Laurent BoveQuelques lignes de réflexionqui synthétisent/poursuivent mon intervention de Paris.Congrès à géométrie inverseCompte renduNon pas « se » glisser « entre » mais seulement glisser entre indéfiniment. Il y a quelque chose de secret, de singulier(mais qui n’est pas de l’ordre du « soi ») dans ce type de glissement indéfini du désir. Le petit mouchoirbrodé tombe discrètement au sol. C’est (peut-être) un billet libertin... qui glisse à présent de main en main.Une femme chute brusquement... Un visiteur de « La Force de l’Art » (il se présente comme venant d’ailleurs :« je suis Colombien ») dira que la banquise (construite, pour l’Exposition des œuvres, au centre du Grand Palais)a d’abord été vécue, par lui, comme une prison blanche, un véritable labyrinthe (nous sommes “faits commedes rats” sous le regard noir du Minotaure se nourrissant de chair humaine !) et que, tout à coup, la perception/affectionsurprise de la chute lui avait ouvert, singulièrement, la voie d’une sortie. Une libération... C’estla description d’une rupture du mouvement, qui fait événement ou plus précisément rupture dans (et/ou de) lamesure du mouvement, c’est à dire rupture du temps de la représentation (de l’exposition). Rupture d’espaceaussi. Émancipation dans/par les percepts et les affects éprouvés.Protocoles Meta. Chuter, glisser, c’était effectivement inter-venir : venir, advenir « entre »... Prendre ainsi lepoint de vue humoristique de « la faiblesse de l’art », son mode mineur selon une affirmation réfléchie (et àréfléchir ensemble) « entre » des dires majeurs toujours-déjà exposés, toujours-déjà « objectivés » (les œuvresd’art). C’est la recherche d’un entre-dire (un inter-dicere), d’un dire entre, d’un intervalle entre des murs, quiest l’espace de la génération même de l’être et/ou de la vie dans ses différences, sa diversité, sa multiplicité.Naissance de la « multitude »... (le concept est de Spinoza dans le Traité Politique. Il est développé par ToniNegri, dans Empire ; Multitude...). La multitude n’est pas « donnée ». Donnée empiriquement, elle est, nécessairement,à son plus bas degré de puissance et de liberté, historiquement assujettie à la domination.La multitude vivante est ainsi toujours à faire. D’abord dans et par ses propres résistances secrètes auxpouvoirs de la domination. C’est aussi la recherche d’un type de connaissance qui est une véritable forcetransformatrice ou du moins qui modifie, dans le sens de la puissance d’agir commune, les rapports des/auxdésirs de tous. C’est l’indication d’une voie qui doit permettre d’échapper à la stérilité des face-à-face, desconcurrences, à la pulsion destructrice de la négation de l’autre. Une voie non dialectique qui indique l’existenced’un inter-dire – celui effectivement du lien singulier qui fait multitude – qui ne dit «non» aux processusde destructions dans lesquels est entrée la communauté humaine sous la domination capitaliste, que pour dire« oui » à la liberté puissante du commun et du désir de chacun de ne pas être dirigé. Le « non » résistant de larupture voulant s’affirmer comme la proposition d’une rencontre-entre, qui aide à de nouvelles émergences.Une puissance (et une autorité qui n’est pas celle des pasteurs des peuples !) émerge en effet de cette positionde l’inter-dire, un inter-locuteur qui peut faire surgir une parole qui ne se mure pas dans le contre-dire mais quipeut toujours inter-venir, être l’intermédiaire des contre-dires dans un processus collectif/coopératif/inclusifde subjectivation. Un processus qui donc peut ouvrir et ré-ouvrir indéfiniment, dans et par la parole vivante,ces intervalles connecteurs des singularités qui font multitude. C’est la dynamique même du temps du désirsans objet, temps indépendant de la réussite et de l’efficacité (qui massifient et terrorisent), temps inventif de«l’entre-deux» d’un échange coopératif qui échappe aux logiques simplificatrices et mortifères de la guerrequi est imposée par les pouvoirs. Grandeur inclusive de la paix de la multitude... Une grandeur qui correspondassez bien à la formulation de Pascal : « On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien entouchant les deux à la fois et remplissant tout l’entre-deux » (Les Pensées, S. 560, B 353-681). C’est l’espacede constitution d’une multitude libre qui fait politiquement autorité (“Ce droit qui se définit par la puissancede la multitude, on a coutume de l’appeler souveraineté” écrit Spinoza en Traité Politique II, 17) et qui, aufond (et sur le fond), est déjà la réponse à la question : comment enrayer/retourner les processus de guerre,de dépression et de tristesse auto-destructrices dans lesquels nous entraîne la gouvernementalité néo-libéralede la séparation et de la peur ?14
Congrès à géométrie inverseCompte renduLe sens le plus profond de l’autorité de l’art qui-fait-multitude, c’est ainsi celui qui est donné par son étymologiemême : auctoritas, de auctor, «celui qui fait pousser», celui qui donne les moyens de la croissancecommune, dans et par la crise/la rupture du temps et de l’espace de la marchandisation du monde, de noscorps, de nos affects, de nos perceptions, de nos besoins, de nos désirs, de nos idées..., mais sans décider desfins ou de la norme de croissance, ce qui est la tâche propre de cela (celles et ceux-là) même qui « pousse(nt) ».Le but c’est, bien sûr toujours, la puissance d’être, l’augmentation d’être, la génération de l’être et du tempsde l’invention démocratique : la construction effective d’ « une vie humaine ». L’impératif radical politiqueauquel la multitude est tenue est donc celui de l’anthropogenèse. C’est aussi l’impératif de l’art qui est danscette aptitude, qui lui est propre, à vivre intensément la vie d’autrui. Puissance et générosité artistes en cequ’elles construisent, dans et par l’imagination matérielle des corps et des esprits, la coopération constituantede la vie de tous. L’acte éthico-politique de résistance est ainsi indissociable d’une puissance artiste, de l’alliancede chair, de connaissance et d’amour d’un monde qui, pour être, ne peut être que commun. Faiblesse de l’art/puissance générée de la chair du monde. L’art et la politique de la multitude, c’est la géométrie inverse d’uneopération de guerre.15