occasion de redéfinir les positions hiérarchiques de pouvoir au sein de la vallée. Pour cela, ils se sont impliqués
pour mieux connaître le projet, acquérir des compétences, s’exprimer et ainsi, au fur et à mesure, commencer
à s’imposer au niveau de la vallée.

70
des associations de douars :
> le non respect de l’application de la tarification de 3
DH /KWH, ramené unilatéralement, et sous la pression
des adhérents des douar à 1,5 DH pour Tinsemlal
et à 2 DH à Tamterga ; le recouvrement pose
toutefois encore des difficultés ;
> la difficulté de recouvrement des arriérés de
consommation ;
> la non rétribution des services du technicien chargé
de la turbine de Tinsemlal (mis à part l’association
de Taouryrt) ;
> la difficulté de mobiliser de la main d’œuvre volonaire
et capable de travailler sur les chantiers, à
quoi s’ajoute la difficulté 6 de mesurer l’effort individuel
engagé par chacun (cf. Encadré suivant) ;
> le blocage des recouvrements des avances (pour
achat des matériaux des installations intérieures)
remboursables à Targa-Aide.
De manière générale, la gestion de l’électrification
(ou d’autres activités socio-économiques) par les associations
de douars impliquait une capacité élevée
d’application des règles instituées, l’organisation de la
population et des adhérents pour tout ce qui touche
à l’entretien ou à l’amélioration du dispositif existant,
et un niveau élevé de compétences que les nouvelles
installations exigent.
A la fin du projet, cette activité de gestion, fortement
altérée par la mise sous tension des douars par l’ONE,
est encore à ses débuts au niveau des douars : les
difficultés sont difficiles à surmonter sans un accompagnement
et un suivi inscrit dans la durée.
Enfin, c’est une activité qui requérait une reconnaissance,
une légitimation de ces associations de la part
de la population et des djemâ’as traditionnelles des
douars ; une construction qui exigeait aussi du temps
et de l’accompagnement pour la crédibilisation de
l’association comme représentation (à défaut d’autre
chose) de ce niveau territorial de base qu’est le douar.
Un délicat apprentissage pour les leaders,
déclassement et reclassement des élites
locales
6 A Tinsemlal, si l’enthousiasme de la population était
élevé et si l’action de certains leaders du village a été importante
pour aménager la source et faire le gros du travail dans la montagne,
on nous signale que la personne chargée de faire le relevé
des travailleurs était souvent absente. Lors de l’établissement
des listes de la contribution en travail de chacun, certains foyers
n’ayant pas travaillé se sont retrouvés avec plus de 25 jours ;
d’autres ménages qui partageaient un seul compteur et ont travaillé
pour ce compteur se retrouvent à la fin séparés et avec
deux compteurs et le double du nombre de jours de travail etc.
Le même problème s’est posé dans d’autres douars avec moins
de gravité, mais la discipline dans le travail (venir à l’heure ; venir
quand le maître maçon a besoin de tel nombre de travailleurs ;
venir en étant censé travailler et non boire du thé et parler…) était
difficile à instaurer.
Deux faits majeurs témoignent de changements qualitatifs
à l’œuvre dans la vallée, qu’on peut attribuer,
dans une large mesure, à cette présence continue
sur le terrain, à travers les projets de développement
menés dans la vallée par l’IAV Hassan puis par Targa-
Aide et leurs partenaires de coopération :
> On constate une augmentation de la capacité de
compréhension des acteurs locaux avec l’arrivée de
nouveaux projets étatiques dans la vallée porteurs
aussi de l’idée de participation (projet d’aménagement
de la route basse avec participation de l’association
des émigrés d’Ouneine à Casablanca ; projet de
développement rural dit DRI-MVB et l’Initiative nationale
de Développement Humain (INDH). Ceci obéit à
la même logique que l’apparition de l’ONE dans la vallée
: l’Etat cherche à prendre en main des territoires
délaissés en contrecarrant l’action d’organismes extérieurs
de développement ;
> On relève une circulation, une recomposition et une
compétition entre les élites de proximité, en raison
des exigences en compétences techniques et sociales
que nécessitent les nouvelles actions de développement
initiées (lecture et écriture ; mobilité plus grande
etc.). Dans le cadre du projet ERD, cette constatation
est encore plus forte, puisque ce dernier met en place
les prémisses de nouveaux métiers qui exigent un savoir
et des capacités d’intermédiation plus poussées
que des élites traditionnelles ne possèdent pas.
La collaboration du projet ERD avec la
collectivité locale : une concurrence
institutionnelle
La Commune Rurale a donc, au fur et à mesure du
projet, fait évoluer sa position par rapport au projet
et les acteurs du projet ERD ont été long à intégrer
a dimension institutionnelle pour permettre qu’une
synergie se crée entre le projet et la Commune
En effet, au fur et à mesure de l’avancée du projet,
l’électrification de la vallée est devenue un enjeu dans
la compétition électorale 7 locale. Progressivement, la
commune, devenant plus puissante financièrement, a
décidé d’écarter le projet ERD et de promouvoir la
venue de l’ONE.
Plusieurs événements illustrent cette situation :
> En août 2002, à la veille des élections communales,
le président de la Commune Rurale a décidé d’électrifier
les douars de sa circonscription (sans le souk)
par générateur électrique, sans aviser le projet ERD
qui avait prévu la zone d’Adouz (cinq douars et le
7 Lors des élections communales de 2002, législatives de
2007, et pour la préparation des élections communales de 2009.

souk) parmi les 18 douars à équiper par le microréseau
;
> Le samedi 19 août 2006, le Conseil communal de
l’Ouneine a tenu une session extraordinaire à laquelle
assistait un représentant de l’ONE, avec, à
l’ordre du jour, la discussion sur l’électrification de
Tamterga. A la quasi-unanimité, le Conseil fait savoir
qu’il ne reconnaît pas d’autre électrification que
celle de l’ONE et demande à ce que tous les douars
de Tamterga soient raccordés au réseau national
d’électricité ;
> Le 30 août 2007, le candidat à l’élection législative
Encadré 16. Une bataille de douars…
En plus des stratégies individuelles à l’intérieur de chaque douar, des rivalités entre les douars ont surgi et des
conflits ancestraux se sont réactivés.
Relations entre Tinsemlal et le reste de Tamterga
Ce sont des relations difficiles. D’une part, un rapport de supériorité est ressenti au niveau de Tinsemlal qui possède
la source produisant l’électricité, tant que la turbine de Takourdmi n’est pas installée et mise en fonctionnement.
D’autre part, les douars de Tamterga, notamment ceux du centre (Taouryrt, Tagwnit et Arghen qui possèdent
leur mosquée joumou’a en guise de lien social) ont intérêt à mieux s’organiser pour faire face à Tinsemlal et
au conflit qui les oppose à Aït Soual au sujet de la source dite Taqbilt.
Le douar Larb‘a possède sa mosquée joumou’a qui cristallise son individualité dans cette zone. C’est un ancien
souk peuplé de nombreux foyers pauvres qui vivent de leur force de travail. Le douar de Takourdmi, bien qu’il
fasse partie administrativement de la machiakhat de Tamterga, est en réalité isolé géographiquement et ne peut
utiliser que ses propres ressources en eau.
71
Rivalités entre Tinsemlal et Taouryrt, Tagwnit
L’origine de jalousies entre ces douars repose dans le fait que les habitants de Tinsemlal ne se considèrent plus
comme les interlocuteurs privilégiés des responsables du projet et que désormais tout se négocie avec le groupe
de Taouryrt. Pour défendre leur position, les habitants de Tinsemlal mènent des campagnes de sensibilisation auprès
des autres douars et des personnes écoutées de la vallée en leur disant que leur source est en danger et que
leur eau se perd dans la montagne pour que les douars de Tamterga soient électrifiés. Les habitants de Tinsemlal
pensent même mener une action en justice contre le projet et les autres douars de Tamterga.
Rivalités entre Taouryrt, Tagwnit et Larb’a
Les rivalités sont liées aux défections des habitants de Larb’a et leur désistement après avoir été mis sous tension.
En d’autres termes, la raison des rivalités est liée à des enjeux électoraux. En effet, lors des élections communales
de 2003, comme ces douars font partie d’une seule circonscription électorale, les habitants de Larb’a ont voté
pour le candidat adversaire de celui proposé par Taouryrt et Tagwnit. En plus, les habitants de Taouryrt affirment
toujours aux habitants que c’est grâce à eux que Larb’a a pu s’intégrer au projet et que c’est eux qui ont suppléé
les responsables du projet pour intégrer Larb’a dans le groupe. Les habitants de Taouryrt et Tagwnit demandent
donc une reconnais-sance aux habitants de Larb’a que ces derniers refusent d’accorder.
Rivalités entre tous contre Tinsemlal
Après la déchéance de l’ancien président de l’association de Tinsemlal qui était considéré par tous les douars
comme le porteur du projet (acteur nodal), l’actuel bureau de l’association a commencé à revendiquer une position
particulière pour Tinsemlal du fait qu’il détient la propriété de la source grâce à laquelle la turbine fonctionne.
Rivalités entre Tamterga (sauf Tinsemlal) et Aït Soual
Parmi les autres projets demandés par les douars de Tamterga il y a l’adduction d’eau potable. Les douars de
Tamterga souffrent de cette ressource alors que c’est une zone qui connaît une forte abondance en eau. Lors de la
réunion où étaient présents les représentants des douars concernés (Taouryrt, Tagwnit, Arghen, Aït Laqdi, Larb’a
et Aït Soual), la question est posée sur la source qui va alimenter les douars en eau. La réponse de cinq douars
(sauf Aït Soual) était une source qu’Aït Soual exploite. Les représentants d’Aït Soual ont répondu que ce n’est pas
question et une personne s’approche de la source, ça sera sa fin et ils se sont retirés de la réunion. Ceci explique
la fragilité de cette union autour du projet d’électrification et même s’ils acceptent de s’unir autour d’une action,
celle qui les sépare depuis longtemps (conflit source de Taqbilt) n’est pas enterrée ; et elle est seulement mise en
vielleuse. A partir de cela, le conflit de la source a surgit et les gens d’Aït Soual ont décidé de reprendre l’action
en justice.

