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Éric BIZOT<br />
Christian RATEAU<br />
BTS Communication<br />
2 e année<br />
La communication et ses acteurs<br />
Sommaire<br />
U9K25-F1/1<br />
CONSEILS GÉNÉRAUX..................................................................................................................... 3<br />
SÉQUENCE 01 ..................................................................................................................................... 7<br />
SÉQUENCE 02 ................................................................................................................................... 17<br />
SÉQUENCE 03 ................................................................................................................................... 31<br />
SÉQUENCE 04 ................................................................................................................................... 59<br />
SÉQUENCE 05 ................................................................................................................................... 77<br />
SÉQUENCE 06 ................................................................................................................................... 97<br />
2-09K25-TE-PA-01-11<br />
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usages, qui en feraient une reproduction intégrale ou partielle, une traduction sans le consentement du Cned, s'exposeraient à des poursuites judiciaires et aux sanctions pénales prévues<br />
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Les reproductions par reprographie de livres et de périodiques protégés contenues dans cet ouvrage sont effectuées par le Cned avec l’autorisation du Centre français d’exploitation du<br />
droit de copie (20 rue des Grands Augustins – 75006 PARIS).<br />
Imprimerie de l'Institut Cned de Lyon – Directeur de la publication : M. LEROY<br />
Dépôt légal 2012 - Numéro de publication : 9K25-F1/1
2 U9K25-F1/1
U9K25-F1/1 3<br />
CONSEILS GÉNÉRAUX<br />
Les Cultures de la communication occupent une place importante dans le BTS Communication : elles ne<br />
constituent pas un supplément culturel ou généraliste plus ou moins superflu mais ont été conçues, comme le<br />
reste du référentiel, à partir des situations de travail qui définissent le contenu de la formation. Le BTS<br />
Communication exige en effet des candidats la compréhension des contextes sociologiques, culturels,<br />
médiatiques dans lesquels les opérations les plus simples en apparence devront être réalisées. Qu’il s’agisse<br />
de la mise en œuvre et du suivi de projets de communication, du conseil et de la relation annonceurs ou de la<br />
veille opérationnelle, pour reprendre les 3 fonctions constitutives de la formation, le même effort de<br />
contextualisation et de réflexion est nécessaire pour acquérir une vraie efficacité professionnelle.<br />
Il ne s’agit donc pas d’un enseignement de culture « générale », coupé de toute considération<br />
professionnelle, mais bien d’une culture vivante, ancrée dans l’exercice professionnel de la communication.<br />
I. LES CULTURES DE LA COMMUNICATION DANS LE<br />
RÉFÉRENTIEL DU BTS COMMUNICATION<br />
Les textes officiels précisent que l’enseignement de Cultures de la communication doit vous permettre<br />
d’acquérir « le recul nécessaire à l’analyse critique d’une situation de communication à partir de son contexte<br />
sociologique, en termes d’énonciation, de message, de profil de l’annonceur et de la cible ». Autant dire qu’il<br />
s’agit de développer à la fois une grande rigueur technique dans les pratiques de rédaction des messages<br />
(textuels, iconiques, numériques) et une curiosité de tous les instants en ce qui concerne le monde tel qu’il<br />
est et devient. D’un côté, zéro faute d’orthographe, de grammaire, de syntaxe et un style adapté aux<br />
circonstances variables de l’énonciation ; de l’autre la pratique quotidienne des revues de presse comme des<br />
lectures d’approfondissement. Il s’agit bien d’initier des habitudes qui accompagneront l’ensemble de votre<br />
parcours professionnel futur.<br />
A. LE PROGRAMME DES CULTURES DE LA COMMUNICATION SUR LES DEUX<br />
ANNÉES<br />
Pas de panique ! Si le référentiel ne fixe pas à proprement parler de limites à ce qu’il serait utile de savoir ou<br />
de cultiver, il fixe les quatre grands domaines sur lesquels vous devez travailler et à partir desquels sont<br />
construites les épreuves d’évaluation :<br />
— Introduction à l’histoire et aux théories de la communication, pour acquérir les bases d’une<br />
connaissance théorique de la communication et nourrir une réflexion personnelle sur sa propre pratique ;<br />
— Analyse critique des cibles, pour apprendre à caractériser une cible selon des critères sociologiques,<br />
psychologiques, culturels… et distinguer ce qui relève de l’image, voire du cliché d’une connaissance<br />
objective. L’essentiel ici est de comprendre comment adapter son message aux représentations que la<br />
cible se fait d’elle-même sans pour autant perdre le contact avec la réalité (comment s’adresser aux solos<br />
sachant que la solitude est loin d’être toujours un choix ?) ;<br />
— Analyse critique des annonceurs, pour savoir caractériser un annonceur, ses valeurs et sa culture, et<br />
mesurer l’écart entre l’image qu’il voudrait renvoyer et celle qu’il renvoie vraiment (le positionnement<br />
d’une association ou d’une collectivité territoriale n’est pas celui d’une entreprise petite ou grande… et le<br />
développement durable n’est pas la seule valeur possible sur laquelle appuyer sa communication) ;<br />
— Analyse et production du message, pour apprendre à interpréter, mais surtout à « fabriquer » des<br />
messages, qu’ils soient textuels (communiqué de presse, publipostage, pavé de texte dans une annoncepresse…)<br />
ou visuels (affiche, spot télé, site Internet…). Ce dernier pôle se nourrit des 3 autres et les<br />
progrès que vous y ferez dépendront à la fois de l’attention que vous porterez à l’écriture comme<br />
compétence professionnelle et de l’ensemble de votre démarche culturelle.
4 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
B. L’ÉPREUVE DE CULTURES DE LA COMMUNICATION (E1)<br />
L’épreuve de Cultures de la communication est composée de 2 parties (la deuxième étant elle-même<br />
subdivisée en 2 sous-parties) mais il faut bien comprendre l’unité de la démarche que ces subdivisions<br />
pourraient masquer. L’idée générale est de vérifier dans quelle mesure un candidat est capable de réinvestir<br />
dans sa pratique professionnelle une réflexion personnelle à partir d’un problème de société appliqué à la<br />
communication ; d’où une trajectoire qui va du général (un texte) au particulier (une production) en passant<br />
par un contexte (une opération de communication).<br />
La première partie, évaluée sur 8 points, propose au candidat un texte d’une trentaine de lignes relevant<br />
des Cultures de la communication : le candidat doit répondre à des questions vérifiant sa compréhension<br />
globale du texte donné et le conduisant à construire une argumentation personnelle.<br />
La deuxième partie, évaluée sur 12 points, se fonde sur un ensemble de documents relatifs à une opération<br />
de communication :<br />
a. À travers une série de questions relevant des Cultures de la communication, le candidat est conduit à<br />
analyser des caractéristiques précises de cette opération de communication.<br />
b. Le candidat doit ensuite décliner le message proposé en tenant compte de modifications imposées par le<br />
sujet. Le candidat propose un nouveau message en justifiant l’ensemble de ses choix.<br />
Plus précisément…<br />
La première partie de l’épreuve est donc construite autour d’un texte qui peut être de nature philosophique,<br />
littéraire, sociologique, historique, etc. Il n’est pas spécifiquement lié à la communication comme pratique<br />
professionnelle, mais la thématique qu’il aborde influence directement les stratégies de communication des<br />
annonceurs. Par exemple, un texte philosophique sur la redéfinition des sexes et des genres dans le monde<br />
contemporain peut permettre au candidat d’éclairer les enjeux d’une campagne de communication pour une<br />
grande enseigne de mode masculine. Un extrait de roman sur les valeurs hédonistes de la société de<br />
consommation peut aider à saisir les implications d’une annonce vantant des coffrets de « week-end bienêtre<br />
»…<br />
Le texte est le support de deux questions :<br />
— La première question vérifie la compréhension, par le candidat, de la thèse soutenue par le texte proposé,<br />
et invite le candidat à interpréter les arguments avancés pour en dégager la cohérence.<br />
— La seconde question invite le candidat à construire une réflexion personnelle en discutant la thèse du<br />
texte au regard de ses implications dans le domaine de la communication. Le candidat devra prendre<br />
position et fonder son avis sur des arguments rigoureux et des exemples précis. Ainsi, un texte de<br />
psychologie sur le désir d’enfant pourrait donner lieu à une réflexion sur l’utilisation de nourrissons dans<br />
une campagne télévisée.<br />
La lecture du texte et la réponse aux deux questions doivent pouvoir être traitées en approximativement<br />
1 h 30.<br />
La seconde partie se fonde, elle, sur une base documentaire constituée par exemple des différents éléments<br />
d’une campagne de communication, ou d’un support de communication accompagné de documents éclairant<br />
ses enjeux (article de la presse spécialisée, étude…), etc. Cette base documentaire entretient bien sûr un<br />
rapport clair avec le texte proposé dans la première partie.<br />
a. La base documentaire est l’objet de 2 questions<br />
— La première question conduit le candidat à analyser les documents à la lumière d’une problématique<br />
qu’elle formule explicitement. Par exemple, le candidat pourrait être amené à analyser une campagne<br />
caritative à travers le thème de la solidarité, ou à travers les effets pathétiques qu’elle met en jeu, ou<br />
encore à travers la façon dont elle implique sa cible. Le questionnement portera sur tous les aspects du<br />
(ou des) support(s) proposé(s) : il ne s’agit pas d’interroger sur le texte ou sur l’image seuls, mais sur le<br />
texte et l’image (par exemple).
U9K25-F1/1 CONSEILS GÉNÉRAUX 5<br />
— La seconde question conduit le candidat à confronter la thèse soutenue par le texte de la première<br />
partie à la base documentaire de la seconde partie. Il s’agit alors de mettre la campagne ou le support<br />
de communication en perspective en précisant dans quelle mesure la thèse défendue par le texte et le<br />
principe à la base de la campagne ou du support sont en résonance… ou en contradiction.<br />
b. La base documentaire sert de support à un travail de transposition<br />
La transposition peut porter sur la nature de la cible ou du support, sur un changement de contexte temporel<br />
ou géographique, tout en respectant la cohérence de la campagne (ou du support) initiale.<br />
Il pourra s’agir, par exemple d’un communiqué de presse, d’un e-mailing, de recommandations à destination<br />
d’un prestataire, d’un script de spot radio, etc., (ces quelques exemples ne constituent absolument pas une<br />
liste limitative).<br />
Il s’agit, dans ce dernier temps qui vaudra généralement 8 points sur 12, d’évaluer le degré de maîtrise par le<br />
candidat des codes professionnels. Il faudra tenir compte des possibilités ou des contraintes technologiques<br />
dans la production et ainsi préciser, en les justifiant, ses choix concernant la typographie, la qualité du<br />
papier, l’insertion d’animations ou de liens, etc. en fonction du support produit.<br />
La justification devra mettre en valeur la continuité du propos entre la campagne initiale (ou le support) et sa<br />
déclinaison mais aussi souligner la pertinence des changements rendus nécessaires par la transposition. La<br />
justification devra être rigoureusement construite et suffisamment développée pour être convaincante.<br />
La lecture du dossier documentaire, la réponse aux deux questions, la rédaction de la production et de sa<br />
justification doivent pouvoir être traitées par un candidat en 2 h 30.<br />
C. LES CULTURES DE LA COMMUNICATION DANS LES AUTRES ÉPREUVES<br />
N’oubliez pas que les enseignants de Cultures de la communication, en plus de l’épreuve E1 (coefficient 3),<br />
interviennent aussi, à égalité avec leurs collègues, dans les jurys des épreuves :<br />
— E4 : Relations commerciales (coefficient 4)<br />
— E6 : Projet et pratiques de la communication (coefficient 4)<br />
Ce serait donc une erreur de réduire les enjeux de cet aspect de la formation à la seule épreuve E1.<br />
II. COMMENT TRAVAILLER LES CULTURES DE LA<br />
COMMUNICATION ?<br />
A. LES DEUX FASCICULES<br />
Pour plus de commodité, l’enseignement de Cultures de la communication est ici séparé en deux fascicules :<br />
— Introduction à l’histoire et aux théories de la communication.<br />
� Objectif du fascicule de 1 re année (9K11) : les bases d’une connaissance théorique de la<br />
communication.<br />
� Objectif du fascicule de 2 e année (9K25) : les théories, modèles et typologie de la communication ainsi<br />
que l’histoire et la sociologie des médias.<br />
— Analyse critique des cibles.<br />
� Objectif du fascicule de 1 re année : les différentes approches des cibles (socioéconomique,<br />
sociodémographique, psychologique, psychosociale, géographique).<br />
� Objectif du fascicule de 2 e année (9K25) : les <strong>cultures</strong> des cibles.<br />
— Analyse critique des annonceurs.<br />
� Objectif du fascicule de 1 re année (9K11) : l’annonceur dans son contexte, de la réalité à l’image de<br />
l’annonceur.<br />
� Objectif du fascicule de 2 e année (9K25) : les <strong>cultures</strong> des annonceurs (valeurs, objectifs) en fonction<br />
de leur nature : entreprises, institutions, associations.
6 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
— Analyse et production du message.<br />
� Objectif du fascicule de 1 re année (9K21) : apprendre à interpréter, mais surtout à « fabriquer » des<br />
messages, qu’ils soient textuels (communiqué de presse, publipostage, pavé de texte dans une<br />
annonce-presse…) ou visuels (affiche, spot télé, site Internet…).<br />
� Objectif du fascicule de 2 e année (9K26) : appréhender les stratégies de l’image animée et du son ainsi<br />
que les stratégies de l’interactivité.<br />
Ces deux fascicules sont complémentaires et forment un tout indissociable dans la mesure où, d’un point de<br />
vue professionnel, la conception du message repose sur une analyse fine des cibles et des annonceurs à partir<br />
d’une bonne compréhension des mécanismes de base de la communication. Réciproquement, l’analyse des<br />
cibles et des annonceurs ne constitue pas une fin en soi, mais est tout entière orientée vers la finalité<br />
professionnelle que constitue la production de messages.<br />
Vous devez donc travailler les deux fascicules en parallèle afin de conjuguer leurs apports : le premier vous<br />
permettra de vous penser en situation, d’abord par rapport à telle ou telle cible puis tel ou tel annonceur ; le<br />
deuxième vous fournira les outils pour gérer cette situation en adaptant les stratégies du message grâce aux<br />
outils qu’il vous propose.<br />
Vous compléterez votre lecture des deux fascicules par des lectures complémentaires : il ne s’agit pas ici de<br />
vous entourer de manuels, qui seraient redondants par rapport au cours, mais de compléter vos connaissances<br />
et votre culture générale. Ainsi, d’éventuelles lacunes dans tel ou tel domaine (la linguistique, les mythes, la<br />
sociologie…) pourront être comblées par d’autres lectures ou, éventuellement, par une recherche<br />
approfondie sur Internet. Pour cela, vous pourrez vous appuyer sur les bibliographies en fin de chapitre<br />
(fascicule « Analyse et production du message ») ou sur les références exploitées par les deux fascicules. S’il<br />
est bien sûr important de combler d’éventuelles lacunes criantes, il l’est tout autant d’approfondir ce qui vous<br />
intéresse plus particulièrement. Il n’est pas interdit de se faire plaisir… bien au contraire !<br />
B. EXERCICES ET DEVOIRS<br />
Des exercices en autocorrection vous seront proposés sur le site de la formation ; le but est de vous permettre<br />
d’évaluer votre compréhension du cours et votre maîtrise des notions qui viennent d’être abordées en les<br />
replaçant dans un contexte professionnel.<br />
Ces exercices font partie intégrante de vos apprentissages : vous devez les faire sérieusement pour vous<br />
entraîner et faire le point sur ce que vous avez acquis. Résistez donc à l’envie (parfois irrépressible !) de<br />
regarder les réponses avant même de réfléchir à la question… vous perdriez alors une précieuse occasion de<br />
vous exercer à la pratique de la communication !<br />
Les devoirs sont au nombre de quatre, et n’ont pas tous la même forme :<br />
— les deux devoirs relatifs au fascicule « La Communication et ses acteurs » s’inspirent directement de<br />
l’épreuve à l’examen, même si le questionnement est adapté à vos connaissances de première année ;<br />
— les deux devoirs relatifs au fascicule « Analyse et production du message » sont centrés sur les deuxième<br />
et troisième parties de l’examen ; ils vous proposent d’analyser un outil de communication, puis d’en<br />
décliner le message en changeant de support.<br />
Voilà, c’est maintenant à vous de jouer ! En travaillant de façon régulière, avec curiosité et enthousiasme,<br />
vous verrez vite tout ce que cette matière peut vous apporter. Pendant deux ans, vous allez réfléchir, analyser<br />
et produire des outils de communication, enrichir l’une par l’autre votre culture générale et votre culture<br />
professionnelle…<br />
Bon travail !
U9K25-F1/1 7<br />
SÉQUENCE 01<br />
INTRODUCTION À L’HISTOIRE ET AUX THÉORIES DE LA COMMUNICATION.............................. 8<br />
SÉANCE 1 : MODÈLES ET THÉORIES DE LA COMMUNICATION .................................................... 8<br />
I. DE SHANNON À DEBRAY ........................................................................................................ 8<br />
A. LE MODÈLE DE SHANNON ET WEAVER......................................................................................8<br />
B. LE MODÈLE DE WIENER ...................................................................................................................9<br />
C. LE MODÈLE DE HYMES.....................................................................................................................9<br />
D. LE MODÈLE SYSTÉMIQUE DE L’ÉCOLE DE PALO ALTO........................................................9<br />
E. LE MODÈLE DE JAKOBSON ...........................................................................................................10<br />
F. DU MODÈLE À LA THÉORIE ..........................................................................................................11<br />
II. LES TYPES DE COMMUNICATION..................................................................................... 12<br />
A. LA COMMUNICATION GLOBALE.................................................................................................12<br />
B. LA COMMUNICATION INSTITUTIONNELLE (OU CORPORATE) .........................................13<br />
C. LA COMMUNICATION COMMERCIALE......................................................................................14<br />
1. La communication de marque.........................................................................................................14<br />
2. La communication produit..............................................................................................................14<br />
D. LA COMMUNICATION INTERNE...................................................................................................14<br />
E. LES AUTRES TYPES DE COMMUNICATION ..............................................................................15<br />
1. La communication sociale ..............................................................................................................15<br />
2. La communication publique ...........................................................................................................15
8 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
INTRODUCTION À L’HISTOIRE ET AUX THÉORIES DE LA<br />
COMMUNICATION<br />
SÉANCE 1 : MODÈLES ET THÉORIES DE LA COMMUNICATION<br />
I. DE SHANNON À DEBRAY<br />
Il n’y a pas de science de la communication, si ce n’est en un sens mathématique qui ne nous concerne pas.<br />
Aucun modèle ne peut prétendre à lui seul résumer les multiples aspects de la communication humaine car<br />
pour faire valoir sa cohérence, il est obligé de négliger certains aspects qu’un autre modèle prendra en<br />
compte. Il faut donc les connaître et les utiliser comme des éclairages et des repères permettant de ne pas<br />
perdre de vue certains fondamentaux (la signification ne se transmet pas, l’émetteur doit anticiper sur la<br />
réaction du récepteur, une situation de communication engendre une causalité circulaire… etc.) et d’éviter<br />
certaines erreurs (se faire plaisir en oubliant la cible, oublier le geste au profit de la parole, négliger le<br />
contexte). Bref, ce qui suit constitue une caisse à outils, toujours disponible… à condition de savoir s’en<br />
servir.<br />
A. LE MODÈLE DE SHANNON ET WEAVER<br />
Les mathématiciens Shannon et Weaver ont proposé le premier modèle de communication à l’occasion de<br />
travaux réalisés sur la transmission des informations à travers les lignes téléphoniques. En 1948, ils<br />
proposent un modèle linéaire qui repose sur une chaîne d’éléments : la source d’information, l’émetteur qui<br />
transforme le signal en un code, le canal de transmission, le récepteur qui décode les signaux, et le<br />
destinataire du message. Des perturbations appelées « bruits » peuvent parasiter la transmission du message<br />
et provoquer une perte d’information. Il sert aujourd’hui de matrice de référence pour les sciences de la<br />
communication.<br />
Schématiquement, ce modèle peut être représenté ainsi :<br />
Émetteur (message émis) � encodage � signal � décodage � destinataire (message reçu)<br />
— L’émetteur est la personne ou le support qui véhicule l’information (le vendeur, l’annonce presse, le spot<br />
TV…) ;<br />
— Le message émis est l’idée principale que l’on veut faire passer à travers un ensemble de signes ;<br />
— Le signal est le moyen de véhiculer le message (la parole du vendeur, la presse, la TV…) ;<br />
— Le message reçu est le message interprété par le récepteur ;<br />
— Le destinataire est l’ensemble des personnes auxquelles est destiné le message ;<br />
— Le codage porte sur la forme donnée aux signaux envoyés (choix des mots, des images, des sons et leur<br />
mise en forme) ;<br />
— Le décodage est l’interprétation des signaux.<br />
Pour définir l'information Shannon et Weaver se basent sur le 2 e principe de la thermodynamique énoncé par<br />
Carnot : « dans un système physique, l'énergie tend à se dégrader ». Par exemple lorsque l'on met de l'eau<br />
chaude dans une baignoire qui se trouve dans une salle de bain froide, au bout d'un moment celle-ci sera<br />
tiède mais l'eau du bain aussi. Le tout devient homogène, indifférencié, cela mène à la « mort » du système,<br />
à l'entropie (en thermodynamique principe qui décrit le degré croissant de désordre dans le fonctionnement<br />
d'un système ; en communication, degré d'incertitude).<br />
L'information, elle aussi, est soumise à l'entropie. Mais, en même temps elle est une lutte contre l'entropie<br />
puisqu'elle consiste à imposer un ordre à un message. En effet celui-ci obéit à des règles syntaxiques et<br />
lexicales. Plus encore, en introduisant de la nouveauté, du contenu, de l’innovation, elle lutte contre<br />
l’indifférenciation.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 01 9<br />
De même que les machines subissent un échauffement qui nuit à leur efficacité, l’information, suivant le<br />
canal par lequel elle passe subit des parasites que l’on nomme « bruits ». Ceux-ci peuvent aussi bien être<br />
objectifs (mauvaise qualité, rapidité, netteté du son ou de l’image, ambiguïté d’un texte, contradiction entre<br />
la posture et la parole) que subjectifs (inattention, saturation, hostilité ou inhibition de la cible).<br />
Pour corriger ces bruits on utilise la redondance, c’est-à-dire la répétition dans la variation. En<br />
communication écrite ou orale, on usera de répétitions et de reformulations, des mots clés, de surlignages, de<br />
gestes, de différences dans le ton de la voix. La pratique des sagas publicitaires relève de cette logique :<br />
répéter le message, créer un lien affectif avec les personnages sans lasser et engendrer le rejet. Car la pure<br />
répétition finit par nuire en provoquant l’ennui. Afin d’éviter cela, il faut introduire l'entropie, le désordre, la<br />
nouveauté pour attirer à nouveau l'attention, tout en conservant la continuité du propos.<br />
B. LE MODÈLE DE WIENER<br />
Le modèle de Wiener complète le modèle de Shannon en introduisant la notion de feed-back. Ce modèle<br />
s’appuie sur un processus de communication circulaire (et non plus linéaire) en introduisant un échange<br />
d’information à travers la réaction du destinataire qui devient à son tour émetteur (retour d’information).<br />
C’est ainsi que naît une conception cybernétique de la communication.<br />
Le mot cybernétique vient du grec kubernètikos qui, au sens premier, signifie le pilotage d'un navire, l'art de<br />
la timonerie et, dans un sens dérivé, l'art de gouverner les hommes. Il renvoie à l’idée d’une causalité<br />
circulaire qui ne connaît ni début ni fin : de la même façon que le bon marin (le bon gouvernant…)<br />
s’adapte au milieu qui l’entoure et détermine en partie son action, le bon communicant (l’émetteur) ne perd<br />
jamais de vue les conditions dans lesquelles il émet son message, conditions qui déterminent très largement<br />
celui-ci. Le contexte, la nature du canal, les caractéristiques du récepteur deviennent des causes de la<br />
communication elle-même.<br />
C. LE MODÈLE DE HYMES<br />
Hymes s’est intéressé aux composantes de la situation de communication et a proposé un modèle (S-P-E-<br />
A-K-I-N-G) qui comprend huit éléments : cadre, identité des participants, intentions, ton, canaux et codes,<br />
normes et genre. Par-delà le caractère toujours suspect d’un acronyme trop accrocheur, son approche a le<br />
mérite de globaliser l’analyse et de la sortir du tête-à-tête trompeur entre l’émetteur et le récepteur. Bien des<br />
paramètres extérieurs viennent interférer dans la relation entre ces deux termes ; il ne faut pas les considérer<br />
comme des nuisances mais de vrais éléments constitutifs de la relation de communication.<br />
— Settings : la situation englobe le cadre (moment et lieu de l’échange, disposition matérielle) et la scène<br />
(cadre culturel et psychologique de l’échange) ;<br />
— Participants : les participants sont l’émetteur, le destinataire mais aussi les individus présents qui<br />
influent sur l’interaction ;<br />
— Ends : les finalités désignent les intentions de l’émetteur et les résultats effectifs de l’interaction ;<br />
— Acts : les actes regroupent le contenu et la forme du message ;<br />
— Keys : le ton rend compte de l’accent et la manière dont l’acte est accompli ;<br />
— Instrumentalities : les instruments regroupent les canaux (moyen de transmission de la parole) et les<br />
formes de la parole (le code) ;<br />
— Norms : les normes interviennent au niveau de l’interaction (respecter son tour de parole) et de<br />
l’interprétation (références culturelles des participants) ;<br />
— Gender : le genre désigne la catégorie à laquelle appartient la communication (conférence, conversation,<br />
échange professionnel).<br />
D. LE MODÈLE SYSTÉMIQUE DE L’ÉCOLE DE PALO ALTO<br />
L’école de Palo Alto est un courant de pensée qui, dans les années 50, s’est intéressé à la problématique de la<br />
communication en y appliquant une démarche systémique. Ce modèle ne se contente pas d’étendre<br />
l’analyse à la multiplicité des facteurs intervenant dans une situation de communication mais insiste sur les<br />
caractéristiques d’un système de communication. Par système, on entend une certaine stabilité des
10 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
interactions qui structurent la relation de communication et lui permettent de tendre vers un équilibre (ce<br />
qui ne signifie pas ici « égalité »). Leur compréhension permettrait d’anticiper sur les effets de la<br />
transmission du message.<br />
La métaphore fondatrice est celle de l’orchestre de jazz où dans l’euphorie de l’improvisation, chaque<br />
musicien joue en s’accordant en permanence sur les autres. « Ce modèle de la communication n’est pas<br />
fondé sur l’image du téléphone ou du ping-pong – un émetteur envoie un message à un récepteur qui devient<br />
à son tour un émetteur – mais sur la métaphore de l’orchestre… Mais dans ce vaste orchestre culturel, il<br />
n’y a ni chef ni partition. Chacun joue en s’accordant sur l’autre. 1 »<br />
— La communication est donc un phénomène interactionnel au centre duquel se trouve la relation qui se<br />
noue entre les individus.<br />
« Toute communication présente deux aspects : le contenu (c’est-à-dire l’information échangée) et<br />
la relation, tels que le second englobe le premier. C’est mon intuition personnelle qu’un<br />
cinquième peut-être, de toute communication humaine sert à l’échange de l’information, tandis<br />
que le reste est dévolu à l’interminable processus de définition, confirmation, rejet et redéfinition<br />
de la nature de nos relations avec les autres. 2 »<br />
— La communication ne se réduit pas au message verbal, car tout comportement social a une valeur<br />
communicative : les mimiques, les gestes, les attitudes transmettent un message.<br />
« Il n'existe pas de non-comportement, même le silence, même la posture du schizo recroquevillé<br />
au stade de la catatonie sont un message. L'espace humain est sémiotique et saturé d'affects ; notre<br />
espèce ne naît pas dans les choses, mais toujours dans les signes, c’est-à-dire dans le sens. 3 »<br />
— La communication est déterminée par le contexte dans lequel elle s’inscrit, le contexte étant porteur de<br />
normes, de règles, de rituels.<br />
— Tout message comporte deux niveaux de signification. Il comporte un contenu informatif mais exprime<br />
aussi quelque chose sur la relation qui lie les interlocuteurs.<br />
— La relation entre interlocuteurs se structure selon deux modèles : le modèle symétrique dans lequel les<br />
différences sont minimisées et la relation définie comme égalitaire, et le modèle complémentaire dans<br />
lequel les différences sont augmentées et les protagonistes adoptent des comportements contrastés.<br />
La distinction probablement la plus directement utilisable professionnellement dans la mesure où elle invite à<br />
un travail sur soi-même toujours à recommencer est celle entre le digital et l’analogique :<br />
— La communication digitale concerne tout ce qui est de l’ordre de la parole qui décrit et qui organise, du<br />
concept, de la carte et du schéma, du nombre. Il s’agit d’un langage qui dispose d’une syntaxe logique<br />
complexe et très commode. Bien adapté à la transmission du contenu de la communication<br />
(l’information), ce langage est en revanche déficient chaque fois que la relation est au centre de la<br />
communication.<br />
— La communication analogique concerne pratiquement tout le reste, c’est-à-dire le corps, le geste, la<br />
mimique, l’intonation, la place, le rôle et plus largement tous les actes posés par la personne et<br />
susceptibles de prendre sens dans le processus de communication. On peut inclure aussi la parole<br />
poétique dans cette forme de communication, car son ambition n’est pas de décrire mais d’évoquer et<br />
d’émouvoir.<br />
E. LE MODÈLE DE JAKOBSON<br />
Il s’agit en fait ici de revenir à ce qui se dit en centrant l’analyse sur les fonctions du langage. Ce modèle<br />
est donc décalé et complémentaire des précédents.<br />
— La fonction expressive (centrée sur l’émetteur) : le langage permet d’exprimer des désirs, de traduire des<br />
émotions (ton affectif), de mettre en avant l’émetteur.<br />
1 BATESON, BIRDWHISTELL, GOFFMAN, HALL, JACKSON, SCHEFLEN, SIGMAN, WATZLAWICK : La nouvelle communication, p. 7/8,<br />
Seuil 1984.<br />
2 WATZLAWICK P., HELMICK BEAVIN J., JACKSON D., Une logique de la communication, p. 48, Seuil 1972<br />
3 BOUGNOUX D., La Communication contre l'Information, Étude, p.307 à 317, mars 1992
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 01 11<br />
Exemples : « moi », « je », « ma ».<br />
— La fonction référentielle (centrée sur le contenu du langage) : le langage a pour fonction d’informer, de<br />
décrire. Il donne des indications sur l’objet, la situation, le contexte. Le discours est objectif, de type<br />
narratif (ton neutre).<br />
— La fonction conative (centrée sur le récepteur) : le langage est destiné à produire un effet sur le<br />
destinataire, à l’impliquer. L’implication peut être directe (ton impératif, injonction, ordre) ou indirecte<br />
(ton pédagogique, persuasif).<br />
Exemples : « essayez-le », « de vous à moi ».<br />
— La fonction phatique (centrée sur le canal) : le langage cherche à établir un contact et le garder (ton<br />
interrogatif).<br />
Exemples : « Vous vous demandez quel est votre intérêt à acheter ce produit ? ».<br />
— La fonction métalinguistique (centrée sur le code) : consiste à expliciter son propre discours (ton<br />
didactique).<br />
Exemples : « c'est-à-dire », « en d’autres termes ».<br />
— La fonction poétique (centrée sur le message) : le langage a pour fonction de glorifier le message. Le<br />
discours utilise des effets de style, devient métaphorique, lyrique.<br />
F. DU MODÈLE À LA THÉORIE<br />
L’insistance sur le contexte dans lequel se développe la communication débouche logiquement sur une<br />
réflexion interrogeant les effets du développement des moyens de communication sur la société dans son<br />
ensemble. Les pratiques de communication modifient les rapports sociaux… qui eux-mêmes réagissent sur<br />
les stratégies de communication. Ainsi la montée en puissance de l’industrie médiatique américaine pendant<br />
les années soixante ouvre la voie à une série de réflexions sur la nature, le fonctionnement et le pouvoir des<br />
médias. Ces analyses peuvent être utilisées tout autant dans le cadre d’une critique radicale de l’emprise<br />
médiatique… que pour en accroître l’efficacité.<br />
Proposant le premier le terme de « village global » pour désigner le monde sans frontière ni distance que<br />
semblent construire les nouveaux moyens de communication, à une époque où Internet n’existait pas encore,<br />
le Canadien Marshall McLuhan renouvelle totalement la notion de média au début des années 1960. Il<br />
propose une définition très extensive du terme « média ». Les différents apports de la technologie, de la roue<br />
à l’électricité, doivent être, dit-il, considérés comme des médias, c’est-à-dire des extensions de notre<br />
corporalité qui ont engendré des restructurations de notre sensibilité. Par cette action, ils ont conditionné<br />
notre vision du monde : toutes les inventions ou technologies sont des prolongements ou auto-amputations<br />
de nos corps ; et des prolongements comme ceux-là nécessitent l’établissement de nouveaux rapports ou<br />
d’un nouvel équilibre des autres organes et des autres prolongements du corps.<br />
McLuhan s'intéresse particulièrement aux conséquences « médiatiques » de l'émergence de l'électricité et de<br />
l'électronique. Il classe ainsi les médias modernes en « chauds » ou « froids », selon qu'ils « ne laissent à<br />
leur public que peu de blancs à remplir ou à compléter » (presse écrite, radio, cinéma) ou au contraire<br />
exigent une participation importante du récepteur (télévision, téléphone). Les médias à haute résolution<br />
(« chauds »), tels que la presse ou la radio, sont riches en information et se prêtent moins à la participation<br />
sensorielle du lecteur ou de l'auditeur pour compléter l'information. Par contre, les médias à basse<br />
résolution (dits « froids »), tels que le téléphone ou la télévision, sont relativement pauvres en information<br />
et exigent de l'usager une plus grande participation sensorielle. Contrairement à toutes les techniques<br />
précédentes, qui privilégiaient un sens (l'écrit, par exemple, sollicite plus la vue que l'ouïe), « la technique<br />
électrique est globale et englobante ».<br />
Il est clair qu’aujourd’hui, au regard de la multiplicité des usages possibles d’Internet, une telle affirmation<br />
est difficilement soutenable. On doit par contre garder en mémoire la distinction entre un média englobant<br />
et hallucinatoire en tant qu’il capte, en même temps, différents sens, tout en proposant un contenu<br />
informatif faible (c’est le cas de la télévision mais aussi du théâtre de rue) et un média informatif, ne<br />
captant qu’un sens et propice à l’influence rationnelle.<br />
Ainsi par leur évolution technique les médias modifient notre monde mais aussi notre façon de le percevoir<br />
(en sollicitant certains sens plus que d'autres), de le penser et de l'agir. C'est ce que signifie la célèbre
12 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
formule « le médium, c'est le message » : l'important n'est pas le contenu que véhicule tel ou tel médium<br />
(média), mais comment il le véhicule, et quel rapport au monde cela induit. Dans le langage de Shannon,<br />
McLuhan nous invite à réfléchir aux effets du canal et du contexte. Tout mode de communication est un<br />
média qui modifie notre rapport au monde ; on peut penser par exemple à ce que deviennent la vie privée et<br />
la pudeur à l’ère des réseaux sociaux mais aussi aux capacités de mobilisation politique ou humanitaires<br />
qu’ils permettent. Cette réflexion a des conséquences très concrètes sur les stratégies des professionnels en<br />
ce que le message apparaît de plus en plus comme un élément constitutif d’une démarche s’appuyant sur une<br />
analyse élargie de la situation de communication.<br />
La Médiologie fondée par Régis Debray dans les années 90 constitue probablement l’ultime élargissement<br />
de la question. Associant, dans une typologie historique des médias, les formes techniques et les formes<br />
sociales, il classe les sociétés selon leur média dominant, et caractérise ces derniers selon la forme de<br />
communication qu’ils favorisent : indicielle, iconique, symbolique.<br />
Ce classement des signes utilisés pour communiquer a été proposé dans les années 1950 par le linguiste<br />
américain Pierce. Celui-ci a identifié trois types de signes : l’indice, l’icône et le symbole et leur a attaché<br />
des caractéristiques particulières en termes de communication.<br />
— La communication indicielle confond le message et son véhicule (la grippe et son virus), superpose le<br />
contenu et la relation (fonction phatique de la communication amoureuse) et identifie l’émetteur et le<br />
récepteur (rumeurs, modes, publicités). Pierce fait de l’indice un « fragment arraché à l’objet » ; il<br />
accompagne l’énonciation pour parfois la contredire. Par exemple : « C’était délicieux, vraiment ! » (en<br />
rendant l’assiette pleine) ou : « Échec et mat mon pauvre vieux, je suis absolument désolé » (avec un<br />
sourire triomphal). Ici l’énoncé est entre guillemets et l’indice entre parenthèses.<br />
— La communication iconique s’appuie sur la ressemblance du signe à la chose communiquée. Il évoque<br />
directement la chose par sa forme ou son apparence, et sans passer par la médiation des mots. La<br />
communication iconique est à la base de la plupart des arts et des rituels, lesquels par leur grande<br />
puissance d’évocation réussissent à faire communier les hommes là où la parole se montre impuissante.<br />
C Exemple<br />
Lorsque des amoureux échangent un baiser, ils sont dans l'indiciel ; quand ils se font des cadeaux, ils sont<br />
dans l'iconique ; lorsqu'ils s'adressent des lettres d'amour, ils sont dans le digital.<br />
— La communication symbolique, en revanche, se prête aux articulations complexes de l’écriture ou de la<br />
mathématique.<br />
Les idées n’ont pas une efficacité par elles-mêmes. Elles dépendent toujours de leurs conditions sociales,<br />
économiques et techniques d’élaboration et de diffusion. Il faut donc s’intéresser en premier lieu à<br />
l’ensemble des moyens techniques socialement déterminés par lesquels se transmet la pensée, tels que<br />
l’imprimerie, la radio, la télévision mais aussi l’image colportée, la méditation religieuse ou le meeting<br />
ouvrier. Il faut aussi étudier concrètement les conséquences qu’a l’usage de ces moyens techniques sur<br />
l’élaboration de la pensée et sur les conditions de circulation des idées. Cette réflexion débouche sur la<br />
division de l’histoire humaine en trois « Médiasphères ». Ces dernières représentent des ensembles cohérents<br />
historiquement où, à l’utilisation majoritaire d’une technique de communication, correspondent une<br />
configuration sociopolitique et une cohésion symbolique ou religieuse de la société. 1<br />
II. LES TYPES DE COMMUNICATION<br />
A. LA COMMUNICATION GLOBALE<br />
La communication globale d’une organisation définit son territoire de communication et a pour vocation<br />
d’assurer la cohérence des messages, à l’externe et en interne, ainsi que leur efficacité. Elle nécessite une<br />
démarche rigoureuse et une mise en œuvre exemplaire. Chaque prise de parole doit être l’occasion de<br />
1 Régis DEBRAY, Introduction à la médiologie, PUF, 2000.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 01 13<br />
décliner le message essentiel. Bien sûr, la communication externe s’adresse aux cibles et publics proches<br />
et/ou éloignés de l’organisation. La communication interne intéresse les salariés et collaborateurs de<br />
l’organisation.<br />
B. LA COMMUNICATION INSTITUTIONNELLE (OU CORPORATE)<br />
La communication institutionnelle désigne la communication qu’une organisation entretient avec l’ensemble<br />
de ses publics : collaborateurs/salariés, journalistes, leaders d’opinion, pouvoirs publics, partenaires sociaux,<br />
actionnaires, ONG, grand public. Elle est le premier vecteur de l’image de l’organisation mais elle est<br />
aussi vecteur d’information et alerte en cas de changement brutal de situation (crise). L’image d’une<br />
organisation se construit sur ses valeurs, ses engagements (économiques, sociétaux, éthiques) et ses<br />
ambitions. Ces notions constituent le socle de l’élaboration des stratégies et des actions à mener.<br />
L’organisation doit parler d’une seule voix à ses différents publics, c’est donc la direction générale qui<br />
orchestre la communication institutionnelle. Aujourd’hui, l’organisation ne doit pas se contenter de prendre<br />
la parole, elle doit surtout installer un véritable échange avec toutes les parties prenantes, pour répondre à<br />
leurs attentes de reconnaissance, de transparence, et d’éthique. La signature, expression la plus simple du<br />
message, accompagne l’organisation sur le long terme. Les signatures actuelles traduisent souvent un<br />
bénéfice partagé entre l’organisation et ses publics. (EDF « Changer l’énergie ensemble », ministère de<br />
l’écologie « Entrons dans le monde d’après », Orange « Ensemble plus loin », Société Générale « On est là<br />
pour vous aider »).<br />
Les entreprises émettent des signes en tant qu’acteur économique et acteur social (ou civil). En tant qu’acteur<br />
économique, l’entreprise communique sur ses objectifs, ses réalisations, et ses résultats, au niveau financier,<br />
technologique, humain. En tant qu’acteur social, l’entreprise communique sur sa mission, ses valeurs, son<br />
rôle dans la société.<br />
On a l’habitude de rattacher à la communication institutionnelle, la communication financière et la<br />
communication de recrutement car ces deux types de communication, de par la spécificité de leurs cibles,<br />
interfèrent sur l’image de l’organisation.<br />
La communication financière s’est développée dans les années 1980 avec les privatisations. Elle concerne<br />
au premier plan les groupes cotés en bourse. Elle est destinée à créer et à entretenir des liens de confiance<br />
entre l’organisation et ses actionnaires ainsi que les différents intervenants de la communauté financière<br />
(banquiers, analystes financiers, gestionnaires, investisseurs, journalistes économiques). Le rapport annuel<br />
d’activité est le document central du système d’information financière. Il n’est plus désormais une bible<br />
indigeste pour les non-initiés, les entreprises en ont fait un véritable support de communication corporate<br />
plus éducatif, plus créatif, plus ludique. Les relations presse et les relations publiques sont des outils<br />
privilégiés de la communication financière. Aujourd’hui, les entreprises développent aussi des sites Internet<br />
ou des espaces sur leurs sites dédiés à l’information financière.<br />
La communication de recrutement vise à faciliter et optimiser le recrutement des salariés ou<br />
collaborateurs. Il s’agit d’inciter les jeunes diplômés à postuler sur des emplois proposés par l’organisation.<br />
La mise en place d’une campagne de recrutement peut être aussi l’occasion de modifier, voire rajeunir,<br />
l’image de l’organisation, qui doit se rendre attractive auprès des cibles directes de la campagne, mais aussi<br />
du grand public (exemple des campagnes de l’armée de terre).<br />
La communication de crise revêt, elle aussi, une dimension institutionnelle, en ce sens qu’il appartient à la<br />
direction générale de mettre en place des stratégies de prévention et d’anticipation de la crise. La<br />
communication de crise est une communication de prévention par la mise en place d’une veille<br />
informationnelle permettant de réagir rapidement à toute crise économique, financière, sociale. À l’externe,<br />
la communication de crise doit diminuer les risques de dégradation de l’image de l’organisation auprès de<br />
ses publics et cibles. La stratégie de transparence (à distinguer de la transparence elle-même), servie par un<br />
discours explicatif, limitera ces risques.<br />
En interne, la communication de crise est destinée à faire circuler des informations au personnel de<br />
l’entreprise afin de favoriser une dynamique positive, une adhésion et de valoriser l’image de l’entreprise<br />
par une bonne cohésion et un bon fonctionnement.
14 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
C. LA COMMUNICATION COMMERCIALE<br />
La communication commerciale a pour rôle principal d’inciter le consommateur à acquérir un produit ou une<br />
marque. Elle nécessite une réflexion stratégique, et met en place des actions comme la publicité, ou la<br />
promotion des ventes.<br />
On distingue la communication de marque et la communication produit.<br />
1. La communication de marque<br />
Pour le consommateur, la marque a une fonction d’identification et de réassurance. Dans sa dimension<br />
cognitive, la communication doit faire connaître la marque, et l’installer durablement dans l’esprit du<br />
consommateur. Dans sa dimension affective, la communication doit doter la marque d’une image favorable.<br />
La construction de la notoriété de la marque passe par son identification, grâce notamment à l’identité<br />
visuelle, et par l’utilisation de moyens de communication impactants comme les médias. L’image de la<br />
marque résulte du positionnement retenu mais dépend essentiellement de la communication. Si la<br />
communication a été efficace, l’image voulue (par l’entreprise) sera identique à l’image perçue (par le<br />
consommateur).<br />
La communication de la marque fait agir le consommateur. Dans une stratégie de conquête, elle peut avoir<br />
recours à des moyens promotionnels, dans une stratégie de fidélisation, elle aura recours à des moyens<br />
relationnels. L’intérêt de la marque est d’établir un lien de proximité avec le consommateur.<br />
2. La communication produit<br />
Cette communication est celle de l’entreprise sur ses marchés. Elle vise à promouvoir les biens ou services<br />
fabriqués et commercialisés par l’entreprise. De façon générale, les messages s’appuient sur la performance<br />
des produits (avantage produit). L’objectif de la communication est de favoriser le lancement et les ventes<br />
d’un produit en le faisant connaître et en développant sa notoriété. Les médias sont les moyens privilégiés<br />
pour atteindre cet objectif cognitif. La communication produit poursuit aussi un objectif conatif, et vise à agir<br />
sur les comportements des cibles. Le marketing direct et la promotion des ventes sont d’excellents outils<br />
pour conquérir puis fidéliser des consommateurs.<br />
D. LA COMMUNICATION INTERNE<br />
La communication interne peut se définir comme l’ensemble des échanges d'informations qui s'établissent<br />
entre les acteurs d’une organisation pour leur permettre de vivre et de travailler ensemble. La communication<br />
interne dépend étroitement de la communication externe. Elle est l’une des composantes du système global<br />
d’organisation des flux d’information et des échanges. Les cibles de la communication interne sont<br />
l’ensemble des personnes qui contribuent en interne à l’activité de l’organisation (personnel, salariés,<br />
bénévoles, stagiaires).<br />
La communication interne accompagne le projet socioéconomique de l’organisation, elle en présente les<br />
objectifs, en explique les modalités au personnel par des supports d’information adaptés. Elle apporte un<br />
appui opérationnel aux managers dans son rôle d’information, d’écoute et de dialogue. Elle les aide à<br />
concevoir et mettre en œuvre des plans de communication et leur propose des outils. Son rôle est de<br />
développer une dynamique collective et une appartenance à l’organisation. Elle fait vivre et évoluer la<br />
culture commune. Pour autant, on ne peut impulser un tel élan sans écouter le corps social, et recueillir de<br />
l’information formelle (étude, questionnaire) et informelle permettant d’établir un diagnostic et de formuler<br />
des recommandations.<br />
Aussi un certain nombre d’outils doivent-ils être mis en œuvre :<br />
— Communication orale : les entretiens, les réunions d’information, de service, thématiques, les<br />
visioconférences et web-conférences, conventions, séminaires.<br />
— Communication écrite : note d’information, bulletin d’information, journal d’entreprise, newsletter, revue<br />
de presse, livret d’accueil.<br />
— Communication audiovisuelle : films, radio, télévisions d’entreprise, panneaux d’information.<br />
— Communication par l’événement : journée portes ouvertes aux familles du personnel, anniversaire, départ<br />
à la retraite.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 01 15<br />
E. LES AUTRES TYPES DE COMMUNICATION<br />
1. La communication sociale<br />
La communication sociale peut être définie par la spécificité de ses annonceurs qui appartiennent à ce que<br />
l’on appelle « le tiers secteur », et qui sont des membres actifs de la société civile tels que les associations,<br />
les ONG, les syndicats. Ces organisations touchent différents domaines, dont la solidarité, la santé, les droits<br />
de l’homme, l’environnement, l’enfance. Les cibles de la communication sociale sont diverses : le grand<br />
public et les entreprises pour les inciter aux dons, les militants pour provoquer l’engagement, les victimes<br />
pour leur apporter une aide.<br />
La communication sociale utilise les grands médias pour informer et sensibiliser. Pour accéder aux médias,<br />
les organisations nouent des partenariats, organisent des événements, et s’appuient sur les relations presse.<br />
Les outils de la communication directe, en particulier les mailings fonctionnent bien pour les appels aux<br />
dons. Les opérations de « charity promotion » qui associent les grandes marques aux organisations leur<br />
permettent aussi d’accroître leurs ressources. Enfin, la caution apportée par une célébrité qui se fait le porteparole<br />
de l’organisation favorise la reconnaissance des actions engagées et leur efficacité.<br />
2. La communication publique<br />
Ses domaines sont larges, et ont des caractéristiques et des enjeux très différents. La communication<br />
publique prend en compte toutes les catégories de population, et n’hésite pas à choquer lorsqu’il s’agit de<br />
lutter contre des fléaux de société.<br />
La communication administrative concerne l’information diffusée par les administrations nationales ou<br />
territoriales (comptes rendus, avis au public).<br />
La communication politique (à soigneusement distinguer de la précédente) est constituée par l’ensemble<br />
des opérations de communication pratiquées par les équipes au pouvoir (gouvernement, régions,<br />
départements, communautés de communes, communes). Cette communication s’appuie sur les moyens<br />
légaux (communiqués, conférences de presse, bulletins et journaux municipaux, affichage réservé) et les<br />
nouveaux moyens de communication numérique (sites Internet, blogs, chats). Elle bénéficie aussi des<br />
moyens mis en place par les formations politiques, les préoccupations électorales étant au centre de cette<br />
communication. Ainsi le Service d’information du gouvernement (SIG) a pour mission principale de diffuser<br />
l’information sur l’action gouvernementale, et de mettre en place des actions d’information d’intérêt général.<br />
La communication sur les grandes causes : il s’agit des campagnes d’intérêt général lancées par les<br />
ministères (Campagne sur le Grenelle de l’environnement du ministère de l’écologie et du développement<br />
durable), les collectivités territoriales, et des organismes publics ou parapublics (INPES, Institut national de<br />
prévention et d’éducation à la santé, Sécurité routière). Ces campagnes ont un objectif conatif, elles visent à<br />
sensibiliser et modifier les comportements.
