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Veilleurs aux frontières. Penseurs pour aujourd’hui (Bergson-Rosenzweig, Girard-Ricœur-Chalier, Derrida-Nancy, Castoriadis-Stanguennec)

En philosophie comme en d’autres domaines, la puissance de l’Absolu semble bien à présent nous être refusée. Sa relève s’est vue opposer non seulement la violence de la révolte, mais la pluralité invincible des perspectives finies et la reconnaissance raisonnable de l’irréductible multiplicité du patrimoine spirituel de l’humanité. Tout se passe comme si nous avions pris conscience que l’intrigue première n’était pas celle de la pensée et de ses catégories essentielles, mais celle de la liberté et de ses attitudes existentielles. Les questions ultimes ne disparaissent pas pour autant, mais elles échappent désormais aux prétentions magistrales d’une théorie unique. C’est seulement du dialogue, toujours à reprendre, des libertés en quête de raison que peut renaître, sans trop d’illusions, la visée d’un sens de l’existence qui ne peut que se diffracter en perspectives multiples. C’est dans cet esprit que Francis Guibal met en vis-à-vis Cornelius Castoriadis et André Stanguennec sur «hist

En philosophie comme en d’autres domaines, la puissance de l’Absolu semble bien à présent nous être refusée. Sa relève s’est vue opposer non seulement la violence de la révolte, mais la pluralité invincible des perspectives finies et la reconnaissance raisonnable de l’irréductible multiplicité du patrimoine spirituel de l’humanité. Tout se passe comme si nous avions pris conscience que l’intrigue première n’était pas celle de la pensée et de ses catégories essentielles, mais celle de la liberté et de ses attitudes existentielles. Les questions ultimes ne disparaissent pas pour autant, mais elles échappent désormais aux prétentions magistrales d’une théorie unique. C’est seulement du dialogue, toujours à reprendre, des libertés en quête de raison que peut renaître, sans trop d’illusions, la visée d’un sens de l’existence qui ne peut que se diffracter en perspectives multiples.
C’est dans cet esprit que Francis Guibal met en vis-à-vis Cornelius Castoriadis et André Stanguennec sur «hist

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Francis Guibal<br />

<strong>Veilleurs</strong><br />

<strong>aux</strong> <strong>frontières</strong><br />

<strong>Bergson</strong>-<strong>Rosenzweig</strong><br />

<strong>Girard</strong>-<strong>Ricœur</strong>-<strong>Chalier</strong><br />

<strong>Derrida</strong>-<strong>Nancy</strong><br />

<strong>Castoriadis</strong>-<strong>Stanguennec</strong><br />

donner raison<br />

philosophie


Francis GUIBAL<br />

<strong>Veilleurs</strong> <strong>aux</strong> <strong>frontières</strong><br />

<strong>Penseurs</strong> <strong>pour</strong> <strong>aujourd’hui</strong><br />

<strong>Bergson</strong>-<strong>Rosenzweig</strong><br />

<strong>Girard</strong>-<strong>Ricœur</strong>-<strong>Chalier</strong><br />

<strong>Derrida</strong>-<strong>Nancy</strong><br />

<strong>Castoriadis</strong>-<strong>Stanguennec</strong>


Donner raison – philosophie, 66<br />

Une collection dirigée par<br />

Paul Gilbert s.j.<br />

La liste des ouvrages du même auteur se trouve en fin de volume.<br />

Cet ouvrage a été : « Publié avec le concours de l’Université de Strasbourg et<br />

du Centre de recherches en philosophie allemande et contemporaine<br />

(CREPHAC, EA 2326). »<br />

© 2018 Éditions jésuites,<br />

7, rue Blondeau, 5000 Namur (Belgique)<br />

14, rue d’Assas, 75006 Paris (France)<br />

www.editionsjesuites.com<br />

ISBN : 978-2-87299-343-7<br />

D 2018/4255/15


Préface<br />

SENS EN ÉCLATS<br />

L’ombre de l’Absolu<br />

S’il paraît difficile de surestimer l’importance philosophique de Hegel,<br />

c’est sans doute d’abord parce que cet « Aristote des temps modernes »<br />

(Alain) a su prendre la mesure de toute l’histoire intellectuelle et spirituelle<br />

dont il se voulait l’héritier et la conscience de soi ; il y a là une œuvre<br />

monumentale « où viennent se jeter tous les courants de l’esprit occidental<br />

et où se manifestent tous ses nive<strong>aux</strong> 1 ». Son originalité singulière tient<br />

probablement au fait qu’elle a découvert l’historicité radicale de l’existence<br />

sans renoncer <strong>pour</strong> autant à la visée compréhensive d’une rationalité<br />

coextensive à la réalité. D’où une pensée tenant ensemble la lucidité<br />

réflexive et l’ambition encyclopédique, capable de sonder et de faire venir<br />

au jour toutes les richesses potentiellement raisonnables de son époque,<br />

la logique de l’idéalisme spéculatif s’y révélant en accord foncier avec le<br />

réalisme empirique le plus concret.<br />

Mais c’est justement cette puissance intégrative de l’Absolu qui semble<br />

bien à présent nous être refusée ; parce que sa relève unitaire s’est vu opposer<br />

non seulement la violence de la révolte, mais la pluralité invincible des<br />

perspectives finies et la reconnaissance raisonnable de l’irréductible multiplicité<br />

du patrimoine spirituel de l’humanité. Tout se passe comme si<br />

nous avions pris conscience que l’intrigue première n’était pas, <strong>pour</strong> la<br />

1. Emmanuel Levinas, De Dieu qui vient à l’idée, Vrin, Paris, 1982, p. 214. Éric<br />

Weil, de son côté, estimait qu’il y avait là un « nœud de l’histoire » qui faisait d’elle « la<br />

dernière des grandes philosophies » et « par conséquent aussi, la première philosophie<br />

contemporaine » (Essais et conférences 1, Paris, Plon, 1970, p. 127-128).


6 Préface<br />

raison elle-même, celle de la pensée et de ses catégories essentielles, mais<br />

celle de la liberté et de ses attitudes existentielles. Les questions ultimes ne<br />

disparaissent pas <strong>pour</strong> autant, mais elles échappent désormais <strong>aux</strong> prétentions<br />

magistrales d’une théorie unique. C’est seulement du dialogue<br />

toujours à reprendre des libertés en quête partagée de raison que peut<br />

renaître sans trop d’illusions la visée d’un sens (de l’existence) qui ne peut<br />

que se diffracter en sens multiples 2 .<br />

La pluralité constitutive de ces discours du sens se redouble d’ailleurs<br />

en ceci qu’il ne semble plus pouvoir être donné à aucun de prétendre s’établir<br />

dans la systématicité circulaire de la totalisation spéculative. La finitude,<br />

sans doute, continue bien à être mue par la recherche raisonnable<br />

de la cohérence, mais cette dernière comporte elle-même de multiples<br />

dimensions qui ne se laissent pas réduire simplement à l’unité de l’idée<br />

ou de l’esprit. Cela vaut notamment du rapport entre l’agir, le penser et le<br />

vivre 3 , mais, de manière plus générale, c’est tout ce qui se trouve magistralement<br />

recueilli et relevé dans le livre encyclopédique de l’Absolu (le<br />

logique et le réel, la nature et la culture, la subjectivité psychologique de<br />

la conscience et l’objectivité politico-historique de l’esprit ainsi que son<br />

sens ultime, esthétique, religieux et philosophique) qui ne cesse sans doute<br />

de « revenir », tout autrement, dans la pensée contemporaine : en éclats<br />

multiples de sens, sous le signe d’une exposition sans assurance et d’une<br />

déliaison interrogative qui accompagnent toutes les avancées et explorations<br />

du présent. Comme si la créativité symbolique du langage et de la<br />

liberté ne cessait d’excéder les prises conceptuelles du discours cohérent,<br />

comme si les figures et formes multiples de l’altérité venaient constamment<br />

relancer l’élan d’une raison jamais assez réveillée dans son désir et<br />

sa quête de vérité à hauteur d’humanité en dialogue.<br />

2. Selon Éric Weil, il y a là un paradoxe constitutif de la « catégorie de la philosophie<br />

» qu’est <strong>pour</strong> lui le Sens : « le sens de l’existence est d’avoir un sens » (Logique de<br />

la philosophie, Paris, Vrin, 1950, p. 419 et 424).<br />

3. C’est ainsi que la philosophie d’Éric Weil s’expose à travers la cohérence « trinitaire<br />

» de la dernière catégorie concrète qu’est l’Action et des deux catégories formelles<br />

du Sens et de la Sagesse.


