6D’HIER & D’AUJOURD’HUITémoignage d’un rescapé des«Voilà 60 ans, l’Europe découvrait l’horreur descamps d’extermination nazis. Nous avons demandé àun Orcéen, bien connu dans notre cité, de nous écrireces lignes, pour ne jamais oublier.Dernier rescapé des camps de la mort, il a tenu àrester anonyme en hommage aux millions de mortsanonymes de la Shoah.Il y a soixante ans, les premierssurvivants des camps de la mortétaient de retour. L’état squelettiquede ces êtres, au visage hagard, auxquelsla mort avait accordé un sursis,était la preuve vivante des sévicessubis par 6 millions d’hommes, defemmes et d’enfants innocents.Durant mille jours et mille nuits, lesconvois de toute l’Europe occupéepar l’Allemagne hitlérienne drainèrentvers les chambres à gaz et les crématoiresd’Auschwitz les victimes dugénocide, arrachées aux ghettos etaux camps de transit.Soixante-seize mille juifs –dont onzemille enfants- furent déportés deFrance. Deux mille cinq cents revinrent,orphelins de père et mère, defrères, de sœurs, orphelins de tout.C’était surtout des jeunes qui avaientle mieux résisté aux privations et à larigueur du froid de la Haute Silésie.Aujourd’hui, environ cinq cents sontencore vivants pour témoigner de labarbarie nazie.Au delà des mots qui ne peuventexprimer l’innommable et des formulesà l’emporte pièce des négationnistescontre toutes les preuves matériellesauthentiques, je voudraisapporter un témoignage personnel demon vécu dans les camps de la mort.Alors que nous étions parqués aucamp de Drancy, le 7 décembre 1943l’ordre fut donné de constituer leconvoi n°64. Nous étions mille entasséscomme du bétail dans deswagons à bestiaux, sans nourriture niboisson. Un seau dans un coin duwagon, pour tout sanitaire, pour unecentaine de personnes pendant les 3jours et 3 nuits que dura le voyage.Arrivés à Auschwitz,exténués et affamés,le train s’arrêta dansune voie de garageen rase campagne.Nous devions évacuerrapidement lewagon à l’aide derampe, sous les hurlementsdes chienset nous mettre enrangs par deux. UnSS et un interprèteprocédaient à unepremière sélection.Mon père qui était àma droite fut dirigé vers un groupe àdestination des chambres à gaz. Etmoi vers un autre groupe devantconstituer une main d’œuvre bon marchépour le complexe chimique IGFarben.Après la sélection, on nous transféra aucamp de Buna-Monowitz situé àquelques kilomètres. On nous dirigeavers un bâtiment où des détenus entenue de pyjama étaient chargés derécupérer nos vêtements civils et toutce que nous possédions (argent,montre, lunette etc.). Nus comme unver, nous étions tondus de la tête auxpieds, puis nous devions attendredehors par –20°C, que les premierstondus soient passés à la désinfection.Cela consistait à nous immerger complètementdans un bassin rempli d’un© Élisa Rakliquide désinfectant nauséabond quidonnait envie de vomir. Mais nousavions l’estomac vide et rien ne passait.En quelques heures nous avions basculédans un autre monde, un mondede l’horreur. Puis vint la séance detatouage. C’est un détenu qui futchargé de l’opération qui consistait àtatouer un numéro sur l’avant-brasgauche. En décembre 1943, nous enétions, pour les hommes, à un numéroà 6 chiffres. Là, nous avions le sentimentde perdre notre propre identitépuisque nous étions marqués commedu bétail. Enfin, on nous transféradans une grande baraque en bois quiétait le bloc de quarantaine avantd’être affecté à un bloc définitif. Nousdormions sur des paillasses posées àmême le bois de lits superposés àtrois niveaux.Quel fut le quotidien d’un détenu àBuna-Monowitz ?Réveil à environ 5 heures du matin.Distribution d’une ration de pain noiraccompagné d’un carré de margarine(je ne voudrais pas oublier de mentionnerque le soir, à notre retour, onnous servait une gamelle de soupe oùsurnageaient des herbes et quelquesdébris de pommes de terre). Puis rassemblement,en rang par cinq, sur la
