L’opportunité <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalisation d’une ligne à très haute tension : l’exemple du projet COTENTIN-MAINE.MARIE GIRARD<strong>de</strong> persuasion <strong>de</strong>s différentes parties et non à une vision objective <strong>de</strong> sa défense. Dans les projetsd’Etat comme <strong>la</strong> réalisation d’une nouvelle ligne électrique, le poids <strong>de</strong> l’opinion partisane estparfois irrécusable et le contrôle démocratique perd toute pertinence. C’est pourtant le processus <strong>de</strong>participation qui permet <strong>de</strong> légitimer les projets contestables, elle est, en effet, tributaire <strong>de</strong> leuracceptabilité sociale. On peut néanmoins se satisfaire que le projet ait suscité un regain d’intérêtpour <strong>la</strong> chose publique chez les habitants <strong>de</strong>s communes rurales 17 . En toute hypothèse, c’est dansce cadre étranglé que les associations <strong>de</strong> protection <strong>de</strong> l’environnement se hasar<strong>de</strong>nt à défendre <strong>la</strong>qualité du milieu qui s’incline, sans surprise, <strong>de</strong>vant l’impérieuse nécessité du développementéconomique. Le projet dévoile un terrain où s’enchevêtrent <strong>de</strong>s intérêts publics comme <strong>la</strong>préservation <strong>de</strong> l’environnement et <strong>de</strong> <strong>la</strong> santé, et <strong>de</strong>s intérêts privés tirés <strong>de</strong> volontés politique oufinancière ou même encore du syndrome NIMBY. Elus et privés luttent chacun pour leurs intérêts,l’utilisation du sol et <strong>de</strong> l’espace n’est décidément pas porteur d’unité.Aussi, le développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> controverse a suscité un nouvel essor du principe <strong>de</strong>précaution. En effet, ce principe joue ici un rôle mobilisateur pour exprimer, justifier, approuver ouréc<strong>la</strong>mer une interdiction 18 . Cette application du principe <strong>de</strong> précaution est à l’œuvre dans <strong>de</strong>nombreux cas <strong>de</strong> refus <strong>de</strong> l’opinion publique face à <strong>de</strong>s décisions jugées à risques. Ici, le principe <strong>de</strong>précaution s’exprime d’une manière inattendue. En effet, en raison <strong>de</strong> l’existence d’une premièreligne à haute tension i<strong>de</strong>ntique à celle étudiée, les champs électromagnétiques et leursconséquences sur le vivant humain, animal, et végétal ont déjà pu être pleinement observées. Desétu<strong>de</strong>s officielles sur <strong>la</strong> leucémie <strong>de</strong> l’enfant ont établi un lien entre cette ma<strong>la</strong>die et <strong>la</strong> présence <strong>de</strong>lignes électriques. Le CRIIREM a d’ailleurs été sollicité pour enquêter sur le terrain 19 . Les résultats<strong>de</strong>s enquêtes sont donc totalement applicables à <strong>la</strong> future ligne électrique. Dans cette optique, <strong>la</strong>précaution <strong>la</strong>isse p<strong>la</strong>ce à <strong>la</strong> prévention puisque les conséquences sur <strong>la</strong> santé sont connues. Ainsi, ledoute inhérent à l’application du principe <strong>de</strong> précaution se situe plus sur le terrain du refus par lesautorités publiques <strong>de</strong> prendre en considération lesdites étu<strong>de</strong>s. Finalement, l’incertitu<strong>de</strong> se situeplus dans le champ <strong>de</strong> l’appréciation parcel<strong>la</strong>ire <strong>de</strong>s risques : les atteintes dues àl’électromagnétisme sont admises uniquement auprès <strong>de</strong>s enfants, à l’exclusion <strong>de</strong>s animaux, <strong>de</strong>shommes et <strong>de</strong>s femmes adultes, malgré pléthore d’étu<strong>de</strong>s non officielles en ce sens. Dès lors,l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s risques environnementaux ou <strong>de</strong> santé publique dépend <strong>de</strong> <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong> <strong>la</strong>confrontation – et <strong>de</strong> l’acceptabilité <strong>de</strong>s expertises- entre les profanes, les experts et les autoritéspolitiques. La composition est difficile, non seulement en raison <strong>de</strong> <strong>la</strong> multiplicité <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>concertation mais aussi parce qu’il est ma<strong>la</strong>isé <strong>de</strong> choisir les porte-parole parmi les experts et lesrégionaux. D’autant que c’est le porteur <strong>de</strong> projet lui-même qui désigne ses experts, choix qui peutparfois s’apparenter à <strong>de</strong> l’élitisme corporatiste et à un désengagement total