16 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1
U9K25-F1/1 17<br />
SÉQUENCE 02<br />
INTRODUCTION À L’HISTOIRE ET AUX THÉORIES DE LA COMMUNICATION (SUITE) ........... 18<br />
SÉANCE 2. HISTOIRE ET SOCIOLOGIE DES MÉDIAS......................................................................... 18<br />
I. LA RADIO................................................................................................................................... 18<br />
II. LE CINÉMA ............................................................................................................................... 21<br />
III. LA TÉLÉVISION....................................................................................................................... 21<br />
A. HISTORIQUE .......................................................................................................................................21<br />
B. LES CHAÎNES DU SERVICE PUBLIC.............................................................................................24<br />
C. LES CHAÎNES PRIVÉES « HISTORIQUES » .................................................................................24<br />
D. ET LES AUTRES..................................................................................................................................25<br />
IV. MULTIMÉDIA ET INTERNET ............................................................................................... 25<br />
V. LE FUTUR DES MÉDIAS ....................................................................................................... 28
18 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
INTRODUCTION À L’HISTOIRE ET AUX THÉORIES DE LA<br />
COMMUNICATION (SUITE)<br />
I. LA RADIO<br />
SÉANCE 2. HISTOIRE ET SOCIOLOGIE DES MÉDIAS<br />
À la fin du XIX e siècle, Branly, puis dans un second temps Marconi, ont permis par leurs avancées<br />
techniques l’émergence de ce nouveau média.<br />
La première étape importante est 1922 avec la première radio, Radio Paris, sous tutelle du ministère des<br />
PTT (Poste, Télécommunication et Télégraphe). Très rapidement, apparaissent les premières publicités et la<br />
première redevance (taxe à payer). À la veille de la seconde guerre mondiale, il existe des radios appartenant<br />
à l’État, mais aussi des radios privées (par exemple Radio Cité du futur créateur de l’agence Publicis, Marcel<br />
Bleustein Blanchet). Elles sont toutes contrôlées pendant la guerre et nationalisées à la Libération.<br />
La seconde étape importante, en 1948, c’est l’invention du transistor qui permet une écoute individuelle et<br />
une mobilité. L’État conserve son monopole, malgré certaines tentatives de radios dites « libres ».<br />
La dernière étape importante, c’est 1981 avec la libéralisation des ondes et la naissance des radios locales<br />
privées. Cela va révolutionner le paysage radio français, avec l’arrivée de nouvelles radios de type NRJ, Fun<br />
Radio, RFM…<br />
Domaine militaire depuis 1907, la radio n’est de nouveau accessible aux civils qu’en 1921, à partir de<br />
l’émetteur de la tour Eiffel. Très vite, l’État affirme son autorité en limitant à 13 le nombre de radios privées<br />
autorisées à émettre sur le territoire français (1928) et en instaurant la redevance pour financer le secteur<br />
public (1933). À cette date, la Grande-Bretagne compte 104 récepteurs pour 1 000 habitants, l’Allemagne<br />
66, la France 28… mais le retard va très vite se combler. Du sport, aux informations puis à la politique avec<br />
la campagne électorale de 1936 qui verra la victoire du Front Populaire, le nouveau média démontre sa<br />
puissance.<br />
La Presse s’inquiète de cette concurrence nouvelle et réagit selon deux stratégies observables à l’émergence<br />
de chaque nouveau média : la confrontation en faisant pression sur les autorités pour qu’elles interdisent le<br />
pillage des journaux par les « revues de presse », la participation en cherchant à prendre le contrôle ou à<br />
collaborer avec des stations radio.<br />
À l’approche de la deuxième guerre mondiale, l’État confirme sa volonté de contrôler ce nouveau média,<br />
comme il l’avait fait pour la presse lors de la première guerre, comme il le fera pour la télévision durant la<br />
guerre d’Algérie. Dès avril 1938, le Radio-Journal est placé sous tutelle gouvernementale ; le pouvoir<br />
français comprenant l’utilisation que font les nazis de la radio vise à faire du journal radiodiffusé une arme<br />
de contre-propagande. Un éphémère Ministère de l’Information naît en 1940, qui disparaîtra avec<br />
l’Occupation mais deviendra une tradition française au lendemain de la guerre, consacrant la tendance<br />
naturelle du pouvoir à considérer les médias comme un moyen de sa politique.<br />
Durant la guerre, la radio est le média politique par excellence. Pour la France libre, basée à Londres, la<br />
radio constitue la première arme du combat politique : elle doit imposer De Gaulle aux alliés, soutenir le<br />
moral des Français, fragiliser la confiance des Allemands. Ainsi, par exemple en est-il de la campagne des<br />
« V » comme « Victoire » lancée en mars 1941 qui appelle (avec succès) les Français à couvrir les murs et<br />
les pavés de cette inscription 1.<br />
1 La propagande de Goebbels cherche à récupérer le mot d’ordre et à brouiller les symboles en lançant la croisade européenne contre<br />
le bolchevisme, baptisée « Victoria » : un immense « V » est installé sur la tour Eiffel.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 02 19<br />
La vague anticapitaliste qui caractérise le temps de la Libération favorise l’instauration du monopole d’État,<br />
réclamé par les journalistes du secteur privé eux-mêmes. Que la direction du journal radiophonique relève<br />
directement du ministère de l’information ne choque personne : le gouvernement seul est perçu comme<br />
pouvant permettre les conditions d’une information objective et pluraliste.<br />
Ce sont pourtant les radios dites « périphériques », n’émettant pas à partir du territoire français (Radio-<br />
Luxembourg, Europe 1) qui font évoluer le média radiophonique dans le même sens que la presse<br />
quotidienne de l’époque : jeux, variétés, retransmissions sportives avec, de plus, une liberté de ton,<br />
notamment au regard de la guerre en Algérie, dont ne bénéficient pas les stations publiques.<br />
Le début des années soixante, notamment grâce au poste à transistor, léger, transportable, permettant de<br />
s’émanciper du cercle familial, voit l’émergence d’un auditoire spécifiquement jeune. La radio devient le<br />
premier média des quinze à vingt ans, notamment grâce à l’émission-phare diffusée sur Europe 1 : Salut les<br />
copains.<br />
Un nouvel élan pour la radio naîtra, à la fin des années 1970, du mouvement des « radios pirates » ou<br />
« radios libres », en réaction à un audiovisuel public plus que jamais sous contrôle et des radios<br />
périphériques figées sur leur modèle commercial de la décennie précédente. En 1981, François Mitterrand est<br />
élu sur un programme qui, concernant l’audiovisuel, affirme : « La télévision et la radio seront décentralisées<br />
et pluralistes. Les radios locales pourront librement s’implanter dans le cadre du service public. […] Sera<br />
créé un Conseil national de l’audiovisuel où les représentants de l’État seront minoritaires. »<br />
De fait, on dénombre dès 1981, 350 radios libres, politiques, confessionnelles, interactives, locales,<br />
thématiques… mais aussi des radios purement commerciales. Fin 1984, 1 240 radios associatives se<br />
répartissent sur 1 010 canaux. Mais les grands vainqueurs sont les radios commerciales (NRJ, RFM, FUN)<br />
qui s’appuient sur l’ouverture des ondes pour imposer leur mode de programmation comme une forme de<br />
liberté.<br />
L’hégémonie de la télévision entraîne une inflexion dans les temps forts de l’écoute : les soirées étant<br />
consacrées au petit écran les radios misent dorénavant sur les tranches horaires du matin (7-9 heures).<br />
Devenue, à l’inverse de la télévision, un média d’écoute individuelle, la radio apparaît complémentaire et<br />
non plus concurrente du petit écran. Les personnes qui écoutent beaucoup la radio sont, en effet, le plus<br />
souvent aussi des téléspectateurs assidus, alors que les faibles téléspectateurs sont souvent de faibles<br />
auditeurs. En 1997, près de 70 % des Français écoutaient la radio tous les jours, tandis que 12 % seulement<br />
ne l’écoutaient jamais.<br />
La durée moyenne d’écoute est aujourd’hui de près de trois heures par jour. La majorité des auditeurs ont<br />
une écoute polyvalente mais on constate l’existence de deux autres usages de la radio : un usage qui<br />
privilégie l’information (c’est le cas des personnes les plus diplômées, souvent des hommes, cadres<br />
supérieurs, habitant dans des zones urbaines) et un usage centré sur l’écoute musicale (c’est le cas des<br />
jeunes, notamment de la tranche d’âge située entre 15 ans et 19 ans).<br />
D’une manière générale, l’audience radiophonique compte davantage d’hommes que de femmes (mais<br />
celles-ci l’écoutent plus longtemps) et davantage de jeunes que de personnes âgées. La plupart du temps,<br />
l’écoute de la radio se superpose à une autre activité : travail professionnel, travail ménager, repas, toilette,<br />
conduite en voiture, etc. Il s’agit donc d’une pratique étroitement liée aux autres activités quotidiennes.<br />
Une étude réalisée en 1999 dans 20 pays d’Europe et aux États-Unis, confirme que les Français ne se<br />
distinguent guère dans ce domaine des pratiques en vigueur ailleurs. C’est le format généraliste qui est le<br />
plus écouté, devant les formats musicaux ou thématiques. La radio apparaît comme le média des actifs et des<br />
jeunes de 15 à 24 ans. On observe de grandes similitudes de comportement au plan européen.<br />
La France est l’un des pays où les dépenses publicitaires en radio sont les plus importantes. Le dynamisme<br />
et l’inventivité des radios françaises ont permis leur développement au niveau européen ; par exemple NRJ<br />
Group comme le Groupe Lagardère ont créé des radios dans toute l’Europe.<br />
Une des évolutions récentes les plus marquantes tient à la mobilité des auditeurs : l’écoute « hors domicile »,<br />
en voiture, au travail ou ailleurs, n’a cessé de se renforcer pour représenter près de la moitié de l’écoute<br />
totale de la radio. Le domicile demeure cependant le lieu d’écoute privilégié des stations généralistes. La<br />
voiture est celui des stations musicales. Plus des 3/4 des auditeurs de la radio effectuent au moins un<br />
déplacement chaque jour. Plus de la moitié d’entre eux écoutent la radio dans ce contexte de mobilité.
20 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Chaque station a un profil d’audience particulier en FM. On parle souvent de « format » d’une radio (le<br />
format « oldies » de Nostalgie avec une cible 35-49 ans). L’audience d’une station, avec ses rendez-vous<br />
réguliers, ne varie pas et assure un nombre d’auditeurs stables pour les annonceurs malgré la traditionnelle<br />
baisse du week-end liée à l’inactivité… des actifs.<br />
Pour les annonceurs locaux, on peut toucher une région ou une ville grâce aux différentes radios locales et<br />
les coûts sont très abordables.<br />
Il existe, généralement, deux manières de présenter les différentes radios ; la première correspondant aux<br />
grandes familles de radio, constitue une classification essentiellement commerciale, la seconde, plus<br />
institutionnelle, provient du Conseil supérieur de l’audiovisuel.<br />
Après de nombreux bouleversements, il existe aujourd’hui quatre ensembles de radios :<br />
— Les généralistes sont les plus anciennes : RTL, RMC, Europe 1, France Inter, Sud Radio ;<br />
— Les musicales ont été créées dans les années quatre-vingt suite à la suppression du monopole : NRJ,<br />
Chérie FM, Skyrock, Nostalgie, RFM, RTL 2 ;<br />
— Les thématiques, hors musique, sont des radios du groupe Radio France (radios du service public)<br />
comme France Info, France Culture, France Bleue, etc. ou des radios privées comme BFM, RMC Info ou<br />
Radio Classique ;<br />
— Les locales, elles ne couvrent qu’un territoire (zone de diffusion réduite, par exemple une ville, un<br />
département) et sont, soit des radios décentralisées du groupe Radio France (par exemple Radio<br />
Mayenne), soit des radios privées indépendantes (TSF Jazz, Montagne FM).<br />
En 1989, le CSA a défini cinq catégories de radios dans l’organisation du paysage radiophonique français.<br />
Catégorie A – les radios non commerciales, au nombre de 896 (2005).<br />
Relèvent de cette catégorie, les radios éligibles au Fond de soutien à l’expression radiophonique dont les<br />
ressources commerciales provenant de messages diffusés à l’antenne et présentant le caractère de publicité<br />
de marque ou de parrainage sont inférieures à 20 pour cent de leur chiffre d’affaires. Ces radios non<br />
commerciales ont pour vocation d’être des radios de proximité, des radios communautaires, culturelles ou<br />
scolaires. Leur programme d’intérêt local, hors publicité, doit représenter une durée quotidienne d’au moins<br />
quatre heures, diffusé entre 6 h et 22 h.<br />
Catégorie B – les radios commerciales locales ou régionales indépendantes et ne diffusant pas de<br />
programme national identifié, au nombre de 162.<br />
Elles se caractérisent par une zone de desserte ne couvrant pas une population de plus de six millions<br />
d’habitants et par la présence dans leurs émissions d’un programme d’intérêt local d’une durée quotidienne,<br />
hors publicité, d’au moins quatre heures, diffusé entre 6 heures et 22 heures.<br />
Catégorie C – les radios commerciales locales ou régionales affiliées à un réseau à vocation nationale, au<br />
nombre de 228.<br />
Elles se caractérisent par une zone de desserte ne couvrant pas une population de plus de six millions<br />
d’habitants et par la diffusion quotidienne d’un programme d’intérêt local et, en complément de ces<br />
émissions, d’un programme fourni par un réseau thématique à vocation nationale.<br />
Catégorie D – les radios commerciales thématiques à vocation nationale, au nombre de 15.<br />
Cette catégorie comprend tous les services dont la vocation est la diffusion d’un programme thématique sur<br />
le territoire national sans décrochages locaux.<br />
Catégorie E – les radios commerciales généralistes à vocation nationale, au nombre de 3.<br />
Elles offrent des programmes d’une grande diversité de genres et de contenus, faisant une large part à<br />
l’information et peuvent effectuer des décrochages, dans la limite d’une heure quotidienne d’informations<br />
locales.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 02 21<br />
II. LE CINÉMA<br />
« Je ne peux pas lire toutes les écritures, je peux regarder, mal ou bien toutes les images, sans<br />
traducteur ou dictionnaire. » (Régis DEBRAY)<br />
Si, dans les années 1950, il y avait plus de 400 millions d’entrées par an, aujourd’hui les chiffres annuels, en<br />
progression depuis le creux du début des années quatre-vingt-dix (120 millions d’entrées), avoisinent les<br />
200 millions d’entrées.<br />
Une particularité française réside dans le mode de financement du cinéma. Le législateur, depuis un certain<br />
nombre d’années, a souhaité protéger et maintenir, le cinéma français. Il a facilité le financement des films<br />
par divers procédés : avances sur recettes, participation des chaînes de télévision (Canal+ pour 200 millions<br />
d’euros, 120 millions pour France Télévision, TF1 et M6 en 2008), aide de l’État sous forme de crédits<br />
d’impôt (si tournage en français sur le territoire).<br />
Il existe aussi une réglementation très protectrice des salles de cinéma : interdiction de passer un film<br />
certains soirs (mercredi et samedi) à la télévision, interdiction de la publicité à la télé pour un film, et les<br />
professionnels appuyés par les pouvoirs publics ont créé des animations de type Fête du cinéma, le<br />
Printemps du cinéma.<br />
Aujourd’hui, le cinéma est le plus modeste des médias, tant du point de vue des investissements<br />
publicitaires (0,70 % en 2008 selon Irep), que du nombre de ses annonceurs (une cinquantaine).<br />
Selon l’enquête 75 000+ de Médiamétrie, le spectateur « moyen » est plutôt jeune (15-24 ans), urbain<br />
(agglomération parisienne et autres supérieures à 100 000 habitants) avec une CSP + (et surtout inactifs de<br />
type étudiants). Depuis quelques années, les plus de 50 ans sont aussi des spectateurs assidus.<br />
C’est le média convivial par excellence car le spectateur y va rarement seul, mais généralement en couple ou<br />
en groupe.<br />
III. LA TÉLÉVISION<br />
A. HISTORIQUE<br />
En février 1949, un décret confirme le monopole d’État sur l’audiovisuel et crée la Radiodiffusiontélévision<br />
française (RTF), officialisant l’émergence d’un nouveau média : la télévision. Loin de connaître<br />
l’engouement rapide qui avait accueilli l’arrivée de la radio, et en grande partie pour des raisons de coûts et<br />
de standards, la télévision traverse des débuts très laborieux ; 10 ans après la création de la RTF, en 1959,<br />
seul un foyer sur cent possède un téléviseur. Cette rareté de l’équipement ne doit pas faire oublier qu’à<br />
l’époque la télévision est un média dont la réception est le plus souvent collective (regroupements familiaux<br />
ou de voisinage) et dont l’influence va grandissante. Le gouvernement ne s’y trompe pas puisque, dès 1956,<br />
le président du conseil, Guy Mollet 1, intervient lors d’émissions très scénarisées où questions et réponses ont<br />
été préparées soigneusement.<br />
De Gaulle, revenu au pouvoir en 1958, amplifiera cette logique en considérant que les médias du monopole<br />
ont une mission de service public à remplir, qui se confond avec le service de l’État, ils doivent être « la<br />
voix de la France »…c’est-à-dire du gouvernement. Le ministre de l’information traite donc les directeurs<br />
de chaînes et les journalistes comme des subordonnés 2. D’où cette scène célèbre du 20 avril 1963 lors de<br />
laquelle le présentateur du journal télévisé, Léon Zitrone annonce : « Nous avons demandé au ministre de<br />
l’Information Alain Peyrefitte de venir inaugurer cette nouvelle formule dont il a pris lui-même l’initiative. »<br />
1 Guy MOLLET (1905-1975), il fut secrétaire général de la SFIO (parti socialiste) de 1946 à 1969.<br />
2 « Un journaliste doit être un journaliste français avant d’être un journaliste objectif. » André-Marie GÉRARD, Directeur de<br />
l’information de la RTF en 1961 (au moment de la guerre d’Algérie)
22 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
En une dizaine d’années, la télévision va devenir le média majeur : en 1968, plus de 67 % des familles<br />
d’ouvriers ont un téléviseur, contre 74 % des cadres supérieurs et professions libérales. Si les écarts existent<br />
encore, notamment au niveau de la qualité technique des équipements (accès ou non à la deuxième chaîne,<br />
couleur), la télévision est en phase avec le discours idéologique du moment, celui d’une société en cours<br />
d’homogénéisation par le partage de la croissance et de la consommation.<br />
La télévision paiera, en 1968, le prix de sa soumission aux stratégies gouvernementales : devenue le symbole<br />
de l’aliénation des masses et du mensonge d’état, elle verra le journal télévisé concentrer sur lui toutes les<br />
critiques.<br />
BnF, Département des Estampes et de la photographie, ENT QB-(1968) /W3890<br />
http://lettres.histoire.free.fr/lhg/docs_histoire/affiches_pol50_95.htm<br />
Une fois l’orage passé, le gouvernement en tire les conclusions et… supprime tous les magazines<br />
d’information de l’ORTF. Il n’en reste pas moins que la crise de 1968 a posé le problème de<br />
l’indépendance des médias par rapport au pouvoir et que le débat sur le sujet est loin d’être clos.<br />
La véritable rupture doctrinale concernant la télévision arrivera avec l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à<br />
la présidence de la République, en 1974. Ainsi son prédécesseur, Georges Pompidou affirmait-il que « le<br />
journaliste de télévision n’est pas tout à fait un journaliste comme les autres. Il a des responsabilités. Qu’on<br />
le veuille ou non, la télévision est considérée comme la voix de la France […] et cela impose une certaine<br />
réserve. » À l’inverse, VGE déclare « Les organismes de radio et de télévision ne sont pas la voix de la<br />
France. Les journalistes de télévision sont des journalistes comme les autres. » Le changement d’inflexion<br />
est d’importance… ce qui ne signifie pas pour autant que le pouvoir se désintéresse de la gouvernance des<br />
sociétés de télévision nouvellement créées.<br />
Se met en place une sorte de monopole pluriel avec l’éclatement de l’ORTF en 7 sociétés autonomes mais<br />
publiques : quatre sociétés de programme (TF1, A2, FR3, Radio-France), 2 sociétés de prestations de service<br />
(TDF pour la gestion des émetteurs et des satellites, INA pour la recherche et la conservation documentaire),<br />
1 société de production (SFP) qui fabrique les émissions et gère les moyens de production.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 02 23<br />
Malgré l’autonomie officielle des chaînes, l’information reste sous contrôle grâce à la nomination à leur<br />
tête de responsables politiquement orientés : en janvier 1976, par exemple, la majorité s’exprime 52 fois au<br />
JT de TF1, contre 16 pour l’opposition (sur A2 le rapport est de 27 à 13). Pourtant, cette conception<br />
centralisatrice et étatique de la télévision n’allait pas pouvoir se maintenir longtemps.<br />
La transformation du modèle classique de la télévision commence aux États-Unis après 1975. On assiste, en<br />
effet à ce moment, à la montée en puissance des réseaux de distribution d’images vidéo et à la création de<br />
chaînes distribuées par satellite. Ces dernières permettent l’émergence de nouveaux acteurs dans le paysage<br />
audiovisuel américain. Ces évolutions coïncident avec une nouvelle offre technique : la mise en place de<br />
réseaux de distribution de programmes par câble coaxial et la multiplication des satellites domestiques<br />
capables d’acheminer des contenus au-dessus du territoire américain. Le ressort des transformations,<br />
cependant, ne se trouve que très partiellement dans les changements techniques. Ce sont essentiellement des<br />
décisions réglementaires qui permettent que se développent les nouvelles formes de télévision. Celles-ci<br />
sont conçues aux États-Unis comme une façon d’élargir l’espace industriel et commercial des médias, et, en<br />
Europe comme une manière de réagir à la pression des intérêts américains marquée par une profonde<br />
méfiance envers la « culture Coca-Cola ».<br />
La recomposition du paysage de la télévision en Europe se fait en deux temps. Dans une première étape,<br />
entre 1975 et 1990, la mise en place des réseaux câblés et les premiers satellites de diffusion de programmes<br />
télévisés permettent d’introduire de nouveaux acteurs d’une façon encore très contrôlée par les États. La<br />
dernière décennie du siècle, en revanche est marquée par l’irruption des bouquets numériques, la<br />
multiplication des chaînes et la concentration du pouvoir économique entre les mains de quelques très grands<br />
groupes, constituant un véritable oligopole1. La France n’échappe pas à ce mouvement d’ensemble. Avec l’élection de François Mitterrand, la télévision<br />
connaît la même évolution que la radio (naissance de Canal+, Canal J, des chaînes locales câblées… le<br />
monopole est mort). Dès lors s’ouvre la voie de la privatisation de l’audiovisuel qui deviendra réalité avec le<br />
retour au pouvoir de la droite (cohabitation) et la vente de TF1 au groupe Bouygues (BTP).<br />
TF1, par sa stratégie de programmation, deviendra non seulement la référence en matière de chaînes privées,<br />
mais infléchira considérablement les orientations de l’audiovisuel public, comme cela avait été le cas, pour<br />
les radios, avec l’émergence d’Europe 1 ou RTL. Symbole de ce nouveau modèle : le temps de publicité qui,<br />
de 1986 à 1993, triple (de 206 à 690 h par an, de 4 % à 8 % du temps d’antenne). La dépendance aux<br />
ressources publicitaires implique celle à l’audimat, puisque le retour sur investissement pour l’annonceur<br />
dépend, minimalement, du nombre de spectateurs ayant été mis en contact avec sa publicité.<br />
Pour drainer un public nombreux, la programmation doit aller au plus facile, ainsi la part des variétés dans le<br />
temps de diffusion, toutes chaînes confondues, est passée de 5,6 % à 18,2 % et celles des séries de 1,2 % à<br />
7,9 % en l’espace de 10 ans (1983-1993). On assiste à un mouvement de fond qui met les chaînes publiques<br />
en situation de copier le modèle TF1 ; en 1989, la publicité représente près de 60 % des recettes d’A2. À tel<br />
point que la faible consommation de télévision (moins de 10 h hebdomadaires) devient un signe d’élitisme<br />
renvoyant à un groupe socialement très typé, parisien, cadre supérieur, diplômé, plutôt jeune et adepte de<br />
loisirs plus culturels.<br />
On assiste ainsi à la naissance de ce qu’Umberto Eco 2, appelle la « néo-télévision ». Celle-ci se caractérise<br />
d’abord par le passage d’un modèle fortement organisé et précis à un modèle beaucoup plus fluide, parfois<br />
chaotique. La télévision classique se définissait autour de trois grandes fonctions – distraire, former,<br />
éduquer – qui déterminaient les divisions de la grille des programmes. Il y avait le moment du spectacle,<br />
celui de l’information, et enfin celui de l’apprentissage. Le nouveau modèle propose au contraire un flux<br />
communicatif indifférencié. Au sein de la même émission, on trouve des moments consacrés aux variétés, à<br />
l’information médico-scientifique ou culturelle, au jeu téléphonique, à l’enquête, aux pièces de théâtre du<br />
répertoire… Le consommateur, grâce à la télécommande, peut faire surgir à tout moment les éléments de son<br />
choix à partir de ces « émissions-conteneurs ».<br />
1 Forme de marché où un très petit nombre de grandes entreprises ont le monopole de l'offre.<br />
2 Linguiste et écrivain italien
24 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Aujourd’hui, l’audience varie selon l’heure (tableau ci-après), mais aussi selon les jours de la semaine (plus<br />
le samedi et maximum le dimanche soir), le mois (plus de novembre à février et moins en juillet et août) et<br />
bien sûr selon les émissions. Certaines émissions sont montées pour toucher un public précis pour vendre de<br />
la publicité.<br />
6 h - 19 h 29 Day Time Dominante ménagère, personnes âgées et enfants le mercredi matin<br />
19 h 30 - 22 h 29 Prime Time Grand public, monsieur tout le monde<br />
22 h 30 - 5 h 59 Night Time PCS plus<br />
Les habitudes des Français sont en train de changer. L’avancement des programmes avec la suppression de<br />
la publicité sur les chaînes publiques n’a pas eu les effets escomptés. Le créneau de 20 h 50 a déjà perdu,<br />
depuis quelque temps, son caractère incontournable, par l’éclatement des audiences et la création de certains<br />
« contre programmes » aux traditionnels journaux télévisés.<br />
B. LES CHAÎNES DU SERVICE PUBLIC<br />
Les chaînes du service public sont essentiellement constituées par le groupe France Télévision. Celui-ci est<br />
financé par une redevance annuelle payée par tous les téléspectateurs (122 euros en 2010), par une taxe sur<br />
les télévisions et les télécommunications et par la publicité. Ce dernier mode de financement doit disparaître<br />
totalement des écrans en principe, en 2011. Il restera la possibilité de faire du parrainage d’émissions.<br />
Les chaînes sont : France 2, France 3, France 4, France 5 et France O (Outremer). Chacune a un<br />
positionnement précis comme France 3 « la chaîne de la proximité », France 4 « la chaîne des spectacles et<br />
des événements » en direction des 25-49 ans ou France 5 « la chaîne de la connaissance et du savoir ». Le<br />
groupe a des participations dans des chaînes thématiques du groupe Canal+ (Planète Thalassa par exemple)<br />
ou du groupe Lagardère (Mezzo ou Gulli).<br />
En tant que chaînes du service public, leur cahier des charges leur impose des obligations particulières :<br />
campagne électorale, émission religieuse ou messages du président de la République ou des partis politiques<br />
et syndicats.<br />
Mais il existe d’autres chaînes publiques : Arte, chaîne de la culture et de la curiosité, est une association de<br />
télévisions européennes avec une direction franco-allemande. TV5 Monde est une chaîne généraliste qui<br />
propose de faire connaître et partager la diversité des <strong>cultures</strong> et des points de vue. Diffusée en neuf langues,<br />
elle s’appuie sur un réseau de chaînes francophones partenaires. Lancée en décembre 2006, France 24 est la<br />
chaîne d’information internationale 24 h/24. Elle se donne pour mission de couvrir l’actualité avec un<br />
regard français et de véhiculer partout dans le monde les valeurs et les perspectives françaises.<br />
C. LES CHAÎNES PRIVÉES « HISTORIQUES »<br />
Noms Actionnaire de référence Caractéristiques<br />
TF1<br />
M6<br />
Canal+<br />
Groupe<br />
Bouygues<br />
Compagnie Luxembourgeoise<br />
de Télévision<br />
Groupe<br />
Canal+<br />
Privatisée en 1987, chaîne leader avec une audience en baisse. Télévision<br />
populaire et gratuite (financée par la pub). Diversification dans les<br />
chaînes thématiques : Eurosport, LCI, TF6 avec M6, etc.<br />
Créée en 1987, Métropole 6 est en bagarre sur le marché publicitaire<br />
avec TF1. Gratuite, télévision tout public. Diversification dans les<br />
thématiques avec W9, Téva, Série Club, TF6 avec TF1, etc.<br />
Créée en 1984, chaîne cryptée payante. Chaîne du sport et du cinéma.<br />
Bénéficie d’un statut particulier d’où financement du cinéma. Présente<br />
avec les thématiques : Ciné Star, Planète, i-Télé, etc.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 02 25<br />
D. ET LES AUTRES<br />
Noms Actionnaire de référence Caractéristiques<br />
Direct8 Groupe Bolloré Chaîne généraliste<br />
W9 Groupe M6 Chaîne musicale et jeunes adultes<br />
TMC Groupe Bouygues Chaîne généraliste et grand public<br />
NT1 Groupe Bouygues Chaîne de télévision généraliste<br />
NRJ 12 NRJ Group Chaîne mini-généraliste pour les 11-35 ans<br />
LCP Assemblée nationale et Public Sénat<br />
La Chaîne parlementaire, partage du canal entre les<br />
2 chambres<br />
BFM TV Groupe NextRadio TV Chaîne d’informations<br />
i-Télé Groupe Canal+ Chaîne d’informations en continu<br />
Virgin 17 Lagardère Active Chaîne musicale<br />
Gulli France Télévisions et Lagardère Active Chaîne jeunesse pour les 6-14 ans<br />
IV. MULTIMÉDIA ET INTERNET<br />
On considère généralement que les Technologies de l’information et de la communication (TIC) entraînent<br />
quatre types de conséquences : la technicisation des relations, la marchandisation de la communication, la<br />
fragmentation des publics, la mondialisation des flux d’information.<br />
La technicisation des relations se traduit par la multiplication des machines à communiquer dans notre vie<br />
quotidienne. Leur diffusion implique que les relations entre les individus passent de plus en plus par<br />
l’intermédiaire de ces instruments (téléphone mobile, ordinateur) qu’il devient nécessaire de maîtriser. La<br />
réservation d’un billet de train, l’inscription dans une université, la consultation d’un compte bancaire se<br />
réalisent dorénavant à l’aide des TIC.<br />
La marchandisation de la communication, signifie que l’accès à information devient payant : les chaînes<br />
câblées et par satellite, l’utilisation des banques de données, le paiement au programme ou à la séance (« pay<br />
per view ») etc., en sont les manifestations les plus éclatantes. L’accès à l’espace public risque d’être réservé<br />
à ceux qui ont les moyens intellectuels et financiers d’utiliser ces services.<br />
La fragmentation des publics est le résultat de la production d’une offre visant la satisfaction de demandes<br />
particulières : les médias interactifs proposent des programmes à la carte, répondant à des attentes très<br />
ciblées. La confrontation des jugements au sein de l’espace public s’efface peu à peu derrière des goûts et<br />
des intérêts privés.<br />
La mondialisation des flux d’information suggère enfin que le débat public ne se cantonne plus à la<br />
communauté nationale mais débouche sur une véritable opinion publique mondiale.<br />
On doit, à propos du mot « multimédia », distinguer soigneusement au moins deux sens possibles de celuici.<br />
Le premier est économique et renvoie à la prise de contrôle par un groupe financier de multiples médias<br />
dont les lignes éditoriales et les identités vont entrer en synergie. Le second est technologique et signifie la<br />
possibilité pour un document d’inclure des apports de natures diverses (images, sons, vidéo, animation,<br />
texte). Internet constitue le lieu de rencontre entre ces deux problématiques ouvrant aux stratégies de type<br />
360° 1.<br />
La principale conséquence de l’émergence du multimédia est la remise en question des définitions<br />
traditionnelles tant des médias que des métiers associés puisque l’uniformisation numérique exclut de<br />
s’appuyer sur les supports matériels (impression, audiovisuel) comme des frontières « naturelles ».<br />
1 Mobilisation de tous les médias disponibles au service d’une seule et même campagne de communication.
26 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Si l’ère numérique a accéléré de façon foudroyante les stratégies multimédia, au sens économique du terme,<br />
il ne faut pas oublier que celles-ci préexistent à l’industrie numérique proprement dite. Ainsi, par exemple,<br />
en 1989, le groupe Hachette contrôle déjà les maillons essentiels de la chaîne médiatique avec l’édition<br />
(Hachette, Livre de Poche, Grasset), la presse écrite (4 quotidiens, 9 hebdomadaires), la télévision (la Cinq,<br />
Canal J), la radio (Europe 1), la production et le spectacle. Il appartiendra au début du deuxième millénaire<br />
de transformer ce qui relevait du domaine du choix stratégique en nécessité vitale pour les investisseurs.<br />
Pourtant, s’il est une mutation de la communication qui met en évidence l’antériorité de la découverte<br />
technique sur les usages qu’elle permet, c’est bien celle qui a vu la naissance du réseau des réseaux<br />
conjointement à la numérisation des données. Les deux dimensions de la révolution numérique et systémique<br />
doivent être comprises ensemble car c’est de leur interaction que naissent les formidables potentialités, mais<br />
aussi les problèmes et confusions de l’ère communicationnelle.<br />
On assiste à la fois à la diversification des types de message inscriptibles sur un support unique et à<br />
l’uniformisation de l’encodage (numérisation), à la convergence des terminaux et à l’accroissement de la<br />
capacité de stockage et de traitement qu’ils permettent.<br />
Tandis que les terminaux se multiplient (télégraphe, téléphone, radio, télévision, ordinateurs…), le<br />
numérique permet d’envisager leur hybridation (Web TV, téléphones mobiles ou consoles de jeux avec<br />
certaines fonctionnalités d’Internet…), voire leur fusion (PC-TV).<br />
La tendance est double : on assiste à la fois à une augmentation spectaculaire de la diffusion des médias et à<br />
un allégement des moyens de réception correspondants (réduction des formats des imprimés, miniaturisation<br />
et portabilité des appareils électroniques, des téléphones et des ordinateurs), en attendant la personnalisation<br />
de la satisfaction des besoins facilitée par l’interactivité.<br />
Les équipements correspondants incorporent des composants dont certains connaissent un essor continu et<br />
impressionnant. Ainsi en va-t-il des semi-conducteurs : selon la fameuse loi de Moore, le nombre de<br />
transistors intégrés dans une puce double environ tous les 18 mois… Ainsi, depuis son invention en 1971, le<br />
microprocesseur connaît une croissance exponentielle. Depuis son invention en 1956, le disque dur des<br />
ordinateurs a sans cesse vu ses capacités de stockage augmenter, tandis que baissaient ses dimensions et son<br />
prix.<br />
S’agissant d’Internet, tout a commencé à la fin des années 60, quand les autorités militaires américaines, en<br />
pleine guerre froide, mesurèrent combien leur système de communication était vulnérable. En collaboration<br />
avec diverses universités, le département de la Défense étudie alors la conception d’un système qui, dans le<br />
cas d’une attaque, garantirait la circulation des informations.<br />
En 1974, un réseau d’universités de Californie à Los Angeles (UCLA) se crée et publie un protocole (une<br />
méthode standard) appelé « IP » pour Internet Protocol, contenant des informations sur l’origine et la<br />
destination des messages, d’où la naissance du mot Internet (INTERcommunication NETwork).<br />
En mars 1989, un informaticien britannique du Centre européen de recherche nucléaire de Genève imagine le<br />
principe d’un système d’informations décentralisé, le Web, pour permettre aux milliers de scientifiques du<br />
monde entier collaborant aux travaux de l’organisation de rester en contact et de partager à distance les<br />
résultats de leurs travaux. Le progrès technique aidant, le système rencontre rapidement un franc succès et<br />
s’ouvre au trafic commercial au début des années quatre-vingt-dix.<br />
La publicité apparaît en 1994 aux USA (en 1996 en France) sous forme d’une bannière publicitaire<br />
professionnelle pour le compte de l’opérateur américain de téléphonie American Telephone & Telegraph.<br />
En 1998, deux étudiants de l’université américaine de Stanford créent le moteur de recherche Google. En<br />
2000, la société se lance dans la publicité en proposant de la publicité ciblée en fonction des mots-clés.<br />
Dans sa conception de départ, le Web 1.0, c’est la communication entre un site et des internautes. En<br />
2004, apparaît le terme « Web 2.0 » pour désigner la possibilité de communiquer et d’interagir à la fois avec<br />
le contenu des pages des sites, mais aussi entre internautes, d’où le Web 2.0, communautaire et interactif.<br />
L’usage ou non d’Internet révèle une « fracture numérique », celle-ci est technologique et économique<br />
(équipement en ordinateurs et connexion au Web des populations) et sociale (capacité d’utilisation de ces<br />
technologies révélant les inégalités sociales, géographiques, liées à l’âge…).
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 02 27<br />
Par exemple, en Chine, le nombre de téléphones pour 1 000 habitants est inférieur à 9 contre respectivement<br />
73 en Norvège et 0,18 au Niger, d’après une étude réalisée en 2003. Toutefois une comparaison des données<br />
chiffrées depuis moins de dix ans indique une tendance vers un taux d’équipement sans cesse grandissant<br />
dans des régions du monde jusqu’alors largement sous-équipées comme l’Asie. En 2002, plus des deux tiers<br />
des utilisateurs se répartissaient entre l’Amérique du Nord et l’Europe, pays qui ne représentent que 10 % de<br />
la population mondiale. Aujourd’hui, l’Asie rattrape son retard… mais pas l’Afrique.<br />
Avec le Minitel créé en 1982, la France a une certaine expérience d’un réseau. En 2008, et malgré la chute<br />
d’audience très importante, il y avait encore 19 millions de connexions annuelles pour près d’un million de<br />
terminaux sur celui-ci.<br />
En 2009, près de 2 Français sur 3 sont internautes, soit plus de 33 millions de 11 ans et plus (Médiamétrie).<br />
Les ménages ont très rapidement compensé le retard passé, grâce à la démocratisation du haut débit avec les<br />
offres triple pay (Internet+téléphonie+TV). Il y a aujourd’hui, plus de 3 millions d’internautes connectés par<br />
l’intermédiaire d’un téléphone mobile et ce chiffre est en constante progression avec la montée de la 3G<br />
(3 e génération des mobiles).<br />
Pour 84 % des particuliers internautes, Internet est le premier outil d’information de préachat en France.<br />
Selon la Fevad1, les ventes sur Internet ont dépassé les 20 milliards d’� en 2008, avec plus de 22 millions<br />
d’acheteurs. Ils sont aussi de vrais prescripteurs sous différentes formes : dépôt d’un commentaire,<br />
attribution d’une note, communication de l’adresse d’un proche ou transfert d’une vidéo.<br />
Contrairement à ce qui passe pour la télévision avec l’audimat, on observe pour l’instant une guerre<br />
commerciale entre différents instituts sur l’instrument qui va servir de référence sur ce média. Certains<br />
pratiquent une mesure « site centric », méthode consistant à mesurer la fréquentation d’un site en analysant<br />
son trafic, d’autres « user centric » en étudiant le comportement d’un panel d’internautes.<br />
Le Panel France de Médiamétrie//NetRatings s’appuie sur un échantillon de 25 000 individus, recrutés par<br />
téléphone et sur Internet. Cet échantillon est représentatif de la population des internautes âgés de 2 ans et<br />
plus, résidant en France et disposant d’un accès Internet à domicile et/ou sur le lieu de travail. En<br />
complément, on estime aussi l’audience pour les autres lieux de connexion (bibliothèques, cybercafés,…).<br />
Les informations d’audience et les habitudes d’utilisation d’Internet sont disponibles mensuellement sur plus<br />
de 8 000 sites, par cible (les femmes, les jeunes, les seniors, les cadres…) et par catégorie de sites<br />
(exemples : sites d’information généralistes, sites de e-commerce, sites de voyages…).<br />
Avec la montée de l’équipement, le profil de l’internaute tend à se rapprocher de celui du « Français<br />
moyen », mais il reste encore des différences importantes provenant du sous-équipement mais aussi des<br />
habitudes culturelles de certaines catégories. Les retraités sont seulement 26 % à surfer sur le web, les nondiplômés<br />
27 % et les ménages modestes 34 % alors que 91 % des revenus les plus élevés, 89 % des 12-17<br />
ans, 88 % des cadres et 86 % des étudiants naviguent sur la Toile. Contrairement à ce que l’on croit parfois,<br />
le niveau de participation à la vie culturelle des internautes des catégories jeunes et diplômées de la<br />