Préface<br />

7<br />

HISTOIRE ET LIBERTÉS<br />

Tout se joue donc <strong>pour</strong> nous dans l’espace d’une finitude dont il s’agit<br />

de discerner et de promouvoir les possibilités raisonnables, en refusant<br />

notamment le règne menaçant d’une rationalité purement techno-scientifique<br />

dont la violence « monoculturelle 4 », destructrice des hommes et<br />

du monde, « fonctionne à plein régime » dans une époque qui semble<br />

n’avoir plus d’autre « fonction majeure 5 ». Face à l’impérialisme d’une<br />

économie « malade de sa finance », il importe d’en appeler à une reprise<br />

ou à un infléchissement politique qui est « la clé d’un ressaisissement 6 »<br />

signifiant. Mais cela ne saurait aller sans le réveil et la sagesse pratique<br />

d’acteurs-sujets s’efforçant de se faire co-citoyens en charge du monde et<br />

des partages signifiants qu’il appelle. La créativité de nos libertés doit<br />

apprendre à s’exercer non en se repliant sur la suffisance prétendue de<br />

sujets substantiels ou transcendant<strong>aux</strong> crispés sur leur conscience de soi,<br />

mais en s’engageant dans l’épreuve partagée d’une condition moderne<br />

dont la finitude même exige de nous que nous tentions d’y articuler au<br />

plus juste le réalisme historique de l’action et le jugement responsable de<br />

la pensée 7 .<br />

La recherche de Cornelius <strong>Castoriadis</strong> s’est ainsi centrée tout entière sur<br />

ce qui pousse les libertés dans l’histoire vers une autonomie responsable,<br />

tant individuelle que collective, qui trouve ses racines dans l’élan de l’ima-<br />

4. Pour Gérard Granel, la « monoculture » qui menace notre monde est une « vaste<br />

machine de destruction » obéissant à la « domination mondiale de la logique du Capital<br />

» (« ¿Monocultura ? ¿Incultura ? Perspectivas desde el tercer milenio », dans La<br />

mirada de los otros. Diálogos con la filosofía francesa contemporánea, M. Giusti editor,<br />

Fondo editorial de la PUC, Lima, 2015, p. 298 et 300).<br />

5. Maurice Bellet, Un trajet vers l’essentiel, Seuil, Paris, 2004, p. 30 ; cette « fonction<br />

majeure » ayant jadis été remplie par la Nature, Dieu ou la Raison (dans l’histoire).<br />

6. Marcel Gauchet, dans Que faire ? Paris, Philo-édition, 2014, p. 92 et 95. Le problème,<br />

comme l’indique bien Michel Rocard, est que, si « l’essentiel des réponses »<br />

<strong>aux</strong> défis de notre monde « est d’ordre politique », nous assistons trop souvent à une<br />

« mort lente du politique » (Suicide de l’Occident, suicide de l’humanité ?, Flammarion,<br />

Paris, 2015, p. 60-61).<br />

7. Éric Weil, entre autres, a toujours insisté sur ce lien entre ces deux dimensions<br />

également constitutives d’une philosophie digne de ce nom.


8 Préface<br />

ginaire créateur et son accomplissement dans l’effectivité pratiquement<br />

révolutionnaire d’une citoyenneté s’ouvrant démocratiquement <strong>aux</strong> partages<br />

de la raison (I, ch. 1). De la souveraineté anonyme du « Ça » ou de<br />

« Personne » à la liberté responsable du « Je » ou du « Nous », le passage est<br />

d’ailleurs toujours à reprendre, ce qui requiert une vigilance pratique perpétuellement<br />

<strong>aux</strong> aguets. Cependant que ces avancées militantes de l’existence<br />

en quête de raison font droit également <strong>aux</strong> progrès de la<br />

connaissance et débouchent sur une pensée attentive à la richesse plurielle,<br />

hétérogène et morcelée, d’un « il y a » magmatique et énigmatique. L’imprévisible<br />

originalité des libertés créatrices s’inscrit bien au cœur de l’inépuisable<br />

réalité, mais elle ne récuse pas moins la clôture d’une ontologie<br />

unitaire que la transcendance d’une métaphysique de type théologique.<br />

André <strong>Stanguennec</strong>, lui, s’inspire d’Éric Weil et de Paul <strong>Ricœur</strong> <strong>pour</strong><br />

revendiquer une sorte de kantisme post-hégélien où la réflexivité critique<br />

est fortement préférée à l’absoluité spéculative, mais sans que la liberté<br />

finie du soi spirituel s’érige <strong>pour</strong> autant en instance séparée, surplombant<br />

l’effectivité du monde, du langage et de la culture (I, ch. 2). S’expose donc<br />

le déploiement audacieux d’une systématique métaphysique, à partir précisément<br />

de ce soi reconnu comme dialectiquement coextensif au tout de<br />

la réalité. C’est que la réflexivité a ici une portée ontologique, elle explore<br />

et révèle l’universalité de l’être en son univocité sensée : l’aventure éthique<br />

et historique de l’esprit ne se développe que sur fond de précédence épique<br />

dans la nature, et ce « pan-séisme » de la réalité va jusqu’à se réfléchir à<br />

partir d’un Infini dont le soi porte l’idée et qu’il lui revient de penser en<br />

son analogie paradoxale. Retour, donc, d’une « onto-théo-logie » dont on<br />

peut estimer qu’elle constitue en fin de compte une « reprise » finie de<br />

l’Absolu sous la Conscience et que certain constructivisme théorique y<br />

efface sans doute trop facilement le « pollachôs » irréductible de la dispersion<br />

ontologique ainsi que l’originalité d’une créativité historico-spirituelle<br />

toujours à l’épreuve des figures multiples de l’altérité.<br />

Chacune selon son style, ces deux orientations de pensée partent justement<br />

de notre monde et de l’exigence difficile d’apprendre à le soustraire<br />

à l’insignifiance qui le guette en le remettant dans une dynamique à la fois<br />

pratique et théorique de libération, de création et de réflexion raisonnables.<br />

Ce faisant, cependant, ces pensées « fortes » courent le risque de<br />

faire retour à certaines assurances trop massives, que ce soit à partir d’un<br />

projet pratique d’autonomie trop peu affectée de vulnérabilité, ne retenant<br />

des figures et des résistances de l’altérité que ce qui est susceptible de la<br />

mettre à l’épreuve et de la conforter, ou en revenant à la visée d’un sens<br />

onto(théo)logique susceptible d’être déchiffré et déployé en son unitotalité


Préface<br />

9<br />

systématique. La probité critique peut sans doute gagner à s’ancrer davantage<br />

dans une expérience de libertés mieux ouvertes à l’irréductibilité de<br />

ce qui les excède.<br />

EXPÉRIENCE ET TRANSCENDANCE<br />

Henri <strong>Bergson</strong> et Franz <strong>Rosenzweig</strong> revendiquent également <strong>pour</strong> leurs<br />

pensées le qualificatif d’« empirisme vrai », d’« expérience intégrale » ou<br />

d’« empirisme absolu 8 ». Il ne s’agit là ni d’un empirisme vulgaire, crispé<br />

sur la simple positivité de faits ponctuels, ni d’une « science de l’expérience<br />

de la conscience 9 » s’ordonnant à la vérité historique et spéculative<br />

de son accomplissement spirituel, mais d’une attitude originale de l’existence<br />

qui décentre la pensée en tournant son attention vers la nouveauté<br />

et le déploiement d’une extériorité qui lui survient et la bouleverse. L’expérience<br />

ainsi entendue laisse résonner jusque dans l’enceinte philosophique<br />

des paroles irréductibles à la maîtrise des discours, elle relève d’une<br />

traversée périlleuse engageant le(s) sujet(s) dans un voyage aventureux où<br />

la liberté raisonnable n’est pas maîtresse du jeu, où il lui faut apprendre à<br />

fluidifier ses concepts <strong>pour</strong> les ajuster à une réalité toujours en excès par<br />

rapport à ce qu’il lui est donné d’en percevoir et d’en accueillir. La philosophie,<br />

