Le harcèlement psychologique entre MDs - Santé inc.
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EN COUVERTURE<br />
LE HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE ENTRE MÉDECINS<br />
PAR PAUL THERRIEN<br />
PAUL.THERRIEN@GMAIL.COM<br />
SUITE DE LA SAGA DE<br />
BLANC-SABLON<br />
La saga du C<strong>entre</strong> de santé de la Basse-<br />
Côte-Nord n'a pas fini de faire les<br />
manchettes. Presque trois ans après les<br />
événements du printemps 2007, où le Dr<br />
Paul-Aimé Joncas a eu des démêlés majeurs<br />
avec ses collègues, résultant en leur<br />
départ de la région, cinq d'<strong>entre</strong> eux<br />
ayant travaillé à Blanc-Sablon ont déposé<br />
une poursuite de 2,75 millions de dollars<br />
contre le gouvernement du Québec. <strong>Le</strong>s<br />
plaignants soutiennent avoir été victimes<br />
de harcèlement <strong>psychologique</strong> et reprochent<br />
au gouvernement de n'avoir rien<br />
fait pour les défendre. Entre-temps, le Dr<br />
Joncas n'a jamais été sanctionné, et il a<br />
négocié avec le ministère de la Santé de<br />
généreuses conditions de travail afin qu’il<br />
quitte temporairement le c<strong>entre</strong> hospitalier.<br />
<strong>Le</strong> Dr Joncas soutient notamment,<br />
pour sa part, que les médecins plaignants<br />
au cœur de la présente requête<br />
voulaient changer systématiquement, au<br />
cours des années, les personnes en poste<br />
d'autorité au c<strong>entre</strong> hospitalier, dont lui,<br />
avec ce qu'il qualifie de fausses allégations<br />
de harcèlement <strong>psychologique</strong>.<br />
<strong>Le</strong>s informations ici publiées proviennent<br />
en majorité de la requête légale<br />
déposée en cour, ainsi que des <strong>entre</strong>vues<br />
que les médecins au c<strong>entre</strong> de la<br />
tempête et le Dr Joncas nous ont accordées.<br />
Par conséquent, elles n’ont<br />
pas encore été prouvées devant un tribunal,<br />
mais nous suivrons avec intérêt<br />
la suite des événements et rapporterons<br />
le tout en ces pages.<br />
Au moment des événements médiatisés<br />
de Blanc-Sablon au printemps 2007, Stéfan<br />
Marchand occupait le poste de commissaire<br />
aux plaintes au C<strong>entre</strong> de santé<br />
et des services sociaux de la Basse-Côte-<br />
Nord. «Dès que je suis arrivé, j'avais 34<br />
plaintes sur mon bureau concernant le<br />
comportement du Dr Paul-Aimé Joncas,<br />
dit-il. Il y avait un grand <strong>inc</strong>onfort d'avoir<br />
un collègue visé par autant de plaintes.<br />
Avec le temps, 16 d'<strong>entre</strong> elles ont été retirées.<br />
Un médecin examinateur indépendant<br />
a été mandaté pour traiter les 18 qui<br />
restaient.» <strong>Le</strong>s reproches venaient, selon<br />
M. Marchand, de travailleurs sociaux,<br />
d'infirmières, de patients, de médecins et<br />
de gens travaillant à l'emploi du c<strong>entre</strong> de<br />
santé. Elles ont été examinées par le<br />
médecin examinateur externe qui a conclu<br />
qu'elles étaient fondées. Elle les a<br />
dirigées au Conseil des médecins, dentistes<br />
et pharmaciens (CMDP) pour la formation<br />
d'un comité de discipline, mais<br />
aucune action n'a été prise à l'encontre du<br />
Dr Joncas, qui réfute l'ensemble des accusations<br />
portées contre lui.<br />
Parmi les cinq personnes qui ont déposé<br />
la poursuite contre le gouvernement du<br />
Québec se trouvent deux médecins qui<br />
œuvraient au c<strong>entre</strong> de santé de Blanc-<br />
Sablon. <strong>Le</strong> Dre Hélène Perreault et le Dre<br />
Carole Laforest, omnipraticiennes, auraient<br />
subi, selon leurs dires, le plus<br />