1 Fédération du e-commerce et de la vente à distance.
28 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
population est élevé : la probabilité d’avoir été au cours des douze derniers mois dans une salle de cinéma,<br />
un théâtre, un musée ou d’avoir lu un nombre important de livres croît régulièrement avec la fréquence des<br />
connexions. Internet ne se substitue pas mais se conjugue aux autres médias et sources culturelles.<br />
V. LE FUTUR DES MÉDIAS<br />
Récapitulons : il faut d’abord se placer à l’échelle des millénaires en ce qui concerne le passage de l’écrit à<br />
l’imprimerie, puis à celle des siècles en ce qui concerne la période séparant l’invention de l’imprimerie de<br />
celle du télégraphe. Il faut ensuite se placer dans l’ordre des décennies pour mesurer le temps qui sépare les<br />
grandes découvertes ultérieures : (40 ans environ entre le télégraphe et le téléphone, puis 20 ans, à peu près,<br />
pour passer aux liaisons sans fil et de la TSF à la radio, 15 ans de la radio à la télévision, et 10, de la<br />
télévision à l’ordinateur).<br />
L’accélération concerne non seulement l’enchaînement des inventions, mais aussi la vitesse de transmission<br />
des informations correspondantes, puisque l’on quitte l’ère de la communication en différé (de l’écrit, de<br />
l’image ou du son) pour entrer dans celle de l’instantané. L’informatique, enfin, et la généralisation du<br />
codage numérique binaire accélèrent ces tendances, jusque-là partielles et limitées aux regroupements et aux<br />
combinaisons des différents médias.<br />
En outre, comme le note Régis Debray, l’évolution technique modifie l’équilibre des forces entre anciens et<br />
nouveaux moyens de communication : « chaque medium nouveau court-circuite la classe des médiateurs<br />
issus du medium précédent. » (ainsi de la remise en cause du pouvoir des prêtres par l’imprimerie, de celui<br />
des écrivains et des intellectuels par l’audiovisuel… des journalistes par les blogueurs).<br />
Il est temps de se poser la question de ce qu’Internet a changé… et de ce qu’il changera encore.<br />
Il est devenu un cerveau collectif externalisé que nous partageons tous. Comment modifie-t-il le<br />
fonctionnement de notre propre cerveau ?<br />
Internet change la façon dont nous décidons.<br />
Pour le physicien Daniel Hillis, le réel impact de l’internet a été de changer la façon dont nous<br />
prenons des décisions. En permettant à des systèmes complexes d’interagir, de plus en plus, ce ne<br />
sont pas des êtres humains qui décident, mais un réseau d’humains et de machines<br />
enchevêtrées, en adaptation constante les uns aux autres.<br />
« Notre relation au réseau est similaire à notre relation à notre écosystème biologique. Nous en<br />
sommes co-dépendants, et pas entièrement maîtres. Nous avons délégué à nos machines nombre<br />
de nos choix et de ce fait nous avons créé un monde au-delà de notre propre compréhension. Ce<br />
siècle commence avec une note d’incertitude. Nous nous apprêtons à vivre une crise financière<br />
causée par la mauvaise conception informatique des risques de notre système bancaire, nous<br />
débattons du changement climatique autour de ce que les ordinateurs prédisent des données. Nous<br />
avons lié nos destinées à nos technologies. Si le thème des Lumières était l’indépendance, notre<br />
propre thème est l’interdépendance. Nous sommes maintenant tous reliés, les humains et les<br />
machines. Bienvenue à l’aube de l’intrication. »<br />
Il n’a pas changé ce que l’on sait, mais ce que l’on peut trouver.<br />
Pour Marissa Mayer de Google, « L’Internet a mis l’ingéniosité et la pensée critique à l’avantgarde<br />
et a relégué la mémorisation des faits à l’exercice mental ou au divertissement. Par<br />
l’abondance de l’information, Internet crée le sentiment que tout est connaissable ou trouvable, si<br />
vous pouvez construire la bonne recherche, trouver le bon outil ou vous connecter aux bonnes<br />
personnes. La question importante n’est peut-être pas de savoir comment l’Internet change la<br />
manière dont l’on pense, mais plutôt comment l’Internet apprend lui-même à penser. »<br />
On peut toutefois se demander ce que serait une pensée sans mémorisation permettant de<br />
structurer celle-ci. Les moteurs de recherche ont leur propre syntaxe, leurs propres règles<br />
logiques ; les accepter aveuglément n’est pas sans danger.<br />
Il modifie probablement jusqu’à nos cerveaux eux-mêmes.<br />
Pour la professeure de psychologie à l’université de Stanford, Lera Boroditsky, l’Internet<br />
augmente notre champ réceptif, comme l’ont fait jusqu’à présent tous les outils humains. De
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 02 29<br />
nombreuses recherches ont montré que l’homme s’adapte de manière spectaculaire à la façon dont<br />
il utilise le monde.<br />
Les chauffeurs de taxi londoniens ont ainsi un hippocampe plus développé que la moyenne à<br />
mesure qu’ils gagnent en connaissance pour manœuvrer dans les rues de Londres parce que<br />
l’hippocampe est une partie du cerveau très impliquée dans la navigation justement. Jouer à des<br />
jeux améliore l’attention spatiale des gens et la capacité à suivre des objets…<br />
Il pose la question de la hiérarchisation de l’information.<br />
Au milieu des années 1700, Samuel Johnson avait observé qu’il y avait deux sortes de<br />
connaissances : ce que vous savez et ce que vous savez où chercher. Désormais, l’important<br />
devient de savoir où obtenir ce que nous cherchons : c’est ce que les machines nous permettent.<br />
Les calculatrices électroniques n’étaient pas de simples substituts aux règles à calcul d’antan :<br />
elles ont rendu le calcul pratique et accessible à tous. L’Internet change notre manière de penser<br />
en donnant le pouvoir de chercher au plus banal des utilisateurs. Nous avons démocratisé la<br />
manière de trouver le savoir de la même manière que l’édition du XVIII e siècle a démocratisé<br />
l’accès aux connaissances.<br />
« L’Internet a changé notre façon de penser, mais s’il doit devenir un changement pour le mieux,<br />
nous devons ajouter un troisième type de connaissance à la liste de Johnson : la connaissance qui<br />
nous importe. » explique le prospectiviste Paul Saffo.<br />
L’attention est l’alphabétisme du XXI e siècle.<br />
La Cushing Academy, une école pour l’élite du Massachusetts a annoncé en septembre 2009,<br />
qu’elle remplaçait les livres de sa bibliothèque par des ordinateurs, devenant certainement la<br />
première bibliothèque sans livre, raconte Nicolas Carr qui s’apprête à publier un livre sur<br />
l’attention. Dans toutes les bibliothèques où je suis passé ces deux dernières années « chaque fois,<br />
j’ai vu plus de gens scruter les écrans d’ordinateur que feuilleter des pages de livres ». Or,<br />
l’hypothèse qui préside à ce renoncement suppose que les mots soient les mêmes qu’ils soient<br />
imprimés sur du papier ou formés de pixels ou d’encre électronique sur un écran. Pourtant,<br />
l’expérience de lecture est différente selon le milieu, rappelle Carr : « Un livre qui attire notre<br />
attention nous isole de la myriade de distractions qui remplissent notre vie quotidienne, alors<br />
qu’un ordinateur en réseau fait exactement le contraire. Il est conçu pour disperser notre<br />
attention. »<br />
« Ma façon de lire et mes habitudes de pensée ont radicalement changé depuis que j’ai ouvert une<br />
session sur le Net. Je fais maintenant l’essentiel de mes lectures et recherches en ligne. Alors que<br />
je suis devenu plus habile à naviguer sur le net, j’ai connu un déclin constant de ma capacité à<br />
maintenir mon attention » comme il l’expliqua dans Est-ce que Google nous rend idiot ?<br />
« Sachant que la profondeur de notre pensée est directement liée à l’intensité de notre attention,<br />
il est difficile de ne pas conclure que, à mesure que nous nous adaptons à l’environnement<br />
intellectuel du Net, notre pensée devient moins profonde. »<br />
Face au problème de l’attention, la réponse de l’auteur des Foules intelligentes, Howard<br />
Rheingold, est plus subtile. Pour lui, l’Internet transforme profondément notre capacité de<br />
concentration, mais il est aussi capable de nous rendre plus attentifs. Ce faisant, il creuse<br />
considérablement les différences.<br />
« Les médias numériques et les réseaux savent renforcer les gens qui ont appris à les utiliser – et<br />
présentent des dangers pour ceux qui ne savent pas s’en servir. »<br />
Il est facile de tomber dans la distraction, la désinformation, la superficialité, la crédulité, la<br />
dépendance, l’aliénation…<br />
L’expertise, moins dans la connaissance que dans le jugement.<br />
Pour David Dalrymple, chercheur, responsable du « Projet Machine à penser » à l’Institut de<br />
technologie du Massachusetts, l’Internet a trois conséquences primaires : l’information n’est plus<br />
stockée par les gens, mais est gérée par l’Internet ; l’attention est de plus en plus difficile à<br />
atteindre dans un monde où les distractions sont partout ; l’Internet nous permet de parler et<br />
d’écouter le monde sans effort. La connaissance était auparavant une propriété d’une<br />
personne et la concentration était imposée par le contexte. Désormais, c’est l’inverse et cette<br />
tendance va se poursuivre avec le développement des « interfaces du subconscient » comme les
30 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
appelle David Dalrymple. D’ici 50 ans, la communication directe depuis nos neurones va rendre la<br />
réalité virtuelle plus réelle que la perception sensorielle traditionnelle.<br />
« L’information et l’expérience pourraient être échangées entre notre cerveau et le réseau sans<br />
aucune action consciente. »<br />
Tant et si bien qu’un jour toutes les connaissances et expériences seront partagées universellement<br />
et que la notion d’individu ne sera qu’un moment d’une attention particulière de chacun…<br />
Le jugement de Brian Eno, le producteur, est assez proche.<br />
« Je note que l’idée de l’expert a changé. Un expert a longtemps été quelqu’un qui avait accès à<br />
certaines informations. Désormais, depuis que tant d’information est disponible à tous, l’expert est<br />
devenu quelqu’un doté d’un meilleur sens d’interprétation. Le jugement a remplacé l’accès. »<br />
« Comment l’Internet transforme-t-il la façon dont on pense ? » extrait d’article rédigé par<br />
Hubert GUILLAUD. Site InternetActu.net
U9K25-F1/1 31<br />
SÉQUENCE 03<br />
LES CULTURES DES CIBLES.......................................................................................................................... 32<br />
SÉANCE 1. LA CULTURE COMMUNE........................................................................................................ 32<br />
I. LES MÉDIAS CONTRE LA CULTURE ?............................................................................... 32<br />
II. CULTURE DE MASSE ET CONSOMMATIONS CULTURELLES ................................... 34<br />
III. LES CHRONOLOGIES CULTURELLES............................................................................... 38<br />
A. HISTOIRE DE BD ................................................................................................................................38<br />
B. HISTOIRE DE CINÉ ............................................................................................................................41<br />
C. HISTOIRE DE PEINTURE..................................................................................................................47<br />
D. HISTOIRE DE ROMANS ....................................................................................................................49<br />
IV. LE PETIT DICTIONNAIRE DES GRANDS MYTHES ........................................................ 55
32 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
LES CULTURES DES CIBLES<br />
SÉANCE 1. LA CULTURE COMMUNE<br />
I. LES MÉDIAS CONTRE LA CULTURE ?<br />
Avant le développement de l’éducation et des moyens de communication de masse, la production et la<br />
diffusion de « La Culture » (au singulier et majuscule) obéissaient à une logique simple et intangible.<br />
Seule une caste de privilégiés (noblesse, grande bourgeoisie) avait accès aux œuvres de l’esprit, fréquentait<br />
le milieu des artistes ou des créateurs, et goûtait, avec un fort sentiment de distinction, les plaisirs de la<br />
lecture, de la peinture ou de la musique. Être cultivé renvoyait sinon à une essence du moins à un statut<br />
social enviable et envié.<br />
Les changements politiques, les progrès techniques, les bouleversements économiques du XIX e et du<br />
XX e siècle ont radicalement transformé cette situation. Grâce à l’essor de la presse à grand tirage, à<br />
l’invention du cinéma, au succès de la radio et de la télévision, à la commercialisation du livre de poche, puis<br />
aujourd’hui à l’explosion du multimédia et d’Internet, le grand public, longtemps tenu à l’écart parce qu’il ne<br />
disposait ni du capital économique, ni du capital culturel nécessaires, peut désormais se tenir informé de<br />
l’actualité la plus récente, découvrir les grandes œuvres du patrimoine artistique, etc.<br />
Les bienfaits des médias en matière de démocratisation culturelle paraissent incontestables et ne sont plus à<br />
démontrer. Mais d’autres questions se font jour : cette production et cette diffusion à grande échelle des<br />
biens culturels n’engendrent-elles pas une certaine uniformisation de la culture et, paradoxalement, ne<br />
maintiennent-elles pas certaines inégalités ? La diffusion implique-t-elle un réel partage, un élargissement<br />
de la culture commune ? Cette culture ne devient-elle pas d’autant plus discriminante qu’on est en droit de<br />
l’exiger de tous ? Les médias ne visent-ils pas, pour des raisons économiques, le plus petit dénominateur<br />
commun ? Tant de moyens pour un Cauet…<br />
Traditionnellement, le terme de culture s’applique à la connaissance des œuvres produites par la littérature,<br />
l’art, la musique, le cinéma, etc. qui, comme le souligne Hannah Arendt, traversent les siècles, sont l’objet<br />
d’un culte désintéressé, ne répondent à aucune utilité fonctionnelle et ne donnent pas lieu à un<br />
processus de consommation. Les œuvres d’art « sont délibérément écartées des procès de consommation et<br />
d’utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie humaine. Cette mise à distance peut se<br />
réaliser par une infinité de voies. Et c’est seulement quand elle est accomplie que la culture, au sens<br />
spécifique du terme, vient à l’être1 ». On voit que cette définition semble difficilement compatible avec l’idée<br />
d’une culture commune pas plus qu’avec les exigences de rentabilité qu’implique tout processus<br />
économique.<br />
Le fait marquant de la culture du XX e siècle est en effet qu’elle est devenue une industrie obéissant, comme<br />
d’autres biens de consommation, aux lois du marché. Les premiers à avoir mis l’accent sur ce phénomène<br />
sont des philosophes allemands, d’inspiration marxiste, réunis sous l’égide de ce qu’on a appelé l’École de<br />
Francfort. Deux d’entre eux, Theodor Adorno et Max Horkheimer ont publié en 1947 un ouvrage La<br />
dialectique de la raison dans lequel ils abordent notamment la question de « la production industrielle des<br />
biens culturels » et forgent le terme « d’industrie culturelle ».<br />
1 La crise de la culture, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1972, p. 268.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 33<br />
En raison de la toute puissance, selon eux, de la rationalité technique, les produits culturels sont soumis à une<br />
production en série, standardisée, qui entraîne une uniformité de style et de contenu. L’industrie culturelle<br />
confère à tout un air de ressemblance (film, radio, magazine), se nourrit de stéréotypes puisque la culture est<br />
réduite au simple divertissement et à la consommation éphémère. Ainsi, par exemple, une symphonie de<br />
Beethoven est dénaturée quand elle sert de bande sonore dans un grand magasin, tout comme un roman de<br />
Tolstoï peut l’être dans un script de film. La recherche du profit et de l’efficacité maximale fait que l’art est<br />
devenu une marchandise puisque l’on ne s’intéresse à l’homme qu’en tant que client potentiel.<br />
On produit donc des « tubes » pour la chanson, des « best-sellers » pour les livres et des « stars » pour le<br />
cinéma en éliminant toute originalité et toute forme d’imagination. L’industrie culturelle est, en définitive,<br />
synonyme de manipulation des individus, de fabrication de copies conformes, de goût dominant empruntant<br />
son idéal à la publicité : les « mass-médias participent à l’instauration du règne de la camelote, du gadget, du<br />
clinquant. Theodor Adorno et Max Horkheimer en concluent que la société moderne entraîne « une<br />
dépravation de la culture », voire son inexorable déclin. Les médias ne seraient que la fosse commune de la<br />
Culture.<br />
Trois arguments, au moins, peuvent être opposés à cette thèse. Premièrement, leur analyse ne repose pas sur<br />
des enquêtes de terrain, des observations détaillées du véritable comportement des individus, des pratiques<br />
effectives des récepteurs des médias. Deuxièmement ils sous-estiment la capacité de création et<br />
d’imagination des individus vivant en société : l’imaginaire social dépend de multiples facteurs (groupes<br />
d’appartenance, valeurs communautaires, etc.) et ne se réduit pas à l’imposition d’une manière de penser.<br />
Troisièmement, on ne saurait assimiler la production des objets culturels à leur consommation : la<br />
standardisation de la production n’implique pas l’homogénéisation de la consommation. Toutes les<br />
études montrent que les pratiques singulières du consommateur sont infiniment plus diversifiées qu’on ne le<br />
croit et que celui-ci procède à une réappropriation strictement personnelle de ces objets ou de ces messages<br />
émis par les supports de communication. Peut-être pèchent-elles, à l’inverse, par excès d’optimisme… car la<br />
diversification des modes d’appropriation personnelle ne peut se faire qu’à partir de la réalité de l’offre.<br />
Deux modèles président de nos jours à la production industrialisée de la culture : d’une part le « modèle<br />
éditorial » ; d’autre part le « modèle de flot ».<br />
Le « modèle éditorial », en d’autres termes l’édition de marchandises culturelles telles que les livres, les<br />
disques, les DVD et les films en salles, se définit à partir de plusieurs critères. Il s’agit d’abord de produits<br />
vendus sur un marché qui oblige les producteurs à étaler les risques grâce à la confection d’un catalogue,<br />
d’un stock de produits. La valorisation de ces derniers est ensuite très aléatoire : un livre peut, par exemple,<br />
devenir un best-seller ou disparaître en quelques semaines de la devanture d’un libraire sans que l’on puisse<br />
prévoir avec certitude son succès ou son échec. Il en va de même pour un disque ou un film de cinéma dont<br />
la durée d’exploitation comme la rentabilité ne se décrètent pas.<br />
À l’opposé, le « modèle de flot », apparu avec le développement dans les années 1920 des stations de radio,<br />
se caractérise d’abord par une diffusion de masse, ensuite par l’obsolescence des produits (ils sont<br />
consommés au moment leur diffusion), ensuite par la continuité de la programmation (il est nécessaire de<br />
les renouveler en permanence et sans faille). Leur financement, contrairement au cas du « modèle éditorial »,<br />
peut être assuré tantôt par l’État (radio-télévision), tantôt par la publicité. Les journaux, la radio et la<br />
télévision appartiennent à ce modèle de la culture de flot.<br />
Les deux modèles tendent à se rapprocher en raison notamment, à la télévision, du principe de la<br />
multidiffusion de certains programmes sur les réseaux câblés et les bouquets numériques. Du coup, les<br />
produits destinés à être consommés sur le moment, sont réutilisés sur d’autres créneaux horaires ou sur<br />
d’autres supports : leur durée de vie s’en trouve donc modifiée. Le recours de plus en plus systématique aux<br />
techniques de marketing comme moyen de réduire le caractère aléatoire des produits culturels modifie aussi<br />
la donne : la culture se vend de plus en plus en fonction de critères de rentabilité, d’efficacité et de<br />
stratégies de promotion très élaborées.<br />
Ainsi les satellites, les technologies numériques ont bouleversé l’économie de la télévision. La logique<br />
marchande l’emporte désormais sur la logique de service public : la télévision à péage, les chaînes<br />
thématiques ont engendré une nouvelle offre d’images et Internet semble élargir la gamme des services<br />
proposés. Le format et le contenu de certaines émissions de jeux, de variétés, mais également de séries et de<br />
feuilletons sont souvent des adaptations de formules étrangères (surtout américaines) ou de simples
34 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
rediffusions. Globalement les recettes à succès sont identiques d’un pays à l’autre. L’achat par la télévision<br />
française de séries ou feuilletons est évidemment très rentable lorsqu’ils engendrent une forte audience, ce<br />
qui est souvent le cas.<br />
De ce point de vue, on ne peut que donner raison aux représentants de l’École de Francfort : l’offre de<br />
programmes s’uniformise progressivement à cause de la recherche maximale du profit et des « lois » de la<br />
concurrence.<br />
On retrouve la même logique économique à l’œuvre dans un autre secteur, celui de l’édition. La compétition<br />
dans ce domaine se résume, aujourd’hui en France, à la domination d’un duopole, Hachette Livre d’un côté,<br />
Editis de l’autre. Ces deux groupes produisent près de 60 % des livres de poche, 80 % des manuels scolaires,<br />
90 % des dictionnaires… La concentration est donc forte et l’édition de plus en plus aux mains d’industriels<br />
et de financiers.<br />
II. CULTURE DE MASSE ET CONSOMMATIONS CULTURELLES<br />
Longtemps, l’analyse de la culture de masse a été placée sous le signe de la dénonciation, voire de la<br />
diabolisation.<br />
Ainsi Herbert Marcuse1 pratiquant une critique en règle de la technologie censée asservir l’homme plutôt<br />
qu’elle ne le libère oppose la « culture supérieure » à la « culture de masse ». Tout en critiquant la première<br />
pour son caractère élitiste et socialement injuste, il lui reconnaît une « aura » particulière, une forme de<br />
transcendance, un côté subversif.<br />
Un roman tel que Madame Bovary ou un poème de Baudelaire favorisent en effet, selon lui, une<br />
transgression magique de la réalité quotidienne et recèlent de ce fait « une promesse de bonheur ». La<br />
culture de masse, en revanche, absorbe, affadit, voire élimine les effets subversifs de l’art et engage un<br />
processus de formatage des esprits. Il s’agirait donc d’une dynamique répressive en ce qu’elle remplace la<br />
satisfaction médiatisée par l’esthétique et la réflexion en une satisfaction immédiate, en une jouissance<br />
vulgaire. Ainsi Phèdre et Les Fleurs du Mal seraient les incarnations d’un « érotisme authentique » à<br />
l’inverse de Lolita de Nabokov ou d’Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams, reflets d’une<br />
sexualité sauvage et obscène.<br />
La culture de masse ne fonctionnerait ainsi qu’au principe de plaisir, empêchant toute distanciation parce<br />
qu’elle obéit à la rationalité technologique et commerciale. Le drugstore moderne qui installe au même rang<br />
un roman à l’eau de rose, un ouvrage de philosophie et un roman classique représente pour Marcuse<br />
l’exemple type de la confusion des genres et du nivellement des hiérarchies.<br />
Globalement, les analyses de la culture de masse formulées durant les années 60 en ont toujours une vision<br />
dépréciative. Elles reposent sur une sorte de syllogisme du mépris :<br />
— Nous sommes entrés dans la société de consommation et de production industrielle,<br />
— or les médias constituent une forme d’industrie culturelle,<br />
— donc, la culture diffusée par les médias vers le public est une culture industrielle indifférenciée et<br />
avilissante.<br />
Quelques années plus tard émergeront des approches plus nuancées qui, à partir de la même opposition,<br />
procéderont à une différenciation progressive de la « masse ».<br />
Ainsi, si l’on en croit Edgar Morin2, la « culture des cultivés » est celle de l’élite qui défend une acception<br />
valorisante, aristocratique, de la culture et s’adonne à des plaisirs d’initiés. À l’inverse, la « culture de<br />
masse » peut être décrite à partir d’une série d’oppositions : elle privilégie la quantité à la qualité, la<br />
production à la création, le matérialisme à la spiritualité, la marchandise à l’esthétique, la grossièreté à<br />
l’élégance. Cette culture de masse véhiculée notamment par les « mass médias » est une culture sans racines,<br />
1 Herbert MARCUSE, L’homme unidimensionnel, Paris, Le Seuil, coll. « Points » (1964)<br />
2 Edgar MORIN, L’Esprit du temps (1976, 1 re édition 1962)
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 35<br />
sans rites, sans folklore puisque la fête tend à disparaître au profit du spectacle. Elle diffuse d’ailleurs de<br />
nouveaux mythes au travers de la presse magazine qui tire parti de la vie privée des stars de cinéma, des têtes<br />
couronnées, des grands sportifs, etc.<br />
La culture de masse présente toutefois une particularité parce qu’une tension la traverse et la structure :<br />
d’une part la dépersonnalisation de la création, l’organisation rationnelle de la production, et d’autre part<br />
la dynamique de l’invention qui, au contraire, individualise la création, encourage l’originalité. Autrement<br />
dit, contrairement aux apparences, la culture de masse n’est pas homogène, mais fondamentalement<br />
ambivalente. L’explication d’Edgar Morin permet de nuancer, par exemple, les jugements simplistes sur le<br />
nivellement par le bas du cinéma contemporain : les films à grand succès sont assurément construits sur le<br />
même canevas et avec les mêmes ingrédients (de la violence, du sexe ou de grands sentiments), mais le style<br />
de réalisation ou la performance d’un acteur suffisent parfois à faire la différence.<br />
En fait, ce sont les chercheurs anglais regroupés sous l’appellation de l’École de Birmingham et des<br />
« Cultural Studies » qui ont les premiers ouvert la voie à une meilleure compréhension du comportement du<br />
lecteur ou du téléspectateur. L’un d’entre eux, le sociologue Richard Hoggart a analysé le mode de vie, et de<br />
loisirs de la classe ouvrière anglaise durant les années 1950 et en a tiré un ouvrage La culture du pauvre<br />
(l957) qui est devenu un classique de l’étude de la culture populaire.<br />
Contrairement à la lecture qu’en fera par exemple Marcuse, les effets de la presse à grande diffusion<br />
(tabloïds) sur les classes populaires lui paraissent multiples et ambigus. Ces magazines procurent d’abord<br />
une forme d’évasion, provoquent un effet onirique, une tendance à la démobilisation. L’irréalité du<br />
contenu induit, en fait, « des besoins vite satisfaits par procuration : c’est une littérature de gâteaux soufflés,<br />
une pâtisserie sans crème ». Ils ont tendance ensuite à favoriser la schématisation de l’information : la<br />
presse populaire est faite pour être lue au galop, elle supprime toutes les nuances sémantiques et syntaxiques<br />
et du coup, est profondément conservatrice puisqu’elle empêche les lecteurs de se poser des questions. On<br />
devrait donc en conclure qu’elle est puissamment conformiste et aliénante.<br />
Ce n’est pas si simple à court terme car les gens du peuple ne confondent pas le monde réel et le monde<br />
représenté, maintiennent une séparation très nette entre l’univers dans lequel ils vivent (le monde du foyer,<br />
la vie réelle), et l’univers extérieur (le monde du divertissement) : c’est une évasion sans conséquences, qui<br />
n’affecte guère leur mode de vie. Toutefois l’uniformisation des comportements n’est pas absente et elle<br />
s’inscrit très vraisemblablement dans la longue durée.<br />
L’analyse du récepteur en tant qu’individu relativement actif et rusé a été reprise par l’historien français<br />
Michel de Certeau1, lui aussi très sensible à la pluralité des pratiques culturelles. Constatant que les travaux<br />
« qui concluent de la presse ou des émissions télévisées à l’opinion du public sautent indûment la distance<br />
que celui-ci met entre lui et ses divertissements », et oublient que le récepteur est en retrait, dans une position<br />
tantôt d’intérêt, tantôt d’ennui ou d’amusement, il suggère d’abandonner, une fois pour toutes, l’idée de<br />
passivité.<br />
La résistance du récepteur à ce qu’on lui propose est plus forte que ce que croient certains philosophes ou<br />
sociologues. On suppose rappelle-t-il, « qu’assimiler » signifie nécessairement « devenir semblable à » ce<br />
qu’on absorbe, et non le « rendre semblable » à ce qu’on est, le faire sien, se l’approprier ou réapproprier.<br />
Les études conduites à propos de la réception, par exemple, de la série télévisée Dallas dans différents pays<br />
(États-Unis, Israël, Japon), montrent qu’il existe des « communautés interprétatives » selon les valeurs, les<br />
croyances et les normes propres à chaque pays ou à chaque communauté, les téléspectateurs ne retiennent<br />
pas la même chose et n’interprètent pas de la même manière la série télévisée bien qu’ils aient vu les mêmes<br />
épisodes. De manière similaire, l’observation du comportement de jeunes adolescents français à l’égard<br />
d’une série telle que Hélène et les garçons révèle que cette écoute est moins anecdotique qu’on pourrait le<br />
penser et que les préadolescents s’y investissent fortement parce qu’elle fonctionne comme l’apprentissage<br />
de la « grammaire amoureuse ». Là encore, le téléspectateur est sélectif et se réapproprie à sa manière le<br />
discours télévisuel.<br />
Le constat s’impose avec force : l’uniformisation éventuelle de la production culturelle n’implique pas<br />
l’homogénéisation des pratiques culturelles, du moins à court terme. Toutefois on a peut-être trop tendance<br />
1 Michel de CERTEAU, L’invention du quotidien, 2 tomes, Gallimard, 1930.
36 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
à survaloriser les pratiques braconnières des utilisateurs des médias parce qu’on manque cruellement à<br />
l’heure actuelle d’enquêtes sur la longue durée.<br />
Mais qu’en est-il des pratiques culturelles effectives dans la France contemporaine ?<br />
S’il fallait résumer d’une formule le changement majeur en ce domaine, on dirait que le centre de gravité<br />
des pratiques culturelles s’est déplacé vers le pôle audiovisuel. En effet, l’émergence d’une nouvelle offre<br />
de programmes grâce à la télévision par câble ou par satellite, la généralisation de la télécommande et du<br />
magnétoscope, l’utilisation de plus en plus importante de la micro-informatique, l’augmentation de l’écoute<br />
musicale, les transformations du rapport au livre et à la lecture ; tous ces phénomènes convergent vers la<br />
progression des pratiques audiovisuelles qui se sont diversifiées et ont conquis une part croissante dans la vie<br />
des Français, au point qu’elles occupent désormais une place supérieure à celle du travail dans l’emploi<br />
du temps des personnes actives.<br />
Un constat paradoxal s’impose :<br />
Les pratiques de consommation culturelle demeurent en France très liées au statut social et à l’héritage<br />
culturel des individus. La participation régulière et diversifiée à la vie culturelle dépend en effet beaucoup<br />
du niveau de diplôme, du montant des revenus ainsi que de l’offre culturelle existante (milieu urbain ou<br />
rural). Ce constat confirme les observations réalisées, il y a un quart de siècle, par Pierre Bourdieu1 sur<br />
l’importance du phénomène de distinction sociale et sur l’existence de fortes inégalités dans l’accès à l’art et<br />
à la culture.<br />
Mais depuis quelque temps, de nouveaux comportements semblent se mettre en place. On note en effet<br />
l’émergence progressive de pratiques culturelles inattendues qui mélangent les genres, qui combinent les<br />
goûts culturels socialement valorisés à des goûts dépréciés. Les conduites de consommation sont, à l’heure<br />
actuelle, beaucoup moins rigides qu’autrefois et les profils dissonants sont de plus en plus fréquents. Un<br />
ouvrier à la retraite peut aimer la musette et l’opéra de Verdi, écouter les disques de Georges Guétary et de<br />
Jacques Brel, lire Chateaubriand et Georges Simenon, se délecter de livres d’histoires vécues sur la guerre et<br />
de L’Assommoir de Zola, regarder à la télévision Questions pour un champion et les matchs de football,<br />
adorer l’émission Thalassa et les retransmissions de patinage artistique.<br />
Quel que soit le milieu social, la dissonance culturelle semble aujourd’hui prédominante, sans pour autant<br />
annuler la hiérarchie globale ni les inégalités d’accès et de consommation. De manière générale, le profil des<br />
publics s’intéressant à l’art et à la culture est plus diversifié qu’avant, au moins à la marge mais les tendances<br />
lourdes (caractère cumulatif des pratiques culturelles, inégalités sociales persistantes) n’ont pas été<br />
profondément modifiées.<br />
Le monde de l’audiovisuel a d’ores et déjà opéré une segmentation de la culture de masse et une<br />
individualisation des usages. Pratiques d’écoute flottante de la télévision, intensification du zapping,<br />
banalisation de la télécommande, constitution de vidéothèques personnelles ; autant d’indicateurs d’une<br />
autonomie plus grande du téléspectateur qui peuvent être interprétés comme des tentatives d’échapper à la<br />
culture de flot et de flux. Les goûts des téléspectateurs, en revanche, continuent à s’organiser selon une<br />
double opposition : d’un côté, ceux qui considèrent la télévision essentiellement comme un divertissement<br />
opposés à ceux qui se sentent surtout attirés par l’information et/ou par la culture ; de l’autre, ceux qui<br />
aiment l’innovation en matière de programmes, par opposition à ceux qui cultivent les vertus de la<br />
tradition. Les choix liés à l’antagonisme divertissement/information et/ou culture semblent dépendants de la<br />
durée d’écoute (ceux qui regardent la télévision plus de 30 heures par semaine sont plutôt du côté du<br />
divertissement), alors que les choix liés à l’antagonisme innovation/tradition paraissent dépendants de l’âge<br />
(au-delà de 45 ans, on est plutôt « traditionaliste »). Les clivages générationnels et sociaux perdurent donc<br />
malgré tout.<br />
S’agissant de la lecture, au-delà des traditionnels discours catastrophistes, on peut constater qu’en réalité, ce<br />
qui a changé, c’est le fait que le taux de forts lecteurs a baissé depuis le début des années 1970, que la<br />
proportion de faibles lecteurs augmente et que la lecture est dorénavant une activité banalisée à côté de<br />
nouvelles activités de loisirs (télévision, musique, voyages, sport, etc.).<br />
1 Pierre BOURDIEU, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit (1979)
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 37<br />
Le lectorat de la presse écrite s’est nettement transformé depuis le début des années 1970 en France. De<br />
manière générale, on assiste à une série de changements dans les rythmes et les modes de consultation des<br />
journaux : la lecture est plus occasionnelle, plus épisodique davantage restreinte à quelques grands centres<br />
d’intérêt. Le temps consacré à la lecture de la presse se situe autour d’une demi-heure par jour : il est<br />
nettement moins important que le temps consacré à la radio et la télévision.<br />
La presse quotidienne perd progressivement une large part de son lectorat régulier alors que la presse<br />
magazine se situe, au contraire, dans un contexte favorable et florissant. La diminution de la lecture régulière<br />
des journaux quotidiens est une tendance qui se confirme depuis près de 30 ans. En 1973, 55 % des Français<br />
(de 5 ans et plus) lisaient un quotidien tous les jours ou presque ; en 1989, ils étaient 43 %, et en 1997, ils<br />
n’étaient plus que 36 % : un bon tiers de français seulement étaient des lecteurs réguliers de quotidiens.<br />
L’érosion du lectorat en ce domaine concerne d’abord la presse nationale, sévèrement affectée, mais aussi<br />
de plus en plus la presse régionale.<br />
La presse quotidienne nationale traverse une crise très sérieuse due à la baisse des recettes publicitaires, à<br />
la diminution de la lecture des journaux chez les jeunes, à la concurrence des journaux gratuits qui ont<br />
séduit une frange de la population qui n’avait pas pour habitude de lire les quotidiens et enfin à l’essor<br />
d’Internet qui propose de nombreux sites d’information. L’audience des quotidiens nationaux a ainsi baissé<br />
de 12 % entre 1997 et 2003. On peut mettre ces chiffres en relation avec la diffusion des quotidiens dans le<br />
monde. En prenant comme indicateur le taux de pénétration des journaux, la France se situe au 28 e rang<br />
mondial, très loin derrière les pays nordiques, le Japon, le Royaume-Uni, l’Allemagne ou les États-Unis.<br />
Par contre, les Français comptent parmi les plus grands lecteurs de magazines au monde. Ainsi, 86 % de<br />
Français en 1989 ; 84 % d’entre eux en 1997, déclaraient pratiquer ce type d’activité. 60,2 % lisent chaque<br />
jour au moins un magazine. Les Français lisent en moyenne près de 7 magazines en LDP (lecture dernière<br />
période) : ce sont les magazines de télévision qui les séduisent le plus.<br />
En ce qui concerne les quotidiens, on peut affirmer que leur lecture est une activité davantage masculine que<br />
féminine, très prisée notamment par les agriculteurs et par les retraités. Le lectorat de la presse quotidienne<br />
nationale est en moyenne plus jeune que celui des régionaux, majoritairement masculin, se trouve plutôt<br />
dans les classes aisées avec un niveau d’études supérieures plus élevé que la moyenne nationale et réparti<br />
sur l’ensemble du territoire avec une prédominance de la région parisienne. Le lectorat de la presse<br />
quotidienne régionale, quant à lui, est sensiblement différent : la répartition hommes femmes est plus<br />
équilibrée tout comme celle entre zones rurales et zones urbaines. Il est également plus âgé que celui de la<br />
presse nationale.<br />
La lecture des magazines est tellement répandue qu’elle a un faible pouvoir de différenciation sociale.<br />
Son lectorat n’en est pas moins davantage féminin que celui de la presse quotidienne. Plus on est jeune,<br />
diplômé, de condition aisée et habitant de grandes zones urbaines, plus on a de chances de cumuler la lecture<br />
de plusieurs titres généralistes et spécialisés. On peut également relever que le lectorat des news magazines<br />
est relativement homogène (cadres et professions libérales, habitants des grandes villes, diplômés du<br />
supérieur, jeunes actifs dominent), que celui de la presse de télévision est très composite (toutes les<br />
catégories de la population y sont représentées) et que celui de la presse de loisirs est plutôt à dominante<br />
masculine.<br />
L’écoute de la télévision est devenue un peu partout dans le monde – et la France n’y fait pas exception –<br />
une activité de loisirs banalisée et souvent dominante. La multiplication de l’offre télévisuelle grâce au<br />
câble et au satellite, l’accroissement de la durée du temps libre, ont favorisé l’augmentation du temps passé<br />
devant le petit écran : ce dernier occupe désormais plus de la moitié du temps des Français consacré aux<br />
médias traditionnels (hors Internet), loin devant l’écoute de la radio et la lecture de la presse.<br />
L’audience de la télévision a d’ailleurs tendance à se développer au détriment des chaînes généralistes, de<br />
plus en plus concurrencées par les chaînes thématiques, et à devenir plus mobile (en raison de l’usage de plus<br />
en plus répandu de la télécommande, le téléspectateur zappe d’un programme à autre). Va et vient d’une<br />
chaîne à l’autre, départs nombreux après quelques minutes d’une émission qui n’a pas réussi à captiver,<br />
fidélité à éclipses aux différents épisodes d’une même série : tout indique le caractère volatil de<br />
l’audience.
38 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Le comportement des téléspectateurs français peut d’abord s’apprécier par l’étude de l’évolution de la durée<br />
d’écoute. Or, celle-ci augmente régulièrement : en 1997, la durée d’écoute par semaine et par individu était<br />
de 22 heures (soit un peu plus de 3 heures par jour), contre 20 heures en 1988 et 16 heures en 1973. Elle était<br />
passée en 2004 à 3 h 24 min par jour. Cet allongement de la durée d’écoute s’accompagne d’une<br />
accentuation du caractère quotidien de celle-ci : près de trois Français sur quatre regardent la télévision<br />
tous les jours. La France, à ce niveau, se situe dans une honnête moyenne, loin derrière les États-Unis, la<br />
Turquie, l’Italie, le Royaume-Uni ou l’Espagne.<br />
Le public de la télévision adopte des comportements différents en fonction d’un certain nombre de variables<br />
qui tiennent essentiellement à l’âge, au niveau d’instruction et au statut social. Il y a deux publics<br />
différents du point de vue de la consommation télévisuelle : d’une part ceux qui regardent beaucoup la<br />
télévision et d’autre part, ceux qui l’utilisent peu. La durée moyenne d’écoute s’avère en effet trompeuse :<br />
un tiers des Français assure à lui seul deux tiers du volume total d’écoute de la télévision, alors le tiers<br />
composé de petits utilisateurs n’en représente que 10 %. La télévision envahit, par conséquent, le temps<br />
disponible de certains, non pas de tous et creuse des inégalités culturelles notables.<br />
Les facteurs qui conduisent à une probabilité plus élevée d’écoute sont l’âge avancé, l’inactivité et la<br />
présence d’enfants au foyer. On s’aperçoit que les gens qui disposent d’un grand nombre de sources<br />
d’informations et de multiples accès au divertissement ou aux pratiques culturelles (cinéma, concert, théâtre,<br />
lecture, écoute de CD, DVD etc.) se passent plus volontiers de la télévision et l’utilisent moins. Pour ceux<br />
qui ne bénéficient pas des mêmes possibilités, des mêmes moyens économiques et culturels, la télévision<br />
représente en fait souvent l’unique forme de loisirs.<br />
Pourtant, contrairement aux idées reçues, les gros consommateurs de télévision manifestent, en ce qui<br />
concerne les attentes face au petit écran, une diversité de choix qu’on ne retrouve pas chez les faibles<br />
consommateurs. Les premiers regardent non pas uniquement des programmes de fiction ou de<br />
divertissement, mais également des émissions culturelles, des documentaires, etc. À inverse, les seconds, qui<br />
ont d’autres occupations, s’en servent davantage comme un délassement et ont tendance à moins sélectionner<br />
des programmes de connaissances et de culture. En d’autres termes, le public des émissions à petit public<br />
n’est pas un auditoire restreint, minoritaire, composé d’une élite intellectuelle, mais une fraction du grand<br />
public, gros consommateur de télévision. S’il existe bel et bien plusieurs publics en matière de<br />
consommation télévisuelle, il n’y a pas, en revanche, des publics différents et isolables, avec des demandes<br />
spécifiques, en matière d’attentes et de goûts : il n’y a qu’un seul public qui a des demandes différentes<br />
selon le temps et l’humeur du moment.<br />
III. LES CHRONOLOGIES CULTURELLES<br />
Par définition, la culture générale n’a pas de limite ni de domaine privilégié (nous reviendrons toutefois sur<br />
la notion de culture dominante) ; il s’agit bien plus d’un travail quotidien d’approfondissement et surtout<br />
d’interconnexion entre des domaines variés. Pourtant, un socle commun est indispensable pour ne pas être<br />
handicapé dans la compréhension de certains messages ou plus prosaïquement dans sa conversation<br />
professionnelle. Assurez-vous donc que ce qui suit évoque chez vous quelque écho et, si nécessaire ou si cela<br />
vous intéresse, creusez la question…<br />
A. HISTOIRE DE BD<br />
1908 : premières tribulations des Pieds Nickelés<br />
Croquignol, Filochard et Ribouldingue vivent leurs premières aventures dans le journal L’Épatant. Créés par<br />
Louis Forton, les Pieds Nickelés sont de petits escrocs quelque peu portés sur la boisson qui doivent faire<br />
avec la police pour finalement perdre leur magot. Cette malchance est la concession nécessaire aux lois de<br />
protection de la jeunesse, les trois arnaqueurs répondant plutôt mal aux canons moralistes de l’époque.<br />
Toutefois, ceux-ci prendront une dimension patriotique lors de la Première Guerre mondiale, où ils bernent<br />
l’ennemi sur ses lignes arrières.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 39<br />
1926 : publication de Winnie l’ourson en bande dessinée<br />
L’écrivain britannique Alan Alexander Milne publie pour la première fois les histoires de Winnie l’ourson,<br />
sous le nom original Winnie The Pooh. L’idée de raconter les aventures d’un ours et d’un petit garçon au<br />
milieu d’une forêt, est venue à Milne à la suite d’une visite au zoo avec son fils, Christopher Robin. Ils<br />
rencontrèrent une petite oursonne nommée Winnie. Winnie l’ourson fera sa première apparition au cinéma<br />
en 1966 sous les traits de Disney.<br />
1929 : premières aventures de Tintin<br />
L’illustrateur Georges Rémi alias Hergé, publie dans le supplément du quotidien bruxellois Le vingtième<br />
siècle, sa nouvelle bande dessinée : Tintin au pays des soviets.<br />
1934 : première parution du Journal de Mickey<br />
Le magazine hebdomadaire Le Journal de Mickey voit le jour avec pour principal héros… Mickey Mouse. Il<br />
est également accompagné par Donald Duck. Tout en s’enrichissant de nouveaux personnages, Le Journal de<br />
Mickey conservera par la suite les mêmes héros et restera adressé avant tout aux enfants.<br />
1938 : naissance du Journal de Spirou<br />
Le Journal de Spirou paraît pour la première fois, en même temps que le personnage du même nom créé par<br />
Rob-Vel. Spirou signifie « écureuil » en wallon, référence que l’on retrouve par la présence de Spip au côté<br />
du célèbre groom.<br />
1938 : naissance de Superman<br />
Les premières aventures de Superman apparaissent dans le magazine Action Comics. Tour à tour journaliste<br />
timide et extraterrestre aux pouvoirs surnaturels, le super-héros ne vole pas encore dans les airs, il peut juste<br />
effectuer des sauts d’environ un kilomètre et demi. Le succès de Superman deviendra mondial à partir de<br />
1978 grâce au film de Richard Donner, avec Christopher Reeves dans le rôle-titre.<br />
1939 : première parution de Marvel Comics<br />
C’est sous le nom de Timely Comics que naît l’éditeur américain Marvel Comics. Le succès de Superman<br />
l’année précédente a fait exploser le nombre d’éditeurs de bandes dessinées, jusqu’ici confidentiel. Mais<br />
Marvel est un des seuls à véritablement tirer son épingle du jeu. Son héros phare est alors Captain America.<br />
1945 : Pif illustre l’Humanité<br />
Créé par le réfugié espagnol José Cabrero Arnal, Pif fait sa première apparition dans l’Humanité, en noir et<br />
blanc, entouré de Tata, Tonton et Doudou mais pas encore d’Hercule. Rejoint deux ans plus tard par son ami<br />
au pansement, il trouvera sa couleur jaune en 1952 dans la revue spécialisée Vaillant avant d’avoir un<br />
magazine à son effigie, Pif Gadget.<br />
1949 : l’homme qui tire plus vite que son ombre…<br />
Deux ans après sa naissance, Lucky Luke vit sa première aventure sous forme d’un album dans La mine d’or<br />
de Dick Digger. Accompagné du redoutable Rantanplan, chien aussi paresseux que stupide, et monté sur<br />
Jolly Jumper, il croisera dans ses aventures les terribles légendes du Far West dans leurs versions<br />
caricaturales, et avec elles les fantoches du genre, les fameux Dalton.<br />
1950 : naissance de la bande dessinée Peanuts<br />
Les personnages de Charles Schultz paraissent pour la première fois dans sept quotidiens américains. On y<br />
retrouve d’abord Charlie Brown, Peppermint Patty et Shermy. Le chien Snoopy fera son apparition plus tard.<br />
Le succès sera tel que beaucoup de lecteurs appelleront dès lors la bande dessinée Snoopy et non plus The<br />
Peanuts.<br />
1957 : première parution de Gaston Lagaffe<br />
Le dessinateur belge André Franquin publie la première histoire de Gaston Lagaffe dans le Journal de<br />
Spirou. Il présente son personnage sous son meilleur jour : costume, nœud papillon et cheveux gominés.<br />
Quelques épisodes plus tard Gaston revêtira sa tenue légendaire : pull vert et jean élimé. Franquin dit de<br />
Gaston qu’il l’a créé « ... pour illustrer ma flemme ».
40 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
1958 : Johan et Pirlouit rencontrent les Schtroumpfs<br />
C’est lors de l’aventure « La flûte à six trous », rebaptisée par la suite « La flûte à six Schtroumpfs », que les<br />
Schtroumpfs croisent la route de Johan et Pirlouit. Petits êtres bleus vivant dans des champignons, ils sont<br />
sortis de l’imagination de Peyo. D’après la légende, le nom vient d’un titre attribué à une salière lors d’un<br />
repas entre amis. Ils deviendront bientôt un village entier vivant ses propres aventures.<br />
1959 : premier numéro de Pilote<br />
Goscinny, Charlier et Uderzo lancent le magazine Pilote. Le premier numéro de cet « irrégulomadaire »<br />
(c’est-à-dire à la fréquence de parution irrégulière) consacré à la bande dessinée est vendu à 300 000<br />
exemplaires. Pilote donnera naissance à des personnages de BD promis à une grande carrière : Tanguy<br />
Laverdure, Barbe-Rouge et Astérix le Gaulois ! De nombreux jeunes dessinateurs talentueux, tels Gotlib,<br />
Reiser, Cabu et Bretécher, participeront au magazine et se feront connaître du grand public.<br />
1960 : Premier numéro de la revue Hara-Kiri<br />
Un nouveau magazine de bande dessinée réservé aux adultes apparaît dans les kiosques français. Mais dès le<br />
mois de septembre les premiers numéros d’Hara-Kiri avaient déjà été vendus uniquement par colportage.<br />
Volontairement provocateurs, les rédacteurs d’Hara-Kiri adopteront un sous-titre « journal bête et<br />
méchant ». On y retrouvera des dessinateurs tels que Wolinski, Cabu ou Reiser.<br />
1962 : naissance de Spider-Man<br />
Spider-Man apparaît pour la première fois dans le quinzième numéro du magazine Amazing Fantasy créé par<br />
Marvel Comics. L’homme piqué par une araignée radioactive devient justicier après le meurtre de son oncle<br />
par un voleur. Il fut créé par Stan Lee et Steve Ditko.<br />
1967 : première apparition de Corto Maltese<br />
Le « Petit Maltais », dandy marin de la fin du XIX e siècle, sort du crayon de l’Italien Hugo Pratt pour la<br />
première fois. Il quittera son pays natal quelques années plus tard pour apparaître dans le magazine Pif.<br />
1974 : première édition du festival d’Angoulême<br />
Deux ans après l’exposition « Dix millions d’images », la première édition du Festival de la bande dessinée<br />
d’Angoulême ouvre ses portes. Dès sa première édition, le salon organisé par la municipalité reçoit de grands<br />
auteurs comme Hugo Pratt et André Franquin. Multipliant les prix, le festival prend une ampleur<br />
internationale et s’accompagne dès les années 1990 d’un marché où les éditeurs du monde entier achètent et<br />
vendent des droits de la bande dessinée.<br />
1974 : naissance du magazine Fluide Glacial.<br />
Proposant des bandes dessinées humoristiques pour adultes, il est au début quasiment entièrement dessiné<br />
par Gotlib et sa publication est trimestrielle. Bientôt mensuel, Fluide Glacial reste fidèle à sa volonté de ne<br />
pas diffuser de publicité.<br />
1977 : Les Bidochon débarquent dans Fluide Glacial<br />
Christian Binet publie les premières planches mettant en scène les rondouillards Robert et Raymonde dans la<br />
revue Fluide Glacial. Français moyens emblématiques les Bidochon connaîtront un succès immense.<br />
1977 : mort de Goscinny, l’un des pères d’Astérix<br />
René Goscinny meurt d’une crise cardiaque et laisse Astérix orphelin. L’œuvre gauloise qu’il a créée avec<br />
Uderzo est son plus grand succès, avec des adaptations et des traductions dans de nombreuses langues. Mais<br />
ce scénariste a également participé à Lucky Luke, Iznogoud et écrit Le petit Nicolas. Uderzo prolongera<br />
toutefois les aventures d’Astérix et Obélix.<br />
1978 : première parution du chat Garfield<br />
La bande dessinée du chat Garfield est publiée simultanément dans 41 journaux américains. Garfield est un<br />
gros chat orange rayé, fainéant et glouton, à forte tendance égocentrique. En mettant en scène des gags<br />
autour de sujets simples (boire, manger, dormir…), Jim Davis a su rendre son héros universel. Il sera publié<br />
en France l’année suivante.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 41<br />
1983 : mort de Reiser<br />
Il est l’auteur de Gros dégueulasse, aux dessins satiriques et au mauvais goût affiché. Présent dès la<br />
fondation du journal Hara-Kiri où il publie sa vision durement ironique du monde, il est perçu comme un<br />
auteur engagé… contre presque tout.<br />
1987 : Bilal récompensé au festival d’Angoulême<br />
Le dessinateur et scénariste Enki Bilal reçoit le prestigieux Grand prix de la ville d’Angoulême. Ce prix<br />
récompense non pas un album mais une carrière entière. D’origine yougoslave, Bilal a débuté dans le<br />
magazine Pilote avant de publier en 1975 son premier album intitulé La croisière des oubliés.<br />
1992 : Premier album de Titeuf<br />
Après des apparitions dans le fanzine suisse Sauve qui peut, le personnage créé par Zep, Titeuf, se dévoile<br />
dans un album intitulé Dieu, le sexe et les bretelles. Le personnage de 8 ans colonise rapidement les cours<br />
d’écoles avant d’être un véritable phénomène de société. En effet, dix ans plus tard, La Loi du préau se vend<br />
à 1,5 million d’exemplaires. L’approche de l’enfance et le langage caractéristique ont révolutionné le genre.<br />
1994 : première parution de Lanfeust<br />
Tarquin et Arleston publient leur premier album de Lanfeust de Troy. Le forgeron un peu naïf qui donne son<br />
nom a cette bande dessinée d’heroic fantasy est doté de pouvoirs extraordinaires qui sont révélés au cours<br />
des huit albums de la série. Le monde de Troy verra par la suite naître Trolls de Troy, Gnomes de Troy puis<br />
la série Lanfeust des étoiles.<br />
2000 : Pétillon publie l’Enquête corse<br />
L’auteur de bande dessinée René Pétillon envoie son enquêteur Jack Palmer en Corse. Cette caricature<br />
suscite un véritable intérêt et se voit décerner le prix du meilleur album au festival d’Angoulême en 2001<br />
avant qu’Alain Berbérian ne la transpose au cinéma avec Christian Clavier et Jean Reno en 2004. Œuvrant<br />
dans le milieu de la BD depuis 1968 et diffusant les aventures de Jack Palmer depuis 1974, Pétillon avait<br />
déjà obtenu le grand prix de la ville du Festival d’Angoulême en 1987.<br />
2005 : Wolinsky couronné à Angoulême<br />
Le Grand prix de la ville du Festival d’Angoulême, alors présidé par Zep, est remis à Georges Wolinsky pour<br />
faire honneur à l’intégralité de son œuvre. De Hara-Kiri à Charlie Mensuel, le dessinateur s’est consacré<br />
avant tout à la presse où il développe satires et engagement politique.<br />
B. HISTOIRE DE CINÉ<br />
1895 : séance publique du cinématographe<br />
Le cinématographe, l’invention des frères Louis et Auguste Lumière est présentée au public lors d’une<br />
projection payante dans le sous-sol du Grand Café, boulevard des Capucines à Paris. 33 spectateurs sont<br />
présents dans la salle pour assister médusés à la diffusion d’une dizaine de courts-métrages dont, La sortie<br />
des usines Lumière, L’Arroseur arrosé et Entrée en gare du train de la Ciotat.<br />
1902 : premier film de fiction<br />
7 ans après l’invention du cinéma, le réalisateur français Georges Méliès présente son Voyage dans la Lune.<br />
Par le biais de formidables effets spéciaux et trucages, Georges Méliès réalise ce qui sera considéré comme<br />
l’un des tout premiers films de science-fiction.<br />
1921 : The Kid, le premier long-métrage de Chaplin<br />
The Kid, avec le jeune acteur Jackie Coogan, est projeté pour la première fois aux États-Unis.<br />
1922 : première projection de Nosferatu<br />
Le réalisateur allemand Friederich Wilhem Murnau présente son film Nosferatu le vampire à Berlin. Adapté<br />
du roman Dracula de Bram Stoker, Nosferatu devient rapidement la référence du cinéma expressionniste<br />
fantastique.
42 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
1925 : Max Linder se suicide<br />
Max Linder est le précurseur du genre burlesque au cinéma. Charlie Chaplin lui vouait une très grande<br />
admiration.<br />
1925 : première du Cuirassé Potemkine<br />
Commandé à Eisenstein par le Comité pour la commémoration de la révolution de 1905, le film raconte<br />
l’histoire de la mutinerie des marins du principal cuirassé de la flotte russe survenue le 27 juin 1905. Le<br />
Cuirassé Potemkine, symbole des premiers évènements révolutionnaires, reçoit un accueil triomphal à<br />
travers toute l’Union Soviétique.<br />
1926 : Metropolis salué par la critique<br />
Dans une cité futuriste gouvernée par le despote John Fredersen, les maîtres et les travailleurs sont séparés<br />
entre parties haute et basse de la ville. Fritz Lang appelle dans son film à la réconciliation des classes<br />
sociales. Metropolis devient le chef-d’œuvre du cinéma expressionniste allemand.<br />
1926 : Rudolph Valentino est mort<br />
Des scènes d’hystérie ont lieu devant la clinique de New York où vient de mourir, foudroyé par une<br />
péritonite aiguë, la star des films muets, Rudolph Valentino. Des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse au Fils<br />
du cheik, son dernier film, il incarne le séducteur idéal et laisse derrière lui des milliers de fans<br />
inconsolables.<br />
1927 : The Jazz Singer : premier film sonore<br />
Le premier film parlant, chantant et musical, sort aux États-Unis. L’acteur vedette, Al Jolson, d’origine russe,<br />
apparaît maquillé en noir.<br />
1933 : King Kong<br />
Le film remportera un succès planétaire, et la scène montrant King Kong escaladant l’Empire State Building<br />
y sera pour beaucoup.<br />
1934 : sortie de Tarzan au cinéma<br />
L’acteur principal, Johnny Weissmuller, est aussi champion olympique de natation. Grâce à l’invention<br />
récente du cinéma parlant, les spectateurs peuvent apprécier le cri du héros de la jungle.<br />
1939 : première d’Autant en emporte le vent<br />
Autant en emporte le vent est une fresque monumentale sur fond de guerre de sécession avec Vivien Leigh,<br />
Clark Gable, Leslie Howard et Olivia de Havilland. Le film deviendra très vite un monument du cinéma<br />
hollywoodien et donc international.<br />
1941 : sortie de Citizen Kane<br />
Orson Welles sort son 1 er film à New York, malgré les tentatives de Randolph Hearst d’en interdire la<br />
projection. Le personnage Charles Foster Kane est en effet inspiré du magnat américain de la presse<br />
Randolph Hearst.<br />
1942 : première de Casablanca<br />
Le film américain de Michael Curtiz, Casablanca, est projeté pour la première fois au Hollywood Theater de<br />
New York. Il réunit sur la même affiche deux grandes stars du cinéma : Ingrid Bergman et Humphrey<br />
Bogart.<br />
1945 : sortie du film Les enfants du paradis<br />
Réalisé pendant l’occupation à Nice, le dernier film de Marcel Carné et de Jacques Prévert sort sur les<br />
écrans. Cette fresque se déroule dans le milieu artistique parisien entre 1840 et 1847, là où se regroupent tous<br />
les théâtres populaires de la capitale : le boulevard du Crime. Arletty, Pierre Brasseur et Jean-Louis Barrault<br />
interprètent des comédiens de quartier qui, pour certains, ont réellement existé.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 43<br />
1946 : première édition du festival de Cannes<br />
La fête du cinéma ouvre ses portes sur la Croisette après une tentative avortée en 1939. Pour sa deuxième<br />
naissance, le festival accueille cette année-là 18 nations. Le prix du jury, ainsi que le prix de la mise en scène<br />
– il n’y avait pas encore de Palme d’or – reviennent au réalisateur français René Clément pour La Bataille du<br />
rail.<br />
1946 : La Belle et la Bête sort sur les écrans français<br />
Ce film est une adaptation, réalisée par Jean Cocteau, d’un conte populaire. Il raconte la relation ambiguë qui<br />
se tisse entre la Belle et la Bête dont elle est prisonnière. Les deux personnages principaux sont joués par<br />
Josette Day et Jean Marais, l’acteur fétiche de Cocteau.<br />
1947 : première d’Un Tramway nommé Désir<br />
La pièce de Tennessee Williams, est jouée pour la première fois à Broadway sous la direction d’Elia Kazan.<br />
Dans le rôle principal, Marlon Brando fait un tabac. Au moment de l’adapter au cinéma en 1951, Elia Kazan<br />
fera de nouveau appel à lui. Trop sexuellement explicite, le film provoquera un scandale à sa sortie.<br />
1953 : sortie du film Les vacances de Monsieur Hulot<br />
Le nouveau long-métrage de Jacques Tati, sort sur les écrans français. Monsieur Hulot, personnage<br />
burlesque ne se déplace que sur la pointe des pieds avec une pipe à la bouche et un drôle de chapeau sur la<br />
tête. En 1958, Jacques Tati tournera un autre épisode des aventures de Monsieur Hulot avec Mon oncle.<br />
1955 : mort de James Dean<br />
L’acteur américain James Byron Dean meurt dans un accident de la route en Californie à 24 ans. Passionné<br />
de vitesse, un seul film aura réussi à faire de lui une star, À l’est d’Eden d’Elia Kazan. Symbole de la<br />
jeunesse américaine inquiète et rebelle, sa carrière s’achève en pleine gloire.<br />
1956 : Et Dieu créa la femme de Roger Vadim<br />
Et Dieu créa la femme donne naissance au mythe érotique Brigitte Bardot.<br />
1959 : mort de Gérard Philipe, à 37 ans<br />
Il s’éteint à Paris des suites d’une embolie. L’idole des années cinquante a été révélée au public en 1945 dans<br />
son interprétation de Caligula d’Albert Camus. Sa carrière compte 20 pièces de théâtre et plus de 30 films. Il<br />
restera pour beaucoup inoubliable dans Le diable au corps, Les liaisons dangereuses ou Fanfan la Tulipe.<br />
1960 : Palme d’or controversée pour La Dolce Vita<br />
Ce film marque un tournant dans la carrière de Federico Fellini : il renonce à l’intrigue classique pour lui<br />
préférer une mosaïque d’épisodes sans aucun autre lien qu’un personnage spectateur (Marcello Mastroianni).<br />
Le film est condamné par le Vatican et hué par le public cannois. Aujourd’hui, la scène où Anita Ekberg se<br />
baigne dans la fontaine de Trevi fait partie des séquences les plus célèbres du cinéma.<br />
1963 : sortie de Cléopâtre, interprétée par Elizabeth Taylor<br />
Le film sur les aventures de la reine d’Égypte Cléopâtre et du général romain Marc-Antoine, interprété par<br />
Elizabeth Taylor et Richard Burton, sort à New York. Cette superproduction qui a eu deux réalisateurs<br />
successifs, Ruben Mamoulian puis Joseph Mankiewicz, a nécessité deux ans de préparation et dix mois de<br />
tournage. Le budget démesuré du film, 44 millions de dollars, sera en partie responsable de la faillite des<br />
studios de la Fox.<br />
1963 : sortie du film Les Oiseaux en France<br />
Adapté du roman de Daphné du Maurier, le film d’Alfred Hitchcock est doté d’effets spéciaux avancés pour<br />
l’époque et d’une bande-son très travaillée. L’actrice Tippi Hedren fut réellement blessée par une mouette<br />
pendant le tournage.<br />
1963 : sortie du film Les Tontons Flingueurs<br />
Adaptation du roman de Simonin Grisby or not Grisby avec Bernard Blier, Lino Ventura et Jean Lefebvre ce<br />
film deviendra culte au fil des années et de ses diffusions à la télévision, notamment grâce aux dialogues de<br />
Michel Audiard.
