60<strong>Mondomix</strong>.comLivresKANAVALLa marche vaudoueTexte Benjamin MiNiMuMPhotographies Leah GordonUn magnifique album de photos agrémentées de textes finset passionnants présente l’un des carnavals <strong>le</strong>s plus fascinantsau <strong>monde</strong>, celui de Jacmel, petite vil<strong>le</strong> du sud-est haïtiendécimée en janvier dernier par <strong>le</strong> tremb<strong>le</strong>ment de terre.Dans une rue, quatre gaillards en chemise immaculée, portantdes masques dessinés représentant des policiers blancsbrandissent des pisto<strong>le</strong>ts de bois et pourchassent un pauvreHaïtien en haillons. Ail<strong>le</strong>urs, en string, <strong>le</strong> corps laqué d’unmélange de mélasse et de suie, plus noir que nègre, la têtesurmontée de cornes et cachée dans un sac de tissu grossièrementtroué, <strong>le</strong> Lanset kòd menace <strong>le</strong> passant de sa corde.Gare à lui, s’il vous attrape, il peut vous transformer en bœuf,l’animal <strong>le</strong> plus recherché lors des sacrifices rituels. Plus loin,Papa Sida, <strong>le</strong> visage blanc, trop blanc, est allongé sur unbrancard. Stéthoscope autour du cou, <strong>le</strong> docteur à ses côtéscrie inlassab<strong>le</strong>ment : « Ne touchez pas <strong>le</strong> Sida ! Ne secouezpas <strong>le</strong> Sida ! Faites attention avec <strong>le</strong> Sida, il doit al<strong>le</strong>r à l’hôpitalpour avoir <strong>le</strong>s médicaments, pour <strong>le</strong> faire vivre encore troisjours avant de mourir ». Eux, comme chaque année, finiront<strong>le</strong> défilé au cimetière.Le Lanset kòd menace <strong>le</strong> passant de sa corde« Loin des strass,<strong>le</strong> Kanaval de Jacmel réveil<strong>le</strong><strong>le</strong>s fantômes du passé,interpel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s esprits du vaudouet défie <strong>le</strong>s malaisesde la société contemporaine. »Chaloska (Char<strong>le</strong>s Oscar) commandant en chefde la police mort en 1912Au sud-est d’Haïti, loin des strass et des plumes lissées ducarnaval de Rio ou du concours de beauté et de panache decelui de Trinidad, <strong>le</strong> Kanaval de Jacmel réveil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s fantômesdu passé colonial, interpel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s esprits du vaudou et défie <strong>le</strong>smalaises de la société contemporaine. Moment de défou<strong>le</strong>mentet de joie, <strong>le</strong> défilé est aussi l’occasion de jouer avec <strong>le</strong>speurs et <strong>le</strong>s traumatismes d’un peup<strong>le</strong> qui, trop souvent, doitlaisser à la mort la place de roi.La passion de Leah GordonDepuis qu’el<strong>le</strong> a découvert Haïti en 1991, la photographe etvidéaste britannique Leah Gordon ne cesse de revenir, travail<strong>le</strong>rsur et pour l’î<strong>le</strong>. Fascinée par <strong>le</strong> surréalisme poétique ducarnaval de Jacmel, el<strong>le</strong> y a multiplié <strong>le</strong>s clichés. Pour ce livre,l’usage du noir et blanc appliqué à des portraits posés, despersonnages traditionnels, renforce l’aspect fantasmagoriquede cette parade théâtra<strong>le</strong> rythmée par <strong>le</strong>s frénétiques orchestresRa Ra. Pour accompagner ses photos, Leah Gordon amultiplié <strong>le</strong>s points de vue. El<strong>le</strong> a interrogé des participantsdu carnaval afin qu’il raconte <strong>le</strong>ur personnage, demandé destextes à des auteurs sensibilisés par <strong>le</strong> sujet et bien sûr écritune préface : « Il semb<strong>le</strong>rait qu’Haïti se trouve sur une ligne defail<strong>le</strong> de l’histoire. Le reste du <strong>monde</strong> ayant recouvert efficacementla moindre fente où l’histoire aurait pu accidentel<strong>le</strong>mentse glisser, bouillonner ou exploser avec un laquage de consumérismeet d’esclavagisme. »En écrivant ces lignes, el<strong>le</strong> n'imaginait pas que deux semainesplus tard, l'histoire d'Haïti allait bascu<strong>le</strong>r dans une fail<strong>le</strong> meurtrière.Dans un poscript rédigé avant parution, mais après <strong>le</strong>tremb<strong>le</strong>ment de terre, Leah Gordon explique qu'el<strong>le</strong> n'a rienvoulu changer à son texte tristement prophétique. Même si<strong>le</strong> séisme a décimé la vil<strong>le</strong> de Jacmel et si la mort si présentedans la culture du pays semb<strong>le</strong> avoir gagné un nouveau « parin°41 Juil<strong>le</strong>t/Août 2010
sé<strong>le</strong>ctions / Livres61sur Dieu et <strong>le</strong>s Hommes », sa foi en l'esprit créatif du peup<strong>le</strong>haïtien est inébranlab<strong>le</strong>. Et de conclure par l'expression deson sincère espoir : « S’il y a un côté positif (à la tragédie,NDR), c’est peut-être que <strong>le</strong>s gens vont enfin réaliser <strong>le</strong> potentielcréatif d’Haïti. Haïti a beaucoup à donner et nous devonsêtre reconnaissants de l’existence d’un tel endroit. Kanavaln’est pas mort. Vive <strong>le</strong> Kanaval ! »/ KANAVALVODOU, POLITIQUEET RÉVOLUTION DANS LESRUES D’HAÏTIPhotographies et Histoires Ora<strong>le</strong>spar Leah Gordon.Textes de Madison Smartt Bell, DonCosentino, Richard F<strong>le</strong>ming, KathySmith et Myron Beas<strong>le</strong>y.La sortie du livre « Kanaval » s’accompagnede la réédition de la compilation« Rara In Haiti » (Street Music of Haiti)qui sera suivie des remastérisationsdes compilations « Haitian Vodou », et« Voodoo Drums », <strong>le</strong> tout chez SoulJazz Records and Publishing./ RaviShankar,Jonathan Glusman(Voix du Monde/EditionsDemi Lune)Des concerts donnés devantla jeunesse envapéedes grands festivals hippiede la fin des années 60 auxcours de musique prodiguéssur scène ou dans son éco<strong>le</strong>de musique, Ravi Shankar atoujours eu à cœur de transmettreavec clarté <strong>le</strong>s principesde son art et de rapprocherl’Inde de l'Occident.De la même façon, Jonathan Glusman a <strong>le</strong> ta<strong>le</strong>nt de nous rendreaccessib<strong>le</strong> <strong>le</strong>s comp<strong>le</strong>xes concepts qui régissent la musiqueclassique d'Inde du Nord. Doctorant en musicologie asiatiqueet collaborateur régulier de <strong>Mondomix</strong>, l'auteur a aussiréussi à combiner esprit de synthèse et précision pour retracerl'une des carrières <strong>le</strong>s plus riches de notre époque. Cettecourte biographie enrichie de nombreux encadrés didactiquesse lit d'une traite. Et l'on découvre toute l'humanité et la fertilitécréatrice de celui qui aura bou<strong>le</strong>versé <strong>le</strong> destin artistique demusiciens parmi <strong>le</strong>s plus symboliques du XX ème sièc<strong>le</strong>, de JohnColtrane aux Beat<strong>le</strong>s en passant par Yehudi Menuhin ou PhilipGlass. A l'aube de son dernier glissando de sitar, il nous laissedeux héritières musiciennes, une dans chaque hémisphère :Norah Jones au Nord et Anoushka Shankar au Sud. De quoiperpétuer la légende.B.M.n°41 Juil<strong>le</strong>t/Août 2010