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Le protocole n°14 - Procedurecivile.be

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N° 6405ISSN 0021-812Xhttp://jt.larcier.<strong>be</strong>25 septembre 2010 - 129 e année - 29Georges-Al<strong>be</strong>rt DAL, rédacteur en chefBureau de dépôt : Louvain 1Hebdomadaire, sauf juillet et aoûtSOMMAIRE■ <strong>Le</strong> <strong>protocole</strong> n o 14 :« cautère sur une jam<strong>be</strong> de bois »ou véritable « garantie de l’efficacité àlong terme de la Cour européenne desdroits de l’homme »?, par F. Krencet S. van Drooghenbroeck . . . . . . . . 493■ Vie du droit :<strong>Le</strong> traitement en chambre du conseildes procédures judiciaires relevantdu droit de la famille - Loi du 2 juin 2010modifiant le Code judiciaire et le Codecivil, par J.-P. Masson . . . . . . . . . . . . 502■■Délit de presse - Notion - Publicationd’une opinion écrite sur internet (oui) -Compétence de la cour d’assises(article 150 de la Constitution).(Bruxelles, 11 e ch., 17 mars 2010,observations de Q. Van Enis) . . . . . . 506Faillites - Décharge de la cautionpersonnelle constituée à titre gratuit -Champ d’application ratione personæ(article 80 de la loi sur les faillites) -Gérants, actionnaires ou administrateursde la société faillie (non).(Comm. Bruxelles, 4 e ch. extr.,8 mars 2010) . . . . . . . . . . . . . . . . . 509■ Chronique judiciaire :Billet de la semaine - Bibliographie - Échos- Thémis veut être comprise - Élections -Dates retenues - Communiqué.Dans la Collection de la Facultéde droit de l’Université de LiègeDroit des personneset des famillespar Yves-Henri LELEU2 e éditionÉdition 2010, 838 pages . . . . . . . . 185,00 €COMMANDES : LARCIER, c/o De Boeck ServicesFond Jean-Pâques, 4 - 1348 Louvain-la-NeuveTél. (010) 48.25.00 - Fax (010) 48.25.19.commande@deboeckservices.com - www.larcier.comDOCTRINE<strong>Le</strong> <strong>protocole</strong> n o 14 :« cautère sur une jam<strong>be</strong> de bois »ou véritable « garantie de l’efficacité à long termede la Cour européenne des droits de l’homme »?LA SUITE d’un revirement d’attitude aussi tardif qu’inattendu de laFédération de Russie, le <strong>protocole</strong> n o 14 à la Convention européenne desdroits de l’homme, adopté le 12 mai 2004, est finalement entré envigueur le 1 er juin dernier, imprimant de la sorte des modifications assezsubstantielles au mécanisme strasbourgeois de contrôle de la Convention. <strong>Le</strong>présent article synthétise, sous un angle résolument pratique et, le cas échéant,critique, les modifications pareillement introduites, à l’aune des évolutionssurvenues depuis la conception dudit <strong>protocole</strong>.IIntroduction1. L’antienne est connue : la Cour européennedes droits de l’homme croule sous l’afflux sanscesse croissant des requêtes portées devantelle. Elle est, dit-on, au bord de l’asphyxie.<strong>Le</strong>s chiffres sont éloquents. Si, en 2000,10.500 requêtes ont été attribuées à une formationde jugement au sein de la Cour, ce nombrea plus que triplé en 2005, dépassant la barredes 35.000 requêtes. En 2009, il a culminé à57.100, soit une augmentation de 15% par rapportà l’année 2008. Et l’on recense déjà pourl’année 2010, au terme du premier semestre,une hausse de 5% par rapport à l’année 2009...Il fut un temps où, aux dires d’un ancien de sesmembres, la Cour sabrait le champagne lorsqu’unenouvelle affaire lui était déférée 1 .Aujourd’hui, ce sont près de 120.000 requêtesqui sont pendantes à Strasbourg 2 , alors qu’elles(1) « Interview met Donner, rechter in het Europees Hofvoor de Rechten van de Mens », N.J.C.M.-Bulletin, 1988,p. 197.(2) L’on ne peut s’empêcher de constater que plus de55% des requêtes pendantes proviennent de quatre Étatsseulement : la Russie, la Turquie, l’Ukraine et la Roumanie,la Russie étant, de loin, le plus gros pourvoyeur avec28% des requêtes dirigées contre elle.étaient 56.800 en 2005 et moins de 16.000 en2.000 3 .2. Face à ce développement exponentiel de lamasse contentieuse, le comité des ministres duConseil de l’Europe a adopté, le 12 mai 2004,le <strong>protocole</strong> n o 14 « amendant le système decontrôle de la Convention » en vue de« garantir à long terme l’efficacité de la Coureuropéenne des droits de l’homme » 4 .Fruit d’une gestation longue de plus de troisannées, ce <strong>protocole</strong> n’est entré en vigueurque le 1 er juin 2010. Initialement espérée en2006 par le comité des ministres, cette entréeen vigueur fut en réalité considérablement retardéeen raison de l’obstruction menée par laFédération de Russie 5 . <strong>Le</strong> blocage avait au demeurantatteint des proportions telles que l’ons’était provisoirement résolu à la mise en placed’un pis-aller : incarné par le <strong>protocole</strong>n o 14bis 6 et la déclaration d’application anti-(3) Pourtant, la Cour se montre plus productive que parle passé. La Cour a ainsi statué sur 35.460 requêtes en2009, contre 29.000 requêtes jugées en 2005 et 7.500en 2000.(4) Rapport explicatif du <strong>protocole</strong> n o 14, § 2.(5) Sur les raisons — parfois nébuleuses — de ce veto,voy. J.W. REISS, « Protocol n o 14 ECHR and the RussianNon-Ratification : the Current State of Affairs », 22 HarvardHuman Rights Journal, 2009, spécialement pp. 305et s.(6) Ouvert à la signature le 27 mai 2009, le <strong>protocole</strong>n o 14 bis constitue une version light du <strong>protocole</strong> n o 14.J.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000


494 DOCTRINE2010cipée du <strong>protocole</strong> n o 14 7 , l’Accord de Madriddu 12 mai 2009 8 permettait en effet unemise en œuvre limitée, ratione materiae et rationepersonae, des dispositifs de la réforme.La Fédération de Russie accepta néanmoins,moyennant quelques concessions, de leverson veto, et déposa ses instruments de ratificationdu <strong>protocole</strong> n o 14 en février 2010, enprélude de la Conférence d’Interlaken surl’avenir de la Cour européenne des droits del’homme 9 . <strong>Le</strong>s dispositifs issus de l’Accord deMadrid se voient donc frappés de caducité.3. À vrai dire, le <strong>protocole</strong> n o 14 tend à pallierles insuffisances du <strong>protocole</strong> n o 11, lequel,malgré la profonde réforme engendrée, àl’automne 1998, dans le mécanisme de contrôlede la Convention, s’est très vite révélé impuissantà faire face à l’explosion du contentieuxeuropéen des droits de l’homme 10 . Cetteexplosion résultait à l’époque, et résulte encoreà l’heure actuelle, de la conjugaison de troisfacteurs : l’élargissement massif du Conseil del’Europe vers les pays d’Europe centrale etorientale au cours de la décennie 1990 11 , l’extraordinaireextension des droits protégés par laCour 12 ainsi que la forte médiatisation de celleci,perçue bien souvent — à tort — comme lajuridiction « de dernier recours », voire commeune juridiction à vocation indemnitaire.4. De nombreuses et volumineuses études ontdéjà été consacrées au <strong>protocole</strong> n o 14 13 .Nous n’entendons évidemment pas les dupliquer;le propos se bornera à envisager, sous unangle résolument pratique et à l’aune des évolutionsde tous ordres survenues depuis le momentde sa conception, les perspectives ouvertespar certains des dispositifs issus de cette réforme.On se concentrera, en premier lieu, sur lesdispositions tendant à améliorer la capacitéde travail de la Cour, singulièrement celles afférentesau juge unique et à la compétencedes comités de trois juges (1), ainsi que sur lanouvelle condition de recevabilité inscrite àl’article 35 de la Convention (2). Sera ensuitebrièvement évoqué le droit d’interventionconféré au commissaire aux droits del’homme (3). <strong>Le</strong>s mesures visant à améliorer lecontrôle de l’exécution des arrêts rendus parla Cour retiendront également l’attention (4),avant les dispositions concernant plus spécifiquementles juges de la Cour en vue de renforcerles garanties tenant à leur indépendance(5). Enfin, il s’agira de cerner les enjeux del’adhésion de l’Union européenne à la Conventioneuropéenne des droits de l’hommequ’autorise désormais explicitement le <strong>protocole</strong>n o 14 et qu’exige parallèlement le nouveauTraité sur l’Union européenne (6).1<strong>Le</strong>s mesures visantà simplifier et à accélérerle traitement des requêtes5. Deux chiffres ont guidé la réforme. D’unepart, plus de 90% des requêtes introduites devantla Cour sont déclarées irrecevables.D’autre part, plus de 60% des requêtes recevablesconstituent des requêtes « répétitives »,c’est-à-dire des requêtes identiques ou sensiblementsemblables à des requêtes ayant déjàdonné lieu à un arrêt de condamnation par laCour.Forts de ce double constat, les auteurs du <strong>protocole</strong>n o 14 ont édicté deux mesures. La premièretend à liquider rapidement et à peu defrais les requêtes qui ne remplissent manifestementpas les conditions de recevabilité. Elleconsiste, concrètement, à la mise en place de laformation de juge unique (A). La seconde vise àIl ne prévoit que l’institution du juge unique et la compétenceélargie des comités de trois juges. Selon les termesde son rapport explicatif, le <strong>protocole</strong> n o 14 bis consisteen une « mesure provisoire et intérimaire en attendantl’entrée en vigueur du <strong>protocole</strong> n o 14 ».(7) Aux termes de l’Accord de Madrid, les États parties àla Convention pouvaient déclarer que les dispositionsrelatives à la fonction de juge unique ainsi qu’à la nouvellecompétence des comités de trois juges pouvaientleur être appliquées à titre provisoire, dans l’attente del’entrée en vigueur du <strong>protocole</strong> n o 14. La Belgique aprocédé à pareille acceptation le 29 juillet 2009, lesdeux dispositions précitées s’appliquant à son égard depuisle 1 er août 2009.(8) Sur cet accord, voy. J.-F. FLAUSS, « <strong>Le</strong> <strong>protocole</strong>n o 14bis de la Convention européenne des droits del’homme », R.G.D.I.P., 2009, pp. 621-634.(9) Visiblement lassée d’attendre l’ultime ratification parla Russie, la Cour n’avait pas exclu de faire application,ou à tout le moins de s’inspirer, de certaines dispositionsdu <strong>protocole</strong> n o 14, alors même que celui-ci n’était pasentré en vigueur. Voy. l’arrêt Ferreira Alves c. Portugal(n o 4) du 14 avril 2009 : « La Cour peut (...), et elle l’asouvent fait, s’inspirer des instruments internationauxqui n’ont pas encore déployé tous leurs effets juridiques,en tant notamment que révélateurs de dénominateurscommuns parmi les normes pertinentes de droit international(...), à plus forte raison et par excellence lorsqu’ilsont déjà été acceptés par une grande majorité d’États (ycompris en l’espèce l’État défendeur) » (§ 22). Soulevanten l’espèce l’irrecevabilité de la requête au motif que lerequérant n’avait, à son estime, subi aucun « préjudiceimportant », le gouvernement portugais avait sollicitél’application anticipée de la nouvelle condition de recevabilitéprévue par le <strong>protocole</strong> n o 14.(10) À peine le <strong>protocole</strong> n o 11 était-il entré en vigueurque la Conférence ministérielle européenne sur lesdroits de l’homme, organisée à Rome en novembre2000 à l’occasion du cinquantième anniversaire de laConvention, souhaitait qu’« une réflexion approfondie »soit menée « dans les meilleurs délais » « en vue de garantirl’efficacité de la Cour », compte tenu des« difficultés que [celle-ci] rencontre pour faire face auvolume toujours croissant de requêtes ».(11) Pas moins de dix-huit États ont adhéré au Conseil del’Europe au cours de la décennie 1990.(12) Par l’adoption de <strong>protocole</strong>s additionnels à la Convention,mais aussi et surtout en raison de l’interprétationdynamique et évolutive de la Convention par laCour. Celle-ci a ainsi pu déduire de celle-là un certainnombre de droits de la deuxième, voire de la troisièmegénération. Voy. notamment, à propos des droits sociaux,J.-P. COSTA, « La Cour européenne des droits del’homme et la protection des droits sociaux », Rev. trim.dr. h., 2010, p. 207. Cette extension par la voie prétoriennene cesse de susciter la critique : voy. M. BOSSUYT,« De uitbreiding van de rechtsmacht van het EuropeesHof van de rechten van de mens tot socialezekerheidsregelgeving: een rechterlijke revolutie? », R.W., 2008,pp. 842 et s.(13) Voy. sans exhaustivité, et outre les références plusponctuelles citées ci-après, G. COHEN-JONATHAN et J.