72
dans la circonscription électorale de Taroudant Chamalia,
lors du dîner organisé pour sa campagne à
Tamselloumt, déclare : « le deuxième projet pour
lequel Dieu a aidé pour sa réalisation est celui de
l’électrification qui va bientôt être réalisé. Au départ,
la vallée de l’Ouneine était programmée pour
être électrifiée par photovoltaïque. Mais Dieu a facilité
la chose, grâce aussi à l’effort des frères de l’association
(de Casablanca) et des efforts des frères
de l’ONE qui ont compris votre situation. Je suis personnellement
venu dans la vallée avec le Directeur
général de l’ONE.
Cette visite a été suffisante pour que nous signions
une convention qui concerne tous les douars d’Ouneine,
dont ceux de Tamterga. Ceci vient en complément
du réseau d’électrification hydraulique
réalisé par un projet dans les douars de Tamterga.
Aujourd’hui, nous sommes arrivés à une convention
entre l’ONE et le projet pour permettre l’électrification
de tous les douars de Tamterga, incha’allah [si
Dieu le veut], afin qu’ils soient eux aussi comme
tous les autres douars d’Ouneine. » 8 . Le candidat
a obtenu au total un score de 48,50 % des voix
de toute la vallée d’Ouneine, se situant nettement
devant ses principaux concurrents ;
> Lors de la réunion du 10 août 2008 au siège de la
Commune Rurale, et à laquelle ont participé les représentants
de la Province de Taroudant et l’ONE, le
vice président de la commune s’indigne : « …en tant
que Commune Rurale, l’électrification de Tamterga
nous pose problème ! On est dans qafas al ittiham
(barre des accusés); c’est l’ONE le responsable, car
le citoyen ne comprend pas cette situation. Il faut
nous fixer un délai pour régler cette question. La
commune a payé environ 600 000 DH pour Tamterga
comme contribution au PERG, où va partir cet
argent ? Ne peut-il pas être utilisé pour exonérer
tous les foyers qui ne sont pas encore en règle ? ».
La difficile mise en œuvre du micro-crédit
La mise en place du micro-crédit s’est avérée être un
processus complexe. Tout d’abord, il a nécessité de
longues explications pour une population peu habituée
à ce genre de démarche de la part d’un bailleur
de fonds.
Plusieurs responsables d’institutions de micro-crédit
ont été consultés au sujet la mise à la disposition de
fonds pour la population. Certains ont même visité
Ouneine et le projet ERD en cours pour donner leur
avis sur la faisabilité de cette opération. Ils ont rappelé
qu’au Maroc, de manière traditionnelle, l’octroi
de micro-crédit ne peut excéder plus de six mois et
concerne généralement des Activités Génératrices de
Revenus. C’est un crédit avec un taux de 2% par mois
avec une caution solidaire entre plusieurs personnes
qui se connaissent et où chacun fait une reconnaissance
de solidarité.
La mise en œuvre à l’Ouneine était délicate car
c’était une première. Les revenus des paysans sont
cycliques et sont fortement tributaires des conditions
climatiques ; ils sont par conséquent incertains. Cette
situation a nécessité un suivi important des remboursements
car les montants perçus varient fortement en
fonction des rentrées d’argent de la population.
Dans sa mise en œuvre, les remboursements du
micro-crédit ont été très faibles. Ceci s’explique en
grande partie par l’arrivée du réseau de l’ONE à l’Ouneine
qui a contribué à instaurer un climat de méfiance
de la population engagée dans ce projet. Même
si cette nouvelle situation n’a pas arrêté par l’organisation
de réunions visant à expliquer et à rassurer
la population, la plupart des foyers relevant de l’élite
économique de Tamterga mobilisaient la population
pour l’électrification à travers le projet ERD se sont
retournés contre celui-ci.
La situation est encore plus tendue à Tinsemlal, douar
abritant la micro-centrale hydraulique. Les difficultés
de compréhension proviennent du fait que la population
pense toujours que le fonctionnement de la
turbine remet en cause les droits d’eau (à certains
ayants-droit elle donne plus d’eau que d’habitude, et
à d’autres elle réduit les droits), et que l’arrivée de
l’ONE va contribuer à déposséder totalement les propriétaires
des droits d’eau.
Les gens du douar estiment qu’ils ont droit à des compensations
de la part des autres douars de Tamterga
pour l’utilisation de l’électricité produite par l’eau de
Tinsemlal et on fait circuler l’idée qu’une fois l’interconnexion
du micro-réseau avec le réseau national
réalisée, on changera la rigole d’amenée de l’eau actuelle
vers la turbine, par le lieu d’écoulement traditionnel
à travers agwni (le torrent originel).
Ainsi, les conditions pour une action collective soutenue
ne sont plus présentes et la conduite de la mise
en œuvre du projet devient lente, tendue, et difficile.
Au final, la totalité de la somme n’a pas pu être recouvrée.
De ce fait, les Activités Génératrices de Revenus
(AGR) n’ont pas pu être mises en œuvre, faute de
temps et suite à la démobilisation de la population.
8 Fragment d’un discours prononcé par un des candidats
aux élections législatives le 30 août 2007 à Tamselloumt, Ouneine.

L’adaptation constante du
mécanisme de participation
L’action collective engagée dans le projet ERD est en
réalité le produit d’un travail de proximité de longue
haleine, dans une société où la culture participative
est relativement élevée.
Même si l’enthousiasme de la population a été altéré
avec l’annonce de l’arrivée du réseau ONE, la conception
de la participation dans ce projet est en avance
sur les formes de participation dominantes rencontrées
dans d’autres expériences ou programmes
mis en œuvre au Maroc (encadrement; partage des
coûts).
Les rapports entre la djemâ’a et
l’association du douar : entre tradition et
modernité
Le passage de la djemâ’a en tant qu’entité traditionnelle
et informelle de gestion et de régulation de certains
aspects de la vie socio-économique du douar à
l’association, comme expression formelle reconnue
par la loi, est un processus lent à mettre en œuvre
et à asseoir. Il ne présente pas les mêmes difficultés
dans tous les douars.
Dans les douars où un degré élevé de confiance entre
les foyers existe, ce passage semble plus aisé, et
est facilitée aussi par une homogénéité socioéconomique
entre les ménages, et par l’existence d’élites
de douars qui se mettent au service de l’intérêt local
et qui sont écoutées.
Il est ainsi nécessaire de prendre en compte le fait
que l’intensité de l’action collective et de la participation
des populations est fonction de plusieurs paramètres
: le degré de gravité du problème à résoudre,
la taille du groupe, le degré d’inégalité socio-économique
entre les membres du groupe, l’existence ou
non de solutions alternatives, le poids de l’effort à
engager individuellement et sa durée, le poids des
apports extérieurs comme levier de l’action, et l’évolution
du contexte de l’action collective.
Dans les zones où cette culture est faible ou inexistante,
ou lorsque les groupes humains locaux sont
habitués à de l’assistance extérieure, le travail avec la
population requiert d’autres façons de faire et d’autres
efforts de sensibilisation et d’accompagnement. Mais
elles laissent de côté certains aspects culturels qu’il
convient de prendre en compte pour des zones rurales
enclavées : pression et contrainte morale du voisinage
dans une zone enclavée ; liens familiaux…
Les relais locaux pour interpréter et
diffuser l’information
Des relais villageois (hommes, femmes, jeunes, plus
âgés…) disposant de compétences techniques et sociales,
donc susceptibles d’être écoutés, sont nécessaires
pour assurer le lien et l’intermédiation entre
les promoteurs du projet, la Commune Rurale, les
opérateurs publics et les populations ordinaires composant
les différents douars. Ces agents ou leaders
de proximité sont peu présents partout et sont même
déficitaires à l’Ouneine : une génération ancienne de
personnes écoutées et disposant de l’autorité auprès
de la population et de l’administration est en voie de
disparition ; des représentants jeunes dynamiques
des nouvelles générations sont partis en émigration
et ceux qui restent au douar n’ont parfois pas le niveau
d’éducation leur permettant de faire émerger
des consensus.
Cependant, au cours du projet, l’élan participatif et
l’enthousiasme montré par la population au démarrage
du projet ont été secoués par l’annonce de l’arrivée
du réseau d’électrification de l’Etat. Par la suite,
chaque dysfonctionnement va être exacerbé par certaines
parties de la population qui y trouvent intérêt.
A ces relais traditionnels, il est donc nécessaire de
s’appuyer également sur des relais institutionnel fort
ou en devenir (comme la Commune Rurale). En effet,
malgré la pertinence du projet ERD pour la satisfaction
du besoin en énergie électrique de la population,
dans une zone enclavée où la majorité des ménages
est pauvre, la mobilisation et la participation de la
population à elles seules ont des limites sans relais
institutionnels (Commune Rurale ; ONE ; Autorité
locale…).
La prise en compte des différentes
échelles
Les échelles territoriales
Pour assurer une gestion durable de l’infrastructure,
un effort particulier dans la conception et la mise en
œuvre de la gestion du micro-réseau a nécessité un
montage institutionnel prenant en compte les spécificités
locales.
Si les relations avec les autorités provinciales sont
excellentes, et à tous les niveaux et services provinciaux,
la situation s’est avérée plus difficile avec l’autorité
locale du commandement de laquelle relève la
commune de l’Ouneine.
Pour remédier aux problèmes posés, il a été néces-
73

