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Bouche cousue ou langue bien pendue ? L'école entre deux ...

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elle b<strong>ou</strong>rgeoise <strong>ou</strong> appartient-elle à chacun ? la logique est-elle une forme de pensée propre aux élites <strong>ou</strong> un instrumentuniversel ? le langage élaboré est-il un code réservé à une classe sociale <strong>ou</strong> un instrument de communication adapté àcertains contenus <strong>ou</strong> à certains contextes ? jusqu’à quel point faut-il, au nom du respect de l’identité culturelle dechaque gr<strong>ou</strong>pe, renoncer à enseigner des savoirs qui ont c<strong>ou</strong>rs dans les classes dominantes ?La question se pose p<strong>ou</strong>r l’oral. À chacun de répondre en pesant le p<strong>ou</strong>r et le contre. Je dirais que l’accès à uninstrument indispensable dans les rapports sociaux justifie un certain risque de dépossession culturelle.Autre risque : la surenchère normative. Auj<strong>ou</strong>rd’hui, on peut avancer l’idée que la normalisation de la <strong>langue</strong> se faitmoins pesante, qu’elle passe davantage par les médias que par la répression scolaire des parlers populaires etrégionaux. On redéc<strong>ou</strong>vre les patois, on affirme le droit à la différence, on relativise les normes. Cette évolution estamorcée depuis plusieurs décennies. La rénovation de l’enseignement du français l’a accentuée en insistant sur lalibération de la parole, sur la nécessité de ne pas empêcher les élèves de s’exprimer par des corrections intempestives,sur la diversité des contextes, des actes de parole, des registres de <strong>langue</strong>s et des marchés linguistiques.Ne risque-t-on pas, en développant une véritable pédagogie rénovée de l’oral, de mettre fin à cette relativetolérance, de faire peser sur l’expression des enfants à l’école de n<strong>ou</strong>velles normes, de créer de n<strong>ou</strong>velles inégalités ?Vaut-il vraiment la peine d’aj<strong>ou</strong>ter l’oral aux objectifs prioritaires de l’école obligatoire ? La maîtrise attendue justifie-telleun surcroît d’exigences et de travail, la mise en valeur de n<strong>ou</strong>velles normes d’excellence, l’extension possible descritères de sélection, une n<strong>ou</strong>velle forme de normalisation des pratiques ? La maîtrise de l’oral est-elle dans l’existenceun at<strong>ou</strong>t assez important p<strong>ou</strong>r c<strong>ou</strong>rir autant de risques ?À ces questions, il n’y a pas de réponse “ objective ”, on s’en d<strong>ou</strong>te. Chacun est renvoyé en dernière instance à sesoptions politiques, à sa vision de la culture, de la <strong>langue</strong>, des inégalités, de la démocratisation. Quant à moi, sauf àremettre en question l’ensemble du curriculum, je dirais qu’une véritable maîtrise de l’oral vaut <strong>bien</strong> un effort accru descolarisation.À partir du moment où on décide de franchir le pas, il faut se donner les moyens de construire une pédagogieefficace. Rien ne serait pire qu’un simulacre, juste assez bon p<strong>ou</strong>r créer des hiérarchies sans engendrer d’apprentissagessignificatifs et solides. Il reste donc à concevoir une pédagogie efficace, qui ne se contente pas de signes extérieurs deréussite scolaire (Perren<strong>ou</strong>d, 1986), mais vise des compétences stables et transposables p<strong>ou</strong>r chacun. Une pédagogie del’oral délibérément égalitariste dans ses intentions ne peut qu’être différenciée dans ses modalités : à chacun selon sesbesoins !V. L’oral, c’est mardi matin,de 9 heures à 10 heures !L’oral s’apprend. S’enseigne-t-il ? Oui si l’on s’accorde à dire - ce qu’on devrait faire p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>tes les disciplines -qu’enseigner ce n’est rien d’autre qu’aménager des situations d’apprentissage. P<strong>ou</strong>r l’oral plus peut-être que p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>tautre acquis, il faut se défaire de l’idée qu’il y a des savoirs à transmettre. Les compétences sont construites par l’élève,en situation d’interaction. Encore faut-il qu’il y ait interaction !Mieux vaut le statu quo qu’une pédagogie de l’oral velléitaire et inefficace. Il ne sert à rien de prendre “ un peu ” detemps p<strong>ou</strong>r l’oral, d’en tenir “ légèrement ” compte dans l’évaluation. Cela ne peut qu’accroître les inégalités, accuser lesentiment d’échec des élèves déjà en difficulté. Au maître qui “ ne croit pas vraiment à l’oral ”, qui pense qu’il n’est pasimportant <strong>ou</strong> possible de développer à l’école des compétences de communication orale, mieux vaut dire : “ Ne faitesrien, car le peu que v<strong>ou</strong>s ferez ne servira qu’à v<strong>ou</strong>s donner bonne conscience ! ” Propos peu constructifs, dira-t-on. Maisc’est p<strong>ou</strong>r mieux s<strong>ou</strong>ligner qu’une pédagogie efficace de l’oral ne saurait être qu’une <strong>entre</strong>prise de longue haleine,continue et cohérente.S<strong>ou</strong>s quelle forme concrète ? Dans l’emploi du temps des classes, fort chargé, il n’est pas facile de dégager uneheure supplémentaire par semaine p<strong>ou</strong>r “ faire de l’oral ”. Mais avant de dire que c’est impossible, encore faut-il sedemander si c’est <strong>bien</strong> nécessaire ! N’est-ce pas ailleurs que se j<strong>ou</strong>e la partie, dans les interactions incessantes qui sen<strong>ou</strong>ent <strong>entre</strong> maîtres et élèves <strong>ou</strong> <strong>entre</strong> ces derniers ? Une pédagogie de l’oral implique nécessairement lefonctionnement du gr<strong>ou</strong>pe-classe et l’ensemble de la démarche pédagogique. Elle ne saurait se cantonner à une case dela grille horaire. Elle traverse t<strong>ou</strong>te la semaine et t<strong>ou</strong>s les moments de la vie et du travail d’une classe.La rénovation de l’enseignement du français a valorisé la maîtrise pratique de la <strong>langue</strong>, en la distinguant du savoirsur la <strong>langue</strong> ; elle a affirmé que cette maîtrise s’acquiert par une pratique langagière s<strong>ou</strong>tenue inscrite dans devéritables situations de communication. Mais sans d<strong>ou</strong>te n’a-t-elle pas dit avec assez de force à quel point il faut quecette pratique soit régulière et intensive p<strong>ou</strong>r produire des effets visibles. Beauc<strong>ou</strong>p de maîtres croient encore qu’il suffitde faire une petite place à la communication p<strong>ou</strong>r rénover leur pédagogie du français : une discussion par-ci, unspectacle par-là, et le t<strong>ou</strong>r serait j<strong>ou</strong>é ! P<strong>ou</strong>r le reste, on p<strong>ou</strong>rrait enseigner comme avant, faire des leçons degrammaire, des exercices de conjugaison et de vocabulaire, des lectures silencieuses et des lectures suivies. Sans parlerdes autres disciplines, qu’il n’est pas question de t<strong>ou</strong>cher. Autant renoncer à l’oral !Pendant la petite enfance, chacun apprend à marcher, puis à parler sans recevoir de leçons. Mais il y passe desheures, pendant des mois <strong>ou</strong> des années. Les savoir-faire ne se forgent au gré de l’expérience que si celle-ci est dense,quotidienne, redondante et diverse à la fois. Comment imaginer qu’on puisse apprendre à rédiger en composant trois <strong>ou</strong>

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