dans cette perspective, est seulement une idée régulatrice vers<br />

laquelle il n’est de cheminements qu’individuels, dont chaque penseur ne<br />

peut s’approcher qu’à la mesure de ses avancées singulières et d’une vulnérabilité<br />

déprise de soi, ouverte à l’écoute de ce qui peut l’affecter, l’altérer<br />

et la renouveler.<br />

La pensée bergsonienne (II, ch. 3) prend ainsi appui sur une expérience<br />

qui est toujours bi-face, où ne cessent de se conjuguer le dehors et le<br />

dedans, l’extériorité de l’être-au-monde (perception) et l’intériorité de<br />

l’être-à-soi (mémoire). Ce qui donne sens à cette articulation est le dynamisme,<br />

diversement tendu, d’une durée en jaillissement continu de nou-<br />

8. H. <strong>Bergson</strong>, « L’introduction à la métaphysique » (La pensée et le mouvant,<br />

PUF, Paris, 1975, p. 196 et 227) et F. <strong>Rosenzweig</strong>, « La pensée nouvelle » (dans Foi et<br />

savoir, Vrin, Paris, 2001, p. 162).<br />

9. Selon le titre original qui se trouve encore indiqué après la Préface de la Phénoménologie<br />

de l’esprit ; la formule revient vers la fin de l’introduction (trad. Hyppolite,<br />

Aubier-Montaigne, Paris, 1939, t. 1, p. 77).


10 Préface<br />

veauté, mais où la pesanteur matérielle et l’élan spirituel s’affrontent<br />

constamment à travers des variations vitales et psychologiques. Tout culmine<br />

dans l’auto-création, constamment relancée par les résistances<br />

mêmes qu’elle rencontre, des inspirateurs héroïques de la moralité et des<br />

aventuriers mystiques de la religion, dont l’appel ne dessine <strong>pour</strong>tant, à<br />

terme, que la figure idéale d’une expérience « telle qu’on l’attendait 10 ».<br />

On ne peut que saluer la prudence et la probité qui tentent de retracer<br />

l’élan, les avancées et l’intégralité différenciée de cette expérience spirituelle,<br />

mais il est difficile de ne pas se demander si nous ne restons pas là<br />

à l’intérieur d’une dynamique d’auto-transcendance, où la conscience de<br />

la vie ne cesse de réduire à sa propre mesure (intuitive) ce dont elle<br />

éprouve <strong>pour</strong>tant l’immaîtrisable excès.<br />

Pour <strong>Rosenzweig</strong> (II, ch. 4), l’expérience se cherche moins du côté de<br />

la durée et de la vie intérieure de la conscience que du côté de la parole<br />

qui interpelle cette dernière et l’arrache à la solitude tragique de son<br />

monde sourd et muet. Cette survenue de la parole est le « miracle » caractéristique<br />

d’une Révélation qui « éveille à sa vraie vie 11 » l’âme des humains<br />

en faisant d’eux des sujets capables d’écoute et de réponse. Le présent de<br />

l’accueil et de l’adresse ne cesse de renouveler et comme de recréer intégralement<br />

l’existence, il reflue vers le passé du « grand poème du<br />

monde 12 » créé dont il éclaire les sombres profondeurs, cependant qu’il<br />

se projette également vers l’horizon à la fois en venue et toujours à venir<br />

d’un royaume où l’homme et le monde se laissent libérer d’eux-mêmes<br />

par un Tiers qui n’entre pas dans leur co-relation. Il s’agit donc ici essentiellement<br />

d’une hétéro-transcendance dont la conscience n’est pas la<br />

mesure mais le destinataire et qui donne d’ailleurs lieu <strong>aux</strong> deux aventures<br />

spirituelles à la fois distinctes et complémentaires de la vigilance en retrait<br />

(de l’élection et du feu judaïques) et de l’envoi en mission (de l’incarnation<br />

et du rayonnement chrétiens).<br />

La force de ce type de pensées tient à ce qu’elles renvoient les prétentions<br />

du savoir à la source vive du sens : l’effectivité et la relativité d’une<br />

expérience en devenir, qui met à mal la fixité auto-centrée de la conscience<br />

en l’ouvrant <strong>aux</strong> profondeurs qui l’habitent et où elle se découvre sujette<br />

<strong>aux</strong> provocations et <strong>aux</strong> visitations du dehors, de l’altérité et de la transcendance.<br />

Dans les deux cas, cette expérience décentrée parvient à son<br />

10. H. <strong>Bergson</strong>, Les deux sources de la morale et de la religion, PUF/Quadrige,<br />

Paris, 1982, p. 263.<br />

11. F. <strong>Rosenzweig</strong>, L’Étoile de la Rédemption, Seuil, Paris, 1982, p. 135.<br />

12. Id., « La pensée nouvelle », dans Foi et savoir, p. 158.


Préface<br />

11<br />

intensité la plus haute en se confrontant à la radicalité éthique et mystique<br />

d’une inspiration religieuse dont il s’agit d’accueillir la provocation tout<br />

en procédant à son examen interrogatif 13 . Quelle que soit, cependant, la<br />

probité intellectuelle et spirituelle dont ces deux pensées témoignent dans<br />

leur effort de « vérification » de ce qu’elles avancent, elles risquent symptomatiquement<br />

de se laisser prendre au piège de deux formes inverses de<br />

« maîtrise » : que ce soit en insistant sur l’immédiateté d’une auto-transcendance<br />

récusant finalement toute autorité extérieure à ce qu’elle en<br />

éprouve 14 ou en s’abandonnant trop exclusivement à la seule altérité d’une<br />

parole souveraine de révélation 15 . Entre une expérience ne s’ouvrant qu’à<br />

une transcendance toujours déjà mesurée par la « mêmeté » intuitive du<br />

jugement philosophique et une expérience se recevant sans distance<br />

(auto)critique d’une hétéro-transcendance absolue, ne conviendrait-il pas<br />

de chercher à établir une relation plus mouvante d’interaction et d’altération<br />

réciproque où la différence ne cesse de se creuser, de l’intérieur<br />

même de l’expérience, entre l’unicité de l’appelé et l’altérité de l’appelant<br />

16 ?<br />

13. Une pensée formée à la liberté de la conscience (de soi) moderne ne peut manquer<br />

en effet de se demander si celle-ci est compatible avec un assentiment à l’extériorité<br />

d’une parole de révélation. Le P. Dominique Dubarle, dans un cours des années<br />

1970 sur « La vérification du discours de foi et l’expérience théologale », formule ainsi<br />

cette interrogation : « L’expérience mystique est-elle vraiment, <strong>pour</strong> une intelligence<br />

d’à présent, une expérience de la réalité de ce Dieu qu’elle se figure, expérience théologale,<br />

au sens propre et fort de cet adjectif ? » (Je prends cette citation à un article<br />

d’Olivier Riaudel, « Théologie et expérience théologale », à la p. 160 du recueil qu’il<br />

a dirigé sur la pensée de Dubarle et publié sous le titre Logique, raison, foi et liberté,<br />

Cerf, Paris, 2017).<br />

14. <strong>Bergson</strong>, on le sait, limitait la compétence philosophique à l’expérience et au<br />

raisonnement, ce qui lui interdisait de faire porter sa réflexion sur « la révélation qui<br />

a une date, les institutions qui l’ont transmise, la foi qui l’accepte » (Les deux sources<br />

de la morale et de la religion 3, p. 265-266), l’immédiateté de l’expérience intuitive ne<br />

laissant guère de place <strong>aux</strong> risques de l’interprétation.<br />

15. <strong>Rosenzweig</strong>, lui, condamnait la rationalité philosophique à la surdité « élémentaire<br />

» de rêves monologiques et se risquait à une sorte de « théosophie » ne trouvant<br />

appui que sur les deux sols « de la philosophie achevée (Schelling) et de la Révélation<br />

(la mystique) » ; il ajoutait, il est vrai, qu’il en demeurait lui-même « étonné » et qu’il<br />

résistait « à cette pensée » (« Le noyau originaire de L’Étoile de la Rédemption », dans<br />

Foi et savoir, p. 142).<br />

16. C’est surtout la pensée d’Emmanuel Levinas qui a tenté de procéder à cette<br />

mise en relation en insistant sur la mutualité irréductiblement dissymétrique du même<br />

et de l’autre ou de « l’autre-dans-le-même » : l’expérience, alors, se faisant « épreuve »<br />

sans fin relancée d’une responsabilité jamais à la hauteur de l’appel qui la suscite.