-F.FLAUSS (dir.), La réforme du système de contrôle contentieuxde la Convention européenne des droits de l’homme,Nemesis - Bruylant, coll. « Droit et justice », n o 61,Bruxelles, 2005; P. LEMMENS et W. VANDENHOLE (dir.),Protocol n o 14 and the Reform of the European Court ofHuman Rights, Intersentia, Oxford - Anvers, 2005;L. CAFLISCH, « The Reform of the European Court of HumanRights : protocol n o 14 and Beyond », Human RightsLaw Review, 2006 (2), pp. 403-415.optimiser la gestion contentieuse des requêtesrépétitives en investissant les comités de troisjuges du pouvoir de rendre des arrêts sur le fondlorsqu’existe une « jurisprudence bien établiede la Cour » (B).A. L’institution du juge unique6. Avant l’entrée en vigueur du <strong>protocole</strong>n o 14, la Cour disposait, en son sein, de troisformations de jugement : la grande chambrecomposée de dix-sept juges, les chambres composéesde sept juges et les comités de troisjuges. Il incombait alors à ces comités, statuantà l’unanimité, d’évacuer du prétoire strasbourgeoisles requêtes les plus manifestementirrecevables 14 .7. En vue de renforcer la capacité de filtrage dela Cour, le <strong>protocole</strong> n o 14 institue une nouvelle— quatrième — formation de jugement : lejuge unique.Celui-ci est habilité, aux termes du nouvelarticle 27, § 1 er , de la Convention, à « déclarerune requête (...) irrecevable ou [à] la rayer durôle lorsqu’une telle décision peut être prise sansexamen complémentaire ». <strong>Le</strong> rapport explicatifdu <strong>protocole</strong> n o 14 précise que le juge uniqueprendra pareille décision « dans les affaires parfaitementclaires, dans lesquelles l’irrecevabilitéde la requête s’impose d’emblée » 15 .<strong>Le</strong>s décisions prises par le juge unique sontdéfinitives 16 ; elles ne peuvent être déférées àune autre formation de jugement au sein de laCour.8. En instituant la formation de juge unique, lesauteurs du <strong>protocole</strong> n o 14 ont clairement rejetéla proposition consistant à créer un organedistinct de filtrage. Cette proposition emportaitclairement les faveurs des juges de la Cour dèslors que la mise en place d’un tel organe leuraurait permis, selon leurs dires, de se concentrersur les « affaires substantielles », soit en faitsur les « tâches qui sont véritablement cellesd’une juridiction internationale » 17 .<strong>Le</strong> <strong>protocole</strong> n o 14 ne dissocie pas la fonctionde filtrage de la fonction juridictionnelle. Pourles rédacteurs du <strong>protocole</strong> n o 14, il n’était manifestementpas question de réinstaurer un systèmedual, comparable à celui qui préexistait àl’entrée en vigueur du <strong>protocole</strong> n o 11 18 , lequela supprimé la Commission européenne desdroits de l’homme et a mis en place une Courunique et permanente. Aussi ces mêmes rédacteursn’ont-ils pas entendu distinguer deux catégoriesde « juges », bien que la Cour ait plaidé,avec un ton un brin condescendant, pour la(14) En ce compris les requêtes manifestement mal fondées(article 35, § 3, de la Convention).(15) Rapport explicatif, § 67.(16) Article 27, § 2, de la Convention.(17) Mémorandum indiquant la position de la Coureuropéenne des droits de l’homme sur les propositionsde réforme de la Convention européenne des droits del’homme et autres mesures figurant dans le rapport ducomité directeur pour les droits de l’homme(26 septembre 2003, CDDH-GDR(2003)024), §§ 6, 47-48 et 51; réponse de la Cour européenne des droits del’homme au rapport d’activités intérimaire du comité directeurpour les droits de l’homme (10 février 2004,CDDH-GDR(2004)001 Rév), §§ 4-17 et 37.(18) Pour rappel, ce <strong>protocole</strong> est entré en vigueur le1 er novembre 1998.J.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000


2010DOCTRINE495nomination de « juges qui, à un niveau inférieur,s’occuperaient de la masse de travail judiciaireessentiellement non contentieux quiinonde la Cour » 19 .9. Prima facie, l’institution du juge uniquepourrait susciter des objections de principedans la mesure où elle sacrifie le principe decollégialité au nom d’un impératif de productivité.Ce point de vue nous paraît cependantthéorique et excessif. D’une part, le juge uniquen’est pas appelé à travailler seul, cloîtrédans son bureau. Il est convié par la Conventionà collaborer activement avec le greffe etsingulièrement avec le rapporteur (infra n o 11)qui lui est adjoint. Par ailleurs, en sa qualité dejuge, il est naturellement poussé au dialogue.D’autre part, l’importance de la collégialité nedoit pas être surestimée en pratique, s’agissantdes comités de trois juges et des chambres desept juges, lesquelles sont les formations« ordinaires » de jugement. Celles-ci doiventfaire face à une telle charge de travail qu’il seraitnaïf de croire que chaque affaire, surtoutlorsqu’elle est relativement « simple », fait l’objetd’une discussion longue et approfondie entretous les juges composant ledit comité ou laditechambre.10. S’agissant du mode de désignation desjuges uniques, la Convention ne dit mot. Il convientpartant de se référer au règlement de laCour, lequel dispose que les juges uniques sontdésignés, par rotation, pour une période dedouze mois, le président de la Cour et les présidentsde section étant exemptés de l’exercicede cette fonction 20 .La Convention précise du reste qu’un juge uniquene peut connaître d’une requête dirigéecontre l’État au titre duquel il a été élu 21 , ce quiprocède de l’évidence.11. Dans l’exercice de leur mission, ces jugesuniques sont assistés de « rapporteurs » 22 .Ceux-ci — précise l’article 24, § 2, de la Convention— « exercent leurs fonctions sousl’autorité du président de la Cour » et « fontpartie du greffe de la Cour ».La Convention reste silencieuse pour le surplus.Elle n’indique ni le nombre de ces rapporteurs,ni leur nationalité, ni leur mode de désignation.<strong>Le</strong> règlement de la Cour précise sur ce dernierpoint que les rapporteurs sont désignés par leprésident de la Cour sur proposition dugreffier 23 . Et le rapport explicatif du <strong>protocole</strong>n o 14 d’ajouter que le rapporteur doit connaître« la langue et le système juridique de la partiedéfenderesse » 24 et que cette fonction ne peutêtre confiée qu’à « des personnes possédantune solide expérience juridique, une connaissancespécialisée de la Convention et de sa jurisprudence,une très bonne connaissance d’aumoins une des langues officielles du Conseil del’Europe, et qui, comme les autres membres dugreffe, remplissent les conditions d’indépendanceet d’impartialité » 25 .(19) Réponse précitée, § 5.(20) Article 27A du règlement de la Cour.(21) Article 26, § 3, de la Convention.(22) <strong>Le</strong> règlement de la Cour parle de « rapporteurs nonjudiciaires » (article 18 A).(23) Article 18A, § 2, du règlement de la Cour.(24) Rapport explicatif, § 58.(25) Rapport explicatif, § 59.B. L’élargissement de la compétencedes comités de trois juges12. Afin de simplifier et d’accélérer le traitementdes requêtes dites « répétitives », le <strong>protocole</strong>n o 14 prévoit qu’un comité de trois jugespeut désormais rendre « un arrêt sur le fondlorsque la question (...) qui est à l’origine del’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bienétablie de la Cour » 26 .Antérieurement, la compétence des comités detrois juges était cantonnée au seul examen de larecevabilité des requêtes. <strong>Le</strong> <strong>protocole</strong>n o 14 maintient cette compétence 27 , tout endotant les comités du pouvoir de rendre desarrêts « sur le fond ».13. Cette nouvelle disposition avait, à l’état deprojet, reçu un accueil favorable, tant de laCour 28 que de la doctrine 29 .Il reste toutefois à s’entendre sur la notion de« jurisprudence bien établie de la Cour ». <strong>Le</strong>rapport explicatif du <strong>protocole</strong> n o 14 précise àcet égard que « jurisprudence bien établie » nesignifie pas nécessairement « jurisprudenceconstante ». Ainsi, une « jurisprudence bienétablie » peut découler d’une jurisprudenceconstante rendue par les chambres de la Courmais elle peut également résulter d’« un seularrêt de principe de la Cour », « particulièrements’il s’agit d’un arrêt de la grandechambre » 30 .14. Pour rendre un arrêt « sur le fond », les troisjuges doivent être unanimes 31 . À défaut, l’affaireest renvoyée devant une chambre ordinairede sept juges.<strong>Le</strong>s arrêts rendus par les comités sontdéfinitifs 32 , en sorte qu’ils ne peuvent être déférésà la censure de la grande chambre, à la différencedes arrêts rendus par les chambres desept juges 33 .Précisons enfin que le juge élu au titre de l’Étatdéfendeur n’est pas membre de droit du comitéde trois juges 34 , ce qui constitue une petite« révolution » dans le système de la Conventiondès lors qu’antérieurement, les arrêts de laCour étaient toujours rendus en présence dujuge élu au titre de l’État défendeur ou, en casd’absence de celui-ci, d’un juge ad hoc désignépar cet État.(26) Article 28, § 1 er , b, de la Convention.(27) Article 28, § 1 er , a, de la Convention.(28) Mémorandum précité de la Cour européenne desdroits de l’homme, §§ 13-14.(29) Voy. G. COHEN-JONATHAN, « Garantir l’efficacité àlong terme de la Cour européenne des droits del’homme : quelques observations à partir des dernierstravaux du comité directeur pour les droits del’homme », Rev. trim. dr. h., 2003, p. 1147; P. LAMBERT,« Quelle réforme pour la Cour européenne des droits del’homme? », Rev. trim. dr. h., 2002, pp. 798 et 802.(30) Rapport explicatif, § 68.(31) Article 28, § 1 er , de la Convention.(32) Article 28, § 2, de la Convention.(33) Un arrêt rendu par une chambre peut faire l’objetd’un renvoi devant la grande chambre dans les conditionsénoncées à l’article 43 de la Convention.(34) Article 26, § 4 (a contrario), et article 28, § 3, de laConvention. Tout juste l’article 28, § 3, de la Conventionprévoit-il que « Si le juge élu au titre de la haute partiecontractante partie au litige n’est pas membre du comité,ce dernier peut, à tout moment de la procédure, l’inviterà siéger en son sein en lieu et place de l’un de sesmembres (...) ».2Une nouvelle conditionde recevabilité des requêtes15. En sus des conditions classiques tenant notammentà la qualité de victime 35 , à l’épuisementdes voies de recours internes 36 et au délaide forclusion de six mois 37 , déjà inscrites dansla Convention, le <strong>protocole</strong> n o 14 prévoit unenouvelle condition de recevabilité des requêtesportées devant la Cour. Celle-ci peut, à présent,déclarer une requête irrecevable lorsqu’elle estimeque « le requérant n’a subi aucun préjudiceimportant, sauf si le respect des droits del’homme garantis par la Convention et ses <strong>protocole</strong>sexige un examen de la requête au fondet à condition de ne rejeter pour ce motif aucuneaffaire qui n’a pas été dûment examinée parun tribunal interne » 38 .16. Cette nouvelle condition de recevabilitétrouve son origine dans une proposition émiseen 2001 par le groupe d’évaluation chargé parle comité des ministres du Conseil de l’Europede réfléchir à la réforme du système de contrôlede la Convention. Entre autres propositions, cegroupe avait suggéré l’insertion, dans le textede la Convention, d’« une disposition qui, ensubstance, conférerait à la Cour le pouvoir derefuser d’examiner en détail les requêtes ne posantaucune question substantielle au regard dela Convention » 39 . Cette suggestion avait, àl’époque, suscité les plus vives réticences d’unepartie de la doctrine ainsi qu’une levée de boucliersdes O.N.G. et des barreaux, lesquels s’insurgeaientcontre l’atteinte qui serait ainsi portéeau droit de recours individuel 40 devant laCour.Nonobstant ces protestations, le comité directeurpour les droits de l’homme fit sienne lasuggestion du groupe d’évaluation, laquelle bénéficiaitde l’appui de personnalités de choix,parmi lesquelles le président de la Cour del’époque, Luzius Wildha<strong>be</strong>r 41 , et l’ancien greffierde cette même Cour, Her<strong>be</strong>rt Petzold 42 .Dans son rapport du 4 avril 2003 43 , le comitédirecteur proposa un « amendement à la Conventionafin d’ajouter une nouvelle conditionde recevabilité permettant à la Cour d’écarterles affaires qui remplissent cumulativement lestrois critères suivants : i) le requérant n’a subiaucun préjudice important; ii) l’affaire ne sou-(35) Article 34 de la Convention.(36) Article 35, § 1 er , de la Convention.(37) Article 35, § 1 er , de la Convention.(38) Article 35, § 3, b, de la Convention, tel qu’il est modifiépar le <strong>protocole</strong> n o 14.(39) Rapport du groupe d’évaluation au comité des ministressur la Cour européenne des droits de l’homme,EG Court (2001)1, 27 septembre 2001, §§ 92-93.(40) Voy. P. LAMBERT, « Quelle réforme pour la Coureuropéenne des droits de l’homme? », op. cit., pp. 798,801 et 802.(41) L. WILDHABER, « Un avenir constitutionnel pour laCour européenne des droits de l’homme? », Rev. univ.dr. h., 2002, vol. 14, n os 1-4, pp. 1-6.(42) H. PETZOLD, « Épilogue : la réforme continue », inProtection des droits de l’homme : la perspective européenne- Protecting human rights : the European perspective- Mélanges à la mémoire de Rolv Ryssdal,C. HEYMANNS, Verlag, Cologne, 2000, spécialementpp. 1576-1577.(43) « Garantir l’efficacité à long terme de la Cour européennedes droits de l’homme », CDDH (2003)006 final.J.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000