44 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
1966 : sortie de Pour une poignée de dollars<br />
Sortie de Pour une poignée de dollars, de Sergio Leone. Filmé dans la Sierra espagnole, ce western offre à<br />
Clint Eastwood son premier grand rôle. Son personnage, « l’homme sans nom », vêtu de son célébrissime<br />
poncho, deviendra même un des mythes du genre. Il reviendra dans Et pour quelques dollars de plus, puis<br />
dans Le bon, la brute et le truand.<br />
1967 : La Planète des singes sort sur les écrans<br />
S’inspirant du roman du français Pierre Boulle, publié en 1963, Franklin J. Schaffner réalise La planète des<br />
singes. L’équipage d’un vaisseau spatial américain se perd dans l’espace-temps. Partis du XX e siècle, les<br />
astronautes se retrouvent en 3978, sur une planète totalement inconnue. Très vite, ils réaliseront que les êtres<br />
humains, dominés par des singes à l’intelligence supérieure, y sont considérés comme des animaux et traités<br />
comme tels.<br />
1968 : 2001, l’Odyssée de l’espace sort dans les salles françaises<br />
L’américain Stanley Kubrick réalise un film qui vise à dépasser la simple science-fiction. Des singes<br />
évoluent sous l’emprise d’un étrange monolithe noir. Quatre millions d’années plus tard, une mission<br />
spatiale est envoyée sur la Lune pour étudier ce même bloc mystérieux. En 2001, embarqués dans un<br />
vaisseau à destination de Jupiter et accompagnés de l’ordinateur Hal, astronautes et scientifiques tentent<br />
toujours de trouver des explications.<br />
1971 : sortie de The Big Boss à Hong Kong<br />
Il remet au goût du jour les arts martiaux et lance la carrière internationale de Bruce Lee qui devient alors<br />
une véritable star.<br />
1971 : Orange Mécanique déchaîne les passions<br />
Adapté du roman d’Anthony Burgess, le neuvième film de Stanley Kubrick est projeté pour la première fois<br />
à New York. Certains voient plus dans l’histoire d’Alex une apologie de la violence qu’une dénonciation et<br />
pour beaucoup Orange Mécanique n’est rien moins qu’une incitation à la délinquance juvénile. La très<br />
grande couverture médiatique et la polémique dont il fait l’objet feront d’Orange Mécanique un immense<br />
succès.<br />
1971 : sortie de l’Inspecteur Harry<br />
Sortie américaine de l’Inspecteur Harry de Don Siegel. Le film, d’une extrême violence pour l’époque, fait<br />
scandale. On reproche à Harry Callahan, flic et héros de l’histoire, ses méthodes expéditives. Longtemps,<br />
Clint Eastwood traînera la réputation de ce rôle, le public l’assimilant à ce personnage charismatique mais<br />
moralement douteux.<br />
1973 : Brando refuse l’Oscar<br />
Pour la deuxième fois de sa carrière, Marlon Brando reçoit l’Oscar d’interprétation pour son rôle dans Le<br />
Parrain de Francis Ford Coppola. L’acteur refuse de se rendre à Hollywood pour recevoir son prix et envoie<br />
en son nom une jeune indienne Apache nommée Petite Plume. Elle annoncera devant le tout-Hollywood<br />
qu’il « refuse cet honneur à cause du traitement réservé aux Indiens dans les films, à la télévision et à<br />
Wounded Knee ».<br />
1973 : La Grande Bouffe à Cannes<br />
Le film du réalisateur italien Marco Ferreri fait scandale lors de sa présentation au festival de Cannes. Il<br />
dénonce la mystique de la « bouffe », si chère aux Français, par des scènes scatologiques. Mastroianni,<br />
Noiret, Piccoli et Tognazzi jouent le rôle de quatre amis réunis dans une villa parisienne pour un banquet<br />
fatal.<br />
1975 : assassinat de Pasolini<br />
Le corps du metteur en scène italien Pier Paolo Pasolini est retrouvé à Ostie près de Rome. Le jeune Pino<br />
Pelosi, âgé de 17 ans, avoue l’avoir tué en le battant à mort. Écrivain, poète et cinéaste, le réalisateur<br />
d’Accatone disparaît à 53 ans.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 45<br />
1976 : première cérémonie des Césars<br />
Les professionnels du cinéma français se réunissent pour la première cérémonie des Césars. Ils remettent<br />
13 récompenses, des « compressions » imaginées par le sculpteur César. Romy Schneider pour son rôle dans<br />
L’important c’est d’aimer d’Andrzej Zulawski reçoit le prix d’interprétation féminine. Le vieux fusil de<br />
Robert Enrico est sacré meilleur film.<br />
1976 : sortie de Marathon Man<br />
Dustin Hoffman y joue le rôle principal. Sa prestation est couronnée d’un Oscar du meilleur acteur l’année<br />
suivante.<br />
1976 : L’aile ou la cuisse dans les salles<br />
Louis de Funès et Coluche se côtoient dans le film de Claude Zidi L’aile ou la cuisse. De Funès incarne un<br />
guide gastronomique en guerre contre un géant industriel et en complet décalage avec son fils. Ce dernier<br />
préfère en effet le cirque à l’excellence du palais. Avec Coluche dans le rôle du fils, la comédie joue sur le<br />
conflit entre deux générations incarnées par des acteurs qui en sont le symbole.<br />
1977 : début de la saga Star Wars<br />
La Guerre des étoiles du réalisateur américain George Lucas sort dans seulement 32 salles aux États-Unis.<br />
Le film aux effets spéciaux révolutionnaires est un énorme succès. Lucas investira alors dans la suite de sa<br />
trilogie : L’Empire contre attaque en 1980 et Le retour du Jedi en 1983. 22 ans plus tard, il réalisera le<br />
premier épisode de sa saga : La menace fantôme, rapidement suivi de L’attaque des clones puis de La<br />
Revanche des Sith.<br />
1977 : Spielberg présente Rencontres du troisième type<br />
Steven Spielberg se lance véritablement dans la science-fiction avec la réalisation de Rencontres du<br />
troisième type. Une multitude d’événements étranges ont lieu dans le monde entier. Il semblerait qu’une<br />
présence extraterrestre en soit à l’origine. Les êtres humains semblent l’espérer, semblent s’y soumettre…<br />
1978 : première des Bronzés<br />
Le film de Patrice Leconte sort sur les écrans français, adapté de la pièce Amour, coquillages et crustacés<br />
écrite par la troupe du Splendid.<br />
1979 : Alien embarque comme huitième passager<br />
Ridley Scott met en scène l’hideuse créature extraterrestre. À bord d’un vaisseau de retour vers la Terre, un<br />
équipage est menacé par une créature inconnue particulièrement meurtrière. Mue par une intelligence<br />
supérieure, elle viendra à bout de la quasi-totalité des voyageurs. Dans les années qui suivront, plusieurs<br />
autres réalisateurs, dont James Cameron, renouvelleront Alien.<br />
1980 : Blues Brothers dans les salles françaises<br />
Le film Blues Brothers sort dans les salles françaises. Centré autour de deux personnages musiciens de<br />
l’émission « Saturday Night Live » de la chaîne américaine NBC, il deviendra rapidement culte.<br />
1982 : rencontre avec ET l’extraterrestre<br />
Steven Spielberg donne naissance à l’attendrissant ET. Abandonné par les siens sur la planète Terre, le gentil<br />
extraterrestre est recueilli par le jeune Elliott. Plongeant dans l’univers de l’enfance, ce film de sciencefiction<br />
particulièrement émouvant remportera un succès planétaire.<br />
1983 : sortie de Tchao Pantin<br />
Le film de Claude Berri, Tchao Pantin, sort dans les salles françaises et offre un nouveau visage à Coluche.<br />
Interprétant un homme solitaire et rongé par l’alcool, Coluche est loin de ses rôles comiques de L’aile ou la<br />
cuisse ou d’Inspecteur La Bavure.<br />
1986 : le public découvre Tom Cruise dans Top Gun<br />
Top Gun de Tony Scott révèle Tom Cruise au grand public.
46 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
1988 : sortie de La vie est un long fleuve tranquille<br />
Premier film d’Étienne Chatiliez, La vie est un long fleuve tranquille rencontrera un succès inattendu à sa<br />
sortie : des critiques élogieuses, 4 millions de spectateurs.<br />
1988 : Dustin Hoffman joue un autiste<br />
Sortie de Rain Man de Barry Levinson. Dans le rôle d’un autiste, Dustin Hoffman sidère la planète entière et<br />
obtient son second Oscar.<br />
1992 : sortie française de Basic Instinct<br />
Après Liaison fatale, Michael Douglas persiste dans le genre sulfureux avec Basic Instinct, un thriller<br />
érotique de Paul Verhoeven. L’acteur est le jouet de la véritable star du film : Sharon Stone.<br />
1995 : Tom Cruise joue dans des films au succès planétaire<br />
De 1995 à 2001, Tom Cruise tient les premiers rôles d’énormes films tels Mission impossible, Eyes Wide<br />
Shut et Vanilla Sky.<br />
1998 : sortie française de Titanic<br />
Le film de James Cameron, le plus cher de l’histoire du cinéma, sera le premier à dépasser la barre du<br />
milliard de dollar au box-office mondial.<br />
1998 : décès du cinéaste Akira Kurosawa<br />
Le plus célèbre des metteurs en scène japonais meurt à 88 ans. Le film d’aventure Les Sept Samouraïs<br />
(1954) lui a valu une renommée mondiale mais d’autres de ses longs métrages comme Les Bas fonds,<br />
Rashomon, Dode’s Caden ou Dersou Ouzala ont marqué l’histoire du cinéma mondial.<br />
2001 : trois Palmes pour La pianiste<br />
Benoît Magimel a reçu la Palme du meilleur acteur. Il interprète un jeune virtuose qui entretient une relation<br />
tumultueuse avec sa professeure de piano masochiste jouée par Isabelle Huppert.<br />
2002 : Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, meilleur film<br />
Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, après avoir attiré plus de 8 millions de<br />
spectateurs en salles, été nommé aux Oscars et connu un véritable plébiscite aux États-Unis, remporte le<br />
César du meilleur film.<br />
2002 : Spielberg réalise Minority Report<br />
Steven Spielberg s’inspire de la nouvelle de Philip K. Dick pour réaliser Minority Report. En 2054, les<br />
hommes sont parvenus à mettre au point un système d’anticipation des crimes. Grâce à la technologie et à<br />
trois êtres doués de capacités visionnaires, les meurtriers sont arrêtés avant même de commettre l’acte.<br />
2005 : sortie de La marche de l’Empereur<br />
Le documentaire de Luc Jacquet dédié à la marche du manchot empereur dans les déserts glacés du pôle sud<br />
débute sa carrière fulgurante. Détrônant l’habituelle explication scientifique en voix-off pour une histoire<br />
poétique évoquée par des acteurs de renom tels que Romane Bohringer et Charles Berling, il fera la conquête<br />
du monde et établira le record d’audience aux États-Unis pour un film français.<br />
2005 : Million dollar baby récompensé aux Oscars<br />
Clint Eastwood remporte l’Oscar du meilleur réalisateur pour Million dollar baby. Ce drame repartira<br />
également de la cérémonie avec les Oscars du meilleur film, du meilleur second rôle (Morgan Freeman) et de<br />
la meilleure actrice (Hilary Swank).<br />
2006 : Philippe Noiret s’éteint<br />
Le comédien français Philippe Noiret décède d’un cancer, à Paris, à l’âge de 76 ans. Il s’était notamment<br />
illustré dans des films tels que Zazie dans le métro, La grande bouffe, Les ripoux, Cinéma Paradiso ou<br />
encore La vie et rien d’autre.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 47<br />
C. HISTOIRE DE PEINTURE<br />
1503 : De Vinci peint La Joconde<br />
De 1503 à 1505, Léonard de Vinci s’attache à la création de diverses œuvres (Une Madone assise, La<br />
bataille d’Anghiari…) et surtout son tableau le plus célèbre : le portrait de la Joconde. Il s’éteindra en 1534,<br />
à Amboise, en France, à l’âge de 67 ans.<br />
1541 : inauguration de la fresque de la chapelle Sixtine<br />
La fresque du Jugement dernier de la chapelle Sixtine (Vatican) est inaugurée. Elle mesure environ<br />
13 mètres sur 12 et a été réalisée par Michel-Ange. La représentation de plus de quatre cents personnages,<br />
tous nus, provoque de vives critiques. Certains personnages seront même « habillés » en 1566.<br />
1576 : mort de Titien<br />
Au terme d’une longue et riche carrière, le peintre Titien s’éteint à Venise, âgé de près de 90 ans. Certains<br />
diront qu’il a été emporté par la peste, et d’autres qu’il est simplement mort de vieillesse. Peintre à la<br />
renommée européenne, il a placé ses talents au service des plus grands noms de l’époque.<br />
1595 : Carrache se rend à Rome pour la fresque de la galerie Farnèse<br />
Le cardinal Farnèse fait venir Annibal Carrache à Rome afin que ce dernier peigne la galerie de son palais.<br />
Fondateur de l’école bolonaise qui préfigure le Baroque, Carrache met plusieurs années à peindre le chefd’œuvre<br />
de sa vie.<br />
1601 : Le Caravage peint La conversion de Saint Paul<br />
Maître du clair-obscur, le Caravage révèle la divinité par un intense contraste lumineux. L’absence de<br />
symbole religieux autre et le réalisme du dessin confèrent au tableau ses caractéristiques baroques : goût du<br />
contraste, de la mise en scène, importance du sujet humain.<br />
1611 : Rubens peint L’érection de la croix<br />
L’exécution du triptyque L’érection de la croix donne à Rubens le statut de véritable maître de la peinture<br />
flamande de son époque. Peignant jusqu’à sa mort sans que son talent ne décline, Rubens sera le principal<br />
représentant du Baroque flamand.<br />
1632 : Rembrandt réalise La leçon d’anatomie du Dr Nicolaes Tulp<br />
Installé à Amsterdam depuis à peine un an, Rembrandt reçoit une commande d’ampleur. Il est chargé de<br />
réaliser un portrait de groupe, représentant le Dr. Tulp offrant une leçon d’anatomie à sept notables.<br />
1642 : Rembrandt réalise La ronde de nuit<br />
Rembrandt réalise un nouveau portrait de groupe, cette fois en dépeignant la garde nationale. La technique<br />
du clair-obscur y est une fois de plus utilisée, accentuant les personnages importants et donnant un effet de<br />
mouvement à la scène. La pénombre y est telle que l’action semble se dérouler de nuit alors qu’elle est<br />
initialement diurne.<br />
1656 : Velázquez peint Les Ménines<br />
Par un jeu de perspectives et de reflet, le tableau donne le sentiment au spectateur d’en être le sujet. En effet,<br />
Velázquez est représenté le pinceau à la main devant son pupitre. Il regarde dans la direction du spectateur,<br />
tandis qu’un miroir au « fond » du tableau suggère que les sujets du peintre sont le roi et la reine. Le tableau<br />
doit son titre à la présence de l’infante Marguerite et de deux Ménines, c’est-à-dire ses demoiselles<br />
d’honneur.<br />
1728 : Chardin est reçu à l’Académie royale<br />
Jean-Baptiste Chardin est admis à l’Académie royale de peinture et de sculpture en tant que peintre de<br />
natures mortes. Ses morceaux de réception ont été Le Buffet et La Raie, peints peu de temps auparavant. La<br />
Raie suscitera beaucoup d’admiration chez des artistes tels que Cézanne ou Matisse. Chardin apporte en effet<br />
un certain renouveau dans le genre de la nature morte en confrontant l’objet sans vie à la présence animale.
48 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
1814 : Ingres peint sa Grande Odalisque<br />
La Grande Odalisque suscite un véritable scandale à sa présentation au Salon, en 1819. On reproche au<br />
peintre de ne pas avoir respecté les proportions de l’anatomie humaine dans ce nu provoquant. En effet, le<br />
personnage possède un dos d’une longueur irréaliste.<br />
1816 : naufrage de « La Méduse »<br />
Sur la route du Sénégal, une des plus belles embarcations de la marine française, la frégate « La Méduse »,<br />
s’échoue sur le banc d’Arguin avec 395 personnes à son bord. Pour suppléer aux canots de sauvetage,<br />
l’équipage se réfugie sur un radeau de fortune. 12 jours plus tard l’embarcation sera découverte avec<br />
15 personnes survivantes. Les autres ont été jetées à la mer ou même mangées par les autres occupants.<br />
L’événement inspirera le peintre Théodore Géricault qui l’immortalisera en 1819 sur un tableau grandiose<br />
appelé Le radeau de la Méduse.<br />
1863 : Édouard Manet peint Le déjeuner sur l’herbe<br />
La toile sera exposée la même année au Salon des refusés et dérangera les critiques par la nudité d’une<br />
femme déjeunant en compagnie de deux hommes vêtus. Dans cette œuvre, Manet rompt avec les techniques<br />
académistes pour utiliser avec originalité les caractéristiques du mouvement impressionniste.<br />
1865 : Manet expose Olympia<br />
Le peintre Édouard Manet décide d’exposer au Salon l’une de ses toiles, qu’il a peinte deux ans plus tôt. Le<br />
scandale est immédiat et violent, contraignant le Salon à enlever la toile. Manet s’est inspiré ici de la Vénus<br />
de Titien, qu’il a représentée en dehors de son contexte religieux. Olympia est en effet allongée, nue,<br />
semblant vouloir offrir ses charmes.<br />
1874 : la naissance des impressionnistes<br />
Une trentaine d’artistes ne sont pas acceptés par le jury du Salon officiel de Paris. Parmi eux figurent des<br />
peintres aujourd’hui célèbres : Cézanne, Degas, Monet, Pissarro, Renoir, Sisley, etc. Ils décident d’exposer<br />
eux-mêmes leurs œuvres dans l’atelier de leur ami, le photographe Nadar. Quelques jours plus tard, le<br />
critique Louis Leroy dans un compte rendu sur cette exposition parlera d’« impressionnistes » en référence<br />
au titre d’un tableau de Claude Monet : Impression soleil levant.<br />
1888 : Van Gogh se mutile l’oreille<br />
Dans leur atelier d’Arles, le peintre Vincent Van Gogh tente de blesser son ami Gauguin avant de se trancher<br />
l’oreille avec une lame de rasoir. Il offrira le morceau de chair à une prostituée. Gauguin est arrêté puis<br />
aussitôt relâché. Rapidement rétabli, Van Gogh peindra son autoportrait avec son pansement autour de la<br />
tête.<br />
1895 : première rétrospective des travaux de Cézanne<br />
Cette rétrospective, qui réunit quelque 150 œuvres, marque le début du succès pour le peintre. Il obtient la<br />
reconnaissance de ses pairs et devient une source d’inspiration.<br />
1900 : Monet expose ses Nymphéas<br />
Jusqu’en 1926, le peintre s’attache à prendre comme seul motif le bassin aux nymphéas de son jardin de<br />
Giverny.<br />
1901 : Picasso expose<br />
Un peintre andalou de 19 ans, Pablo Picasso, expose chez le marchand de tableaux Ambroise Vollard à Paris,<br />
64 peintures d’inspiration impressionniste. Ces toiles frappent par la netteté du dessin et la violence des<br />
couleurs. Artiste protéiforme – périodes bleue et rose, cubisme, néoclassicisme, tentation surréaliste,<br />
expressionnisme… – Picasso bouleversera l’art moderne.<br />
1901 : décès du peintre Henri Toulouse Lautrec<br />
Le peintre meurt en Gironde à l’âge de 36 ans seulement. Cet artiste, né dans une famille aristocratique, est<br />
estropié très jeune à la suite de fractures des deux jambes. Nanti, il en profita plus tard pour fréquenter à<br />
Paris les lieux de plaisir montmartrois où il trouva son inspiration et qui lui ont assuré sa notoriété. Il est l’un<br />
des pères de l’affiche moderne avec notamment La Goulue au Moulin-Rouge.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 49<br />
1903 : Camille Pissarro s’éteint<br />
L’un des plus grands maîtres impressionnistes meurt à Paris. Ses œuvres représentant la campagne de<br />
Pontoise ou les longues rues de Paris ont marqué les esprits.<br />
1907 : Picasso fonde le cubisme<br />
Les Demoiselles d’Avignon marquent l’entrée de Picasso dans l’art moderne. Avec Braque notamment, il<br />
développe le cubisme synthétique à partir de 1912 et introduit divers matériaux dans ses toiles (sable, papier,<br />
tôle, bois…). Il renonce au cubisme en 1915.<br />
1907 : Le Douanier Rousseau peint La charmeuse de serpents<br />
Le Douanier Rousseau réalise l’une de ses huiles sur toile les plus célèbres. Elle représente une femme, dont<br />
on ne distingue que la silhouette et deux yeux lumineux, au beau milieu d’une jungle, jouant de la flûte pour<br />
charmer les serpents.<br />
1910 : Matisse peint La Danse<br />
Accompagnée d’un pendant, La Musique, elle représente une ronde de danseurs et danseuses. Les couleurs<br />
utilisées sont particulièrement vives et la toile marque par son style très épuré.<br />
1911 : première exposition du « Cavalier bleu »<br />
Der Blaue Reiter, fondé à Munich par Kandinsky et Franz Marc, organise sa première exposition. Le<br />
mouvement réunit un groupe d’artistes d’inspiration expressionniste parmi lesquels se trouvent Macke,<br />
Kubin et Munter. Cette première exposition accueillera les œuvres du Douanier Rousseau, de Schoenberg et<br />
de Delaunay. La seconde exposition est organisée en février 1912. Cette fois, les membres de « Die<br />
Brücke », les Fauves et les Cubistes seront de la partie. On comptera parmi eux Malevitch et Paul Klee.<br />
1920 : mort du peintre Amadeo Modigliani<br />
D’une santé fragile dès sa jeunesse, Modigliani meurt de la tuberculose après avoir mené une vie tourmentée.<br />
En effet, le peintre était aussi connu pour ses tableaux que pour ses excès d’alcool et de drogue, qui l’ont<br />
fragilisé et conduit à cette fin prématurée.<br />
1925 : les surréalistes exposent à Paris<br />
Les œuvres de Paul Klee, Man Ray, Juan Miro, Max Ernst et Pablo Picasso sont présentées au grand public.<br />
Le fondateur du mouvement, André Breton et le poète Robert Desnos sont à l’origine de l’événement.<br />
1929 : première exposition des oeuvres de Dali<br />
Dali n’est pas inconnu du public parisien ; en octobre 1928, il avait réalisé, en compagnie du réalisateur Luis<br />
Buñuel, le premier film surréaliste : Un chien andalou.<br />
1960 : Andy Warhol devient le prince du Pop Art<br />
Warhol peint des boîtes de soupes Campbell’s, des bouteilles de Coca-Cola et d’autres produits courants. Il<br />
sacralise ces objets du quotidien. Il passe ensuite à la sérigraphie et réalise une série de portraits de stars<br />
américaines : Marilyn Monroe, Elvis Presley, Marlon Brando...<br />
D. HISTOIRE DE ROMANS<br />
1176 : Chrétien de Troyes compose Yvain ou le Chevalier au lion<br />
Inspiré des mythes bretons du roi Arthur et de la Table ronde, Yvain ou le Chevalier au lion est l’un des trois<br />
romans de Chrétien de Troyes – avec Lancelot ou le Chevalier de la charrette et Perceval ou le conte du<br />
Graal.<br />
1532 : Rabelais édite Gargantua<br />
Deux ans plus tard, Rabelais publiera la Vie inestimable du grand Gargantua, où il raconte la vie du père de<br />
Gargantua. Sous couvert d’humour, ces deux œuvres contiennent des prises de position qui leur vaudront la<br />
condamnation par la Sorbonne. L’auteur apportera de nouvelles aventures de Pantagruel dans Tiers Livre<br />
(1546), Quart Livre (1552) et le Cinquième Livre (1564).
50 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
1605 : publication de la première partie de Don Quichotte<br />
Cervantès tourne en dérision le goût des habitants pour le récit chevaleresque et l’héroïsme. Le personnage<br />
de Don Quichotte n’est autre qu’un homme d’un certain âge, en quête de justice et de vérité. Accompagné de<br />
son écuyer très sensé Sancho Pança, il part affronter le monde. Mais ces illusions idéalistes lui voilent la<br />
vérité, malgré les avertissements incessants de son compagnon.<br />
1635 : fondation de l’Académie française<br />
Louis XIII, sur les conseils de Richelieu, crée une nouvelle institution : l’Académie française. L’institution a<br />
pour but de donner à la langue française des règles précises afin qu’elle puisse à terme se substituer au latin.<br />
Sa première tâche sera de rédiger un dictionnaire.<br />
1703 : Daniel Defoe au pilori<br />
L’écrivain anglais Daniel Defoe est condamné par la chambre des Communes à trois expositions au pilori,<br />
puis à l’emprisonnement à Newgate. Il s’était attiré la haine de l’Église avec ses pamphlets en faveur de la<br />
liberté de presse et de conscience, de la propriété littéraire, de la liberté religieuse et des non-conformistes.<br />
Daniel Defoe connaîtra la célébrité avec son roman d’aventures Robinson Crusoë paru en 1719.<br />
1763 : Sade est emprisonné à Vincennes<br />
À 24 ans le marquis Donatien Alphonse François de Sade est incarcéré, sur ordre royal, au donjon de<br />
Vincennes. Cet emprisonnement sera le premier d’une longue série. Il sera accusé de « débauche outrée » à<br />
plusieurs reprises et ses libertinages lui vaudront 30 années de prison au cours de sa vie.<br />
1765 : les premiers traits de Jacques le Fataliste<br />
Diderot commence la rédaction de Jacques le Fataliste. Ce roman présente une conversation entre Jacques<br />
et son maître sur les amours du premier. Le dialogue, meilleur moyen de traduire les pensées du philosophe,<br />
dévie sans cesse pour traiter d’autres sujets, tels que l’art, la liberté, le destin.<br />
1766 : Rousseau achève Les Confessions<br />
Jean-Jacques Rousseau achève la rédaction des Confessions. Il avait débuté trois ans plus tôt cette<br />
autobiographie, après la parution du pamphlet Le sentiment des citoyens. Publié anonymement, ce texte de<br />
Voltaire attaquait violemment Rousseau, notamment à propos de l’abandon de ses enfants. Ce dernier y<br />
répond en se mettant à nu dans « une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point<br />
d’imitateur ».<br />
1818 : la créature de Frankenstein vient au monde<br />
La jeune britannique Mary Shelley, alors âgée de 18 ans, publie anonymement Frankenstein ou le Prométhée<br />
moderne. L’ouvrage retrace la terrible aventure de Victor Frankenstein, fuyant l’horrible créature à laquelle<br />
il a insufflé la vie. Celle-ci, abandonnée et rejetée, est mue d’un profond désir de vengeance et multiplie les<br />
crimes.<br />
1830 : Stendhal publie Le Rouge et le Noir<br />
À partir d’un fait divers, Stendhal imagine et met en scène le personnage de Julien Sorel, prêt à tout pour se<br />
faire une place respectable dans la société française. Stendhal écrit un roman réaliste et psychologique qui<br />
traite, en parallèle, du contexte politique précédant la révolution de 1830.<br />
1831 : parution de Notre-Dame de Paris<br />
À 29 ans, Victor Hugo publie son premier roman historique, Notre-Dame de Paris. Dès sa sortie en librairie,<br />
l’ouvrage connaît un très grand succès. Le public romantique amateur d’histoire apprécie tout<br />
particulièrement l’univers du Moyen-Âge recréé par Hugo.<br />
1833 : Alfred de Musset et George Sand entament une liaison tumultueuse<br />
En 1833, Musset rencontre George Sand et entame rapidement une liaison orageuse avec la romancière, de<br />
sept ans son aînée. Cette histoire d’amour, qui inspirera par la suite La Confession d’un enfant du siècle à<br />
Musset en 1836 et le roman Elle et Lui à Sand en 1859, dure de manière discontinue pendant deux années.
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1834 : les premiers « Contes » d’Andersen<br />
L’imagination débordante de l’écrivain Hans Christian Andersen le mène à publier ses premiers contes. Le<br />
succès est immédiat et tous les lecteurs s’attendrissent devant La Princesse au petit pois.<br />
1844 : Dumas père publie Les Trois mousquetaires<br />
Sous forme de roman-feuilleton dans Le Siècle, Alexandre Dumas publie Athos, Porthos et Aramis. C’est<br />
ainsi que naît le personnage de d’Artagnan, jeune homme courageux rêvant de devenir mousquetaire à<br />
l’époque de Louis XIII.<br />
1845 : première parution de Carmen de Mérimée<br />
Prosper Mérimée publie en feuilleton dans La Revue des Deux Mondes sa nouvelle intitulée Carmen. Il y<br />
raconte l’histoire d’un jeune homme de l’armée qui, par amour pour la belle gitane Carmen, se fait<br />
contrebandier et criminel. Femme fatale et sensuelle, elle aspire à la liberté et finit par rejeter son amant. Ce<br />
dernier la poignarde et se dénonce immédiatement.<br />
1846 : publication de La mare au diable<br />
George Sand publie un roman champêtre intitulé La mare au diable. Elle souhaite rendre hommage à la<br />
campagne berrichonne où elle a grandi. Elle y dépeint une société idéale, loin des perversions de la ville et<br />
souhaite redorer l’image de la vie paysanne.<br />
1848 : publication des Mémoires d’outre-tombe<br />
Conformément aux souhaits du vicomte François-René de Chateaubriand, ses mémoires ne sont publiées<br />
qu’après sa mort, survenue en juillet. Commencée en 1809, l’écriture de son œuvre aura pris près de quarante<br />
ans. Les Mémoires d’outre-tombe est l’ouvrage de référence de la période romantique.<br />
1850 : mort de Balzac<br />
Balzac meurt à Paris. L’auteur de La comédie humaine s’éteint avant d’avoir pu achever son immense<br />
œuvre. Il était épuisé par son intense travail d’écriture et les multiples voyages qui ont ponctué les sept<br />
dernières années de sa vie.<br />
1851 : Flaubert donne vie à Emma dans Madame Bovary<br />
L’écrivain français entame l’écriture de Madame Bovary. Il se consacrera à cette œuvre durant quatre ans et<br />
demi.<br />
1851 : parution de Moby Dick<br />
Le plus célèbre roman de l’écrivain américain Herman Melville paraît pour la première fois aux États-Unis<br />
sous le titre original Moby Dick or the white Whale.<br />
1852 : premier succès de La dame aux camélias<br />
Alexandre Dumas fils présente sur les planches sa pièce La dame aux Camélias. Issue de la réadaptation de<br />
son roman écrit quelques années plus tôt, elle met en scène un amour malheureux entre Armand Duval et<br />
Marguerite Gautier. Courtisane, cette dernière se sacrifie par amour et trouve finalement la mort.<br />
1859 : parution de La Légende des siècles<br />
Le premier tome du monument poétique de Victor Hugo est publié en France alors que son auteur est en exil<br />
sur l’île anglo-normande de Guernesey. Il faudra attendre 18 ans (1877) pour le deuxième tome. Cette œuvre<br />
est une vaste peinture de l’histoire de l’humanité et de sa lutte constante entre le bien et le mal.<br />
1863 : Cinq semaines en Ballon, écrit par Jules Verne, paraît<br />
Son roman Cinq semaines en ballon est publié en 1863 et connaît un immense succès. C’est le premier<br />
volume de ce qui allait constituer ses Voyages extraordinaires (au total 54 volumes).<br />
1865 : parution d’Alice au pays des merveilles<br />
Le révérend écrivain et mathématicien britannique, Lewis Carroll publie Alice’s Adventures in Wonderland.<br />
Le conte est inspiré de la rencontre entre l’auteur et Alice Liddell, une petite fille âgée de 10 ans, lors d’un
52 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
pique-nique près de la rivière Isis en Angleterre. Il joue avec la logique et modifie les normes du récit pour<br />
enfants. Lewis Carroll écrira bientôt une suite : Alice de l’autre côté du miroir.<br />
1866 : parution des Lettres de mon moulin<br />
Alphonse Daudet publie sous forme de feuilleton ses nouvelles, qui seront regroupées dans les Lettres de<br />
mon moulin en 1869. Offrant un tableau très valorisant de la Provence de son enfance, Alphonse Daudet allie<br />
la fantaisie et le réalisme à ses talents de conteur. Dans son sillage, Daudet laissera aussi la très célèbre<br />
Chèvre de Monsieur Seguin.<br />
1869 : Flaubert publie L’éducation sentimentale<br />
Il s’agit d’un roman d’apprentissage où Frédéric Moreau perd progressivement ses illusions en côtoyant dans<br />
l’indécision la réalité du monde du XIX e siècle. L’écriture et le parcours de ce personnage irrésolu qui ne<br />
vivra qu’un instant, et bien tard, sa passion pour Madame Arnoux marquent par leur modernité.<br />
1877 : parution de L’Assommoir<br />
Avec le septième volume de la série des Rougon-Macquart, Émile Zola connaît enfin le succès. La<br />
bouleversante histoire du couple Coupeau-Gervaise Macquart victime de l’alambic du Père Colombe choque<br />
par son réalisme. Premier roman de Zola à dépeindre le milieu ouvrier parisien L’Assommoir est, selon son<br />
auteur, « un roman sur le peuple qui hait l’odeur du peuple ».<br />
1880 : parution des Frères Karamazov<br />
Le dernier roman de l’écrivain russe Fiodor Dostoïevski est publié en Russie. Écrit en deux ans, Les Frères<br />
Karamazov est considéré par son auteur comme son œuvre la plus aboutie.<br />
1883 : publication de L’île au trésor<br />
L’écrivain britannique Robert Stevenson publie son roman d’aventures L’île au trésor (Treasure Island).<br />
1885 : publication de Bel Ami<br />
Bel Ami est publié en 1885. À l’époque, Maupassant était essentiellement connu pour ses contes. Ce roman,<br />
célébré comme l’une de ses meilleures œuvres, raconte l’ascension sociale de Georges Duroy, officier<br />
hussard monté à Paris pour y faire fortune.<br />
1886 : Stevenson publie Docteur Jekyll et Mister Hyde<br />
La nouvelle The Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde est publiée par l’écrivain britannique<br />
Robert Stevenson. C’est ainsi que vient au monde le Dr Jekyll, homme respectable qui a mis au point une<br />
potion très spéciale. En l’avalant, il se transforme en Mr Hyde, véritable monstre à l’apparence humaine,<br />
sans aucune morale ni pitié.<br />
1887 : première apparition pour Sherlock Holmes<br />
La première des aventures du détective Sherlock Holmes et de son ami le Docteur Watson, publiée en<br />
Angleterre est écrite par le Docteur Arthur Conan Doyle. L’écrivain s’est inspiré d’un de ses anciens<br />
professeurs d’Édimbourg pour créer le personnage de Sherlock Holmes. Les enquêtes du détective<br />
britannique passionneront les lecteurs jusqu’en 1927. C’est en 1901 que sera publiée la plus célèbre de ses<br />
aventures Le Chien des Baskerville.<br />
1895 : Oscar Wilde condamné pour homosexualité<br />
L’écrivain irlandais Oscar Wilde est condamné pour délit d’homosexualité à deux ans de travaux forcés. Il<br />
purgera cette peine dans la très répressive prison de Reading, au sud de l’Angleterre. À sa sortie de prison, il<br />
s’exilera en France et publiera le poème La ballade de la geôle de Reading en 1898. Il mourra à Paris dans la<br />
misère et la solitude en 1900.<br />
1897 : Abraham Stoker ressuscite Dracula<br />
L’écrivain irlandais Abraham Stoker publie Dracula. Le héros de ce roman, le vampire Dracula, emprunte<br />
certains de ses traits de caractère au prince Vlad III Dracul (signifiant « dragon » et « diable »), seigneur de<br />
la Transylvanie du XV e siècle, célèbre pour sa cruauté. Le livre connaîtra un énorme succès et sera<br />
popularisé par le cinéma, de Nosferatu le vampire de Murnau en 1922 à Dracula de Coppola en 1992.
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1898 : Wells imagine La guerre des mondes<br />
L’écrivain britannique Herbert George Wells publie La guerre des mondes. Il met en scène l’invasion de la<br />
planète par les Martiens. Après La machine à explorer le temps et L’île du docteur Moreau, La guerre des<br />
mondes s’ancrera elle aussi dans le domaine de la science-fiction.<br />
1900 : Joseph Conrad publie Lord Jim<br />
Le livre raconte l’histoire d’un marin qui fuit son navire et sera ensuite toute sa vie rattrapé par son passé.<br />
1910 : mort de Tolstoï<br />
Lors de ses funérailles, l’auteur de Guerre et Paix et Anna Karenine sera pleuré par des milliers de Russes.<br />
1912 : Kafka commence La métamorphose<br />
La métamorphose met en scène Grégoire Samsa qui se réveille dans le corps d’un énorme insecte. Il se débat<br />
alors sous cette nouvelle forme mais est peu à peu abandonné de tous.<br />
1913 : Proust publie le premier tome d’À la recherche du temps perdu<br />
Marcel Proust publie à compte d’auteur Du côté de chez Swann. Ce roman est le premier d’une série de<br />
7 tomes. L’œuvre complète sera achevée 17 ans plus tard et prendra le nom d’À la recherche du temps<br />
perdu. Il s’agit du roman le plus long de la langue française.<br />
1914 : l’écrivain Alain-Fournier tué au front<br />
L’écrivain français Henri Alban Fournier, dit Alain-Fournier, est tué au sud de Verdun alors qu’il vient<br />
d’avoir 28 ans. Le Grand Meaulnes, son premier et unique roman, paru en 1913, manqua d’une voix le Prix<br />
Goncourt.<br />
1923 : Le Diable au corps sort en librairie<br />
Le premier roman du jeune écrivain Raymond Radiguet, intitulé Le Diable au corps paraît dans Les<br />
Nouvelles Littéraires. Ses détracteurs l’accusent d’avoir écrit un roman cynique. Pourtant son livre<br />
remportera un extraordinaire succès. L’écrivain mourra à 20 ans, le 12 décembre, terrassé par la fièvre<br />
typhoïde. En 1947, le réalisateur Claude Autant-Lara adaptera Le diable au corps au cinéma, avec Gérard<br />
Philipe.<br />
1929 : apparition du commissaire Maigret<br />
Georges Simenon donne naissance au commissaire Maigret. Il réalisera par la suite un grand cycle des<br />
aventures policières de Maigret, remportant un succès considérable. Les enquêtes se déroulent au cœur de la<br />
France des années 1930, jusqu’à la période des années 1960.<br />
1933 : André Malraux reçoit le Goncourt<br />
Le comité Goncourt décerne le prix à André Malraux pour La condition humaine.<br />
1936 : mort de Rudyard Kipling<br />
L’auteur du célèbre Livre de la jungle (1894) s’éteint à Londres. Après avoir passé la majeure partie de sa<br />
vie dans l’Inde coloniale, il a rejoint l’Amérique pour finalement terminer ses jours en Angleterre. Kipling<br />
reçut d’ailleurs le prix Nobel de littérature en 1907.<br />
1937 : parution deThe Hobbit<br />
Le premier roman fantastique de John Ronald Reuel Tolkien, Bilbo the Hobbit, paraît en Angleterre. Inspirée<br />
des légendes celtiques du nord-ouest de l’Europe, l’épopée de Bilbo et du mage Gris Gandalf est un véritable<br />
succès. Tolkien commence alors à rédiger la trilogie Le Seigneur des Anneaux qu’il mettra quinze ans à<br />
écrire.<br />
1944 : disparition de Saint-Exupéry<br />
L’aviateur et écrivain Antoine de Saint-Exupéry, 44 ans, disparaît au cours d’une mission de reconnaissance<br />
dans le sud de la France. Humaniste, on lui doit le Petit Prince publié l’année précédente.
54 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
1947 : Boris Vian publie L’écume des jours<br />
Dans son roman le plus connu, Boris Vian dépeint l’histoire d’amour tragique entre Colin et Chloé. Le<br />
bonheur initial des deux amoureux est interrompu par la maladie de Chloé qui voit un nénuphar se<br />
développer dans sa poitrine en lui écrasant les poumons.<br />
1949 : George Orwell publie 1984<br />
Quelques mois avant sa mort précoce, l’écrivain britannique George Orwell assiste à la publication de son<br />
livre 1984. Cet ouvrage de science-fiction politique s’impose immédiatement comme un best-seller mondial.<br />
Orwell y fait une critique des systèmes totalitaires.<br />
1950 : Asimov détaille l’univers des robots<br />
Isaac Asimov publie un recueil de nouvelles intitulé Les Robots. Dans cet ouvrage, c’est toute l’histoire de<br />
l’évolution du robot qui est contée. D’abord dominée, la machine deviendra, au fil des progrès scientifiques,<br />
une entité dangereuse qui finira par prendre le pouvoir sur l’homme.<br />
1950 : les Chroniques martiennes paraissent<br />
L’écrivain américain Ray Bradbury publie un recueil de nouvelles qui remportera un grand succès. Cette<br />
fois, les terriens ne sont plus victimes d’une invasion extraterrestre, mais sont eux-mêmes les envahisseurs.<br />
Après une première tentative infructueuse en 1999, ils récidivent en 2026 et parviennent à coloniser la<br />
planète Mars, tuant la quasi-totalité des autochtones.<br />
1950 : Raymond Queneau entre au collège de Pataphysique<br />
Dans le but de poursuivre ses recherches littéraires et mathématiques, Raymond Queneau intègre le collège<br />
de Pataphysique. Le fondateur de la pataphysique, Alfred Jarry définissait la discipline comme une « science<br />
des solutions imaginaires ». Le collège, quant à lui, fut créé en 1948 et c’est dans son enceinte que sera mis<br />
en place l’Oulipo, acronyme de l’Ouvroir de littérature potentielle, en 1960.<br />
1951 : mort d’André Gide<br />
Auteur de Les Nourritures terrestres (1895) et de Si le grain ne meurt (1920), il a souvent défrayé la<br />
chronique par ses engagements politiques, en faveur du communisme et sa liberté sexuelle : il n’hésite pas à<br />
assumer ouvertement son homosexualité.<br />
1952 : François Mauriac reçoit le prix Nobel de littérature<br />
Fervent catholique, il s’est rendu célèbre avec Le baiser aux lépreux et avec ses nombreuses publications<br />
d’artiste déchiré entre ses considérations religieuses et ses envies d’homme.<br />
1953 : Bradbury publie Fahrenheit 451<br />
L’écrivain américain, Ray Bradbury publie Fahrenheit 451. Il y imagine un univers futuriste où les livres<br />
sont interdits et brûlés. Le titre fait d’ailleurs allusion à la température nécessaire à la combustion totale du<br />
papier. L’ouvrage apparaît alors comme une dénonciation du totalitarisme. Il cherche à montrer l’importance<br />
de la culture au sein de la société, par opposition à la consommation de masse.<br />
1954 : prix Nobel de littérature pour Hemingway<br />
Le prix Nobel est attribué à Ernest Hemingway. Personnage à la vie aventureuse, il est notamment l’auteur<br />
de Pour qui sonne le glas qui évoque son expérience lors de la guerre civile en Espagne.<br />
1959 : Prix de l’humour noir décerné à Zazie dans le métro<br />
L’œuvre de Raymond Queneau met en scène une jeune fille du peuple, qui, désireuse de prendre le métro<br />
parisien, se voit contrainte à traverser la ville à pied. Elle rencontre alors de nombreux personnages farfelus.<br />
1960 : mort d’Albert Camus<br />
L’écrivain et philosophe français auteur de L’Étranger et La Peste avait reçu le prix Nobel de littérature en<br />
1957. À l’intérieur de l’automobile accidentée, on retrouvera le manuscrit inachevé du récit<br />
autobiographique de Camus, Le Premier homme.
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1963 : décès d’Aldous Huxley<br />
Sa carrière littéraire reste marquée par son roman Le meilleur des mondes, publié en 1932. Il y exposait une<br />
vision très pessimiste de l’avenir de l’espèce humaine, perdue par l’obsession du bonheur.<br />
1965 : Franck Herbert imagine Dune<br />
L’écrivain américain Franck Herbert publie le premier volet du cycle de Dune. Il imagine un monde<br />
futuriste, où la principale richesse est l’épice. Cette substance qui prolonge la vie et décuple les facultés<br />
psychiques, ne se trouve que sur la planète appelée « Dune », faite uniquement de sable.<br />
1968 : Belle du Seigneur, Grand prix du roman de l’Académie française<br />
Albert Cohen publie Belle du Seigneur, qui est à la fois une peinture de l’amour passionné unissant Solal et<br />
Ariane et une satire de la société bourgeoise et des milieux diplomatiques uniquement intéressés par leur<br />
ascension sociale.<br />
1980 : mort de l’écrivain aux deux noms<br />
Le romancier français d’origine russe, Romain Gary se donne la mort à Paris. L’écrivain avait obtenu deux<br />
prix Goncourt en 1956 pour Les racines du ciel et en 1975 pour La vie devant soi, grâce à l’utilisation d’un<br />
pseudonyme, Émile Ajar.<br />
1992 : L’Amant adapté au cinéma<br />
Le roman de Marguerite Duras, L’Amant, largement autobiographique, a pour cadre l’Indochine des<br />
années 30. L’adaptation cinématographique est réalisée par Jean-Jacques Annaud.<br />
Et maintenant ?<br />
IV. LE PETIT DICTIONNAIRE DES GRANDS MYTHES<br />
Il serait bien sûr aberrant de prétendre recenser, voire résumer, en quelques pages les mythes qui ont pétri et<br />
structurent aujourd’hui encore l’imaginaire et les mentalités des cibles contemporaines. Pour autant, il n’est<br />
pas inutile de rappeler d’une part ce qui définit un mythe et en fait l’efficacité, d’autre part de prendre<br />
quelques exemples marquants et de s’interroger sur leurs utilisations possibles.<br />
D’une manière générale, un mythe est un récit qui fait sens par la mise en scène d’une origine. Alors que la<br />
démarche historique impose une chronologie, une confrontation des sources et une remise en question<br />
perpétuelle de notre vision du passé, le mythe se déroule dans un temps qui n’a pas besoin d’être situé, n’a<br />
pas besoin de vérification (son sens est beaucoup plus important que sa vérité) et il vise à façonner des<br />
mentalités plutôt qu’à engendrer des certitudes. Personne ne croit au Père Noël mais il fait sens pour tout le<br />
monde, plus personne ne cherche l’Atlantide… mais heureux qui, comme Ulysse a fait un beau voyage !<br />
Alors que les guerres napoléoniennes nous paraissent lointaines, celles des Titans sont remises au goût du<br />
jour à travers les super-héros ou les mangas. C’est que des centaines d’années nous séparent des premières<br />
alors que les secondes sont toujours présentes dans les imaginaires.<br />
La mythologie grecque nous est parvenue grâce à la poésie de la période archaïque, destinée à être chantée<br />
au cours des banquets ou lors des concours de déclamation, et si Homère en est le plus célèbre représentant,<br />
avec I’Illiade, l’Odyssée et les Hymnes homériques, Hésiode y tient également une place importante avec La<br />
Théogonie, récit plus linéaire de la création et de la constitution des premiers royaumes célestes, et Les<br />
Travaux et les Jours, où le poète raconte l’histoire de Prométhée et de Pandore, et décrit les cinq races<br />
successives de l’humanité. Plutôt que de suivre les très complexes ramifications des différents mythes qui<br />
tantôt renvoient l’un à l’autre tantôt se contredisent, prenons quelques repères… de A à Z.<br />
Achéron : Considérant son aspect sinistre et l’étymologie de son nom (« celui qui roule des douleurs »),<br />
ainsi que sa fuite dans les entrailles de la Terre (il se perd dans une profonde crevasse), les Anciens l’ont<br />
tenu pour un fleuve des Enfers que les âmes des morts, sur la barque de Charon, devaient franchir avant de<br />
résider dans leur séjour définitif. Ayant fourni de l’eau aux Titans, lorsqu’ils se révoltèrent contre les<br />
Olympiens, Achéron fut précipité par Zeus dans les Enfers.
56 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Achille : Fils de Thétis, avide de gloire et d’exploits, il suivit, en compagnie de son inséparable ami Patrocle,<br />
les deux héros grecs Nestor et Ulysse, qui rejoignaient le siège de Troie. Il préférait, malgré les<br />
avertissements de Thétis, une vie courte et glorieuse, à une existence plus longue et obscure. Sa beauté, sa<br />
bravoure, ainsi que la protection accordée par Héra et Athéna contribuèrent à accroître sa renommée.<br />
Cependant, ombrageux, excessif dans ses passions et ses rancunes, il abandonna la lutte lorsque Agamemnon<br />
lui eut ravi Briséis, la belle captive dont il était amoureux. Privés de son appui, les Grecs essuyèrent défaite<br />
sur défaite. Mais, à la nouvelle de la mort de son ami Patrocle, tué par Hector, Achille sortit de sa réserve et<br />
revêtit une armure magique, forgée par Héphaïstos à la demande de Thétis. Il s’engagea de nouveau dans la<br />
bataille, tua Hector à l’issue d’un combat singulier et traîna le corps de son ennemi tout autour de la ville de<br />
Troie avant de rendre la dépouille au roi Priam, père d’Hector. Il fut tué par une flèche de Pâris, frère<br />
d’Hector, guidé par Apollon.<br />
Andromaque : Le destin s’acharna sur cette épouse dont la fidélité conjugale et la dignité sont citées en<br />
exemple par tous les écrivains anciens. Elle vit en effet périr de la main d’Achille son père et ses sept frères<br />
au cours de la guerre de Troie. Épargnée lors du sac de la ville, elle échut en partage à Néoptolème, le fils<br />
d’Achille. Ainsi, elle dut épouser, malgré elle, le fils du meurtrier de toute sa famille.<br />
Aphrodite : Elle peut être une divinité redoutable, car elle symbolise la passion que rien n’arrête, qui rend<br />
fous d’amour ceux qu’elle veut perdre ; elle ravage même les unions légitimes, pousse les époux à l’adultère,<br />
favorise la fécondité des amours illégitimes et incite les mortels à toutes les voluptés et à tous les vices. Sur<br />
l’origine d’Aphrodite, déesse de l’amour et de la beauté, on connaît deux versions. Selon la première, elle est<br />
la fille de Zeus et de Dionée ; d’après la seconde, elle est née du sang qui tomba dans la mer quand Cronos<br />
mutila Ouranos. Ce sang féconda les flots, et Aphrodite surgit du creux d’une vague, aussi blanche et aussi<br />
belle que l’écume. Épouse d’Héphaïstos (dieu de la forge, du feu technique), elle trompa fréquemment le<br />
dieu et conçut en particulier un amour passionné pour Arès (dieu de la guerre), auquel elle donna un fils :<br />
Éros. Elle devait encore trahir Héphaïstos en partageant la couche de Dionysos (dieu de la fête), d’Hermès<br />
(dieu des voyages et des voleurs) et de Poséidon (dieu des eaux). Elle aima enfin passionnément Adonis,<br />
symbole de la végétation qui renaît chaque année à la vie et à l’amour. Elle reçut de Pâris la fameuse pomme<br />
d’or et témoigna sa reconnaissance au héros troyen en faisant naître entre lui et Hélène un amour qui devait<br />
être si fatal à la ville de Troie.<br />
Apollon : Il naquit à Délos, où sa mère Léto, séduite par Zeus, se réfugia afin d’échapper à la jalousie<br />
d’Héra. Apollon eut une sœur jumelle Artémis, en compagnie de laquelle il est souvent représenté dans les<br />
légendes. Il vint à Delphes et commença là sa carrière. Il se distingua, non loin de cette ville en tuant le<br />
serpent Python, qui vivait dans une caverne du Mont Parnasse. Apollon est avant tout, aux yeux des Grecs,<br />
un dieu aimable et le chef des prophéties et de la divination : la pythie parle en son nom. Il est la divinité<br />
tutélaire de tous les arts, le symbole du soleil et de la lumière civilisatrice.<br />
Ariane : Fille de Minos et de Pasiphaé, elle s’éprit de Thésée, venu en Crète, et lui fournit le fil (le fil<br />
d’Ariane) qui permit au héros athénien de ne pas s’égarer dans les couloirs du labyrinthe et de tuer le<br />
Minotaure.<br />
Artémis (Diane pour les Romains) : Sœur jumelle d’Apollon, armée de flèches, elle tue impitoyablement<br />
ceux qui d’une manière ou d’une autre, ont osé insulter sa personne divine. D’une manière générale, elle est<br />
responsable des morts soudaines : ses flèches sont toujours précises, foudroyantes et mortelles. Belle, chaste<br />
et vierge, ombrageuse et jalouse de ses talents de chasseresse, elle punit Actéon, qui prétendait la surpasser,<br />
en le transformant en cerf et en le faisant dévorer par ses chiens.<br />
Athéna : Alors qu’elle était enceinte d’Athéna, la déesse Métis (la ruse) fut avalée par Zeus, son amant, qui<br />
craignait que l’enfant qu’elle portait ne le détrônât. Mais le dieu ressentit bientôt les douleurs d’un violent<br />
mal de tête. Héphaïstos lui fendit le crâne d’un coup de hache. Athéna sortit de la déchirure de sa tempe, tout<br />
armée et casquée, poussant un immense cri de guerre. Elle est le symbole divin de la civilisation grecque,<br />
dominant le monde.<br />
Atlas : Ce géant appartient à la première génération des dieux, antérieure aux Olympiens. Avec ses frères, il<br />
combattit Zeus et, en punition de ce crime, fut condamné à porter le ciel sur ses épaules.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 03 57<br />
Charybde : Fille de Poséidon et de Gaia, animée d’un appétit féroce, Charybde déroba à Héraclès quelques<br />
têtes de bétail pour les dévorer. Zeus la frappa de la foudre pour la punir et la précipita au fond d’un gouffre<br />
du détroit de Messine, en face du monstre Scylla. Charybde engloutit trois fois par jour d’énormes paquets<br />
d’eau et attire dans ses tourbillons les navires, puis les rejette dans un mugissement terrifiant. Quant<br />
aux marins qui changent de cap pour éviter Charybde, ils sont aussitôt rejetés vers Scylla qui s’empresse de<br />
les dévorer.<br />
Cronos : Ce Titan, le plus jeune des fils d’Ouranos et de Gaia, gouverna l’univers avant le règne de Zeus et<br />
des dieux de l’Olympe. Afin d’obtenir la toute-puissance, il n’hésita pas à émasculer son père, et à s’unir à sa<br />
sœur Rhéa, dont il eut de nombreux enfants, qui devaient devenir des dieux célèbres dans toute la Grèce, tels<br />
qu’Hestia, Déméter, Héra, Hadès, Poséidon et enfin Zeus lui-même. Toutefois, pour conserver son trône, il<br />
dut s’entendre avec les autres Titans, qui lui demandèrent de faire disparaître sa postérité. Cronos dévora<br />
donc ses enfants, sauf Zeus, auquel sa mère substitua une pierre enveloppée de langes, que Cronos avala sans<br />
s’apercevoir de la supercherie. Mais, devenu adulte, Zeus entra en rébellion contre son père et le força à<br />
restituer ses frères et ses sœurs. Avec leur aide, il combattit les Titans fidèles à Cronos et s’empara pour<br />
toujours du pouvoir divin.<br />
Dionysos : Lié au vin et à l’ivresse, le culte de Dionysos est présent dans toute la Grèce, comme la culture de<br />
la vigne. Le dieu est le symbole de la puissance enivrante de la nature, de la sève qui gonfle les grains de<br />
raisin. À l’époque classique, Dionysos prend l’allure du dieu de la vie joyeuse, des jeux et des fêtes, dont il<br />
aime à s’entourer au milieu des Bacchantes (d’où sont nom romain « Bacchus »). Par association, il devient<br />
le dieu du théâtre et surtout de la comédie issue de la fête.<br />
Éole : Dieu des vents, fils de Poséidon il règne sur ses sujets, enfermés dans une caverne des îles Éoliennes<br />
ou retenus prisonniers dans des outres. Il ne leur donne leur essor que sur l’ordre Zeus. S’il lui arrive de lui<br />
désobéir et de libérer les vents, sans y être convié, il déchaîne les désastres, tempêtes et naufrages.<br />
Gorgones : Divinités primordiales, elles résident non loin du royaume des Ombres, dans des lieux inconnus.<br />
Elles ont un aspect terrifiant : une tête énorme, hérissée d’une chevelure vipérine, des dents aussi longues<br />
que des boutoirs de sanglier, des ailes d’or qui leur permettent de cingler à travers les cieux. Leurs yeux<br />
démesurés changent en pierre quiconque les fixe. Seule Méduse, la plus célèbre des Gorgones, est mortelle et<br />
périt de la main de Persée.<br />
Hermès : Intelligent, rusé et fraudeur (dieu des voleurs), Hermès est vénéré par les Grecs comme le patron<br />
des orateurs, inventeur de l’alphabet, de la musique, de l’astronomie, des poids et mesures (dieu des<br />
commerçants), de la gymnastique. Des statues lui sont élevées aux carrefours et au bord des routes. Il est<br />
d’abord le protecteur du quotidien aventureux (dieu des voyageurs).<br />
Œdipe : Le roi de Thèbes, Laïos, inquiet de ne pas avoir d’héritier, alla consulter l’oracle de Delphes. Celuici<br />
prédit que le fils qui lui naîtrait tuerait son père et épouserait sa mère. Malgré ces fatales prédictions, un<br />
enfant naquit à la cour. Jocaste, sa mère, effrayée par l’oracle, l’abandonna après lui avoir percé les chevilles<br />
d’une aiguille et les lui avoir liées avec une lanière. Des bergers recueillirent l’enfant et l’appelèrent Œdipe<br />
(« pied enflé »). Devenu adulte, dans un défilé, non loin de Delphes, il croisa Laïos sans savoir que celui-ci<br />
était son père et, s’étant pris de querelle avec lui le tua. Poursuivant sa route et parvenu aux portes de<br />
Thèbes, il rencontra le Sphinx, monstre terrifiant, qui posait une énigme aux voyageurs et les dévorait s’il<br />
n’obtenait pas de réponse. Œdipe sut trouver la bonne réponse et le Sphinx, dépité, se jeta du haut d’un<br />
rocher et se tua, délivrant ainsi le pays de la terreur. Accueilli à Thèbes comme un bienfaiteur, Œdipe fut<br />
nommé roi et épousa Jocaste, ignorant qu’elle était sa mère. Quand la vérité apparut, Jocaste se pendit ;<br />
Œdipe se creva les yeux et, chassé de Thèbes, erra en mendiant, accompagné de sa fille, Antigone, qui seule,<br />
lui était restée fidèle.<br />
Pandore : Quand Prométhée eut dérobé le feu du ciel pour en faire présent aux hommes, les dieux de<br />
l’Olympe, afin de punir la race trop puissante des mortels modelèrent une jeune femme à laquelle ils<br />
donnèrent tous les dons (pan-dora). On l’envoya sur la Terre pour séduire les mortels et les conduire à leur<br />
perte. Épiméthée, le frère de Prométhée, la choisit pour épouse. Pandore, un jour, par curiosité, souleva le<br />
couvercle d’une jarre qu’elle devait garder fermée et en laissa échapper tous les maux qui se répandirent sur<br />
la Terre. Seule l’espérance resta au fond du récipient.