d'abus de la part du Dr Joncas : «intimidation,<br />
menaces, dénigrements». Elles<br />
avaient déposé des plaintes en espérant<br />
assainir le milieu de travail, mais à la<br />
place, selon elles, on a fini par menacer<br />
leur intégrité physique et les chasser<br />
abruptement de leur demeure.<br />
<strong>Le</strong> Dre Laforest s'était établie à Blanc-<br />
Sablon en mai 2003. Elle y a été suivie par<br />
sa collègue, un an plus tard. Elles constatent<br />
les problèmes découlant directement<br />
du comportement du Dr Joncas. «Il était<br />
intimidant dès le début, mais les autres<br />
n'osaient pas le confronter, soutient le Dre<br />
Perreault. Il avait fait pleurer beaucoup de<br />
gens. Au village, [ses <strong>entre</strong>prises emploient]<br />
une bonne proportion de la population<br />
qui se rallie à lui. On ne pouvait pas<br />
répliquer.» <strong>Le</strong> climat de travail est aussitôt<br />
perturbé, affirment-elles sans ambages.<br />
La liste des accusations envers lui est<br />
longue : agissement déviant et inadéquat,<br />
harcèlement <strong>psychologique</strong>, dénigrement,<br />
intimidation. Toutes des plaintes sans<br />
fondement, réagit le Dr Joncas : «Je ne<br />
comprends pas d'où ça peut venir. Tout le<br />
monde m'aime ici et j'ai travaillé beaucoup<br />
d'années au c<strong>entre</strong> sans que l'on me<br />
reproche quoi que ce soit.» Or, les «pratiques<br />
et les problèmes de comportement<br />
du médecin omnipraticien étaient récurrents,<br />
prévisibles et connus, ayant fait l'objet<br />
de plaintes dans le passé, menant à sa<br />
démission temporaire», aux dires des demandeurs<br />
dans la requête. À tour de rôle,<br />
donc, les deux médecins ont dit avoir fait<br />
l'objet de comportements et de propos<br />
«dérangeants, intimidants, harcelants et<br />
agressifs» du Dr Joncas. En août 2006,<br />
les problèmes augmentent. <strong>Le</strong> Dr Joncas<br />
étant en poste d'autorité, il aurait<br />
véhiculé des informations «erronées et<br />
vexatoires» au sujet du Dre Perreault et<br />
avait suspendu «illégalement, sans motifs<br />
valables», selon la requête, ses privilèges<br />
au c<strong>entre</strong>. «C'était un moment où<br />
ça ne lui tentait pas de s'occuper des patients<br />
qu'elle avait à sa charge, alors je lui<br />
ai tout simplement dit d'aller chez elle»,<br />
justifie le Dr Joncas. Elle assure alors sa<br />
défense et demeure en poste.<br />
HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE OU<br />
PROFONDE INCOMPATIBILITÉ<br />
En novembre 2006, les demandeurs affirment<br />
que sans raison apparente valable,<br />
le Dr Joncas a averti les deux<br />
médecins qu'il allait surveiller étroitement<br />
leur pratique, vérifier leurs rapports et la<br />
qualité des traitements qu'elles donnent.<br />
«Je n'ai jamais dit ça, se défend le Dr<br />
Joncas. Oui, j'ai une personnalité forte,<br />
mais elles venaient plusieurs fois par jour<br />
dans mon bureau me demander conseil.<br />
Si elles n'aimaient pas les réponses, elles<br />
n'avaient qu'à ne pas venir me voir aussi<br />
souvent.» À partir de ce moment-là, le<br />
climat de travail s'est rapidement détérioré.<br />
<strong>Le</strong> Dr Joncas aurait intensifié ses<br />
menaces et son harcèlement <strong>psychologique</strong>,<br />
«rôdant indûment» autour<br />
du bureau du Dre Perreault, adoptant<br />
une «attitude menaçante et intimidante»<br />
à son égard, ce que conteste vivement le<br />
pr<strong>inc</strong>ipal intéressé.<br />
<strong>Le</strong> vase déborde au début du printemps<br />
2007. <strong>Le</strong> Dre Perreault dépose une mise<br />