D’HIER & D’AUJOURD’HUI7camps d’extermination nazieplace d’appel pour vérification deseffectifs avant le départ pour l’usine.La séance de comptage pouvait durerjusqu’à 2 heures par un froid glacial.La grande majorité des détenus étaitemployée à des travaux de terrassement,ou au déchargement de grostuyaux très lourds. La pénibilité de cestravaux était telle que les hommesâgés d’une quarantaine d’années etplus, sous alimentés, ne résistaient pasplus de trois à six mois à ce régimed’enfer. Les kapos qui avaient la responsabilitédes commandos se chargeaientd’aggraver la pénibilité de cetravail forcé en poussant les cadencesà coup de matraque.En janvier 1945, l’armée soviétiqueétait aux portes de Cracovie, on commençaità entendre le bruit descanons, une vague d’espoir envahissaitle cœur de chacun. Hélas, le 18janvier le camp de Buna-Monowitz futévacué vers l’intérieur de l’Allemagne.Ce fut alors la « marche de la mort »,70 km à pied dans le froid et la neige,des SS escortaient la colonne, certainsfaisaient même porter leur « barda »par des détenus. On entendait régulièrementclaquer le bruit des armesautomatiques.Les plus faibles ne pouvaient passuivre la colonne; ils étaient terrasséspar le froid, la faim, l’épuisement etabattus par les SS.Arrivés au terme de la « marche de lamort » si coûteuse en vies humaines,on nous transféra, pour la plupart, aucamp de Buchenwald où l’on étaitemployé à reboucher des trous debombes avec un rang de cadavres,une couche de chaux, le tout recouvertde terre, puis on recommençait.En avril 1945, les armées alliéesétaient aux portes de Weimar. Il fallutà nouveau évacuer le camp et pendanttrois semaines sans nourriturenous nous sommes repliés vers l’estjusqu’à Térésienstadt près de Pragueoù la Wermacht nous abandonna le 7mai 1945.Nous étions enfin libérés mais dans unétat de délabrement physiqueextrême.Matricule 167 486«Le 12 janvier <strong>2005</strong>, plusieurs collégiens et lycéens d’<strong>Orsay</strong>sont allés se recueillir au camp d’Auschwitz. Elisa Rak, élève enclasse de terminale au lycée Blaise Pascal et arrière petite-filled’un déporté, raconte son émotion :« Quand le Conseil Régional d’Ile de France a proposéà des élèves un voyage au camp d’Auschwitz,j’ai envoyé toute de suite ma candidature. Je comptaisde toute façon y aller un jour pour des raisonspersonnelles et historiques : ce fut l’occasion. 800élèves de tous les horizons ont pu ainsi partir pource 60 ème anniversaire de la libération du camp. Nousavons été visiter les portes de la mort de Birkenaumais ce champ de ruines n’a pas été pour nousaussi impressionnant que la visite à Auschwitz.C’était étonnant de voir comme tout a été bienconservé en l’état ; ces événements de l’histoiredeviennent alors plus concrets et encore plus horribles.Les commentaires des anciens déportés quinous suivaient pour nous raconter leur histoirenous prenaient à la gorge. Ils s’arrêtaient parfoismême pour pleurer. Là, on se rend vraiment comptede l’horreur de cette « organisation scientifiquede la mort » : tout avait été étudié pour que les personnesgazées ne soient pas vues des autres, et queles déportés ne sachent pas ce qui allait leur arriver…De retour à Paris dans notre chambre, seule,on réalise alors toute la dimension de l’horreur quereprésentent ces camps d’extermination ».© Élisa Rak