496 DOCTRINE2010lève aucune question grave relative à l’interprétationou à l’application de la Convention ou deses <strong>protocole</strong>s et iii) l’affaire ne soulève aucunequestion grave de caractère général » 44 .Sans surprise, cette proposition rencontra denouveau une franche hostilité 45 . En sus de lacritique portant sur la restriction que cette nouvellecondition de recevabilité apporterait audroit de recours individuel, il a notamment étérappelé que bon nombre de « grands arrêts » dela Cour ont été rendus à l’occasion de « petitesaffaires » 46 . La proposition du comité directeursuscita, du reste, le scepticisme de plusieursjuges de la Cour 47 de même que l’opposition del’Assemblée parlementaire du Conseil del’Europe 48 .17. <strong>Le</strong> li<strong>be</strong>llé finalement adopté par les rédacteursdu <strong>protocole</strong> n o 14 procède d’uncompromis 49 . Il prévoit deux soupapes desécurité : la Cour peut examiner une requête,même si « le requérant n’a subi aucun préjudiceimportant », lorsque « le respect des droitsde l’homme garantis par la Convention et ses<strong>protocole</strong>s exigent un examen de la requête aufond »; de même, la Cour ne peut rejeter unerequête si « l’affaire n’a pas été dûment examinéepar un tribunal interne » 50 .18. Quelle que soit l’importance de ces« clauses de sauvegarde », cette nouvelle conditionde recevabilité frappant les requêtes dites« bagatelles » appelle toujours la critique 51 , aumieux la réserve, et ce, à plusieurs titres.19. Indéniablement, l’ajout d’une nouvellecondition de recevabilité des requêtes tend,(44) Proposition B.4 du rapport précité.(45) Voy. entre autres G. COHEN-JONATHAN, « Garantirl’efficacité à long terme de la Cour européenne desdroits de l’homme... », op. cit., pp. 1148-1149 etF. Benoît-Rohmer, « Il faut sauver le recoursindividuel », Dalloz, 2003, pp. 2584-2590.(46) M. CANEVASCINI, « Cour européenne des droits del’homme : peut-on réformer les conditions derecevabilité? », L’Europe des li<strong>be</strong>rtés, n o 10, 2003,pp. 12-13. Il n’est que de songer aux arrêts Oztürk c. Allemagnedu 21 février 1984 ou Belilos c. Suisse du29 avril 1988. L’on peut également pointer, plus récemment,l’arrêt Micallef c. Malte du 15 octobre 2009 relatifà l’applicabilité de l’article 6 de la Convention aux mesuresprovisoires et rendu à l’occasion d’une banale affairede voisinage.(47) Voy. les positions exprimées dans le Mémorandumprécité de la Cour européenne des droits de l’homme(§§ 26-38). Voy. plus spécialement l’ « opinionséparée » des juges F. TULKENS, M. FISCHBACH, J. CASADE-VALL et W. THOMASSEN, « Pour le droit de recoursindividuel », in G. COHEN-JONATHAN et C. PETTITI (dir.),La réforme de la Cour européenne des droits de l’homme,Nemesis-Bruylant, coll. Droit et justice, Bruxelles,n o 48, 2003, pp. 171-175.(48) Avis n o 251(2004).(49) Voy. L.-A. SICILIANOS, « L’objectif primordial du<strong>protocole</strong> n o 14 à la Convention européenne des droitsde l’homme : alléger la charge de travail de la Cour », inG. COHEN-JONATHAN et J.-F. FLAUSS (dir.), La réforme dusystème de contrôle contentieux de la Convention européennedes droits de l’homme, op. cit., pp. 68-76.(50) Inscrite in extremis dans le texte de l’article 35,cette seconde clause s’inscrit, en réalité, dans la philosophiedu principe de subsidiarité gouvernant la Convention,principe en vertu duquel la Cour supplée auxcarences des juridictions nationales.(51) De la doctrine : voy. G. COHEN-JONATHAN, « Proposintroductifs », in La réforme du système de contrôle contentieuxde la Convention européenne des droits del’homme, op. cit., pp. 42-44; des O.N.G. : voy.M. PUÉCHAVY, « La position des O.N.G. sur la réforme »,in La réforme du système de contrôle contentieux de laConvention ..., op. cit., pp. 127-130; des barreaux : voy.C. PETTITI, « <strong>Le</strong> point de vue des avocats sur la réforme »,in La réforme du système de contrôle contentieux de laConvention ..., op. cit., pp. 115-125.(52) C.E.D.H., arrêt Mamatkoulov et Askarov c. Turquiedu 4 février 2005, § 100.(53) Ibidem, § 122.(54) Voy. F. TULKENS, « La nouvelle Cour européenne desdroits de l’homme - Attentes, réalités et perspectives »,Revue québécoise de droit international, 2000, spécialementpp. 327-329. Voy. à ce propos les considérants del’arrêt Mamatkoulov précité (§ 122) : « prévu à l’originepar la Convention en tant qu’élément facultatif du systèmede protection, le droit de recours individuel a acquisau fil des ans une grande importance et figure parmi lesclefs de voûte du mécanisme de sauvegarde des droits etli<strong>be</strong>rtés énoncés dans la Convention. Dans le système envigueur jusqu’au 1 er novembre 1998, la compétence dela Commission en matière de droit de recours individuelétait subordonnée à une déclaration formelle d’acceptationdes parties contractantes, qui pouvait être faite pourune durée déterminée. <strong>Le</strong> système de protection tel qu’ilfonctionne actuellement est, sur ce point, modifié par le<strong>protocole</strong> n o 11 : le droit de recours individuel ne dépendplus d’une déclaration éventuelle des États contractants.Ainsi, l’individu s’est vu reconnaître au planinternational un véritable droit d’action pour faire valoirdes droits et li<strong>be</strong>rtés qu’il tient directement de laConvention ».(55) En ce sens, l’ancien directeur général des droits del’homme au Conseil de l’Europe, Pierre-Henri Im<strong>be</strong>rt,estime que « la fonction essentielle de la Cour est de direle droit, pas de rendre la justice » (« L’avenir du passé -Une Cour européenne des droits de l’homme : pourquoi faire? », in Trente ans de droit européen des droitsde l’homme - Études à la mémoire de Wolfgang Strasser,Nemesis-Bruylant, coll. Droit et justice, n o 74, Bruxelles,2007, p. 132). Contra F. TULKENS, op. cit., p. 357 :« la Cour doit dire le droit et rendre la justice » (soulignépar la juge Tulkens).(56) Voy. le texte de l’ancien président de la Cour, LuziusWILDHABER, « Un avenir constitutionnel pour laCour européenne des droits de l’homme? », op. cit.,pp. 1-6, plaidant avec vigueur pour une transformationde l’office de la Cour européenne des droits de l’hommeen une cour « constitutionnelle ». Adde J.-F. FLAUSS,« Faut-il transformer la Cour européenne des droits del’homme en juridiction constitutionnelle? », Dalloz,2003, pp. 1638 et s.fût-ce symboliquement, à restreindre l’accèsde l’individu à la Cour. Or, ainsi qu’il a étéabondamment rappelé, le droit de recours individuelest, depuis 1998 et l’entrée en vigueurdu <strong>protocole</strong> n o 11, la pierre angulaire de laConvention. Il constitue, pour reprendre lestermes de l’arrêt Mamatkoulov, « l’un des piliersessentiels de l’efficacité du système de laConvention » 52 , l’une de ses « clefs devoûte » 53 . Dès lors que l’un des objectifs majeursdu <strong>protocole</strong> n o 11 consistait à élargirl’accès du requérant individuel à la Cour européennedes droits de l’homme, en instaurantun véritable droit d’action pour le citoyeneuropéen 54 , le <strong>protocole</strong> n o 14, par l’introductionde cette nouvelle condition de recevabilité,engendre un recul dans la protection juridictionnelledes droits de l’homme en Europe.Même symbolique, ce recul illustre la levéed’un tabou. Cette restriction peut en effet êtrevue comme une première étape dans le processusvisant à faire de la Cour européenne desdroits de l’homme une Cour « constitutionnelle», soit une Cour qui aurait davantagepour fonction de « dire le droit » que de« rendre la justice » 55 , autrement dit une Courprivilégiant l’enseignement du droit au détrimentde la protection des droits 56 .Cette restriction au droit de recours individuelest d’autant plus contestable que la notion nouvellementinscrite de « préjudice important »est une notion éminemment vague et subjective,en proie par conséquent à l’arbitraire.En vue d’atténuer ce danger, le <strong>protocole</strong> n o 14renferme une disposition transitoire aux termesde laquelle « dans les deux ans qui suivent l’entréeen vigueur du (...) <strong>protocole</strong>, seules leschambres et la grande chambre de la Cour peuventappliquer le nouveau critère de recevabilité» 57 . C’est dire que jusqu’au 1 er juin 2012, lanouvelle condition de recevabilité ne pourrapas être appliquée par un juge unique, ni mêmepar un comité de trois juges statuant à l’unanimité.20. Au-delà de ces premières considérations,force est de constater que la mise en œuvre decette nouvelle condition de recevabilité ne serapoint aisée. Elle nécessitera un examen assezpoussé dès le stade de la recevabilité, en sortequ’il est fort probable qu’elle n’entraînera pasun gain de temps pour la Cour, à tout le moinsdans un premier temps.<strong>Le</strong> bénéfice escompté de cette nouvelle conditionde recevabilité apparaît d’autant plus réduitque cette condition ne peut s’appliquer, enréalité, qu’à un très faible pourcentage de requêtes.Plus de 90% des requêtes étant déclaréesirrecevables sur la base du droit antérieur àl’entrée en vigueur du <strong>protocole</strong> n o 14, la nouvellecause d’irrecevabilité ne pourrait, selondes estimations concordantes, concerner que 1voire 2% tout au plus des requêtes introduites àStrasbourg 58 . En effet, la nouvelle condition derecevabilité est inopérante tant à l’égard des requêtesdéclarées irrecevables sur la base desconditions de recevabilité préexistantes au <strong>protocole</strong>n o 14 qu’à l’égard des requêtes manifestementbien fondées car identiques à cellesayant déjà fait l’objet d’un précédent arrêt deviolation de la Cour 59 .La valeur ajoutée de cette nouvelle conditionde recevabilité peut même être jugée totalementnulle si la Cour pouvait déjà, sous l’empiredu droit antérieurement en vigueur, rejetercomme « manifestement mal fondée » ou« abusive » une requête relative à une violation« minime » de la Convention 60 .Ainsi, préalablement à l’entrée en vigueur du<strong>protocole</strong> n o 14, la Cour a, dans une décisionBock c. Allemagne du 19 janvier 2010, clairementfait application de l’adage de minimis noncurat praetor en jugeant « abusive » la requêteintroduite par un fonctionnaire allemand quiavait réclamé, devant les juridictions nationales,le remboursement d’un montant de7,99 EUR correspondant à des frais engagéspour l’achat de tablettes de magnésium prescritespar son médecin. La Cour n’a pas manquéde fustiger en l’espèce la « disproportion » entrele caractère dérisoire de la somme litigieuseet le recours à la juridiction européenne dont lerôle est déjà saturé et devant laquelle de nom-(57) Article 20, § 2, du <strong>protocole</strong> n o 14.(58) La Commission des questions juridiques et desdroits de l’homme de l’Assemblée parlementaire duConseil de l’Europe a avancé un pourcentage de 1,6%dans son avis du 23 avril 2004 (doc. 10147). Voy. égalementles chiffres livrés par F. TULKENS, M. FISCHBACH,J. CASADEVALL et W. THOMASSEN, « Pour le droit de recoursindividuel », op. cit., p. 173. Si ces chiffres ont étéavancés avant l’adoption du li<strong>be</strong>llé définitif du nouvelarticle 35, § 3, de la Convention, ils ne paraissent pasdevoir être remis en cause à la suite de cette adoption.(59) Sont ici visées les requêtes « répétitives » qui représententplus 60% des requêtes déclarées recevables(avant l’entrée en vigueur du <strong>protocole</strong> n o 14). Onéprouve quelque peine à imaginer qu’une requête identiqueà d’autres ayant abouti à un arrêt de violation soitjugée irrecevable au motif que le requérant n’aurait subiaucun préjudice important. Si tel était le cas, il y auraitlà une discrimination entre les requérants.(60) Sur la base de l’article 35, § 3, de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme (aujourd’huiarticle 35, § 3, a).J.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000


