Fr-20-07-2013 - Algérie news quotidien national d'information
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4 > H O M M A G E<br />
Henri Alleg<br />
L’homme s’en va,<br />
«La Question»<br />
reste<br />
Un grand ami de l’<strong>Algérie</strong> s’en va, léguant à la postérité des deux rives de la<br />
Méditerranée « La Question » : un ouvrage écrit en 1958 qui témoigne des<br />
atrocités et des tortures pratiquées par la <strong>Fr</strong>ance coloniale. La mort d’Alleg,<br />
c’est la disparition d’un acteur majeur d’une guerre sanguinaire au moment où<br />
celle des mémoires n’a pas connu de trêve. Henri s’en va mais la question de la<br />
reconnaissance des crimes coloniaux par la <strong>Fr</strong>ance officielle demeure.<br />
Adieu camarade<br />
Henri<br />
Par Massinissa<br />
Boudaoud<br />
Haïs par les paras et<br />
la paranoïa français,<br />
Henri Alleg<br />
avait cette réplique,<br />
cette phrase divine qui<br />
dévoile la grandeur de<br />
l’homme. Une sentence qu’il<br />
a bien voulue qu’elle soit son<br />
préambule et l’ouverture de<br />
son ouvrage : « En attaquant<br />
les <strong>Fr</strong>ançais corrompus, c’est<br />
la <strong>Fr</strong>ance que je défends. »<br />
L’ennemi des paras tortionnaires<br />
n’échappa pas à la<br />
gégène. C’est en juin de1957,<br />
à El Biar, et dans un immeuble<br />
désaffecté transformé en<br />
centre de torture en plein<br />
guerre d'<strong>Algérie</strong> que le militant<br />
a été victime des horreurs<br />
commises par des<br />
<strong>Fr</strong>ançais en mission civilisationnelle.<br />
C’est en allant rendre<br />
une visite à un autre ami<br />
de l’<strong>Algérie</strong>, Maurice Audin,<br />
qu’Henri fut arrêté. Il a subi<br />
des séances de torture et des<br />
interrogatoires musclés<br />
menés après l’injection de<br />
penthotal, utilisé comme « sérum de<br />
vérité ». Disons que c’étaient ces<br />
supplices bénins qui ont permis à<br />
Alleg de commettre son livre et la<br />
médiatisation de la question algériennne,<br />
notamment en ce qui<br />
concerne les méthodes sauvages et<br />
inhumaines utilisées lors des interrogatoires.<br />
Dans « La Question », il<br />
y accuse nommément Philippe<br />
Erulin d'être le principal auteur de<br />
sa torture, ainsi que ses complices<br />
subalternes. Roger Faulques est également<br />
présent à un moment de ses<br />
interrogatoires, se vantant d'être « le<br />
fameux capitaine SS ». Dans « La<br />
Question », Henri Alleg raconte sa<br />
période de détention et les sévices<br />
qu'il y a subis comme un échantillon<br />
vivant des pratiques françaises.<br />
Tout d'abord publié en <strong>Fr</strong>ance<br />
aux éditions de Minuit, l'ouvrage est<br />
immédiatement censuré. Les exemplaires<br />
mis en vente sont saisis le 27<br />
mars malgré les interventions de<br />
André Malraux, Roger Martin du<br />
Gard, <strong>Fr</strong>ançois Mauriac et<br />
Jean-Paul Sartre auprès du<br />
président René Coty. Nils<br />
Andersson le réédite en<br />
Suisse, quatorze jours après<br />
l'interdiction frappant en<br />
<strong>Fr</strong>ance. Malgré son interdiction<br />
en <strong>Fr</strong>ance, ce livre a<br />
considérablement contribué<br />
à révéler le phénomène de la<br />
torture en <strong>Algérie</strong> en confortant<br />
les témoignages qui<br />
s'étaient multipliés dans la<br />
presse au cours de l'année<br />
1957. Sa censure n'a pas<br />
empêché sa diffusion clandestine<br />
à 150 000 exemplaires.<br />
Le livre a eu un impact<br />
considérable en révélant<br />
comment l’armée français<br />
«pacifiait » l’<strong>Algérie</strong> en mettant<br />
en place une machine à<br />
torturer à grande échelle.<br />
Trois ans après son arrestation,<br />
Alleg a été condamné à<br />
10 ans de prison pour<br />
«atteinte à la sûreté extérieure<br />
de l'Etat » et « reconstitution<br />
de ligue dissoute ».<br />
Transféré en <strong>Fr</strong>ance, il parvient<br />
à s’évader et rejoint la<br />
Tchécoslovaquie.<br />
A l’indépendance de l’<strong>Algérie</strong>, il<br />
participe à la renaissance du journal<br />
Alger Républicain. Après le coup<br />
d’Etat du 19 juin 1965, il quitte<br />
l’<strong>Algérie</strong> et s’installe en <strong>Fr</strong>ance. Il y<br />
poursuivra ses activités militantes.<br />
Alger a salué l’homme, mais elle lui<br />
avait attribué la place qu’il mérite,<br />
lui et ses semblables. Il n’est pas un<br />
ami de l’<strong>Algérie</strong>, c’est l’un de ses<br />
enfants.<br />
M. B.<br />
Par Djoghlal Djemaâ<br />