58 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Sisyphe : Surtout connu pour la peine qui lui fut infligée dans les Enfers, il est condamné à rouler une pierre<br />
jusqu’au sommet d’une montagne. Il ne peut jamais parvenir à son but, et l’énorme bloc retombe toujours.<br />
L’infortuné est contraint de recommencer éternellement son travail.
U9K25-F1/1 59<br />
SÉQUENCE 04<br />
LES CULTURES DES CIBLES (SUITE).......................................................................................................... 60<br />
SÉANCE 2. LA CULTURE DOMINANTE .................................................................................................... 60<br />
I. NORMES : OPINIONS DOMINANTES.................................................................................. 60<br />
II. VALEURS : CULTURES DOMINANTES ............................................................................. 61<br />
A. DES « LOISIRS » SI RÉVÉLATEURS…..........................................................................................61<br />
B. LE TEST DU MUSÉE ..........................................................................................................................62<br />
SÉANCE 3 : LES CULTURES COMMUNAUTAIRES ............................................................................... 64<br />
I. COMMUNAUTÉS ET EXHIBITION : LES PARENTS ET LES TRANSPARENTS.......... 64<br />
II. COMMUNAUTÉS ET REPLI : COMMUNAUTARISMES ET TRIBUS............................ 66<br />
III. DU MELTING POT AU SALAD BOWL............................................................................... 67<br />
SÉANCE 4 : CULTURES POPULAIRES ET CULTURES DU PRÉSENT ............................................. 69<br />
I. CULTURES POPULAIRES....................................................................................................... 69<br />
A. UN CONCEPT FLOU MAIS INDISPENSABLE..............................................................................69<br />
B. DU FOLKLORE À LA CULTURE POPULAIRE.............................................................................70<br />
C. L’IMAGERIE POPULAIRE ................................................................................................................70<br />
D. LE ROMAN POPULAIRE...................................................................................................................72<br />
II. MODE ET TENDANCES.......................................................................................................... 73<br />
A. CONSOMMATION GÉNÉRALE : LA GRANDE RÉORGANISATION DES DÉPENSES<br />
INDIVIDUELLES ET FAMILIALES….............................................................................................73<br />
B. UNE VÉRITABLE OBSESSION DE LA SANTÉ ET DE LA FORME..........................................74<br />
C. UNE RÉCLAMATION UNANIME : VIVRE EN TOUTE SÉCURITÉ..........................................74<br />
D. LA VIE DE FAMILLE, UNE VALEUR (TOUJOURS) MONTANTE...........................................74<br />
E. LES LOISIRS, UN NOUVEAU DROIT ESSENTIEL DE L’ÊTRE HUMAIN..............................75
60 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
LES CULTURES DES CIBLES (SUITE)<br />
SÉANCE 2. LA CULTURE DOMINANTE<br />
I. NORMES : OPINIONS DOMINANTES<br />
« Non seulement l’opinion commune est le seul guide qui reste à la raison individuelle chez les<br />
peuples démocratiques ; mais elle a chez ces peuples une puissance infiniment plus grande que<br />
chez nul autre. Dans les temps d’égalité, les hommes n’ont aucune foi les uns dans les autres, à<br />
cause de leur similitude ; mais cette même similitude leur donne une confiance presque illimitée<br />
dans le jugement du public ; car il ne leur paraît pas vraisemblable qu’ayant tous des lumières<br />
pareilles, la vérité ne se rencontre pas du côté du plus grand nombre. »<br />
TOCQUEVILLE, Alexis de (1840), De la démocratie en Amérique<br />
Partout la communication tend à prendre le pas sur l’information, entendons par là que les acteurs de la vie<br />
publique ne se contentent plus d’agir en laissant à d’autres le soin de faire le compte rendu de leurs actes : ils<br />
anticipent sur le récit à venir et mettent en scène leurs actions de telle manière qu’elles s’intègrent au mieux<br />
dans la « story » dont ils sont les héros avisés. Les communicants deviennent les maîtres du jeu ; « Spin<br />
doctor’s », c’est le nom que l’on donne aux États-Unis et au Royaume uni à ces « maîtres de l’embobine »<br />
chargés de gérer l’opinion publique.<br />
À la fin des années 1990, le budget américain de l’industrie des relations publiques est supérieur à celui de<br />
la publicité et le nombre des salariés des agences des relations publiques (150 000) dépasse celui des<br />
journalistes (130 000) 1. Ainsi 40 pour cent de ce qui est publié dans la presse est-il directement reproduit,<br />
sans altération des communiqués des « Public relations ». 2<br />
Deux chiffres suffisent à caractériser le pouvoir médiatique planétaire : il vit aux deux tiers de la publicité<br />
et dépense chaque année deux fois le budget de l’état français. Au niveau mondial, le chiffre d’affaires de la<br />
télévision, hors subventions, est voisin de 220 milliards de dollars en 2006, dont environ 160 milliards<br />
financés par la publicité, soit 70 %. Le chiffre d’affaires mondial des journaux et magazines est voisin en<br />
2006 de 275 milliards de dollars, dont environ 175 milliards financés par la publicité, soit 65 %, en<br />
augmentation, avec un maximum de 88 % aux États-Unis. En ajoutant les radios, cela fait environ<br />
540 milliards de dollars par an, soit presque deux fois les dépenses annuelles de l’état français.<br />
L’information devient « infotainement », une information de divertissement. Ce néologisme forgé à partir de<br />
entertainment (divertissement) comme outil et advertising (publicité) explique qu’en France les grandes<br />
émissions politiques des précédentes décennies, faites par des journalistes, ont cédé la place aux émissions<br />
de divertissement. Les hommes politiques préfèrent de loin passer chez des animateurs que chez des<br />
journalistes pour promouvoir leurs idées et surtout leur personne.<br />
La captation de l’imaginaire et le conditionnement psychologique des consommateurs se font à un âge de<br />
plus en plus précoce. Selon une étude d’une équipe de chercheurs de l’université de Stanford (Californie), 48<br />
pour cent des enfants âgés entre 3 et 5 ans sont conditionnés par la publicité dans leur goût alimentaire. Le<br />
directeur de l’équipe, le Docteur Thomas Robinson, chef du département de pédiatrie à la faculté de<br />
médecine de Stanford préconise de « réguler voire de bannir la publicité et le marketing des produits hautes<br />
calories et à faible valeur nutritionnelle, ou d’interdire tout marketing visant directement les jeunes enfants ».<br />
D’autant, estiment les chercheurs, qu’une telle pub est « par essence déloyale », parce que « les moins de<br />
7/8 ans sont incapables de comprendre les visées persuasives de la publicité ».<br />
1 John STAUBER et Sheldon RAMPTON, Toxic sludge is good for you, Common Courage Press.<br />
2 Paul MOREIRA, Les nouvelles censures – Dans les coulisses de la manipulation de l’information, Éditions Robert Laffont, février<br />
2007
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 04 61<br />
Avec le lancement de la campagne présidentielle française, en 2007, les publicitaires ont affiné leurs<br />
recherches et leur ciblage. Ils se livrent désormais au « Neuromarketing », une technique qui permet de<br />
déterminer la combinaison média idéale pour une meilleure pénétration du message. L’étude peut dès lors<br />
déterminer l’impact d’un message publicitaire sur la « mémoire explicite » (la mémoire consciente) ainsi<br />
que sur la « mémoire implicite », ce que le cerveau enregistre à l’insu de la personne.<br />
Le citoyen actif semble donc céder le pas au consommateur passif…<br />
II. VALEURS : CULTURES DOMINANTES<br />
Masquée par ceux qui la possèdent, méprisée par ceux qui l’ignorent ; que vaut la culture dans une société de<br />
l’efficacité, du profit, du rentable ? Elle est considérée apparemment comme un bien dérisoire et inutile,<br />
quand on parle formation, insertion économique ou réduction des dépenses publiques. La santé s’est<br />
installée sur la plus haute marche du podium des préoccupations des Français, devant l’éducation et le<br />
social. Le reste devient anecdotique, alors qu’il se révèle le principal facteur de différenciation.<br />
La lecture, le cinéma, la musique, la danse, le théâtre, les nouvelles technologies, les arts plastiques…<br />
apparaissent comme des loisirs, pourtant ces loisirs-là, ou plutôt leur absence, coûtent très cher à ceux qui les<br />
négligent. Il n’y a pas une seule étude qui ne souligne que, la première et la plus forte des inégalités, repose<br />
sur cet accès à une forme très basique de culture. Le fossé se creuse même à une vitesse folle entre les<br />
adolescents, et devient irrémédiable chez les 20-25 ans. Les inégalités culturelles sont aujourd’hui, avec<br />
l’argent mais de manière beaucoup moins ostensible, la principale source de hiérarchisation sociale.<br />
Nul ne peut ignorer que, face à la recherche d’emploi, les fameux entretiens d’embauche reposent très<br />
souvent sur la capacité à communiquer et à utiliser ce que l’on appelle la « culture générale ». Il faut<br />
désormais convaincre, séduire, démontrer son esprit créatif et posséder une grande adaptabilité, afin de se<br />
frayer une place dans une entreprise ou une collectivité territoriale. Où l’on voit que la culture dominante ne<br />
peut plus être définie, elle-même, de façon statique. Tout autant que des connaissances, ce sont des codes,<br />
des manières d’être, des pratiques qui forment la culture dominante. Entendons par là, la culture des<br />
dominants.<br />
A. DES « LOISIRS » SI RÉVÉLATEURS…<br />
En contradiction flagrante avec le discours relativiste couramment répandu qui présente les « goûts et les<br />
couleurs » comme des choix individuels largement déconnectés des contraintes sociales, toutes les enquêtes1 montrent que les attitudes en matière de loisirs et de pratiques culturelles sont d’abord gouvernées par une<br />
logique de cumul, qui distingue les individus en fonction du nombre et de la fréquence des activités<br />
pratiquées.<br />
Contrairement à l’idéologie du choix s’affirme la réalité de l’accumulation. Concernant les pratiques<br />
culturelles et sportives, un constat simple s’impose : on a d’autant plus de chances d’en pratiquer une que<br />
l’on pratique déjà l’autre. Seuls, l’usage de la télévision, la chasse et la pêche semblent échapper à cette<br />
logique.<br />
La position occupée sur l’échelle du cumul d’activité apparaît fortement liée au niveau d’éducation, plus<br />
qu’au niveau de revenu. Globalement, 3 profils distincts apparaissent : d’une part les individus passifs<br />
(culturellement et sportivement), à l’exception d’un usage intensif de la télévision, d’autre part les actifs,<br />
voire hyperactifs, dont les uns mettent plus l’accent sur la culture les autres sur le sport, sans qu’il y ait une<br />
opposition radicale entre les 2 attitudes. On s’en doutait, l’orientation à l’égard de ces 3 profils apparaît à son<br />
tour fortement liée au niveau d’éducation, mais aussi à la catégorie socioprofessionnelle, aux caractéristiques<br />
du cadre de vie et aux sexes.<br />
1 Les pratiques culturelles et sportives des Français : arbitrage, diversité et cumul, Insee 2003
62 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Il est important de comprendre en quoi les différences de pratiques culturelles obéissent à des principes<br />
d’accumulation et d’intensification qui creusent spontanément les écarts. Le caractère « addictif » de<br />
certains biens culturels est connu, ainsi en est-il de l’écoute musicale. On sait que la satisfaction retirée de la<br />
consommation obéit à un principe d’utilité croissante (la satisfaction retirée de l’écoute musicale croît avec<br />
la multiplication des expériences d’écoute). De même qu’il se crée dans l’écoute musicale un capital de<br />
compétence spécifique réutilisé par la suite et qui accroît la « productivité », en encourageant et en facilitant<br />
l’accès à des pièces nouvelles ou plus exigeantes, de même la pratique d’un certain nombre d’activités<br />
culturelles ou sportives nécessitant initiation ou entraînement revêt un caractère auto-entretenu. Plus je<br />
fais, plus c’est facile, plus j’aime, plus je fais…<br />
L’« effet de dotation » 1 (endowment effect) peut lui aussi contribuer à expliquer l’accumulation. Il y a en<br />
effet une tendance à valoriser plus fortement un objet ou une pratique quand on les possède ou maîtrise<br />
qu’on ne le faisait avant. Toute activité dans laquelle on s’engage tend à rester dans le stock des pratiques,<br />
qui est donc mécaniquement voué à s’enrichir au fil du temps.<br />
B. LE TEST DU MUSÉE<br />
Quand on interroge les gens qui n’ont pas visité un seul musée dans les 12 derniers mois 2, la réponse très<br />
largement dominante est « parce que ça ne m’intéresse pas » mais si l’on croise cette réponse avec celles<br />
apportées à d’autres questions visant à déterminer un ou des profils types, on s’aperçoit de l’existence de<br />
régularités troublantes.<br />
« Ceux que les musées n’intéressent pas » sont traditionalistes en matière de mœurs : ils pensent plus souvent<br />
que les femmes ne devraient jamais travailler lorsqu’elles ont des enfants en bas âge ; que la famille est le<br />
seul endroit où l’on se sente bien et détendu. Ils s’imposent plus fréquemment des restrictions sur plusieurs<br />
postes de leur budget, partent moins souvent en vacances, sont plus souvent inquiets (risque de maladie,<br />
d’accident de la route,…). Surtout, ils baignent dans un réseau social moins dense, reçoivent rarement des<br />
amis ou des relations chez eux, et participent peu à des associations.<br />
Autrement dit et a contrario, le visiteur de musée répond à un statut social tel qu’il se différencie nettement<br />
du reste de la population par un niveau de vie peu contraignant, une plus forte sociabilité, moins<br />
d’inquiétudes et un modernisme certain en matière de mœurs.<br />
Ce qui est vécu comme un goût (ou un dégoût) individuel et spécifique (j’aime ceci et cela mais pas les<br />
musées) apparaît impitoyablement comme relevant d’un déterminisme collectif permettant de définir une<br />
typologie relativement nette.<br />
1 LOEWENSTEIN et ADLER, 1995<br />
2 Source : CREDOC rapport n° 240
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 04 63<br />
Estime que, quand on<br />
sort d’un musée, on a<br />
toujours le sentiment<br />
d’avoir appris quelque<br />
chose<br />
Estime que aller dans un<br />
musée est un vrai plaisir<br />
Estime que les musées<br />
permettent de mieux<br />
comprendre la société<br />
dans laquelle on vit<br />
Estime que, dans les<br />
musées, on est livré à<br />
soi-même, sans avoir<br />
vraiment d’explications<br />
Estime que les musées<br />
n’intéressent pas les<br />
enfants<br />
Estime que les musées<br />
sont chaleureux<br />
Estime que, aller dans un<br />
musée, c’est très<br />
ennuyeux<br />
Estime que les musées<br />
sont réservés à une élite<br />
Estime que les horaires<br />
d’ouverture des musées<br />
sont bien adaptés<br />
Estime que les prix des<br />
musées sont trop élevés<br />
Estime que beaucoup de<br />
musées sont aménagés<br />
pour le confort des<br />
visiteurs<br />
TABLEAU A<br />
Les attitudes sur les musées dans chacune des cinq classes de la typologie<br />
Classe 1 Classe 2 Classe 3 Classe 4 Classe 5<br />
Les<br />
passionnés<br />
(34 % de la<br />
population)<br />
Les amateurs<br />
en attente de<br />
pédagogie<br />
(20 % de la<br />
population)<br />
Les<br />
distraits<br />
(15 % de la<br />
population)<br />
Les<br />
critiques<br />
(18 % de la<br />
population)<br />
Les<br />
réfractaires<br />
(13 % de la<br />
population)<br />
Ensemble<br />
de la<br />
population<br />
99 100 99 93 40 89<br />
94 97 61 47 4 67<br />
82 86 95 23 21 63<br />
0 100 78 82 51 52<br />
29 43 79 55 68 48<br />
69 66 62 9 13 48<br />
3 1 50 33 86 27<br />
6 5 83 10 49 24<br />
80 75 76 68 57 72<br />
57 61 73 69 64 62<br />
72 65 70 42 40 59<br />
Credoc, Enquête « Conditions de vie et aspirations des Français », début 2005<br />
Traduite en termes de classes sociales, l’enquête montre bien que les cadres supérieurs, les diplômés et les<br />
individus au pouvoir d’achat élevé disent, plus souvent qu’en moyenne, qu’ils prennent du plaisir à aller au<br />
musée. Ils considèrent en outre que les musées ne sont pas réservés à une élite, et qu’on n’y est pas livré à<br />
soi-même, sans explications. Les seniors et les Franciliens ont une conception plus individualiste des<br />
musées : comme les diplômés du supérieur, ils apprécient les musées, mais ils pensent plus fréquemment que<br />
ces lieux, où on est livré à soi-même, ne sont finalement pas accessibles à tout le monde, car on n’y donne<br />
pas vraiment d’explications. Ce sont des amateurs en attente de pédagogie.<br />
À l’inverse les groupes qui pensent que l’on s’ennuie au musée, que l’on n’y apprend pas grand-chose,<br />
qu’ils n’intéressent pas les enfants, etc. sont constitués par les jeunes, les ouvriers et les individus disposant<br />
de revenus modestes. Les non-diplômés se montrent fatalistes : ils estiment que les musées sont réservés à<br />
une élite – à laquelle ils n’appartiennent pas –. Ils se disent moins souvent que les autres que l’on peut<br />
prendre du plaisir à visiter un musée. D’ailleurs, ils sont assez peu nombreux à s’y rendre.
64 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Brièvement résumé, ce test montre bien que, contrairement à une thèse couramment répandue dans les<br />
médias et le monde du politiquement correct, les pratiques culturelles sont très étroitement corrélées au<br />
niveau de vie et aux diplômes mais que ce n’est pas le prix en tant que tel qui est discriminant (ce serait<br />
moins vrai pour le théâtre) mais la représentation de soi et de la pratique associée.<br />
SÉANCE 3 : LES CULTURES COMMUNAUTAIRES<br />
I. COMMUNAUTÉS ET EXHIBITION : LES PARENTS ET LES<br />
TRANSPARENTS<br />
Les réseaux sociaux suscitent un réel engouement, surtout chez les jeunes. Pour Josh Freed,<br />
éditorialiste canadien, c’est la plus importante fracture générationnelle depuis des décennies, qu’il<br />
résume ainsi : d’un côté, nous avons la « génération des parents », de l’autre, la « génération des<br />
transparents ». L’une cherche à protéger sa vie privée de manière quasi-obsessionnelle, l’autre<br />
sait à peine ce que c’est. La génération des transparents a passé toute sa vie sur scène, depuis que<br />
leurs embryons ont été filmés par une échographie alors qu’ils n’avaient que huit semaines…<br />
Ils adorent partager leurs expériences avec la planète entière sur MySpace, Facebook ou Twitter et<br />
pour eux, Big Brother est un reality show. La génération des parents voit cette transparence<br />
comme un cauchemar. Aux États-Unis, elle a grandi à l’ombre de McCarthy et des espions de la<br />
CIA, et est plutôt paranoïaque dès qu’il s’agit de partager des données personnelles, de passer à la<br />
banque en ligne ou même d’acheter un livre sur Amazon. Josh Freed raconte ainsi qu’à peine<br />
rentré de vacances, son fils mit en ligne toutes les photos de famille, en maillots de bain, avant que<br />
sa mère, l’apprenant, ne les en retire plus rapidement qu’un censeur chinois.<br />
Comme le souligne Elizabeth Denham, commissaire adjointe à la protection de la vie privée du<br />
Canada, habitués à être regardés, filmés, et photographiés, avant même que d’être nés, les jeunes<br />
se retrouvent aujourd’hui à « se demander si les choses se passent réellement quand personne ne<br />
les regarde ».<br />
En 2006 déjà, Danah Boyd, l’une des plus fines observatrices de ce que font les jeunes sur le Net,<br />
remarquait elle aussi que les adolescents étaient d’autant plus « blasés » par la notion de vie<br />
privée, et qu’ils avaient d’autant plus de mal à percevoir les risques posés par la « société de<br />
surveillance », qu’ils ont eux-mêmes grandi en étant constamment surveillés par ceux qui, parents<br />
et enseignants notamment, affectent, dirigent ou contrôlent directement leur vie privée. Leur<br />
panoptique personnel, le monde de surveillance dans lequel ils vivent, (administrés par des<br />
personnes qu’ils connaissent et voient quotidiennement) est bien plus intrusif, menaçant, direct et<br />
traumatique que ne pourraient l’être des panoptiques gouvernementaux ou contrôlés par des<br />
entreprises privées.<br />
En 2007, la journaliste Emily Nussbaum avait tiré un magnifique portrait de ces enfants du<br />
numérique, qui ont grandi de concert avec la numérisation de la société, et qui ont une tout autre<br />
approche de la vie privée. Le début est volontairement caricatural, la suite nettement plus<br />
stimulante : « Les enfants d’aujourd’hui n’ont aucune pudeur, sentiment de honte, ni de vie privée.<br />
Ce sont des frimeurs, des putains de la célébrité, de petits vauriens pornographiques qui mettent en<br />
ligne leurs journaux intimes, numéros de téléphone, poésies stupides et photos cochonnes. Ils ont<br />
plus d’amis virtuels que d’amis réels. Ils se parlent par messages instantanés et illettrés. Ils ne<br />
s’intéressent qu’à l’attention qu’ils peuvent engendrer, et pourtant, ils sont au degré zéro de la<br />
concentration, comme des colibris voletant d’une scène virtuelle à l’autre ».<br />
Si, pour les ados, il peut sembler plus important d’être vu que d’avoir du talent, on aurait tort,<br />
pour autant, de croire que leur horizon se limite à la téléréalité et à la « peoplisation », souligne<br />
Emily Nussbaum :<br />
« Nous discutons de quelque chose de plus radical parce que plus ordinaire : nous sommes au<br />
centre d’une vaste expérimentation psychologique, qui commence à peine à produire des résultats.<br />
Un nombre considérable de jeunes gens partage publiquement plus de données personnelles
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 04 65<br />
qu’aucune personne plus âgée ne l’a jamais fait, et ils semblent pourtant mystérieusement en<br />
bonne santé et normaux, et dotés d’une définition totalement différente de la vie privée.<br />
Filmés avant même que d’être nés, placés sous constante surveillance depuis par ceux qui les<br />
aiment ou sont chargés de les éduquer, ils se sont faits à l’idée que la vie privée est une illusion :<br />
vidéosurveillance, traçabilité des communications et paiements bancaires… la dématérialisation<br />
des procédures, et la numérisation de la société, font que nos traces sont dorénavant enregistrées et<br />
stockées, souvent par des entreprises privées, et généralement au nom de la loi. »<br />
« Il serait peut-être donc temps d’envisager la possibilité que ces jeunes, qui agissent comme si la<br />
vie privée n’existait pas, sont de fait des personnes saines, et que les plus aliénés ne sont pas ceux<br />
qu’on croit.<br />
Pour quelqu’un comme moi, qui a grandi en fermant à clef mon journal intime, ça risque d’être<br />
difficile à accepter. Mais dans les circonstances actuelles, une attitude de déni consistant à garder<br />
les choses pour soi n’est peut-être pas très noble. C’est peut-être un artefact, vieillot et naïf,<br />
comme de croire que la virginité rend les jeunes filles pures. Mais ceux qui ont grandi en se<br />
montrant ont aussi découvert que les bénéfices de la transparence valaient la peine d’être tentés. »<br />
Cherchant à mieux appréhender ce qui a changé, Emily Nussbaum observe trois principales<br />
restructurations propres à ces individus sociaux, résumées par François Guité, enseignant et<br />
spécialiste de l’Internet, comme suit :<br />
— Ils se perçoivent comme ayant un auditoire. C’est la conséquence logique d’une génération<br />
MySpace qui ne craint pas de s’afficher en ligne et de publier ses états d’âme.<br />
— Ils ont archivé leur adolescence. Tout y est : textes, photos, vidéos, musique. Leur mémoire est<br />
non seulement consignée dans un album numérique, mais elle est partagée.<br />
— Leur carapace est plus épaisse que la nôtre. Que ce soit dans la messagerie instantanée ou les<br />
blogs (le courrier électronique est une technologie de dinosaures), ils sont habitués au « flaming »<br />
(engueulades et insultes en ligne).<br />
Pour eux, il ne sert à rien d’aller à une soirée si ce n’est pas, aussi, pour en faire des photos et les<br />
partager, ce en quoi ils ne sont pas très différents des générations d’avant, qui gardaient en<br />
Super8, VHS ou en photos papier les traces de leurs histoires. La différence est que ces documents<br />
sont souvent partagés sur des réseaux sociaux, et non gardés chez soi, pour soi. Pour autant, cette<br />
« extimité » relève moins de l’exhibitionnisme qu’elle ne dépend des outils qu’ils utilisent (il est<br />
plus simple et moins coûteux de mettre ses photos en ligne que de les développer sur support<br />
papier) mais aussi, voire surtout, d’une forme de romantisme qui ne relève pas que de la crise<br />
d’adolescence, comme l’explique Caitlin Oppermann, 17 ans, qui avait commencé à bloguer à<br />
l’âge de 12 ans.<br />
« Si je ne l’efface pas, je serai toujours là. Ma génération aura accès à toute son histoire, nous<br />
pouvons documenter les choses si facilement. Je suis très sentimentale, je suis sûre que cela a<br />
quelque chose à voir avec ça. ». Internet est un espace où le fait de se montrer les seins nus n’a pas<br />
grande importance, mais où tout un chacun peut se faire connaître, gagner de l’attention et de la<br />
réputation, en se montrant sous un jour un peu plus vulnérable.<br />
Ils sont certes plus ou moins conscients que ces documents et traces pourraient leur être un jour<br />
reprochés –par un employeur notamment – sans parler de la façon qu’auront leurs propres enfants<br />
de découvrir ces souvenirs, et les quelques frasques qu’ils n’auront pas effacées. Mais le fait de<br />
s’exposer est d’abord et avant tout, comme dans la rue ou la cour de récréation, un moyen d’entrer<br />
en contact avec les autres, ou de maintenir et prolonger ce contact, de trouver un(e) petit(e) ami(e),<br />
d’être félicité pour la qualité des photographies, voire d’être repéré par un futur employeur…<br />
pourquoi dès lors faudrait-il s’en priver et ne se focaliser que sur le faible risque associé ? Jusqu’à<br />
preuve du contraire, on court plus de risque en sortant de chez soi, à pied ou en voiture, qu’en<br />
allant sur Facebook ou Flickr !<br />
Depuis qu’ils communiquent, ils sont habitués à être confrontés à ce que Danah Boyd qualifie<br />
d’audiences invisibles, à savoir tous ceux à qui, sans être pour autant leurs « amis » est destiné, a<br />
priori, ce qu’ils mettent en ligne, et qui ne peuvent pas moins devenir des lecteurs, critiques ou<br />
laudateurs… et donc aussi les « juger », plutôt que seulement les lire ou les regarder. Ils ont ainsi<br />
appris à moduler leur ton pour s’adresser à ces différents types d’auditeurs, sachant également<br />
qu’un message instantané ou un e-mail peuvent être copiés/collés et qu’un « chat » peut être
66 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
archivé : « cette façon de communiquer oblige les gens à être constamment conscients du fait que<br />
tout ce qu’ils publient pourra, et sera, retenu contre eux ».<br />
En ce sens, les adolescents sont confrontés aux mêmes types de problèmes et précautions que les<br />
hommes politiques et les « people » : ils sont, eux aussi, devenus – au sens littéral – des<br />
personnalités publiques. À ce titre, ils ont aussi adopté les mêmes réflexes que les célébrités, et<br />
savent donc qu’il vaut mieux tenter de profiter de l’attention de ceux qui s’intéressent à vous, mais<br />
aussi de devancer l’appel en contrôlant votre communication plutôt que de voir quelqu’un d’autre<br />
le faire à votre place, et donc risquer d’en faire les frais.<br />
À l’instar des personnalités publiques, les ados doivent également apprendre à être jugés, mal<br />
compris, caricaturés, critiqués… Le sexe n’étant pas l’apanage des célébrités, certaines jeunes<br />
filles anonymes ont ainsi elles aussi droit à leur sex-tape, mise en ligne par leur ex-petit ami<br />
généralement, profitant du fait que 10 à 20 % des jeunes reconnaissent avoir déjà envoyé des<br />
photos (ou « sextos ») d’eux, nus, sur le Net ou via leurs téléphones mobiles.<br />
Il n’est pas inutile, cela dit, de rappeler que le nombre de violences sexuelles dues à l’exposition<br />
de soi sur le Net est infime en comparaison du nombre d’agressions sexuelles (notamment dans les<br />
sphères intrafamiliales) auxquelles les jeunes peuvent être confrontés « IRL » (dans « leur vraie<br />
vie », « In Real Life »). Par contre, elles font l’objet de toutes les attentions médiatiques, au point<br />
de devenir un nouveau « marronnier journalistique » habilement exploité par ceux qui voient d’un<br />
mauvais œil ces nouvelles libertés que s’arrogent les jeunes ou qui, faute de savoir utiliser le Net<br />
ou d’en comprendre les tenants et aboutissants, ont peur des réseaux, tout simplement.<br />
Emily Nussbaum note ainsi justement que la quasi-totalité des personnes de plus de 40 ans, dès<br />
lors qu’on leur parle de l’Internet, sont littéralement obsédées par le fait qu’il serait infesté de<br />
pédophiles. Elles n’ont qu’une idée en tête : « Les pervers ? Les adolescents sont habitués à cette<br />
vision particulièrement anxiogène et caricaturale de l’univers dans lequel ils vivent… ».<br />
Extrait de l’article « Vie privée : le point de vue des "petits cons" » par Jean-Marc MANACH<br />
Site InternetActu.net<br />
II. COMMUNAUTÉS ET REPLI : COMMUNAUTARISMES ET TRIBUS<br />
« Le Canada, les États-Unis, l’Afrique du sud, l’Australie, l’Inde, la Belgique, les Pays-Bas, la<br />
France… Dans tous les pays où le respect des minorités et le culte de la diversité progressent, on<br />
se déchire pour savoir comment concilier droit à la différence et respect des valeurs communes.<br />
Peut-on tout tolérer - l’excision ou l’infanticide - au nom des coutumes ? Faire passer le respect du<br />
voile avant l’égalité hommes-femmes ? Accepter des menus séparés dans les cantines ? Des<br />
créneaux non-mixtes dans les piscines ? Faut-il retirer les sapins de Noël des places publiques ?<br />
Reconnaître des arbitrages basés sur la charia ? »<br />
Amin MAALOUF, Les identités meurtrières<br />
La communication ethnique est d’abord une invention américaine, sans doute née en 1900 avec<br />
Mme C.J. Walker, esthéticienne de métier et noire. Elle s’est rendu compte que les femmes noires de<br />
l’époque voulaient absolument s’intégrer à la société américaine blanche. Pour cela, elles étaient prêtes à<br />
tout, allant même jusqu’à se défriser les cheveux avec un fer à repasser.<br />
Paradoxalement donc, la communication ethnique naît dans un contexte de recherche d’intégration et non<br />
de différenciation.<br />
C.J. Walker conçut un peigne chauffant capable de défriser les cheveux crépus sans risque de brûlure ni de<br />
perte de cheveux et pour son produit, elle eut l’idée de montrer son visage sur l’emballage afin de mettre en<br />
valeur le fait qu’elle-même était noire donc à même de mieux comprendre et de répondre aux besoins de<br />
cette communauté. Sa stratégie de communication était simple : insérer des encarts publicitaires dans les<br />
quotidiens « noirs », tels que le Pittsburgh Courrier et faire connaître son produit par le biais des célébrités<br />
noires comme Joséphine Baker.<br />
Grâce à son initiative était née la première grande réussite du marketing ethnique aux USA… aux antipodes<br />
des revendications identitaires. Il en ira de même pour l’initiative de Procter & Gamble visant explicitement<br />
la différence juive.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 04 67<br />
Dès 1913, Procter & Gamble s’est intéressé aux différentes cibles ethniques ou religieuses pour lancer une<br />
marque de matière grasse d’origine exclusivement végétale « Crisco » à destination de la communauté juive :<br />
« La race hébraïque a attendu 4 000 ans… pour découvrir Crisco ». La société réalisera également un livre de<br />
recettes intitulé Les recettes Crisco pour la mère de famille juive en yiddish et en anglais.<br />
On constate donc qu’il faut distinguer la notion de communication ethnique de celle de<br />
communautarisme : les deux exemples précédents manifestent au contraire une grande volonté<br />
d’uniformisation, d’intégration à la société américaine tout en tenant compte des exigences de la religion ou<br />
des particularités physiques de la cible. Les recettes Crisco étaient censées permettre aux femmes juives de<br />
réaliser les plats typiques d’une parfaite mère de famille américaine standard. Les femmes noires quant à<br />
elles, pensaient que ressembler le plus possible aux femmes blanches en adoptant leurs codes esthétiques les<br />
aiderait à mieux être acceptées par la communauté américaine.<br />
III. DU MELTING POT AU SALAD BOWL<br />
Le terme de melting pot a été utilisé la première fois en 1964 par le chercheur sociologue Gordon ; il<br />
signifie en le traduisant mot à mot : « composants mélangés, écrasés, cuits ensemble » et correspond bien à<br />
la volonté d’adhésion au modèle unique de citoyenneté américaine précédemment évoqué.<br />
L’american dream déterminait les nouveaux arrivants sur le territoire américain à se fondre le plus vite<br />
possible dans la culture américaine pour atteindre une normalité rêvée. Ces immigrés ont tout fait pour être<br />
acceptés par la population « blanche » largement dominante culturellement si ce n’est numériquement. Ils<br />
n’ont pas cherché à se différencier dans leurs pratiques culturelles, alimentaires ou autres mais bien au<br />
contraire, ont adopté autant que possible les coutumes américaines majoritaires.<br />
Mais, à partir de la fin des années 90, tout change sous le poids grandissant des populations d’origine « nonblanche<br />
», et ce d’autant plus que la notion de métis n’existe pas aux États-Unis, ainsi Barack Obama,<br />
malgré une ascendance en partie blanche est-il considéré comme un noir.<br />
En 2002, on comptait 37,7 millions d’Hispaniques, 34 millions de noirs et 11,8 millions d’asiatiques, soit<br />
près de 84 millions sur un total d’environ 280 millions d’habitants. Aussi, les spécialistes prévoient une<br />
croissance spectaculaire pour les populations d’origine immigrée qui ont un taux de fécondité toujours élevé<br />
et stable. Les gens de couleur représentent un Américain sur trois et en 2050 ce devrait être un sur deux. La<br />
population d’Américains d’origine noire, hispanique et asiatique augmente en moyenne sept fois plus vite<br />
que les « WASP1 » surtout, les minorités ethniques historiquement pauvres voient leur pouvoir d’achat<br />
progresser 2,5 fois plus rapidement que celui des blancs.<br />
Devant l’énormité du phénomène démographique, il est donc devenu impossible aux annonceurs américains<br />
de continuer à représenter dans les campagnes publicitaires l’Américain au CSP moyen comme un blanc<br />
seulement. En effet, une transformation radicale des mentalités et des aspirations des immigrés se fait jour,<br />
qui veulent toujours adopter un style de vie américain mais pas à n’importe quel prix.<br />
« L’assimilation est un vrai mythe. Les gens ne sont pas assimilés. Et ils n’ont pas l’intention de le<br />
faire. C’est comme mettre les gens dans un mixer et appuyer sur le bouton. Personne ne veut être<br />
transformé en bouillie ! »<br />
Amy HILIARD-JONES, Ethnic marketing, 1996<br />
En France, face aux difficultés de l’intégration républicaine et à l’influence du modèle anglo-saxon, la<br />
communication ethnique commence à apparaître, malgré les nombreuses réticences qu’elle rencontre,<br />
notamment chez les politiques. Ainsi, la marque Zakia Halal, du groupe Panzani a lancé en 2009 une<br />
campagne sur TF1 et M6 faisant la promotion de ses produits halals. Avec près de 6 millions de musulmans<br />
(10 % de la population), la France est le premier marché européen du halal (qui signifie licite en arabe). La<br />
tentation était grande de cibler cette population spécifique, captive de ses traditions.<br />
1 White Anglo-Saxon Protestant
68 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
On peut distinguer plusieurs formes de communication ethnique. La plus ancienne, la plus ancrée<br />
et la plus stéréotypée aussi, est la présence de l’autre dans l’univers publicitaire : l’icône ethnique.<br />
Cela fait près de cent cinquante ans que des personnages noirs, orientaux, asiatiques, juifs, mais<br />
aussi régionalistes (Basques, Corses, Bretons…), sont utilisés dans l’univers de la réclame. Sans<br />
généraliser, et pour faire simple, ce personnage ethnique est un objet du discours publicitaire,<br />
généralement lié à quatre fonctions : souligner l’origine du produit (Banania, même si l’origine est<br />
antillaise et non africaine), la couleur du produit (Uncle Ben’s : l’antinomie de la blancheur du<br />
riz), la praticité ou la qualité du produit (Behanzin : même un nègre peut utiliser ce vélo), mettre<br />
en exergue une situation humoristique (Vahiné : un Noir au fort accent pour une farine blanche).<br />
La plupart de ces schémas n’ont pas disparus même s’ils s’exposent à la vigilance des associations<br />
antiracistes.<br />
Dans le registre actuel, c’est à des héros faiseurs de tendance que l’on fait appel, ceux-ci étant<br />
pour la plupart noirs, issus du sport de haut niveau (basket, football, golf, boxe…) ou de la<br />
musique. De Ronaldo à Jordan, de Desailly à Tyson, de Ray Charles à Michael Jackson… ils<br />
deviennent les icônes des grandes marques.<br />
En France, Zidane est la référence. Entre plusieurs mondes ethniques, il semble être la parfaite<br />
synthèse, comme l’est, pour le monde du golf, Tiger Woods. Des êtres hybrides, parfaitement<br />
adaptés à la communication soft-ethnique. Car multi-identificateurs, ils ne sont pas simplement<br />
les faire-valoir de tel ou tel groupe ethnique ni des éléments du décor, mais bien des promoteurs à<br />
part entière du message, car ils sont des références avant d’être les représentants d’une<br />
communauté.<br />
Seconde forme de communication ethnique moderne, très présente dans la communication<br />
américaine, brésilienne, anglaise et française – à la fois institutionnelle et pour la promotion de<br />
produits spécifiques – : la communication multiculturelle. C’est la tendance politiquement<br />
correcte du moment : donner vie dans les images (affiche, publicité, spot…) à un reflet de la<br />
société dans laquelle on s’exprime. Aujourd’hui, pas une campagne ministérielle, de la RATP, de<br />
la SNCF, de SFR, de France Telecom, mais aussi de Nike et d’IBM, sans que toutes les<br />
communautés soient présentes. Quelques marques françaises communiquent aussi à la mode<br />
« Benetton », comme Tati en 2002, avec sa campagne multicolore et son slogan fédérateur : « Tati<br />
est à nous ». Dernièrement, pour des raisons plus complexes, notamment liées aux rachats de<br />
sociétés spécialisées sur des produits ethniques aux États-Unis, L’Oréal et Lancôme s’inscrivent<br />
dans un mouvement similaire. La mode est lancée. La campagne Le Rouge de Clarins le montre<br />
bien, avec trois mannequins noire, asiatique et blanche.<br />
Enfin, dernière forme, le marketing ethnique pur et dur. C’est celui qui fait le plus débat<br />
aujourd’hui en France. Alors que ce pays est le premier foyer d’immigration en Europe, que<br />
l’histoire coloniale a marqué la France plus que tout autre pays, que la présence des trois<br />
communautés asiatique, afro et orientale est une exception française, le marketing ethnique reste<br />
tabou. La cause : les principes républicains d’intégration qui constituent le ciment de notre société.<br />
Pourtant, c’est oublier qu’ont émergé des produits à cibles ethniques comme le Mecca-Cola ou les<br />
laits Laban lancés par Bridel, et qu’au cours du dernier ramadan, France Télécom a proposé une<br />
carte téléphonique spécifique à destination des trois pays du Maghreb, avec une campagne<br />
d’affichage dans les grandes villes et dans la presse, ciblée sur les Maghrébins.<br />
Il faut le reconnaître, une tension existe entre les principes républicains d’indifférenciation des<br />
citoyens, visant à construire une France unique sans frontière communautaire et les intérêts<br />
commerciaux ou communautaires. D’un côté la France est l’un des derniers pays à pouvoir<br />
produire des campagnes à la limite du racisme (Egg, Uncle Ben’s, Vinci, Opel, Banania,<br />
Apéricubes et sa publicité sur le cannibalisme…), et de l’autre côté, on stigmatise l’approche<br />
ethnique au nom des principes d’égalité. Ce paradoxe est la réalité française.<br />
Sommes-nous hypocrites ou assez sages pour ne pas ouvrir la boîte de Pandore ? Quand l’État<br />
engage une campagne nationale (par exemple sur le sida), on constate un ciblage spécifique de<br />
certaines populations. Elles sont bien alors perçues comme des populations à problèmes,<br />
populations à risque ou en situation de dépendance, donc ciblées en tant que telles…<br />
Extrait d’un article sur Internet « Le marketing éthnique est arrivé ! (14/07/2003). De l’apparition du<br />
marketing ethnique en France » par Pascal BLANCHARD
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 04 69<br />
SÉANCE 4 : CULTURES POPULAIRES ET CULTURES DU PRÉSENT<br />
I. CULTURES POPULAIRES<br />
A. UN CONCEPT FLOU MAIS INDISPENSABLE<br />
Au cours des deux derniers siècles, l’Europe a été le théâtre de grands mouvements sociaux et politiques<br />
faisant appel à la notion de peuple comme support de leur légitimité. La notion de culture populaire a<br />
exprimé tour à tour, la culture militante, la culture rurale, la culture de masse, la culture des minorités.<br />
Aucune de ces acceptions n’est à éliminer, aucune ne suffit. Il est important de comprendre que l’idée même<br />
de culture populaire constitue une remise en cause de la prééminence d’une culture élitiste seule<br />
légitimement transmise. Pour autant, la notion pose de nombreux problèmes : a-t-elle une valeur autre que<br />
polémique (À mort les bourgeois !) ou commerciale (la culture reality show …) ? Constitue-t-elle un<br />
ensemble commun ou une catégorie séparée ? Est-elle la réalité vécue par la population ou un fantasme<br />
d’intellos ? Il importe d’abord de s’interroger sur la façon dont les cibles peuvent se reconnaître dans une<br />
telle culture et dans quelle mesure celle-ci est utilisable pour un professionnel de la communication.<br />
Le XIX e siècle a vu se développer deux tendances. D’une part apparaît une tendance passéiste qu’on peut<br />
qualifier de « réactionnaire » au sens politique du terme, il s’agit d’opposer aux valeurs <strong>dominantes</strong> du<br />
progrès technique et de l’individualisme profane une « sagesse » ancestrale empreinte de ruralité et de<br />
religiosité. D’autre part, émerge une tendance romantique, plus ou moins gauchiste, qui rejette l’ordre<br />
bourgeois supposé déshumanisé en valorisant les richesses affectives et culturelles du peuple.<br />
Au XX e siècle des régions se réapproprient des éléments traditionnels en leur donnant une valeur identitaire<br />
et en valorisant leur patrimoine. Elles les traduisent en éléments positifs porteurs de modernité tels que le<br />
celtisme, la culture alsacienne, la culture occitane. Des intellectuels valorisent l’art naïf et la musique<br />
traditionnelle comme les compositeurs Dvorak, Bartók et Stravinsky, inspirés par la musique traditionnelle<br />
d’Europe centrale et orientale. On assiste aux États-Unis à la naissance et la reconnaissance du jazz qui prend<br />
sa source dans la musique populaire noire. En Europe, le développement de certains éléments du folklore<br />
permet l’essor de musiques et d’expressions dites de minorités, influençant l’ensemble des pays occidentaux.<br />
Force est de constater que la reconnaissance de la culture populaire passe ici par une sorte de labellisation de<br />
la part des élites en place…<br />
Les mouvements totalitaires se sont aussi appuyés sur une certaine conception de la culture populaire. On<br />
ne peut oublier la formule d’Himmler : « Quand j’entends le mot « culture », je sors mon revolver ». Les<br />
nazis et les fascistes italiens 1’utilisent au cours des années 1936-1940 dans leur programme politique en<br />
faisant la promotion de chansons et fêtes païennes. L’union soviétique, par la culture officielle, glorifiera<br />
l’expression d’une culture prolétarienne réinventée ou reconstituée.<br />
En Allemagne, le régime nazi se sert du folklore et réactualise des fêtes païennes selon les rythmes<br />
ancestraux agricoles, afin de promouvoir sa propre idéologie. Il s’agit de reconstructions visant, sous couvert<br />
d’un prétendu retour aux traditions, à instituer un nouveau culte (mythe du héros civilisateur). La jeunesse<br />
nazie chante ainsi des chants traditionnels alors qu’Hitler songe à créer une religion dont le fondement<br />
essentiel serait l’ancienne mythologie des peuples germaniques.<br />
En France, des courants se réclamant du particularisme celte et breton collaborent avec le régime de Vichy<br />
(Henri Pournat : Le trésor des contes). En Italie, les fascistes, en s’appropriant des souvenirs de la Rome<br />
antique, utilisent ce qui est supposé être la culture populaire. Ils organisent alors des fêtes « à la romaine »,<br />
comme celle du « Fils de la Louve ». Confortant le mouvement, le folkloriste italien Corso se rallie au<br />
mouvement fasciste. Dans cette logique politique, la culture officielle émane d’un régime qui se prétend<br />
l’expression du peuple ; toute expression différente peut en conséquence être considérée comme bourgeoise<br />
et décadente, donc ennemie du peuple. Le nazisme et le fascisme ont amplement démontré les dangers d’une<br />
conception statique et traditionaliste de la culture populaire.
