Revue Terra Nullius - Numéro pilote
Pierre angulaire de la revue Terra Nullius.
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arrières. Il en est qui voyagent pour coloniser, d’autres pour vivre, et que sont les fusils et les<br />
barbelés Toutes les mers du monde, même ! La métropole a trop longtemps brillé sur un empire<br />
affamé. Elle a fait des routes qui conduisent à son cœur embourbé et, aujourd’hui qu’elle est<br />
pénétrée par le reste de la planète, elle roule de grosses larmes de crocodile. Elle appartient à tous<br />
ceux qui ont emprunté ses pistes, dans un sens ou dans l’autre. En prenant des terres, la France a<br />
donné les siennes.<br />
Elle a porté la civilisation comme on fait un malheur. Au compteur du taxi, c’est dix-sept<br />
euros la course. Ça fait cher le mouvement. Dehors on prend l’air, celui du boulevard Ornano qui<br />
court au nord. On zigzague entre les bagnoles, on manque de se faire casser la tête par le<br />
rétroviseur d’un grand bus vert et blanc. Autour de la petite ceinture des métastases : un bar<br />
branché… Un lieu alternatif… Un jardin collectif… Du socialisme chic et bourgeois… La<br />
révolution par le cool… On n’a pas su trouver le Peuple ; nos mains d’écrivains se sont refermées<br />
sur rien. Des Blancs comme moi sont montés jusque-là pour respirer l’air du faubourg. Ça pue…<br />
En rampant elle a débarqué la vermine des classes moyennes – gentrification éclair, flambée des<br />
prix de l’immobilier. Allez, en banlieue la merde, au large les pauvres. Hop ! On balance nos<br />
ordures par-dessus le périph.<br />
Un peu plus loin sur le carrefour on a tué Mesrine. Un camion, quelques flics : ta-ta-ta-ta ! On se<br />
méfie maintenant, on a peur des moteurs, on veut des plantes et des parcs. On s’y fout sous la<br />
terre, on communie dans le déplacement – la migration pendulaire. Tous les jours j’entends les<br />
grincements du métal contre le métal… Dans le wagon les dents se touchent et s’éreintent ; c’est<br />
la chorégraphie des myoclonies. Le soir j’ai les mains pleines de ces bactéries qu’on dépose sur les<br />
barres des transports en commun. Pendant que le métro perfore la terre en suivant son fil, les<br />
visages autour de moi se balancent au-dessus de corps maigres qui pleurent le soleil. Sous les<br />
palais de la République, plus bas que la plus profonde des caves des palaces parisiens, vont les<br />
bestiaux, les calories du monde post-contemporain. La Terre entière est couverte d’humanité,<br />
étatisée jusqu’à la croûte.<br />
En surface ça s’agite, ça grouille et ça braille. On lève les bras à défaut de s’en servir, on fait<br />
voleter sa cravate dans l’atmosphère odieuse des couloirs du pouvoir. De Dunkerque à Perpignan<br />
on vit ainsi, possédé, engoncé dans des vêtements qui font la fonction, dans la fonction qui fait la<br />
femme ou l’homme. Jusqu’au fond de l’âme on est utilisé, employé, aux ordres de. On voudrait<br />
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