en demeure contre le Dr Joncas afin de<br />
faire cesser son «harcèlement et son intimidation.»<br />
Il a déposé des plaintes contre<br />
le Dre Perreault à titre de représailles,<br />
mais celles-ci s'avéraient non recevables,<br />
selon le commissaire aux plaintes. En<br />
avril 2007, rien ne va plus. Un tract<br />
anonyme et diffamatoire à l'égard des<br />
deux médecins est distribué à la population<br />
de la Côte-Nord. À la fin du mois,<br />
une lettre est adressée au directeur<br />
général du c<strong>entre</strong>, ainsi qu'au président<br />
du conseil d'administration et au président<br />
du CMDP par quatre médecins<br />
dénonçant les problèmes de comportement<br />
«majeurs et extrêmes» du Dr Joncas,<br />
demandant une intervention urgente<br />
et immédiate des autorités du domaine<br />
de la santé. <strong>Le</strong> même jour, le président<br />
du CMDP suspend d'urgence les privilèges<br />
du Dr Joncas. «On demandait<br />
que le comportement cesse, que le harcèlement<br />
cesse, mais jamais sa démission,<br />
précise le Dre Perreault. C'était<br />
extrême. <strong>Le</strong>s patients souffraient, des étudiants,<br />
des infirmières venaient pleurer<br />
dans mon bureau. Ce n'était pas une simple<br />
chicane <strong>entre</strong> médecins; des gros<br />
ego, je suis habituée, mais il s'agissait là<br />
d'un vrai problème de comportement.»<br />
<strong>Le</strong> lendemain, le directeur général du c<strong>entre</strong><br />
et le président du CMPD tentent d'informer<br />
le Dr Joncas de la suspension de<br />
ses privilèges, mais celui-ci refuse de<br />
prendre les documents qui lui sont remis<br />
et il «fuit alors en courant», selon la requête.<br />
<strong>Le</strong> Dre Laforest et le Dre Perreault<br />
reçoivent, le même jour, l'ordre de se rendre<br />
en lieu sûr, puisque le Dr Joncas est<br />
«introuvable et leur sécurité ne peut être<br />
assurée», souligne la requête. De la pure<br />
fabrication, aux dires du Dr Joncas :<br />
«J'avais refusé de prendre le document,<br />
car je trouvais que le directeur général et<br />
le président n'agissaient pas selon les<br />
procédures. Je m'étais rendu à mon bureau<br />
pour appeler mon avocate qui m'a dit<br />
de rester sur les lieux. J'avais plutôt choisi<br />
de faire mes boîtes et de quitter. <strong>Le</strong>s<br />
policiers sont arrivés pour m'escorter hors<br />
de l'établissement et ils m'ont même<br />
donné un coup de main pour sortir mes<br />
affaires.» Il ajoute s'être tout simplement<br />
rendu à son domicile qui se trouve à<br />
quelques centaines de mètres de l'hôpital<br />
pour y passer les trois jours suivants.<br />
<strong>Le</strong>s Dres Laforest et Perreault quittent<br />
alors en toute urgence Blanc-Sablon pour<br />
le Labrador. En fin de journée, elles réintègrent<br />
leur domicile, n'ayant pas eu de<br />
nouvelles des autorités. «Pourquoi ne pas<br />
avoir appelé la police, si j'étais si<br />
menaçant lance le Dr Joncas. Elles ne<br />
l'ont pas fait. Pourquoi ont-elles demandé<br />
ma suspension Je ne sais pas.» Il a<br />
quelques théories en tête, dont celle<br />
voulant que les médecins plaignants<br />
aient voulu changer systématiquement, au<br />
cours des années, les personnes en poste<br />
d'autorité au c<strong>entre</strong>, dont lui, avec ce qu'il<br />
qualifie de fausses allégations de harcèlement<br />
<strong>psychologique</strong>. <br />
18 Santé <strong>inc</strong>. mai / juin 2010 mai / juin 2010 Santé <strong>inc</strong>. 19
EN COUVERTURE<br />
Malgré le climat qu'elles jugeaient non<br />
sécuritaire, on aurait obligé les deux omnipraticiennes<br />
