Forces et faiblesses <strong>de</strong>s circuits <strong>de</strong> <strong>commercialisation</strong>spécialisés par rapport aux circuits généralistesD’après les panels <strong>de</strong> consommateurs, les achats <strong>de</strong>vins évoluent <strong>de</strong> façon très différente entre lescircuits, selon qu’ils soient spécialisés ougénéralistes.<strong>Les</strong> spécialistes sont assurément les meilleursvecteurs d’image et restent importants pour leurcontribution au travail <strong>de</strong> conseil etd’accompagnement à <strong>la</strong> vente pour les vins. Ils sontprécieux, surtout pour les vins rares et qui ontbesoin d’être expliqués, comme le sont les vinsfrançais d’appel<strong>la</strong>tion. Mais ils dépen<strong>de</strong>nt d’unedémarche réfléchie <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s ménages quidoivent déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong> faire un détour ou <strong>de</strong> prendre dutemps spécialement pour leur achat <strong>de</strong> vins. Etl’époque est, rappelons‐le, non seulement à <strong>la</strong>disparition <strong>de</strong> clientèles traditionnelles, à leur nonrenouvellement,mais aussi à l’espacement <strong>de</strong>soccasions <strong>de</strong> consommation et <strong>de</strong>s actes d’achats.Défendre le modèle <strong>de</strong>s appel<strong>la</strong>tions, c’est aussis’assurer <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le contact direct avec leconsommateur afin <strong>de</strong> continuer à transmettre cequi fait leur richesse et leur diversité. C’est doncs’assurer qu’il y ait toujours moyen <strong>de</strong> diffuser uneimage artisanale, culturelle et valorisante auxconsommateurs.En France, même si leur effectif progressetoujours et les <strong>chiffres</strong> d’affaires restaient orientésà <strong>la</strong> hausse en 2010, les cavistes sont étranglés etles marges menacées. Ce n’est sans doute pas pourrien que ces commerçants ont réduit <strong>de</strong> 23% <strong>la</strong>taille <strong>de</strong> leurs équipes entre 2010 et 2011 et qu’ilsallègent progressivement leurs stocks. Pourtantune part fondamentale <strong>de</strong> leur professionnalismerepose sur cette aptitu<strong>de</strong> à sélectionner et àvaloriser <strong>de</strong>s vins vendus à pleine maturité et« prêts à boire » aux consommateurs.A contrario, les circuits généralistes bénéficient d’unvo<strong>la</strong>nt beaucoup plus <strong>la</strong>rge <strong>de</strong> clientèle qui profitedu lieu pour optimiser son temps et son budget, cequi facilite les achats d’impulsion. Grâce à leur forcecommerciale, les enseignes <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> distributionsont en plus capables <strong>de</strong> susciter ces achats etd’orienter le choix par <strong>de</strong>s opérationspromotionnelles bien conçues.En outre, du fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> conjoncture économique, lesdiscounts attirent <strong>de</strong> nouveaux clients et gagnent<strong>de</strong>s parts <strong>de</strong> marché… Et ce<strong>la</strong> concerne le vin. Laquestion est <strong>de</strong> savoir quels modèles <strong>de</strong> productionpeuvent résister à ces pratiques commerciales ?<strong>Les</strong> producteurs traditionnels qui misent sur <strong>de</strong>s vinsexprimant leurs terroirs auront assurément du mal àconcurrencer les modèles semi‐industriels proposéspar les pays du nouveau mon<strong>de</strong> mais aussi par nospropres opérateurs français ou européens.8
En Belgique, où 93,4% <strong>de</strong>s achats <strong>de</strong> vins envolume seraient effectués dans <strong>de</strong>s circuits <strong>de</strong>gran<strong>de</strong> consommation généralistes (<strong>chiffres</strong> sansdoute surestimés du fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> méthodologie <strong>de</strong>spanels consommateurs), les ménages auraientaugmenté leurs achats en volume en 2010‐2011dans tous les lieux d’achats alimentaires réguliers(hyper et supermarchés, discounters, …), y comprisdans les magasins <strong>de</strong> proximité, sur fond <strong>de</strong> prixrevus à <strong>la</strong> baisse, ce qui profite aux vins du NouveauMon<strong>de</strong>. Par contre, les déjà rares achats <strong>de</strong> vinsréalisés dans les autres