Quelques idées sur lepatrimoine mo<strong>de</strong>rnedossierpar France Vanla<strong>et</strong>hem, professeure associée,École <strong>de</strong> <strong>de</strong>sign <strong>de</strong> l’UQAML’horizon <strong>du</strong> patrimoine s’est sans cesse élargi<strong>de</strong>puis la fondation <strong>de</strong> la Commission <strong>de</strong>s monumentshistoriques <strong>du</strong> Québec en 1922 <strong>et</strong> <strong>les</strong> actualisationssuccessives <strong>de</strong> la loi visant à assurer laprotection <strong>de</strong>s biens culturels i<strong>de</strong>ntitaires. Ceux-ciont d’abord été reconnus dans <strong>les</strong> monuments d’art<strong>et</strong> d’histoire <strong>et</strong>, ensuite, progressivement éten<strong>du</strong>saux découvertes archéologiques, aux ensemb<strong>les</strong>urbains anciens <strong>et</strong> aux artéfacts liés à la vie quotidiennelaborieuse <strong>de</strong>s ancêtres.Cependant, <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong>s années 1980, au Québeccomme ailleurs, l’ancienn<strong>et</strong>é n’est plus la qualitépremière <strong>et</strong> indiscutable <strong>du</strong> patrimoine. À c<strong>et</strong>teépoque, certaines personnes ont <strong>de</strong>mandé que soitreconnue la valeur pérenne <strong>du</strong> Westmount Square,mise en péril par <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong> rénovation. L’extrêmesimplicité architecturale <strong>de</strong> c<strong>et</strong> ensemble <strong>de</strong>ssinéen 1964 par l’architecte Ludwig Mies van <strong>de</strong>r Rohen’était plus au goût <strong>du</strong> jour. Réparer son esplana<strong>de</strong>sans tenir compte <strong>de</strong> la continuité visuelle entre l’intérieur<strong>et</strong> l’extérieur <strong>et</strong> décorer sa galerie <strong>de</strong> boutiques,c’était oublier certains <strong>de</strong>s apports essentiels<strong>du</strong> mouvement mo<strong>de</strong>rne qui bouleversa <strong>les</strong> conceptionsen matière d’architecture <strong>et</strong> d’urbanisme dansla première moitié <strong>du</strong> xx e siècle.Un pas vers la reconnaissanceLa Commission <strong>de</strong>s biens culturels <strong>du</strong> Québeca contribué à la reconnaissance <strong>du</strong> patrimoinemo<strong>de</strong>rne en lançant une étu<strong>de</strong> sur le suj<strong>et</strong> qui débouchaen 2005 sur la publication d’un document<strong>de</strong> réflexion intitulé Comment nommer le patrimoinequand le passé n’est plus ancien ? Y sont exploréesentre autres <strong>les</strong> différences qui séparent le patrimoinerécent <strong>du</strong> patrimoine ancien : outre sa jeu-nesse, on y souligne son abondance (auxx e siècle, le Québec, comme bien d’autrescollectivités, a plus construit qu’au cours<strong>de</strong>s sièc<strong>les</strong> précé<strong>de</strong>nts) ainsi que sa fragilitétechnique <strong>et</strong> esthétique. Les nouveauxmatériaux <strong>et</strong> composants techniques misen œuvre, tels le béton armé coulé surplace ou <strong>les</strong> légers murs-ri<strong>de</strong>aux <strong>de</strong> verre<strong>et</strong> <strong>de</strong> métal, se sont souvent détériorésplus rapi<strong>de</strong>ment qu’on ne s’y attendait.De plus, <strong>les</strong> bâtiments mo<strong>de</strong>rnes résistentmal aux interventions peu attentives àleur simplicité formelle ou encore à leur inhabituellearticulation spatiale, sinon tectonique.Si, au moment <strong>de</strong> la construction, la nouveautéplus ou moins radicale <strong>du</strong> bâti emballait promoteurs<strong>et</strong> usagers, pour quelques-uns, elle est rapi<strong>de</strong>ment<strong>de</strong>venue synonyme <strong>de</strong> perte. C’est ainsi qu’en1963, un groupe <strong>de</strong> citoyens s’était élevé contre leproj<strong>et</strong> <strong>du</strong> futur Westmount Square, jugeant