(suite de la page 13)Produire moins ?Donc si j'ai bi<strong>en</strong> compris, le seulmoy<strong>en</strong> pour ral<strong>en</strong>tir la machine économique,c'est de produire moins ?Essayons. Au lieu d'embaucher quelqu'unau RMI, cette fois, on va décl<strong>en</strong>cher unegrève dans une usine de gadgets "absolum<strong>en</strong>tnécessaires" selon la publ<strong>ici</strong>té. Lagrève rev<strong>en</strong>dique de produire des chosesutiles ce qui n'a évidemm<strong>en</strong>t aucunechance d'aboutir : ce qui est utile ne permetpas de gros profits, parlez-<strong>en</strong> aux paysans.Au bout de quelques mois, l'usineferme ses portes et on se retrouve avectout un paquet de lic<strong>en</strong>ciés. Nous nousmobilisons alors dans différ<strong>en</strong>tes coopérativeset associations produisant des bi<strong>en</strong>set services socialem<strong>en</strong>t et écologiquem<strong>en</strong>tutiles pour diminuer le temps de travailcomme précédemm<strong>en</strong>t et pour embauchersur les postes libérés ces personneslic<strong>en</strong>ciées. Nous ne produisons pas plus etl'autre usine a fermé. Il y a bi<strong>en</strong> diminutionde la somme d'arg<strong>en</strong>t qui circule etdonc décroissance. Apparemm<strong>en</strong>t, ce scénariomarche, il y a bi<strong>en</strong> diminution deproduction donc de richesses (si un gadgetpeut être appelé une richesse). Maisnous sommes passésd'une démarche individuelle(manger bio) à un processuslourdem<strong>en</strong>t collectif : peut-on imaginerdes économistes mettant <strong>en</strong> place des scénarioscomme celui-ci visant à produiremoins et redistribuer le travail ?Sachant que pour rev<strong>en</strong>ir à la normaleet respecter la planète, il nous faut, nouspays riches, diminuer de l'ordre de 70 à80% notre poids sur la planète, il va falloir<strong>en</strong> fermer des activités non indisp<strong>en</strong>sables :usines d'armem<strong>en</strong>ts, gadgets électroménagers,gadgets numériques, nucléaire, unebonne partie de l'industrie automobile,une bonne partie de la chimie…Peut-on <strong>en</strong>visager une révolutionintellectuelle du côté des syndicats pourqu'ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pour objectif de produiremoins… <strong>en</strong> redistribuant le travail ? Etcomm<strong>en</strong>t le redistribuer quand on saitqu'une personne sur vingt travaille pourla voiture ?Vous imaginez le travail politiquepour que les rev<strong>en</strong>dications port<strong>en</strong>t surune baisse du "niveau de vie" (baisse duporte-monnaie, mais pas forcém<strong>en</strong>t duniveau de bonheur : le sourire n'a pas deprix !). Vous imaginez la réorganisationsociale que cela demande ?A l'aide Serge Latouche ! Comm<strong>en</strong>tfaut-il procéder ?Sortir des piègesEn réponse à l'appel de Michel Bernard.Si le système peut poursuivre sur sa lancée,plus il y aura d'initiatives et de changem<strong>en</strong>tsde m<strong>en</strong>talités et plus les risques d'effet rebonddiminueront, selon le principe des cercles vertueux."La simpl<strong>ici</strong>té est lumineuse,insouciante, propre et aimante ;elle n'est pas un trip ascétique d'autopunition"Gary Snyder(1977, The Old Ways, City lights, San Francisco, p. 98).Michel Bernard pose de bonnesquestions. Elles montr<strong>en</strong>t d<strong>en</strong>ouveau quelques siècles aprèsBernard de Mandeville et sa célèbre fabledes abeilles que les vertus privées ne fontpas nécessairem<strong>en</strong>t la fortunepublique, <strong>en</strong> l'espèceune société de décroissanceconviviale... L'austérité,la frugalité, la simpl<strong>ici</strong>tévolontaire, comme initiativesindividuelles, risqu<strong>en</strong>tle plus souv<strong>en</strong>t d<strong>en</strong>e pas suffire pour sauverla planète. La logique dusystème est plus forte qu<strong>en</strong>otre volontarisme personnel.Une réflexion pluspoussée sur l'empreinteécologique permet, <strong>en</strong> effet, de saisir lecaractère systémique de la "surconsommation"et les limites de la simpl<strong>ici</strong>téC'est moinsnotre mode vielui-même quiest perversque la logiqueglobale quil'<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dreet lui permetd'exister.volontaire. En 1961, <strong>en</strong>core, l'empreinteécologique de la France correspondaittout juste à une planète contre troisaujourd'hui. Est-ce à dire que les foyersfrançais mangeai<strong>en</strong>t trois fois moins deviande, buvai<strong>en</strong>t trois fois moins d'eauet de vin, brûlai<strong>en</strong>t trois fois moinsd'électr<strong>ici</strong>té ou d'ess<strong>en</strong>ce ? Sûrem<strong>en</strong>t pas.Seulem<strong>en</strong>t, le petit yoghourt à la fraiseque nous mangions ne nécessitait pas<strong>en</strong>core de parcourir 8000 km ! Le costumeque nous portions nonplus et le beefsteak dévoraitmoins d'<strong>en</strong>grais chimiques,de pest<strong>ici</strong>des, de soja importéet de pétrole. C'est moinsnotre mode vie lui-même quiest pervers que la logiqueglobale qui l'<strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre et luipermet d'exister.Les élém<strong>en</strong>ts d'une économiecomplexe comme lanôtre sont très interdép<strong>en</strong>dants.Producteurs, consommateurs,arg<strong>en</strong>t, marchandises,nature interagiss<strong>en</strong>t.La nature ayant horreur du vide, ce qu<strong>en</strong>ous épargnons d'un côté crée un appeld'air pour plus de dép<strong>en</strong>ses. Acheter bio,Michel Bernard nDRSILENCE N°32214Avril 2005
Décroissancede l'effet rebondc'est bi<strong>en</strong>. On peut espérer qu'à la différ<strong>en</strong>cede l'exemple cité, le responsable dela Biocoop, soit comme celui de Prades,un militant convaincu de la décroissanceet qu'il profite de l'élargissem<strong>en</strong>t de sonmarché pour réduire ses marges, accroîtreles salaires des employés à temps partielet utiliser des vélos-triporteurs plutôtqu'un camion pour ses livraisons. Qu'<strong>en</strong>fin de compte, l'arg<strong>en</strong>t économisé dans ladép<strong>en</strong>se prédatrice de l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tstimule la production de "bi<strong>en</strong>s relationnels"et si possible hors marché.En tout état de cause on fera pluspour la décroissance <strong>en</strong> produisant soimêmesa bouffe-bio ou <strong>en</strong> recourant à unsystème de circuit court type AMAP (1).Dans la mesure du possible, il est mêmesouhaitable d'<strong>en</strong> rev<strong>en</strong>ir à l'autoproduction.En fabriquant son petit yogourt soimême,comme le préconise MaurizioPallante, on supprime les emballagesplastiques et cartons, les ag<strong>en</strong>ts conservateurs,le transport (donc économie depétrole, de CO 2 et de déchets) et on gagnedes bactéries précieuses pour la santé. Et,DRbi<strong>en</strong> sûr, on fait diminuer considérablem<strong>en</strong>tle PIB, les impôts (TVA, taxes surles carburants), ce qui a toutes sortes d'effetsrécessifs <strong>en</strong> cascades sur les institutions,comme sur la demande (moins deplastique, donc moins de pétrole, doncmoins de taxes, effets positifs sur la santé,donc moins de médicam<strong>en</strong>ts, de médecins,moins de transports routiers, doncmoins d'accid<strong>en</strong>ts, donc moins de médecine,etc.). La même analyse peut êtrefaite avec l'abandon de l'eau <strong>en</strong> bouteillesplastiques v<strong>en</strong>ues d'ailleurs et au retour àl'eau du robinet prov<strong>en</strong>ant d'une nappephréatique de proximité assainie. On a làune spirale vertueuse de décroissance (2).Il existe, bi<strong>en</strong> sûr, toute une séried'autres moy<strong>en</strong>s de limiter ou supprimerl'effet-rebond qui sont à leur tour des instrum<strong>en</strong>tset des objectifs, et qui, tous, ser<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t réciproquem<strong>en</strong>t. On peut songerà la réappropriation de la monnaie àtravers l'usage de monnaies locales, monnaiesfondantes ou monnaies non convertibles(comme les