70 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
À l’inverse de ce dirigisme étatique, quelques années plus tard, les mouvements de femmes ou d’autres<br />
groupes d’expression tels que le black power prônent le développement d’une culture militante. Après les<br />
années 60, dans le creuset de la culture urbaine, les minorités ethniques voient leurs expressions culturelles<br />
valorisées et les phénomènes de la culture juvénile sont pris en compte. Comme le dira Edgar Morin :<br />
« …Après James Dean, la culture juvénile se détachera de la culture adulte de masse, et son rameau le plus<br />
virulent deviendra contre-culture. » 1<br />
B. DU FOLKLORE À LA CULTURE POPULAIRE<br />
Apparue en Angleterre en 1846, l’expression « folklore » désigne la science du peuple. Tant en France qu’en<br />
Angleterre, la notion et les études qui lui correspondent sont liées à la révolution industrielle : le folklore<br />
représentant un moyen de pérenniser la culture d’un monde rural appelé à disparaître et dont la mémoire<br />
mérite, à travers le maintien du patrimoine, d’être conservée. On retrouve la même démarche, tournée cette<br />
fois-ci vers l’extérieur avec l’ethnologie. Avec le folklore, l’Europe du XX e siècle découvre son propre<br />
exotisme. On comprend que dans ce contexte, la culture populaire est pensée sous le signe du passé rural,<br />
par opposition à un futur nécessairement technologique et urbain.<br />
Pourtant, le folklore est abordé également dans une optique politique. Les intellectuels de gauche, comme<br />
George Sand, défendent la culture populaire comme expression d’une classe opprimée alors que, pour des<br />
raisons opposées, Frédéric Mistral et Alphonse Daudet, représentants d’une idéologie conservatrice, prônent<br />
la valorisation du particularisme ethnique contre l’universalisme abstrait, la tradition rurale contre la<br />
modernité citadine. Nous ne sommes pas loin, déjà, de l’opposition contemporaine entre droits de l’homme<br />
et valeurs communautaires. On perçoit la grande ambiguïté du recours à la culture traditionnelle rurale : à<br />
gauche, elle symbolise une inégalité à combattre et une injustice à réparer ; à droite, elle valorise la<br />
différence jusqu’aux limites du racisme.<br />
C. L’IMAGERIE POPULAIRE<br />
Le terme « d’imagerie populaire » peut prêter à confusion ; il est en effet souvent employé en un sens<br />
métaphorique pour désigner l’ensemble des représentations communément admises dans une population<br />
donnée. Son sens est alors très proche de ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler des stéréotypes. Cet<br />
emploi s’appuie en fait sur une longue histoire de la production d’images populaires, vendues bon marché<br />
à des fins diverses : religieuses, éducatives, divertissantes, décoratives…<br />
L’image populaire est une estampe vendue à un très bas prix aux populations sur les marchés, dans les<br />
boutiques et par des colporteurs. Longtemps destinée à des populations ne sachant pas lire, la partie vive de<br />
l’image populaire est le dessin qui en occupe le centre, voire la totalité dans les formes les plus anciennes.<br />
Cette image est habituellement agrémentée de quelques couleurs appliquées au pochoir dans les premiers<br />
siècles. Cette image proprement dite est complétée par certains éléments textuels, comme un titre, un ou<br />
plusieurs textes brefs « en chapeau », latéraux ou sous-jacents ; des informations sur l’origine : imprimeur ou<br />
fabricant, adresse, mention de dépôt légal.<br />
1 Edgar MORIN, Les stars, Seuil, 1972.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 04 71<br />
Saint Nicolas, l’ancêtre du Père Noël et « Marthe la bonne petite ménagère »<br />
Passées à la postérité grâce à l’usage métaphorique qui en sera fait, les images d’Épinal doivent leur nom à<br />
Jean-Charles Pellerin, qui fut le premier imprimeur à éditer en série ce type d’images, et qui habitait la ville<br />
d’Épinal (Vosges). Les sujets sont très variés mais généralement tournent autour de la religion, l’histoire ou<br />
sont tirés de romans à succès.<br />
Parmi la production de l’imagerie d’Épinal, on trouve les « devinettes ». Le but du jeu consiste à rechercher<br />
un objet caché. Très souvent, il convient de retourner l’image tête-bêche pour le voir plus facilement.<br />
L’image est accompagnée d’un texte explicatif sur la nature de l’objet ou le personnage à découvrir. Ces<br />
devinettes étaient éditées sous la forme de petites images que l’on distribuait aux enfants sages, comme des<br />
bons points. L’expression Image d’Épinal a pris au fil du temps un sens figuré, qui désigne une vision<br />
emphatique, traditionnelle et naïve, qui ne montre que le bon côté des choses.<br />
Au-delà de la production d’images populaires, correspondant pour l’essentiel à une communication<br />
s’adressant à une population pas ou peu alphabétisée et très sensible à la tradition religieuse ou profane,<br />
l’imagerie populaire va traduire la perception commune d’une pratique ou d’un milieu. À cet égard, l’univers<br />
ferroviaire constitue un bon exemple d’appropriation d’une mutation technologique par les pratiques qui y<br />
sont associées.
72 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
De la revue scientifique qui exalte le progrès technique et le sentiment de puissance qu’il procure au roman<br />
policier qui met en scène le signal d’alarme en passant par la presse jouant sur le contraste de l’homme et de<br />
la machine, jusqu’à la réinterprétation moderno-romantique du voyage de noces… on voit bien là comment<br />
se construit progressivement une culture populaire de et par l’image, qui tient compte des usages sociaux<br />
tout en les modifiant.<br />
D. LE ROMAN POPULAIRE<br />
Cette forme littéraire, appelée aussi roman-feuilleton1 se développe sous le Second Empire et, surtout, la<br />
Troisième République. Avec les Mystères de Paris (1842), Eugène Sue a créé les archétypes du genre :<br />
l’innocence persécutée, le redresseur de torts. Le genre se répand dans les années 1860-1880 avec une<br />
diminution forte des coûts de production de la presse, donc du prix de vente. Le roman populaire est partout.<br />
Certains journaux publient jusqu’à trois feuilletons quotidiens. C’est l’époque où triomphent les romans de<br />
l’erreur judiciaire, drames de familles écartelées par un destin impitoyable. L’émotion fait recette. Il faut<br />
faire « pleurer Margot ».<br />
La période 1880-1900 voit l’apogée des romans de la victime (enfants perdus, orphelins, filles-mères,<br />
alcooliques, forçats innocents). Les héros, entraînés dans un engrenage fatal de circonstances impitoyables,<br />
souffrent et traduisent dans leurs malheurs hyperboliques une réalité sociale douloureuse. S’ils se posent<br />
parfois en moralisateurs, les romanciers permettent aussi la prise de conscience de problèmes sociaux réels :<br />
la réhabilitation progressive de la fille-mère (mère célibataire) leur doit beaucoup.<br />
Les éditeurs de journaux ont très largement profité de l’avènement du roman populaire. Jusqu’en 1920,<br />
l’édition originale est presque toujours précédée, accompagnée ou suivie d’une publication en épisodes<br />
dans la presse nationale ou régionale. Ainsi, en 1914, quatre journaux nationaux tirent à plus d’un million<br />
d’exemplaires : Le Matin, Le Petit Parisien (1 450 000 exemplaires !), Le Petit Journal et Le Journal. Ces<br />
journaux accordent une grande place aux faits divers, thèmes prisés des romanciers populaires – qui ont<br />
souvent suivi des affaires criminelles comme journalistes, à l’image de Gaston Leroux, le « père » de<br />
Rouletabille et auteur du Mystère de la chambre jaune, qui fit toute sa carrière au Matin, d’abord comme<br />
journaliste puis grand reporter (1894 à 1908) et enfin feuilletoniste jusqu’en 1927.<br />
Le roman-feuilleton disparaîtra progressivement, victime de la montée en puissance du cinéma et du<br />
discrédit de la presse propagandiste au lendemain de la Première Guerre mondiale. Il renaît de manière<br />
polymorphe après la seconde guerre, avec des romans de genres (science-fiction, aventure, policier,<br />
espionnage, sentimental…) grâce au format de poche qui contribue grandement à son succès.<br />
1 Le « feuilleton », à l’origine, est un terme technique utilisé dans le journalisme au XIX e siècle : il désigne le bas des pages d’un<br />
journal, également appelé « rez-de-chaussée ». C’est sous le Consulat que cette partie du journal va prendre de l’importance en<br />
abritant tout d’abord des critiques, puis des articles de littérature et de science. « Feuilleton-roman » est la première appellation<br />
utilisée lorsqu’on fit paraître, dans ces fameux « rez-de-chaussée », des chapitres de romans au lieu de critiques. Balzac notamment<br />
fait publier ses romans dans la presse, au moins partiellement, à partir de 1831, avant de les publier sous forme de volumes. Les<br />
grands journaux de l’époque ne manquent pas d’utiliser l’effet de fidélisation des « feuilletons-romans ».
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 04 73<br />
La spécificité de la littérature populaire tend à s’estomper. De nouveaux genres fluctuent entre le statut de<br />
littérature populaire et la reconnaissance littéraire proprement dite. Le roman policier ou la science-fiction<br />
témoignent ainsi d’une grande vitalité, conquérant un public bien plus diversifié que celui ciblé initialement<br />
par les éditeurs. La collection « Série noire » conquiert rapidement ses lettres de noblesse. La série des San<br />
Antonio tout comme les romans d’Albert Simonin (Touchez pas au grisbi !) valent tout autant par leur<br />
maniement de l’argot que par l’intrigue policière qui n’en est souvent que le prétexte. Après OSS 117, le<br />
héros créé par Jean Bruce, le roman d’espionnage voit le succès de la série de Gérard de Villiers, SAS, à<br />
l’idéologie raciste et misogyne. Côté sentiments, l’éditeur Harlequin s’impose en leader mondial, proposant<br />
en France comme ailleurs, des traductions de textes à succès d’origine américaine.<br />
II. MODE ET TENDANCES<br />
Les tendances 1 (très) lourdes constitutives de notre quotidien.<br />
A. CONSOMMATION GÉNÉRALE : LA GRANDE RÉORGANISATION DES<br />
DÉPENSES INDIVIDUELLES ET FAMILIALES…<br />
Le taux de chômage progresse. Il atteindra 11,2 % en 2010, selon l’OCDE. Les difficultés d’insertion stable<br />
s’amplifient pour les jeunes. Même les diplômés « bac +4 » de moins de 30 ans sont au régime « CDD »<br />
pour environ 40 % d’entre eux. Le pouvoir d’achat réel est en stagnation, voire en baisse, pour une partie<br />
de la population. On constate un gel des augmentations de salaires, une certaine précarisation des contrats de<br />
travail (56 % seulement des actifs bénéficient d’un CDI). À cela s’ajoutent un alourdissement important du<br />
coût du logement dans le budget (achat, location), une forte augmentation des coûts de l’énergie : chauffage<br />
et carburant, une augmentation des prix sur de nombreux produits de grande consommation.<br />
Les nouveaux arbitrages opérés par les familles se traduisent par une envolée des dépenses liées aux<br />
nouvelles technologies de la communication et de l’image. À noter que le poids des abonnements est,<br />
actuellement, de plus de 1 100 � par foyer et par an (téléphonie, accès Internet, TV câblée…). L’impression<br />
de subir son budget est accentuée par une opacité grandissante des prix et des abonnements, des contrats de<br />
maintenance… Il devient de plus en plus difficile de savoir ce que l’on paye réellement.<br />
Si l’on ajoute à cela une progression des prélèvements fiscaux, notamment au niveau local, on ne s’étonnera<br />
pas de constater une baisse de consommation sur certains postes. En 2009, 30 % des Français déclarent avoir<br />
réduit leur budget « habillement », 24 % leur budget « décoration », 18 % leur budget « bricolage et<br />
loisirs »…<br />
Cette ambiance générale favorise a priori les concepts et les produits repensés pour être moins coûteux :<br />
marques de distributeurs, hard discount, low cost… D’un point de vue sociétal, des pistes apparaissent du<br />
côté des solutions de type « partage » ou « mutualisation » : covoiturage, colocation (automobile,<br />
logement)… Parallèlement et contre la grande distribution, apparaissent des « circuits courts » : vente<br />
directe du producteur de fruits et légumes au consommateur… mais aussi des pratiques de « recyclage » :<br />
marchés de l’occasion, manifestations type « vide greniers »…<br />
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, un retour est prévisible sur les notions de qualité et de durabilité<br />
de nombreux produits achetés. En effet, une majorité de consommateurs, échaudés par des « premiers prix »<br />
peu fiables, acceptent de payer plus cher mais sous une réserve absolue : que le surcroît de prix soit justifié<br />
par une amélioration de la qualité réellement perceptible.<br />
1 Une tendance est ici définie comme une évolution prévisible majeure et durable, affectant notre société, qu’on ne confondra pas<br />
avec des phénomènes plus conjoncturels ou phénomènes de mode.
74 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
B. UNE VÉRITABLE OBSESSION DE LA SANTÉ ET DE LA FORME<br />
Un rêve s’impose : rester éternellement jeune et en bonne santé. La population du « baby-boom » qui<br />
souhaite profiter de sa retraite en excellente condition physique a nettement imposé ses valeurs à l’ensemble<br />
de la société. Ainsi les dépenses de santé représentent-elles 13 % des dépenses des Français contre 7,5 % en<br />
1980. Cela représente un coût considérable : le système français de protection sociale (santé, retraite) est le<br />
plus cher au monde (16 % du PIB) et sa pérennité est menacée sous la pression grandissante d’un<br />
individualisme de court terme. Les grandes campagnes nationales voire mondiales (anti-tabac, anti-alcool,<br />
prévention de l’obésité), faisant de la santé une valeur absolue et non plus une condition de réalisation<br />
d’autre chose construisent la norme d’une pseudo éternité.<br />
Tout cela se conjugue avec une recherche obsessionnelle de la performance dans la vie de tous les jours<br />
comme dans la vie professionnelle et la recherche (contradictoire) d’un équilibre psychologique, d’une<br />
harmonie avec soi-même. Être au top et se sentir bien dans sa peau… cette équation impossible nourrit les<br />
statistiques du suicide : 10 000 décès par an en France (3 fois plus qu’en Italie) !<br />
Ainsi le secteur médical sous toutes ses formes est-il appelé à évoluer, notamment par la recherche de<br />
solutions pour abaisser les coûts des solutions actuelles (équipements médicaux, médicaments génériques<br />
médicaments en vente libre, parcours de soins…). Les produits et prestations liés à l’esthétique ont le vent<br />
en poupe grâce entre autres au développement du marché masculin. La consommation alimentaire se<br />
modifie aussi avec les produits bio et les « alicaments » de toutes sortes.<br />
La pratique sportive, au sens large, se développe : matériels, centres de remise en forme… Maintenant<br />
qu’une majorité de la population sait que « bouger est bon pour la santé », le marché potentiel s’agrandit et<br />
les habitudes changent. Les supports d’information : presse santé, sites Internet spécialisés accompagnent le<br />
mouvement. Le recours aux « guérisseurs de l’âme » psychothérapeute, psychologue, les stages spécialisés<br />
« découverte de soi » se démocratisent, pour le meilleur parfois, très souvent pour le pire.<br />
C. UNE RÉCLAMATION UNANIME : VIVRE EN TOUTE SÉCURITÉ<br />
On assiste à une recherche quasi maladive de solutions pour diminuer les risques de la vie quotidienne, les<br />
accidents de toutes sortes, les agressions contre les biens et les personnes. Une seule ligne directrice,<br />
consciente ou non : tendre vers l’utopique « risque zéro ». Ainsi se multiplient les réglementations, les<br />
normes et les labels… tout autant que les organismes de contrôle. Cette obsession, amplifiée par le recours<br />
de plus en plus fréquent aux tribunaux, débouche sur un accroissement des responsabilités civiles et pénales.<br />
L’air du temps est donc à l’augmentation des primes d’assurance et aux investissements techniques de<br />
sécurité de plus en plus lourds. De manière concomitante s’affirme une tendance accrue des individus et des<br />
entreprises à éviter certaines prises de risques. Cette frilosité débouche sur un retour à des valeurs<br />
d’éducation affirmées : autorité parentale plus ou moins fantasmée, valorisation incantatoire de la<br />
« citoyenneté ».<br />
La sécurité est devenue l’alpha et l’oméga de nos sociétés : sécurité alimentaire (traçabilité, hygiène),<br />
sécurité automobile (aménagements routiers, radars automatiques, détecteurs divers), sécurité dans la rue et à<br />
domicile (police de proximité, gardiennage, systèmes d’alarme et de télésurveillance, dispositifs<br />
biométriques de contrôle d’accès)… à quoi s’ajoute le développement de toutes les formes possibles et<br />
imaginables de contrats de maintenance, d’assurances, etc.<br />
D. LA VIE DE FAMILLE, UNE VALEUR (TOUJOURS) MONTANTE<br />
La volonté sans cesse réaffirmée par les sondages d’opinion, de privilégier la vie de famille comme lieu<br />
d’épanouissement n’exclut pas, bien sûr, la multiplication des divorces mais semble démontrer l’incapacité<br />
des Français à imaginer un autre cadre de référence que la famille dans son acception traditionnelle. Le<br />
dynamisme démographique français (en moyenne 2 enfants par femme) semble en témoigner : rien ne vient<br />
altérer la valeur « famille ». Pourtant, malgré les familles « recomposées », la taille des ménages ne cesse de<br />
décroître. Un ménage sur 3 ne comprend qu’une seule personne.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 04 75<br />
Malgré donc une réalité de plus en plus éloignée de l’image de la famille traditionnelle, le souhait de<br />
disposer de plus de temps pour la vie de famille traduit probablement une stratégie de repli sur l’intime face<br />
à un devenir professionnel sans cesse plus aléatoire. Quoi qu’il en soit, le centre de gravité de la famille s’est<br />
déplacé : l’enfant et son développement personnel constituent l’essentiel des préoccupations parentales, des<br />
activités d’épanouissement aux cours privés de soutien scolaire à distance via Internet.<br />
E. LES LOISIRS, UN NOUVEAU DROIT ESSENTIEL DE L’ÊTRE HUMAIN<br />
Le travail est clairement devenu une valeur de second rang… et le budget « loisirs » le 1 er poste de dépenses<br />
des ménages (20 %), à égalité avec le budget « logement ». On constate des dépenses sans cesse plus<br />
importantes en équipements numériques et en abonnements. La moitié environ du budget « loisirs » des<br />
Français serait ainsi dépensée en audiovisuel, pris au sens large. À l’inverse le budget « vacances » a baissé<br />
de 11 % en 2009. Un vacancier sur 2 séjourne chez des amis ou en famille, 1 sur 3 réserve sur Internet.<br />
En contrepoint au consumérisme ambiant, on assiste au développement continu de la vie associative : un<br />
Français sur 3 de plus de 16 ans est membre d’une association. Souvent cette adhésion s’accompagne d’une<br />
recherche de « sens » avec la participation à des actions humanitaires (Restaurants du Cœur, MSF,<br />
Téléthon…). Tout se passe comme si la prolifération des moyens de divertissement montrait ses limites. Le<br />
loisir s’accompagne d’une recherche de convivialité qui ne se résume pas à la simple « consommation » de<br />
« loisirs ».
76 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1
U9K25-F1/1 77<br />
SÉQUENCE 05<br />
LES CULTURES DES ANNONCEURS............................................................................................................ 78<br />
SÉANCE 1. LA CULTURE D’ENTREPRISE................................................................................................ 78<br />
I. LA NOTION DE CULTURE ...................................................................................................... 78<br />
A. DU PASSAGE DE L’ESPRIT MAISON À LA CULTURE D’ENTREPRISE...............................78<br />
B. LE CONCEPT DE CULTURE ............................................................................................................79<br />
II. FORMATION ET COMPOSANTES DE LA CULTURE D’ENTREPRISE....................... 80<br />
A. FORMATION DE LA CULTURE D’ENTREPRISE : LES QUATRE SOURCES........................80<br />
1. La culture nationale et la culture régionale....................................................................................80<br />
2. La personnalité des fondateurs et des personnages marquants.....................................................80<br />
3. L’histoire de l’entreprise. Les événements marquants..................................................................81<br />
4. La culture métier de l’entreprise et la culture professionnelle des salariés .................................81<br />
B. LES COMPOSANTES DE LA CULTURE D’ENTREPRISE.........................................................82<br />
1. Les mythes et héros .........................................................................................................................82<br />
2. Les valeurs .......................................................................................................................................82<br />
3. Les rites et rituels.............................................................................................................................82<br />
4. Les symboles....................................................................................................................................83<br />
5. Les tabous.........................................................................................................................................83<br />
III. FONCTIONS ET LIMITES DE LA CULTURE D’ENTREPRISE ....................................... 83<br />
A. LA CULTURE D’ENTREPRISE ET LA FONCTION RESSOURCES HUMAINES ...................83<br />
B. CULTURE D’ENTREPRISE ET COMMUNICATION ...................................................................84<br />
C. LES LIMITES DE LA CULTURE D’ENTREPRISE........................................................................84<br />
IV. CONNAÎTRE ET FORMALISER LA CULTURE : DE L’AUDIT AU PROJET................ 84<br />
A. GRILLES D’AUDIT DE CULTURE..................................................................................................85<br />
B. LE PROJET D’ENTREPRISE .............................................................................................................85<br />
V. BIBLIOGRAPHIE...................................................................................................................... 89<br />
K EXERCICES D’ENTRAÎNEMENT À NE PAS ENVOYER À LA CORRECTION............ 91<br />
E CORRIGÉ DES EXERCICES D’ENTRAÎNEMENT .............................................................. 95
78 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
LES CULTURES DES ANNONCEURS<br />
Objectifs de la séquence<br />
— Connaître, comprendre et s’approprier les valeurs et les codes culturels des annonceurs.<br />
— Réinvestir ce savoir dans l’élaboration de messages.<br />
Reportez-vous au fascicule de première année Cultures de la communication, analyse critique des<br />
annonceurs 3.1 : De la connaissance objective à la représentation des annonceurs.<br />
SÉANCE 1. LA CULTURE D’ENTREPRISE<br />
I. LA NOTION DE CULTURE<br />
Extérieurement, les entreprises, en tant qu’entités économiques productrices de biens, se ressemblent.<br />
Ateliers, usines, bureaux, administrations sont tous des lieux de travail. Cependant, chacune a sa<br />
personnalité, son image et son identité propres : sa culture.<br />
La culture caractérise l’entreprise et la distingue des autres, dans son apparence et, surtout, dans ses façons<br />
de réagir aux situations courantes de la vie de l’entreprise : comme traiter avec un marché, définir son<br />
standard d’efficacité ou traiter des problèmes de personnel.<br />
L’historique de la notion : un concept nouveau, une réalité ancienne.<br />
Si les années 80 ont vu la fortune du concept de culture d’entreprise, sa pratique est en fait ancienne. La<br />
notion de culture d’entreprise est apparue tardivement en France car longtemps les chefs d’entreprise ont<br />
pratiqué la politique du secret avec pour devise « pour vivre heureux, vivons cachés ». Cependant, les chefs<br />
d’entreprise ont toujours cherché à créer et entretenir un « esprit maison » plus ou moins paternaliste,<br />
d’autant que, souvent, le chef d’entreprise était le créateur de l’entreprise. Cet esprit maison avait pour<br />
fonction de contribuer à une vision commune de tous les salariés, au-delà de leurs différences d’origine, de<br />
formation, de fonction et de rémunération dans l’entreprise.<br />
A. DU PASSAGE DE L’ESPRIT MAISON À LA CULTURE D’ENTREPRISE<br />
Les années 1980 ont vu la théorie et la pratique de la culture d’entreprise s’imposer sur la base des théories<br />
culturalistes. De la même façon que pour Margaret Mead 1, les différentes sociétés construisaient des<br />
modes de vie indépendamment des conditions climatiques, agronomiques ou autres, chaque culture<br />
constituant un microcosme cohérent et autonome, l’entreprise est alors considérée comme une aventure<br />
unique construite autour de son histoire propre.<br />
Aux États-Unis, cette conception trouve pour partie son origine dans les limites d’efficacité du modèle<br />
taylorien. Une entreprise n’est pas uniquement un système efficace de division des tâches. La rationalité<br />
technologique n’explique pas tout et les différences d’organisation doivent être comprises à partir de la<br />
transmission plus ou moins consciente d’habitudes et de valeurs en elles-mêmes irrationnelles. On peut à<br />
cet égard rappeler la distinction faite par Pareto 2 : si l’économie est la science qui étudie les comportements<br />
rationnels de l’homme au sein de la société (le fameux Homo economicus), elle doit être complétée par une<br />
1 Anthropologue américaine 1901-1978<br />
2 Sociologue et économiste italien 1848-1923
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 05 79<br />
sociologie qui elle analyse les comportements irrationnels. La compréhension de la culture d’entreprise<br />
renvoie clairement à ce deuxième aspect. Ainsi, la croyance en la totale rationalité des comportements<br />
économiques est elle-même un aspect… de la culture d’entreprise.<br />
De la sorte, on s’aperçoit qu’au Japon, la recherche d’optimisation des ressources humaines s’adosse aux<br />
principes ancestraux de la culture japonaise : famille, tradition, respect de la hiérarchie, esprit de corps et<br />
d’obéissance, discipline. Dans cette logique, le groupe prime sur l’individu et celui-ci est sans cesse rappelé<br />
à son appartenance collective. Dans la culture japonaise traditionnelle, si un enfant se comporte mal, c’est sa<br />
mère qui en paie le prix, ainsi l’enfant est culpabilisé non pas de sa propre faute mais des conséquences<br />
qu’elle a sur l’être qui lui est le plus cher. Cette culpabilisation indirecte se retrouve sans cesse dans les<br />
modes de management japonais (on lira avec profit le roman d’Amélie Nothomb Stupeur et tremblements).<br />
À l’inverse les stratégies managériales dans un Occident hyper-individualiste mettront directement la<br />
pression sur l’individu lui-même, s’attaquant à ce qu’il est ou prétend être, sans illusion sur son attachement<br />
au groupe ou à l’entreprise.<br />
B. LE CONCEPT DE CULTURE<br />
Mais que recouvre la notion de culture ? Il suffit d’ouvrir n’importe quel dictionnaire, le Larousse, le Robert,<br />
entre autres, pour s’apercevoir que le mot de culture est largement polysémique : il convient donc de le<br />
définir.<br />
Le premier sens du mot culture renvoie au travail de la terre, c’est-à-dire une forme d’activité humaine. Les<br />
sciences humaines et sociales, quant à elles, proposent les définitions suivantes :<br />
— Pour l’anthropologie : « la culture est une configuration générale des comportements appris et de leurs<br />
résultats dont les éléments sont adoptés et transmis par les membres d’une société donnée. » (Linton).<br />
« La culture est l’ensemble des techniques, coutumes, institutions et croyances selon lesquelles les<br />
hommes vivent collectivement, de façon radicalement différente selon les circonstances » (Tylor).<br />
— Pour la sociologie : selon Edgar Morin, la culture est l’ensemble des représentations, des valeurs et des<br />
normes qui sont propres aux groupes sociaux, l’ensemble de ce qui est appris – savoir et savoir-faire – et<br />
qui est transmis de génération en génération.<br />
Voyons maintenant la signification du concept de culture appliqué aux organisations et aux entreprises.<br />
Michel Thévenet propose la définition suivante : « La culture d’entreprise est un ensemble de valeurs et de<br />
références partagées, de rites, de mythes, de symboles qui se sont développés tout au long de l’histoire de<br />
l’organisation ». Cette définition met en avant l’entreprise comme un corps social disposant d’un<br />
« patrimoine » constitué au cours de son histoire. Selon Louart et Sire, la culture d’entreprise correspond à<br />
l’ensemble des activités, des règles de fonctionnement et des valeurs qui sont communes au groupe social<br />
que constitue l’organisation dans son ensemble.<br />
On voit à travers toutes ces définitions qu’un certain nombre de traits communs apparaissent de manière<br />
récurrente :<br />
— Il s’agit de ce qui est transmis, d’un héritage, d’un ensemble de récits et d’habitudes.<br />
— Ceux qui participent à cette transmission n’ont que rarement conscience du caractère particulier de ce<br />
qu’ils transmettent parce qu’ils le vivent de l’intérieur comme une évidence. Cet aspect est commun à<br />
toutes les formes de transmission culturelle.<br />
— L’articulation mythes-rites y est essentielle. Les mythes sont des récits qui décrivent une origine et<br />
donnent un sens et des valeurs (L’Iliade et l’Odyssée, l’Ancien Testament…). Les rites sont des actions<br />
qui réactualisent symboliquement les valeurs fondatrices (mariages, enterrements…). Appliquée à<br />
l’entreprise, cette grille de lecture montrera que l’entreprise se comprend à partir d’un récit plus ou moins<br />
idéalisé de sa fondation et que les habitudes comportementales (organisation spatiale, hiérarchie,<br />
vouvoiement/tutoiement…) sont là pour sans cesse rendre présente cette identité première.
80 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
II. FORMATION ET COMPOSANTES DE LA CULTURE D’ENTREPRISE<br />
A. FORMATION DE LA CULTURE D’ENTREPRISE : LES QUATRE SOURCES<br />
Puisque la culture d’entreprise se construit dans le temps, passons en revue les différentes sources qui<br />
contribuent à la création et l’évolution de la culture d’entreprise.<br />
1. La culture nationale et la culture régionale<br />
La culture nationale est un des éléments essentiels de la culture d’entreprise. Ces éléments – l’ensemble des<br />
valeurs, des croyances et des mythes, des rites et des signes partagés – permettent de comprendre et<br />
d’expliquer les façons de penser, de sentir et d’agir des membres du groupe appartenant à cette culture. Ces<br />
valeurs, si elles sont ignorées ou mal comprises d’autres groupes, peuvent engendrer des difficultés voire des<br />
rejets. Les membres des groupes minoritaires doivent adopter, pour être intégrés, ces valeurs considérées<br />
comme normales.<br />
Chaque culture nationale à son propre rapport :<br />
— aux valeurs (au sacré et au profane, au religieux, à la morale et aux mœurs). À l’intérieur de la sphère<br />
d’influence chrétienne par exemple, la laïcité française a peu de sens en Pologne ;<br />
— aux mythes de sa propre histoire nationale. Un Autrichien ou un Russe cultivé appréciera peu de prendre<br />
le train à la gare d’Austerlitz et il en sera de même pour le Français qui passera par celle de Waterloo à<br />
Londres.<br />
— aux rites, c’est-à-dire les cérémonies : fête nationale, mariage, funérailles. La fête nationale française n’a<br />
pas le même sens dans un pays dont quasiment personne ne remet en cause aujourd’hui l’unité que dans<br />
des pays comme l’Italie ou la Belgique marqués par des volontés politiques sécessionnistes fortes.<br />
— à la stratification des groupes et des classes et leurs positions hiérarchiques. Un pays sans aristocratie<br />
héréditaire comme les États-Unis ne porte pas le même regard sur ses élites qu’une nation de vieille<br />
tradition aristocratique comme l’Angleterre.<br />
La culture nationale est plus ou moins évolutive selon son degré d’ouverture, forcée ou voulue, aux autres<br />
<strong>cultures</strong>. L’accélération de la mondialisation par l’économie et les nouveaux médias bouleverse le rapport<br />
des <strong>cultures</strong> entre elles.<br />
Globale, partagée, transmissible, évolutive, la culture nationale est le cadre dans lequel s’inscrit la culture<br />
d’entreprise. Elle influence le management, les relations sociales et la communication interne ainsi que le<br />
marketing et la communication interculturels. Les entreprises internationales se posent le problème de savoir<br />
si elles doivent avoir une communication globale, la même pour tous les pays, ou une communication locale<br />
adaptée à chaque pays. Certaines font le choix d’une communication « glocale », néologisme qui signifie une<br />
communication qui essaye de marier les valeurs de l’entreprise d’origine et celles de pays où elle intervient.<br />
Certaines régions, pour des raisons historiques, politiques, religieuses ont une culture forte, distinctive au<br />
sein de la culture nationale : ainsi en France, les <strong>cultures</strong> bretonne, alsacienne, corse entre autres. Il serait<br />
aventureux de croire que l’on peut ignorer ces particularités dans un objectif d’optimisation des relations<br />
humaines dans l’entreprise. L’efficacité n’est pas qu’une affaire… d’efficacité.<br />
2. La personnalité des fondateurs et des personnages marquants<br />
Une autre source de la culture d’entreprise est la personnalité des fondateurs ou de personnes qui ont marqué<br />
l’histoire de l’entreprise. Les débuts de l’entreprise représentent la première expérience et les premiers choix<br />
où se manifestent les convictions et les valeurs de l’entrepreneur, du moins est-ce ainsi que la saga est<br />
présentée. Le créateur de l’entreprise apporte à la fois des capitaux, des connaissances et un savoir-faire mais<br />
aussi une philosophie et des croyances, un ensemble de représentations. Le charisme du fondateur, tout à la<br />
fois créateur, souvent visionnaire et manager, imprime sa marque à l’entreprise et détermine sur le long<br />
terme sa culture. Les récits, très souvent hagiographiques, des origines, éliminent soigneusement la part de<br />
hasard et le poids des circonstances pour mettre en avant une « success story » qui s’apparente de près à un
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 05 81<br />
destin. Citons comme exemple Louis Renault, André Bisch (société Bic), T.J. Watson (IBM). Au créateur<br />
« héros » initial peut succéder le héros « acquis », qui est le héros de la situation, celui qui fabrique vend et<br />
assure le service des produits. Ces deux types de personnages font figure d’exemple et de référence pour les<br />
autres membres de l’entreprise. Si Microsoft semble bien vivre la façon dont Bill Gates s’est mis en retrait de<br />
son management effectif, Apple vit encore en symbiose avec la personnalité de Steve Jobs…<br />
3. L’histoire de l’entreprise. Les événements marquants<br />
La culture se construisant selon un processus d’apprentissage, tout au long de l’histoire (Michel Thévenet),<br />
comprendre l’histoire de l’entreprise permet de connaître et comprendre sa culture. Il est donc nécessaire<br />
d’en analyser les grandes phases et les décisions majeures.<br />
Les évènements marquants. Ce sont les moments mémorables vécus au cours de l’histoire de l’entreprise qui<br />
sont et font l’objet de récit comme les mythes héroïques des grandes mythologies universelles. On retrouve<br />
ici les grandes catégories de l’analyse du récit : le héros souffrant (l’entreprise en difficulté), le héros militant<br />
(l’entreprise qui affronte courageusement les difficultés), le héros triomphant (l’entreprise qui réussit). Ces<br />
moments forgent les mythes et les rites où se fonde l’unité du groupe. Exemple : Steve Jobs, créateur<br />
d’Apple, concevant son ordinateur dans un simple cabanon, mythe du héros solitaire et démuni de moyens,<br />
qui triomphe des entreprises « Goliath » (IBM).<br />
Pères fondateurs et histoire de l’entreprise suscitent des récits imaginaires ou symboliques avec leurs mythes<br />
et leurs héros, références pour l’organisation.<br />
De ce point de vue, les stratégies du « Storytelling1 » n’ont fait que renforcer la tendance à mythifier<br />
l’histoire de l’entreprise. Ainsi en est-il, par exemple pour IBM France. En 2004, explique Stratégies, pour<br />
les quatre-vingt-dix ans de la société, quatre à cinq témoignages de salariés ont été diffusés chaque mois sur<br />
l’Intranet. Chacun revenait sur sa vie chez IBM. Une retraitée nantaise a même raconté comment elle a dû<br />
cacher en vitesse des documents stratégiques pendant la Seconde Guerre mondiale. Un excellent moyen de<br />
plonger les nouveaux embauchés dans la culture de l’entreprise, se félicite Évelyne Gibert, responsable de la<br />
communication interne, qui dispose d’un réseau de correspondants locaux chargés de lui faire remonter les<br />
histoires du terrain. Sur l’Intranet d’IBM, deux rubriques sont même consacrées au storytelling. La première<br />
relate les expériences fructueuses des équipes. L’autre retrace le parcours exemplaire d’un salarié au sein<br />
du groupe. « Personnaliser » et « contextualiser » sont les maîtres mots. Ce savoir tacite circule à l’état<br />
volatil dans l’entreprise : devant les machines à café, à la cantine, dans les couloirs et les ascenseurs. Le<br />
projet du storytelling se comprend ainsi, à l’interne, comme une mise en récit généralisée de la vie au travail,<br />
une formalisation narrative de la culture d’entreprise. Celle-ci devient l’affaire du management :<br />
coordination, interaction, communautés de pratiques, préparation au changement, licenciement, innovation…<br />
4. La culture métier de l’entreprise et la culture professionnelle des salariés<br />
Culture professionnelle et métier sont liés. Le métier est le cœur de l’entreprise entre culture d’entreprise et<br />
stratégie. Cette notion de métier recouvre trois aspects : le métier lié à l’activité, le métier lié au savoir-faire,<br />
le métier lié aux façons de faire. La culture métier, liée à l’activité, correspond aux références acquises par<br />
l’entreprise dans son activité. Par ailleurs, pour réaliser sa production, une entreprise a recours à plusieurs<br />
métiers (au sens de types de compétences) et chaque métier a sa propre culture, culture de savoirs et de<br />
savoir-faire. On notera que les restructurations, fusions-acquisitions, changements stratégiques en tous<br />
genres rendent de plus en plus difficile le lien entre une culture métier sans cesse remise en cause et une<br />
culture d’entreprise pensée comme un moyen de management. Quel peut bien être le métier de Nestlé ou<br />
Danone ? On s’aperçoit que la culture d’entreprise est d’autant plus une construction managériale que le<br />
culture métier disparaît, se dilue ou se fragmente.<br />
1 Storytelling, Christian SALMON, La Découverte Poche
82 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
B. LES COMPOSANTES DE LA CULTURE D’ENTREPRISE<br />
1. Les mythes et héros<br />
Ce thème est traité dans le § II.A., Formation de la culture d’entreprise, les quatre sources. La personnalité<br />
des fondateurs : le héros ; les évènements marquants : les mythes et leurs récits.<br />
2. Les valeurs<br />
Les valeurs sont des croyances partagées, déclarées ou implicites, des préférences collectives qui s’imposent<br />
au groupe, des normes qui définissent des façons de penser et d’agir. Intériorisées, elles guident le<br />
comportement général des membres de l’entreprise. Déclarées, elles peuvent prendre la forme d’un discours<br />
construit, diffusé par les différentes techniques et sur de multiples supports, en interne et en externe : projet<br />
d’entreprise, charte de communication, livret d’accueil, journal d’entreprise, séminaire, communication<br />
institutionnelle, communication de recrutement. Ces valeurs sont multiples et diverses selon les entreprises et<br />
leur domaine d’activité. Citons : la confiance, la convivialité, l’esprit d’équipe et la primauté de l’intérêt<br />
collectif, l’éthique, la justice, la responsabilité, l’engagement, l’engagement social, l’environnement,<br />
l’excellence, le professionnalisme et la compétence, l’innovation, l’orientation client.<br />
C Exemple<br />
La culture du groupe L’Oréal se fonde sur quatre valeurs fondamentales :<br />
— la qualité maximale (respect des clients) ;<br />
— la passion du produit (défi de l’innovation) ;<br />
— la culture de la performance ;<br />
— un climat d’harmonie humaine, qui passe par le respect de la différence.<br />
Un salarié doit connaître et épouser ces valeurs pour être « Oréalien ». On voit sans peine qu’il s’agit là pour<br />
l’essentiel d’un affichage qui ne craint pas la contradiction. On peut supposer que la culture de la<br />
performance, le respect des clients et l’harmonie humaine ne font pas toujours bon ménage mais c’est<br />
justement une des fonctions des valeurs affichées que de présenter comme souhaitable ce qui est, en tout état<br />
de cause, difficilement viable.<br />
3. Les rites et rituels<br />
Issue de l’anthropologie, c’est-à-dire de l’étude des peuples dits « primitifs », la notion de rite a trouvé une<br />
application dans le champ de la culture d’entreprise. Finalement, une entreprise, dans ce qu’elle a<br />
d’irrationnel, c’est-à-dire d’humain, obéit à des mécanismes et à des rituels profondément ancrés dans le<br />
psychisme humain. Selon la définition de Moscovici 1, les rites et rituels sont des « activités de tous les jours,<br />
systématiques et programmées dans la compagnie » qui ont pour fonction de « développer le sentiment<br />
d’appartenance, de donner de l’importance aux événements qui véhiculent les valeurs pivots et de fixer la<br />
culture pour éviter qu’elle ne fluctue au gré des modes. » Les rites sont des pratiques qui découlent des<br />
valeurs partagées. Ils se manifestent dans des comportements conviviaux tels que célébrations diverses,<br />
remise de médaille, départ à la retraite, naissance, mariage, vœux d’entreprise et des pratiques<br />
professionnelles telles que le recrutement, les réunions de travail, les réceptions, l’évaluation du personnel.<br />
Le recrutement remplit la double fonction d’évaluation de compétences et de rite d’initiation ou de passage.<br />
Cette procédure favorise l’intégration de l’individu au groupe. Les entreprises recherchent, à la fois, des<br />
candidats techniquement capables, mais aussi ayant des valeurs et des aspirations semblables à leur culture.<br />
Le regard critique d’un nouveau salarié peut contribuer à la remise en cause de certaines pratiques. On voit<br />
comment la ritualisation peut aussi se retourner contre l’entreprise en l’enfermant dans des pratiques<br />
nuisibles et sclérosantes.<br />
1 Serge MOSCOVICI, né en 1925, fondateur de la psychologie sociale.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 05 83<br />
4. Les symboles<br />
Multiples et de diverses natures, ils concernent la tenue vestimentaire, le port de l’uniforme, d’un badge qui<br />
distinguent les membres de l’organisation, ainsi que le mobilier, la signalétique, les logos. Le langage, de<br />
façon moins ostensible mais tout aussi présente, est également un des symboles de la culture. La mise en<br />
place d’un langage commun – il y a commun dans communiquer – facilite la circulation de l’information, la<br />
communication sociale et la prise de décision. Ce langage unique se manifeste non seulement par un lexique<br />
et un style spécifiques, mais également par les formulaires adoptés, le style de communication retenu (lettres,<br />
rapports, ordres écrits), ainsi que par les procédures de contrôle. Ainsi, au siège social de Peugeot, les<br />
différences de statut hiérarchique sont marquées par l’utilisation systématique de « monsieur », « madame »<br />
ou « vous », signes de respect. Pour un cadre, le tutoiement est utilisé pour signifier sa supériorité, empiéter<br />
sur le territoire de l’autre et influencer ses décisions.<br />
5. Les tabous<br />
Comme dans tout groupe et toute tribu, attitudes et comportements sont régis selon ce qui est permis, ce qui<br />
est obligatoire et ce qui est interdit.<br />
Le mot tabou est une traduction du mot polynésien « tapu » signifiant interdit, sacré. Dans certaines<br />
entreprises ou organisations, il est interdit ou implicitement déconseillé de parler de tel événement, de tel<br />
concurrent, de porter tel vêtement etc.<br />
C Exemple<br />
À Disneyland-Paris le port de la moustache est interdit aux salariés ; le port des chaussettes et des chaussures<br />
noires est obligatoire, ce qui nous amène aux limites extrêmes du droit du travail.<br />
III. FONCTIONS ET LIMITES DE LA CULTURE D’ENTREPRISE<br />
La culture d’entreprise est une variable essentielle pour comprendre tout à la fois le vécu quotidien et les<br />
choix stratégiques d’une organisation. C’est la raison pour laquelle la plupart des fonctions de l’entreprise la<br />
prennent en compte pour atteindre leurs objectifs.<br />
A. LA CULTURE D’ENTREPRISE ET LA FONCTION RESSOURCES HUMAINES<br />
La culture de l’entreprise suscite et maintient la cohésion du personnel, le fédère autour du nom, des<br />
produits, des services, des clients, de l’image de marque. Cette capacité à travailler collectivement de<br />
manière efficace est un des facteurs de performance. La direction générale en attend la mobilisation autour<br />
d’objectifs communs, la motivation à développer le sens des responsabilités, de la productivité, par<br />
conséquent la rentabilité de l’entreprise.<br />
La gestion du personnel proprement dite touche à la manière dont l’entreprise traite ou considère ses<br />
employés. On peut s’attendre à y trouver des références qui imprègnent les comportements, les modes de<br />
fonctionnement et donc la culture. De plus, cette gestion s’attache à des choix et à des évaluations<br />
importantes. Un système d’appréciation ou de rémunération témoigne de la manière dont l’organisation<br />
prend en compte la personne et son activité. Enfin, la gestion du personnel traite de l’individu et des relations<br />
dans l’organisation. À la base de celle-ci se situent des représentations dont une partie découle de la culture.<br />
La culture d’entreprise joue également un rôle dans le recrutement, en permettant aux futurs collaborateurs<br />
de se reconnaître dans ce que l’entreprise présente comme son identité. Elle a également un rôle important à<br />
jouer dans l’intégration des nouveaux embauchés, rôle déterminant dans les sociétés en forte croissance.<br />
Catalyseur et moyen de facilitation, la culture d’entreprise donne du sens : au-delà de son rôle de cohésion,<br />
elle fait écho aux aspirations profondes des hommes qui composent une entreprise : aspiration à une<br />
satisfaction personnelle au-delà de la seule rémunération, aspiration à un besoin d’appartenance à un groupe,<br />
aspiration à partager un projet commun et valorisant. Réussir à la formuler explicitement est donc un moyen
84 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
d’établir un lien profond entre la société et ses membres. On ne surévaluera toutefois pas l’efficacité de cette<br />
culture lorsqu’elle se heurte à la réalité économique des compressions de personnel…<br />
La culture d’entreprise n’est pas qu’une source de cohésion : elle apporte aussi une contribution forte aux<br />
fonctionnements techniques, à travers les multiples occasions de bien – ou de mal – assurer la coordination<br />
des activités au sein de l’organisation. La culture d’entreprise, en spécifiant, ne serait-ce qu’implicitement,<br />
certains comportements et références communs, contribue à standardiser ces comportements et le traitement<br />
des interfaces (même entre personnes ne se connaissant pas : c’est l’avantage de la culture d’entreprise ou de<br />
métier) et des imprévus. En posant des valeurs et des représentations communes, elle facilite la<br />
compréhension. En gestion de production, ce sont moins les outils qui changent que la façon de produire.<br />
L’intérêt de la culture est d’adapter les modes de gestion aux évolutions de l’activité.<br />
Les symboles propres à l’entreprise se manifestent dans les transactions, c’est-à-dire les rites et traditions<br />
intervenant dans l’activité commerciale.<br />
B. CULTURE D’ENTREPRISE ET COMMUNICATION<br />
Les valeurs déclarées de l’entreprise : engagement éthique, souci du développement durable etc. sont mises<br />
en scène dans tous les champs de la communication : communication institutionnelle (mécénat),<br />
communication interne, de recrutement, communication orientée vers les collectivités publiques,<br />
communication en direction des publics locaux ; elles peuvent être aussi utilisées en communication<br />
marketing d’image de marque.<br />
C. LES LIMITES DE LA CULTURE D’ENTREPRISE<br />
Si la culture d’entreprise joue un rôle important dans la gestion, elle comporte cependant certaines limites.<br />
Une culture d’entreprise trop forte, trop rigide, trop sûre d’elle-même, peut mener les dirigeants de<br />
l’organisation à une myopie envers le marché et le fonctionnement interne de l’organisation. Une « culture<br />
du succès », trop de certitudes peut ainsi entraîner un manque de vigilance et de lucidité et engager<br />
l’entreprise dans des projets risqués. Exemple, l’échec du lancement Bic parfums. Une culture peut se figer,<br />
disparaître, se trouver absorbée ou être métissée en cas de faillite, fusion ou scission de l’entreprise.<br />
Par ailleurs, à l’intérieur de l’entreprise, des sous-<strong>cultures</strong> existent et cohabitent avec la culture dominante<br />
et/ou officielle. Des groupes partagent, perpétuent et diffusent des traits de culture qui leur sont propres selon<br />
leur métier, leur profession, leur catégorie socioprofessionnelle, leur origine géographique et culturelle, leur<br />
classe d’âge ; leur sexe, leur religion. Ces sous-<strong>cultures</strong> peuvent cohabiter, entrer en dissension voire en<br />
conflit avec la culture majoritaire.<br />
IV. CONNAÎTRE ET FORMALISER LA CULTURE : DE L’AUDIT AU<br />
PROJET<br />
Une entreprise peut décider de faire le point sur sa culture pour la structurer et la formaliser : passer d’une<br />
perception implicite à une formulation explicite. Elle aura alors recours à un tiers extérieur à l’entreprise, un<br />
consultant spécialisé, garant de l’objectivité des analyses et des résultats. Pour effectuer son audit, il<br />
interrogera, par petits groupes, les membres de l’organisation, sur chacune des composantes de la culture :<br />
comment ils croient être perçus par la concurrence, par le marché, quelles sont, selon eux, les valeurs perçues<br />
par le public.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 05 85<br />
A. GRILLES D’AUDIT DE CULTURE<br />
Michel Thévenet a conçu une grille d’audit de culture.<br />
La grille de valeurs<br />
— Les valeurs déclarées : charte, projet, presse interne, livret d’accueil.<br />
— Les valeurs apparentes : les héros, les dirigeants, les facteurs de réussite de la communication externe.<br />
— Les valeurs opérationnelles : système de contrôle, procédures de gestion.<br />
— Les attitudes : le rapport à la bureaucratie, à la concurrence, à l’environnement.<br />
La grille signes et symboles<br />
— Les signes : l’accueil des personnes vis-à-vis de l’extérieur. Le langage, l’habillement. La gestion du<br />
temps, horaires. Le rapport à l’espace, les différents espaces dans l’entreprise et leur répartition ; le design<br />
interne et externe.<br />
— Les symboles : les rites, pots, fêtes, événements internes, logos, signalétique.<br />
La grille fondateur<br />
— Données personnelles : nom, cursus, formation, carrière. Origine sociale : milieu, région.<br />
— Choix initiaux déterminants : technologique, commercial, organisationnel.<br />
— Principe lié à la personnalité : recherche, formation, récompense, punition.<br />
La grille histoire<br />
— Les hommes : présidents, dirigeants, héros.<br />
— Les structures et leur évolution : rachat, fusion, évolutions de la structure interne.<br />
— Les grandes dates : succès commerciaux, technologiques (brevet).<br />
La grille métier<br />
— Le métier perçu.<br />
— Le métier apparent : adhésion à des organismes professionnels, conventions collectives, formation initiale<br />
privilégiée.<br />
— Le métier lié à l’activité : historique des produits et des technologies. Facteurs clés de succès du leader.<br />
Particularité du process : recherche, fabrication, marketing.<br />
— Le métier lié au savoir-faire. Facteurs distinctifs (procédures, structures, gestion des coûts, méthodes de<br />
travail).<br />
— Le métier lié aux façons de faire : liens production/commercial, entreprise/environnement, rapport aux<br />
nouvelles technologies.<br />
B. LE PROJET D’ENTREPRISE<br />
L’audit de culture d’entreprise peut servir de base à l’élaboration d’un projet d’entreprise. Sous forme de<br />
charte, il énonce les objectifs généraux, les valeurs, la philosophie de l’entreprise. Le destinataire (la cible,<br />
au sens propre, puisqu’il s’agit de politique de communication) est l’ensemble des membres de<br />
l’organisation, son objectif, la motivation, l’implication, la cohésion par l’adhésion à des principes<br />
explicitement déclarés et formulés (et à terme d’accroître la performance de l’entreprise).<br />
Le projet d’entreprise a ses limites : certaines tiennent à la difficulté de repérer des traits consistants et<br />
permanents de culture et donc d’élaborer un projet cohérent et fédérateur ; par ailleurs, il peut être perçu<br />
comme un projet directif et contraignant de l’équipe dirigeante et des cadres « la voix de son maître » et<br />
moins des salariés, l’obstacle résidant en termes d’implication des salariés sous contrats précaires de plus en<br />
plus nombreux. L’adhésion à la culture d’entreprise est un processus de long terme qui nécessite<br />
l’implication de toutes les parties prenantes, direction et collaborateurs de l’entreprise. Elle ne peut exister<br />
dans un cadre d’instabilité généralisée de l’emploi et des fonctions.<br />
Le contenu du projet d’entreprise<br />
Le projet doit comporter les éléments suivants :<br />
— Une raison d’être et une ambition : les défis que l’entreprise se propose de relever.<br />
— Un positionnement différent, pertinent, permanent, excellent.