à assurer les services au<br />
c<strong>entre</strong> hospitalier. <strong>Le</strong> Dr Joncas aurait<br />
poursuivi, avec un groupe de personnes et<br />
des membres du personnel du c<strong>entre</strong>, leur<br />
harcèlement <strong>psychologique</strong>, toujours selon<br />
la requête: campagne de salissage, manifestations<br />
avec des couronnes mortuaires,<br />
envois de viande avariée à leur domicile et<br />
d'autres moyens hostiles. «Pourtant, je me<br />
suis présenté devant un groupe de<br />
citoyens qui voulaient manifester contre<br />
ma suspension pour leur dire de retourner<br />
chez eux, de ne rien faire, et de laisser les<br />
procédures judiciaires se dérouler», affirme<br />
le Dr Joncas. Il s'était, effectivement,<br />
adressé au Tribunal administratif du<br />
Québec pour contester la suspension de<br />
ses privilèges. <strong>Le</strong> 7 mai 2007, les deux<br />
médecins signalent à nouveau aux autorités<br />
les défauts de sécurité de leur milieu<br />
de travail, <strong>inc</strong>luant du tapage nocturne<br />
qui sévit autour de leur résidence et un<br />
manque de collaboration du personnel lors<br />
de l'exécution de leurs tâches. Devant<br />
l'«inaction des autorités», elles consultent<br />
un représentant du Programme d'aide aux<br />
médecins du Québec qui leur conseillent<br />
de quitter immédiatement la région. Ce<br />
qu'elles ont fait aussitôt, laissant leurs effets<br />
personnels derrière.<br />
<strong>Le</strong> 27 mai, elles se rendent à Blanc-Sablon<br />
afin de rencontrer des membres du syndic<br />
du Collège des médecins qui enquêtaient<br />
sur les événements en litige et les diverses<br />
plaintes. Dès leur arrivée au stationnement,<br />
elles sont informées par le commissaire<br />
aux plaintes, Stéfan Marchand,<br />
qu'un groupe de citoyens intimidants s'est<br />
présenté pour remettre un ultimatum au<br />
directeur général exigeant son départ immédiat<br />
sous peine de représailles. <strong>Le</strong> commissaire<br />
les avise qu'elles doivent<br />
immédiatement quitter Blanc-Sablon pour<br />
des raisons de sécurité. <strong>Le</strong> lendemain, le<br />
ministère de la Santé demande au directeur<br />
général de fuir Blanc-Sablon, ce<br />
qu'il fait d'urgence sous escorte policière,<br />
sa demeure étant encerclée par des membres<br />
du groupe proche du Dr Joncas. Ce<br />
même jour, étrangement, le Dre Laforest et<br />
le Dre Perreault rencontrent deux<br />
médecins du syndic du Collège, qui refusent<br />
toutefois de les entendre et leur ordonnent<br />
de ne plus déposer de plainte.<br />
UNE INTERVENTION VENUE DE HAUT<br />
<strong>Le</strong> 28 mai 2007, le Ministère met le c<strong>entre</strong><br />
sous tutelle. Un mois plus tard, le Dr<br />
Yves Bolduc, alors représentant du Ministère,<br />
se rend à Blanc-Sablon pour y<br />
rencontrer le Dr Joncas afin de négocier<br />
directement avec lui son départ du c<strong>entre</strong><br />
en échange d'avantages en apparence<br />
démesurés, c'est-à-dire sa propre clinique<br />
privée qui dessert la Basse-Côte-Nord<br />
d'où il peut «facturer des montants exorbitants<br />
» à la RAMQ, peut-on lire dans la<br />
requête. <strong>Le</strong> Dr Joncas, en réplique à un<br />
article paru dans notre magazine<br />
dénonçant cette riche entente, nous indiquait<br />
à l'époque par courriel que «l'entente<br />
particulière à laquelle vous faites<br />
référence peut sembler de prime abord<br />
généreuse, mais il faut la comparer à ce<br />
que fait un médecin dans la même région;<br />
comme vous le dites vous-même dans<br />
votre article, elle me garantit "des revenus<br />
