Magazine_UC_N_3_juillet 2014
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Nos étudiants s’expriment<br />
au bout de la Nuit » examine une société africaine coloniale,<br />
critique le racisme ou s’indigne de la médecine de<br />
banlieue ; l’essence de l’œuvre est ailleurs. L’art n’est ni<br />
un appel au progrès ni un manifeste pour la démocratie.<br />
Citons en ce sens des génies littéraires ayant dédié<br />
leur œuvre à la défense de la monarchie : Balzac, Jules<br />
Barbey d’Aurevilly dont les nouvelles sont des joyaux<br />
de la littérature du XIXème, Chateaubriand, défenseur<br />
acharné de la royauté et de la superstition catholique<br />
et légitimiste. Dire que l’écrivain n’est pas engagé c’est<br />
refuser la prétention de<br />
l’auteur à être un prêtre.<br />
L’écrivain ne guide pas,<br />
il enchante. La littérature<br />
fait respirer, cela<br />
veut dire qu’elle est un<br />
refuge de la société et<br />
sa politique. Respirer<br />
n’est pas un but, mais<br />
le préalable à l’invention<br />
de toute fin. C’est<br />
par la littérature que<br />
l’homme accomplit<br />
son humanité et peut<br />
en tant qu’homme être<br />
enfin. Barthes montre<br />
que l’homme sans littérature<br />
peut fonctionner, mais comme cadavre, comme<br />
robot, comme machine : c’est-à-dire sans dignité, sans<br />
magie, sans souffle, bref, sans vie. La littérature ne sert<br />
donc pas la vie, elle est la vie.<br />
Trouver la fonction de la littérature dans la respiration<br />
plutôt que la marche reste une attribution d’un rôle pour<br />
celle-ci en-dehors d’elle-même. On peut cependant<br />
penser que la recherche d’un but à la littérature soit un<br />
péché originel de la critique littéraire. Pourquoi chercher<br />
une fonction à la littérature dans la société ou dans<br />
l’homme ? La littérature n’a d’autre but qu’elle-même,<br />
elle est sa propre finalité. La littérature, par son histoire,<br />
par son essence, vaut pour elle-même et n’a besoin ni<br />
de la politique ni de la psychologie pour être pleinement<br />
ce qu’elle est. Contre la figure de Sartre, invoquons celle<br />
de Nabokov et de Jorge Luis Borgès. Vladimir Nabokov,<br />
qui résume Sartre à un « journaliste français » dénonce<br />
en lui et Camus des creux moralistes, alors que la littérature<br />
existe pour transcender la morale.<br />
Pour Nabokov, la littérature est pur plaisir et création<br />
d’un monde. Sa personnalité légère et hautement insaisissable<br />
s’oppose aux lourds engagements des prêtres<br />
du siècle. La littérature est beauté, elle ne peut donc appartenir<br />
aux masses, vecteurs et incarnation de la vulgarité.<br />
La littérature engagée n’est ainsi vue par Nabokov<br />
que comme un conformisme : par ses prétentions<br />
idéologiques, elle est<br />
prisonnière du jeu politique<br />
et des valeurs<br />
d’une époque et laisse<br />
passer la beauté éternelle<br />
de l’art au second<br />
plan. Il dit même que<br />
“l’imagination n’est fertile<br />
que si elle est futile”.<br />
Quelles œuvres<br />
permettent-elles de<br />
respirer ? Tout simplement,<br />
celles qui ont une<br />
valeur artistique. C’est<br />
la bonne littérature qui<br />
permet de respirer. L’art<br />
ne cherche pas à révéler<br />
une vérité pour une<br />
masse : il veut en inventer une pour une élite qui y soit<br />
sensible. C’est un luxe essentiel. La littérature n’est ni<br />
histoire, ni politique, ni lutte des classes, ni inconscient<br />
freudien, la littérature est style.<br />
« Qu’est-ce que la littérature ? », se demandait Sartre.<br />
Au-delà des réponses toutes faites et des querelles universitaires,<br />
il faut avouer que certaines œuvres ont su<br />
dépasser les dualismes et ont uni beauté pure et critique<br />
sociale. Si le monde est laideur, que la littérature ne soit<br />
rien que de l’esthétique ne signifie-t-il pas de fait sa portée<br />
polémique ? Et si le détachement de la politique était<br />
une forme supérieure d’engagement, la figure du dandy,<br />
désengagé par excellence, incarne-t-elle une posture<br />
révolutionnaire ?<br />
Khalil Laabidi<br />
Etudiant en 1 ère année langue française<br />
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