2010DOCTRINE497breuses requêtes soulevant de graves questionsrelatives aux droits de l’homme sont pendantes.De telles considérations se retrouvent égalementdans l’opinion dissidente des juges Costa,Jungwiert, Kovler et Fura émise sous l’arrêt Micallefc. Malte du 15 octobre 2009, ces jugesayant déploré que la requête, qui avait pour origineune banale affaire de voisinage, n’ait pasété déclarée irrecevable au motif qu’elle était«abusive» 61 .Aussi, la notion particulièrement élastique derequête « manifestement mal fondée » permettaitdéjà — avant l’entrée en vigueur du <strong>protocole</strong>n o 14 — d’exclure du prétoire strasbourgeois,sans grande motivation 62 et en toutediscrétion 63 , les requêtes « bagatelles ».Toujours dans ce même but, la Cour pouvait —et pourra encore à l’avenir — pratiquer une interprétationmoins libérale de la notion de« victime » d’une violation de la Convention,telle qu’elle est visée par l’article 34 du mêmeinstrument 64 .Dans ces conditions, il est permis de s’interrogersérieusement sur la plus-value de cette nouvellecondition de recevabilité.Il en va d’autant plus ainsi que les techniquesde droit commun précitées — interprétationplus restrictive de la qualité de « victime », recoursaux motifs d’irrecevabilité tirés du « nonfondementmanifeste » ou du caractère« abusif » de la requête — sont immédiatement« activables » par le juge unique ou le comitéde trois juges, contrairement à la nouvelle conditionde recevabilité qui demeurera, en applicationde l’article 20, § 2, du Protocole n o 14,l’apanage exclusif des chambres et de la grandechambre jusqu’au 1 er juin 2012 (voy. supran o 19).On relève à cet égard que la Conférence d’Interlakendes 18 et 19 février 2010 a explicitementinvité la Cour à inscrire, entre les lignesdes conditions classiques de recevabilité, la règlede minimis 65 , reconnaissant par là la faibleincidence de la nouvelle condition de recevabilitésur l’allégement de la charge de travail dela Cour.(61) « Certes, le <strong>protocole</strong> n o 14 (signé et ratifié par Malte)n’est pas encore entré en vigueur. Mais, sans attendrela modification de l’article 35, § 3, de la Convention quirésultera de cette entrée en vigueur, il est surprenant quela Cour, surchargée de requêtes, ne regarde pas celle-cicomme irrecevable, notamment comme « abusive » ausens de l’article 35, § 3, in fine, du texte actuel. (...) Ladisproportion entre la modestie des faits et ce luxe, voirecette débauche, de procédures, heurte le sens commun,alors surtout qu’il subsiste dans nombre d’États partiesdes violations graves des droits de l’homme. Notre Courest-elle exactement faite pour cela? »(62) Ce qui a d’ailleurs été critiqué : voy. P. LAMBERT,« Motivation des décisions de la Cour européenne etfrustration des justiciables », Rev. trim. dr. h., 2007,p. 211.(63) Ces décisions ne sont pas publiées.(64) Voy. à nouveau l’opinion dissidente commune auxjuges Costa, Jungwiert, Kovler et Fura ainsi que l’opinionpartiellement dissidente des juges Björgvinsson et Malinverni,émises sous l’arrêt Micallef c. Malte du15 octobre 2009.(65) La déclaration finale de la Conférence d’Interlaken(voy. infra n o 50) invite en effet la Cour à « donner pleineffet au nouveau critère de recevabilité qui figure dansle <strong>protocole</strong> n o 14 et à considérer d’autres possibilitésd’appliquer le principe de minimis non curat praetor »(notre accent).21. <strong>Le</strong>s propos qui précèdent peuvent paraîtreexagérément pessimistes. Théâtre de la premièremise en œuvre officielle du nouveau dispositif— en l’occurrence, il en fut fait applicationex officio par la troisième section de la Cour —la décision Ionescu c. Roumanie du 1 er juin2010 n’incite toutefois guère à l’enthousiasme.In specie, se trouvaient en cause diverses allégationsde manquements à la garantie du procèséquitable, survenus dans le cadre d’un litigecontractuel dont l’enjeu financier s’élevait à90 EUR. Selon la Cour, le préjudice subi par lerequérant ne pouvait être qualifiéd’ « important », dès lors « qu’aucun élémentdu dossier (n’indiquait) qu’il se trouvait dansune situation économique telle que l’issue dulitige aurait eu des répercussions importantessur sa vie personnelle ». Pas davantage la Courn’estima-t-elle que le respect des droits del’homme justifiait l’examen de l’affaire : cellecine présentait qu’une dimension« historique », en raison de l’abrogation, postérieurementaux faits litigieux, des dispositionslégislatives faisant grief. La Cour de relever, enoutre, que sa jurisprudence est suffisammentétoffée sur la problématique en litige. Enfin, lejuge de Strasbourg a constaté que les moyensarticulés par le requérant ont été examinés parun tribunal interne.Rien que de très lisse et très consensuel, a priori.<strong>Le</strong> lecteur froncera cependant les sourcils enapercevant que cette décision a été rendue nonà l’unanimité, mais à la majorité des membrescomposant la chambre. Des débats, peut-êtrechronophages, ont donc été nécessaires et desdivergences de vues sont immanquablementapparues en cours de délibéré 66 . S’agissantd’un dispositif destiné à désengorger le rôle dela Cour, on eût pu souhaiter de meilleursaugures 67 68 .3<strong>Le</strong> droit d’interventiondu commissaireaux droits de l’homme22. <strong>Le</strong> <strong>protocole</strong> n o 14 confère au commissaireaux droits de l’homme 69 le droit d’intervenir« dans toute affaire devant une chambre ou lagrande chambre ». Concrètement, le commissairepeut « présenter des observations écriteset prendre part aux audiences » 70 .(66) En présence de divergences, un renvoi devant lagrande chambre n’eût-il pas été indiqué afin que cellecibalise, par voie d’autorité, les contours de la nouvellecause d’irrecevabilité?(67) L’esprit vraiment chagrin constatera que cette décision« expérimentale » clôture une affaire introduite àStrasbourg... près de six ans auparavant. Au lieu d’en fairele cobaye d’une expérience aussi cruelle que peuconvaincante, n’eût-il pas été plus charitable de récompenserla patience du requérant par un « petit » arrêt decondamnation?(68) Pour une autre application de la nouvelle caused’irrecevabilité : C.E.D.H., décision Korolev II c. Russiedu 1 er juillet 2010 (rejet d’une requête dont l’enjeu patrimonialn’excédait pas un euro).(69) Celui-ci est « une instance non judiciaire chargéede promouvoir l’éducation et la sensibilisation auxdroits de l’homme tels qu’ils ressortent des instrumentsdu Conseil de l’Europe, ainsi que leur respect » (résolution(99) 50 adoptée le 7 mai 1999 par le comité des ministresdu Conseil de l’Europe).(70) Article 36, § 3, de la Convention. Voy. I. KITSOU-MILONAS, « The Role of the Commissioner for HumanContrairement à ce qui avait pu être envisagé,le commissaire aux droits de l’homme ne sevoit pas investi d’un pouvoir de saisine autonome,son intervention étant subordonnée à l’introductiond’une requête, individuelle ou interétatique.Néanmoins, par la faculté d’intervention qui luiest présentement reconnue, le commissaire auxdroits de l’homme se voit élevé au rang de« gardien de l’ordre public européen des droitsde l’homme » 71 . Peut-être sera-t-il appelé, àl’avenir, à exercer une fonction de« procureur », chargé de porter devant la Courles cas les plus graves de violation de la Convention.Pour l’heure, le commissaire aux droits del’homme entend bien exercer le droit qui lui estprésentement reconnu. Sa première interventiona eu lieu dans l’affaire M.S.S. c. Belgique etGrèce, plaidée le 1 er septembre 2010 devant lagrande chambre. M. Hammar<strong>be</strong>rg est, en l’espèce,intervenu oralement à l’audience, aprèsavoir déposé des observations écrites.4<strong>Le</strong>s dispositions visant à améliorerle contrôle de l’exécution des arrêts23. « Garantir l’efficacité à long terme du systèmede contrôle institué par la Convention »,c’est aussi, et peut-être même avant tout, garantirl’exécution prompte et inconditionnelle desarrêts strasbourgeois. Pareille exécution permeten effet d’éviter la répétition de violations etpartant de prévenir l’introduction de nouvellesrequêtes devant la Cour. En ce sens, l’exécutionparticipe de la prévention, laquelle profite tantaux individus placés sous la juridiction desÉtats parties à la Convention qu’à la Cour ellemême.Au demeurant, une exécution exemplaire parles États des sentences strasbourgeoises est denature à consolider l’autorité de la Cour et, pluslargement, la crédibilité du système européende protection des droits de l’homme.24. Aux termes de l’article 46 de la Convention,les États ont solennellement pris l’engagementde « se conformer aux arrêts définitifs dela Cour dans les litiges auxquels [ils] sontparties ». Depuis les origines, c’est au comitédes ministres qu’il incom<strong>be</strong> de surveiller l’exécutiondes arrêts 72 . <strong>Le</strong> correct accomplissementRights in the Procedure <strong>be</strong>fore the ECTHR », in Reformingthe European Convention on Human Rights, éd. duConseil de l’Europe, Strasbourg, 2009, pp. 157-161.(71) J.-F. FLAUSS, « La réforme de la réforme - Proposconclusifs sous forme d’opinion séparée », in La réformedu système de contrôle contentieux de la Convention...,op. cit., p. 173.(72) Lorsque la Cour constate une violation de la Conventionpar un État, celui-ci est tenu par une tripleobligation : faire cesser la violation, en effacer les conséquenceset éviter des violations semblables. À cette tripleobligation s’ajoute celle de verser l’indemnité éventuellementallouée par la Cour au titre de la satisfactionéquitable, sur la base de l’article 41 de la Convention.Voy. à cet égard E. LAMBERT, « La pratique récente de réparationdes violations de la Convention européenne desauvegarde des droits de l’homme et des li<strong>be</strong>rtésfondamentales : plaidoyer pour la préservation d’un acquisremarquable », Rev. trim. dr. h., 2000, p. 200;J.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000


498 DOCTRINE2010de cette tâche a pu être entravé soit par la résistancede l’État condamné (A), soit en raisond’une indétermination sur la portée exacte de laviolation constatée (B). Sur l’un et l’autre point,la réforme ambitionne d’apporter les remèdesutiles.A. La procédure « en manquement »25. Dans l’exercice de sa mission, le comitédes ministres s’est déjà heurté à certaines résistances,parfois vives. Tantôt l’État tarde à verserl’indemnité due au titre de la satisfactionéquitable 73 au requérant 74 . Tantôt l’État tarde,voire s’oppose, à adopter les mesures,individuelles 75 ou générales 76 , requises pourfaire cesser la violation et en effacer les conséquences.Tantôt c’est le bien-fondé même del’arrêt de la Cour qui est contesté par l’État 77 .Si les cas de ré<strong>be</strong>llion ne sont fort heureusementpas légion, nul ne contestera cependantque ces résistances doivent être combattuesafin de préserver l’autorité des arrêts de la Couret de garantir l’effectivité des droits garantis parla Convention.26. Avant l’entrée en vigueur du <strong>protocole</strong>n o 14, la seule sanction théoriquement envisageableà l’encontre des « mauvais élèves » consistaiten la suspension du droit de représentationau sein du comité des ministres et en l’expulsiondu Conseil de l’Europe 78 . Qualifiées de« nucléaires » en raison de leur radicalité, cesmesures n’ont jamais été adoptées, bienqu’elles aient, à un moment, été envisagées 79 .<strong>Le</strong>s auteurs du <strong>protocole</strong> n o 14 ont dès lorscherché un moyen terme entre la simple pressiondiplomatique et les mesures « nucléaires »F. KRENC, « L’effet des arrêts de la Cour européenne desdroits de l’homme », in L’effet de la décision de justice -Contentieux européens, constitutionnel, civil et pénal,Liège, Anthemis, C.U.P., vol. 102, 2008, spécialementpp. 20 et s.(73) Sur la base de l’article 41 de la Convention.(74) L’on songe à l’affaire Raffineries grecques Stran etStratis Andreadis c. Grèce ayant donné lieu à l’arrêt du9 décembre 1994.(75) L’on songe à l’affaire Ilascu et autres c. Moldova etRussie où les requérants furent maintenus en détentionen « République moldave de Transnistrie » nonobstantl’arrêt de la Cour européenne du 8 juillet 2004 ordonnantleur libération.(76) À propos de la Belgique, on rappellera le retard mispar nos autorités pour se conformer à l’arrêt Marckx c.Belgique du 13 juin 1979, lequel retard a été sévèrementcondamné par la Cour dans l’arrêt Vermeire c. Belgiquedu 29 novembre 1991. On déplorera également l’abrogationtardive par la France de l’article 583 du Code deprocédure pénale prévoyant l’obligation de se mettre enétat afin de pouvoir introduire un pourvoi en cassationcontre une décision emportant une peine privative de li<strong>be</strong>rté.Cette disposition avait été jugée contraire àl’article 6 de la Convention par la Cour dans l’arrêt Poitrimolc. France du 23 novembre 1993. Elle ne fut cependantabrogée que par la loi du 15 juin 2000, ce quivalut, entre autres, une condamnation bien malheureusede la France dans l’affaire Papon par un arrêt du25 juillet 2002.