74
saire de prendre en compte l’ensemble des échelles
qui correspondent à :
> des emboîtements territoriaux : plusieurs niveaux
sont visibles dans le périmètre de la vallée. Il y a
d’abord l’espace de chaque individu (correspondant
la plupart du temps également à celui d’un lignage
dans lequel l’individu s’inscrit pleinement) avec un
chef de famille. Ensuite, vient le douar, qui est un
regroupement humain où la djemâ’a a un rôle important.
Puis ensuite, on peut évoquer la Commune
qui est un regroupement de douars. Ce projet nous
a démontré qu’il ne fallait pas se cantonner uniquement
à l’électrification des ménages ... mais s’interroger
sur la manière dont on pouvait inscrire le projet
dans des objectifs plus vastes du développement
du territoire et de ses habitants ;
> des échelles d’action et de projet : au-delà de la
simple lecture territoriale, il a été nécessaire de
trouver les espaces qui souhaitaient " composer "
avec le projet. Pour cela, il est important de prendre
en compte le facteur humain dans la lecture spatiale
pour permettre d’opérer des regroupements
pertinents pour la mise en œuvre du projet. Dans
ce cadre, il a été nécessaire d’allier donc les aspects
techniques (ce qui est important dans la mise en
œuvre d’un réseau "physique") et la volonté des
populations des différents espaces à travailler ensemble.
ailleurs.
Si la mobilisation et la participation des populations
ont toujours été élevées, il faut noter aussi les difficultés
qu’il y a à entretenir l’organisation et la mobilisation
durant plusieurs années (exemple de la mise en
place d’adductions d’eau potable dont la gestion pose
des problèmes), et se rendre compte que pour certains
projets la société locale n’est mérite d’être encore
d’avantage formé pour améliorer l’organisation
et l’efficacité de la participation (cas de l’expérience
de pisciculture dédiée aux femmes et très vite reprise
par les hommes, puis enlisée par des conflits entre la
structure de sa gestion et les propriétaires de l’eau).
La mise en œuvre d’un projet de développement nécessite
un long temps d’apprentissage et d’observation
du contexte local et des acteurs de terrains qui
doit se poursuivre lors de la mise en œuvre de l’action
de développement proprement dite : connaître les bénéficiaires,
leurs systèmes d’organisation, leurs politiques
de développement rural, leur environnement
économique, social, politique, culturel.
Pour cela, il est nécessaire au départ de prendre en
compte cette notion du temps qui permet de comprendre
le contexte local et les mutations qui ont façonné
le territoire.
Il a ainsi fallu constamment arriver à combiner les
dimensions sociales, institutionnelles, économiques
et environnementales. La durabilité de l’action de
développement se heurte à de nombreux facteurs
et conditions (environnementales, institutionnelles,
techniques, économiques et sociales) nécessaires à
remplir.
Les échelles temporelles
Pour différentes raisons liées à l’histoire et à la géographie
des populations rurales au Maroc, l’action collective
ne présente pas aujourd’hui la même intensité
partout. Même lorsqu’une culture participative existe,
la mobilisation connaît des limites pour des raisons
diverses, parmi lesquelles l’indigence du milieu et le
besoin d’un accompagnement par des leviers sur une
longue durée.
La participation et la mobilisation ne sont pas données
une fois pour toutes, mais sont réversibles. Enfin, à la
lumière de l’expérience de l’Ouneine, les progrès en
matière de participation des populations ne peuvent
être décelés que sur la longue durée : la présence
antérieure du partenaire marocain sur plus d’un quart
de siècle constituent un capital qu’on ne retrouve pas
Par la suite, il a été nécessaire de réaliser des étapes
spécifiques pour la mise en œuvre :
> la définition des objectifs du projet et la faisabilité
(y compris l’acceptation sociale) ;
> la mise en place d’un canevas de travail et d’une
méthodologie pluridisciplinaire de travail ;
> la réalisation par phases " territoriales " de travail
: une première zone a été choisie pour la réalisation
puis une deuxième phase est venue compléter
l’approche initiale ;
> l’adaptation permanente du projet aux besoins, l’intégration
du projet aux changements institutionnels
et aux propositions faites par la population ;
> la prise en compte de l’appropriation de la technique
et de la démarche par la population.
Ces différentes phases temporelles ont été mises en
œuvre à travers un processus itératif et dynamique.
La logique de développement local durable nécessite
donc de prendre en compte cette dimension tout au
long du processus.
Le renforcement des capacités
d’organisation de la population
Le transfert des modèles dans le cadre des projets de
développement ne concerne pas seulement les inno-

vations techniques, mais aussi l'organisation sociopolitique
comme la création d’associations de développement
local.
Dans le cadre du projet ERD, la question du positionnement
des acteurs et du pouvoir institutionnel se
pose également avec acuité. La relation entre projet
de développement et action de la collectivité locale,
entre populations dites bénéficiaires et acteurs du
projet, a été parfois difficile à gérer.
L’absence ou la mauvaise définition dans la répartition
des tâches et des responsabilités entre les douars,
entre les différents leaders, et donc la lutte de pouvoir,
est prégnante dans la mise en œuvre du processus.
> l’insertion de l’association dans le paysage institutionnel
local : il est nécessaire qu’une collaboration
s’engage avec les autorités locales et/ou avec les
bailleurs qui interviennent dans la zone, de manière
à lui permettre d’être une force de dialogue, de proposition
et éventuellement, d’action. A terme, les
associations villageoises doivent s'orienter vers une
nouvelle phase de leur développement : la réalisation
d’actions de développement, en partenariat
avec d’autres organismes ou de manière autonome.
Ces dernières étapes posent encore problème et
restent à consolider au delà du cadre du projet ERD
et en articulation avec le choix du mode de gestion du
micro-réseau.
Le projet n’a peut-être pas ainsi suffisamment replacé
la dynamique communautaire créée par l’arrivée de
l’électrification dans le cadre institutionnel local.
De plus, ceci nous amène à nous interroger sur l’efficacité
des importants changements apportés sur le
contexte socio-politique local par le projet ERD. Tout
au long du projet, il s’est agi, à travers la mise en
place des associations, de développer de nouvelles
compétences par le renforcement des capacités locales.
Cependant, des errements dans la gestion des associations
se sont fait sentir. Les sessions de formation
des associations ont été notamment l’occasion de voir
que les représentants élus des associations étaient en
fait des notables de la zone dont le niveau d’éducation
ne leur permettait pas de maîtriser les outils nécessaires
au management des associations. Cet état de
fait, qui a été corrigé par la suite par la nomination et
la formation de nouveaux membres, montre combien
il est difficile de pérenniser ces associations.
Ainsi, l’action collective engagée dans le projet ERD
est en réalité le produit d’un travail de proximité sur
une longue période, dans une société où la culture
participative est relativement élevée. Même si l’enthousiasme
de la population a été altéré avec l’annonce
de l’arrivée du réseau ONE, la conception de
la participation dans ce projet est en avance sur les
formes ou types de participations dominants rencontrés
dans d’autres expériences ou programmes mis en
œuvre au Maroc (encadrement ; partage des coûts).
En termes d’implication de la population, l’apport d’un
projet de développement constitue une innovation
technique et de développement local communautaire
importante en référence au registre traditionnel de
l’action collective. Les innovations qu’il a introduites
sont nombreuses et se fondent à la fois sur le principe
de la sauvegarde de l’environnement de vie des populations
et sur l’initiation de la création de bases matérielles
et cognitives communautaires susceptibles de
consolider le lien social entre les populations concernées
par le projet.
75
Tout en maintenant son option fondamentale d'expérimentation,
cette transformation d'une association
créée pour un projet de développement en une structure
pérenne passe par les étapes suivantes :
> la pérennité financière : le financement par les ressources
propres des adhérents, les revenus générés
par l’électricité, ou encore des fonds provenant
d’institution de développement ;
> l'appropriation des objectifs de l’association : si le
niveau de formation des principaux membres du
bureau est satisfaisant, l'encadrement devra être
peu à peu renforcé, notamment en matière de gestion
financière et d'animation d'une équipe ;