12 Préface<br />

DÉCONSTRUCTION ET CRÉATION<br />

Ni Jacques <strong>Derrida</strong> ni Jean-Luc <strong>Nancy</strong> ne récusent le terme d’expérience<br />

qu’ils prennent au sens de « voyage, épreuve, à la fois médiatisée et singulière<br />

17 » ou de style de l’existence qui « s’essaie elle-même, en deçà et audelà<br />

d’elle-même, trace et franchit la limite de son être-jeté-au-monde, tente<br />

toute sa chance d’exister 18 ». Dans le sillage de Heidegger, toutefois, ils laissent<br />

ce geste s’engager dans une entreprise de « déconstruction » qui le précède<br />

et le prolonge, qui met à mal et fait vaciller toutes les idoles identifiables<br />

et toutes les souverainetés assurées. Cela vaut sans doute en tout premier<br />

lieu <strong>pour</strong> les constructions systématiques de la métaphysique classique, mais<br />

cela n’épargne ni leurs équivalents religieux traditionnels ni leurs substituts<br />

modernes sécularisés. Et cela débouche finalement sur un défi majeur : se<br />

soustraire au risque d’une complaisance plus ou moins nihiliste dans la<br />

négation, se laisser rappeler donc, à la suite de Nietzsche, que la critique,<br />

interne à l’expérience, n’a de sens que portée et débordée par une volonté<br />

de création affirmative 19 .<br />

Chez <strong>Derrida</strong> (III, ch. 5), les rêves illusoires de présence absolue ne sont<br />

jamais dénoncés et déconstruits que <strong>pour</strong> mieux renvoyer à ce qui ne cesse<br />

de leur échapper : de l’altérité en mode multiple, toujours « hétérogène à<br />

l’origine 20 ». Ne se donnent vraiment à éprouver et à accueillir que des formes<br />

et figures rebelles à toute capture, dont les venues en passages toujours imprévisibles<br />

et inanticipables ont <strong>pour</strong> effet salutaire d’aiguiser en nous le sens<br />

d’une justice indéconstructible parce que sans fin relancée. Car ce « plus<br />

d’un » de l’altérité vient frapper au cœur de chacun (de chaque « un ») et suscite<br />

ainsi l’élection hétéronomique d’une responsabilité précédant et suscitant<br />

l’engagement de la liberté. Ce qui ne conduit nullement à un rejet, plutôt<br />

17. J. <strong>Derrida</strong>, Points de suspension, Paris, Galilée, 1992, p. 373.<br />

18. J.-L. <strong>Nancy</strong>, L’expérience de la liberté, Paris, Galilée, 1988, p. 114.<br />

19. Georges Morel a souvent souligné que c’était « <strong>pour</strong> Nietzsche une thèse centrale<br />

qu’il n’y a pas de critique préalable et que seule la création peut détruire »<br />

(Nietzsche, Introduction à une première lecture, Aubier, Paris, 1985, p. 201). Le Gai<br />

Savoir l’énonce avec une force exempte de toute ambiguïté : « seuls les créateurs peuvent<br />

anéantir » (§ 58).<br />

20. J. <strong>Derrida</strong>, De l’esprit, Paris, Galilée, 1987, p. 184 ; de manière analogue, L’Écriture<br />

et la différence (Paris, Seuil, 1967) soutenait déjà que « c’est la non-origine qui est<br />

originaire » (p. 303).


Préface<br />

13<br />

à la provocation et au réveil d’une raison jamais assez vigilante dans sa<br />

manière d’accueillir ce qui la précède. Une inquiétude « messianique » —<br />

récusant tout messianisme assuré — témoigne ainsi d’un amour sans retour<br />

de l’éphémère de la vie et d’un « oui » indéfiniment répété <strong>aux</strong> figures multiples<br />

et toujours nouvelles de son altérité imprenable.<br />

<strong>Nancy</strong> (III, ch. 6), de son côté, met l’accent sur la double déclosion qui<br />

affecte tout ensemble la raison philosophique et la foi religieuse en les arrachant<br />

respectivement à la domination du principe et au règne de la communion.<br />

Tout se joue dès lors sous le signe d’une finitude sans recours ou<br />

d’une existence singulièrement plurielle, toujours-déjà abandonnée, espacée<br />

et partagée. À égale distance d’une dispersion insignifiante et d’une relève<br />

souveraine, le régime ontologique est ici celui « de l’exposition au monde<br />

et de l’être-avec qui s’y tisse en humanité 21 ». L’effacement de Dieu et des<br />

médiations religieuses n’y emporte pas l’enthousiasme d’une pensée habitant<br />

et parcourant les lieux « divins » du monde, vouée à la tenue et à l’inclinaison<br />

éthiques de l’adresse ou d’une parole de souffle qui garde en elle<br />

le sens du salut (sans salvation) et de l’adoration (sans idolâtrie) ; libérée du<br />

surplomb de toute majusculation identitaire, l’altérité redoublerait d’intensité<br />

en nous et entre nous, entre les uns et les autres que nous sommes tous<br />

également et distinctement voués à l’aventure communément partagée<br />

d’une existence livrée à elle-même.<br />

Une provenance distincte, juive dans un cas, chrétienne dans l’autre, se<br />

laisse évidemment discerner dans ces pratiques pensantes de la déconstruction.<br />

Distance est prise, sans nul doute, à l’égard de « tous les processus de<br />

révélation historique ou d’expérience théo-anthropo-logique 22 », comme à<br />

l’égard de l’emprise imposante et asservissante de l’Autre comme Un figé<br />

dans sa présence et sa souveraineté « religieuses ». Cela n’empêche nullement<br />

que justice cherche à être rendue tant à l’inspiration messianique du<br />

judaïsme qu’à l’aventure spirituelle et mystique du christianisme. <strong>Derrida</strong><br />

n’hésite pas, à cet égard, à confesser un « malaise de la responsabilité » quant<br />

à la préséance de la « révélation » (Offenbarung) historique de la parole religieuse<br />

ou de la « révélabilité » (Offenbarkeit) transcendantale de la réflexion<br />

pensante… Et les convictions agnostiques ou « athées » de <strong>Nancy</strong> vont de<br />

pair avec une radicalité décapante qui met à nu la fragilité inhérente à la<br />

créature vulnérable et résiste à la tentation de décréter superbement l’épuisement<br />

ou la fin des traditions qui ont porté, fût-ce de manière ambiguë, la<br />

21. Pierre Gisel, dans Penser en commun ? Un « rapport sans rapport », Beauchesne,<br />

Paris, 2015, p. 132.<br />

22. J. <strong>Derrida</strong>, dans La Religion, Paris, Seuil, 1996, p. 31.


14 Préface<br />

« déclosion » dont nous sommes contemporains. Il se <strong>pour</strong>rait donc que la<br />

« déconstruction, en mettant à mal les souverainetés idolâtriques de nos traditions<br />

tant religieuses que philosophiques, nous incite à un dialogue renouvelé<br />

entre l’inspiration du croire et l’articulation du penser, les deux se<br />

provoquant et s’ordonnant réciproquement au(x) partage(s) toujours singulier(s)<br />

de l’existence ».<br />

LE RELIGIEUX EN HÉRITAGE(S)<br />

Il est possible, en tout cas, de reprendre un peu autrement l’inspiration<br />

critique et créatrice de la déconstruction ; en partant davantage de l’intérieur<br />

d’une inscription historique et culturelle particulière, mais toujours vivante<br />

et susceptible de donner lieu à des convictions raisonnablement exposées à<br />

une « vérification » ou à une « homologation » jamais achevée ni assurée.<br />

Il ne s’agit pas alors de répéter simplement une transmission séculaire, mais<br />

de mettre à l’épreuve de la finitude et de l’histoire des écritures d’expérience(s)<br />

en les confrontant <strong>aux</strong> défis modernes de la sécularisation, soit de<br />

la rationalité scientifique, de l’émancipation politique et de la réflexion philosophique.<br />

