Bernard LEUILLIOT « <strong>Hommages</strong>, <strong>tombeaux</strong>, <strong>reconnaissances</strong> <strong>dans</strong> <strong>Les</strong> <strong>Lettre</strong>s françaises... »2Kornilov, Doutov, c’est la contre-révolution qui prépare le retour de l’ordre ancien en Russieavec la discipline du bourreau et la mort spirituelle, tout ce qui s’était mis à me répugnerpendant la guerre. Mais passer à vos côtés, je ne le puis. Tous mes efforts ont tendu à défendrema patrie, à lui obtenir une paix honorable. Et ce qui a été fait à Brest est atroce. Au lieu deconclure simplement la paix et de conserver la frontière de 1917 (et c’était alors possible),Trotski a lancé le mot d’ordre « Ni paix, ni guerre ». Cela a donné aux Allemands le prétextepour passer à l’offensive et nous arracher l’Ukraine, la Biélorussie, Pskov, et toute la côtebalte, de nous enlever toutes les réserves et armes qu’avaient encore les armées du front.Accepter cela était au-delà de mes forces. J’estimais que la vie future de notre pays, c’était laConstituante qui allait la construire et vous l’avez chassée ! J’estimais juste d’enlever la terreaux gros propriétaires et d’installer le contrôle ouvrier sur les usines, mais en conservant lesbases du régime capitaliste. Et vous avez été au-delà du possible, et <strong>dans</strong> la famine et ledésarroi, vous vous êtes mis tout de suite à construire le socialisme. Mais le peuple n’est pasencore mûr pour le socialisme ! Vous avez passé les menottes à l’initiative des paysans et desartisans, vous vouez le peuple à la famine. Je ne puis marcher ni avec les Blancs, ni avec vous.Je suis resté entre deux barricades et je ne vois pas d’issue...Et Dzerjinski :- Mais est-ce que vous ne désirez pas le triomphe des blancs ?Verkhovski :- Non, je ne le veux pas.Dzerjinski :- Donc vous devez nous aider à organiser l’Armée rouge, qui pourrait repousser la ruée desBlancs.Verkhovski :- Je suis prêt à le faire, mais ne sais comment. La révolution a des soldats, cela, je l’ai vu demes yeux, mais il n’y a pas d’officiers. Il faudrait au moins s’assurer cette jeunessedémocratique qui marchait en 1917 avec les Soviets. Mais cette jeunesse tient pour ladémocratie, elle est contre la dictature du prolétariat. Si vous pouvez y parvenir et collaboreravec le parti des s.-r., alors il serait facile de trouver des officiers et de créer une arméevéritable.C’ets ainsi que Verkhovski expose son point de vue d’officier, comme Berdiaev sa mystique,au même patient Dzerjinski.Celui-ci cite les noms des officiers généraux passés aux bolcheviks, il essaie de le persuaderque la dictature du prolétariat est le seul chemin de la liberté, de la fraternité, de l’égalité, et ilajoute :- A une étape quelconque de la révolution, les gens comme vous devront passer à nos côtés.Et Verkhovski est troublé, il n’a point de plan d’action précis, il n’entend rien à ce qui sepasse, mais les paroles de Dzerjinski trouvent un écho en lui :Ce n’était pas précisément un ennemi au pouvoir de qui j’étais, mais un camarade plus âgéqui cherchait à me mettre sur le bon chemin. « Eh bien quoi, restez en prison, dit-il,réfléchissez. Vous me remercierez par la suite de vous avoir arrêté et par là mis à l’abri dessottises à quoi vous-même par la suite ne trouveriez pas de justification.Ce sera au printemps de 1919 seulement, au bout d’un an de réflexions en prison, deconversations avec les hommes arrêtés, les ennemis du régime, que Verkhovski fera dire par safemme à Dzerjinski qu’il est prêt à passer aux côtés des bolcheviks : c’est au temps duVIII e congrès du parti, quand la menace est de tous côtés, Koltchak à l’est, Dénikine versMoscou... Verkhovski est envoyé à l’état-major de Léningrad.
