ACTUALITÉSnouvelle répartition des cartes et à unbrouillage des fonctions réellement préoccupantau sein de la chaîne du livre.— Les Journéesdu Livre à laCommunautéfrançaisePour Tanguy Habrand, qui coordonnaitles Journées du Livre pour la Communautéfrançaise, le développement de l’Internetbouscule en effet le système selontrois axes :— un axe éditorial (l’édition n’étantplus réservée <strong>aux</strong> seuls éditeurs),— un axe commercial (les librairies cédantle pas à d’autres créne<strong>aux</strong> de vente),— un axe patrimonial (la mise en valeurdu patrimoine littéraire n’étant plus duseul ressort des bibliothèques).Pièges et opportunités du systèmeLa diffusion des livres sousforme digitale constitue pour l’éditionune révolution d’une ampleur aumoins comparable à celle de la découvertede l’imprimerie à la Renaissance.Deux questions majeures retiennentl’attention de nos sociétés : le nouveaumodèle économique qui se met enplace et la survie des <strong>auteurs</strong> dans cenouvel environnement. Les Journéesdu Livre de la Communauté française(février 2010) ont rassemblé plusieursexperts du sujet.Avec l’arrivée de l’iPad et le perfectionnementdes tablettes de lectureélectroniques, nombreux sont les observateursculturels à prédire l’avènementd’un nouveau mode de consommation dulivre. Le patrimoine littéraire, les ouvragesscientifiques, la presse quotidienne et lesbest sellers les plus récents sont déjà pourla plupart téléchargeables sur la toile, ouvrantla porte à un marché virtuel mondialiséde l’écrit, difficile à réguler, notammentd’un point de vue économique.Confusion des rôlesCe n’est pas la numérisation entant que telle qui préoccupe aujourd’huile secteur de l’édition : cela fait trente ansque les ouvrages imprimés sont conçussur ordinateurs. Ni le risque de voir disparaîtreles livres « papier’, qui ne semblentpas directement menacés par l’explosionde la lecture sur écran (le chiffre d’affairede l’édition en ligne est encore très modeste).En revanche, nous assistons à uneCette évolution inquiète les acteursdu livre, mis en difficulté aujourd’hui parcette « dématérialisation » du secteur.Sans parler des échanges non autorisésen ligne (dont le peer-to-peer) qui risquentd’occasionner de sérieux manquesà gagner, comme dans le marché de lamusique et de l’audiovisuel. La bande dessinéeen particulier semble faire l’objet denombreux transferts illicites entre internautes.Pour autant, il serait regrettabled’adopter une attitude uniquement défensiveface à cette évolution des pratiques.L’Internet ouvre aujourd’hui de nouve<strong>aux</strong>modes d’appréhension de la culture, davantageinteractifs, multimédias. Le savoirdevient accessible à un public beaucoupplus large, notamment les publicationsscientifiques (hors de prix) et les livresintrouvables ou épuisés. Toutes les créationslittéraires peuvent être mises en relationles unes avec les autres, d’un simpleclic de souris ; chaque concept relié à uneencyclopédie ; chaque mot à un dictionnaire.Évoquons aussi les communautésde lecteurs, les commentaires et les débatsen ligne que ces écrits électroniquesvont susciter !Un nouveau rôle se dessine ici pourl’éditeur : face à la surabondance d’informationdisponible (indexée par les moteursde recherche), l’intervention de spécialistessera plus que jamais nécessairepour faire le tri, pour accéder à l’informationfiable, au texte 100% original, <strong>aux</strong>écrits sans fautes de frappe…>>><strong>Lettre</strong> <strong>aux</strong> <strong>auteurs</strong> <strong>21</strong> – 20
ACTUALITÉSQuels nouve<strong>aux</strong> enjeux pour les <strong>auteurs</strong> ?Pour les <strong>auteurs</strong> littéraires, la diffusionde leurs œuvres sur Internet induitaussi plusieurs modifications technologiqueset sociologiques importantes. Voiciquelques-uns des enjeux relevés par TanguyRoosen, responsable du Service juridiquede la Maison des Auteurs :— Droits mor<strong>aux</strong> et pécuniaires : fairerespecter la paternité des <strong>auteurs</strong> surleurs œuvres et l’intégrité de celles-ci ;obtenir l’autorisation de l’auteur avantleur divulgation en ligne ; obtenir les droitsd’adaptation des œuvres littéraires et debandes dessinées pour diffusion dans unformat numérique.— Collaborations et contrats : lesformes de création, les exploitations, lesusages et les cycles d’exploitation desœuvres sont en mutation. Il faut rechercherde nouve<strong>aux</strong> équilibres juridiques etéconomiques avec les interlocuteurs des<strong>auteurs</strong>, équilibres qui permettent de préserverles intérêts de ces derniers. Des négociationsdevraient être entreprises avecles éditeurs au sujet des contrats d’éditiondans le but de valoriser les droits numériques; d’obtenir la rétrocession des droitscédés si l’éditeur ne les exploite pas ou demieux associer les <strong>auteurs</strong> dans la promotionde leurs propres œuvres.