A l’heure où les mots sont torturés par les faiseurs d’ombre et<br />
de mirage, on ne peut trouver un autre qualificatif pour<br />
désigner Henri Alleg et ses engagements que celui<br />
d’Humaniste.<br />
Cet humanisme n’était pas un engagement de salon ou de<br />
promotion, il était la marque même d’Henri et lui, le modeste,<br />
serait bien surpris de lire et d’entendre ce qui se dit et s’écrit<br />
sur son parcours. Sa modestie réelle est bien mise à rude<br />
épreuve mais ses engagements nous commandent de<br />
l’oublier un instant pour rejoindre le chœur des pleureuses<br />
professionnelles afin de lui rendre l’hommage qu’il mérite.<br />
Cet hommage répond au conseil dédicacé dans son dernier<br />
ouvrage [1] «… Ces pages pour ne rien oublier du passé mais<br />
surtout pour aider à bâtir le présent ». Il nous a légué cette<br />
phrase en guise de testament qui rejoint celles de son<br />
compagnon Kateb Yacine, avec d’autres Combattants<br />
algériens de notre dignité, désormais ils forment la lignée des<br />
« Ancêtres qui redoublent de férocité », férocité mémorielle à<br />
transmettre à tous ceux et celles qui n’ont pas eu le privilège<br />
de le rencontrer intellectuellement ou personnellement.<br />
Cette fonction mémorielle l’avait habité très tôt puisque dès<br />
1981, il s’attela à diriger une somme importante de textes,<br />
d’images et de documents avec Jacques de Bonis, Henri J.<br />
Douzon, Jean <strong>Fr</strong>eire, Pierre Haudiquet et la collaboration de<br />
son épouse Gilberte. Il savait que cette production soulèverait<br />
des critiques autant que des félicitations, ainsi il prit la<br />
précaution d’écrire le but recherché par son travail :<br />
« Quel que soit le jugement qu’on portera sur notre<br />
contribution (3 tomes [2]), nous y aurons travaillé avec la<br />
conviction ardente qu’en aidant à une meilleure connaissance<br />
de ces temps si proches où les deux pays s’affrontaient dans<br />
le sang et les larmes, nous servons encore, comme hier, avec<br />
tous les hommes de bonne volonté, la cause de l’amitié des<br />
peuples algérien et français. »<br />
« Aux Portes de l’Histoire », les intellectuels de la gauche<br />
française avaient trop longtemps fait antichambre. Lors de<br />
l’élection de <strong>Fr</strong>ançois Mitterrand, en mai 1981, l’occasion tant<br />
attendue s’offrait à eux de raccrocher en hâte leurs oripeaux<br />
progressistes devenus haillons et se bousculer en masse au<br />
portillon. Quant aux grandes évolutions annoncées, il ne<br />
faudra guère patienter pour découvrir sur quelle « autre<br />
société » elles allaient déboucher [3]. A la différence de ces<br />
penseurs de la « deuxième droite », Henri Alleg s’était rendu<br />
en 1986 aux Etats-Unis pour constater, sur le terrain, quel<br />
projet de société allait engloutir le monde et la <strong>Fr</strong>ance en<br />
particulier : « Tout au long de mon voyage, j’aurai l’occasion,<br />
en maintes circonstances, de découvrir l’origine US d’autres<br />
«idées nouvelles » que nous offrent, comme des créations<br />
originales, certains de nos hommes politiques «branchés» et<br />
de nos « penseurs » à la mode. C’est ainsi que, chemin<br />
faisant, sur les routes américaines, j’aurai aussi beaucoup<br />
appris sur la <strong>Fr</strong>ance d’aujourd’hui [4] ».<br />
Ses convictions qui l’avaient conduit sous les coups des<br />
nazillons de l’armée coloniale du temps de Mitterrand, jamais<br />
il ne les reniera ni ne perdra l’espoir de changer ce monde<br />
injuste. Une dernière fois, écoutons-le nous éclairer :<br />
« Le parcours restait inachevé. Son terme se révélait<br />
seulement plus lointain, plus douloureux et plus difficile à<br />
atteindre que nous ne l’avions cru, mais nous savions aussi<br />
que nous ne pourrions jamais renoncer à ce qui avait été et<br />
demeurait notre première et lumineuse raison de vivre :<br />
poursuivre, avec des millions d’autres, la lutte séculaire des<br />
exploités, des opprimés, des « damnés de la terre » pour que<br />
naisse enfin un autre monde, un monde de vraie liberté, de<br />
vraie fraternité ».<br />
[1] Henri Alleg, « Mémoire algérienne, Souvenirs de luttes et<br />
d’espérances», Stock, <strong>20</strong>05<br />
[2] Sous la direction d’Henri Alleg, « La Guerre d’<strong>Algérie</strong> », 3<br />
tomes, Temps actuels, 1981<br />
[3] J. P. Garnier et L. Janover, « La deuxième droite », Edition<br />
Agone, <strong>20</strong>13<br />
[4] Henri Alleg, « S.O.S América ! » Edition Messidor, 1987<br />
ALGERIE NEWS Samedi <strong>20</strong> juillet <strong>20</strong>13