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“professeur de théâtre : longtemps,<br />
c’est resté pour moi<br />
la façon idéale de transmettre cet art.”<br />
“Dès le jour où j’ai décidé de faire ce métier,<br />
je n’ai souhaité qu’une seule chose : avoir une<br />
longue carrière. Ne pas me contenter d’un<br />
succès, de rafler la mise puis disparaître. Je<br />
n’aspirais qu’à devenir un solide acteur de<br />
composition.” Au bout de l’interminable<br />
couloir kubrickien d’un palace du centre<br />
de Londres, Billy Crudup vous attend.<br />
L’homme, la fin de quarantaine (très) alerte,<br />
affûtée, se présente dans un complet de<br />
tweed, et accorde une poignée de main<br />
franche et enthousiaste. Il s’est renseigné sur<br />
le magazine pour lequel on l’interviewe :<br />
“Je ne suis pas très intéressé par les vêtements,<br />
déclare-t-il tout de go. Je suis plutôt tee-shirt<br />
et jeans la plupart du temps ; le genre de type<br />
qui adore camper. Heureusement que je suis<br />
entouré de gens plus à la page que moi et qui<br />
font les bons choix à ma place.”<br />
La genèse d’un cLown<br />
“Gamin, j’étais le clown de la classe”, se<br />
souvient Billy Crudup lorsqu’on lui pose<br />
l’inévitable question sur l’origine de sa vocation.<br />
Pas d’épiphanie lors d’une séance de cinéma<br />
dominicale dans l’État de New York qui l’a vu<br />
grandir, non. “J’adorais improviser des sketchs,<br />
se remémore-t-il, me lancer dans des imitations<br />
pour faire rire mes copains. Mais je ne me<br />
voyais pas du tout en haut de l’affiche, à jouer<br />
les Indiana Jones.” À l’exercice du bilan sur les<br />
années passées, il répond avoir travaillé son art<br />
inlassablement, à le rendre flexible tel un muscle,<br />
“à chercher constamment à me surprendre moimême<br />
tout en prenant de plus en plus conscience<br />
de ce qui, parmi les rôles que je décrochais,<br />
m’allait le mieux”. Au départ pourtant, et il<br />
l’avoue sans peine, le théâtre n’était pour lui<br />
qu’une simple option à la fac, manière<br />
de rattraper une première année joyeusement<br />
flinguée par l’abus de fêtes : “J’aimais<br />
bien bûcher un texte ou un poème pendant<br />
des heures ou, au contraire, en sortir quelque<br />
chose d’impromptu, de totalement instinctif.<br />
Alors, j’ai pensé que le théâtre serait pour moi<br />
la façon la plus simple de rattraper des points.”<br />
Un jour pourtant, à la fin d’une représentation,<br />
un professeur lui glisse qu’il le verrait bien<br />
en faire son métier. C’est là exactement<br />
– il s’en rappelle avec dans le regard comme<br />
une étincelle de nostalgie – qu’a lieu le déclic.<br />
Celui qui, au mieux, s’imaginait devenir<br />
“professeur de théâtre; longtemps, c’est resté<br />
pour moi la façon idéale de transmettre cet art.”<br />
va finalement réussir à s’imposer solide<br />
second rôle à Hollywood en quelques années<br />
à peine.<br />
codétenu de brad pitt<br />
“Oh, mec, c’était dément !” Et il soupire,<br />
submergé par la brève vague de souvenirs.<br />
La gloire quasi instantanée, ce “du-jour-aulendemain”<br />
qui chante, les traitements<br />
de faveur, les cohortes de fans… Billy<br />
Crudup y a eu droit – un temps. Nous<br />
sommes en 1996. Jusque-là, l’excellente<br />
réputation de l’acteur, ovationné pour son<br />
interprétation dans la pièce Arcadia, de Tom<br />
Stoppard, jouée à Broadway, n’a cependant<br />
guère dépassé le cercle des critiques de la<br />
côte Est. Et voilà qu’il se retrouve catapulté<br />
dans un thriller assez remarqué à l’époque<br />
(quoique sans grand relief) aux côtés de<br />
Robert de Niro et d’un inconnu en passe<br />
d’atteindre les sommets du star-system, Brad<br />
Pitt. Sleepers, de Barry Levinson, raconte<br />
le destin d’une bande de gamins plutôt<br />
inoffensifs à jamais brisés par la brutalité du<br />
gardien de la maison de redressement où ils<br />
sont envoyés. Billy fait donc partie du voyage,<br />
lancé à vitesse grand V. “J’étais terrifié. Rien<br />
ne m’avait préparé à ça. À l’école, on vous<br />
apprend à placer votre voix, à vous déplacer,<br />
à travailler les textes. Pas à répondre à une<br />
interview !”, avoue-t-il. Immédiatement,<br />
sa vie s’en trouve chamboulée : “Mes amis,<br />
qui le soir me voyaient à la télé dans des talkshows,<br />
ont commencé à agir différemment<br />
avec moi. Quand votre entourage ne sait plus<br />
comment vous aborder, vous êtes baisé. Mais<br />
j’ai résisté...” La tête dure, peut-être conscient<br />
que la gloire facile a vite fait de vous rendre<br />
la monnaie de sa pièce, Crudup la joue<br />
chi va piano va sano. Aux coups d’éclat<br />
façon “Brat Pack” (le vivier Charlie Sheen,<br />
Tom Cruise, Rob Lowe et consorts) de la<br />
génération de talents précédente vite passée<br />
au tamis des grands studios, il opte pour des<br />
choix plus réfléchis, moins rentables aussi.<br />
On le voit ainsi tourner pour Woody Allen<br />
(Tout le monde dit I Love You), Robert<br />
Towne (Without Limits), Stephen Frears<br />
(The Hi-Lo Country) ou prêter sa voix au<br />
doublage US d’un des personnages<br />
du superbe Princesse Mononoké, d’Hayao<br />
Miyazaki. “Avec ma gueule, ma manière<br />
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