Est-il possible, autrement dit, de continuer à écouter et à laisser<br />

résonner dans notre actualité des textes du passé en exerçant à leur égard<br />

une probité intellectuelle et spirituelle qui recueille de manière responsable<br />

les incitations et provocations dont ils témoignent ? En refusant donc résolument<br />

d’en faire des instances de souveraineté magistrale, mais en leur<br />

permettant « d’occuper parmi d’autres la place 23 » raisonnablement assignable<br />

à l’inspiration et à la signifiance religieuses.<br />

C’est à partir de la violence inhérente à un désir mimétique qui met la<br />

rivalité et la jalousie au cœur des relations humaines que René <strong>Girard</strong><br />

interroge le phénomène religieux (IV, ch. 7). Il y décèle la place centrale<br />

d’un sacrifice victimaire originel fonctionnant comme opérateur culturel<br />

de réconciliation sociale. Mais il découvre également que la conjuration<br />

éminemment ambiguë de cette contre-violence religieuse fait l’objet, dans<br />

la tradition biblique, juive et surtout chrétienne, d’une démystification et<br />

d’une purification radicales. Il faut alors se demander si cette orientation<br />

spirituelle foncièrement éthique, qui travaille justement notre histoire<br />

23. P. Gisel, dans Penser en commun ?, p. 137.


Préface<br />

15<br />

occidentale, ne risque pas malgré tout de sous-estimer les « puissances »<br />

dont elle prétend nous libérer et de conduire en fin de compte au déchaînement<br />

d’un affrontement apocalyptique sans précédent… On ne peut<br />

qu’apprécier l’audace d’une pensée qui se risque à prendre l’originalité<br />

de la révélation biblique et évangélique <strong>pour</strong> fil conducteur d’une herméneutique<br />

fondamentale de la culture et de son sens. Mais il est possible<br />

d’estimer qu’il y a là une générosité qui cède parfois à certain triomphalisme<br />

en prétendant trop vite mettre la foi (chrétienne) en position d’arbitre<br />

« scientifique 24 » dans le conflit des interprétations.<br />

Beaucoup plus prudente et patiente est la manière de Paul <strong>Ricœur</strong> (IV,<br />

ch. 8). S’il s’avoue marqué fondamentalement par une « double allégeance<br />

», religieuse et philosophique, il met résolument l’accent sur une<br />

distinction qui interdit tout amalgame entre ces deux modes de pensée :<br />

impossible de confondre les problèmes <strong>aux</strong>quels s’affronte le travail de la<br />

raison et les appels qui suscitent l’écoute de la foi. La réflexion raisonnable<br />

du philosophe relèvera donc d’une ascèse anthropologique dont la probité<br />

éthique et critique récuse toute intrusion de l’absolu ; cependant que les<br />

convictions religieuses du croyant se garderont de leur côté de toute prétention<br />

spéculative ou dogmatique. Si rencontre il peut et il doit y avoir,<br />

elle n’aura lieu qu’à l’intersection de trajectoires distinctes et dans le respect<br />

des régimes spécifiques de discours ; la raison <strong>pour</strong>ra bien s’y ouvrir<br />

à ce qu’elle ne maîtrise pas et la foi s’y exposer à des efforts toujours à<br />

reprendre de traduction intelligible, cela ne conduira jamais à supprimer<br />

la distance entre la relation d’altérité du religieux et la responsabilité autonome<br />

du philosophique, entre des sources reçues de la contingence historique<br />

<strong>pour</strong> l’un et des arguments posés et développés par la maîtrise<br />

rationnelle <strong>pour</strong> l’autre. La rigueur critique va ainsi de pair ici avec le style<br />

et la réserve d’une « tenue » qui ne consent que difficilement à se plier à<br />

l’inclinaison et au lâcher prise d’un « me voici » ou d’une expérience existentielle<br />

d’unicité singulièrement décentrée dont la responsabilité même<br />

se reçoit d’une élection qui la précède, la provoque et la relance sans fin.<br />

Ce n’est pas de l’intérieur d’une confession chrétienne, qu’elle soit catholique<br />

ou protestante, mais à partir d’un ancrage judaïque que Catherine<br />

<strong>Chalier</strong> tente librement de suivre Emmanuel Levinas dans un cheminement<br />

de pensée soucieux de tenir ensemble et d’articuler au plus juste la rigueur<br />

24. Convaincu que la révélation est la « clef » (Les origines de la culture, Pluriel/<br />

Fayard, Paris, 2011, p. 277) de toutes les contradictions de l’existence, <strong>Girard</strong> en vient<br />

parfois à soutenir que « la supériorité biblique et évangélique est démontrable scientifiquement<br />

» (ibid., p. 121).


16 Préface<br />

philosophique et l’inspiration biblique (IV, ch. 9). Il s’agit d’abord de ranimer<br />

la vigilance critique d’une raison toujours menacée de sommeil<br />

dogmatique. Le langage et la liberté, les visages toujours singuliers, les résistances<br />

de la violence et les partages du sens, autant de figures diverses d’une<br />

altérité dont il importe de prendre la mesure sans prétendre la réduire trop<br />

facilement ; ne serait-ce pas d’ailleurs le meilleur et le plus vif de la raison<br />

effective que de se découvrir justement ordonnée à ce qui la provoque tout<br />

en l’inquiétant et en l’altérant ? Les Écritures bibliques, de leur côté, ne révèlent<br />

leur densité symbolique spécifique qu’à un travail herméneutique<br />

opposé à la violence fondamentaliste mais débordant également l’étroitesse<br />

des analyses historico-critiques. Leurs lettres mêmes appellent une exégèse<br />

spirituelle dont le souffle ravive le feu qui couve sous leurs braises. La « révélation<br />

» ainsi entendue n’a rien de magique, elle se mesure <strong>aux</strong> avancées<br />

qu’elle suscite, elle en appelle pratiquement « à l’unique en moi », soit à la<br />

responsabilité d’une élection unique à vocation universelle, qui « n’oublie<br />

pas le poids du monde, l’inertie des hommes, la surdité de l’entendement<br />

25 ». Tant et si bien qu’entre leur « premier sens », avec sa richesse<br />

potentiellement inépuisable, et le « dernier mot » toujours à inventer de leur<br />

traduction responsable, s’éprouve une sorte de transcendance réciproque<br />

qui interdit toute installation au(x) sujet(s) en qui ils se rencontrent.<br />

Marquées par des provenances distinctes et témoignant également de<br />

styles très différents, ces trois pensées ont en commun de conjuguer une<br />

libre fidélité singulière à des sources religieuses traditionnelles avec la mise<br />

en œuvre d’un souci critique d’actualisation et d’universalisation raisonnables.<br />

Il importe sans doute de continuer à maintenir un espace d’écoute<br />

<strong>pour</strong> une Parole qui s’est transmise à travers des écritures d’expérience,<br />

mais en refusant les facilités aliénantes d’une soumission passive à des autorités<br />

magiques. La liberté, <strong>pour</strong> autant, ne s’érige pas en instance d’autonomie<br />

souveraine, elle se laisse atteindre par ce qui la décentre et qu’elle<br />

ne maîtrise pas. À la fois vulnérable, éducable et responsable, la subjectivité<br />

s’éprouve appelée à un discernement critique où ne cessent de se conjuguer<br />

l’ouverture <strong>aux</strong> provocations immaîtrisables de l’altérité et les ressources<br />

d’une intériorité susceptible de réponse aussi juste que possible. C’est la<br />

force même des convictions personnelles, issues ici de la mouvance<br />

judaïque et de sa greffe chrétienne, qui invite à faire confiance <strong>aux</strong> ressources<br />

d’intelligibilité d’une raison qui n’est peut-être jamais davantage<br />

fidèle à elle-même que lorsqu’elle se donne les moyens d’écouter et de<br />

25. E. Levinas, L’au-delà du verset, Minuit, Paris, 1982, p. 163 et 166.


Préface<br />

17<br />

« comprendre ce qui en nous et dans les autres excède la raison 26 ». Aussi<br />

vénérables soient-ils, les textes bibliques eux-mêmes, avec toute leur force<br />

« révélante » plus que « révélée 27 », n’ont donc pas à être soustraits à cet<br />

examen compréhensif qui invite notamment à « accepter le voilement qui<br />

résulte de l’entrée dans l’histoire, donc à accepter également la critique historique<br />