(77) L’on songe au véritable bras de fer ayant opposé,plusieurs années durant, la Turquie au comité des ministress’agissant de l’affaire Loizidou c. Turquie (arrêt du18 décembre 1996 (principal) et arrêt du 28 juillet 1998(satisfaction équitable)).(78) Ces sanctions sont prévues par l’article 8 du statutdu Conseil de l’Europe.(79) Il avait en effet été envisagé d’exclure la Grèce duConseil de l’Europe à la suite de la prise de pouvoir parles colonels en 1967. La mesure ne fut cependant jamaisadoptée, la Grèce ayant dans l’intervalle décidé de se retirerde l’Organisation.précitées. Ils ont conçu une forme de« procédure en manquement », inspirée de laprocédure du même nom en vigueur devant laCour de justice de l’Union européenne. Cettenouvelle procédure, qui ne peut être actionnéeque par le comité des ministres, est décrite auxparagraphes 4 et 5 de l’article 46 de laConvention :« 4. Lorsque le comité des ministres estimequ’une haute partie contractante refuse de seconformer à un arrêt définitif dans un litigeauquel elle est partie, il peut, après avoir mis endemeure cette partie et par décision prise parun vote à la majorité des deux tiers des représentantsayant le droit de siéger au comité, saisirla Cour de la question du respect par cettepartie de son obligation au regard du paragraphe1 er .» 5. Si la Cour constate une violation duparagraphe 1 er , elle renvoie l’affaire au comitédes ministres afin qu’il examine les mesures àprendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas euviolation du paragraphe 1 er , elle renvoie l’affaireau comité des ministres, qui décide de cloreson examen ».27. Dans les intentions des auteurs du <strong>protocole</strong>n o 14, cette « procédure en manquement »ne peut être diligentée « que dans des situationsexceptionnelles » 80 .Il faut dire que l’instauration de cette procéduren’a guère suscité l’enthousiasme de la Cour,plusieurs juges ayant clairement fait part de leur« malaise » à l’égard de ce dispositif 81 , avantque la Cour, dans son ensemble, ne se dise« pas favorable » à cette procédure 82 . C’estqu’il est craint une confusion entre la missionjuridictionnelle de la Cour et la fonction politiquedu comité des ministres. Pour plusieursjuges, « le cadre naturel de toute procédure “enmanquement” (...) est le comité des ministreslui-même et non la Cour » 83 . Accessoirement,la Cour déplorait que le régime procédural decette nouvelle procédure en manquement présentaitcertaines zones d’ombre 84 .28. <strong>Le</strong> nouveau règlement de la Cour, entré envigueur le 1 er juin 2010, s’emploie à lever ceszones d’ombre 85 .Plus avant, il convient de relativiser l’affirmationde la Cour selon laquelle elle ne peut s’immiscerdans l’exécution de ses arrêts. Pareillerelativisation procède d’une évolution de sapropre pratique, observable depuis 2004. Ainsi,la Cour n’hésite plus, dans certains cas, à indiquerà l’État condamné les mesures —individuelles 86 ou générales 87 — que celui-cidoit prendre au titre de l’exécution de l’arrêt.Au demeurant, l’indication vire souvent àl’injonction 88 . Mais il y a plus encore : bienqu’elle ait affirmé son incompétence pour contrôlerl’exécution de ses propres arrêts 89 , laCour accepte de connaître d’une requête mettanten cause l’inexécution par l’État défendeurd’un précédent arrêt constatant une violationde la Convention 90 . La Cour peut, le caséchéant, être appelée à se prononcer sur l’exécutiond’un précédent arrêt lorsqu’elle est saisiepar le même requérant à propos de l’absenceou de l’insuffisance de mesures prises par l’Étatà la suite d’un premier arrêt de condamnation 91ou lorsqu’elle est saisie par une autre personned’un problème identique ou semblable à celuiprécédemment tranché par la Cour 92 .29. Indépendamment de ce qui précède, il estpermis de s’interroger sur l’utilité même decette nouvelle procédure en manquement. Distinguonsles deux hypothèses :— soit la Cour constate que l’État s’est conforméà l’arrêt qu’elle a rendu; dans ce cas, l’affaireest renvoyée au comité de ministres qui esttenu de « clore son examen » 93 . En l’occurrence,l’arrêt de la Cour constitue un désaveu cinglantpour le comité des ministres;— soit la Cour constate, à la suite du comitédes ministres, que l’État mis en cause ne s’estpas conformé à l’arrêt qu’elle a rendu; dans cecas, l’affaire est renvoyée audit comité « afinqu’il examine les mesures à prendre » 94 . Cependant,le comité ne peut prendre d’autresmesures que celles dont il disposait déjà avantla saisine de la Cour. En d’autres termes,nonobstant l’arrêt constatant le manquementde l’État récalcitrant, le comité ne dispose pasd’un moyen supplémentaire de sanction, lapossibilité, initialement envisagée, d’infligerune sanction pécuniaire ayant finalement étéécartée par les rédacteurs du <strong>protocole</strong> n o 14 95 .Tout au plus l’arrêt constatant la violation del’article 46, § 1 er de la Convention peut-il constituerun nouveau moyen de pression pour lecomité, dont la position se verra avalisée et,partant, consolidée par la Cour.(80) Rapport explicatif, § 100.(81) Mémorandum précité de la Cour européenne desdroits de l’homme, § 42.(82) Réponse précitée de la Cour européenne des droitsde l’homme, § 31.(83) Mémorandum précité de la Cour européenne desdroits de l’homme, § 42.(84) Réponse précitée de la Cour européenne des droitsde l’homme, § 29.(85) Voy. les articles 94 à 99 du règlement de la Cour.(86) C.E.D.H., arrêts Assanidzé c. Géorgie du 8 avril2004, Ilascu et autres c. Moldavie et Russie du 8 juillet2004, Scoppola c. Italie (n o 2) du 17 septembre 2009.(87) C.E.D.H., arrêt Broniowski c. Pologne du 22 juin2004 (sur cet arrêt, voy. E. LAMBERT-ABDELGAWAD, « LaCour européenne au secours du comité des ministrespour une meilleure exécution des arrêts “pilote” », Rev.trim. dr. h., 2005, p. 203). Adde C.E.D.H., arrêts Lukendac. Slovénie du 6 octobre 2005, Xenides-Arestis c. Turquiedu 22 décembre 2005, Driza c. Albanie du13 novembre 2007, Bourdov c. Russie (n o 2) du15 janvier 2009, Ivanov c. Ukraine du 15 octobre 2009.(88) Voy. entre autres le dispositif des arrêts Assanidzé etIlascu précités.(89) C.E.D.H., arrêt Mehemi c. France (n o 2) du 10 avril2003, § 43.(90) C.E.D.H., arrêt Verein Gegen Tierfabriken Schweizc. Suisse (n o 2) du 30 juin 2009. C’est à la condition quecette nouvelle requête mette au jour un « problèmenouveau », non tranché par le précédent arrêt. Pour laCour, « il ne saurait y avoir empiètement sur les compétencesque le comité des ministres tire de l’article 46 dela Convention là où la Cour connaît de faits nouveauxdans le cadre d’une nouvelle requête ». Il en est d’autantplus ainsi lorsque le comité des ministres a déjà mis unterme à sa mission de contrôle de l’exécution du précédentarrêt, sans avoir pris — ou pu prendre — en considérationl’élément justifiant la nouvelle saisine de laCour (§ 67 de l’arrêt). Comp. C.E.D.H., décision Öcalanc. Turquie du 6 juillet 2010 à propos de l’exécution del’arrêt de la Cour du 12 mai 2005.(91) Voy. par exemple C.E.D.H., arrêt Perincek c. Turquiedu 21 juin 2005 constatant que la Cour de cassationturque n’a pas tenu compte de l’arrêt Parti socialistede Turquie et autres c. Turquie du 25 mai 1998.(92) Voy. par exemple C.E.D.H., arrêt Vermeire c. Belgiquedu 29 novembre 1991 condamnant l’inexécutionpar la Belgique de l’arrêt Marckx du 13 juin 1979.(93) Article 46, § 5 de la Convention.(94) Idem.(95) Rapport explicatif, § 99.J.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000


2010DOCTRINE49930. Conscients des objections que leur nouveaudispositif ne manquerait pas de susciter,les rédacteurs du <strong>protocole</strong> n o 14 ont entendumiser sur l’effet dissuasif de cette procédure :« la simple existence d’une telle procédure derecours en manquement et la menace d’y avoirrecours devraient avoir un nouvel effet incitatifefficace quant à l’exécution des arrêts de laCour », souligne le rapport explicatif 96 .Il peut, en tout cas, être déjà tenu pour acquisque le comité des ministres n’abusera pas decette nouvelle procédure, dès lors que sa miseen mouvement suppose une majorité forte,d’au moins deux tiers des États.Du reste, il est indubitable que cette procédures’avérera particulièrement lourde dans la mesureoù elle mobilisera la grande chambre de laCour 97 , que celle-ci sera contrainte de procéderà un examen circonstancié de la cause et notammentdes mesures éventuellement déjà prisespar l’État. De surcroît, elle requerra de la Cour unsavant mélange de diplomatie et de fermeté.B. La procédure « en interprétation »31. <strong>Le</strong> <strong>protocole</strong> n o 14 ne se limite pas à prévoirune procédure en manquement. Il institue,en outre, une procédure en interprétation aubénéfice du comité des ministres 98 : « lorsque[celui-ci] estime que la surveillance de l’exécutiond’un arrêt définitif est entravée par une difficultéd’interprétation de cet arrêt, il peut saisirla Cour afin qu’elle se prononce sur cette questiond’interprétation. La décision de saisir laCour est prise par un vote à la majorité des deuxtiers des représentants ayant le droit de siégerau comité » 99 .32. L’on saisit d’emblée l’utilité d’une telle procéduresi l’on se remémore, par exemple, lesatermoiements ayant entravé l’exécution del’arrêt Kress c. France du 7 juin 2001 concernantla présence du commissaire du gouvernement— aujourd’hui rapporteur public — audélibéré du Conseil d’État de France 100 . En l’occurrence,le dispositif de l’arrêt Kress constataitune « violation de l’article 6, § 1 er , de la Conventionen raison de la participation du commissairedu gouvernement au délibéré ». Nonsans une certaine « mauvaise foi » 101 , le gouvernementfrançais soutenait, en s’appuyant surles termes de ce dispositif, que seule la participation« active » du commissaire du gouvernementau délibéré était proscrite par l’arrêt Kress,sa présence « passive » restant autorisée. Cen’est que cinq ans plus tard, dans son arrêt Martiniedu 12 avril 2006, que la Cour a finalement(96) Rapport explicatif, § 100.(97) Article 31, b, de la Convention. Une audience seravraisemblablement organisée, encore que celle-ci restefacultative (article 98, § 2, du règlement de la Cour).(98) La possibilité ainsi offerte au comité des ministresd’introduire une demande en interprétation coexisteraavec celle qui, depuis les origines, est ouverte aux partiesà l’instance. Ces dernières sont requises de faire usagede cette possibilité dans l’année du prononcé del’arrêt litigieux (article 79 du règlement de la Cour).(99) Article 46, § 3, de la Convention.(100) Voy. à ce sujet H. TIGROUDJA, « <strong>Le</strong>s difficultésd’exécution de l’arrêt de la Cour européenne des droitsde l’homme du 7 juin 2001 rendu dans l’affaire Kress c.la France », Rev. trim. dr. h., 2004, pp. 353 et s.(101) E. LAMBERT-ABDELGAWAD, « <strong>Le</strong> <strong>protocole</strong> n o 14 etl’exécution des arrêts de la Cour européenne des droitsde l’homme », in La réforme du système de contrôle contentieuxde la Convention..., op. cit., p. 84.pu clarifier sa position en rejetant la lecturespécieuse de l’arrêt Kress opposée par le gouvernementfrançais 102 .33. Sans doute cette nouvelle procédure incitera-t-elleparallèlement la Cour à être davantageattentive à la lisibilité de ses décisions, celle-ciétant capitale pour que les États puissent s’yconformer pleinement et à bref délai, sans quel’occasion leur soit donnée d’ergoter sur la portéedes arrêts.La Cour a déjà entrepris des efforts en ce sens.Ainsi, lorsqu’elle se trouve confrontée, au seind’un État, à un « problème structurel à grandeéchelle », la Cour s’emploie à cerner, tant quefaire se peut, la source du problème et ellen’hésite plus à prescrire à l’État concernél’adoption de mesures afin qu’il soit mis un termeà la défaillance structurelle ainsi dénoncée.La Cour est vivement encouragée dans cette entreprisepar le comité des ministres luimême103 . De manière plus générale, force estde constater que la Cour se montre plus expliciteque par le passé.34. <strong>Le</strong> <strong>protocole</strong> n o 14 n’enserre pas le nouveaurecours en interprétation dans des limitestemporelles 104 . <strong>Le</strong> comité des ministres estnéanmoins invité à « faire un usage prudent decette possibilité qui lui est offerte afin de ne passurcharger la Cour » 105 .35. S’agissant de la composition de la Cour appeléeà connaître de la demande en interprétationformée par le comité des ministres,l’article 92 du règlement de la Cour disposeque « la demande d’interprétation est examinéepar la grande chambre, la chambre ou lecomité qui a rendu l’arrêt qu’elle vise »; lorsqu’ilest impossible de réunir la formation originaire,« le président de la Cour complète oucompose la formation par tirage au sort » 106 .5<strong>Le</strong>s mesures visant à renforcerl’indépendance des jugesA. La durée du mandat des juges36. Dans sa précédente mouture, la Conventionprévoyait en son article 23 que les juges(102) C.E.D.H., arrêt Martinie c. France du 12 avril2006, spécialement § 53.