— Modèle économique du livre numérique: déterminer qui l’établit dans lesfaits, les éditeurs ou les plates-formes dedistribution numérique (type Google, Numilog,Amazon, Barnes & Noble, iTunes…) ?— Mécanismes de rétribution des <strong>auteurs</strong>: certains modèles économiques,notamment anglo-saxons, étudiés par lesautorités européennes, sont peu favorables<strong>aux</strong> <strong>auteurs</strong>. La gestion collectivepeut-elle apporter une solution satisfaisante? Quels outils mettre en place pourrendre possible une telle démarche àl’échelle internationale ?— Identification des œuvres et deleurs <strong>auteurs</strong> : renforcer l’échange d’informationentre éditeurs, sociétés d’<strong>auteurs</strong>,bibliothèques et organismes d’enregistrementpour faciliter l’identification desayants droit de par le monde (voir le projetARROW en p 11).— Développement de l’offre légale : ils’agit de permettre le développement deplates-formes de vente en ligne légales,reconnues par les éditeurs et les <strong>auteurs</strong>,pour permettre à l’accès à des ouvragesau format numérique (de qualité) à des prixcompétitifs.— Conservation des supports numériques: encore plus que pour les œuvresimprimées sur papier, se pose la questionde la survie des livres numérisés, dont lessupports sont loin d’être pérennes.Une économie du Net « <strong>auteurs</strong>-nonadmis» ?À part quelques sites de vente enligne développés par des éditeurs spécialisés,qui rétribuent (chichement) les<strong>auteurs</strong> selon un pourcentage du chiffrede vente, beaucoup de textes numériséssont diffusés aujourd’hui sur la toile sansque leurs <strong>auteurs</strong> soient associés <strong>aux</strong>bénéfices de l’économie de l’Internet. Àen croire leurs opérateurs, la plupart desplates-formes de mise à disposition nedégagent en effet (quasi) pas de rentréesfinancières…En réalité, la gratuité apparente surInternet est un leurre. Frédéric Young, ledélégué général de la SACD-SCAM en Belgique,s’est précisément attaché durant lesJournées du Livre à mettre en lumière lesflux financiers cachés de l’univers numérique.Il existe toujours des financeurs etdes acheteurs derrière les écrans. Que cesoient les distributeurs d’accès au réseau,qui cherchent à favoriser les échangesde contenu gratuit en contrepartie d’unabonnement coûteux ou que ce soient lesplates-formes de service de type Google,qui se rétribuent en monnayant auprès desannonceurs des connexions très cibléesd’internautes. Même les portails culturelsgratuits, conçus pour promouvoir lacréation artistique auprès de la collectivité,mobilisent d’importants budgets publics.Pourquoi les responsables de tous ces projetsomettent-ils si souvent d’inclure unbudget « droits d’<strong>auteurs</strong> » dans leur plan financier,alors que les autres contributeurs/concepteurs de ces sites sont décemmentpayés pour leur prestation ?Manœuvres insidieusesPlusieurs manœuvres insidieusesse déploient en outre pour éviter d’associerles <strong>auteurs</strong> <strong>aux</strong> revenus du web :— l’usage de techniques de reproductionillicites, faisant l’impasse sur le droitd’auteur,— l’exigence d’une modification radicalede la loi (ou d’une application défavorable<strong>aux</strong> <strong>auteurs</strong>),— la tentative d’obtenir des jurisprudencesmodifiant le régime normal de protection,— ou la négociation d’accords en positionde force.Sans parler de toutes les œuvres,notamment journalistiques, « copiées-collées» (souvent amputées, voire mutiliées)éparpillées sur le Net, comme si elles étaientaffranchies de leurs liens patrimoni<strong>aux</strong> ouexonérées de droits. Ces f<strong>aux</strong> « orphelins »,font déjà malheureusement un peu figured’enfants perdus…La numérisation, la mise en place deplates-formes d’échanges ou de servicesde recherche, ainsi que l’organisationtechnique des échanges non autorisésentre individus se déroulent ainsi souventderrière le dos des <strong>auteurs</strong>, au nom de laliberté de l’internaute et de l’innovation.Il convient donc, dans cette batailleengagée à l’échelle planétaire, de réaffirmerinlassablement la valeur du travailde création et d’édition et de se mobilisercollectivement pour son respect dans lecadre de la loi sur le droit d’auteur. >>>Si les œuvreslittéraires sont deplus en plus présentessur Internet, denombreux sites depromotion du livresemblent pourtantignorer les <strong>auteurs</strong> etleurs droits, rarementpris en considérationdans les modèleséconomiques du web.<strong>Lettre</strong> <strong>aux</strong> <strong>auteurs</strong> <strong>21</strong> – <strong>21</strong>