28 ». Il peut sans doute en résulter une purification douloureuse<br />

<strong>pour</strong> un imaginaire religieux inévitablement lié à des contextes culturels<br />

particuliers, mais cette transmission d’expérience(s) peut également s’avérer<br />

porteuse de ressources symboliques et signifiantes encore à explorer.<br />

En acceptant de se confronter tout ensemble au passé dont elle provient et<br />

au présent du monde qui l’entoure, l’attitude croyante se défait de fausses<br />

sécurités, s’expose inévitablement à certaine « mort de Dieu 29 », mais se<br />

révèle aussi capable de se soumettre au feu d’une critique raisonnable qui<br />

<strong>pour</strong>rait bien creuser en elle la radicalité d’une maturité et d’une responsabilité<br />

jamais assez réveillées. Ne faut-il pas, en effet, que, d’une manière<br />

ou d’une autre, « l’enfant incroyant du monde et l’enfant croyant de Dieu »<br />

se reconnaissent comme participants d’une humanité commune <strong>pour</strong> que,<br />

de leur rencontre et de leur dialogue (entre eux mais aussi à l’intérieur de<br />

chacun), puisse jaillir éventuellement une sorte de supplique qui les porte,<br />

au-delà d’eux-mêmes, vers la transcendance imprenable d’une vérité qui,<br />

26. Maurice Merleau-Ponty, « De Mauss à Lévi-Strauss », dans Signes, Gallimard,<br />

Paris, 1960, p. 154.<br />

27. Marc Faessler estime justement en ce sens que les textes bibliques et évangéliques<br />

« mettent en chemin notre intelligence, appellent notre interprétation, sont<br />

advenue de parole <strong>pour</strong> nous » (Ce que je crois… encore, Musée international de<br />

Genève, Genève, 2011, p. 28).<br />

28. Dietrich Bonhoeffer, dans Qui est et qui était Jésus-Christ ? Son histoire et<br />

son mystère, Paris, Cerf, 1981, p. 103 ; Bonhoeffer ajoute justement que « la Bible reste<br />

un livre parmi les livres » et que « c’est seulement à travers la Bible friable que le Ressuscité<br />

nous rencontre. Il faut entrer dans la détresse de la critique historique ».<br />

29. L’expérience historique de la modernité et d’une violence en excès toujours<br />

renaissant peut amener à estimer raisonnablement qu’« un certain Dieu est certainement<br />

mort » (E. Levinas, dans la discussion qui a suivi « Le nom de Dieu d’après<br />

quelques textes talmudiques », dans le recueil L’intrigue de l’infini, Flammarion, Paris,<br />

1994, p. 230) ; peut-être faut-il cette épreuve du silence, voire de l’absentement, de la<br />

transcendance <strong>pour</strong> que puisse se produire, « au cœur du silence même », le « retournement<br />

d’un silence opaque en un Silence accompagnant – à l’intime duquel fait signe,<br />

de nous échapper, la Transcendance » (M. Faessler, « Le défi du mal. La méditation<br />

philosophique de <strong>Ricœur</strong> à l’épreuve du tragique », dans Philosophie, Minuit, Paris,<br />

janvier 2017, p. 141-142) d’un Dieu toujours Autre et inconnu, mais qui « donne de<br />

vivre et appelle à vivre contre toute apparence » (Henri L<strong>aux</strong>, Pour une existence spirituelle,<br />

Éditions Facultés Jésuites de Paris, Paris, 2017, p. 73).


18 Préface<br />

se donnant seulement en « partage(s) », ne saurait refuser de se manifester<br />

à qui « l’invoque de la double prière du croyant et de l’incroyant 30 »?<br />

ENVOIS<br />

Les essais qui suivent ne proposent qu’une première introduction,<br />

témoignant à l’évidence des limites d’une compétence et de la contingence<br />

d’un choix, à quelques penseurs susceptibles de nous aider à mieux nous<br />

orienter dans l’actualité intellectuelle et spirituelle de notre monde. On<br />

ne cherchera donc nulle prétention magistrale, téléologique ou systématique,<br />

moins encore exhaustive, dans la relative mise en ordre d’un<br />

parcours résolument attentif à des explorations et à des avancées singulièrement<br />

plurielles. Partageant une conscience accrue de la finitude de<br />

leurs perspectives, les « penseurs <strong>pour</strong> <strong>aujourd’hui</strong> » <strong>aux</strong>quels on se réfère<br />

ne rêvent plus d’énoncer solitairement la Vérité du monde et on ne s’étonnera<br />

pas qu’ils abordent très différemment, chacun à sa manière et selon<br />

son style, des tensions qui partagent l’époque ; ce qui les amène, à l’intérieur<br />

d’une probité existentielle analogue, à mettre des accents distincts<br />

sur l’autonomie ou l’altérité, l’effectivité historique ou la transcendance<br />

spirituelle, la rigueur critique ou la générosité de l’écoute, les ancrages culturels<br />

ou religieux. Ce qui reste commun, cependant, à tous ces tracés<br />

d’expérience, c’est l’inspiration résolument philosophique qui les travaille,<br />

les maintient <strong>aux</strong> aguets et leur interdit de se recourber sur une suffisance<br />

prétendue : aussi originales que soient leurs explorations, les voyageurs<br />

restent mus ici par le désir de l’enrichissement dû <strong>aux</strong> rencontres et <strong>aux</strong><br />

échanges raisonnables, ils ne sauraient ni garder <strong>pour</strong> eux-mêmes ni ériger<br />

en autorités indiscutables des découvertes signifiantes qu’ils exposent et<br />

30. Fr. <strong>Rosenzweig</strong>, L’Étoile de la Rédemption (p. 350-351), qui invite ainsi philosophes<br />

et théologiens à se départir de leur suffisance respective <strong>pour</strong> s’unir dans la<br />

prière commune d’un désir à la fois raisonnable et croyant qui porte l’existence audelà<br />

de ses prises et de ses <strong>frontières</strong>. au-delà de ses prises et de ses <strong>frontières</strong>. J’ai tenté<br />

de préciser cette intensification réciproque entre le penser et le croire dans « Langage,<br />

discours parole. Rigueur philosphique et ressources bibliques », dans Recherches de<br />

Science Religieuse, 106-1, janvier-mars 2018, p. 117-130. »


Préface<br />

19<br />

adressent plutôt à la communauté toujours à venir de ceux qui s’éprouvent<br />

et s’avouent « taraudés par l’idée d’infini 31 ».<br />

Il ne s’agit donc pas là d’études soucieuses d’érudition, plutôt d’aveux<br />

de rencontres et d’attestation(s) de dette(s) qu’il importe moins d’effacer<br />

que de reconnaître et de tenter de partager. Le philosopher-avec s’y révèle<br />

inséparable d’un désir d’expérience personnelle ou d’un cheminement à<br />

frayer en responsabilité à la fois inéluctablement singulière et vouée <strong>aux</strong><br />

risques d’une universalisation aussi juste et respectueuse que possible 32 .<br />

Loin de toute sécurité objective et de tout modèle idéal, le propos tend seulement<br />

à laisser résonner en nous et entre nous non seulement des discours<br />

en quête de sens cohérent, mais des paroles 33 habitées, traversées et<br />

envoyées par un souffle qui les anime et les emporte. Dans un espace commun<br />

de ressources culturelles diverses, <strong>pour</strong> avoir le courage de rester<br />

debout « en dépit de la noirceur du mal et des désastres de l’histoire 34 » au<br />

cœur même des déchirements de l’époque, il peut être bon de se laisser<br />

toucher et inquiéter par des voix qui, chacune à sa manière, nous transmettent<br />

des expériences significatives et nous invitent par là même à mieux<br />

prendre notre part des combats et des dialogues soucieux de maintenir et<br />

de raviver jusque dans la violence de notre monde un désir effectif de liberté<br />

et de justice, de paix et de sens.<br />

31. Sylvie Germain, À la table des hommes, Albin Michel, Paris, 2016, p. 220.<br />

Emmanuel Levinas aimait souligner que, dans « l’idée de l’Infini, c’est-à-dire l’Infini<br />

en moi, le in de l’Infini signifie à la fois le non et le dans » (« Dieu et la philosophie »,<br />

dans De Dieu qui vient à l’idée, p. 106).<br />

32. C’est déjà sous le signe de cette tension féconde que j’ai tenté de me mettre à<br />

l’écoute des pensées contrastées d’Éric Weil et d’Emmanuel Levinas (Figures de la pensée<br />

contemporaine, Hermann, coll. Le Bel Aujourd’hui, Paris, 2015) ou de Georges<br />

Morel et de Paul Beauchamp (Le souffle et la parole, Le Félin, coll. Les Marches du<br />

Temps, Paris, 2017).<br />

33. Émile Benveniste définit justement la parole comme « la langue assumée par<br />

l’homme qui parle » (Problèmes de linguistique générale, t. 1, Gallimard/Tel, Paris,<br />

1974, p. 266) ; mais cette assomption suppose sans doute une interpellation ou une<br />

provocation première à laquelle il s’agit de répondre.<br />

34. M. Faessler, Miettes théologiques, Éditions Ouverture, Le Mont-sur-Lausanne,<br />

2017, p. 114.