(103) Résolution 2004(3) du comité des ministres sur lesarrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent :le comité « invite la Cour dans toute la mesure du possible,à identifier dans les arrêts où elle constate une violationde la Convention ce qui, d’après elle, révèle unproblème structurel sous-jacent et la source de ce problème,en particulier lorsqu’il est susceptible de donnerlieu à de nombreuses requêtes, de façon à aider les Étatsà trouver la solution appropriée et le comité des ministresà surveiller l’exécution des arrêts ».(104) Car « une question d’interprétation peut survenir àtout moment lors de l’examen de l’exécution d’un arrêtpar le comité des ministres », précise le rapport explicatif(§ 97).(105) Rapport explicatif, § 96.(106) Ultime précision apportée l’article 93 du règlementde la Cour : la décision par laquelle la Cour se prononcesur la question d’interprétation dont elle a été saisie,« ne peut faire l’objet d’aucune opinion séparée desjuges ».composant la Cour européenne des droits del’homme étaient élus pour une durée de six anset qu’ils étaient rééligibles.37. En vue d’en renforcer plus encore l’indépendanceet l’impartialité 107 , et singulièrementles « apparences » de l’une et l’autre, le <strong>protocole</strong>n o 14 108 prévoit désormais que les jugesne sont pas rééligibles. En outre, la durée deleur mandat est modifiée et portée à neufans 109 .Pour le reste, le mode de nomination des jugesdemeure inchangé : ceux-ci sont élus par l’Assembléeparlementaire du Conseil de l’Europesur une liste de trois candidats présentés parchaque État partie à la Convention 110 . Enfin, lalimite d’âge reste fixée à 70 ans.B. La désignation du juge ad hoc38. En vertu d’une règle solidement ancréedans la Convention, le juge élu au titre d’un Étatpartie au litige est « membre de droit de lachambre et de la grande chambre » 111 .Dans l’hypothèse où ce juge ne peut siéger, laConvention, telle qu’elle était li<strong>be</strong>llée avantl’entrée en vigueur du <strong>protocole</strong> n o 14, prévoyaitque l’État partie au litige « désigne unepersonne qui siège en qualité de juge » 112 , cejuge étant communément appelé « juge adhoc ».39. L’institution du juge ad hoc suscitait immanquablementquelque suspicion dès lors quel’État défendeur pouvait directement nommer« son juge » aux fins de trancher le litige dans lequelcet État était en cause. À l’évidence, cemode de désignation n’était guère heureux sur leplan de l’apparence de l’indépendance 113 .(107) Rapport explicatif, § 50. La résolution sur l’éthiquejudiciaire, adoptée par la Cour plénière le 23 juin2008, participe également de cet objectif.(108) Déférant sur ce point au vœu qui avait été émispar l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe :voy. la recommandation 1649 (2004) de l’Assembléeparlementaire.(109) La limite d’âge demeure fixée à 70 ans.(110) Article 22 de la Convention. D’aucuns regretterontsans doute que le <strong>protocole</strong> n o 14 n’ait pas imposéla présence d’une personne du sexe sous-représenté ausein de ces listes. On précisera à ce propos que la pratiquedéveloppée spontanément par l’Assemblée parlementairedu Conseil de l’Europe, et consistant à déclarerirrecevables les listes « unisexes » de candidats, a été jugéecontraire à la Convention par la Cour européennedans son avis consultatif du 12 février 2008. Voy. spécialementle paragraphe 54 : « il est clair qu’en ne permettantaucune exception à la représentation du sexe sousreprésenté,la pratique actuelle de l’Assemblée parlementairen’est pas conforme à la Convention : là où unepartie contractante a pris toutes les mesures nécessaireset adéquates en vue d’assurer la présence du sexe sousreprésentésur sa liste, mais sans succès, et à plus forteraison quand elle a suivi les recommandations de l’Assembléepréconisant une procédure ouverte et transparenteavec appel à candidatures (...), l’Assemblée ne sauraitrejeter la liste en question pour la seule raison quecette présence n’est pas réalisée. Il faut dès lors que desexceptions au principe de la présence obligatoire d’uncandidat du sexe sous-représenté soient formulées dèsque possible ».(111) Anciennement article 27, § 2, de la Convention;actuellement article 26, § 4, de la Convention.(112) Ancien article 27, § 2, de la Convention.(113) Voy. P. LAMBERT, « <strong>Le</strong>s juges ad hoc à la Cour européennedes droits de l’homme », Rev. trim. dr. h., 1999,pp. 484 et 485. Certains États s’abstiennent cependantde procéder à pareille désignation. En pareil cas, unautre juge élu de la Cour est appelé à remplacer le jugeJ.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000


500 DOCTRINE201040. Tel qu’il a été amendé par le <strong>protocole</strong>n o 14 114 , l’article 26, § 4, de la Conventionprévoit désormais que le juge ad hoc est choisipar le président de la Cour sur une liste soumiseau préalable par l’État partie au litige. <strong>Le</strong> règlementde la Cour précise que cette liste doit contenirles noms de trois à cinq personnes et queles deux sexes doivent y être représentés 115 . Enl’absence d’une telle liste, l’État partie au litigeest invité à désigner un juge parmi les autres jugesélus au sein de la Cour 116 . À défaut de procéderà pareille désignation, l’État est réputé renoncerà son droit de désignation 117 .6L’adhésion de l’Union européenneà la Convention européennedes droits de l’homme41. « L’Union européenne peut adhérer à la (...)Convention [européenne des droits del’homme] ». L’invitation est solennellementlancée par le nouvel article 59 de la Convention,issu de l’article 17 du <strong>protocole</strong> n o 14.42. L’adhésion de l’Union 118 à la Conventionconstitue un thème relativement ancien. Elleavait fait l’objet, dès 1979, d’un mémorandumde la Commission européenne 119 , qui resta cependantlettre morte faute de consensus entreles États. La question fut relancée en 1990 parla même Commission 120 , avant d’être déféréeen 1994 par le Conseil à la Cour de justice desCommunautés européennes 121 . Interrogée surla compatibilité de l’adhésion avec le TraitéC.E., la Cour de justice répondit dans sonavis 2/94 du 28 mars 1996 que l’adhésion « nesaurait être réalisée que par la voie d’une modificationdu Traité » 122 . Cependant, ni le Traitéd’Amsterdam (1997) ni le Traité de Nice (2001)n’apportèrent les modifications requises. Il fallutattendre le Traité établissant une Constitutionpour l’Europe 123 , signé à Rome le 29 octobre2004, pour qu’un accord puisse enfin êtresolennisé entre les États. Ce Traité précisait enson article I-9-2 que « L’Union adhère à la Conventioneuropéenne de sauvegarde des droitsde l’homme et des li<strong>be</strong>rtés fondamentales ».On sait ce qu’il en est advenu... Rejetée au printemps2005 par le peuple français, puis par les« national ». Voy. en ce sens la pratique du Luxembourgillustrée à travers les arrêts Thoma c. Luxembourg du29 mars 2001, Backes c. Luxembourg du 8 juillet 2008et Dattel n o 2 c. Luxembourg du 30 juillet 2009.(114) S’agissant de la présence du juge « national » ausein des comités, voy. supra n o 14.(115) Article 29, § 1 er , b, du règlement de la Cour.(116) Article 29, § 1 er , a, du règlement de la Cour.(117) Article 29, § 2, du règlement de la Cour.(118) À l’origine, la problématique fut celle de l’adhésiondes Communautés, puis de la Communauté, à laConvention, l’Union ne disposant pas encore de la personnalitéjuridique.(119) Mémorandum de la Commission du 4 avril 1979,Bull. C.E., suppl. 2/79, COM (79) 210 final.(120) Communication de la Commission du 19 novembre1990 concernant l’adhésion de la Communauté à laConvention européenne de sauvegarde des droits del’homme et li<strong>be</strong>rtés fondamentales et à certains de ses<strong>protocole</strong>s, SEC (90) 2087 final, C3-022/93.(121) Bull. U.E., 1994, n o 4, point 1.1.4.(122) C.J.C.E., avis 2/94, Rec., 1996, p. I-1759.(123) J.O., 16 décembre 2004, C 310.citoyens néerlandais, la « Constitution pourl’Europe » ne vit jamais le jour. C’est à la faveurde l’entrée en vigueur, le 1 er décembre 2009,du Traité de Lisbonne 124 que le projet de l’adhésiona pris une tournure décisive en ce que leTraité sur l’Union européenne prévoit désormais,par son article 6, § 2, que « l’Union adhèreà la Convention européenne de sauvegardedes droits de l’homme et des li<strong>be</strong>rtés fondamentales».43. Autorisée par le <strong>protocole</strong> n o 14 et requisepar le Traité de Lisbonne, l’adhésion del’Union à la Convention fait aujourd’hui l’objetd’un consensus au niveau politique. Pour<strong>be</strong>aucoup, l’adhésion est devenue indispensabledepuis que l’Union s’est dotée d’une Chartedes droits fondamentaux 125 et a fortiori depuisque cette Charte est devenue juridiquementcontraignante 126 .En clair, l’adhésion aura pour effet de soumettrel’action de l’Union au contrôle ultime de laCour européenne des droits de l’homme s’agissantdu respect de la Convention, de la mêmemanière que l’action des États membres del’Union — lesquels disposent également deleur propre catalogue de droits fondamentaux— est assujettie à ce contrôle.L’adhésion tend à soumettre l’Union à un regardextérieur dans le domaine des droits fondamentaux.Ce regard externe à l’Union renforceraimmanquablement la crédibilité de la protectiondes droits fondamentaux au sein del’Union, en même temps qu’il consolidera, pluslargement, son autorité ainsi que celle de sesinstitutions.44. Il a souvent été affirmé que l’adhésion répondau souci de prévenir l’émergence en Europed’un double standard de protection des droitsfondamentaux. Il convient cependant de ne passe méprendre. C’est que la Convention ne prescritpas une protection uniforme des droits fondamentaux.Ce que la Convention prescrit, c’estun seuil minimal de protection. Celui-ci ne peutêtre transgressé, mais il peut être dépassé 127 .Ainsi, la Convention n’est pas incompatible avecla Charte des droits fondamentaux de l’Union,tant s’en faut. Simplement : la protection tirée dela Charte ne peut être inférieure à celle de laConvention; mais elle peut être plus généreuse.Ces deux instruments sont <strong>be</strong>l et bien complémentaires.D’ailleurs, la Charte, elle-même,prend la Convention comme instrument de référencelorsqu’il s’agit d’interpréter le sens et laportée des droits et li<strong>be</strong>rtés qu’elle lui(124) Traité de Lisbonne modifiant le Traité sur l’Unioneuropéenne et le Traité instituant la Communauté européenne,signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, J.O.,C 306, 17 décembre 2007, p. 1.(125) Voy. entre autres J. CALLEWAERT, « La subsidiaritédans l’Europe des droits de l’homme : la dimensionsubstantielle », in M. VERDUSSEN (dir.), L’Europe de lasubsidiarité, Bruylant, Bruxelles, 2000, p. 37;E. BRIBOSIA, « La protection des droits fondamentaux »,in P. MAGNETTE (dir.), La constitution de l’Europe, éd. del’U.L.B., Bruxelles, 2000, p. 111.(126) Tel qu’il a été modifié par le Traité de Lisbonne,l’article 6, § 1 er , du Traité sur l’Union européenne disposeque la Charte « a la même valeur juridique que lestraités ».