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tournant pour que l’architecture devienne une forme artistique, pas de la sculpture ni de la peinture, mais un langage pragmatique et plaisant comme l’est l’art culinaire, explique Friedman. Autour de ces hypothèses de construction, sont présentés d’autres aspects du travail de Friedman : l’écriture sous forme de manuels (salles 6 et 8) et de dessins animés (salle 4) et le décor (salle 10). Dès les années 1970, Yona Friedman est sollicité par l’Unesco pour rédiger des manuels sur des questions ayant un impact social. Entre 1975 et 1992, ces manuels ont été diffusés dans plus de trente pays et dans plusieurs langues. Ces textes traitent de sujets aussi actuels que le réchauffement climatique, les objectifs culturels de l’Europe, l’usage des ressources naturelles, la santé, les catastrophes naturelles et le terrorisme... Dans chacun d’entre eux, Friedman évite toute critique, préférant décrypter la nature et l’origine de ces processus contemporains pour proposer des solutions poétiques, positives et créatives, à l’attention de chacun. En 1980, le Conseil de l’Europe, dans le cadre d’une campagne pour le renouveau des villes, lui passe une commande. Le titre choisi par Friedman, A better life in towns, est particulièrement optimiste. Il présage que l’urbanisme peut s’améliorer. Ce serait le cas, selon l’auteur, si les usagers prenaient conscience que cette responsabilité leur revient car ils en ont la compétence et la ressource. Eux seuls peuvent améliorer leur environnement en devenant actifs, non résignés et solidaires. Ce manuel leur est donc destiné. Les films d’animation, présentés dans la salle 4, participent de la même intention, tout en faisant appel à des thématiques et des techniques différentes. Yona Friedman est particulièrement intéressé par les contes et les légendes issues des cultures non occidentales. En 1960, il réalise avec Denise Charvein, son épouse et monteuse de profession, un premier film d’animation à partir d’un conte africain. Par la suite, Pierre Schaeffer lui passe commande de dix autres films pour une diffusion sur les ondes hertziennes de la télévision française. L’un d’entre eux remporte un Lion d’Or à la 13eme Mostra internationale du film documentaire à Venise en 1962. Jean Rouch les diffuse ensuite en Afrique, où ils rencontrent un énorme succès avant de disparaître pendant plusieurs années, jusqu’à cette restauration effectuée par le Cneai. Techniquement, Charvein et Friedman ont recours à un procédé rapide, qui permet la réalisation d’un film en une journée. Ils utilisent des cubes en bois, sur lesquels sont dessinés des fragments des personnages, qui sont ensuite activés manuellement tandis que Friedman tient la caméra. Symboliquement, les dialogues de ces dessins animés évoquent des thématiques, qui rejoignent l’urbanisme et la vie en communauté comme cet extrait de Koulou makalia, le lion, le lièvre et l’araignée, qui fait allusion à la chaîne alimentaire, condition indispensable au bon équilibre biologique et écologique de notre planète et de ses habitants, qu’ils soient humains, végétaux ou animaux. Vient ensuite, la question du décor, qui est fondamentale pour Friedman. Alors que le modernisme avait banni le décor et ses ornements, il revient à une prolifération de motifs, qui frôle “l’horreur du vide”. En effet, il ne conçoit pas l’architecture sans sa décoration, qui fait partie intégrante du bâtiment. C’est une fonction essentielle de la vie du lieu. C’est ce qu’il a expérimenté au moment de la construction du lycée Bergson à Angers en parlant de “décor éphémère”. Selon son souhait, les futurs usagers disposaient d’aplats géométriques colorés destinés à recouvrir les murs et les sols comme ils le voulaient. Yona Friedman a ensuite décliné ces motifs sur différents supports : sérigraphies, manuels, affiches, murs de bâtiments publics et sols de rue. La décoration intérieure de son deuxième appartement parisien, situé en face d’un métro aérien, est exceptionnelle. Il y réside depuis 1968. Jean Dubuffet qui l’a visité dans les années 1960 est resté stupéfait. De nombreux étudiants, chercheurs, conservateurs et journalistes s’y succèdent presque quotidiennement. Pour
Yona Friedman, ce qui compte c’est de personnaliser son espace vital : “j’ai créé mon propre monde, pour m’approprier mon cadre de vie. Je suis convaincu que chacun peut en faire autant”, dit-il. En outre, Yona Friedman insiste sur le fait que les préceptes philosophiques (simple truth) collés sur les frises sont des messages de sagesse qu’il a besoin de relire tous les jours. Un des motifs qui revient fréquemment dans l’univers de Friedman, c’est la licorne. Cet “animal qui n’existe pas” danse sur les murs de son appartement, part en voyage à Venise (salle 9), à Vassivière en mai dernier, à New York dans les années 1960 et termine l’année à Paris dans l’atelier du boulevard Garibaldi en buvant du champagne (salle 5) ! Elle est ivre de joie ! La licorne vient aussi décorer quelques maquettes merziennes, comme celles présentées dans la salle 5. Les manuels, fresques et les dessins d’animations et frises sont en vente à la librairie. Avec Friedman, la notion d’auteur devient obsolète et illusoire. Il préfère impulser une architecture organique, croissante, et improvisée, à l’image de l’usager, à qui il accorde beaucoup d’importance. Cette conception de la création est aussi en phase avec certains essais théoriques de Roland Barthes (La mort de l’auteur, 1957) et de Umberto Eco (L’œuvre ouverte, 1968), qui sont, eux aussi, annonciateurs des révolutions technologiques et de la dématérialisation de l’information. Que ce soit les maquettes, les manuels, les dessins de licornes, les frises ou encore les films d’animations sans oublier les projets de villes-pont, Friedman tente toujours et encore de favoriser, en douceur et avec modestie, des prises de conscience et l’émergence des quinze utopies fondamentales : le respect de la nature, la fraternité, l’égalité, la liberté, la parole libre, les droits de l’enfant, l’éducation, la santé pour tous, la liberté sexuelle, la laïcité, l’art libre, le revenu garanti, la justice, le droit au logement, et l’autogestion. Caroline Cros
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