Photographie 9. Construction du bassin de rétention
76
Photographie 8. Construction de la conduite forcée

CONCLUSION
Jean-Claude Bolay, Benjamin Michelon
Les réflexions menées dans le cadre de cette conclusion
se veulent à la fois d’ordre conceptuel et opérationnel.
Il s’agit de proposer une analyse critique sur
la mise en œuvre d’une recherche-action pour le développement
et d’évaluer la contribution du concept
de « développement durable », véritable fil rouge qui
a guidé notre action au cours de ces années, au regard
d’un projet d’électrification, à la fois complexe et
prometteur qui visait au développement d’une région
rurale sur la base de l’apport d’une nouvelle technologie
appropriée au contexte, tant sociétal que géographique.
De l’ensemble des chapitres précédents, il nous est
ainsi permis de proposer en conclusion une somme
de remarques plus globales mettant en exergue les
bonnes pratiques du projet tout en soulignant les
écueils rencontrés lors de sa mise en œuvre. Ceci a
pour but de prévenir de futurs opérateurs et de donner
des pistes d’action pour de nouveaux projets de
développement technologique.
Une recherche-action partenariale
pour le développement durable
Le premier point remarquable concerne les attentes
du projet d’électrification rurale décentralisée au Maroc
(ERD). Dès le démarrage, les objectifs initiaux du
projet étaient extrêmement ambitieux et correspondaient
à une réelle volonté de prendre en compte les
différentes dimensions du développement durable.
Dans l’esprit de ses promoteurs, il s’agissait de proposer
une solution technologique d’électrification d’un
micro-réseau décentralisé prenant en compte le souci
d’intégrer des préoccupations environnementales
(traitant ainsi de la question du réchauffement climatique
à travers la promotion d’énergie renouvelable)
et socio-économiques (en cherchant à lutter contre la
pauvreté en développant un modèle pour des populations
rurales isolées).
Ces postulats ont démontré au fur et à mesure de
l’avancée du projet leur pertinence et leur acuité.
Cette approche, lancée fin des années 90, reste aujourd’hui,
totalement d’actualité comme le souligne
un rapport récent: « actuellement, environ 1,5 milliard
d’habitants des pays en développement n’ont
pas accès à l’électricité et 3 milliards dépendent de
combustibles solides (biomasse, charbon) pour cuisiner
et se chauffer » (Legros et al. 2009).
Sur cette base, le projet s’est construit à la fois autour
du couple recherche / action, cherchant « à surmonter
la séparation entre une logique de connaissance et
une logique de l’action, que l’on avait toujours eu tendance
à présenter comme antagonistes» (Bolay et al.
1999), et d’une complémentarité entre une perspective
technique et une prise en compte des dimensions
sociales. Il s’est édifié sur une approche partenariale
qui a fait l’objet d’un important travail de définition
visant à prendre en compte les interactions entre différentes
disciplines et les cultures des différents intervenants.
Cette interdisciplinarité n’a pas seulement été vécue
comme un « croisement » scientifique mais également
comme une ouverture de la science sur le monde,
« sur les liens entre les différentes sciences et entre
la science et d’autres sphères de la société » (Darbellay
et Paulsen, 2008). Il a été ainsi permis d’articuler
l’action et la réflexion de nombreux acteurs (institutionnels
et techniques) qui ne partageaient initialement
pas tous les mêmes objectifs face aux enjeux
d’un partenariat basé sur le partage d’intérêts entre
une institution académique, l’EPFL, et une ONG marocaine,
Targa-Aide, la première maîtrisant plus spécifiquement
l’innovation technologique et la seconde
profitant de son enracinement dans la région pour ancrer
ces nouveaux équipements dans la société rurale
de la vallée de l’Ouneine.
C’est ainsi que sociologues, aménageurs, économistes,
techniciens, ingénieurs, n’ont cessé d’entrecroiser
leurs regards avec les habitants de la vallée de
l’Ouneine. Ils ont ainsi discuté et partagé leurs méthodes
pour parvenir à capter les éléments du terrain
et adapter au mieux l’implantation de la technologie
au contexte local.
Les forces du projet ERD
Comme nous l’avons énoncé, les intentions du projet
ERD étaient ambitieuses. D’une part, le projet interrogeait
par l’action les grandes sphères de notre monde
contemporain afin de mettre en œuvre une approche
77

78
intégrée : l’environnement, la technique, le social et
l’économique.
D’autre part, il l’était encore par quatre autres de ces
préceptes de départ dont certains ont fait l’objet de
chapitres spécifiques de cette publication :
> un projet de technologie appropriée :
L’implantation d’une nouvelle technologie dans le
milieu rural a été sans cesse négociée avec les habitants
de la vallée. Si l’on fait l’analyse rétrospective
du projet, il apparaît que trois étapes essentielles
ont balisé son parcours : la première correspondait
à la définition des besoins et à l’offre technologique
proposée aux habitants en tenant compte des paramètres
locaux ; la deuxième visait à la mise en place
de formations à la fois techniques (pour organiser un
transfert vers des agents locaux) mais aussi socioéconomiques
(pour favoriser une gestion appropriée
et appropriable par ses bénéficiaires ruraux) ; et la
dernière était une phase d’implantation et de mesure
d’impacts de la technologie.
Au cours du projet, le passage entre ces différentes
phases s’est fait selon un processus itératif : les promoteurs
du projet ont dû avancer en tâtonnant parfois,
analysant réussites, obstacles et échecs partiels
pour en saisir la cause, le sens et les répercussions,
de manière à garder la ligne et atteindre les objectifs
initiaux (Piveteau et Billaud, 1999).
> une mobilisation de la population :
La participation et l’action de la population locale ne
furent pas toujours aisées mais restent cependant un
des points positifs du projet. Si on se limite à considérer
ce seul objectif, le projet représentait déjà une
entreprise de très grande ampleur : il s’agissait en
effet de favoriser un changement social, environnemental
et économique dans une région géographiquement
marginalisée à la faveur d’une action collective
inclusive à l’égard de groupes sociaux prétérités.
Au cours du projet, cette participation a revêtu de
multiples formes qui ont permis de créer une véritable
dynamique collective dans la vallée de l’Ouneine : la
participation aux discussions s’est accompagnée d’une
participation physique aux travaux et d’une contribution
financière permettant aux habitants de s’approprier
leur nouveau système d’électrification et d’en
assurer la maintenance et la pérennité. La population,
en attente d’électricité, a accepté ces conditions et
s’est prêtée au jeu. Pour ce faire, il a fallu déployer
une méthodologie facilitant la compatibilité entre impératifs
techniques et sociaux. Ceci a encouragé la
participation de l’ensemble des couches de la population
(y compris des femmes) et a permis l’émergence
de nouveaux leaders issus de la jeune génération de
la vallée qui se sont investis dans la gestion de leur
territoire, la plupart des aînés étant expatriés dans les
grandes villes marocaines ou à l’étranger.
> une émulation locale :
Le projet ERD visait non seulement à proposer une
solution technologique répondant à un besoin, mais
également à promouvoir, sur un territoire spécifique,
une démarche de développement intégré. Il a ainsi
cherché à investir la dimension économique en favorisant
l’implantation « d’activités génératrices de revenus
(AGR) ». Leur objectif était de créer de nouveaux
emplois, tirant profit des avantages octroyés
par l’électrification des villages, ceci afin d’accroître le
niveau de revenus de la population.
L’installation du micro-réseau dans la vallée de l’Ouneine
et les actions collectives de développement
s’inscrivaient ainsi dans une perspective de prise en
charge de la vallée par ses résidents en renforçant
les dynamiques locales et les interactions avec les
territoires extérieurs (notamment par le soutien de
la diaspora à la résolution des problèmes internes de
développement de la vallée de l’Ouneine).
> la formation d’acteurs du développement et de
chercheurs :
Ce projet de recherche-action, mené par des universitaires
et des professionnels associatifs, a permis
la réalisation d’études permettant d’améliorer les
connaissances sur des sujets spécifiques (aussi bien
d’un point de vue technique que social), la participation
a des enseignements et de conférences visant à
promouvoir, valoriser et échanger largement sur les
approches, méthodes et outils retenus pour guider le
projet.
Pour les acteurs impliqués tout au long du projet,
cette méthodologie de valorisation et de réflexion a
notamment été l’occasion de développer une application
pragmatique du développement durable, testant
concrètement et expérimentant sur le terrain ses
différentes dimensions et ses applications tant techniques
que sociales.
Des articulations dans la durée
parfois difficiles à trouver
De manière plus opérationnelle, cette vision d’un projet
interdisciplinaire porté par les aspirations du développement
durable a souligné les éléments à affronter
et les obstacles à surmonter pour atteindre les résultats
escomptés. Nous en discernons ici quelques uns
en nous basant sur une analyse du projet dans sa