inacceptab<strong>les</strong>sa taille <strong>et</strong> sa facture en rupture avec le bâtiexistant. Alors que <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s opérations immobilièresse multipliaient au cœur <strong>de</strong>s vil<strong>les</strong>, le traumatismecausé par <strong>les</strong> <strong>de</strong>structions <strong>de</strong> pans entiers<strong>de</strong> l’environnement familier, précédé dans certainscas par l’éviction d’un grand nombre d’habitants,cristallisa la réaction, conférant un nouvel élan aumouvement patrimonial. Ainsi l’architecture mo<strong>de</strong>rne,quelle que soit la qualité <strong>de</strong>s réalisations, estsouvent associée à <strong>de</strong> mauvais souvenirs.Patrimoine en <strong>de</strong>venir –l’architecture mo<strong>de</strong>rne <strong>du</strong> QuébecAlors qu’elle laisse place au Conseil <strong>du</strong> patrimoineculturel, la Commission <strong>de</strong>s biens culturels <strong>du</strong>Québec publie un ouvrage abondamment illustrésur le suj<strong>et</strong>, Patrimoine en <strong>de</strong>venir – L’architecturemo<strong>de</strong>rne <strong>du</strong> Québec, dans lequel elle poursuit ur France Vanla<strong>et</strong>hem,Patrimoine en <strong>de</strong>venir –L'architecture mo<strong>de</strong>rne <strong>du</strong>Québec, Québec, Publications<strong>du</strong> Québec, 2012.v Westmount Square,Montréal, 1964-1969,Ludwig Mies van <strong>de</strong>r Rohe,architecte, Chicago ;Greenspoon, Freedlan<strong>de</strong>r &Dunne, architectes, Montréal.Photo : © M. Brunelle.Le patrimoine d’hier, d’aujourd’hui <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>mainÀ rayons ouverts 31 automne 2012 n o 90
dossierl’investigation amorcée antérieurement en examinantla question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’évaluation<strong>de</strong> ce patrimoine différent <strong>de</strong>s autres. Depuis<strong>les</strong> années 1990, une question méthodologiquemobilise <strong>les</strong> professionnels <strong>du</strong> patrimoine sur leplan international, <strong>de</strong> même qu’au Canada <strong>et</strong> àMontréal. Une interrogation sur <strong>les</strong> éléments <strong>du</strong>bâti récent présentant un potentiel patrimonialnourrie par l’abondante littérature historiographiquepro<strong>du</strong>ite sur le Québec contemporain mèneà associer le patrimoine mo<strong>de</strong>rne <strong>du</strong> Québec à laRévolution tranquille, un phénomène dont la dynarCaisse Desjardins<strong>du</strong> Quartier <strong>de</strong> Saint-Henri,Montréal, 1965-1966, HenriBrillon, architecte, Montréal.Rénovation, 2009-2011,Jean Damecour, architecte,Sainte-Marguerite-<strong>du</strong>-Lac-Masson. Photo : © M. Brunelle.s Station-service <strong>de</strong> L'Île<strong>de</strong>s-Sœurs,Ver<strong>du</strong>n, Montréal,1967-1968, Ludwig Mies Van<strong>de</strong>r Rohe, architecte, Chicago ;Paul H. Lapointe, architecte,Montréal. Recyclage, 2011, Lesarchitectes FABG, Montréal.Photo : © M. Brunelle.mique dépasse <strong>les</strong> années 1960, auxquel<strong>les</strong> il estspontanément associé.Le désir <strong>de</strong> changement qui est au cœur <strong>de</strong> lamo<strong>de</strong>rnité se tra<strong>du</strong>it dès l’entre-<strong>de</strong>ux-guerres dansl’environnement bâti, où apparaissent <strong>de</strong>s édificesnovateurs non seulement sur le plan typologique<strong>et</strong> technique, tels <strong>les</strong> premiers gratte-ciel, maisesthétique. À Québec <strong>et</strong> à Montréal, <strong>les</strong> premièresmaisons mo<strong>de</strong>rnistes sont dès lors construites.Certes, la mo<strong>de</strong>rnisation accélérée amorcée avecla Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale multiplierait <strong>les</strong> constructionsse démarquant <strong>du</strong> bâti traditionnel dansÀ rayons ouverts 32 automne 2012 n o 90