(127) Conformément à l’article 53 de la Convention. LaConvention constitue un instrument impératif etsubsidiaire : voy. F. TULKENS et J. CALLEWAERT, « La Courde justice, la Cour européenne des droits de l’homme etla protection des droits fondamentaux », in M. DONY etE. BRIBOSIA (éd.), L’avenir du système juridictionnel del’Union européenne, Bruxelles, éd. de l’U.L.B., 2002,pp. 196 à 199.emprunte 128 , tout en précisant expressémentque le droit de l’Union peut accorder une« protection plus étendue » 129 . En outre, laCharte reconnaît en son article 53 que la Conventionconstitue un « standard minimumobligatoire » 130 .Notons que cette conception cohérente desdroits fondamentaux participe d’un souci maintesfois affiché de la Cour de justice de Luxembourg.Celle-ci s’est toujours efforcée de se référerà la Convention, laquelle revêt à ses yeuxune « signification particulière » 131 , ainsi qu’àla jurisprudence de la Cour européenne desdroits de l’homme.45. Pour l’heure, en l’absence d’adhésion,l’Union n’est pas partie à la Convention en sortequ’elle ne peut être directement attraite devantla Cour européenne des droits de l’homme.Un contrôle « indirect » est toutefois pratiquépar les juges de Strasbourg. Ce contrôle s’exercepar la médiation de la responsabilité desÉtats membres de l’Union devant la Cour européennedes droits de l’homme. De toute évidence,cette situation n’est guère satisfaisantepour l’esprit. Il en va d’autant plus ainsi que ce(128) L’article 52, § 3, de la Charte dispose : « Dans lamesure où la présente Charte contient des droits correspondantà des droits garantis par la Convention européennede sauvegarde des droits de l’homme et des li<strong>be</strong>rtésfondamentales, leur sens et leur portée sont lesmêmes que ceux que leur confère ladite convention ».On notera que les « Explications » annexées à la Charteimposent que l’interprétation de celle-ci prenne encompte, non seulement le texte de la Convention, maisaussi la jurisprudence de la Cour européenne des droitsde l’homme (« La référence à la C.E.D.H. vise à la fois laConvention et ses <strong>protocole</strong>s. <strong>Le</strong> sens et la portée desdroits garantis sont déterminés non seulement par le textede ces instruments, mais aussi par la jurisprudence dela Cour européenne des droits de l’homme et par la Courde justice de l’Union européenne »). <strong>Le</strong>sdites« Explications » reçoivent au demeurant une valeur obligatoirepar l’article 6, § 1 er , alinéa 3, du T.U.E. Seloncette disposition en effet, « <strong>Le</strong>s droits, les li<strong>be</strong>rtés et lesprincipes énoncés dans la Charte sont interprétés conformémentaux dispositions générales du titre VII de laCharte régissant l’interprétation et l’application de celleciet en prenant dûment en considération les explicationsvisées dans la Charte, qui indiquent les sources deces dispositions ».(129) Article 52, § 3, de la Charte.(130) « Aucune disposition de la (...) Charte ne doit êtreinterprétée comme limitant ou portant atteinte aux droitsde l’homme et li<strong>be</strong>rtés fondamentales reconnus (...) par(...) la Convention européenne de sauvegarde des droitsde l’homme et des li<strong>be</strong>rtés fondamentales ».(131) C.J.C.E., arrêts ERT du 18 juin 1991, C-260/89,§41et Parlement c. Conseil du 27 juin 2006, C-540/03,§ 35. Certes, les dispositions de la Convention ne peuventêtre mobilisées qu’en tant qu’elles sont l’expressionde « principes généraux » (article 6 du Traité sur l’Unioneuropéenne). Cependant, en pratique, la Cour de justices’embarrasse peu ou prou d’un tel détour. Voy. à cetégard les propos fameux de l’ancien juge Puissochet :« (...) la prudence rédactionnelle de la Cour [de justice]ne doit pas dissimuler que la Convention européennedes droits de l’homme apparaît comme une partie intégrantedu droit communautaire. La réception des dispositionsmatérielles de la Convention dans l’ordre juridiquecommunautaire par le biais des principes générauxdu droit, revêtant un caractère plutôt formel et automatique,tout se passe comme si la Cour de justice appliquaitpurement et simplement la Convention » (« LaCour européenne des droits de l’homme, la Cour de justicedes Communautés européennes et la protection desdroits de l’homme », in Protection des droits del’homme : la perspective européenne, op. cit., p. 1143).Pour une synthèse récente en la matière, voy. E. BRIBOSIAet S. VAN DROOGHENBROECK, « Emprunts et migrationsentre le droit de l’Union européenne et le droit du Conseilde l’Europe », A. BAILLEUX, Y. CARTUYVELS,H. DUMONT et F. OST (dir.), Traductions et droitseuropéens : enjeux d’une rencontre, F.U.S.L., Bruxelles,2009, pp. 133 et s.J.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000


2010DOCTRINE501contrôle « indirect » pratiqué par les juges deStrasbourg présente de sérieuses lacunes 132 .Certes, la Cour s’est estimée compétente pourvérifier la compatibilité du droit primaire del’Union avec les exigences de laConvention 133 . Certes, la Cour a pareillementaccepté d’exercer un contrôle « entier » sur lesmesures nationales d’application du droit dérivélorsque les autorités étatiques disposentd’une marge de manœuvre dans la mise en œuvrede ce droit 134 . Par contre, la Cour estimeque dans l’hypothèse d’une « compétenceliée » des États par le droit de l’Union, les actesdes premiers bénéficient d’une « présomptionde conventionnalité », liée à l’idée que l’Unionoffre aux droits fondamentaux une « protectionéquivalente » à celle assurée par le mécanismede la Convention 135 . La présomption concernéeest certes réfragable in concreto, en présenced’une « insuffisance manifeste » de protectionrévélée par le dossier litigieux 136 . L’expériencea toutefois démontré que, dans l’espritd’une très (trop) diplomatique Cour européennedes droits de l’homme, le seuil del’ « insuffisance manifeste » est de factoinfranchissable 137 . Enfin, la Cour exclut sa(132) Pour un exposé plus complet, voy. ibidem, ainsi queA. BAILLEUX, « <strong>Le</strong> salut dans l’adhésion - Entre Luxembourget Strasbourg, actualités du respect des droits fondamentauxdans la mise en œuvre du droit de laconcurrence », R.T.D.E., 2010, spécialement pp. 51 et s.(133) C.E.D.H., arrêt Matthews c. Royaume-Uni du18 février 1999. Sur cet arrêt voy. O. DE SCHUTTER etO. L’HOEST, « La Cour européenne des droits de l’homme,juge du droit communautaire - Gibraltar, l’Unioneuropéenne et la Cour européenne des droits del’homme », C.D.E., 2000, p. 141. Comp. toutefois avecla décision d’irrecevabilité rendue dans l’affaire ÉtablissementsBiret e.a. c. Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark,Espagne, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie,Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni etSuède. En l’occurrence, se trouvaient dénoncées, sous levisa des articles 6 et 13 de la Convention, les lacunes dela protection juridictionnelle devant la Cour de justicede Luxembourg, elles-mêmes liées à l’étroitesse du locusstandi individuel dans le cadre d’un recours en annulationdevant la Cour de justice (ex-article 230, alinéa 4,TCE). Dans sa décision d’irrecevabilité du 9 décembre2008, la Cour européenne des droits de l’homme se déclaraincompétente ratione personae pour connaître dugrief, en se fondant sur les motifs suivants : « les griefs tirésdes articles 6 et 13 de la Convention tiennent exclusivementà des lacunes alléguées de l’ordre juridiquecommunautaire, qui auraient eu pour conséquence depriver les sociétés requérantes de l’accès à un tribunalpour faire valoir leurs griefs dans le cadre d’un procèséquitable (...), (en sorte que) les violations alléguées dela Convention ne sauraient être imputées à l’un oul’autre des quinze États membres mis en cause par lessociétés requérantes puisqu’aucun d’entre eux n’est intervenu,directement ou indirectement, dans ce litige ».Cette exclusion de responsabilité des États membres del’Union à raison des violations prétendues de la Conventionqui découleraient du droit communautaire primaire,contredit complètement l’enseignement de l’arrêtMatthews.(134) C.E.D.H., arrêt Cantoni c. France du 15 novembre1996. Voy. la lecture (relecture?) faite de l’arrêt Cantonipar l’arrêt Bosphorus (arrêt Bosphorus c. Irlande du30 juin 2005, § 157).(135) C.E.D.H., arrêt Bosphorus c. Irlande du 30 juin2005, §§ 159-165. Sur cet arrêt, voy. entre autres lescommentaires critiques de S. ADAM et F. KRENC, « La responsabilitédes États membres de l’Union européennedevant la Cour européenne des droits de l’homme », J.T.,2006, p. 85 et de M. MELCHIOR, « L’arrêt Bosphorus c. Irlandede la Cour européenne des droits de l’homme du30 juin 2005 : un arrêt étrange au sujet de la relation entredroit communautaire et droit de la Convention européennedes droits de l’homme », Rev. dr. U.Lg., 2006,p. 245.(136) C.E.D.H., arrêt Bosphorus c. Irlande du 30 juin2005, § 156.(137) Voy. en effet, à propos de l’absence d’un droit deréplique des parties aux conclusions de l’avocat généralprès la Cour de justice, C.E.D.H., décision Cooperatievecompétence ratione personae pour connaîtredes requêtes dirigées contre les États membresde l’Union lorsque se trouve querellé un acte« purement interne » à celle-ci, c’est-à-dire unacte adopté par les institutions de l’Union sansle concours des États membres et qui n’appelleaucune mesure d’exécution matérielle ou juridiquede la part de ceux-ci 138 .46. Avec l’adhésion, l’Union sera partie à laConvention. Elle sera directement justiciable dela Cour européenne des droits de l’homme ettout son droit, primaire et dérivé, pourra êtredéféré au contrôle des juges de Strasbourg.Nulle présomption ne pourrait édulcorer lecontrôle pareillement exercé, sauf à créer unedistinction de traitement logiquement et juridiquementinjustifiable entre les différentes partiesà la Convention européenne des droits del’homme 139 .47. Concrètement, l’adhésion prendra la formesoit d’un <strong>protocole</strong> d’amendement à la Convention,soit d’un traité d’adhésion conclu entrel’Union européenne et les États parties à laConvention 140 .Quelle qu’en soit la forme, ce texte devra, auxtermes de l’article 6, § 2, du Traité sur l’Unioneuropéenne, tel qu’il a été modifié par le Traitéde Lisbonne, garantir que l’adhésion n’entraînerapas de modification des compétences deProducentenorganisatie van de Nederlandse KokkelvisserijU.A. c. Pays-Bas du 20 janvier 2009. Pour une analysecritique de cette décision, voy. E. BRIBOSIA et S. VANDROOGHENBROECK, « Emprunts et migrations... », op.cit., pp. 171-173, ainsi que M.-A. BEERNAERT et F. KRENC,« La Cour européenne des droits de l’homme à la recherched’une conception pragmatique du procèséquitable », in <strong>Le</strong>s droits de l’homme et l’efficacité de lajustice, A.S.M., Larcier, Bruxelles, 2010, pp. 222-226.(138) C.E.D.H., décision Connolly c. Allemagne, Autriche,Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France,Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal,Royaume-Uni et Suède du 9 décembre 2008. Cette jurisprudenceConnolly est éminemment contestable. Enconsidérant que les États membres de l’Union — quisont tous parties à la Convention — ne répondent pasdes actes ou abstentions de l’Union, la Cour admetqu’en transférant des compétences au profit de l’Union,les États peuvent se décharger de leur responsabilité auregard de la Convention. Ils sont libérés à l’égard des citoyensdes obligations qu’ils ont souscrites en ratifiant laConvention. En définitive, tant l’Union — dont la responsabiliténe peut être engagée tant qu’elle n’est paspartie à la Convention — que les États sont immunisés,pendant que le citoyen est, quant à lui, dans l’impossibilitéde recourir au système de contrôle de la Convention.Dès lors que la responsabilité de l’Union ne peut, enl’absence d’adhésion, être engagée devant la Cour européennedes droits de l’homme, celle de ses États membresdoit pouvoir être mise en cause, ne serait-ce au motifque ces États ont librement créé l’Union et demeurentles « maîtres des traités » pour reprendre l’expressiondue à la Cour constitutionnelle allemande. L’arrêt Matthewsrendu par la grande chambre le 18 février 1999avait clairement énoncé que « la Convention n’exclutpas le transfert de compétences à des organisations internationales,pourvu que les droits garantis par la Conventioncontinuent d’être reconnus. Pareil transfert nefait donc pas disparaître la responsabilité des Étatsmembres » (§ 32).(139) Voy. E. BRIBOSIA et S. VAN DROOGHENBROECK,« Emprunts et migrations... », op. cit., p. 179 et réf. citées.(140) Rapport explicatif, § 101. Du côté de l’Union,l’article 218 du Traité sur le fonctionnement de l’Unioneuropéenne dispose que la décision portant conclusionde l’accord doit être adoptée à l’unanimité par le Conseil,après l’approbation du Parlement européen, etqu’elle ne peut entrer en vigueur qu’après son approbationpar les États membres de l’Union, conformément àleurs règles constitutionnelles respectives. Relevons quela Cour de justice peut être saisie aux fins de rendre unavis sur la compatibilité de l’accord envisagé avec lestraités. La France a déjà manifesté son intention de solliciterl’avis de la Cour.l’Union. <strong>Le</strong> texte devra, en outre, veiller à préserverl’autonomie de l’ordre juridique del’Union 141 .