durée. Cette observation diachronique nous amène à
remettre en cause un certain nombre d’activités qui
était initialement projetées.
En effet, comme dans tout projet innovateur affrontant
la complexité d’un contexte géographique, sociale
et institutionnel en pleine mutation, tous les objectifs
assignés pour sa réussite pleine et entière n’ont pu
être totalement accomplis dans la durée prescrite ;
ils sont à inscrire dans un « processus » à plus long
terme, dans lequel le projet propulse une dynamique,
un cheminement à parcourir. Dans le meilleur des cas,
cette démarche se poursuivra après la fin officielle des
rapports de coopération entre partenaires institutionnels,
assumée et débattue par les propres acteurs
de la vallée de l’Ouneine. Dans une perspective plus
pessimiste, l’ONE imposant une infrastructure nationale
et des règles moins participatives, mais moins
onéreuses financièrement de connexion domiciliaire,
l’innovation risque de ne pas faire long feu au plan
technologique, mais subsistera comme expérimentation
de gestion communautaire d’un bien public villageois
et régional.
En effet, si l’action de Targa-Aide s’inscrit sur le long
terme, l’ONG étant présente dans la vallée depuis le
milieu des années 1980, sa collaboration avec l’EPFL
aurait dû peut-être s’inscrire plus fermement dans
une démarche projective. Au départ, le projet visait
à la création d’un micro-réseau technique. Au fur et
à mesure de l’avancée du projet, il s’est avéré qu’un
certain nombre d’éléments externe ont pris de plus
en plus d’importance, reléguant parfois au second
plan la dimension technologique. L’ONG Targa-Aide a
désormais tout en main pour poursuivre son action
de sensibilisation et d’animation rurale dans la vallée,
sachant les bases technologiques assises, elle peut se
concentrer sur les aspects sociaux, économiques et
communautaires permettant à cette région de décoller.
Le « renforcement institutionnel», annoncé dans le
cadre logique du projet comme un des résultats escomptés
n’a, par exemple, pas répondu à toutes les
attentes initiales.
Certes, les formations en gestion administratives et
financières des associations locales nouvellement
créées ont été porteuses d’un renouveau du leadership
dans la vallée. De nombreux jeunes s’y sont investis
et y ont acquis des nouvelles compétences. Ce renforcement
institutionnel étant conduit en parallèle à
des actions plus techniques, comme l’installation de
centrales, on peut émettre des doutes sur la viabilité
et la pérennité de ces nouvelles « collectivités » dont
les administrations officielles en place n’ont cessé de
remettre en cause la légitimité.
La Commune Rurale de l’Ouneine, par exemple, est
une institution qui au cours de la décennie de réalisation
du projet, s’est affirmée comme une institution
ayant un pouvoir d’action de plus en plus important
dans la vallée. Elle s’est notamment engagée dans le
processus d’électrification de la vallée par l’ONE (en participant
à son financement) afin d’accroître sa légitimité
et obtenir la reconnaissance des élus qui ont dû
affronter des scrutins électoraux en 2003 et en 2009.
Effectuée pour répondre aux besoins de l’ensemble
des habitants de la vallée, cette intervention peut
apparaître comme contrecarrant les actions du projet
ERD et les nouveaux modes de régulations (associations
villageoises) instaurés par l’ERD.
Un autre exemple illustrant cette situation se réfère
aux activités génératrices de revenus (AGR). Pour
atteindre cet objectif économique, les promoteurs du
projet ont travaillé avec les associations pour échafauder,
aux plans financier et technique, de tels projets.
Cette démarche n’a cependant pas abouti, car tous
les acteurs du projet consacraient encore leur énergie
à atteindre les objectifs techniques initiaux : faire
fonctionner le micro-réseau et assurer une gestion
durable de ces équipements. L’intégration des AGR
est donc intervenue trop tôt dans le calendrier général
du projet, multipliant des actions certes utiles, mais
prématurées, pour lesquelles tant les villageois que
les protagonistes n’avaient ni le temps ni les compétences
requises pour transformer cette généreuse
intention en un pilier de la durabilité économique du
projet, contribuant à rendre le projet plus complexe à
gérer et moins facilement compréhensible.
Ceci interroge directement la démarche de rechercheaction
basée sur une interface constante entre les
deux dimensions du projet, technologique et sociétale.
Si le projet a cherché à développer à la fois une
approche technologique intégrée tout en réalisant une
application locale et une valorisation de ce travail par
le biais de publications (aussi bien au Maroc qu’en
Suisse et par le biais de conférences internationales),
il semble que l’articulation temporelle entre recherche
et action n’ait pas toujours fonctionné.
L’action a, la plupart du temps, largement supplanté
la recherche pour permettre de répondre aux écueils
rencontrés sur le terrain. Les questions de recherche
initiales ont souvent été reléguées au second plan
sans offrir de cadre intellectuel pour répondre aux
enjeux locaux soulevés par la population lors de la
phase finale. Il n’a ainsi pas été possible de mener
79

80
des enquêtes sur le terrain alors que le comportement
de la population a grandement varié au cours du projet
: l’engouement initial a fait parfois place à de la
défiance rendant impossibles la mise en œuvre des
méthodologies d’enquêtes et de recherche de terrain.
Il était ainsi nécessaire de rassurer la population et
de dialoguer avec elle afin de poursuivre l’installation
des équipements techniques, la recherche étant de
fait reléguée au second plan.
Une articulation des échelles à
mieux maîtriser
Le projet n’a pas su ou pu intégrer, aux plans spatial
et temporel, les changements qui ont affecté sa mise
en œuvre.
Au niveau spatial, le projet ERD avait placé ses objectifs
à différentes échelles d’intervention :
> au niveau local, dans le cadre d’une dynamique inter-acteurs
spécifique au contexte de la vallée de
l’Ouneine ;
> au niveau international par les échanges d’expériences
et d’apprentissages conjoints entre les
équipes suisse et marocaine ;
> au niveau global, en qualité de projet bilatéral régi
par des objectifs communs, des méthodologies partagées
et un cadre conventionnel formalisé avec le
bailleur de fonds suisse, visant à servir d’exemples
pour de futures réplications de tels projets énergétiques
dans des contextes socio-territoriaux comparables.
Si la valorisation globale du projet a été soutenue par
le biais de différentes publications, le passage d’une
échelle locale à une échelle internationale, dans le
respect des différences et le transfert des leçons apprises,
s’est avéré difficile. Le terrain local a toujours
pris le dessus, objet de toutes les attentions, tant de
la part de l’ONG marocaine, cherchant à réduire les
tensions et à concilier les groupements villageois, que
de la part des représentants de l’EPFL, se parant des
habits de la diplomatie pour défendre le projet face à
des autorités nationales souvent fuyantes.
Au niveau local, l’action en matière d’électrification
concerne et engage d’autres espaces de régulation
que la vallée de l’Ouneine. Si le choix du projet a été
de prendre en compte au maximum la dimension locale
(participation de la population, technologie appropriée),
la dimension institutionnelle, nationale et
locale, a parfois été sous-estimée, posant la question
de l’intégration de l’opérateur national dans la démarche
entreprise pour électrifier la vallée.
Progressivement, le projet a été rattrapé par l’Office
National d’Electricité (ONE) et la Commune Rurale de
l’Ouneine qui ont œuvré pour l’installation du réseau
national dans la vallée, alors que ces institutions s’intéressaient
peu à ce territoire au démarrage du projet.
La réussite du projet, dans un premier temps, a
rapidement révélé sa fragilité. Des populations rurales
marginalisées sont apparues aux administrations régionales
et nationales sous un autre jour, comme des
citoyens actifs et des usagers potentiels, des clients
prêts à payer leur facture d’électricité. Dit d’une autre
manière, le projet n’a pas su faire preuve de souplesse
et de flexibilité, attaché à ses engagements premiers,
et se voyant totalement désemparé dans ses finalités
lors de la décision prise par l’ONE en 2003 d’électrifier
la vallée de l’Ouneine sans nullement tenir compte du
projet d’électrification rurale décentralisé.
A ceci s’ajoute l’intérêt nouveau de programmes d’envergure
national (Initiative Nationale pour le Développement
Humain, programme de développement rural
de la Banque mondiale notamment) qui ont pris la vallée
de l’Ouneine comme cadre d’opérations. Les promoteurs,
Targa-Aide et EPFL réunis, n’ont pas réussi
à intégrer ce projet spécifique comme cas exemplaire
apportant une valeur ajoutée à ces initiatives internationales
promouvant le développement durable en alliant
à la réflexion globale et l’action locale, une vision
prospective pour ce territoire rural longtemps laissé
pour compte.
Au lieu d’associer, de tisser des liens, la surcharge
d’activités et la complexité des relations entre l’innovation
technique et le développement de la société
locale ont entraîné les acteurs du projet à enfermer
le projet sur lui-même, sans véritable ouverture aux
autres changements dans la vallée, sans capacité à
se remettre en question pour mieux s’adapter à une
réalité mouvante, s’interdisant ainsi toute évolution
du modèle initial.
Au niveau du partenariat et des échanges d’expériences
et d’apprentissages commun entre les équipes
suisses et marocaines, il y a lieu de se pencher sur la
démarche Nord-Sud et son évolution dans la durée.
Comme nous l’avons souligné, lors de la phase préparatoire
un travail important a été mené pour bâtir un
partenariat qui ait du sens, permettant à chacun des
partenaires d’exprimer ses attentes et ses besoins. Au
fur et à mesure de l’avancée du projet, on constate
que ce cadre définissant les relations entre les partenaires
n’a guère évolué, alors qu’il aurait dû être
plus perméable aux nouvelles préoccupations des