semblables à ce que [je faisais] au C<strong>entre</strong><br />
hospitalier", de même que ce que font les<br />
autres médecins de la place. J'ai un<br />
revenu inférieur à celui de mes confrères<br />
et consœurs du CSSSBCN, pour une<br />
charge de travail nettement supérieure.»<br />
«<strong>Le</strong> Dr Joncas soutient que<br />
les médecins plaignants au<br />
cœur de la présente requête<br />
voulaient changer<br />
systématiquement, au cours<br />
des années, les personnes<br />
en poste d'autorité au c<strong>entre</strong><br />
hospitalier, dont lui,<br />
avec ce qu'il qualifie de<br />
fausses allégations de harcèlement<br />
<strong>psychologique</strong>.»<br />
Selon les demandeurs, le Ministère a fait<br />
avorter le processus du traitement des<br />
plaintes envers le Dr Joncas, <strong>inc</strong>luant<br />
celles déposées auprès du Collège. Conséquemment,<br />
le Dr Joncas n'a jamais été<br />
sanctionné. «Ça, c'est un point fâchant,<br />
note le Dre Laforest. À l'époque, le Dr<br />
Bolduc travaillait au Saguenay pour l'Association<br />
des conseils des médecins,<br />
dentistes et pharmaciens où il présidait<br />
une conférence sur la gestion d'un membre<br />
problématique. J'avais confiance en<br />
ce gars-là...» Pour sa part, le Dr Joncas<br />
dit avoir été appelé à témoigner, durant<br />
cette période, à trois reprises devant le<br />
Collège des médecins, qui avait ensuite<br />
déposé des recommandations. «On m'a<br />
dit que je pouvais être plus gentil», résume<br />
le Dr Joncas. <strong>Le</strong>s demandeurs affirment<br />
que toutes les décisions ont été<br />
prises par le Ministère sans jamais les<br />
consulter, ni obtenir leur consentement;<br />
et qu'aucune mesure n'a été prise pour<br />
assurer leur retour à Blanc-Sablon et au<br />
sein du c<strong>entre</strong> pour garantir un climat de<br />
travail libre de harcèlement. «Je n'ai jamais<br />
été contre leur retour. Elles sont libres<br />
de revenir quand elles le veulent»,<br />
maintient pour sa part le Dr Joncas.<br />
AU GOUVERNEMENT DE PAYER<br />
<strong>Le</strong>s demandeurs réclament 2,75 millions<br />
de dollars en dommages, selon la requête,<br />
car elles ont dû s'exiler dans un nouveau<br />
milieu de vie et de travail, subissant des<br />
pertes salariales et divers autres dommages,<br />
dont la perte de qualité de vie.<br />
Elles dénoncent que de nombreux propos<br />
diffamatoires portant atteinte à leur réputation<br />
auraient été prononcés publiquement<br />
et qu'elles aient perdu, en<br />
conséquence, l'ensemble de leurs avantages<br />
sociaux, leur logement subventionné<br />
et les congés auxquels elles avaient droit<br />
ainsi que leur réseau social et familial.<br />
Avec un collègue dentiste du c<strong>entre</strong> et les<br />
membres de leurs familles, les deux<br />
médecins ont déposé une plainte auprès<br />
du gouvernement québécois pour ne pas<br />
avoir «respecté ses obligations légales et<br />
contractuelles» envers elles, entraînant<br />
«un préjudice moral et <strong>psychologique</strong><br />
menant à une atteinte à leurs droits fondamentaux».<br />
Elles ajoutent que la crise<br />
n'a pas été gérée par les ressources humaines<br />
tel que prescrit par la loi. «Il n'a<br />
pas l'air d'un monstre, indique le Dre Perreault,<br />
parlant du Dr Joncas, mais subtilement<br />
il sent les faiblesses des autres et il<br />
arrive à briser leur confiance. Des gens déviants<br />
existent partout, mais nous sommes<br />
censés être protégés par des lois et des règlements.»<br />
L'avocat des médecins, Me<br />
Jean-Pierre Ménard, reproche avant tout<br />
au ministère de la Santé d'avoir négligé ses<br />