dans l’examenimpartial <strong>de</strong>s risques. Puis <strong>la</strong> médiation doit encore être traduite <strong>de</strong> manière opératoire. Ainsicomme a pu l’affirmer PIERRE LASCOUMES en 2001, « <strong>la</strong> controverse peut être vue comme unesituation productrice d’effet enrichissant les rapports sociaux » et ce faisant génératrice <strong>de</strong>nouvelles perspectives. La controverse sur <strong>la</strong> précaution permettra d’enrichir <strong>la</strong> question <strong>de</strong>17 Propos <strong>de</strong> CHRISTOPHE GOSSELIN, prési<strong>de</strong>nt du collectif « Manche sous tension » en 2008.18 HAMID CHRIFI, « Le développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> controverse pour dynamiser le principe <strong>de</strong> précaution », in Ethiquetechnique et démocratie, éditions ACADEMIA BRUYLANT, 2007 p. 156.19 Le CRIIREM est le Centre <strong>de</strong> Recherche et d’Information Indépendantes sur les RayonnementsElectromagnétiques.9
L’opportunité <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalisation d’une ligne à très haute tension : l’exemple du projet COTENTIN-MAINE.MARIE GIRARDl’électromagnétisme par <strong>de</strong> nouvelles étu<strong>de</strong>s jusqu’à en connaître parfaitement ses effets. Encoreune fois le débat sur le principe <strong>de</strong> précaution se poursuit avec <strong>de</strong>s interrogations liées àl’enfouissement lui-même : permet-il <strong>de</strong> réduire ou mieux, <strong>de</strong> supprimer tout risque pour <strong>la</strong>santé en « paralysant » le champ électromagnétique? Ainsi, le principe <strong>de</strong> précaution est-il porté,commenté, démêlé par <strong>la</strong> démocratie participative. Il offre un chantier d’évaluation <strong>de</strong>s politiquespubliques, un cadre incitatif d’action dans un contexte d’incertitu<strong>de</strong>. HAMID CHIFRI affirme à cet égardque « le développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> controverse est une voie pour dynamiser le principe <strong>de</strong> précaution » 20 .Pour saisir les enjeux d’un tel phénomène, nous nous interrogerons, en premier lieu, surl’utilité publique du projet Cotentin-Maine. Il s’agira pour nous d’apprécier <strong>la</strong> qualification même« d’utilité publique » du projet par les autorités décisionnelles. S’inscrivant, certes, dans <strong>la</strong> politiqueénergétique <strong>de</strong> l’Etat et en application du principe <strong>de</strong> distribution équitable <strong>de</strong> l’énergie, le projet estcependant excessivement <strong>de</strong>structeur en termes <strong>de</strong> santé et d’environnement. L’utilité publiquesera donc mise à l’épreuve (Partie I). En second lieu, notre démarche consistera à analyser <strong>la</strong> qualitédu lien existant entre environnement et démocratie. Le consensus est improbable dans un projetqui se situe au cœur d’enjeux financiers, touristiques, sanitaires, environnementaux et politiques.L’utilisation <strong>de</strong> l’espace se trouve au centre <strong>de</strong>s attentes <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong>s habitants. Dans notre casd’étu<strong>de</strong>, il ne faut pas se contenter d’un jugement au premier <strong>de</strong>gré basé sur l’alternative « je suispour <strong>la</strong> ligne » ou « je suis contre cette décision » 21 . En effet, il ne faut pas élu<strong>de</strong>r les questionssociopolitiques qui sont <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> poids dans <strong>la</strong> procédure d’acceptation d’un ouvrage public.Il conviendra donc d’apporter une vision objective du jeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> démocratie locale. Il est constantque <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vision statique du « tout économique » <strong>de</strong>s projets d’aménagement en matière<strong>de</strong> production et <strong>de</strong> transport électrique se heurte <strong>de</strong> plus en plus au <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> <strong>la</strong> société urbainequi revendique un droit <strong>de</strong> regard et <strong>de</strong> contrôle sur le système décisionnel. La légitimité du projeten termes <strong>de</strong> satisfaction du public dépend donc <strong>de</strong>s modalités <strong>de</strong> participation <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>sintéressés et <strong>de</strong> <strong>la</strong> prise en compte <strong>de</strong> leur opinion (Partie II).20 HAMID CHIFRI, op. cit., note n°18.21 Que sais-je, « Les métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’urbanisme », JEAN-PAUL LACAZE, éditions PUF, 4 ème édition, 2007, page 52.10