circuits (2,6% <strong>de</strong>s volumes)reculeraient <strong>de</strong> ‐15,2% sur 1 an (‐34,1% pour lesachats <strong>de</strong> b<strong>la</strong>ncs).Une étape supplémentaire est franchie auDanemark, où les magasins spécialisés (cavistes)ne représenteraient là encore que 2,6% <strong>de</strong>s achats<strong>de</strong> vins réalisés par les ménages, dont les volumesachetés seraient en forte augmentation. C’est le seulcircuit qui résiste à l’attractivité <strong>de</strong>s hard discountset encore, leur situation est fragile : leursperformances correspon<strong>de</strong>nt aux surcroits d’achats<strong>de</strong> consommateurs qui achetaient déjà beaucoup,peut être motivés aussi par un prix moyen en baisse.<strong>Les</strong> hard discounts attirent en effet et gagnentmassivement <strong>de</strong>s parts <strong>de</strong> marché. En pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>crise, les positionnements médians sont difficiles àtenir, ce qui explique le déficit <strong>de</strong> vente constatédans les circuits intermédiaires (notamment dans lessupermarchés, un circuit d’achat majeur dans cepays) entre le discount et les cavistes (supposés plushauts <strong>de</strong> gamme). Et encore, même ces <strong><strong>de</strong>rniers</strong>peinent à se maintenir.La situation britannique montre que les chosessont tout aussi difficiles pour les magasinsspécialisés : les performances <strong>de</strong>s enseignes <strong>de</strong>gran<strong>de</strong> distribution, <strong>de</strong>s différentes formes <strong>de</strong>supermarchés ou <strong>de</strong>s petites épiceries généralistes,qui cherchent <strong>de</strong>puis quelques années à enrayer <strong>la</strong>déconsommation « <strong>de</strong> crise » par <strong>de</strong>s dispositifspromotionnels très offensifs, ont conduit à <strong>la</strong> failliteune bonne partie <strong>de</strong>s grosses chaines <strong>de</strong> cavistes.Seules subsistent celles qui réorganisent leurgamme pour en réduire les prix. Par contre, lesmodèles discounts <strong>de</strong> détail<strong>la</strong>nts Off Licence (quidisposent <strong>de</strong> <strong>la</strong> licence indispensable pour pouvoirvendre <strong>de</strong> l’alcool à emporter) ven<strong>de</strong>urs <strong>de</strong> vinsfleurissent. Conjoncture oblige, les gammes <strong>de</strong> vinsdans ces magasins sont simplifiées au maximumpour en réduire les coûts et simplifier <strong>la</strong> sélection.Dans ces magasins, on vend <strong>de</strong>s vins auxcaractéristiques bien i<strong>de</strong>ntifiées (cépages, goûtscalibrés) et aux positionnements‐prix très étudiés.Quelle p<strong>la</strong>ce reste t‐il au vin d’appel<strong>la</strong>tion « à <strong>la</strong>française » si le produit perd totalement sadimension culturelle pour se réduire à uneproduction technologique, même si qualitative ?S’il était <strong>de</strong> bon ton, et à juste titre jusqu’ici,d’opposer les circuits <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> distribution auxautres magasins, du fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> taille etconcentration logistique <strong>de</strong>s centrales, celles‐ci ontsu s’adapter à l’évolution <strong>de</strong>s comportements <strong>de</strong>leurs clientèles et elles réinvestissent les petitesstructures <strong>de</strong> proximité.Mais <strong>de</strong> ce fait, les rayons <strong>de</strong> vins <strong>de</strong>s épiceries <strong>de</strong>quartier, et surtout leur capacité à répondre avecplus <strong>de</strong> souplesse aux rythmes <strong>de</strong> leurs clients,fragilisent ce qui restait <strong>de</strong> cavistes. Pour autant, cene sont pas les mêmes services qu’ils apportent, nile même accompagnement à <strong>la</strong> découverte dumon<strong>de</strong> du vin.La valorisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> dimension culturelle du Terroiralsacien dépendra aussi <strong>de</strong> sa capacité àcommuniquer sur ses subtilités, sur ses pépites, surses grands crus et à justifier l’intérêt <strong>de</strong> leurcomplexité. Qui le fera si le vin est vendu entrewhisky, lessive et beurre ? Si l’on n’y prend pasgar<strong>de</strong>, le modèle ang<strong>la</strong>is risque <strong>de</strong> n’avoir quequelques années d’avance…9