communautés locales, comme aux nouvelles dynamiques
nées de l’intervention des acteurs étatiques
et internationaux. Le dialogue entre les partenaires
est certainement resté trop figé sur « l’objet » (le micro-réseau),
perdant un peu de vue, qu’au-delà de ce
geste technologique, de grande valeur au demeurant,
c’est au processus de transformation environnementale,
sociale et économique qu’il fallait être sensible.
procédure de recherche-action, le processus s’est largement
focalisé autour de l’acte technique, regroupant
autours des travaux matériels et concrets d’électrification
les autres dimensions sociales, culturelles
et économiques du projet comme autant de mesures
d’accompagnement, alors qu’elles étaient « l’âme »
du projet, sa meilleure assurance de pérennité, sa garantie
d’une véritable appropriation par les usagers.
En effet, le partenariat est une construction dynamique
d’intérêts partagés. De sa conception à sa mise
en œuvre, cette collaboration doit être vivante, sans
cesse repensée et renégociée pour permettre aux
uns et aux autres de le faire évoluer pour intégrer les
changements auxquels chacune des structures doit
faire face. Les dernières années se sont progressivement
construites sur un mode de confrontations répétées
et d’éloignement, chaque partenaire reprenant
identité à partir de sa propre assise institutionnelle,
de son histoire, en lieu et place de se reconstruire à
l’aune de l’avancement du projet.
Une fois encore, l’erreur a été de gérer de façon technique,
voire technocratique, un projet technologique,
en lieu et place de faire vivre le partenariat dans une
redéfinition périodique des intérêts conjoints, positionnant,
comme nous en étions convenus au plan
théorique, la technologie comme un levier pour un
développement durable de l’ensemble d’une société
rurale.
Aujourd’hui, avec la remise en ordre imposée par
l’ONE, ils ont pu profiter d’exonérations du raccordement
au réseau ONE et être gestionnaire, par l’intermédiaire
d’une société privé de gestion, des installations
du micro-réseau dont l’électricité sera revendue
à l’ONE.
Cependant, d’un autre côté, ils sont devenu des
clients de l’ONE, à égalité de traitement avec les
autres citoyens consommateurs du Maroc ; l’EPFL se
retire dans ses laboratoires suisses, et l’ONG Targa-
Aide continue d’apporter un appui dans la structuration
socio-institutionnelle de la nouvelle organisation
en charge de la gestion du micro-réseau… Le lien est
rompu entre les acteurs du projet et se recompose
progressivement dans un nouveau cadre. La confiance
mutuelle et l’implication de chacun des partenaires
dans une réflexion globale autour des problématiques
non seulement techniques mais aussi sociétales, intéressant
les deux équipes qui ont alimenté le travail
conjoint s’est estompée au cours du temps.
81
Pour pallier à ces manquements, le projet aurait certainement
dû se doter d’outils véritablement « paritaires
» (comité de pilotage, convention de partenariat,
gestion financière paritaire). Ce qui aurait
supposé des procédures négociées et acceptées de
tous (du bailleur de fonds aux associations de bénéficiaires)
permettant périodiquement une réévaluation
des termes de l’accord initial, une redéfinition consensuelle
des objectifs à atteindre dans le contexte propre
à la vallée et au Maroc.
Ce rephasage périodique aurait, au départ, peut-être
engendré quelques incompréhensions de la part de
certains habitants de la vallée. Il aurait eu comme
double avantage :
1) de rendre le processus en cours plus vivant et plus
sensible aux changements contextuels ;
2) d’engendrer une dynamique plus consensuelle
entre partenaires internes et externes au projet,
garante, à terme, d’effets plus durables de l’action
entreprise.
Or, on s’aperçoit que, déconnecté de temps de réflexion
programmés comme part intégrante d’une
Pour la mise en œuvre d’un projet, une formalisation
plus rigoureuse d’une planification multidimensionnelle
à moyen et long termes aurait plus propice à
consolider un partenariat plus effectif, plus efficace et
plus opérationnel dans la gestion du projet, en l’ouvrant
à une collaboration institutionnelle véritable.
1.1 Des dispositifs à perfectionner
Initié dans le cadre d’un programme de recherche
international entre partenaires scientifiques et techniques
suisses et marocains, pour une durée limitée
à trois années, le projet a pu, grâce à ses qualités
premières et à l’enthousiasme de ses responsables,
être poursuivi par l’apport supplémentaire de financements
de la coopération suisse (DDC) pour trois
périodes complémentaires successives, totalisant 10
années de travail technique et social.
A chaque étape, des retards ont été constatés, résultant
pour la plupart de facteurs exogènes aux propres
acteurs du projet (lenteurs administratives, changements
de politiques, etc.), sans que l’on n’apprenne
à intégrer ses impondérables indépendants de notre
volonté dans la planification des tâches à venir, don-

82
nant continuellement l’impression d’être en retard
sur la programmation prévue. Poursuivant les objectifs
initiaux du projet, sans les remettre en question
périodiquement, les promoteurs du projet ont ainsi
vu les charges augmenter, la complexité de la mise
en œuvre s’accentuer, et des tensions naître lorsqu’il
s’est agi de remédier aux situations critiques, aux
crises répétées, manquant l’occasion d’organiser des
réunions prévisionnelles de bilan et de prospective,
répétées chaque année ou chaque semestre, afin de
faire le point de manière conjointe sur les acquis du
projet, les avancées réelles, les obstacles rencontrés
et les solutions à trouver pour y remédier.
Il apparaît ainsi que le dispositif de prise de décisions
du projet ERD n’a pas été clairement établi. Voulant
coller à une réalité terrain sans cesse mouvante, le
projet s’est heurté à la difficulté de pouvoir adopter
rapidement des solutions communes aux problèmes
auxquels il était confronté. La diversité des intervenants,
au Nord comme au Sud, et les divergences
entre les habitants des différents douars ont entraîné
une confusion dans la gestion des informations et des
hésitations dans les prises de décision. Pour pallier
à ces difficultés, il aurait été important de mettre en
œuvre des dispositifs de pilotage du projet plus précis
permettant d’articuler et de coordonner le rôle et les
tâches de chacun des acteurs.
Derrière cette grave question de la gestion de projet
et de prises de décision, se cache celle, plus subtile,
de l’identité des promoteurs et de leurs intérêts dans
un tel projet, initialement conçu dans une perspective
hautement scientifique, achevé bon an mal an,
par une stricte opération technicienne de deux turbines
produisant une énergie hydro-électrique dans
une vallée qui est désormais reliée au réseau national
et n’a objectivement plus besoin de cette alternative
communautaire.
Pour l’’EPFL, comme École formant des ingénieurs, ce
projet était une occasion d’adapter ses connaissances
et ses performances technologiques à un milieu défavorisé,
au plan énergétique comme au plan social.
Pour l’ONG marocaine, Targa-Aide et des partenaires
scientifiques de l’Institut agronomique et vétérinaire
de l’université Hassan II de Rabat, l’opportunité était
offerte de tirer avantage de sa longue présence dans
la vallée et de servir véritablement d’intermédiaire
entre les chercheurs, les habitants et les autorités
locales et nationales.
Avec le temps, d’autres acteurs sont intervenus :
l’ONE, dont on attendait simplement un aval administratif
qui se faisait attendre, a repris sa place d’opérateur
univoque du secteur électrique ; l’Ambassade
de Suisse, appelée à appuyer les négociations entre
partenaires, s’est investi pour jouer le rôle de pacificateur,
en concertation avec la DDC.
Alors qu’il n’était possible d’avoir gain de cause qu’ensemble
face à l’ampleur des changements souhaités
dans les modes de vie des populations réceptrices
du projet, l’EPFL et Targa-Aide ont trop souvent eux
« raison l’un contre l’autre », chacun sachant mieux
que l’autre ce qui était bon pour le projet, souhaitable
pour les populations, et adapté comme mode de
faire ; ceci face à une population de plus en plus divisée,
et de plus en plus méfiante du traitement qu’on
lui réservait. Une fois encore, ceci traduit le manque
de cohérence dans les prises de décision, et indirectement
l’incapacité des partenaires à assumer un
partage professionnel de leur engagement respectif,
qui aurait dû se traduire par un organigramme clair
précisant la répartition des responsabilités, les procédures
de prise de décision et la résolution des conflits.
A l’ombre de généreuses intentions partagées entre
tous, des intérêts par trop distincts ont éloigné ces
partenaires dans la mise en œuvre du projet, un discours
convenu sur le développement durable ne suffisant
pas à assurer la maîtrise d’un projet, très simple
dans sa technologie, mais immensément complexe
dans ses répercutions sociales et économiques.
Parallèlement, le dispositif de participation de la population
a également posé problème tant d’un point de
vue technique que d’un point de vue social.
En effet, sur le plan technique, nous avons souligné,
tout au long de ce document, la nécessité de
trouver un juste compromis entre des modifications
techniques liées aux demandes de la population et les
impératifs technique du projet. Il a ainsi été nécessaire
de passer par un processus de médiation visant
à ne pas laisser la démarche participative empiéter
sur la qualité technique des centrales construites par
le projet, au risque d’aboutir à un « bricolage » ne
répondant pas aux normes de sécurité attendues.
Parallèlement, les aspects de gestion et de participation
communautaire ont fait l’objet de discussions
avec la population qui se sont parfois avérées complexes
… et ont entraîné un décalage entre la notion
de durée très élastique des interlocuteurs de la vallée
et celui du projet, qui a dû sans cesse être remanié,
aboutissant ainsi à infléchir un certain nombre d’actions
initialement prévues. Là encore, on retrouve une
certaine naïveté des responsables suisses et marocains
en charge du projet qui n’ont pas su débusquer,
derrière la mythologie d’une gestion participative du
développement, les entrelacs qui tissent et divisent

