passages - Pro Helvetia

Miaou ou Mao?
Cinq pas de la longue marche sur le boulevard de l’art
Qiu Jie
20
Le Quotidien de Shanghai Il y a un temps où je faisais de grands dessins sur le papier journal du
Quotidien de Shanghai. Ma famille de Shanghai était abonnée à ce journal. Mes parents le lisaient et
l’empilaient soigneusement. Ils me l’envoyaient une fois par mois. Dès que je le recevais, je le lisais
avec grand appétit pendant plusieurs nuits. Puis, je le donnais à mes amis chinois de Genève. Après
leur lecture, je récupérais ce papier et y faisais de la calligraphie. (Ce papier est fabriqué avec beaucoup
de soin, il est très poreux et très proche du papier chinois. En Chine, tous les artistes l’utilisent
de cette façon.) A la fin, je faisais de grands dessins sur ce papier calligraphié. Je les ai exposés à
Zurich, à Bâle et à Genève. J’ai eu de très bons échos. Pour en voir un, il suffit d’aller manger au restaurant
L’Eléphant à Genève, 10, rue Goetz-Monin, près de l’hôpital.
Les baguettes Les baguettes sont une des plus grandes inventions chinoises (matériaux variés, fabrication
facile, utilisation hygiénique). Les Chinois, à travers les baguettes, montrent une grande efficacité
et une grande préoccupation pour la nourriture. En fait, les baguettes ne sont qu’un prolongement
de deux doigts. Et je ne vois pas d’outils plus efficaces que nos doigts. Comme on le sait, un
Chinois, avec des baguettes, peut facilement prendre les vermicelles dans une casserole de fondue
chinoise bouillante. Il peut aussi prendre une cacahuète et la mettre élégamment dans la bouche.
A côté des baguettes, les fourchettes et les couteaux métalliques sont comme un canon pour chasser
une mouche.
Une tondeuse à cheveux Au tout début de mes études en Suisse, je suis allé chez le coiffeur. Une
simple coupe sans shampoing coûtait 30 francs. C’était un prix très lourd pour un simple étudiant.
Je me suis acheté une tondeuse à cheveux à La Placette, de la marque Nation. Depuis lors, pendant
12 ans, je ne suis jamais retourné une seule fois chez le coiffeur. Si on calcule, en moyenne je me
rase les cheveux une fois par mois. Ça fait 12 fois par année, et 12 années font 144 fois. 144 multiplié
par 30 font 4’320 francs. Quelle économie!
Le jeu de go Les pièces du jeu de go sont noires et blanches, on y joue sur un échiquier composé de
361 croisements. Chaque pièce a la même valeur. Il existe des documents sur ce jeu datant de l’an
300 avant J.-C. A partir du 6ème siècle après J.-C., on dispose de notes de grands maîtres sur le jeu.
Chaque partie de jeu est comme une vie: elle peut révéler la technique, le caractère et la philosophie
du joueur. C’est un des jeux intellectuels pour lequel l’ordinateur n’a pas encore pu atteindre un haut
niveau. En tant qu’artiste, je vois ce jeu comme un art conceptuel et minimaliste. Après avoir joué
une partie, quand on regarde l’échiquier plein, n’est-ce pas un tableau de Mondrian? Je me souviens,
il y a 25 ans, un soir, je suis allé voir mon père. Nous avions très envie de jouer au go et nous n’avions
pas de pièces. Nous avons joué toute la nuit avec des graines de soja rouge et de soja jaune.
Portrait de Mao (le chat) Il y a trois ans, j’ai commencé une grande série de portraits. L’idée est de
faire les portraits de tous mes amis, à la peinture à l’huile, d’après modèle et en deux heures et demie,
comme je le faisais en Chine, aux Beaux-Arts. J’en suis au 150ème. J’ai aussi fait un portrait de mon
chat. Pour le rendre plus humain, je l’ai peint avec une veste Mao. Je l’ai intitulé Portrait de Mao. (Mao,
en chinois, désigne à la fois le chat et le Président Mao Tsé-Toung. C’est pourquoi, pendant la Révolution
culturelle, nous pouvions manger tous les animaux, sauf le chat). Grande surprise! Ce tableau
a tout de suite eu un grand succès auprès des amis et des collectionneurs. J’ai dû en faire des copies.
J’en suis à la douzième. A presque toutes mes expositions, j’en ai vendu un ou deux. Mes amis se
moquent de moi: «Tu as avancé sur le chemin tracé par Mao (le chat)!» ¬
Qiu Jie est né en 1961 à Shanghai et y a obtenu en 1981 le diplôme de l’Ecole des Beaux-Arts. Il vit depuis plusieures années comme
artiste à Genève et enseigne à l’Ecole cantonale d’art du Valais. Il a exposé dans de nombreuses galeries en Suisse, dont, en 2004, les
galeries Leda Fletcher à Genève et Martin Krebs à Berne.