Bernard LEUILLIOT « <strong>Hommages</strong>, <strong>tombeaux</strong>, <strong>reconnaissances</strong> <strong>dans</strong> <strong>Les</strong> <strong>Lettre</strong>s françaises... »2Comment ne pas rapprocher ces deux histoires, Berdiaev et Verkhovski devant Dzerjinski ?<strong>Les</strong> sources en sont telles qu’aucun doute n’est permis sur leur véracité. Si nous avions pourtous les faits de telles lumières concordantes ! Mais Berdiaev aura, sortant du cabinet deDzzerjinski, encore deux années de liberté où il lui sera possible de donner des conférencesspiritualistes. Cependant, <strong>dans</strong> l’été de 1922, il est à nouveau arrêté. Cette fois on lui signifiequ’il est invité à quitter la Russie soviétique pour l’étranger, avec menace d’être fusillé s’ilrentrait <strong>dans</strong> son pays. Il partira donc, avec un certain nombre de savants, écrivains, hommespolitiques, pour lesquels semblait exclu un ralliement ultérieur au communisme. « C’était unemesure étrange, écrit Berdiaev, et qui ne se renouvela pas. J’étais chassé de ma patrie, nonpour une raison politique, mais pour des raisons idéologiques.. »La grande tristesse de Nicolas Alexandrovitch, L. J.-C. la souligne, la décrit. Elle en a été letémoin en France jusqu’à ces jours de 1943, quand l’Armée rouge tourne les Allemands et lespoursuit le long du Dniepr : ...J’avais périodiquement en ces temps cruels, et malgré ladifficulté des transports (il venait de Clamart), la visite de Berdiaev <strong>dans</strong> l’appartement quej’habitais près du parc Monceau. Nous parlions aussitôt des opérations : sans carte, les yeuxdemi-fermés, on comprenait qu’il entendait le long du fleuve la marche libératrice des soldatsde sa patrie avançant vers Kiev ; parfois il s’étonnait d’un retard, d’un piétinement, dont il necomprenait pas la raison ; et puis, il reprenait sa contemplation. C’était un rêve sacré qu’ilvivait.Mais Nicolas Alexandrovitch, ni cet intelligent témoin aujourd’hui qui vient à la barre, nesemble avoir compris l’essentiel de cette étrange mesure de l’été 1922 : Dzerjinski venait desauver la vie de Berdiaev, comme il avait, en l’arrêtant, épargné à Verkhovski le sottisesirréparables. On ne peut douter que cela fit part d’une méthode consciente <strong>dans</strong> lecomportement envers les hommes. Et si l’on en veut une preuve, quittons Berdiaev pour unautre personnage dont l’histoire est instructive.Il s’agit du menchevik Martov, qui se trouvait en Suisse pendant la guerre, comme Lénine. (Etpeu-être, le nommant, attirerai-je, par dérogation, l’attention sur sa part <strong>dans</strong> la fameuse histoiredu « wagon plombé », et le fait, généralement lu, que ce menchevik chaleureusement reçu parses camarades de parti, est rentré en Russie par le mêmes moyen que Lénine, <strong>dans</strong> les mêmesconditions, seulement un mois plus tard... mais je vous renvoie à mon livre...). En 1962, lesIzvestia ont publié une nouvelle de ce Kazakievitch que nous venons de perdre, intitulée <strong>Les</strong>Ennemis. Je vais la publier <strong>dans</strong> la collection Littératures soviétiques que je dirige chezGallimard, avec Le Cahier bleu, où cet auteur, pour la première fois, après plus de trenteannées, s’est permis de réintroduire le visage de Zinoviev.Dans <strong>Les</strong> Ennemis, on voit comment Lénine donne mission, en cachette du Conseil desCommissaires du peuple, à une ancienne menchévik passée au parti bolchevik de retrouverMartov, alors pour combattre le pouvoir soviétique passé <strong>dans</strong> l’illégalité, et de lui offrir dequitter le pays, étant donné qu’il n’y a aucune chance, pour lui comme pour Berdiaev et sescompagnons, de ralliement ultérieur. Nous sommes aux derniers jours d’avril 1920, c’est-à-direquand Dénikine est vaincu, mais Wrangel subsiste, et va se déclencher l’attaque des Polonais....C’est-à-dire après cet hiver où a lieu la conversation Dzerjinski-Berdiaev. Lénine légitime lesecret <strong>dans</strong> lequel il entend opérer par rapport à ses collègues du gouvernement, disant, au seindu Conseil, il y a des gens, comment vous dire... qui sont plus léninistes que Lénine lui-même.Martov qui va s’exprimer devant l’envoyée de Lénine avec une grande violence (Je ne veux pasqu’il me ménage. Je le hais aujourd’hui autant que je l’aimais hier. Je hais son visage, sesmains, son attitude, tout ce que tu as dit, sa conviction, sa modestie, et le fait qu’il t’a envoyéeici, et tout ce qu’il dit et tout ce qu’on dit de lui...) acceptera finalement de partir et près d’un anplus tard on apporte à Lénine le premier numéro du Courrier socialiste, de Berlin, dont Martov
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