une société rurale divisée entre tradition et modernité,
même si aujourd’hui nous pouvons tirer les leçons
de cette erreur.
Le projet, par sa technologie, ouvrait très franchement
la porte à la modernité. Il allait provoquer, c’était inévitable,
des remous au sein de cette société, dans ses
rapports de force, dans ses jeux de pouvoir, dans ses
conflits sociaux et politiques. Prôner la participation et
organiser des réunions périodiques n’étaient pas à la
hauteur des enjeux. Et la présence d’une ONG marocaine
implantée dans la région depuis de nombreuses
années aurait dû être la garantie que ces subtilités sociales
(voire politiques) allaient être prises en compte
et intégrer l’animation prévue dans la vallée. Ce ne fut
que rarement le cas, l’implication des deux initiateurs
du projet, EPFL et Targa-Aide, étant progressivement
assimilée à des opérateurs technocratiques, en totale
externalité avec les passions traversant les douars de
l’Ouneine, sans compréhension de leurs causes et de
leur impact, incapables de prévenir les mouvements
de révolte et de les éviter. En lieu et place d’habitants
bénéficiaires d’un projet d’électrification rurale,
telles que nous les étiquetions et que nous pensions
aider, c’est d’une société qu’il s’agissait, hiérarchisée,
en mutation, avec ses émigrés, avec ses apports externes,
en partie isolée, et que le monde moderne
voulait voir changer, opérateurs du projet d’un côté,
administration publique et institutions politiques de
l’autre. Même si les résultats du projet pouvaient être
largement favorables à l’émancipation des individus
les plus dynamiques de cette société rurale entredéchirée,
il était prévisible qu’ils étaient une source
immense de conflits (de redéfinition de société, voire
de civilisation). A cette évidence, personne n’était
préparé. Nous étions, de part et d’autre, chercheurs
suisses et collègues marocains, juste en mesure de
nous plaindre de tant d’ingratitude. Alors que nous
aurions dû, en professionnels du développement,
nous réjouir d’une réaction si vive, et donc si saine,
d’une société consciente des transformations que le
projet dessinait. Attentifs, nous aurions dû remettre
en temps voulu l’innovation technologique à sa juste
place, et ouvrir le projet aux défis réels qu’allaient
provoquer ce changement dans les modes de vie,
questionnant ces turbulences sociales et esquissant
des alternatives économiques et institutionnelles.
Pour conclure: des apprentissages
pour faire mieux ici et ailleurs
S’il y a lieu aujourd’hui d’interroger le projet à travers
le prisme de sa durabilité et de sa viabilité, le
projet ERD aura permis, pour les équipes impliquées,
de tirer des leçons de cette expérience. Il a cherché
à innover à la fois sur des aspects technologiques et
sociologiques même s’il s’est heurté à des difficultés
qui n’ont parfois pas pu être anticipées ou appréhendées
à leur juste mesure. Pour autant, l’intérêt de ce
travail était de faire ressortir les outils et méthodes
qu’il convient d’intégrer dans la pratique du développement
durable : « Le savant n’est pas l’homme qui
fournit les vraies réponses; c’est celui qui pose les
vraies questions » (Lévi-Strauss, 1964). La bonne
gouvernance, l’interdisciplinarité, l’approche participative,
la prise en compte des échelles temporelles et
spatiales sont autant de méthodes et d’outils qu’il est
nécessaire d’utiliser pour renforcer le développement
durable intégrant les dimensions fondamentales du
devenir de nos sociétés.
Tenant compte des acquis du projet, mais de ses aléas
aussi, nous nous permettons de tirer les leçons de
l’expérience accumulée au cours de ces 10 années de
coopération internationale entre partenaires marocains
et suisses, que nous regrouperons, dans un esprit
constructif, autour de quelques brèves réflexions
et recommandations, espérant ainsi faire naître une
émulation pour ce type particulier de coopération
au développement, mais également pour en assurer
l’impact sur le territoire et ses habitants et éviter de
répéter les erreurs commises par d’autres.
Un partenariat solide entre opérateurs
scientifiques et techniques : valeurs
partagée,
complémentarités
professionnelles et scientifiques, et
confiance mutuelle
Le projet d’électrification rurale dans la vallée de l’Ouneine
est né d’une responsabilité sociale de chercheurs
marocains et suisses tendant à traduire en activités
scientifiques et techniques ce souhait de percevoir
l’impact humain d’une transformation technologique
du territoire. Progressivement, au cours des années,
à l’aune du travail de terrain et grâce à l’expérience
accumulée par l’ONG Targa-aide, l’ambition, la complexité
et les énormes enjeux du projet sont apparus.
D’une certaine manière, le projet scientifique est devenu
un véritable projet de développement durable,
attaquant de front, par l’innovation technologique,
de brûlantes questions sociales, culturelles et économiques,
suscitant, sans le vouloir vraiment, tensions
au sein de la population et intrigues entre les villages
impliqués.
Au-delà des dysfonctionnements et des nombreuses
hésitations sur l’avancement du projet, il ne faut cependant
pas oublier qu’il n’eût simplement pas été
83

envisageable sans ce partenariat. D’une part parce
que cette collaboration fondait une complémentarité
indispensable entre les compétences technologiques
de l’EPFL et l’ingénierie sociale maîtrisée par Targa-
Aide (ainsi que, encore une fois, sa connaissance de
la vallée). D’autre part, cette alliance était le ferment
nécessaire pour le soutien financier obtenu de la coopération
suisse, et l’aval des autorités marocaines.
Elle était également la meilleure carte de visite face
aux politiques et aux responsables gouvernementaux
sans l’accord desquels rien ne pouvait être entrepris.
Au final, seule une telle configuration permettait de
débattre de manière franche et ouverte des options
choisies, mettant en évidence les convergences entre
acteurs tout comme les points de divergence et de
conflits.
par une recherche introduite dans une processus social
intégrateur, alliant recherche et action de développement.
C’est ce qui se fit avec enthousiasme dans le cadre
de ce projet, oubliant parfois les impératifs de la rigueur
scientifique pour s’engager corps et âme dans la
transformation de la vallée de l’Ouneine, mal peutêtre
nécessaire durant les premières années pour gagner
la confiance des habitants si longtemps délaissés
par les autorités et les institutions.
Une organisation institutionnelle souple
et de qualité: partage des responsabilités,
planification rigoureuse et un monitoring
en temps réel pour faciliter l’adaptation
au changement
84
Interdisciplinarité et transdisciplinarité,
des armes pour la compréhension du
réel et des instruments pour une mise en
œuvre de solutions adaptées
L’interdisciplinarité apparaît, dans la simplicité de sa
formulation, comme la réponse adaptée à tout projet
multidimensionnel comme l’a été le projet d’électrification
rurale au Maroc. Elle représente, cependant,
dans le monde du développement, et plus encore au
sein des institutions académiques, une innovation
dont la pertinence n’est pas encore reconnue de tous.
Si la plupart des scientifiques admettent sa nécessité,
la culture académique encourage de plus en plus la
performance de pointe dans des domaines toujours
plus aigus, oubliant parfois qu’hors des laboratoires,
le transfert de technologies implique de s’adapter à
un milieu, tant social qu’économique. L’interdisciplinarité
exige donc une volonté stratégique de travailler
de manière à embrasser la globalité des problèmes
observés. Elle nécessite la définition de méthodes et
de procédures appropriées de façon à ce que nous
n’alignions pas une simple addition de connaissances
distinctes, mais que l’on vise réellement à définir et
mettre en œuvre des complémentarités dans l’analyse
et le diagnostic comme dans l’esquisse de solutions,
tant sur le plan technique que social. Cette
vision holistique demeure véritablement la seule en
mesure de profiler des transformations durables au
profit de l’ensemble de la société.
Cela passe par la transdisciplinarité, dans toutes les
acceptations du terme, à la fois sur le plan scientifique,
cherchant une nouvelle unité de connaissance
« entre et à travers les disciplines et au-delà de toute
discipline » (Nicolescu, 1996), et sur le plan sociétal
(Hirsh Hadorn et al, 2006), complétant le paradigme
Face à la complexité d’un processus de développement
tant territorial que social et économique, l’unique voie
pour avancer est de s’appuyer sur une organisation
exemplaire dans la conception et la gestion du projet,
à la fois en termes d’objectifs, de résultats à atteindre,
de répartition des ressources financières et
humaines disponibles.
Tout projet, qu’il soit scientifique, ou strictement de
développement appliqué, doit pouvoir être analysé à
partir de critères retenus usuellement pour en permettre
le suivi et l’évaluation, insistant avant tout : sur
la pertinence du projet, en termes de problématique
prioritaire pour le pays et d’actions à entreprendre ;
l’efficience dans l’utilisation des moyens et du temps
disponible ; l’efficacité, visant à optimiser les ressources
en jeu ; la viabilité des opérations, au-delà
des échéances fixées formellement pour la mise en
œuvre ; les impacts réels sur l’environnement naturel
et économique de la région ; et son appropriation par
les acteurs impliqués, tant du point de vue institutionnel
que sur le plan local et associatif (Bolay, 2006).
Ces règles de bonne gestion et de gouvernance ouverte
et dynamique, si elles ont certainement été
émises à l’initialisation du processus de coopération
entre le Maroc et la Suisse, ont progressivement été
oubliées, pour de multiples raisons très fréquemment
rencontrées dans des projets de collaboration internationale
:
> les difficultés rencontrées dans l’opérationnel et
l’urgence à y faire face ont entraîné les promoteurs
du projet à se concentrer sur ces aspects très
concrets ;
> les lenteurs administratives et les réticences des
hypothétiques bénéficiaires ont amené les responsables
à poursuivre coûte que coûte le projet,