clients: «<strong>Le</strong>s médecins ont fait la bonne<br />
chose. Elles avaient l'appui de l'administration<br />
à l'hôpital, mais ensuite on a laissé<br />
tomber mes clients. On a préféré occulter<br />
le problème et on a laissé mes clients sans<br />
protection.» Au moment d'écrire ces<br />
lignes, il reste à voir si la requête sera<br />
reçue et entendue par le tribunal. Nous<br />
suivrons ce dossier avec intérêt. <br />
20 Santé <strong>inc</strong>. mai / juin 2010
EN COUVERTURE<br />
Que faire en cas de harcèlement<br />
Tout le monde a droit à un environnement<br />
de travail où le harcèlement, les<br />
menaces, le dénigrement et même l'impolitesse<br />
n'ont pas leur place. Cela <strong>inc</strong>lut,<br />
bien sûr, le milieu hospitalier ou en clinique.<br />
<strong>Le</strong> jugement commun suffit pour<br />
voir la différence <strong>entre</strong> des mésententes<br />
corsées et l'acharnement abusif d'un collègue<br />
qui pourrit l'atmosphère. Voici les<br />
recours disponibles pour les médecins<br />
victimes de harcèlement <strong>psychologique</strong>.<br />
<strong>Le</strong> harcèlement <strong>psychologique</strong> en milieu<br />
de travail peut prendre plusieurs formes:<br />
humilier, menacer, insulter, cesser<br />
d’adresser la parole, espionner, adresser<br />
des remarques sarcastiques, faire des reproches<br />
sans motif valable, refuser de<br />
répondre à des demandes, déshabiller<br />
du regard, éviter des contacts, exercer<br />
une surveillance excessive, etc. Il s'agit<br />
d'un acharnement, plus ou moins volontaire,<br />
d'une personne sur un ou plusieurs<br />
de ses collègues par divers moyens, soit<br />
les allusions désobligeantes, le sarcasme<br />
excessif ou la marginalisation. Au<br />
Québec, c'est avant tout la responsabilité<br />
de l'employeur de garantir un milieu sain<br />
pour les employés. Suivant la Loi sur les<br />
normes du travail, il lui appartient de<br />
prendre les moyens raisonnables afin de<br />
prévenir le harcèlement <strong>psychologique</strong> et<br />
de faire cesser cette conduite lorsqu'elle<br />
est portée à sa connaissance. <strong>Le</strong>s nouvelles<br />
dispositions de la Loi sur les<br />
normes du travail prévoient une obligation<br />
double à l'employeur: celle de<br />
prévention et de correction. Dans ce<br />
contexte, l'employeur a intérêt à adopter<br />
une politique claire sur le harcèlement<br />
au travail. Celle-ci devrait identifier les<br />
comportements inacceptables, contribuer<br />
à la promotion d'un climat de travail<br />
de respect mutuel et prévenir les cas<br />
de harcèlement et gérer à l'interne les<br />
plaintes qui en découlent.<br />
Non seulement les <strong>entre</strong>prises doivent<br />
adopter ce genre de politique afin de satisfaire<br />
à leurs obligations en vertu des<br />
dispositions de la Loi sur les normes du<br />
travail, elles doivent aussi envoyer un<br />
message clair à tous les travailleurs que<br />
le harcèlement est un comportement<br />
inacceptable au sein de l'organisation.<br />
Ce type de comportement peut rapidement<br />
devenir explosif. Il ne faut donc pas<br />
attendre que la conduite harcelante se<br />
répète pendant des semaines, même<br />
des mois, avant d'intervenir. Un seul acte<br />
peut suffire à être qualifié d'une telle<br />
conduite, selon le degré objectif de gravité.<br />
Or, une fraction infime des plaintes<br />
de harcèlement <strong>psychologique</strong> se<br />
retrouve devant les tribunaux. Selon les<br />
statistiques obtenues par La Presse, des<br />
10 000 plaintes déposées à la Commission<br />
des normes du travail, seulement<br />