À cet égard, Olivier De Schutter s’est attaché,en 2002 142 et tout récemment encore 143 , à dissiperces craintes, en démontrant que l’adhésionde l’Union à la Convention ne constituepoint une menace pour le principe de l’autonomiedu droit de l’Union européenne.48. L’adhésion étant acquise en son principe, ilreste à en définir les modalités techniques. Différentesquestions doivent être réglées. Épinglonsrapidement celle relative à l’épuisementdes voies de recours internes au sein del’Union, celle concernant la position del’Union devant la Cour lorsqu’est en cause, directementou indirectement, un acte del’Union, celle afférente à la nomination d’unjuge élu au titre de l’Union au sein de la Courou encore celle relative à la représentation del’Union au sein du comité des ministres lorsquecelui-ci exerce sa mission de surveillance del’exécution des arrêts.49. Bien qu’il s’annonce long en raison de latechnicité des questions qu’il pose, mais ausside la nécessité de recueillir l’assentiment detous les États membres du Conseil de l’Europesur l’accord qui sera finalement arrêté, le processusvers l’adhésion est aujourd’hui en marche,les pourparlers entre l’Union et le Conseilde l’Europe ayant débuté le 7 juillet 2010 144 .CConclusion50. En définitive, le <strong>protocole</strong> n o 14 constituet-ilun « cautère sur une jam<strong>be</strong> de bois », commele craint Jean-François Flauss 145 , ou une« garantie de l’efficacité à long terme de laCour européenne des droits de l’homme »,comme l’ambitionnaient initialement les autoritésdu Conseil de l’Europe?Il est certain que le <strong>protocole</strong> n o 14 ne pourra,à lui seul, juguler la masse contentieuse quiinonde aujourd’hui la Cour 146 . <strong>Le</strong> président(141) Voy. le <strong>protocole</strong> relatif à l’article 6, § 2, du Traitésur l’Union européenne sur l’adhésion de l’Union à laConvention européenne de sauvegarde des droits del’homme et des li<strong>be</strong>rtés fondamentales ainsi que la Déclarationsur l’article 6, § 2, du Traité sur l’Union européenne,annexés au Traité de Lisbonne.(142) « L’adhésion de l’Union européenne à la Conventioneuropéenne des droits de l’homme comme élémentdu débat sur l’avenir de l’Union », in L’avenir du systèmejuridictionnel de l’Union européenne, op. cit., pp. 235 à254.(143) « L’adhésion de l’Union européenne à la Conventioneuropéenne des droits de l’homme : feuille de routede la négociation », Rev. trim. dr. h., 2010, pp. 535 et s.(144) <strong>Le</strong> Conseil « Justice et affaires intérieures » aadopté, au cours de sa réunion des 3 et 4 juin 2010, lemandat permettant à la Commission européenne d’engagerdes négociations en vue de l’adhésion, tandis que,de son côté, le comité des ministres du Conseil de l’Europea chargé, le 26 mai 2010, le comité directeur pourles droits de l’homme d’élaborer, avec les représentantshabilités de l’Union européenne, les instruments nécessairesà l’adhésion (décision n o CM/882/26052010).(145) J.-F. FLAUSS, « La réforme de la réforme... », op.cit., p. 175.(146) Au demeurant, le <strong>protocole</strong> n o 14 ne peut tarir leflot des requêtes parvenant à la Cour. Tout au mieuxJ.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000


502VIE DU DROIT2010Costa le reconnaît sans détour 147 . Soulignantque « des mesures additionnelles sont indispensableset urgentes », la Conférence « surl’avenir de la Cour européenne des droits del’homme », réunie à Interlaken les 18 et19 février 2010, a adopté un « Plan d’action »pour aller au-delà du <strong>protocole</strong> n o 14 et réformerles structures de la Cour à moyen et à longtermes. Plusieurs pistes ont été lancées à cettefin, dont celle tendant à la mise en place d’unnouveau mécanisme de filtrage — un« Tribunal de première instance » verra-t-il lejour aux côtés de la Cour? 148 — ainsi que cellevisant à instaurer une procédure simplifiée pourréviser les dispositions purement procéduralesde la Convention 149 . Cependant, ce plan d’actiondemeure assez vague et malheureusementdépourvu d’une vision arrêtée pour le longterme 150 .Or, il est urgent de définir aujourd’hui, aprèscinquante ans d’existence, quelle doit être laCour européenne des droits de l’homme de demain.Frédéric KRENCAvocat au barreau de BruxellesAssistant aux F.U.S.L.Maître de conférence invité à l’U.C.L.Sébastien VAN DROOGHENBROECKProfesseur aux F.U.S.L.peut-il en améliorer le traitement contentieux. À cetégard, il est estimé que l’application du <strong>protocole</strong> n o 14augmentera la productivité de la Cour de 25% (APCE,AS/Jur (2010) 06, Commission des questions juridiqueset des droits de l’Homme, L’avenir de la Cour de Strasbourget la mise en œuvre des normes de la C.E.D.H. :réflexions sur le processus d’Interlaken, 20 janvier 2010,p. 4). Selon le comité directeur pour les droits de l’homme,« même avec la nouvelle formation du juge unique,introduite par le <strong>protocole</strong> n o 14 et déjà appliquée àl’égard de certains États parties par le biais du <strong>protocole</strong>n o 14bis et l’Accord de Madrid sur l’application provisoirede certaines dispositions du <strong>protocole</strong> n o 14, laCour ne sera capable ni de résor<strong>be</strong>r l’arriéré ni de répondreà chaque nouvelle requête dans un délairaisonnable » (C.D.D.H., « Avis sur les questions à aborderlors de la Conférence de haut niveau sur l’avenir dela Cour européenne des droits de l’homme(1 er décembre 2009) », publié in Contributions préparatoiresà la Conférence de haut niveau sur l’avenir de laCour européenne des droits de l’homme, Strasbourg, éd.du Conseil de l’Europe, 2010, p. 15).(147) Mémorandum du 3 juillet 2009 du président de laCour européenne des droits de l’homme aux États envue de la Conférence d’Interlaken.(148) Voy. les suggestions déjà émises en doctrine parG. COHEN-JONATHAN, « Garantir l’efficacité à long termede la Cour européenne des droits de l’homme ... », op.cit., p. 1153, ainsi que par J.-F. FLAUSS, « Faut-il transformerla Cour européenne des droits de l’homme en juridictionconstitutionnelle? », op. cit., p. 1643.(149) Ces propositions ne sont pas neuves. Elles avaientdéjà été formulées par le groupe des sages dans son rapportdu 16 novembre 2006. Ce groupe des sages avaitété institué lors du sommet de Varsovie des 16 et 17 mai2005 pour — à nouveau... — « examiner la question del’efficacité à long terme du mécanisme de contrôle de laConvention européenne des droits de l’homme » et, plusparticulièrement, présenter des propositions dépassantle <strong>protocole</strong> n o 14, « tout en conservant la philosophiede base qui sous-tend la Convention ». Voy. à ce proposF. BENOÎT-ROHMER, « <strong>Le</strong>s sages et la réforme de la Coureuropéenne des droits de l’homme », Rev. trim. dr. h.,2008, pp. 3-24.(150) Voy. P. WACHSMANN, « Entre deux lacs - Quelquesréflexions sur la Conférence d’Interlaken sur l’avenir dela Cour européenne des droits de l’homme », Rev. trim.dr. h., 2010, pp. 511 et s., qui assimile ce plan d’actionà un « robinet d’eau tiède » (p. 534).<strong>Le</strong> traitement en chambre du conseildes procédures judiciairesrelevant du droit de la familleLoi du 2 juin 2010 modifiant le Code judiciaireet le Code civil« Chacun n’a-t-il pas sa manie? – Et celle de Monsieur est de ne plaider qu’à huis clos? »Beaumarchais, La Mère coupable, IV, 21Genèse de la loi1. La loi commentée constitue l’aboutissementde plusieurs initiatives parlementaires. Troispropositions tendant à instaurer le principe duhuis clos dans les procès en matière familialeont été déposées au Sénat en 2007 et 2008 1 .Après une discussion, un avis du Conseil d’État 2et un autre du Conseil supérieur de la justice 3 ,c’est finalement un quatrième texte, dû àMme Defraigne, M. Mahoux et M. Collignon,et déposé le 10 mars 2009 4 , qui a été adoptépar le Sénat, le 21 janvier 2010 5 . <strong>Le</strong> projet a étéensuite amendé par la Chambre, le 29 avril2010 6 , et est revenu au Sénat, lequel s’est ralliéau texte ainsi modifié 7 . Admirons au passage larapidité de la procédure législative, même si lestribulations du gouvernement ne sont sans doutepas étrangères à l’accélération finale.<strong>Le</strong> projet est devenu la loi du 2 juin 2010, publiéeau Moniteur du 30 juin 2010. Faute dedisposition dérogatoire, elle est entrée en vigueurle dixième jour après celui de cette publication(article 4, I. 31 mai 1961).2Objet de la loi2. <strong>Le</strong>s auteurs de la proposition de loi sont partisde la constatation, fondée sur les procédures(1) Propositions de Mme Defraigne (doc. Sénat, n o 4-295/1, l’intéressée avait déjà déposé une proposition surle même objet au cours de la législature antérieure : doc.Sénat, n o 3-1466/1), de M. Procureur et consorts (doc.Sénat, n o 4-381), de MM. Mahoux et Collignon (doc. Sénat,n o 4-560/1).(2) Avis n o 44.203/2 du 2 juin 2008, doc. Sénat, n o 4-295/2.(3) Avis du 5 novembre 2008, doc. Sénat, n o 4-295/3.(4) Doc. Sénat, n o 4-1211/1. Quand, dans la suite duprésent commentaire, nous écrirons « la proposition deloi », sans autre précision, c’est ce texte qui sera visé.(5) Voy. le rapport de la commission de la justice, doc.Sénat, n o 4-1211/3. <strong>Le</strong> texte adopté par la commission aété voté sans modification en séance plénière (doc. Sénat,n o 4-1211/5).(6) Voy. le rapport de la commission de la justice, doc.Chambre, n o 52 2380/009.(7) Doc. Sénat, n o 4-1211/8. Voy. aussi le rapport de lacommission de la justice, doc. Sénat, n o 4-1211/7.en matière familiale qui se déroulent déjà enchambre du conseil 8 , que le rôle du juge estperçu différemment par les parties et que le climatest plus serein qu’en audience publique,l’obligation pour les parties de dévoiler certainsaspects de leur vie privée ne créant pas un contextefavorable à la sérénité 9 . On ne sauraitmieux dire et l’on s’en voudrait d’insister, autrechose étant de savoir si l’on peut pour autants’écarter du grand principe de la publicité desaudiences, question qui a naturellement été envisagéelors des débats et sur laquelle nous reviendrons(infra, n o 4).La loi étend en effet à diverses procédures enmatière familiale le champ d’application de laprocédure en chambre du conseil. Elle regroupeà l’article 757 du Code judiciaire tant lesnouvelles matières dans lesquelles les débatsauront lieu dorénavant en chambre du conseilque celles pour lesquelles c’était déjà le cas(article 2, alinéa 1 er du paragraphe 2 nouveaude l’article 757), les dispositions spéciales quiprescrivaient une telle procédure étant abrogées(articles 3 à 13). Enfin, la loi prévoit la possibilitépour le juge d’en revenir à la publicitédes débats (article 2, alinéa 2 du paragraphe 2nouveau de l’article 757).3. L’intitulé de la loi appelle trois remarques. Enpremier lieu, il eût été préférable de se référerau droit des personnes plutôt qu’au droit de lafamille. En effet, le droit des personnes recouvrecelui de la famille ou, à tout le moins, il s’endifférencie 10 . Or, parmi les procédures viséespar la loi, la minorité prolongée, l’interdictionet la désignation d’un conseil judiciaire relèventdu droit des personnes et non de celui dela famille, même si des membres de la famillede la personne concernée jouent très souventun rôle dans l’introduction de la procédure,(8) Tel était le cas notamment, depuis l’entrée en vigueurde la loi du 27 avril 2007, de la procédure en divorcepour désunion irrémédiable (article 1255, § 6, alinéa 2,C. jud.).(9) Voy. les développements de la proposition de loi,pp. 1-2. Un mauvais argument a été parfois ajouté : lesdécisions prises dans la plupart des matières familialesn’ont d’incidence que dans la vie privée des parties etn’en ont aucune pour les tiers (doc. précité, p. 2; justificationde l’amendement n o 1, doc. Sénat, n o 4-1211/2).C’est oublier que la publicité des audiences est prévuenon pas pour informer les tiers du contenu des affaires,mais pour permettre un contrôle du citoyen sur la façondont la justice est administrée. En matière civile, n’importequelle affaire concernant une personne physique aune incidence sur sa vie privée (débats relatifs à desloyers non payés, séquelles d’un accident, motifs d’un licenciement,etc.) et la plupart n’intéressent pas les tiers.(10) Cfr la doctrine <strong>be</strong>lge de langue néerlandaise, quiutilise traditionnellement la dénomination « personenengezinsrecht ».J.T. n° 6405 - 29/2010Éditions Larcier - © Groupe De Boeckm.vanhelden@liedekerke-law.<strong>be</strong> / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / strada1000

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