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passages - Pro Helvetia

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de la musique péruvienne résonnèrent subitement<br />

dans les <strong>passages</strong> étroits et tous les habitants<br />

du quartier, du plus vieux au plus jeune, se<br />

retrouvèrent dehors pour écouter ces sonorités<br />

inconnues. Après quelques réticences et flottements,<br />

la moitié d’entre eux se mirent à danser<br />

aux côtés de notre noyau déchaîné dans les venelles<br />

et cours intérieures, emportés par les brûlants<br />

rythmes sud-américains. Ce joli quartier de<br />

hutongs a malheureusement presque disparu aujourd’hui,<br />

pour faire place à des HLM anonymes.<br />

La ville olympique de Pékin/Beijing veut se donner<br />

des allures modernes.<br />

Peu de temps après, j’ai commencé à louer des bars<br />

et des petits clubs, j’y amenais mon propre matériel<br />

et j’étais content, quand je réussissais à désinhiber<br />

les Chinois et à les faire sortir de leur carapace.<br />

La scène commença à prendre de l’importance<br />

et nous nous sommes bientôt retrouvés chaque<br />

semaine dans des lieux différents. Je me suis<br />

lié d’amitié avec un journaliste radio renommé,<br />

qui tentait, à la même époque mais sans succès,<br />

de créer une scène musicale de qualité. Nous nous<br />

sommes rapidement découvert des intérêts communs<br />

et cela a démarré: nous avons loué un lourd<br />

équipement, invité des musiciens, des artistes<br />

ont réalisé les décors et l’on dansait dans les cadres<br />

les plus délirants. En 1998, nous étions les<br />

premiers à accéder à la Grande Muraille: une party<br />

extrême-orientale et multiculturelle de 600 personnes,<br />

rassemblant artistes, musiciens, punks, MCs,<br />

journalistes, personnel d’ambassade, designers<br />

de mode, chanteurs, ravers étrangers, parrains<br />

des triades et autres hôtes illustres, qui fêtèrent<br />

les bras levés bien au delà des lueurs de l’aube.<br />

L’association de la punk et de la techno a servi<br />

de principe de base à l’organisation des parties et<br />

concerts suivants, quand des groupes punk ou<br />

rock nous ont rejoints. Aux côtés des DJs, les punkrockers<br />

dynamisaient, apportaient une dimension<br />

live de plus aux spectacles. Il est inimaginable,<br />

chez nous et aujourd’hui, que des groupes punk<br />

et techno se partagent l’affiche, ce sont deux langages<br />

musicaux différents qui se télescopent et<br />

ne se comprennent pas. En Chine, à cette époque<br />

du moins, c’était par contre possible. Effet excitant<br />

de l’une, raucité de l’autre, la musique électronique<br />

et le punk avaient chacun à sa manière<br />

un succès commercial, dépassant même le pop<br />

et le rock en phase de départ. C’était comme si la<br />

scène musicale chinoise trouvait un nouvel élan.<br />

A Pékin, nous jouions maintenant dans des clubs<br />

comme le Vogue aussi, un local très classe avec<br />

ses salons particuliers à l’ambiance veloutée, où<br />

le jet-set pékinois rencontrait de jeunes mafiosi<br />

de Hong Kong pour discuter de deals coupables à<br />

la lueur des bougies. Ou bien au décadent Mazzo<br />

de Shanghai: un club after-hour technoïde tout<br />

chrome et verre, à l’ample terrasse offrant une<br />

vue magnifique sur la ville. A l’aube, le public du<br />

club devenait spectateur du surprenant spectacle<br />

donné dans le petit parc devant le Mazzo, qui se<br />

remplissait de jeunes et de vieux Chinois frais<br />

et dispos, accomplissant leur séance de tai-chi.<br />

Quand l’un des hôtes du Mazzo (ni frais, ni dispos)<br />

décidait de participer aux exercices, on assistait<br />

parfois à des scènes fort comiques. Les gymnastes<br />

shanghaiens le prenaient avec philosophie et<br />

les basses bourdonnantes ne troublaient en rien<br />

leur concentration. Pourquoi d’ailleurs. Ils en<br />

avaient vu d’autres dans leur ville, par exemple<br />

ces gratte-ciel qui surgissaient du sol comme des<br />

champignons. Le petit Mazzo est aujourd’hui lui<br />

aussi cerné de géants. Et quand, de la terrasse, le<br />

regard glisse des étranges personnages sur la<br />

piste de danse aux adeptes de tai-chi, pour longer<br />

ensuite les façades vitrées des formidables tours,<br />

on ne sait plus très bien où on en est.<br />

J’ai fait la connaissance d’un nombre incroyable<br />

de jeunes Chinois au cours de cette période. Une<br />

mixture de freaks qui s’est révélée aussi drôle<br />

que positive. J’avoue que ce pays et ces gens ouverts<br />

ne cessent de me captiver et que je me réjouis<br />

à chaque fois de retrouver mes vieux amis.<br />

Li Zhenhua par exemple: je l’ai rencontré en 1996<br />

pendant mes études. A cette époque, Zhenhua<br />

avait tout juste 21 ans. Ses parents étaient de<br />

respectables policiers, fidèles au parti. Leur fils a<br />

ouvert l’un des premiers bars à café de la rue<br />

branchée du quartier de Sanlitur, le Mustard Seed<br />

Garden.Pour lui, il s’agissait surtout d’un lieu d’exposition<br />

camouflé, parce que Zhenhua était fou<br />

d’art contemporain et de sa force d’expression. Il<br />

métamorphosait chaque mois son bar en galerie<br />

où des artistes pékinois inconnus accrochaient<br />

leurs œuvres. Ainsi Zhenhua s’est rapidement<br />

fait un nom comme galeriste d’avant-garde. A<br />

chaque retour de voyage, je lui apportais des revues<br />

d’art du monde entier qu’il dévorait littéralement<br />

avec ses amis pékinois. Zhenhua et moi<br />

sommes devenus inséparables. Nous avons vécu<br />

ensemble plus de deux ans en compagnie de cinq<br />

autres jeunes Chinois dans un hutong d’un quartier<br />

presque villageois, bien qu’au centre-ville. On<br />

discutait toute la nuit, c’était là pour moi un lieu<br />

d’apprentissage de la langue passionnant: les jeunes<br />

artistes débattaient de leurs visions, de l’évolution<br />

de leur pays, de leurs craintes et de leurs<br />

espoirs – et ce, entre ces murs chargés d’histoire<br />

au cœur de Pékin.<br />

J’ai aidé Zhenhua à organiser plusieurs happenings,<br />

qui réussissaient chaque fois à déconcerter<br />

le public, que ce soient des festivals open air<br />

thématisant l’homosexualité en Chine, des lectu-

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