86 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
— Des valeurs fondamentales, une déontologie professionnelle, des règles de fonctionnement.<br />
— Des engagements découlant des quatre éléments précédents.<br />
L’adhésion à la culture d’entreprise est un processus de longue haleine qui requiert l’implication de toutes les<br />
parties prenantes, direction et collaborateurs de l’entreprise.<br />
EN GUISE DE CONCLUSION<br />
L’histoire des entreprises ne se déroule pas de manière rectiligne. À des phases de stabilité voire d’inertie<br />
peuvent succéder des phases de dynamisme ou de perturbation. L’histoire des entreprises n’est pas un long<br />
fleuve tranquille. Toute entreprise doit faire face avec ses forces et ses faiblesses à des opportunités et des<br />
menaces. Comment la culture d’entreprise évolue-t-elle dans le temps ? L’entreprise et sa culture comme<br />
tout système ouvert doit, à la fois s’adapter aux évolutions externes plus ou moins rapides et prévisibles<br />
(économiques, juridiques, technologiques…), et assurer sa cohérence interne. Elle doit par conséquent être<br />
à la fois stable et mouvante.<br />
Ensemble des façons de penser et d’agir, ensemble de règles explicites ou implicites, système de cohésion et<br />
de cohérence, la culture fait partie du capital immatériel de l’entreprise. À côté de la valorisation des actifs<br />
et des technologies, elle contribue à la valeur réelle de l’entreprise.<br />
Les années 80 ont « célébré » apparemment la réconciliation des employés avec l’entreprise et le patronat.<br />
D’où l’apparition dans les discours médiatiques et managériaux du concept de culture d’entreprise. La crise,<br />
les crises successives depuis les années 95 semblent avoir rompu, pour partie, ce consensus. En 2010,<br />
l’image de l’entreprise oscille entre lieu d’aliénation et d’exploitation, de communauté de création de<br />
richesses, ou d’illusion collective.<br />
ANNEXE 1<br />
La culture de Disneyland Paris-Marne la Vallée<br />
Valeurs<br />
— La qualité totale du service rendu.<br />
— Le rêve, l’imaginaire, le spectacle.<br />
— La courtoisie et la ponctualité des « cast members » (toute incorrection dans ce domaine peut<br />
être source de licenciement).<br />
Mythes<br />
— Walt Disney : mythe d’origine<br />
— Disney World : mythe de réussite<br />
— L’Amérique : mythe héroïque<br />
— La jeunesse éternelle : mythe de l’homme enfant<br />
Rites<br />
Le recrutement : premier rite initiatique. Trois entretiens sont prévus pour déceler les candidats<br />
parfaitement bilingues (voire trilingues) et ayant le profil correspondant aux valeurs du groupe. La<br />
brochure d’accueil donne le ton : « Venez jouer le rôle de votre vie. Entrez dans le monde magique<br />
de Disney ». Le salaire d’un « cast member » débutant varie entre 900 et 1 000 euros bruts par<br />
mois. À cela s’ajoutent certains avantages en nature, tels que 20 % de réduction sur les produits<br />
Disney.<br />
La formation : deuxième rite initiatique. Les nouveaux « cast members » suivent un stage à<br />
l’université Disney pendant lequel ils apprennent non seulement le nom du premier personnage de<br />
Disney, mais également comment sourire.<br />
Pour tous les « cast members », y compris les cadres : se déguiser au moins une fois dans un<br />
personnage !<br />
Les managers quant à eux, suivent un stage de formation aux États-Unis.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 05 87<br />
Tabous<br />
Tout nouveau « cast member » reçoit une brochure de 13 pages, qui énumère tous les « interdits »<br />
qui « vont à l’encontre de l’image Disney ». Par exemple, il est spécifié que « ni la décoloration,<br />
teinture, mèches ou balayage ne sont autorisés » ; pour les hommes, il faut impérativement le port<br />
des chaussures et chaussettes noires. Ni barbe, ni moustache n’y sont admis. La taille des ongles,<br />
et des jupes, ainsi que la dimension des boucles d’oreilles y sont déterminées. Il est également<br />
conseillé l’utilisation d’un déodorant, et « le port de sous-vêtements appropriés pendant le temps<br />
de travail ».<br />
Symboles<br />
— Mickey : symbole majeur de ce monde de « rêve ».<br />
— « Disneylook » : l’uniforme, mais également toutes les recommandations des « interdits ».<br />
— Le port des badges : pour les hôtes, badge avec les oreilles de Mickey ; pour les « cast<br />
members », mention de leur prénom.<br />
— Langage : directement importé des pratiques américaines : utilisation de prénom, tutoiement ;<br />
forte utilisation de l’anglais.<br />
La culture du groupe<br />
ANNEXE 2<br />
Ikea<br />
Ikea possède une culture d’entreprise forte et vivante. Elle s’est cimentée au fil des années,<br />
parallèlement au développement de sa vision commerciale.<br />
« Maintenir une forte culture Ikea est l’un des principaux facteurs qui permettront au concept Ikea<br />
de demeurer un succès » Ingvar Kamprad, fondateur du groupe Ikea.<br />
Le concept et les valeurs sont donc les piliers du groupe Ikea.<br />
Concept Ikea<br />
Le concept Ikea prend appui sur 3 éléments principaux :<br />
— sa vision : « améliorer le quotidien du plus grand nombre »,<br />
— son idée des affaires : « proposer une vaste gamme d’articles d’ameublement esthétiques et<br />
fonctionnels à de si bas prix que le plus grand nombre pourra les acheter »,<br />
— son idée des ressources humaines : « donner aux gens simples et droits la possibilité d’évoluer,<br />
tant sur le plan individuel que professionnel, afin que par notre engagement commun nous<br />
puissions améliorer notre quotidien et celui de nos clients ».<br />
Valeurs Ikea<br />
Le groupe Ikea tire sa force de leader mondial en cultivant son identité, en développant une vision<br />
d’entreprise et en affirmant des valeurs auxquelles il croit :<br />
— le bon sens,<br />
— la conscience des coûts,<br />
— la diversité,<br />
— le droit à l’erreur,<br />
— l’enthousiasme,<br />
— l’entraide,<br />
— l’honnêteté,<br />
— l’humilité,<br />
— l’ouverture d’esprit.<br />
Ikea France et la RSE (responsabilité sociale et environnementale)<br />
Les chiffres clés<br />
— Tri des déchets :<br />
� 13 550 tonnes de déchets.<br />
� 65 % de déchets recyclés, réutilisés et revalorisés.<br />
— Énergie :<br />
� 9 % d’électricité produite à partir d’énergies renouvelables.<br />
� 6 770 tonnes de CO2 émis par la consommation d’électricité et de chauffage.<br />
— Transports en commun : 4 % des clients viennent en transports en commun.<br />
— Formation e-learning : 1,5 % de collaborateurs formés.
88 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Les actions locales France<br />
— Organisation d’événements et d’un jeu pour les clients dans tous les magasins pour la semaine<br />
du développement durable.<br />
— Diffusion de la brochure institutionnelle « Responsabilité sociale et environnementale ».<br />
— Membre du Comité 21.<br />
— Partenariat Ikea/Unicef France :<br />
� mise en place de l’opération « peluches »,<br />
� accueil des stands des bénévoles Unicef dans tous les magasins,<br />
� participation commune à des conférences ; achat d’une carte de voeux nationale.<br />
— Partenariat Ikea/Unicef International :<br />
� vente des ours BRUM,<br />
� diffusion d’une cassette vidéo expliquant le projet Ikea-Unicef en Inde, dans tous les magasins.<br />
— Actions Ikea/ONF :<br />
� vente des sapins de Noël associée à un don à l’Office national des forêts,<br />
� soutien de 9 projets régionaux de valorisation du patrimoine naturel français.<br />
— Au cours de l’année : don de meubles ou de matériel informatique à des associations.<br />
Ikea et RSE, définition du terme valorisation<br />
Ce terme générique recouvre le réemploi, la réutilisation, la régénération, le recyclage, la<br />
valorisation organique ou la valorisation énergétique des déchets.<br />
— réemploi : opération par laquelle un bien usagé, conçu et fabriqué pour un usage particulier, est<br />
utilisé pour le même usage ou un usage différent.<br />
La réutilisation et le reconditionnement sont des formes particulières de réemploi.<br />
— réutilisation : toute opération par laquelle les composants de véhicules hors d’usage servent au<br />
même usage que celui pour lequel ils ont été conçus.<br />
La réutilisation couvre donc la remise sur le marché des pièces démontées par les démolisseurs et<br />
la rénovation de pièces.<br />
— régénération : opération visant à redonner à un déchet les caractéristiques physico-chimiques<br />
qui permettent de l’utiliser en remplacement d’une matière vierge.<br />
— recyclage : opération visant à introduire les matériaux provenant de déchets dans un cycle de<br />
production en remplacement total ou partiel d’une matière première vierge.<br />
— valorisation organique (appelée aussi valorisation matière) : utilisation de tout ou partie d’un<br />
déchet en remplacement d’un élément ou d’un matériau.<br />
— valorisation énergétique : utilisation d’une source d’énergie résultant du traitement des<br />
déchets.<br />
Une critique du modèle Ikea<br />
Denis LAMBERT, Ikea, un modèle à démonter. Extraits :<br />
Denis Lambert a attiré l’attention des consommateurs sur ce mode de consommation jetable<br />
prôné par Ikea. La campagne d’Oxfam a eu un effet de surprise car beaucoup de gens<br />
avaient une image positive du groupe. En étant informés de l’intérieur, ils sont assez choqués<br />
du résultat.<br />
Ikea en quelques chiffres : 220 magasins dans 33 pays et 90 000 collaborateurs, 410 millions de<br />
clients à travers le monde. 14,8 milliards de chiffre d’affaires (2005). En France, une hausse de<br />
chiffre d’affaires de 15,5 %.<br />
Le paradoxe Ikea : Un modèle opaque, qui pousse à la surconsommation et développe en même<br />
temps un partenariat avec les ONG et affirme lutter contre l’exploitation des enfants.<br />
Ikea a fait des efforts en matière de RSE1, mais considère que le développement durable c’est<br />
avant tout le développement économique.<br />
Les consommateurs sont ambivalents ou en contradiction et ont du mal à concilier leurs<br />
aspirations entre accès à des produits bon marché, un travail correctement rémunéré et des<br />
considérations citoyennes. Ikea, lui, ne l’est pas. Il tient un discours sur sa responsabilité sociale<br />
mais elle ne correspond pas à une stratégie.<br />
1 Responsabilité sociale des entreprises
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 05 89<br />
Le groupe ne souhaite pas s’exprimer sur le contenu du livre mais indique ses efforts faits en<br />
matière de RSE. Dans un communiqué, il rappelle qu’il dispose d’un code de conduite, « The Ikea<br />
Way on Purchasing Home Furnishing Products », IWAY. « Il s’agit d’un ensemble de règles<br />
sociales et environnementales que les sous-traitants d’Ikea doivent respecter (...) Ikea fait le<br />
maximum pour vendre ses produits aux prix les plus bas, mais pas à n’importe quel prix ». Ikea<br />
explique qu’il ne voit pas de conflit entre faire des affaires et être une entreprise responsable, qui<br />
consiste à « améliorer le quotidien du plus grand nombre ». « Nous avons accompli un chemin<br />
important mais il y a encore beaucoup de choses à faire, il s’agit d’un processus permanent qui<br />
comporte encore certainement de nombreuses étapes (...). Ikea comprend et partage l’intérêt pour<br />
cette problématique importante. Ikea est convaincu qu’il est essentiel d’avoir des actions qui<br />
viennent de différentes parties pour obtenir des avancées. »<br />
Ikea et les syndicats. En Europe, le groupe a une attitude très paternaliste. Si l’on prend l’exemple<br />
de la Belgique, les conditions de travail et de rémunération ne sont pas particulièrement brillantes.<br />
Le groupe ne fait pas mieux que le secteur de la grande distribution en général, voire pire. Par<br />
exemple, lorsqu’une grève a éclaté au sein de la filiale belge, Ikea a donné une prime à ceux qui ne<br />
la suivaient pas et ne se joignaient pas aux manifestations. Plutôt que le dialogue interne, le groupe<br />
préfère jouer sur une image de convivialité. Dans les pays du Sud, il a pris clairement le choix des<br />
audits sociaux plutôt que le dialogue avec les organisations syndicales.<br />
Le code de conduite du groupe. Les résultats des audits sociaux ne sont pas communiqués et la<br />
démarche d’Ikea se fait en circuit fermé. Nous lui avons demandé de nous communiquer la liste de<br />
ses fournisseurs, mais même en assurant la confidentialité de ces informations, Ikea a refusé.<br />
Une entreprise transparente ? En matière de transparence, Ikea joue sur l’identité suédoise,<br />
l’image de la social-démocratie ouverte et transparente, or les montages juridiques de la société<br />
sont totalement opaques et orientés vers un seul but, payer le moins d’impôts possible… Par<br />
ailleurs, l’entreprise n’est pas cotée en bourse, ce qui lui permet d’échapper à la transparence<br />
financière. En 2004, le groupe n’a payé que 19 millions de dollars d’impôts pour un bénéfice de<br />
353 millions.<br />
Le travail collaboratif Oxfam-Ikea Belgique. Nous avons rencontré le responsable RSE<br />
du groupe, mais il a refusé nos propositions, dont celle d’analyser la chaîne de valeur sur cinq<br />
produits en nous donnant les prix imposés aux fournisseurs. En Belgique, le responsable avait<br />
accepté le principe d’un débat public mais il s’est désisté la veille, car seule la direction centrale<br />
est autorisée à parler de RSE. Ikea utilise un discours qui « enferme ». À chaque fois qu’Ikea est<br />
épinglé sur un problème de déforestation ou de pollution, il répond « OK, nous allons faire<br />
quelque chose, les critiques sont bienvenues », etc. En gros, il affirme être d’accord avec les<br />
critiques qui lui sont faites, fait son mea culpa et annonce qu’il va mieux faire la prochaine fois.<br />
La stratégie Ikea et les ONG. Officiellement, Ikea les félicite car elles l’aident à progresser. En<br />
réalité, le groupe réagit au coup par coup avec elles. À chaque crise, il s’associe avec l’ONG la<br />
plus adaptée au problème. Conséquence : le groupe collabore avec le WWF, l’Unicef, Save the<br />
Children, etc. Il affiche une belle vitrine sociale et environnementale, mais là aussi, il manque de<br />
transparence. Il achète par exemple 10 % de bois certifiés FSC mais refuse d’apposer le label sur<br />
ses produits. Il n’aide donc pas le label à se faire connaître, ni le consommateur à faire des choix<br />
responsables, puisqu’il n’est pas informé.<br />
V. BIBLIOGRAPHIE<br />
Olivier BAILLY, Jean-Marc CAUDRON, Denis LAMBERT, Ikea : un modèle à démonter,<br />
éditions Luc Pire, 2006.<br />
La Culture d’entreprise, Maurice THÉVENET, Que sais-je ?<br />
Anthropologie de l’entreprise : Gérer la culture comme un actif stratégique, Alain SIMON et Marc<br />
LEBAILLY.<br />
Le sentiment d’appartenance du personnel, Pierre DUBOIS et Raymond ROYER.<br />
L’entreprise multiculturelle, Fons TROMPENAARS et Charles HAMPDEN-TURNER, édition Maxima,<br />
2005.
90 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
Culture d’entreprise et histoire ; sous la direction d’Alain BELTRAN et Michèle RUFFAT, les éditions<br />
d’Organisation, 1991, 158 pages.<br />
Culture d’entreprise, mode d’action : diagnostic et intervention, Jean-Marcel KOBI, Hans WÜTHRICH,<br />
Nathan, 1991.<br />
Cultures d’entreprise, Roland REITTER, éditions Vuibert.<br />
La sociologie des organisations, Philippe BERNOUX, éditions du Seuil.<br />
Exercice<br />
La caractéristique de la société Bic est de concevoir des produits simples, fiables, de prix accessible à tous<br />
les publics. Après le succès mondial du stylo-bille Bic Cristal, la société s’est fait une spécialité des produits<br />
jetables, toujours avec le même succès : rasoirs puis briquets jetables.<br />
Cependant, le souci écologique du développement durable pose à la société/marque Bic un problème<br />
central : comment concilier jetable et durable ?<br />
Votre travail :<br />
Consultez le site web de la société Bic, et voyez quelle réponse elle donne à ce problème crucial pour son<br />
image et à terme ses ventes.<br />
Réponse<br />
Consultez les pages web, vision et valeurs, et développement durable.<br />
La première réponse de Bic est la suivante : ses produits durent longtemps et elle le « prouve » par des<br />
chiffres. Un stylo Bic permet 2/3 km d’écriture, un briquet 3 000 allumages, un rasoir 7 jours de rasage.<br />
La deuxième réponse est, dans le cadre d’une démarche d’éco-conception, la mise en place d’une étude<br />
d’impact sur l’environnement qui prend en compte l’ensemble du cycle de vie des produits, de l’extraction<br />
des matières premières jusqu’à la fin de vie du produit. Cette étude est menée par un cabinet expert externe,<br />
donc indépendant.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 05 91<br />
K EXERCICES D’ENTRAÎNEMENT À NE PAS ENVOYER À LA CORRECTION<br />
Exercice 1<br />
Analyse d’une annonce de l’annonceur Bosch parue dans la presse magazine, une page en quadrichromie<br />
(voir annexe).<br />
Contexte<br />
La société Bosch, aujourd’hui une des plus grandes sociétés industrielles privées au monde, a été créée fin<br />
XIX e siècle par Robert Bosch. Cette société lance en 1933 le premier réfrigérateur Bosch.<br />
Depuis, Bosch a diversifié ses activités : techniques industrielles, bâtiment et biens de grande consommation.<br />
Seule marque polyvalente du marché de l’électroménager, Bosch offre une large gamme de produits de gros<br />
et petit produit électroménager : lave-vaisselle, lave-linge, réfrigérateur, congélateur, appareil de cuisson et<br />
aspirateur.<br />
Pour une étude plus détaillée, consultez le site de la société Bosch et les sites des concurrents.<br />
PREMIÈRE PARTIE : CULTURE D’ENTREPRISE<br />
1. Recherchez des concurrents de Bosch sur le marché des aspirateurs.<br />
2. Quelles sont les principales motivations d’achat ?<br />
3. Quelle est la marque qui a révolutionné le marché par son nouveau concept de produit et une publicité très<br />
efficace ?<br />
4. Énoncez les éléments de la culture d’entreprise de Bosch.<br />
DEUXIÈME PARTIE : L’ANNONCE PRESSE<br />
5. En quoi l’accroche textuelle, sous son aspect paradoxal, est-elle à la fois forte et pertinente ?<br />
Quelle est la fonction de la deuxième partie de l’accroche ?<br />
6. Comment la signature de Bosch « Des technologies pour la vie » qui traduit son positionnement est-elle<br />
signifiée visuellement et textuellement dans l’annonce ?
92 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
ANNEXE<br />
Annonce<br />
CbNews, 24/03/2009
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 05 93<br />
Exercice 2<br />
Analyse de l’annonce presse de l’annonceur Total, pleine page en quadrichromie (annexe).<br />
Répondez aux questions suivantes. Justifiez en quelques mots, précisément, vos réponses.<br />
Vous vous aiderez de la grille d’évaluation fournie dans le fascicule 1 Projet de communication, 2 e année,<br />
9K24, en fin de séquence 01, annexe 3.<br />
1. Quels sont les objectifs de communication de cette annonce ? Quelles sont les cibles ?<br />
2. Quelle est la promesse ou le bénéfice consommateur ? Quelles sont les justifications (visuel + textuel) ?<br />
3. Quel est le frein à lever par la société Total ?<br />
4. Ce frein est-il propre à Total ou bien concerne-t-il l’ensemble du marché ? Justifier.<br />
5. Quelle est l’accroche au sens technique ?<br />
6. Quel autre élément attire l’attention ? (c’est-à-dire la fonction d’accroche au sens courant du terme)<br />
7. En quoi l’accroche « Connexion directe » assure-t-elle la fonction d’ancrage ?<br />
8. En quoi le CO de l’accroche textuelle « Connexion directe » pourrait-il est compris de façon négative ?<br />
9. Quels éléments iconiques signifient la nature et la modernité ? Pourquoi Total a-t-il choisi de représenter<br />
l’Afrique ?<br />
10. Analyse de la construction et des formes : que signifie la diagonale qui part de haut à gauche pour aboutir<br />
au coin droit en bas ?<br />
11. Que pensez-vous du triangle formé par le panneau solaire, le derrick et les girafes ?<br />
12. Montrez que l’ensemble de cette annonce fonctionne sur l’idée de lien et de complémentarité.
94 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
ANNEXE 1<br />
Annonce Total<br />
www.total.fr
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 05 95<br />
E CORRIGÉ DES EXERCICES D’ENTRAÎNEMENT<br />
Exercice 1<br />
PREMIÈRE PARTIE : CULTURE D’ENTREPRISE<br />
1. Les concurrents de Bosch sur le marché des aspirateurs sont Rowenta, Dyson, Hoover, Electrolux, Miele.<br />
2. Les principales motivations d’achat sont le silence, la puissance, la praticité, l’économie.<br />
3. La marque qui a révolutionné le marché par son nouveau concept de produit et une publicité très efficace<br />
est Dyson.<br />
4. Les sources et les composantes de la culture d’entreprise sont :<br />
– un fondateur-héros visionnaire ;<br />
– un inventeur, une culture métier : innovation, fiabilité ;<br />
– un « plus » technologique orienté marketing bénéfice-consommateur, ce qui était peu courant fin<br />
XIX e siècle où l’on proposait surtout du « plus » produit ; l’originalité de Bosch est de penser bénéficeconsommateur<br />
et non promesse produit ;<br />
– une valeur fondamentale : la confiance. Cette valeur est appliquée concrètement au marketing et à la<br />
communication. La confiance engendre la fidélisation du consommateur, gage d’achats répétés dans le<br />
long terme.<br />
DEUXIÈME PARTIE : L’ANNONCE PRESSE<br />
5. Le paradoxe est dans l’opposition – humoristique – entre écolo et mouton. Le concepteur-rédacteur joue<br />
sur la polysémie du mot mouton qui renvoie à l’animal et la poussière. Cette accroche est forte par le corps et<br />
le graissage de la typo et par son sens apparent intriguant. Sa pertinence réside dans le fait que cet aspirateur<br />
se veut à la fois économe en énergie – donc écologique – et puissant car il aspire toute la poussière (notez<br />
l’hyperbole « impitoyable »). (2,5 pts)<br />
La 2 e partie de l’accroche explicite et justifie la première. Écolo est justifié par les mots « économe » et<br />
« environnement » ; impitoyable par les mots « Compressor », « ProEnergy » et « puissant ». (2,5 pts)<br />
6. Le positionnement « technologie » est signifié textuellement, comme on vient de le voir, par l’accroche<br />
mais aussi par la bodycopy. Les mots-clés sont les suivants : 50 % d’électricité en moins, même<br />
performance d’aspiration, filtration d’air. Les valeurs de vie engendrées par cette technologie sont écologie,<br />
hygiène, propreté, calme, silence.<br />
Visuellement l’écologie est signifiée par la couleur verte du fil et de la prise, couleur présente également sur<br />
le capot de l’aspirateur ; l’hygiène, la propreté, le silence par le fond blanc et vide. La technologie est<br />
traduite par le cadrage de l’aspirateur qui induit la puissance.<br />
Exercice 2<br />
1. Les objectifs sont :<br />
– de notoriété : faire savoir que Total développe un programme d’énergies nouvelles ;<br />
– d’image : Total se positionne comme une entreprise moderne, soucieuse de préserver la nature et<br />
d’économiser l’énergie.<br />
Les cibles sont le grand public, mais aussi les investisseurs. Juin 2010, la valeur BP a baissé de 66 % en<br />
un mois suite à la marée noire dans le golfe du Mexique qui atteint maintenant la Floride. Cette<br />
catastrophe fait l’objet d’une couverture médiatique mondiale.<br />
2. La promesse de Total au travers de cette annonce est de diminuer les effets nocifs des énergies fossiles. La<br />
justification est fournie par des éléments :<br />
– textuels : Total est présent dans la filière photovoltaïque (Cf. la bodycopy) ;<br />
– visuels : la présence du panneau solaire et une représentation idyllique de la savane africaine.
96 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
3 et 4. Les freins à lever sont les suivants :<br />
– un frein générique (c’est-à-dire qui concerne l’ensemble du marché) concernant l’ensemble des sociétés<br />
qui fournissent de l’énergie à partir des énergies fossiles génératrices de gaz carbonique ;<br />
– un frein spécifique, propre à Total : Total est lié pour longtemps dans les mémoires à la pollution à grande<br />
échelle de la Bretagne (échouage de l’Amoco Cadiz).<br />
5. La connexion directe suivi des deux phrases Et si… est l’accroche au sens technique.<br />
6. Les éléments iconiques et leur traitement plastique attirent l’attention pour la raison suivante : le rapport<br />
du paysage africain (traité de manière quasiment touristique) à Total n’est pas évident ; de même le lien<br />
girafe-panneau solaire. Cela amène la cible à poursuivre sa lecture de l’annonce pour achever sa<br />
compréhension.<br />
7. Puisque que le lien du contenu du visuel à l’annonceur n’est pas immédiatement compréhensible<br />
(volontairement), la phrase Connexion a pour fonction d’en fixer le sens. Ce texte fait légende c’est-à-dire<br />
indique ce qui doit être vu et compris.<br />
L’originalité (relative) du visuel est, de ce fait, comprise et justifiée.<br />
8. Le CO de connexion pourrait rappeler l’idée de CO� plutôt que de renvoyer à celle de connexion directe.<br />
9. L’idée de nature est signifiée par les éléments iconiques suivant : l’eau, la terre, le soleil, les arbres, les<br />
girafes. La modernité est signifiée par le panneau solaire. Le derrick, lui, est tourné vers le bas et en position<br />
inversée. Il signifie donc, dans cette annonce, le passé.<br />
10. Cette diagonale relie le panneau solaire, le derrick à la signature de Total.<br />
Le panneau tourné vers le haut et la partie droite renvoie au futur et à l’avenir vers lequel Total se dirige.<br />
11. Le panneau, le derrick, les deux girafes forment un triangle dont la pointe est tournée vers le bas. La<br />
ligne formée par la terre relie significativement le panneau, le soleil et les girafes :<br />
– panneau et soleil signifient la technologie ;<br />
– soleil et girafes renvoient à la nature préservée.<br />
Situés dans la partie supérieure de l’annonce, ces éléments ont valeur positive :<br />
– Le derrick, comme indiqué précédemment, renvoie au passé et au négatif.<br />
– Le soleil est séparé en deux parties : soleil couchant en dessous de la ligne d’horizon incluant<br />
partiellement le derrick, soleil levant au dessus de la ligne d’horizon.<br />
12. La société Total a besoin de (re)trouver une légitimation à son activité et d’effacer ses traits d’image<br />
négatifs. Il lui faut donc recréer des liens avec son marché. Il lui faut apparaître comme une entreprise<br />
moderne en phase avec les nouvelles technologies et les nouvelles aspirations du « public ».<br />
Dans l’annonce, cela se traduit de la façon suivante :<br />
– dans le texte tout d’abord. Le CO de connexion en rouge, le C et le O lié. Le mot complémentaire. Le<br />
nôtre et le vôtre de la signature textuelle de Total (la baseline) ;<br />
– dans le visuel : le lien nature-technologie par la ligne panneau-soleil-girafes.
U9K25-F1/1 97<br />
SÉQUENCE 06<br />
LES CULTURES DES ANNONCEURS (SUITE)............................................................................................ 98<br />
SÉANCE 1 : CULTURE DES ADMINISTRATIONS................................................................................... 98<br />
I. DE QUI PARLE-T-ON ?.............................................................................................................98<br />
A. L’ADMINISTRATION AVEC UN GRAND « A » : L’ÉTAT.........................................................98<br />
B. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES.......................................................................................99<br />
II. UN IDÉAL BUREAUCRATIQUE ? ........................................................................................ 99<br />
III. LA PROFESSIONNALISATION DE LA FONCTION PUBLIQUE.................................. 100<br />
IV. UNE ADMINISTRATION DISTANTE ET SECRÈTE ? .................................................... 101<br />
V. DES HUMAINS MALGRÉ TOUT… .................................................................................... 102<br />
VI. DES TENDANCES ET DES INFLEXIONS ......................................................................... 102<br />
A. LA PRESSION SYNDICALE ...........................................................................................................103<br />
B. LA PRESSION IDÉOLOGIQUE.......................................................................................................103<br />
VII. LE PETIT FONCTIONNAIRE… OU L’HOMME DÉDOUBLÉ........................................ 103<br />
VIII. L’IDÉOLOGIE ADMINISTRATIVE..................................................................................... 105<br />
A. LA LÉGITIMITÉ EXTERNE ............................................................................................................106<br />
B. LA LÉGITIMITÉ INTERNE .............................................................................................................106<br />
IX. LES RÉALITÉS DE L’ACTION ADMINISTRATIVE........................................................ 108<br />
SÉANCE 2 : CULTURE DES ASSOCIATIONS.......................................................................................... 110<br />
I. PETITE SOCIOLOGIE DES ASSOCIATIONS FRANÇAISES........................................... 110<br />
II. LES SPÉCIFICITÉS DU BÉNÉVOLAT................................................................................ 113<br />
III. LES ASSOCIATIONS CULTURELLES ................................................................................. 113<br />
A. RÉPARTITION DES 4 GRANDES TYPES D’ASSOCIATIONS..................................................114<br />
B. LES ASSOCIATIONS CULTURELLES EMPLOYEURS PAR DOMAINE ARTISTIQUE ......115<br />
IV. LES ASSOCIATIONS SPORTIVES ........................................................................................ 115
98 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
LES CULTURES DES ANNONCEURS (SUITE)<br />
SÉANCE 1 : CULTURE DES ADMINISTRATIONS<br />
La culture des entreprises a ses lettres de noblesse, celle des administrations n’a pas droit aux mêmes<br />
égards ; étant entendu que la plupart des discours sur les administrations et les fonctionnaires visent soit à les<br />
critiquer, soit à leur enjoindre d’adopter une culture… d’entreprise. Pour autant, il n’est pas inutile de<br />
comprendre ce qui explique et peut-être justifie les différences de mentalités d’un monde du travail à un<br />
autre.<br />
I. DE QUI PARLE-T-ON ?<br />
A. L’ADMINISTRATION AVEC UN GRAND « A » : L’ÉTAT<br />
En France, longtemps l’Administration et les pouvoirs publics ont dédaigné le domaine de la<br />
communication. Depuis quelques années, les services publics français ont compris l’intérêt de cette<br />
technique, et « l’administré » devenu « l’usager », s’est transformé de plus en plus en « client » à part<br />
entière. Ce dernier est de plus en plus exigeant et critique sur le service proposé.<br />
La nécessité de communiquer est apparue sous l’effet de différentes contraintes :<br />
— des contraintes politiques : les pouvoirs publics ont le pouvoir législatif, exécutif (règlements) et<br />
judiciaire, les lois. Ils doivent protéger les citoyens, tout en adaptant le pays aux contraintes externes de<br />
plus en plus fortes dans une économie mondialisée (présidence européenne de la France, espace<br />
Schengen) ;<br />
— des contraintes économiques : malgré une certaine libéralisation des échanges économiques, l’État<br />
intervient pour réguler l’économie (crise financière, marges arrières dans la grande distribution), la<br />
dynamiser (vente de TGV à l’étranger) ;<br />
— des contraintes sociales : les pouvoirs publics doivent éduquer et informer sur les maladies (le cancer, la<br />
maladie d’Alzheimer touchera plus de 600 000 personnes en 2020), problèmes de racisme, crise des<br />
banlieues, alcoolisme ;<br />
— des contraintes « démocratiques », c’est-à-dire que les élus ont envie d’être réélus et donc, ils doivent<br />
convaincre les citoyens du bien-fondé de leurs politiques.<br />
Placé sous l’autorité du Premier ministre, le Service d’information du gouvernement (SIG) a pour rôle :<br />
— d’analyser l’évolution de l’opinion publique et le contenu des médias,<br />
— de diffuser au public des informations sur l’action gouvernementale,<br />
— de coordonner les différentes actions menées par les ministères (plan pour l’emploi, lutte contre<br />
l’alcoolisme, etc.) et de les conseiller pour leurs plans de communication (sondages, cahiers des charges,<br />
budget, choix de moyens, etc.).<br />
Aujourd’hui, tous les ministères ont un service communication qui a pour but de faire connaître les actions<br />
du ministère et de son administration et d’y faire adhérer les citoyens. Après compétition sous forme<br />
d’appels d’offres (procédure où l’on demande à différents offreurs de faire une proposition commerciale<br />
chiffrée en réponse à un cahier des charges), les agences gèrent la communication comme par exemple la<br />
campagne du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Emploi sur la modernisation de la fonction<br />
publique confiée à l’agence Publicis Consultants.<br />
Ces campagnes de communication sociale sont destinées au grand public et s’apparentent donc aux<br />
campagnes de produits, avec une stratégie des moyens optimale et une forme du message équivalente, seul le<br />
contenu est différent par l’objet de la communication. Elles cherchent aussi à toucher les différents<br />
« influenceurs » possibles par exemple : patrons de discothèques, médecins, personnel soignant, responsable
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 99<br />
de planning familial, etc. par des actions plus ciblées sous forme de mailing ou d’articles dans la presse<br />
professionnelle.<br />
L’État confie souvent ses actions de prévention à des établissements publics administratifs « autonomes »<br />
tels que l’INPES, Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Les campagnes de prévention<br />
routière relèvent de la même logique et sont menées par la Sécurité routière, structure administrative du<br />
ministère des Transports (à distinguer de la Prévention routière association privée).<br />
B. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES<br />
Cette appellation recouvre des entités très différentes, par leur taille, par leurs missions et aussi par les<br />
moyens financiers disponibles pour assurer leur communication, leur promotion, d’où une certaine<br />
méconnaissance du citoyen du rôle de chacune. La Constitution définit comme « collectivités territoriales de<br />
la République » : les 36 783 communes, les 100 départements avec ceux de l’outre-mer (DOM), les<br />
26 régions avec celles de l’outre-mer (ROM) et les collectivités à statut particulier (comme la Corse ou<br />
celles d’outre-mer).<br />
Elles suivent, avec certaines adaptations, les mêmes règles de fonctionnement et sont composées :<br />
— d’une assemblée délibérante élue au suffrage universel direct (conseils municipal, général ou régional) ;<br />
— d’un pouvoir exécutif élu en son sein par l’assemblée (maire et ses adjoints, présidents des Conseils<br />
généraux et régionaux).<br />
Avec les différentes lois de décentralisation, elles ont acquis des compétences et des pouvoirs accrus en<br />
matière d’aménagement du territoire et développement économique, de tourisme et de la culture, d’aides<br />
sociales, etc. Elles communiquent en « marquant leur territoire » : logo sur les plateaux-repas des cantines<br />
scolaires, sponsor des manifestations sportives ou culturelles par exemple, car il y a une certaine confusion<br />
des missions de chacune et certaines souffrent d’un problème d’identité lié à leur création. Par exemple :<br />
quelle différence entre les deux régions normandes, la Basse Normandie et la Haute Normandie ? On rentre<br />
dans une vraie démarche de communication quand certaines arrivent à changer de nom comme les « Côtes<br />
du Nord » qui deviennent les « Côtes d’Armor », ou encore les projets d’évolution du nom de la région<br />
« Paca, Provence-Alpes-Côte d’Azur ».<br />
Il y a aussi d’autres acteurs locaux, provenant de regroupement de communes pour la gestion de certains<br />
services : traitements des déchets, transports publics, par exemple ou le développement d’une partie d’un<br />
territoire, c’est la notion de « pays ».<br />
Vous trouverez sur le site de la formation à la rubrique « Ressources » puis « Cultures de la<br />
communication », les fiches-mémo correspondant aux communications de ces différentes structures.<br />
II. UN IDÉAL BUREAUCRATIQUE ?<br />
Au-delà des caricatures faciles de la fonction publique, en grande partie liées à l’idéologie libérale<br />
dominante, force est de constater que semble émerger, indépendamment des particularismes nationaux, une<br />
sorte de norme bureaucratique universelle que l’on retrouve dans toutes les administrations du monde. De<br />
la même façon que le Taylorisme a pu s’imposer comme une norme internationale de rationalisation de la<br />
production industrielle, l’Idéal type du modèle bureaucratique constitue la norme de référence qui préside<br />
implicitement à la construction et à l’aménagement de tous les systèmes administratifs. Pour Weber 1 c’est la<br />
forme d’organisation la plus rationnelle, susceptible d’atteindre le rendement maximal et donc<br />
universellement applicable. Liée à la « rationalisation capitaliste », la « rationalisation bureaucratique »<br />
apparaît comme un processus irréversible auquel aucun État ne peut échapper car les exigences de<br />
l’économie et de la technique imposent un corps de fonctionnaires professionnels spécialisés, compétents et<br />
obéissants pour gérer les affaires publiques. Contrairement donc à une idée couramment répandue,<br />
1 Max WEBER (21 avril 1864-14 juin 1920), sociologue et économiste allemand.
100 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
l’extension de la sphère publique ne s’oppose pas mais accompagne l’activité économique qui a besoin de<br />
son appui pour se développer.<br />
Pour Weber, l’organisation bureaucratique correspond à un type d’organisation fondée sur la<br />
dépersonnalisation du pouvoir par opposition à ce qui se passe dans les sociétés archaïques ou<br />
aristocratiques qui font reposer le pouvoir sur le statut familial ou autre d’une personne. L’autorité est fondée<br />
sur un statut légal, sur des normes juridiques définissant, de manière abstraite, objective, les modes<br />
d’exercice du pouvoir sans prise en compte de la qualité de celui qui l’exerce : le fonctionnaire est par<br />
définition interchangeable à qualification égale. Ceci explique la difficulté qu’il y aura à introduire dans la<br />
sphère publique la notion de gestion des ressources humaines, basée, elle, sur l’individualisation des profils,<br />
des évaluations et la mise en compétition des personnes.<br />
La dépersonnalisation radicale des rapports au sein de l’administration est pensée comme la garantie de ce<br />
que le pouvoir exercé ne le sera pas au profit de la personne qui le détient momentanément mais de l’intérêt<br />
commun. Ce modèle républicain, qui peut paraître abstrait, s’oppose à ce qui passait sous l’ancien régime où<br />
les administrateurs étaient propriétaires de leur charge (héritée ou achetée) tout autant qu’à ce qui se passe<br />
dans les pays dans lesquels règne la corruption. Le pouvoir de commandement est une compétence établie et<br />
encadrée par le droit. L’obéissance est liée aux règlements et non à la personne du supérieur.<br />
Les caractéristiques essentielles de ce système d’organisation sont donc :<br />
— la division systématique du travail,<br />
— la hiérarchie des fonctions (domination et subordination, chaque poste est sous le contrôle d’un poste<br />
supérieur),<br />
— la définition des conduites à tenir par des règles techniques ou juridiques qui requièrent une formation<br />
spécialisée attestée par examen,<br />
— la rétribution des fonctionnaires par des appointements en fonction du rang hiérarchique.<br />
III. LA PROFESSIONNALISATION DE LA FONCTION PUBLIQUE<br />
Les différentes administrations sont constituées d’agents spécialisés ayant des compétences spécifiques et<br />
formant un groupe homogène : la fonction publique est définie par des métiers qui exigent la possession de<br />
savoirs et produisent une forte solidarité corporative comme c’était le cas dans le monde industriel avant<br />
que le chômage de masse n’introduise la mise en compétition systématique des ouvriers entre eux.<br />
Les fonctionnaires ont bénéficié à partir de la fin du XIX e siècle, dans les pays libéraux, de garanties contre<br />
l’arbitraire politique, afin de permettre une certaine stabilité et continuité du système administratif luimême.<br />
L’Administration devient alors le support même de la nation, au-delà des aléas et des variations<br />
politiques Ces garanties comportent toutefois des limites et se heurtent à des situations exceptionnelles. Un<br />
certain conformisme idéologique est souvent exigé des fonctionnaires, ainsi dans les pays capitalistes,<br />
pendant la guerre froide, l’appartenance au parti communiste interdisait, de fait, l’accès à un certain niveau<br />
de responsabilités. La France interdisait par exemple l’accès à l’Ena aux communistes. Dans le même ordre<br />
d’idées, les changements de régimes politiques se traduisent généralement par des épurations administratives<br />
plus ou moins poussées (Vichy/Libération en France, coups d’État dans les pays en voie de développement).<br />
Dans tous les pays les plus hauts emplois administratifs sont soustraits à l’application du principe de stabilité<br />
et de neutralité : ces emplois sont considérés comme politiques et l’exécutif peut nommer et révoquer<br />
librement les titulaires. C’est le cas en France pour les énarques, les recteurs et les emplois de direction du<br />
secteur public.<br />
Les processus de sélection se font par test (contrôle d’une aptitude), examen (contrôle d’un niveau de<br />
connaissances) ou concours (généralisé en France à la fin du XIX e et réaffirmé par la loi de 1983 qui l’étend<br />
à la fonction publique territoriale). La fonction affichée de ces modes de recrutement et d’avancement est de<br />
sélectionner les plus aptes et d’assurer l’ouverture et la démocratisation de la fonction publique. Ce qui pose<br />
bien sûr la question de l’égalité des chances, non pas face aux concours eux-mêmes mais face à la réussite<br />
scolaire. Certains affirmeront que les concours vérifient surtout… l’aptitude à passer des concours.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 101<br />
Quoi qu’il en soit, les aptitudes demandées sont différentes si l’on se situe dans un système de carrière<br />
(formation suffisamment large pour être capable d’occuper différents emplois) qui nécessite donc de la<br />
polyvalence ou un système d’emplois (les candidats doivent répondre aux particularités précises de l’emploi<br />
pour lequel il postule) qui requiert, lui, une spécialisation.<br />
On observe donc une distinction, quel que soit le pays, entre des généralistes, capables d’avoir une vue<br />
globale des problèmes et de prendre en charge les fonctions relevant de l’administration générale (formation<br />
très juridique en Europe continentale peu à peu suppléée par des connaissances en économie et management)<br />
et des spécialistes qui souvent entrent en concurrence avec les précédents pour les postes de direction.<br />
L’arbitrage entre les deux est fait la plupart du temps par les politiques, c’est-à-dire les élus.<br />
Le fonctionnaire apprend progressivement à se situer dans un ordre complexe et stratifié. Il s’agit<br />
essentiellement d’un système statique qui invite moins à prendre des initiatives qu’il n’engendre la<br />
soumission et l’obéissance. L’intériorisation psychologique de cet ordre s’explique par la sécurisation qu’il<br />
entraîne et qui permet de dégager sa responsabilité personnelle. L’insertion dans une hiérarchie forte donne<br />
un certain sentiment d’indépendance à l’égard des pressions extérieures, une illusion d’autonomie alors<br />
même que la marge d’initiative de l’individu est quasi-nulle.<br />
Ainsi, l’esprit de corps qu’engendre l’insertion dans une hiérarchie stricte entraîne une nette différenciation<br />
des rôles et une coupure tranchée avec l’extérieur. Souvent règne une conception absolutiste de l’autorité<br />
excluant toute possibilité de discussion avec les administrés. La préservation de l’unité interne de<br />
l’Administration implique que la division du travail soit compensée par la commune dépendance vis-à-vis<br />
d’une autorité suprême. Cette conception se transpose au système de communication externe qui devient<br />
aussi rigide, unilatéral et autoritaire que celui qui prévaut à l’intérieur. Le degré de rigidité des contacts<br />
avec les administrés est lié au degré de bureaucratisation et surtout à sa centralisation.<br />
IV. UNE ADMINISTRATION DISTANTE ET SECRÈTE ?<br />
Cette rigidité se traduit d’abord par la mise à l’écart des administrés. Le contact avec le public tend à se<br />
faire uniquement sur la base d’une séparation rigoureuse des rôles de chacun : le guichet représente ce mode<br />
de relation distancié et autoritaire par lequel l’administré est soumis au bon vouloir du fonctionnaire. La<br />
distance s’avère encore plus grande avec le mode de communication écrit (formulaires et correspondances<br />
quels qu’en soient les supports) de par la dépersonnalisation complète de la relation avec les administrés<br />
qu’induit le traitement du courrier.<br />
Il est vrai que la prise de décision reste de la compétence exclusive des professionnels de la chose publique :<br />
l’anonymat administratif est préservé, le décideur hors d’atteinte, l’administré privé de toute possibilité<br />
d’influence. Mais n’est-ce pas le prix à payer pour éviter la corruption ? La référence exclusive à la règle et<br />
l’application rigide des textes évite toute discussion personnalisée, pour le meilleur (l’impossibilité<br />
d’influencer voire d’acheter) et le pire (l’impression de déshumanisation de la procédure). De fait, le<br />
formalisme administratif substitue à la relation humaine une réalité reconstruite dans le cadre abstrait et<br />
rigide de catégories stéréotypées et prédéterminées : tout fait social est identifié à une « situation type » et<br />
rapporté à une norme bureaucratique qui sert à le coder, à le classer et à le traiter. Le délai de traitement des<br />
dossiers permet enfin à l’Administration de créer une distance protectrice supplémentaire : elle impose son<br />
rythme aux administrés et travaille avec une sage (?) lenteur, se mettant à l’abri des pressions et préservant<br />
sa sérénité… ou sa tranquillité.<br />
Indéniablement, le pouvoir de contrainte dont dispose l’Administration lui permet de soumettre la société à<br />
ses schémas de pensée, à ses modes de raisonnement, à ses procédures et à son langage. Elle a les moyens<br />
d’imposer sa rationalité à la société. Par-delà leur fonction instrumentale, les textes et règlements ont donc<br />
une force symbolique en exprimant le pouvoir de l’administration sur la société, les fonctionnaires incarnent<br />
la Loi au quotidien. La maîtrise de la règle et de son utilisation (temporisation de son application, faculté d’y<br />
déroger) sont des manifestations d’un arbitraire administratif qui contribue à accroître la dépendance des<br />
administrés.
