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Bouche cousue ou langue bien pendue ? L'école entre deux ...

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qui viendront comme un cheveu sur la s<strong>ou</strong>pe.Une formation à une pédagogie de l’oral passe donc par une analyse de la façon dont fonctionnent, ici etmaintenant, la relation pédagogique et le travail scolaire. Cette analyse peut conduire à dégager des espaces decommunication, réels <strong>ou</strong> virtuels et à identifier les conditions auxquelles un moment de travail <strong>ou</strong> de vie collective peutdevenir aussi une occasion d’apprendre à expliquer, à débattre, à argumenter, à animer.Même dans le meilleur des cas, avec des enseignants parfaitement acquis à cette démarche, prêts à remettre enquestion leurs pratiques, fortement engagés sur le chemin de l’école active, il ne faut pas se leurrer : on ne peut past<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs avoir “ le beurre et l’argent du beurre ” ! Certes, chaque moment de la semaine, quelle qu’en soit la logiqueinitiale, peut se transformer en un moment d’éc<strong>ou</strong>te, de débat, d’argumentation. Ce n’est pas nécessairement audétriment de l’objectif initial p<strong>ou</strong>rsuivi, par exemple travailler la géographie de l’Europe, le Moyen Age <strong>ou</strong> lesquadrilatères ; on peut faire la part de la communication sans perdre de vue les autres objectifs, ni affaiblir tropfortement le rythme de progression dans le programme. Dans d’autres cas, c’est moins facile, voire impossible. Il s’agitdonc p<strong>ou</strong>r le maître d’apprendre à identifier le seuil à partir duquel le s<strong>ou</strong>ci de créer des situations de communication<strong>entre</strong> en conflit avec d’autres objectifs <strong>ou</strong> d’autres urgences. L’oral se greffe en quelque sorte en parasite sur desactivités ordonnées à d’autres fins. Si le parasite prend trop d’énergie, il compromet son existence même. La sagessepopulaire ne recommande-t-elle pas de “ ne pas scier la branche sur laquelle on est assis ” ?Faisons ici une différence très nette <strong>entre</strong> l’affirmation a priori “ C’est impossible, on ne peut rien changer ” et larecherche patiente du juste compromis, du point d’équilibre permettant à la fois d’instaurer un climat à une pratique decommunication et d’atteindre d’autres objectifs importants. Être formé à une pédagogie de l’oral, c’est savoir assez vite,intuitivement, ce qu’on perd et ce qu’on gagne, du point de vue de la communication, lorsqu’on aménage une situationdidactique quelconque. Poser un problème <strong>ou</strong>vert, prévoir une mise en commun, faire travailler les élèves en gr<strong>ou</strong>pes,c’est avoir besoin de plus de temps, par exemple en mathématique. Mais c’est aussi susciter des interactions qui ne seproduisent pas dans une situation plus classique, par exemple un exposé magistral suivi d’une série d’exercicesindividuels. D’un côté, on avancera plus vite dans le programme (sinon dans les apprentissages durables), de l’autre onse donnera davantage de chances de construire à la fois certains savoirs mathématiques fortement solidaires del’interaction et certaines compétences de communication. À v<strong>ou</strong>loir être constamment dans la recherche, la créativité etl’interaction, on ne c<strong>ou</strong>vrira qu’un quart du programme. À l’inverse, en exerçant une pression constante p<strong>ou</strong>r avancersans perdre du temps à “ discutailler ”, on aura c<strong>ou</strong>vert le programme à Pâques, sans garantir des acquismathématiques solides et sans profit s<strong>ou</strong>s l’angle de la communication. Avec Piaget et t<strong>ou</strong>s les m<strong>ou</strong>vements d’écolen<strong>ou</strong>velle, on s<strong>ou</strong>lignera l’importance de l’activité de l’élève. Avec le CRESAS (1987), on s<strong>ou</strong>lignera qu’on n’apprend past<strong>ou</strong>t seul et que l’interaction, loin d’être requise seulement p<strong>ou</strong>r maîtriser progressivement l’oral, est