Première partie<br />

HISTOIRE ET LIBERTÉS


Chapitre premier<br />

LA PUISSANCE CRÉATRICE DE L’IMAGINAIRE<br />

En hommage à Cornelius <strong>Castoriadis</strong><br />

Pour affronter les défis multiples — politiques, mais également éthiques<br />

et culturels — de notre monde et de notre histoire, la lucidité active à<br />

laquelle nous convie <strong>Castoriadis</strong> prend appui sur la force de l’imaginaire<br />

à l’œuvre dans la réalité, mais en tentant de la mettre au service de libertés<br />

responsables soucieuses de création raisonnablement partagée.<br />

Après ceux d’Emmanuel Levinas et de Gilles Deleuze, le décès de<br />

Cornelius <strong>Castoriadis</strong> (26 décembre 1997) vient de frapper la communauté<br />

philosophique française. D’origine grecque, ce passionné de<br />

liberté s’était installé à Paris après la guerre, dirigeant notamment<br />

pendant vingt ans la revue Socialisme ou Barbarie où un marxisme<br />

radicalement critique s'essayait à prendre une mesure nouvelle du<br />

siècle et de ses défis. Depuis 1968, la militance révolutionnaire avait<br />

dû, sans se renier, s'investir en responsabilité citoyenne et cosmopolitique<br />

; une attention nouvelle à la finitude de l'histoire et des existants<br />

obligeait l'homme à laisser grandir en lui le philosophe qui l'habitait.<br />

Une œuvre se faisait, moins soucieuse d’elle-même que de la réalité<br />

et du monde dont il fallait répondre ; on en rappellera simplement ici<br />

quelques orientations majeures 1 .<br />

1. J’ai jadis proposé une approche plus détaillée de la trajectoire et des perspectives<br />

socio-politiques de <strong>Castoriadis</strong> (Études, mai 1980, p. 761-778) ; c’est<br />

davantage au « titan de l’esprit » (E. Morin) que cet article voudrait rendre hom-


24<br />

I. Histoire et libertés<br />

UNE HISTOIRE À PRENDRE EN CHARGE<br />

Lorsqu’il jette sur la modernité de notre monde un regard qui se veut<br />

de lucidité sans illusions, <strong>Castoriadis</strong> y décèle la tendance massive au<br />

règne de l’insignifiance organisée. L’imaginaire opératoire du capitalisme,<br />

vide de tout sens vivant, s’investit intégralement dans le fantasme<br />

néo-libéral d’une puissance rêvant de tout contrôler et maîtriser et<br />

aboutissant à « l’expansion illimitée d’une pseudo-maîtrise pseudorationnelle<br />

» (MI, 90). Ne compte plus que l’objectivité calculable d’un<br />

système économique mondial abandonné à son extension indéfinie et<br />

dont le fonctionnement même accule les individus à une passivité cherchant<br />

(vainement) à se compenser dans des divertissements privés et/ou<br />

des replis de type « communautariste ». Gagner, avoir, jouir, telles sont<br />

les pseudo-« valeurs » de ce « projet capitaliste démentiel » qui mobilise<br />

au service de son nihilisme tendanciel toutes les « données physiques,<br />

biologiques, psychologiques, sociales, culturelles » (MI, 90) que lui fournit<br />

son développement techno-scientifique accru, mais qui ignore<br />

superbement « les questions du fondement, de la totalité, des fins et du<br />

rapport de l’homme avec le monde » (IIS, 223). « De moins en moins<br />

capable de fournir du sens » (DH, 102), notre société mondialisée paraît<br />

n’avoir <strong>pour</strong> « idéal » qu’un « zappanthrope » apathiquement hédoniste<br />

qui <strong>pour</strong>rait bien actualiser <strong>pour</strong> nous la figure menaçante du « dernier<br />

homme » pressenti par Nietzsche ; sous les formes contrastées du dérisoire<br />

ou du terrifiant, le « monstrueux » nous menace toujours.<br />

À l’origine, <strong>pour</strong>tant, et jusqu’à l’intérieur de cette même modernité<br />

(occidentale), il est possible de discerner également tout autre chose :<br />

mage. Il s’en tient donc <strong>aux</strong> œuvres majeures, à savoir la grande Institution imaginaire<br />

de la société (Seuil, Paris, 1975, IIS) et l’ensemble des essais recueillis, également<br />

au Seuil, sous le titre générique Les carrefours du labyrinthe (CL, 1978 ;<br />

DH – Domaines de l’homme –, 1986 ; MM – Le monde morcelé – 1990 ; MI – La<br />

montée de l’insignifiance – 1996 ; Fait et à faire – FAF –, 1997). Je me permets de<br />

renvoyer également au volume Cornelius <strong>Castoriadis</strong>. Lo imaginario y la creación<br />

de la autonomía que j’ai publié avec Alfonso Ibáñez (Fondo editorial de la Universidad<br />

Ruiz de Montoya, Lima, 2009).


Chap. I. La puissance créatrice de l’imaginaire<br />

25<br />

l’invention conjointe, dans le monde hellénique, d’une action (politique)<br />

et d’une pensée (philosophique) soucieuses d’universalisation<br />

raisonnable ; des avancées de savoir (scientifique) également qui, en<br />

posant et explorant la complexité hétérogène de figures inédites du<br />

connaissable, invitent en principe à « ranimer, raviver et renouveler<br />

l’interrogation philosophique » (CL, 13) ; sans oublier des luttes pratiques<br />

multiples, en quête d’émancipation effectivement égalitaire,<br />

tournées vers l’avènement de libertés inséparablement finies et raisonnables,<br />

originales et relationnelles, singulières et en quête d’universalité,<br />

faisant ainsi émerger « de nouvelles formes de vie et de nouvelles<br />

significations » (DH, 160).<br />

D’où vient alors qu’un tel projet — celui d’une autonomie ouverte<br />

et sensée — tende <strong>aujourd’hui</strong> à être toujours davantage recouvert et<br />

comme effacé par la perversion qui le caricature en soif et rêve cauchemardesque<br />

d’autosuffisance anthropocentrique ? Il n’est sans doute pas<br />

de réponse(s) simple(s) à ce type de question(s). À la suite de <strong>Castoriadis</strong>,<br />

on peut proposer la double hypothèse suivante : 1) « La lutte entre<br />

l’autonomie et l’hétéronomie » (DH, 268) ou entre les risques de la liberté<br />

et les facilités de la servitude est sans doute constitutive de l’histoire et<br />

de l’existence humaines ; 2) Le mythe moderne de la toute-puissance<br />

illusoirement assurée de soi ne fait que prendre la relève — en l’inversant<br />

apparemment — de la « logique » qui porte l’imaginaire traditionnel<br />

à rêver d’une appartenance sécurisante qui méconnaît tout ensemble<br />

la créativité de l’être et l’irréductibilité de la liberté.<br />

Il importe donc de prendre la mesure de cet imaginaire social institué<br />

qui pèse d’autant plus lourdement sur nos mentalités que nous<br />

répugnons à le reconnaître. Derrière nos pratiques sociolinguistiques<br />

de classification et d’identification logiques, on peut ainsi discerner<br />

toute une ontologie de la « déterminité » — de l’être-ainsi et pas autrement<br />

— <strong>pour</strong> laquelle n’est vraiment que ce qui est susceptible d’être<br />

connu et maîtrisé de manière univoque. Cette visée tournée vers l’untout<br />

en son homogénéité déterminable, identifiable grâce à l’ensemble<br />

dont il fait partie 2 , caractérise une « pensée héritée, portée le plus souvent<br />

par le phantasme de la maîtrise comme détermination exhaustive<br />

2. Ce qui conduit <strong>Castoriadis</strong> à forger le néologisme d’« ensidique » <strong>pour</strong> qualifier<br />

cette pensée de l’être-ensemble et de l’être-identique.