sans s’autoriser à en interroger les finalités dans un
contexte changeant ;
> l’absence de contrôle externe et de procédures
d’auto-évaluation périodique ont permis aux chercheurs
et techniciens d’échapper à l’obligation de
telles révisions, se contentant de formaliser les acquis
obtenus, projetant toujours plus loin dans le
futur les résultats escomptés.
Le changement de politique de l’ONE à l’égard de la
vallée de l’Ouneine par la décision de relier cette région
isolée au réseau national a représenté l’estocade
finale aux partenaires suisses et marocains, incapables
de réviser de fonds en comble les objectifs initiaux,
poursuivant l’installation d’équipements désormais
sans priorité, délaissant les initiatives sociales
et économiques au profit des population, vidant en
grande partie de sens le projet, réduit à une stricte
opération technique. Il a correspondu également au
retour de la Commune Rurale comme interlocuteur
important et légitime dans la vallée.
Une stratégie d’intégration sociale des
communautés et de dialogue réel à l’égard
des institutions locales, nationales et
internationales appuyant le projet
L’éternelle question du développement, répétée à
l’envie au cours des années et sur tous les continents,
porte sur les bienfaits réels des projets réalisés et
leur appropriation par les habitants et leurs structures
représentatives, qu’elles soient traditionnelles, communautaires,
associatives, ou plus institutionnalisées,
aux plans local et régional. Une telle stratégie d’intégration
des bénéficiaires et de remise des ouvrages
sous leur responsabilité est censée assurer, sur le long
terme, à la fois la participation sociale à l’animation
des infrastructures et des équipements réalisés ainsi
que leur bonne gestion et maintenance.
Mais l’on sait que dans tous les pays en développement,
les projets de coopération, quelles que soient
leurs intentions, sont également des éléments provocateurs
de changements. Ces derniers sont souvent
positifs dans leurs efforts d’amélioration des conditions
de vie mais peuvent parfois être négatifs en
remettant en question les structures communautaires
d’organisation, les relations sociales, voire même les
hiérarchies réelles ou symboliques, pouvant générer
tensions, troubles et conflits. Une gouvernance maîtrisée
de la complexité est donc indispensable : elle
doit être construite progressivement en prenant en
compte les spécificités locales comme nous avons essayé
de le faire dans le projet ERD.
Le projet d’électrification rurale de la vallée de l’Ouneine
a été particulièrement attentif au cours des
premières années à intégrer de la meilleure manière
les acteurs locaux (Schmid et Dos Ghali, 2004), à la
fois dans la prise en considération de leurs conditions
territoriales d’habitat, par l’adoption d’une méthodologie
adaptée aux réalités du terrain, leur implication
dans l’implantation du projet, la prise en charge d’une
partie des coûts d’investissement, tout comme par la
formation de responsables communautaires et leur
responsabilisation dans l’appropriation des nouveaux
équipements électriques. Sans parler des mesures
complémentaires devant apporter, à partir de l’utilisation
de cette nouvelle source d’énergie, une valeur
ajoutée économique aux activités et revenus familiaux.
Là encore, les choses ont largement évolué avec le
temps. Les retards dans les prises de décision des
administrations de tutelle, leur traduction sur le terrain,
méfiance naissante parmi certains usagers de la
vallée, conflits de pouvoir et tension entre les promoteurs
du projet ont malheureusement fait évoluer le
projet vers des perspectives de plus en plus réduites
à la seule composante technique, renvoyant chaque
partenaire marocain et suisse à sa propre logique institutionnelle,
retour à la recherche académique pour
l’EPFL, recherche de nouveaux contrats assurant la
survie économique de l’ONG.
Si tout le monde s’accorde à reconnaître une force
constructive au dialogue entre partenaires d’un projet,
l’on sait aussi que de telles collaborations internes
et externes, sans véritables cadres de concertation
dûment formalisé et avalisé par l’ensemble des acteurs,
risquent de sombrer dans d’inutiles luttes d’influence
et de pouvoir, préjudiciables tant aux bénéficiaires
directs de projets de développement qu’à leurs
initiateurs. Le projet d’électrification rurale, connu désormais
au plan international par une communication
de qualité à son sujet, n’a pas totalement échappé à
ces égarements.
Une politique constante d’ouverture
et d’information à l’égard du public en
général et des spécialistes intéressés à
répliquer l’expérience dans des contextes
similaires
Le travail scientifique n’a de valeur que lorsqu’il est
diffusé, capital de connaissance mis à disposition des
pairs et du public en général. D’objet produit de la
recherche, il devient sujet de débats, de discussion,
85

pierre angulaire dans l’édification de nouveaux savoirs,
d’innovations, de futures inventions. Le projet
de développement vise d’autres objectifs, plus appliqués,
plus immédiats, d’abord centré sur la résolution
de problèmes auxquels se confrontent populations et
autorités des sociétés moins privilégiées de la planète.
Encourager une « coopération scientifique pour
le développement » tend à faire émerger une logique
nouvelle à partir de laquelle la rigueur de l’analyse
scientifique se confronte à l’urgence de réformes de
fonds dans la structure du monde et dans la répartition
des richesses, par une gouvernance plus démocratique
et inclusive. Cette rencontre d’un nouveau
type oblige les uns et les autres à faire preuve de souplesse,
d’inventivité et de conviction dans un changement
en faveur d’un développement plus durable.
Une fois encore, cette volonté d’échange, de partage
et d’engagement était la marque de fabrique du principal
animateur du projet, Jacques Dos Ghali, disparu
récemment. Nous lui en sommes tous grandement
redevables.
86
Mettre en évidence les forces et les faiblesses d’un
projet de longue durée, mis en œuvre à partir d’investissements
internationaux d’envergure par des
partenaires liés à une région fortement défavorisée,
n’a d’autre ambition que de permettre aux uns et
autres d’apprendre de l’expérience vécue. En ce sens,
une politique d’information et de communication est
une obligation à la fois morale et opérationnelle, à
l’égard de tous ceux qui ont pris part à l’aventure,
et encore plus envers les femmes et les hommes, au
Maroc comme ailleurs, qui cherchent à entreprendre
de semblables expériences, tirant profit des succès
cumulés au cours des années, évitant les écueils face
auxquels le projet d’électrification rurale dans la vallée
de l’Ouneine s’est parfois opposé.
Au cours des trois dernières années, une volonté
partagée entre tous nous à amener à définir clairement
une stratégie de valorisation du projet : recherche
documentaire, systématisation des informations
recueillies, séminaires de réflexion, publications
d’articles, communication lors de réunions internationales.
Mission peu habituelle pour le monde du
développement, et donc innovatrice, elle étend les
ambitions du projet au-delà de ses réalisations, le traduisant
en termes de « gestion des connaissances »
et de « transfert des technologies ». La mission est
accomplie, non sans mal, l’inquiétude de révéler certaines
difficultés prévalant parfois sur une dynamique
de partage et d’ouverture.
Mais les réticences se sont progressivement éteintes,
et ce document est un point final, la synthèse de ce
qu’il est aujourd’hui possible de dire sur le projet,
mélange de données factuelles, d’analyses objectives
et d’interprétations plus subjectives, offrant dans sa
diversité un miroir des facettes d’un projet de longue
haleine dont on peut désormais être fier de s’inspirer.

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