tickets-restaurants, lesbons vacances, etc.) (3).Que les m<strong>en</strong>talités"bascul<strong>en</strong>t"Echappe-t-on pour autant à tout effetrebond ? Non, car l'eau économisée, l'airnon pollué, le pétrole ou l'énergie nonconsommé, etc. sont théoriquem<strong>en</strong>t disponiblespour les "salopards" qui fonctionn<strong>en</strong>ttoujours dans l'imaginaire de lacroissance et qui veul<strong>en</strong>t produire toujoursplus pour <strong>en</strong>caisser plus de profitset nous pouss<strong>en</strong>t à consommer toujoursplus et mal. Tant qu'on ne mettra pas unfond au tonneau des Danaïdes du consumérisme,il sera impossible d'affirmer quele plein est fait...Toutefois, cette récession consommatriceest aussi une récession de la production.Dans la mesure où des cercles vertueuxont été <strong>en</strong>cl<strong>en</strong>chés, où une sphèrealternative est bi<strong>en</strong> vivante et se développe,la logique systémique du productivismetrouve pour se déployer un espacetoujours plus restreint. Sans avoir ététotalem<strong>en</strong>t bouchée la fuite est sérieusem<strong>en</strong>tcolmatée. On n'a pas bloqué la"machine" infernale, mais on a bridé sonmoteur. C'est autant de gagné pour la surviede la planète ! Le changem<strong>en</strong>t d'imaginairequi permettrait d'assurer letriomphe d'une société de décroissance,s'il ne se décide pas, résulte tout de mêmede multiples changem<strong>en</strong>ts de m<strong>en</strong>talitésqui sont <strong>en</strong> partie préparés par la propagandeet l'exemple. Il faut que les m<strong>en</strong>talités"bascul<strong>en</strong>t" pour que le systèmechange. La sortie du cercle, type œuf etpoule, implique d'<strong>en</strong>cl<strong>en</strong>cher une dynamiquevertueuse. Cela permet aussi d'imposerd'autres règles comme la réductiondrastique du temps de travail, l'internalisationdes effets externes, l'incitation àl'usage de techniques plus conviviales, lapénalisation des dép<strong>en</strong>ses nuisiblescomme la publ<strong>ici</strong>té, etc.On peut imaginer que la sphère de lasociété conviviale finisse par absorber etrésorber celle de l'économie productiviste.Des économistes obsessionnels voulantse recycler dans la décroissance,pourrai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong>ter de nous faire de beauxmodèles d'articulation de l'économiecapitaliste/productiviste <strong>en</strong> régression etde l'anti-économie conviviale <strong>en</strong> expansion.Jusqu'à quel niveau réduire la production? demande Michel Bernard. En réalité,si on a suivi ce qui précède, on voitque rev<strong>en</strong>ir à l'empreinte écologique de1960 n'implique pas tant de produiremoins de valeurs d'usage (eau, alim<strong>en</strong>tation,vêtem<strong>en</strong>ts, logem<strong>en</strong>ts) que de lesproduire autrem<strong>en</strong>t. Il s'agit de réduire lasurconsommation, bi<strong>en</strong> sûr, mais plus<strong>en</strong>core la prédation et le gaspillage. Plutôtque de fermer les usines automobiles etmettre les ouvriers au chômage, il vaudraitmieux songer à les reconvertir dansla fabrication de cogénérateurs domestiques(dont la technologie est proche)pour mettre <strong>en</strong> œuvre le scénarioNégawatt.Reste la grande question : comm<strong>en</strong>tfaut-il procéder ? De toutes les façons etpartout où c'est possible. Sans doute, nepeut-on comm<strong>en</strong>cer que de manièremodeste, et par exemple, à son niveau, auniveau local, mais il importe de ne pasperdre de vue l'objectif final ambitieux.En att<strong>en</strong>dant, si le choix de la décroissanceest assumé par ce qu'il est aussi souhaitablepour vivre mieux, c'est toujoursça de pris pour ceux qui s'y sont mis.Serge Latouche n(1) Association pour le mainti<strong>en</strong> d'une agriculturepaysanne.(2) Maurizio Pallante, "Il manifesto per la decrescitafelice", et "Care, losche e triste acque in bottighie diplastica".(3) Voir sur ce point le dernier chapitre de notre livre"Justice sans limites", Fayard, 2003.SILENCE N°32215Avril 2005