102 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
En première approche donc, pour le fonctionnaire, l’administré ne serait qu’un « assujetti » à qui il<br />
convient pour son intérêt d’imposer les mesures nécessaires. Mêmes les prestations sont offertes dans les<br />
conditions fixées par l’Administration et constituent des instruments efficaces de contrôle et de socialisation.<br />
Remplir les formulaires en donnant des informations sur sa situation constitue objectivement un acte de<br />
soumission de la part de l’administré. On verra plus loin que la réalité de la pratique administrative fait<br />
apparaître des approches beaucoup plus nuancées que ce que ce sombre tableau laisse supposer…<br />
V. DES HUMAINS MALGRÉ TOUT…<br />
L’école des « relations humaines1 » a montré que les organisations ne fonctionnent jamais selon un idéal<br />
wébérien ou taylorien de rationalité parfaite. Chaque homme réagit différemment au contexte<br />
organisationnel dans lequel il est placé. L’ajustement de ces comportements donne naissance à des relations<br />
interpersonnelles qui ne sont qu’en partie déterminées par l’organisation formelle : elles sont inévitables, la<br />
structure formelle ne peut régir tous les comportements et elles sont nécessaires, tout l’enjeu étant qu’elles<br />
ne contredisent pas mais favorisent la réalisation des objectifs de la structure. Paradoxalement, ce qui<br />
échappe à la rationalité renforce (sous certaines conditions) l’efficacité.<br />
On voit ainsi apparaître, au sein des services des leaders informels, placés en marge des lignes hiérarchiques<br />
et qui peuvent aller jusqu’à se substituer à la stratification officielle. Sont ainsi produites des normes<br />
officieuses qui détermineront de fait le comportement des agents et seront respectées par la pression du<br />
groupe. Les relations informelles dotent l’organisation d’une plus grande efficacité et permettent aux<br />
fonctionnaires de se libérer du carcan bureaucratique en développant la solidarité et la cohésion du groupe,<br />
augmentant la satisfaction des membres et diminuant les comportements de passivité et de retrait. La<br />
dimension informelle permet à la fois d’assouplir l’action administrative et d’impliquer les agents dans ce<br />
qui leur apparaît alors plus comme une action collective que comme les directives d’une autorité<br />
impersonnelle. Mais les relations informelles développent des tensions, des luttes et peuvent avoir un effet<br />
corrosif sur l’organisation.<br />
VI. DES TENDANCES ET DES INFLEXIONS<br />
Depuis les années 1980, les systèmes administratifs ont connu des transformations qui remettent en cause les<br />
systèmes d’organisation traditionnels et ce sous l’effet de tendances lourdes :<br />
— La dilatation de l’espace administratif : l’État et les collectivités territoriales sont aujourd’hui<br />
considérés par le citoyen-client comme responsables d’à peu près tout.<br />
— L’explosion du nombre d’agents : conséquence de ce qui précède, l’augmentation exponentielle de la<br />
demande de prise en charge débouche sur la multiplication des missions.<br />
— L’impératif d’efficacité : le citoyen-client exige ce qu’il considère être son dû.<br />
— La pression sociale en faveur du développement de l’information de l’administré : le rapport de sujétion<br />
à l’Administration est de plus en plus mal vécu et l’opacité doit céder la place à la transparence.<br />
Un nouveau modèle d’organisation émerge, du moins s’affiche : plus souple et plus tolérant, de type<br />
« participatif ». Reste à prouver qu’il soit viable… Un certain nombre de pressions s’exercent sur le<br />
système, pas nécessairement compatibles entre elles. Parmi elles, citons :<br />
1 L'école des relations humaines (abrégée en « école des RH ») est un mouvement intellectuel né dans le cadre de la crise économique<br />
de 1929[1] rattaché à l'étude des organisations. Il prend place après le développement et l'application à grande échelle du taylorisme,<br />
et cherche à redonner à l'homme au travail une place, sinon centrale, au moins excentrée et tenue. Ses principaux représentants sont<br />
Elton Mayo, Jacob Levy Moreno, Kurt Lewin ou encore Abraham Maslow.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 103<br />
A. LA PRESSION SYNDICALE<br />
Au départ syndicalisme et fonction publique paraissent antinomiques, les fonctionnaires sont considérés et se<br />
considèrent comme des courroies de transmission de la volonté étatique. Le rapport d’autorité que cela leur<br />
confère sur les citoyens ordinaires se paie d’une obéissance sans question. Le développement du<br />
syndicalisme sera le reflet d’une transformation sociologique de la fonction publique : la croissance des<br />
effectifs a entraîné l’élargissement des bases sociales de recrutement, la disparition des privilèges anciens et<br />
le rapprochement des conditions des fonctionnaires et des salariés du privé. Cette massification a donc<br />
conduit à une hétérogénéité grandissante du milieu administratif.<br />
En France, la reconnaissance de fait des syndicats aura lieu en 1924, légalement en 1946. Il faut attendre<br />
1970 et 1982 pour que l’exercice concret des droits syndicaux soit permis dans la fonction publique.<br />
Le syndicalisme a décloisonné la fonction publique et a abouti à un certain alignement du statut des<br />
fonctionnaires sur le droit commun mais aussi à une modification des rapports du fonctionnaire à l’État : il<br />
n’est plus son sujet mais un citoyen porteur d’aspirations légitimes et à qui doivent être reconnus certains<br />
droits. L’État devient de plus en plus un employeur comme les autres interpellé sur sa gestion des<br />
personnels.<br />
B. LA PRESSION IDÉOLOGIQUE<br />
L’idéologie libérale dominante a conduit à une marchandisation généralisée de la société ;<br />
l’Administration n’échappe pas à ce mouvement de fond avec l’apparition de la notion « d’usager ». Cette<br />
position d’usager modifie en profondeur la relation administrative (aujourd’hui on parle presque de clients) :<br />
celui-ci apparaît comme le bénéficiaire de l’action administrative, il ne la subit plus mais au contraire tire<br />
profit d’une gestion qui satisfait ses besoins et lui procure certains avantages. Toutefois, on ne peut négliger<br />
le fait que le degré d’assujettissement ou de dépendance impersonnelle est inversement proportionnel au<br />
niveau social, économique et culturel. De la même façon que l’attention portée par une banque à ses clients<br />
est liée au niveau de leur compte, la personnalisation de la relation à l’usager entraîne une réceptivité<br />
sélective de l’Administration en fonction des ressources dont disposent les administrés, de leur influence<br />
sociale, de leur docilité.<br />
VII. LE PETIT FONCTIONNAIRE… OU L’HOMME DÉDOUBLÉ<br />
Passons donc des considérations générales à la réalité du terrain : ce lieu de rencontre et souvent<br />
d’incompréhension que constitue le fameux « guichet ».<br />
Vincent Dubois à propos des vicissitudes et de la complexité de la « vie de guichet1 » a réalisé une enquête<br />
ethnographique très minutieuse sur les relations de face à face des agents des caisses d’allocations familiales<br />
(CAF) avec le public. Il décrit le guichetier comme doté d’un double corps et distingue l’appartenance<br />
institutionnelle – l’agent faisant corps avec l’institution qu’il représente – et les caractéristiques proprement<br />
physiques et sociales de sa personne. Ce qu’il représente et ce qu’il est.<br />
L’agent étant porteur de son expérience et de son histoire, il peut éprouver quelques difficultés à se détacher<br />
de la situation où il est pris, face à l’usager, et à maintenir la distance que l’institution réclame de lui.<br />
Inversement, il lui arrivera de s’abriter derrière les normes bureaucratiques s’il se sent agressé. L’enjeu<br />
n’est pas mince : il s’agit de se protéger dans ce face à face de la misère qui concerne une part croissante de<br />
la population des allocataires qui se rendent aux guichets des CAF et dont on mesure qu’elle affecte<br />
indiscutablement les agents. Tout un jeu se met donc en place entre le rôle que le fonctionnaire doit jouer, la<br />
façon dont il l’humanise ou au contraire il se replie sur sa fonction. Le portrait nuancé du guichetier humain<br />
peut rejoindre alors les descriptions du bureaucrate qu’a données Pierre Bourdieu, rappelant que l’agent<br />
public sert autant la règle qu’il s’en sert. Il l’adapte aux cas concrets auxquels il est confronté, la mobilise<br />
1 La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Économica, coll. « Études politiques »
104 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
parfois comme une arme, veillant à son application rigoureuse, tout en s’autorisant à d’autres moments des<br />
exceptions requises à ses yeux par la situation.<br />
Dans le même ordre d’idées, Philippe Warin1 met en évidence des résultats qui viennent souligner<br />
l’attachement des agents au service public en tant que tel, ce qui les conduit à privilégier l’esprit à la<br />
lettre. Il ne s’agit en effet pas d’une référence crispée à des valeurs figées (caricature fort répandue…) mais<br />
d’une véritable inventivité dont les fonctionnaires témoignent pour répondre aux demandes et aux situations<br />
des usagers. Pour confectionner des dossiers, les agents n’hésitent pas à recomposer les principes formels du<br />
service public, non pour s’en écarter, mais pour en ajuster la pertinence avec les situations particulières… et<br />
elles le sont presque toutes. Là où l’on pensait trouver la routine bureaucratique, c’est donc l’inventivité qui<br />
se révèle. Là où on s’attendait à rencontrer des agents entièrement dévolus au principe de l’égalité et attachés<br />
à la lettre de la règle, c’est la capacité à en assurer l’équité et l’habileté à rendre vivant l’esprit des<br />
règlements qui au contraire se manifestent.<br />
Les petits bureaucrates ne ressemblent ni à des stratèges calculateurs animés par leur seul intérêt, ni à des<br />
rouages transparents tels qu’ils sont définis par la théorie juridique du service public. Ils font quelque chose<br />
qui ne consiste ni à s’écarter des règles ni à les appliquer scrupuleusement. En fait, ils les ajustent en<br />
permanence, usant des possibles que leur autorisent les textes, sans pour autant se livrer à des passe-droits<br />
qu’ils dénoncent. Leur manière de mobiliser la règle est d’abord éthique. Ce constat est d’ailleurs,<br />
logiquement, d’autant plus vrai que les agents sont confrontés à la précarisation accrue du public et à une<br />
individualisation des modes d’intervention des institutions qui les invitent à plus d’implication personnelle<br />
dans leur fonction. Plus de pression, plus de souffrance et des lois à appliquer au service de politiques parfois<br />
opposées.<br />
Pourtant, suivre les pratiques des agents peut conduire à des constats très décalés au regard des<br />
représentations que les petits fonctionnaires se font de leurs missions ; les guichetiers développent de belles<br />
théories à propos de l’État ou du service public mais elles sont comme des idéaux ou des attentes<br />
susceptibles d’être oubliés dans les situations concrètes. Alors, un doute subsiste : et si l’attachement au droit<br />
et à l’idée de service public n’avait que peu à voir avec ce que les agents font vraiment, lorsqu’ils sont dans<br />
le feu de l’action, recevant des usagers ou instruisant des dossiers ? Voyons les choses de plus près…<br />
On pourrait croire que le travail administratif, qui consiste à concevoir et à traiter des dossiers en manipulant<br />
des chemises de papier et des touches de clavier d’ordinateur, est à ce point charpenté par des technologies et<br />
des règlements qu’il est avant tout synonyme de monotonie, de répétition et d’ennui. Et pourtant, lorsqu’on<br />
regarde de près ce travail, une des premières surprises concerne l’importance des questions que se pose le<br />
bureaucrate dès lors qu’il doit prendre une décision.<br />
Prenons un exemple : quand arrêter le versement des allocations familiales ? Voilà une question<br />
apparemment simple. Il y a d’un côté des textes et, de l’autre, des usagers assumant la charge d’un ou de<br />
plusieurs enfants leur ouvrant droit à prestations. Entre les deux, on trouve un agent qui devrait<br />
« simplement » appliquer la ou les règles en vigueur. Pourtant, dans la réalité l’agent hésite, s’interroge, pèse<br />
le pour et le contre, accomplit un véritable travail d’enquête pour apprécier à quelle situation il a vraiment<br />
affaire et prendre la bonne décision. Ainsi, par exemple, pour considérer si un allocataire est célibataire,<br />
faudra-t-il se contenter de constater qu’il n’est pas marié (définition de statut) ou vérifier qu’il vit seul<br />
(critère de résidence) ? Et que faire s’il partage son logement avec quelqu’un d’autre (colocation) ?<br />
Une telle activité n’est toutefois pas solitaire, et le travail accompli par l’agent s’insère dans un ensemble<br />
bien plus vaste où l’opération de qualification est mise à l’épreuve. Tant que subsiste un doute dans la tête<br />
d’un agent, tant que persiste une information contradictoire dans le dossier, tant qu’existe une anomalie dans<br />
un fichier, le cas de l’usager n’est pas avéré. C’est pourquoi de visites en courriers, de formulaires en datas<br />
informatiques, chaque affaire est traduite, débattue, interprétée, contestée, retraduite sans cesse. Ce vaste et<br />
complexe processus où interviennent de nombreux acteurs différents ne se clôt que lorsque tous s’alignent<br />
sur une même définition de la situation.<br />
Le dossier est donc l’élément-clé du travail bureaucratique. Circulant de services en services, il enregistre<br />
les multiples épreuves du travail de qualification et de résolution. Rien d’étonnant à ce qu’il constitue<br />
1 Directeur de recherche au CNRS
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 105<br />
l’horizon des pratiques et de la culture professionnelle des agents. Le dossier est ce que l’on produit, que l’on<br />
mesure, que l’on façonne patiemment C’est pourquoi les agents ne le considèrent pas comme un être grisâtre<br />
et poussiéreux comme on le croit trop souvent : c’est un être grouillant qui circule, se transforme, apparaît,<br />
disparaît au fil du cheminement de chaque affaire. Bref, un être vivant à propos duquel les multiples<br />
rebondissements font l’objet de désignations précises par les agents. À la manière des Inuits1 qui disposaient<br />
d’une vingtaine de termes pour désigner la neige, les techniciens de la Sécurité sociale jouissent d’une<br />
langue aussi variée pour désigner les états changeants de leurs chers dossiers. Il y a les dossiers qu’on<br />
« dresse », qu’on « monte », qu’on « réveille », qu’on « rejette », qu’on « refoule », qu’on « signale », qu’on<br />
« sort », qu’on « valide », qu’on « recycle », qui « tombent », qui « chutent », qui « meurent »… etc.<br />
On voit donc que la pratique administrative repose à la fois sur une culture éthique (le service public,<br />
l’intérêt général) et une culture professionnelle (l’instruction quasi judiciaire du dossier) qui s’articulent<br />
entre elles de façon plus ou moins cohérente. Ce qui fait donc la différence entre l’employé de bureau<br />
travaillant, par exemple, dans une compagnie d’assurances et celui traitant des dossiers à la Sécurité sociale,<br />
ce n’est pas tant la nature de son travail, ni ses conditions statutaires, mais l’idéologie qui justifie son action ;<br />
performance privée dans un cas, justice sociale dans l’autre. Il importe dès lors de comprendre ce qui fait la<br />
spécificité de ce qu’il faut bien appeler l’idéologie administrative.<br />
VIII. L’IDÉOLOGIE ADMINISTRATIVE<br />
Rappelons d’abord ce que l’on doit entendre par « idéologie ». Il s’agit d’un système de représentations<br />
structuré et cohérent visant à rendre compte et à justifier les rapports sociaux. Aucun groupe social ne peut<br />
se dispenser de définir un ordre de significations faisant par exemple du « mérite » et de la « sincérité » des<br />
valeurs recommandables, ou au contraire justifiant les inégalités par l’héritage aristocratique et la volonté<br />
divine. On assiste ainsi à une imbrication des formes matérielles et idéologiques qui s’avèrent<br />
indissociables : la structure de l’enseignement ou du système médical dans un pays donné relève à la fois de<br />
choix matériels, budgétaires et d’orientations signifiantes plus ou moins conscientes. Qu’il s’agisse, comme<br />
les Républicains américains, de penser que chacun est libre de gérer sa vie comme il l’entend et d’assimiler<br />
tout système de protection sociale à une forme rampante de communisme, ou de considérer, au contraire,<br />
comme en France, que la solidarité entre les générations doit être le principe de base du système des retraites.<br />
On le voit, l’idéologie n’influe pas que sur la perception des rapports sociaux mais encore sur leur nature<br />
même.<br />
L’idéologie est aussi indispensable à l’exercice du pouvoir car aucun état ne peut fonctionner durablement<br />
et efficacement sans le secours d’une idéologie qui assure l’adhésion spontanée des assujettis et rend inutile<br />
ou exceptionnel le recours à la contrainte. La détention du pouvoir n’est jamais présentée comme un fait<br />
arbitraire mais justifiée par référence à certains principes reconnus, à certaines valeurs admises par la<br />
collectivité. Pour être accepté, et donc stable et efficace, le pouvoir doit être perçu comme légitime et c’est le<br />
travail de l’idéologie, sous la forme de récits, de dictons, de cérémonies et de rites divers de rappeler sans<br />
cesse cette supposée légitimité.<br />
S’agissant de l’administration on assiste à une oscillation entre deux principes de légitimité :<br />
— une légitimité externe qui passe par le recours à des symboles derrière lesquels s’efface l’Administration<br />
(État, République, Nation, Intérêt général, Bien commun) ;<br />
— une légitimité interne, professionnelle, par laquelle l’Administration s’efforce de trouver en elle-même<br />
la justification de son action.<br />
1 Habitants du nord de la Sibérie et de l’Alaska.
106 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
A. LA LÉGITIMITÉ EXTERNE<br />
Elle repose d’abord sur le recours à la figure de l’État qui permet à l’Administration de placer le pouvoir<br />
qu’elle exerce à l’abri de toute contestation. Les fonctionnaires s’effacent derrière l’image grandiose de<br />
l’État, l’Administration n’est plus qu’un simple appareil d’exécution, dépourvu de volonté autonome et<br />
agissant pour le plus grand bien de tous.<br />
Dans les sociétés modernes, l’État est principe d’ordre et de cohésion qui fait tenir ensemble les différents<br />
éléments constitutifs de la société pour lui donner son unité. Il fait la synthèse des volontés individuelles et<br />
définit un intérêt général qui surmonte et dépasse les égoïsmes catégoriels. De ce point de vue, il constitue<br />
le fondement de toute autorité dans un système républicain. Aucune autorité n’est supérieure ou égale à la<br />
sienne et les décisions, incitations, coercitions ne sont légitimes que dans la mesure où elles peuvent lui être<br />
rapportées et imputées. Les dirigeants ne seraient ainsi que des médiateurs chargés de traduire la volonté<br />
d’une instance extérieure et supérieure qui les dépasse et qui constitue la seule source d’autorité.<br />
L’effacement derrière l’État est pour l’Administration une indéniable source de puissance puisqu’elle<br />
bénéficie du transfert de la légitimité étatique. Elle prend sa source dans l’État donc sa parole tend à devenir<br />
incontestable, ce qui pose bien sûr le problème des contentieux possibles entre l’administré et<br />
l’Administration. Celle-ci peut-elle être à la fois juge et parti ?<br />
La tension semble être résolue par la notion de service public, étant entendu que l’Administration n’est pas<br />
là pour dominer mais pour servir. Servir donne le droit de commander et commander n’est légitime que<br />
pour servir. On voit que cette conception fondatrice repose sur un investissement très fort dans le statut des<br />
fonctionnaires qui sont chargés de la mission sacrée de mettre à jour et de défendre l’intérêt général. Ils sont<br />
censés être au-dessus des clivages sociaux qui n’atteignent pas la fonction publique et se constituer en<br />
arbitres qui résorbent les conflits. La question que pose cette idéalisation, probablement indispensable, de la<br />
pratique même du fonctionnaire, est celle des effets de la pratique quotidienne du pouvoir.<br />
L’autorité des fonctionnaires s’abrite donc derrière celle des élus. Seuls les représentants de la nation ou des<br />
collectivités territoriales sont en effet habilités à décider des conditions d’emploi des moyens de contrainte<br />
juridiques ou matériels. Les fonctionnaires doivent rappeler en permanence le lien de dépendance qui les<br />
rattache aux élus afin de parer leurs actes d’un bien-fondé incontestable. L’Administration est en effet<br />
confrontée à la question de la temporalité : les élus passent alors que les fonctionnaires restent…<br />
Les fonctionnaires bénéficient par projection (en tant que représentants de l’État) de la légitimité<br />
démocratique mais sont affranchis de toute responsabilité directe et personnelle, contrairement à l’élu qui<br />
met régulièrement son mandat en jeu. Ils sont ainsi placés à l’écart des affrontements politiques et censés<br />
faire preuve d’un sens plus aiguisé de l’intérêt collectif. Pourtant, le principe démocratique suppose que<br />
l’Administration ne se transforme pas en une caste à l’abri du suffrage populaire, d’où cette dépendance plus<br />
ou moins affichée, plus ou moins réelle de l’administratif au politique. Toutes les administrations sont<br />
traversées par cette tension entre un intérêt général désincarné et une politique ponctuelle censée justement…<br />
l’incarner.<br />
B. LA LÉGITIMITÉ INTERNE<br />
Elle repose, d’abord et avant tout sur une rhétorique de l’apolitisme Tout en manifestant de façon<br />
ostensible sa soumission aux élus, l’administration tire argument de son extériorité vis-à-vis du système<br />
électif pour asseoir son autorité sociale. Elle forge sa légitimité non plus sur ou par le politique mais contre<br />
lui. L’apolitisme est vu comme un élément de supériorité morale sur les élus toujours soupçonnés de<br />
partialité ou de sectarisme<br />
Comme nous l’avons vu précédemment, le statut des fonctionnaires les dote de permanence et de stabilité et<br />
ils se perçoivent donc comme chargés d’assurer la continuité des affaires publiques. La valse des ministres<br />
et plus généralement des dirigeants contribue à décrédibiliser leur pouvoir réel. Les fonctionnaires opposent<br />
donc implicitement leur comportement rationnel, mesuré et stable, aux impulsions désordonnées et<br />
discontinues du politique. Ils se perçoivent aussi comme les seuls vrais défenseurs de l’intérêt général, ce qui<br />
suppose de leur part une posture de distanciation par rapport aux directives des élus, censée sauvegarder<br />
leur objectivité.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 107<br />
S’ajoute à cela une rhétorique de la compétence. L’Administration se prévaut de la possession d’un savoir<br />
pour conforter sa position face aux élus et mettre ses actes à l’abri de toute critique. La compétence est en<br />
effet attestée par les conditions de recrutement et de formation des fonctionnaires alors qu’aucune<br />
vérification des capacités n’est exigée des élus qui peuvent aussi bien bénéficier de leurs acquis<br />
professionnels qu’être d’anciens sportifs de haut niveau plus ou moins bien reconvertis…<br />
Cette compétence mise en avant vise à préserver la gestion des affaires publiques mais aussi à peser de plus<br />
en plus sur les choix collectifs. Les fonctionnaires passent du « monopole de la science » au « monopole de<br />
la politique » (Bourdieu). L’idéologie de type technocratique1 surtout aux échelons les plus élevés de la<br />
hiérarchie administrative exalte la compétence professionnelle face à l’amateurisme des élus.<br />
Enfin, l’Administration peut de moins en moins se tenir à l’écart du champ social, la société a besoin de sa<br />
présence constante dans la mesure où les citoyens attendent de l’État ou des collectivités territoriales qu’ils<br />
interviennent dans des domaines sans cesse plus variés. Abandonnant son statut de neutralité,<br />
l’Administration est amenée à prendre en main le développement d’ensemble de la société. Il n’est plus<br />
question d’ « arbitrer » mais d’ « agir » et de la manière la plus efficace possible. Qu’il s’agisse de justice<br />
sociale, d’écologie, de sécurité, etc. les valeurs <strong>dominantes</strong> sont tournées dorénavant vers l’action et le<br />
changement.<br />
Cette conception volontariste est visible notamment dans le domaine économique : contrôle, régulation,<br />
animation, l’Administration doit assurer le développement, la croissance, l’expansion. L’idée d’efficacité<br />
prime sur toute autre considération et fait d’elle l’agent privilégié de la transformation sociale. Les<br />
fonctionnaires deviennent une « minorité éclairée » chargée de guider et de contraindre. L’Administration<br />
vise alors explicitement à modifier les comportements (santé, urbanisme), à façonner la société. Elle<br />
conjugue alors sa légitimité traditionnelle, basée sur la neutralité, et une nouvelle raison d’être basée sur<br />
l’efficacité dans la transformation sociale.<br />
La diffusion de l’idéologie administrative ne se limite pas aux fonctionnaires eux-mêmes. Si<br />
l’Administration parlait traditionnellement peu, manifestant par son silence la solennité de sa fonction<br />
d’arbitre et d’incarnation de la puissance publique, son interventionnisme croissant la conduit à chercher<br />
l’adhésion du public et à se lancer dans des campagnes publicitaires. Les services publics, de plus en plus<br />
« militants » s’efforcent d’améliorer leur image de marque : l’Administration est engagée dans un processus<br />
direct d’auto-légitimation.<br />
Le contact avec les administrés est aussi l’occasion d’un travail implicite de diffusion des valeurs de<br />
l’idéologie administrative. En « consommant » une prestation donnée on consomme aussi les images dont<br />
elle fournit le support. Cette influence est d’autant plus forte que le service public dispose d’une emprise<br />
continue sur ses usagers qui passent sous son emprise (pôle emploi, CAF). En s’y soumettant les administrés<br />
reconnaissent l’autorité de l’institution dont ils relèvent, s’incorporent à elle et intériorisent sa logique de<br />
fonctionnement.<br />
On le voit, de la même façon que la culture d’entreprise est nourrie de mythes et de rites renvoyant à des<br />
valeurs tout aussi fortes que discutables, la culture administrative, dans sa globalité, relève d’une<br />
construction idéologique qui a sa cohérence propre mais secrète aussi ses propres contradictions.<br />
Passons donc de la représentation aux réalités qu’elle recouvre…<br />
1 Le mot vient de tekné, technique, art, et de kratos, pouvoir. La technocratie est un système d'organisation politique ou sociale dans<br />
lequel les techniciens exercent une influence prépondérante.
108 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
IX. LES RÉALITÉS DE L’ACTION ADMINISTRATIVE<br />
L’action administrative est déterminée par une contrainte fondamentale : elle est préposée au service du<br />
public et tire sa légitimité de sa capacité à satisfaire les aspirations des individus et des groupes dans le cadre<br />
républicain. Pour autant, on a vu qu’elle ne se contente pas de répondre à des attentes en prenant en charge<br />
un façonnage social plus ou moins impulsé par le politique. Comment dans ce cadre prend-elle en charge la<br />
demande sociale ? Celle-ci est en effet façonnée par la société (valeurs, représentations, standards de<br />
comportement)… et par l’Administration elle-même en tant que membre de l’ordre social. On verra que,<br />
selon des modalités différentes mais sujettes aux mêmes contradictions, l’Administration comme<br />
l’entreprise gère une interaction permanente entre offre et demande.<br />
La demande sociale passe par la formulation d’attentes de résultat, multiples et contradictoires, auprès des<br />
autorités politico-administratives. Chaque groupe social essaye de faire prévaloir ses revendications,<br />
d’obtenir des arbitrages favorables, et use pour cela de stratégies et de moyens extrêmement variables,<br />
depuis le lobbying parlementaire, les manifestations agricoles spectaculaires, la grève, ou le clientélisme<br />
tranquille du corps médical jusqu’aux coups d’éclats médiatiques des enfants de Don Quichotte1. Il s’agit de<br />
trouver sa place dans l’« Agenda politique » : un problème qui y est inscrit est perçu comme appelant un<br />
débat public, souvent urgent, et l’intervention active des autorités.<br />
La demande sociale exprime donc d’abord un état d’insatisfaction, un écart générateur de tensions entre le<br />
réel et les aspirations des différents groupes sociaux. Un appel est alors adressé à l’État ou aux collectivités<br />
territoriales pour qu’ils y remédient. Il s’agit donc d’une politisation des besoins et désirs que les citoyens<br />
considèrent, à tort ou à raison, être du ressort de l’action politique et administrative.<br />
Dans chaque société, des normes culturelles ou idéologiques déterminent ceux des besoins ou désirs qui sont<br />
du ressort de l’État mais ces normes sont en constante évolution : la question de l’habitat en zones<br />
inondables en est un bon exemple. La responsabilité de l’État et des collectivités territoriales est de plus en<br />
plus souvent engagée alors même que l’idéologie libérale semble régner de façon hégémonique. On assiste,<br />
paradoxalement à cette domination idéologique, à une politisation croissante des désirs qui engendre une<br />
dilatation de l’espace administratif. La critique libérale des fonctionnaires n’a pas entamé le report des<br />
aspirations vers l’État et la position prééminente de celui-ci dans les rapports sociaux. Le paradoxe est<br />
récurrent dans nos sociétés : le fonctionnaire est inutile mais l’État est responsable des sécheresses comme<br />
des inondations, des tempêtes comme des tremblements de terre…<br />
Mais, on l’a vu, l’Administration ne se contente pas d’enregistrer les demandes sociales, elle agit en fonction<br />
de considérations qui lui sont propres. Sa situation monopolistique engendre nécessairement une relative<br />
indifférence aux réactions de la « clientèle » et favorise la mise en avant des intérêts de l’institution. Cette<br />
emprise de l’offre reste occulte et inavouée car contraire aux fondements mêmes de la légitimité de l’action<br />
administrative, elle n’en reste pas moins bien réelle. Un ministère ou un secrétariat d’État comme celui de la<br />
Jeunesse et des Sports, par exemple, vise bien plus à développer la logique qui lui est propre qu’à répondre<br />
aux demandes du terrain.<br />
On assiste ainsi à des dynamiques liées à la survie et au développement des institutions en tant qu’entités<br />
autonomes, cherchant à se préserver et à se développer comme le ferait n’importe quel être vivant d’un point<br />
de vue biologique. Se développent ainsi :<br />
— Des stratégies défensives : les services veulent se maintenir, conserver leur champ d’intervention et<br />
s’opposent ainsi à d’autres structures susceptibles d’empiéter sur leur zone d’influence. Individuellement,<br />
les fonctionnaires s’identifient à leur service dès lors que son existence ou ses prérogatives sont<br />
menacées ; ce mécanisme entraîne une mobilisation collective pour assurer la défense de celui-ci.<br />
Menacés, les services mutent à la manière des vivants et arrivent à se donner de nouveaux objectifs pour<br />
légitimer leur existence.<br />
1 Association qui a pour but de donner un logement aux sans abris.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 109<br />
— Des stratégies offensives : toute politique nouvelle représente un terrain de manœuvre, un champ de<br />
bataille sur lequel les services et les corps vont s’affronter pour parvenir à son contrôle. Les intérêts<br />
sociaux collectifs passent alors au second plan par rapport aux intérêts particuliers des corps et des<br />
services. De ce point de vue, les administrations se comportent à la façon d’entreprises prédatrices<br />
cherchant à s’accaparer un nouveau marché.<br />
À la façon dont Galbraith1 parle de « filière inversée » pour ce qui concerne l’activité économique privée en<br />
diagnostiquant la suprématie de l’offre sur la demande dans le capitalisme développé, on peut constater la<br />
tendance, concernant les grandes administrations, à générer les besoins auxquelles elles prétendent<br />
répondre.<br />
On sait que les grandes entreprises disposent de la capacité d’orienter à leur profit les mécanismes de marché<br />
et de créer de nouveaux besoins. La demande ne peut donc plus être analysée indépendamment de la<br />
structure de l’offre car les besoins sont façonnés et forgés par référence aux produits disponibles sur le<br />
marché (rôle de la publicité). De manière similaire, l’Administration se réfère à des « besoins sociaux » pour<br />
légitimer son action… qu’elle est seule capable de mettre au jour. Le service public est toujours présenté<br />
comme une réponse à des besoins sociaux latents mais réels qui sont censés préexister à sa création et qu’il<br />
a pour vocation de satisfaire. Pourtant, ces besoins ne s’expriment comme tels qu’à partir du moment où la<br />
mise sur pied du service lui permet de s’objectiver : on assiste à la création de l’éventualité d’un manque et<br />
à la possibilité d’une satisfaction… Les stratégies modernes de gestion des déchets (tri, recyclage) ne<br />
correspondent certainement pas à une demande spontanée de la population ; ce qui n’ôte rien à leur<br />
pertinence par ailleurs.<br />
Il y a donc filière inversée puisque l’Administration s’arroge le droit exclusif de définir les besoins<br />
auxquels elle répond, par exemple dans le cadre de la défense du patrimoine, de la réglementation urbaine<br />
ou de la gestion des nuisances environnementales. L’Administration contribue aussi à la cristallisation et à<br />
l’émergence de nouveaux besoins tout en s’arrogeant le monopole de leur validation : les demandes qui ne se<br />
situent pas dans ce champ circonscrit ou qui ne correspondent pas aux normes imposées par l’Administration<br />
sont d’emblée écartées.<br />
Il ne faut toutefois pas surestimer la capacité de l’Administration à introduire du changement et de<br />
l’innovation : la possibilité de changements forts en politiques publiques est réduite en raison du poids de<br />
contraintes diverses. Toute politique publique passe par des marchandages et des compromis dans lesquels<br />
s’englue la volonté réformatrice. Il s’agit davantage d’adapter et de corriger ce qui existe que de faire table<br />
rase du passé en construisant une politique radicalement différente. L’impact de toute politique publique,<br />
nationale, régionale ou locale, est aléatoire parce que le milieu social est fortement structuré et stratifié,<br />
soumis à des influences et des sollicitations diverses. De la même façon que le récepteur résiste, sélectionne,<br />
interprète le discours de l’émetteur, la société dans sa diversité agit comme un kaléidoscope qui renvoie la<br />
cohérence administrative à une multitude de situations diverses voire contradictoires. Il faut évaluer l’action<br />
administrative non pas dans les résultats ponctuels de telle ou telle mesure mais plutôt dans la globalité d’une<br />
action à long terme. La proximité illustre bien ce paradoxe : dans une municipalité donnée chacun est<br />
mécontent de telle ou telle mesure mais cela n’empêchera pas le maire d’être réélu…<br />
On le voit à travers ce bref parcours, la culture des administrations diffère fondamentalement de celle des<br />
entreprises dans la mesure où l’une est fondée sur l’intérêt général et l’autre sur l’intérêt particulier ; le bien<br />
commun pour l’une, l’enrichissement de certains pour l’autre. Il n’en reste pas moins vrai qu’elles se<br />
recoupent lorsqu’elles se confrontent aux impératifs d’efficacité et aux tendances lourdes de l’époque :<br />
individualisme, écologie, marchandisation.<br />
1 Dans son livre Le Nouvel État industriel (1967), Galbraith récuse la vision courante qui consiste à dire que les entreprises sont<br />
soumises aux exigences des consommateurs et que la pérennité de leur activité dépend pour l'essentiel de leur faculté d'adaptation au<br />
client-roi. Pour lui, ce n'est pas le consommateur qui détient le pouvoir car l'entreprise moderne est aux mains d'une technostructure<br />
qui a la capacité d'échapper aux contraintes exercées par le marché, c'est-à-dire de déterminer elle-même ses prix et aussi d'exercer<br />
une forte influence sur les décisions des consommateurs. Du coup, ce n'est plus le consommateur qui commande au marché qui<br />
commande à l'entreprise, c'est la technostructure dans l'entreprise qui commande au marché qui commande au consommateur : c'est<br />
la filière inversée.
110 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
SÉANCE 2 : CULTURE DES ASSOCIATIONS<br />
I. PETITE SOCIOLOGIE DES ASSOCIATIONS FRANÇAISES<br />
Aujourd’hui, presqu’une personne sur deux fait partie d’une association. Six adhérents sur dix font partie<br />
d’une seule association, deux sur dix sont membres de deux associations. Le paysage associatif français est<br />
stable depuis une vingtaine d’années au moins : les associations de loisirs continuent d’attirer un très grand<br />
nombre d’adhérents, qu’elles concernent le sport, la culture et la musique, ou qu’il s’agisse de clubs du<br />
troisième âge. Viennent ensuite les associations tournées vers la défense d’intérêts communs : parents<br />
d’élèves, syndicats, locataires ou copropriétaires, humanitaire…<br />
Le fait marquant de ces dernières années, lié à l’évolution globale de la démographie est l’importance<br />
grandissante des séniors dans les associations : les 60-69 ans adhèrent de plus en plus souvent : 58 % sont<br />
membres d’au moins une association. Parmi eux, 46 % font partie d’au moins deux associations contre 38 %<br />
de l’ensemble des adhérents. Leurs choix sont variés : ils n’adhèrent pas seulement aux clubs du troisième<br />
âge ou aux associations de retraités qui sont pré<strong>dominantes</strong> aux âges plus avancés, mais se dirigent aussi bien<br />
vers la culture, le sport que vers l’action collective et le soutien des causes humanitaires.<br />
Le fait d’adhérer à une association révèle généralement une bonne insertion dans la vie sociale. Aux âges<br />
intermédiaires de la vie, les adhésions sont souvent en rapport avec l’activité professionnelle ou la situation<br />
familiale : les 30-59 ans s’investissent surtout dans les associations de parents d’élèves et les groupements<br />
professionnels et syndicaux. Après 40 ans, la participation à la vie associative se diversifie et les adhésions<br />
se multiplient : 19 % des quinquagénaires contre 12 % des trentenaires font partie d’au moins trois<br />
associations.<br />
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les moins de 30 ans sont relativement peu concernés par la vie<br />
associative ; leur taux d’adhésion est stable depuis 1996 : un jeune sur quatre fait partie d’une association.<br />
Les trois quarts sont membres d’une seule association, essentiellement des associations sportives et<br />
culturelles.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 111<br />
Comme dans le monde du travail, les différences entre hommes et femmes persistent. Globalement plus<br />
d’hommes que de femmes font partie d’une association (49 % contre 40 %). Cependant les femmes sont<br />
toujours plus nombreuses dans les associations de parents d’élèves et les associations religieuses alors que<br />
les hommes se tournent plus vers les associations en lien avec la vie professionnelle (syndicat, retraités d’une<br />
entreprise) ou le sport. Ce constat est le reflet du partage social des tâches. La majorité de femmes dans les<br />
clubs du troisième âge provient d’une plus grande participation de celles-ci, au-delà de l’effet de la structure<br />
démographique de la population.<br />
Les différences de revenus sont elles aussi déterminantes : les milieux favorisés alimentent la vie<br />
associative : parmi les personnes appartenant au quart des ménages les plus aisés, 57 % sont membres d’au<br />
moins une association contre 32 % des personnes issues des ménages au niveau de vie le plus faible. Pour les<br />
associations de loisirs sportifs et culturels, de locataires et copropriétaires, de retraités, pour les syndicats, la<br />
propension à adhérer augmente en effet avec le niveau de vie. À l’inverse, appartenir à une association de<br />
parents d’élèves ou à un club du troisième âge est plus fréquent dans les milieux moins aisés et moins<br />
diplômés.<br />
Le paiement d’une cotisation, pratique répandue dans la majorité des associations, peut paraître dissuasif<br />
pour les ménages dont le niveau de vie est faible. Toutefois 20 % des adhésions ne semblent pas liées à une<br />
cotisation. La moitié des cotisations ne dépasse pas 30 euros par an par association et leur montant annuel<br />
moyen va de 50 euros pour les personnes dont le niveau de vie est dans le quart inférieur à 105 euros pour les<br />
ménages les plus aisés.<br />
Par bien des aspects, l’investissement dans la vie associative relève d’une tradition familiale. Avoir eu<br />
pendant son adolescence des parents, que ce soit le père ou la mère, membres d’une association favorise la<br />
participation à la vie associative à l’âge adulte : 58 % des personnes dont le père était membre d’une<br />
association quand elles étaient jeunes font aujourd’hui partie d’une association, contre 40 % des personnes<br />
dont le père n’était pas membre à ce moment-là. Parmi celles dont la mère était membre, 57 % sont<br />
aujourd’hui adhérentes, contre 43 % des personnes dont la mère n’était pas membre d’une association<br />
pendant leur adolescence. Dans ce domaine (comme dans d’autres ?), les hommes sont essentiellement<br />
sensibles à l’exemple de leur père.<br />
Les motivations des adhérents à une association sont définies à la fois par un besoin général de vie sociale et<br />
par les activités spécifiques de l’association. Le désir de rencontre motive plus de la moitié des adhésions<br />
(62 %). Cependant, la démarche diffère d’une association à l’autre ; le recrutement de certaines d’entre elles
112 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
favorise la mixité sociale alors que d’autres fonctionneront davantage sur un principe de ressemblance et<br />
d’homogénéité sociale.<br />
Ainsi, les associations qui proposent des activités de loisir au sens large, comme les associations sportives et<br />
culturelles, mettent en évidence, pour 83 % de leurs adhérents le désir de pratiquer une activité. Elles<br />
représentent 37 % des adhésions et comptent essentiellement des jeunes. Leurs membres ont un niveau de<br />
vie plus élevé que dans les autres types d’associations, mais ne sont pas plus diplômés.<br />
La recherche de la convivialité entre personnes ayant les mêmes goûts ou les mêmes préoccupations<br />
caractérise les clubs du troisième âge et associations de retraités, les groupements religieux ou paroissiaux<br />
ainsi que les associations de quartier ou locales. Cette catégorie d’associations représente 27 % des<br />
adhésions. La majorité de leurs membres ont plus de 60 ans et sont retraités. Moins diplômés que les autres<br />
adhérents, beaucoup moins aisés, ils habitent le plus souvent en milieu rural.<br />
Enfin, la défense de droits ou d’intérêts communs motive 72 % des membres d’associations de parents<br />
d’élèves, syndicats et groupements professionnels, de locataires et de copropriétaires, de type humanitaire,<br />
de défense de l’environnement. Représentant 36 % des adhésions, leurs membres se recrutent principalement<br />
dans les tranches d’âge intermédiaires, notamment entre 50 et 59 ans, et ils sont en moyenne plus diplômés<br />
que les autres adhérents. Il s’agit plus souvent d’hommes, d’actifs ou de retraités, de citadins.<br />
De la simple adhésion à l’engagement responsable, la participation associative est plus ou moins forte et<br />
dépend beaucoup de la nature de l’association. Tous types confondus, 17 % des adhérents exercent des<br />
responsabilités au sein de leur association, qu’ils soient dirigeants, trésoriers ou chargés de tâches<br />
administratives ; auxquels il faut ajouter les 9 % qui participent également à la vie de l’association en tant<br />
qu’animateurs (assistants, accompagnateurs, entraîneurs, formateurs etc.), parmi eux très peu sont salariés.<br />
La majorité des autres membres participent aux activités proposées ou en sont bénéficiaires sans prendre part<br />
à leur organisation (55 %). Enfin, 19 % des adhérents sont de « simples cotisants » et participent donc à la<br />
vie associative essentiellement par leur seule cotisation, même si certains d’entre eux déclarent aussi une<br />
activité bénévole. En fait, les modalités de participation ne sont pas aussi nettement délimitées : par exemple,<br />
les responsables qui animent parfois les activités de l’association y participent. C’est notamment le cas dans<br />
les associations de loisirs ; parmi les 17 % de membres « dirigeants », plus de la moitié s’occupent aussi de<br />
l’animation.<br />
Le profil-type de l’adhérent qui participe aux instances dirigeantes des associations est stable depuis<br />
plusieurs décennies et renvoie à des déterminismes socio-économiques forts. Dans 60 % des cas c’est un<br />
homme, y compris dans les associations où les femmes sont plus nombreuses, à l’exception toutefois des<br />
associations de parents d’élèves. Si les adhérents dans leur ensemble sont majoritairement diplômés (9 %<br />
n’ont aucun diplôme), les membres qui exercent des responsabilités sont plus souvent que les autres titulaires<br />
d’un diplôme du supérieur (40 % contre 33 %).Ils sont aussi plus nombreux dans les ménages les plus aisés :<br />
43% d’entre eux appartiennent au quart le plus aisé.<br />
C’est entre 30 et 59 ans qu’on assure le plus souvent une fonction de direction ou d’organisation au sein de<br />
l’association, et cela va de pair avec une certaine ancienneté de l’adhésion. Proportionnellement, les<br />
responsables d’associations sont plus nombreux en milieu rural que dans les grandes villes ; cela peut venir<br />
du fait qu’à la campagne les associations fonctionnent plus souvent à un niveau local (61 % en milieu rural<br />
contre 49 % en région parisienne) et requièrent par conséquent plus de dirigeants en proportion du nombre<br />
d’adhérents, du fait de la plus faible densité démographique.<br />
Les fonctions d’animation, de formation, d’enseignement au sein de l’association sont plus souvent assurées<br />
par des hommes (63 %) et des personnes de moins de 60 ans. Ces membres ont plus fréquemment un<br />
diplôme inférieur au baccalauréat et appartiennent à des ménages plutôt peu aisés. L’organisation interne de<br />
l’association reproduirait ainsi la hiérarchie sociale de ses membres actifs : les membres des catégories<br />
supérieures en sont responsables ou exercent des tâches administratives (comptabilité, secrétariat, trésorerie),<br />
les autres se chargeant des fonctions d’animation.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 113<br />
II. LES SPÉCIFICITÉS DU BÉNÉVOLAT<br />
Qu’elles soient membres d’une association ou non, 12 millions de personnes de 15 ans ou plus ont une<br />
activité bénévole en 2002, soit plus d’une personne sur quatre. Le désir de se sentir utile à la société, de<br />
faire quelque chose pour les autres est la principale motivation invoquée par les bénévoles (81 %). Environ<br />
45 % d’entre eux souhaitent aussi rencontrer des personnes partageant les mêmes préoccupations, les mêmes<br />
goûts, ou cherchent à s’épanouir dans cette activité. Et ce, d’autant plus qu’ils n’ont pas ou plus d’activité<br />
professionnelle. Enfin, pour 28 %, leur action est un vecteur de défense de droits ou de causes : c’est ce qui<br />
motive le bénévolat des plus âgés et des plus diplômés.<br />
Ainsi, militantisme et bénévolat ne se confondent pas nécessairement, même si ces deux formes<br />
d’engagement « gratuit » se recouvrent partiellement. Il s’agit parfois aussi d’acquérir ou d’exercer une<br />
compétence (24 %), notamment pour les étudiants. Deux bénévoles sur dix évoquent néanmoins aussi le<br />
hasard : l’occasion se présentait de rendre service, il ne s’agissait pas initialement d’une démarche active.<br />
Les bénévoles sont un peu plus souvent des hommes (55 %) et des personnes diplômées : 40 % ont un<br />
diplôme de niveau bac ou plus, contre 30 % des 15 ans ou plus, et seuls 9 % n’ont aucun diplôme soit deux<br />
fois moins que dans l’ensemble de la population. Ce sont le plus souvent des actifs, parmi lesquels beaucoup<br />
d’enseignants, et des retraités, notamment anciens cadres ou professions intermédiaires. Les bénévoles se<br />
recrutent à tous les âges, mais toutefois moins fréquemment après 70 ans.<br />
L’activité bénévole n’est donc en général pas plus importante chez les personnes qui ne travaillent pas.<br />
L’éloignement de la vie sociale peut en effet desservir une telle utilisation du temps libre. En revanche, si les<br />
retraités et les inactifs ne sont pas plus souvent bénévoles que les actifs, c’est néanmoins parmi eux que l’on<br />
compte le plus de participants réguliers, 50 % contre 29 % parmi les actifs. L’aide apportée par les bénévoles<br />
est cependant souvent ponctuelle et, dans les deux tiers des cas, elle ne dépasse pas plus de deux heures par<br />
mois. Ce sont les bénévoles réguliers – un sur trois – qui y consacrent le plus de temps : 4 à 5 heures<br />
hebdomadaires en moyenne, soit une demi-journée par semaine.<br />
Les principales contributions bénévoles concernent l’organisation d’événements, de spectacles, d’expositions<br />
(37 %), et proviennent surtout de bénévoles qui y travaillent seulement à certaines périodes. Un quart du<br />
bénévolat va à l’animation ou l’encadrement d’activités, ce dont s’occupent plus souvent les bénévoles<br />
réguliers. C’est sur ces derniers que reposent les activités et les tâches qui requièrent une participation<br />
continue - travail administratif, enseignement, conseil et renseignement au public, ces activités représentant<br />
un tiers du bénévolat. Les bénévoles réguliers se chargent aussi fréquemment de plusieurs types de tâches,<br />
prenant part à la fois à l’organisation d’événements, à l’animation et au fonctionnement de la structure.<br />
La participation bénévole requiert parfois des compétences spécifiques. Dans 43 % des cas, les bénévoles<br />
font appel dans leurs tâches à des compétences acquises dans leur vie professionnelle ou au cours de leurs<br />
études, notamment quand ils sont cadres, enseignants ou retraités. Ce sont le plus souvent des compétences<br />
techniques, scientifiques ou linguistiques, ou en matière de communication, de rédaction, de négociation. La<br />
professionnalisation et l’exigence croissante en matière de compétences se traduit d’ailleurs par un souci de<br />
formation : 8 % des bénévoles suivent, chaque année, des formations surtout dans les domaines artistiques et<br />
sportifs, ainsi que dans l’enseignement et l’éducation.<br />
III. LES ASSOCIATIONS CULTURELLES<br />
On comptait 31 400 associations culturelles en France en 2005, soit une moitié d’associations consacrées au<br />
spectacle vivant, une autre moitié aux autres domaines comme les arts visuels, les médias associatifs, le<br />
patrimoine. Elles regroupent aujourd’hui près de 5 millions d’adhérents.<br />
On peut assez facilement dégager une typologie des associations culturelles :<br />
— Les collectifs, groupes, compagnies, ensembles regroupent les compagnies de théâtre, marionnettes,<br />
cirque, danse, arts de la rue, cirque, conte… des groupes de musiques actuelles, des collectifs d’arts<br />
visuels (arts plastiques, vidéo, photographie…), des ensembles vocaux et instrumentaux, des orchestres,<br />
fanfares, chorales…
114 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
— Les ateliers de pratique artistique, cours, école constituent l’ensemble des associations qui ont pour<br />
activité la plus visible la sensibilisation et la transmission : ateliers d’écriture, cours de musiques ou de<br />
théâtre, écoles de cirque, sensibilisation culturelle auprès de publics sensibles (à l’hôpital, en milieu<br />
pénitentiaire…).<br />
— L’animation socioculturelle concerne les associations souvent proches de l’éducation populaire : centres<br />
de loisirs, centres sociaux, ludothèques, MJC, foyers ruraux, maisons de quartiers… ainsi que toutes les<br />
associations qui proposent des activités créatives (dessins, danses de salon, métiers d’art) ou des activités<br />
artistiques dans une optique de loisirs (danse, percussions…). Cette catégorie comprend également les<br />
associations communautaires (promotion de la culture d’une région ou d’un pays).<br />
— La diffusion régulière dans un lieu concerne les théâtres, salles de spectacles, centres culturels<br />
polyvalents, maisons de la culture, espaces culturels, salles de musiques actuelles, cinémas, centres d’art<br />
contemporain.<br />
— Un événement régulier est l’objet essentiel de l’ensemble des festivals de spectacle vivant mais aussi des<br />
salons du livre, des festivals de cinéma ou de photographie… Le principe est qu’il s’agit d’un événement<br />
régulier, souvent annuel, et qu’il constitue l’activité la plus visible de l’association (souvent la seule).<br />
— L’organisation ponctuelle d’événements, la diffusion itinérante caractérisent l’ensemble des<br />
associations qui organisent régulièrement des spectacles sans gérer de lieu en propre, par exemple des<br />
associations qui organisent des concerts ou des soirées musicales sans régularité. Cette catégorie regroupe<br />
également les associations qui organisent de la diffusion itinérante de spectacle (par exemple sous<br />
chapiteau) ou de cinéma et les associations qui organisent des expositions.<br />
— La promotion de la culture, la focalisation sur un média définissent l’ensemble des médias associatifs,<br />
notamment les radios associatives mais aussi la presse culturelle, les sites Internet dédiés à l’information<br />
culturelle, les télévisions locales.<br />
— La production, l’édition peuvent aussi prendre une forme associative. On trouve ainsi des producteurs<br />
de cinéma-vidéos, des labels discographiques, des maisons d’édition, de production et d’accompagnement<br />
de groupes musicaux…<br />
— Animation, sensibilisation, sauvegarde du patrimoine sont les objets des sociétés historiques et<br />
archéologiques.<br />
— Les services aux artistes ou structures culturelles regroupent les associations dédiées au soutien des<br />
activités des artistes et des structures culturelles : centres de ressources, structures de répétition musicales,<br />
aide à l’administration, prestataires de services, résidences d’artistes.<br />
Les associations culturelles employeurs<br />
Quatre grands types d’associations employeurs apparaissent : les associations centrées avant tout sur les<br />
ateliers-cours (près de 40 % des associations culturelles employeurs), les associations centrées sur la<br />
diffusion, les associations centrées sur la création, les autres associations (catégorie hétérogène).<br />
A. RÉPARTITION DES 4 GRANDES TYPES D’ASSOCIATIONS<br />
Diffusion<br />
19 %<br />
En nombre d’associations<br />
Autres<br />
21 %<br />
Création<br />
22 %<br />
Ateliers-cours<br />
38 %<br />
Autres<br />
22 %<br />
Diffusion<br />
26 %<br />
En masses salariales<br />
Création<br />
17 %<br />
Ateliers-cours<br />
35 %
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 115<br />
B. LES ASSOCIATIONS CULTURELLES EMPLOYEURS PAR DOMAINE ARTISTIQUE<br />
Cinéma, vidéo<br />
5 %<br />
Socioculturel<br />
9 %<br />
Médias<br />
4 %<br />
Patrimoine<br />
9 %<br />
Lecture,<br />
écriture<br />
4 %<br />
Arts visuels<br />
10 %<br />
Pluridisciplinaire,<br />
inclassable<br />
7 %<br />
Pluridisciplinaire<br />
spectacle<br />
4 %<br />
Musiques<br />
21 %<br />
Arts de la rue,<br />
cirque, danse<br />
10 %<br />
Théâtre,<br />
marionnettes,<br />
conte<br />
18 %<br />
Les associations culturelles employeurs sont globalement jeunes : 32 % ont été créées après 2000 et 52 % ont<br />
moins de 10 ans d’existence. Comme pour l’ensemble des associations en France, le lien avec le niveau<br />
budgétaire est frappant. 43 % des associations avec moins de 50 000 � de budget ont moins de 5 ans<br />
d’existence contre 5 % des associations avec plus de 200 000 � de budget.<br />
IV. LES ASSOCIATIONS SPORTIVES<br />
Les associations constituent la pierre angulaire de l’organisation du sport en France. On en dénombre<br />
195 000 dans le domaine sportif, de tailles très diverses, 16 % d’entre elles ont recours à l’emploi salarié<br />
pour conduire leur activité, les autres s’appuient uniquement sur le travail bénévole<br />
Les associations sportives et d’éducation populaire représentent respectivement 22 % et 49 % du nombre<br />
total d’associations en 2000, c’est dire qu’elles sont ensemble largement majoritaires dans le paysage<br />
associatif français. Le nombre moyen d'associations sportives est de 2.8 pour 1000 habitants le nombre<br />
moyen de licenciés par club est de 82,5 licenciés. Le nombre d’associations varie avec la taille des villes. Il<br />
convient de remarquer que le nombre d’associations sportives rapporté à 1000 habitants diminue avec la<br />
taille de la ville.<br />
Malgré la très grande liberté laissée par la loi 1901, les associations sportives doivent respecter quelques<br />
règles pour participer aux compétitions sportives ou bénéficier d'un soutien public. Un club sportif peut être<br />
constitué soit d’une association sportive seule, soit conjointement d’une association sportive (dite<br />
association support) et de la société commerciale qu’elle a créée pour des raisons financières.<br />
Les associations sportives ont une structure par âge (ancienneté de création) assez proche de celle de la<br />
moyenne des associations avec, cependant, une moindre part des associations créées dans les dix dernières<br />
années et symétriquement une part plus grande des associations un peu plus anciennes. Hormis les<br />
disciplines sportives récentes de par leur création ou leur importation (roller, capoeira, Tai chi…)<br />
La spécificité de l’activité associative ne peut se comprendre sans tenir compte du double rôle du bénévolat<br />
comme facteur d’impulsion du projet associatif et comme force de travail disponible pour son exécution. Les<br />
associations sportives s’appuient sur un volume de travail bénévole 3 fois supérieur à celui du travail salarié<br />
pour mettre en place les activités sportives alors que dans les associations d’éducation populaire, travail<br />
salarié et travail bénévole apparaissent présents de manière équivalente et que dans le secteur social, le<br />
nombre de salariés est égal à deux fois et demi celui des bénévoles.
116 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1<br />
On sait que le paysage associatif français est caractérisé par un grand nombre de très petites associations<br />
fonctionnant avec des budgets minimes, et par un nombre relativement restreint d’associations de grande<br />
taille. La répartition des budgets des associations sportives est cependant différente : peu de très petits<br />
budgets (inférieur à 1 000 �), beaucoup de petits budgets (de 1 000 à 5 000 �) et de budgets moyens (jusqu’à<br />
100 000 �), relativement peu de gros budgets. Dans les associations sans salarié, les 3/4 des associations<br />
sportives et 85 % des autres associations ont un budget annuel inférieur à 10 000 �. Pour les associations<br />
employeuses, les budgets sont autrement plus conséquents. La moitié des associations sportives employeuses<br />
gèrent un budget compris entre 10 000 � et 100 000 �.<br />
Pour plus de six associations sur dix, l’aire d’intervention est le quartier ou la commune, parfois, plusieurs<br />
communes. La commune reste donc un échelon central de référence, comme le montre sa place dans les<br />
financements, mais les strictes limites communales ne correspondent plus toujours à l’état d’esprit et à la<br />
pratique d’action d’associations qui se retrouvent plus volontiers dans des périmètres nouveaux, tels la<br />
communauté d’agglomération ou le pays par exemple. Ceci est surtout vrai au niveau rural où les<br />
associations intercommunales sont assez fréquentes. Plus du tiers des associations ont une aire d’intervention<br />
qui dépasse même l’échelon pluri-communal. A contrario, 7 à 8 % des associations sportives ou du secteur<br />
social ciblent leur intervention aux strictes limites du quartier. À l’autre bout de l’échelle géographique, elles<br />
sont relativement nombreuses à agir au niveau international, ce qui confirme la variété de leurs types<br />
d’interventions. Les associations sportives sont un peu moins présentes au niveau international.<br />
D’une manière générale, les associations s’organisent de façon fréquente en réseaux, quand ce n’est pas le<br />
réseau qui est à l’origine de leur création en cherchant à couvrir l’ensemble du territoire. Les associations<br />
sportives appartiennent massivement à des réseaux, essentiellement nationaux. Cette situation reflète et<br />
caractérise la très forte organisation nationale du mouvement sportif : l’adhésion à une fédération a le plus<br />
souvent un caractère obligatoire en particulier si le club entend participer à des compétitions officielles.<br />
Les profils des dirigeants des associations sportives apparaissent spécifiques au sein du secteur associatif<br />
français : beaucoup moins de femmes parmi les dirigeants, moins de seniors et plus de jeunes, plus<br />
d’ouvriers et d’employés aux « postes de commande » des associations sportives.
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 117<br />
Les femmes sont en effet très peu nombreuses à accéder aux fonctions de président d’association : 77 % des<br />
présidents d’association sont des hommes et 23 % seulement sont des femmes ; cela est particulièrement vrai<br />
pour le secteur sportif qui ne compte que 14 % d’associations présidées par des femmes. Par contre, les<br />
associations sportives comptent un nombre relativement plus important de jeunes présidents : l’arrêt d’une<br />
pratique sportive assidue, qui peut intervenir quand on est relativement jeune, est une opportunité d’accès à<br />
des fonctions de responsabilité associative. C’est entre 46 et 55 ans que l’on trouve le plus grand nombre de<br />
dirigeants. Ajoutons à cela que si dans une forte proportion, les présidents d’association exercent ou<br />
exerçaient leur activité professionnelle dans le secteur public. Le secteur sportif est une exception : 43 % des<br />
présidents d’association sportive exercent leur activité professionnelle dans une entreprise.
118 LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1
U9K25-F1/1 SÉQUENCE 06 119
120x LA COMMUNICATION ET SES ACTEURS U9K25-F1/1