150 d'<strong>entre</strong> elles ont fait l'objet d'une décision<br />
devant le tribunal.<br />
LE COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC<br />
<strong>Le</strong> Collège des médecins a l'autorité pour<br />
intervenir juridiquement envers un<br />
médecin qui harcèle ses collègues. «Il a<br />
toujours été possible pour un médecin de<br />
se plaindre du comportement d'un collègue<br />
au syndic», indique <strong>Le</strong>slie<br />
Labranche, coordonnatrice aux relations<br />
publiques au Collège des médecins. Si la<br />
plainte est reçue, le médecin doit comparaître<br />
devant le conseil de discipline<br />
qui jugera des actions nécessaires à<br />
poser auprès du médecin. Rien n'est automatique,<br />
car la loi ne précise pas à la<br />
lettre ce qui constitue un comportement<br />
de harceleur. «Chaque cas est unique et<br />
étudié comme tel, mentionne <strong>Le</strong>slie<br />
Labranche. Jusqu'à présent, aucun<br />
médecin n'a été condamné par le conseil<br />
de discipline pour harcèlement moral.»<br />
Elle n'a pas été en mesure de donner le<br />
nombre de plaintes que le Collège reçoit<br />
par année à ce sujet. <strong>Le</strong> Programme<br />
d'aide aux médecins du Québec (PAMQ)<br />
est un service précieux pour les<br />
médecins qui se sentent victimes d'une<br />
forme ou d'une autre de harcèlement au<br />
travail. Malheureusement, le PAMQ a<br />
préféré ne pas répondre à nos questions<br />
sur ce sujet délicat, craignant transgresser<br />
le droit à la vie privée des<br />
médecins qui le consultent.<br />
LE COMMISSAIRE AUX PLAINTES<br />
Mais le Collège n'est pas la seule autorité<br />
qui doit garantir un environnement de<br />
travail viable aux médecins. L'établissement<br />
de santé, l'Agence de la santé et<br />
des services sociaux ainsi que le ministère<br />
de la Santé ont aussi ces obligations.<br />
Un commissaire aux plaintes et à<br />
la qualité des services est nommé dans<br />
chaque établissement de services de<br />
santé et de service sociaux. Ces commissaires<br />
ont comme mandat de recevoir<br />
et d'examiner les plaintes venant<br />
des usagers, des travailleurs et des<br />
cadres concernant un professionnel de<br />
la santé. <strong>Le</strong> régime d'examen des<br />
plaintes est là au cas où les tentatives de<br />
négociation d'une solution échoueraient.<br />
<strong>Le</strong> commissaire dirigera ensuite la<br />
plainte vers l'ordre professionnel concerné<br />
ou vers le propriétaire ou au gestionnaire<br />
d'une clinique privée.<br />
LE MÉDECIN EXAMINATEUR<br />
Dans le cas de l'application de la procédure<br />
d'examen des plaintes concernant<br />
un médecin, un dentiste ou un pharmacien,<br />
de même qu’un résident, le conseil<br />
d’administration de l’établissement désigne,<br />
sur recommandation du conseil des<br />
médecins, dentistes et pharmaciens, un<br />
médecin examinateur. Il a pour fonction<br />
d’examiner toute plainte, formulée par un<br />
usager ou toute autre personne, qui concerne<br />
un médecin, un dentiste ou un<br />
pharmacien, de même qu’un résident de<br />
l’établissement, conformément à la loi. Il<br />
n'y a aucun délai de prévu. Par contre, si<br />
la plainte est déposée tardivement, faire la<br />
preuve de certains éléments de celle-ci<br />
pourrait s'avérer plus difficile. <strong>Le</strong> médecin<br />
examinateur peut rejeter la plainte si elle<br />
est jugée frivole, vexatoire ou de mauvaise<br />
foi, examiner la plainte pour aller vers une<br />
forme de conciliation ou faire un renvoi<br />
disciplinaire au CMDP. ⌧<br />
22 Santé <strong>inc</strong>. mai / juin 2010