au coeur de laconstruction de la plupart des connaissances (Schubauer-Leoni et Perret-Clermond, 1985 ; Schubauer-Leoni, 1986).Penser une pédagogie de l’oral, c’est refuser de l’enfermer dans l’enseignement du français. C’est surt<strong>ou</strong>t <strong>entre</strong>r dansl’analyse de la dimension communicative actuelle <strong>ou</strong> virtuelle de t<strong>ou</strong>tes les situations didactiques et de t<strong>ou</strong>s les momentsde fonctionnement d’une classe. Cela suppose notamment, du point de vue de la formation continue, des conditions dedialogue et de confiance sans lesquelles les enseignants hésiteront à raconter ce qu’ils font j<strong>ou</strong>r après j<strong>ou</strong>r. Non pasdans les catégories abstraites du plan d’études <strong>ou</strong> de l’horaire, mais en entrant dans le détail des pratiques : l’usage dutemps disponible, le stress, les prises de parole, les consignes, les interventions correctrices <strong>ou</strong> disciplinaires, la naturedes tâches coopératives données aux élèves, etc.Je ne puis ici <strong>entre</strong>r dans l’analyse fine du fonctionnement des classes et des situations didactiques, qui dépend desdegrés d’enseignement, des disciplines, des orientations pédagogiques. Une question se pose en revanche part<strong>ou</strong>t :quelle part faut-il donner, dans l’apprentissage de l’oral, à la prise de conscience, voire à la théorisation des faits etprocessus de communication ? On sait que la maîtrise pratique ne dépend qu’assez faiblement d’une maîtrise théoriquepréalable, de type grammatical par exemple. Cela ne veut pas dire que la compétence de communication est purementpratique, qu’elle s’acquiert de façon s<strong>ou</strong>terraine, à l’insu des intéressés et en l’absence de t<strong>ou</strong>te prise de conscience, det<strong>ou</strong>te réflexion. On peut s<strong>ou</strong>tenir au contraire qu’il n’y a pas de pleine compétence de communication sans compétencesde métacommunication, autrement dit, sans capacités d’analyser le contexte, les attentes, les règles du jeu et parfois deles expliciter, de les reformuler, de les renégocier avec l’interlocuteur. Apprendre à communiquer, c’est aussi apprendreà réfléchir sur ce qui se passe dans l’interaction, à anticiper les réactions de l’autre, à se mettre à sa place, à construiredes stratégies argumentatives <strong>ou</strong> explicatives, à tenir compte du contexte, des intentions et des intérêts des acteurs enprésence. Cela suppose un ensemble d’opérations cognitives complexes qui mobilisent des concepts et certainesconnaissances des processus en jeu.Pratiquer une pédagogie de l’oral, c’est donc, dans cet esprit, ne pas perdre une occasion d’entraîner à lamétacommunication, prendre le temps de revenir sur l’expérience, de comprendre p<strong>ou</strong>rquoi une explication n’a paspassé, p<strong>ou</strong>rquoi une discussion a dégénéré en conflit de personnes, p<strong>ou</strong>rquoi une réunion t<strong>ou</strong>rne c<strong>ou</strong>rt si l’animateurprend le p<strong>ou</strong>voir <strong>ou</strong> ne j<strong>ou</strong>e pas son rôle. La communication orale devient alors son propre objet. L’expérience montreque même des enfants de huit à dix ans sont très sensibles à t<strong>ou</strong>tes sortes de phénomènes psychosociaux <strong>ou</strong>linguistiques liés à la communication, sont prêts à les observer et à en discuter si le maître crée les conditions propices.Mais c’est le terrain par excellence d’une pédagogie de l’occasion. Inutile de prévoir d<strong>ou</strong>ze leçons sur les difficultés <strong>ou</strong> lesparadoxes de la communication. C’est face à l’événement qu’il faut prendre le temps de s’arrêter, de s’étonner,d’analyser à chaud, en mathématique comme en français, au c<strong>entre</strong> aussi <strong>bien</strong> qu’en marge des situations proprementdidactiques. Cela suppose chez le maître le goût et la capacité d’improviser (Perren<strong>ou</strong>d, 1983), ce qui ne va pas sans

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