En lecture partielle…


INDEX DES NOMS CITÉS<br />

Agnon, Samuel Joseph : 112<br />

Alain : 5<br />

Arendt, Hannah : 196, 212, 213,<br />

215, 217, 219, 221, 222<br />

Aristote : 5, 38, 39-41, [50], 56, [96],<br />

[180], [181]<br />

Aron, Raymond : 165<br />

Aubenque, Pierre : 39<br />

Averroès : 199<br />

Bataille, Georges : 115-117<br />

Beauchamp, Paul : 19, 147, 152,<br />

167, 171, 183, 226<br />

Bellet, Maurice : 7, 200<br />

Belloy, Camille de : 75<br />

Benrubi, Isaac : 65<br />

Benveniste, Émile : 19<br />

<strong>Bergson</strong>, Henri : 9-11, 43, 56, 61-76,<br />

88, 196, 205<br />

Billouet, Pierre : 37, 54<br />

Birnbaum, Jean : 138<br />

Blanchot, Maurice : 131<br />

Bonhoeffer, Dietrich : 17<br />

Bourgeois, Bernard : 165<br />

Buber, Martin : 84<br />

Caïphe : 153<br />

Calin, Rodophe : 193<br />

Carré, Ambroise-Marie : 143<br />

Cassirer, Ernst : 39<br />

<strong>Castoriadis</strong>, Cornelius : 7, 23-25,<br />

27, 29-34, 177<br />

Celan, Paul : 91, 107<br />

Cervantès, Miguel de : 144<br />

<strong>Chalier</strong>, Catherine : 15, 78, 81, 88,<br />

183, 194, 196, 198, 202, 203, 206-<br />

208<br />

Changeux, Jean-Pierre : 175<br />

Chantre, Benoît : 164<br />

Chrétien, Jean-Louis : 96<br />

Cixous, Hélène : 92, 110<br />

Courtine, Jean-François : 192<br />

Crépon, Marc : 82<br />

Dante : 73<br />

David, Alain : 112<br />

Debord, Guy : 115<br />

Debray, Régis : 169<br />

Deguy, Michel : 131<br />

Delacroix, Henri : 66<br />

Deleuze, Gilles : 23<br />

Derczanski, Alexandre : 84


230 Index des noms cités<br />

<strong>Derrida</strong>, Jacques : 12, 13, 91-104,<br />

106-114, 128, 131, 133, 135, 138,<br />

140, 175, 203-205, 208, 209<br />

Descartes, René : 26, 131, 212, 214<br />

Dolto, Françoise : 185, 216<br />

Domenach, Jean-Marie : 168<br />

Dostoïevski, Fedor Mikhailovitch :<br />

144-146<br />

Dubarle, Dominique : 11<br />

Dufrenne, Mikel : 173<br />

Dupuy, Jean-Pierre : 163<br />

Ehrenberg, Rudolf : 81, 82<br />

Esposito, Roberto : 97<br />

Faessler, Marc : 17, 19, 88, 180, 192-<br />

194, 216, 224-226<br />

Fessard, Gaston : 188, 215, 224<br />

Flaubert, Gustave : 145<br />

François, pape : 163, 214<br />

Freud, Sigmund : 30, 135, 175<br />

Frye, Northop : 183<br />

Gadamer, Hans Georg : 107<br />

Gauchet, Marcel : 7, 151, 217, 218,<br />

220, 221<br />

Gérard, Gilbert : 46<br />

Germain, Sylvie : 19<br />

Gilson, Étienne : 75, 202<br />

<strong>Girard</strong>, René : 14, 15, 143-170<br />

Gisel, Pierre : 13, 14, 138<br />

Giusti, Miguel : 7<br />

Glazer, Nathan : 81<br />

Goldschmidt, Victor : 36<br />

Gouhier, Henri : 64, 65, 71, 73<br />

Granel, Gérard : 7, 131<br />

Habermas, Jürgen : 37, 92, 101, 115<br />

Hegel, Georg Wilhelm Friedrich : 5,<br />

[8], 26, 36-38, 40, [42], 47-52,<br />

79-81, 86-88, 114, 115, 129,<br />

[139], 148, 165, [166], 168,<br />

[169], 176, [180], [188], [197],<br />

[198], 200, 212, 215, 216, [222],<br />

224<br />

Heidegger, Martin : 12, [26], 37, 40,<br />

52, 56, 80, 91, 101, 114-116, 119,<br />

129, 131, [139], 159, 160, 173,<br />

180, 196, 198, 212, 213, 217<br />

Henry, Michel : 96<br />

Hillesum, Etty : 88, 207<br />

Hitler, Adolf : 68<br />

Hölderlin, Friedrich : 107, 123<br />

Humboldt, Wilhelm von : 39<br />

Husserl, Edmund : 49, 173, [174], 212<br />

Hyppolite, Jean : 9, 165<br />

James, William : 62, 66<br />

Jarczyk, Gwendoline : 48<br />

Jaspers, Karl : 173, 222, 223<br />

Job : 152, 153<br />

Jonas, Hans : 43<br />

Joseph : 152<br />

Kant, Emmanuel : [8], 36-40, 47,<br />

48-53, 79, 80, 84, 131, 180, 188,<br />

197, 212, 213, 222, [226]<br />

Kierkegaard, Soeren : 80<br />

Kirscher, Gilbert : 53, 57<br />

Lamblin, Robert : 36<br />

Launay, Marc de : 82<br />

L<strong>aux</strong>, Henri : 17<br />

Léon-Dufour, Xavier : 193<br />

Le Roy, Édouard : 66<br />

Levinas, Emmanuel : 5, 11, 15-17,<br />

19, 23, 52, 53, 75, 93, 94, 97, 98,<br />

103, 110-112, 131, 139, 140, 171,<br />

173, 179, 181, 192-208, 212, 222,<br />

226, 227<br />

Liverani, Livio : 201<br />

Luther, Martin : 181<br />

Maine de Biran : 174


Index des noms cités<br />

231<br />

Marcel, Gabriel : 173<br />

Maritain, Jacques : 158<br />

Marx, Karl : [23], 30, 92, 174<br />

Meinecke, Friedrich : 79<br />

Merleau-Ponty, Maurice : 17, 43,<br />

52, 62, 72, 75, 173<br />

Merton, Thomas : 88<br />

Moingt, Joseph : 137, 225<br />

Morel, Georges : 12, 19, 108<br />

Morin, Edgar : 23<br />

Mosès, Stéphane : 80, 82<br />

Nabert, Jean : 173, 190<br />

<strong>Nancy</strong>, Jean-Luc : 12, 13, 92, 96, 97,<br />

102, 108, 113-119, 124, 125, 127-<br />

133, 135, 137-140<br />

Néher, André : 82, 88<br />

Nietzsche, Frédéric : 12, 24, 52, 80,<br />

[116], 129, 131, 133, [137], 174,<br />

180, 196, 217<br />

Onfray, Michel : 130<br />

Pascal, Blaise : 56, 131, 165, 166,<br />

[170], 224<br />

Patocka, Jan : 101<br />

Petitdemange, Guy : 81, 87<br />

Petrosino, Silvano : 93, 101, 154<br />

Philonenko, Alexis : 213<br />

Platon : 131, 223<br />

Plotin : 50, 51, 71<br />

Proust, Marcel : 144-146, 223<br />

Rastoin, Cécile : 78<br />

Renan, Ernest : 199<br />

Riaudel, Olivier : 11<br />

<strong>Ricœur</strong>, Paul : 8, 15, 17, 29, 37, 138,<br />

171-188, 190-193, 198, 205, 219,<br />

221, 224<br />

Rocard, Michel : 7<br />

Rogozinski, Jacob : 111, 164<br />

Romeyer, Blaise : 76<br />

Rosenstock, Eugen : 80-83<br />

<strong>Rosenzweig</strong>, Franz : 9, 10, 11, 18,<br />

57, 58, 77-88<br />

Ruyer, Raymond : 43<br />

Schaeffer, Jean-Marie : 215<br />

Schelling, Friedrich Wilhelm Jo -<br />

seph : 11, 84<br />

Schlegel, Jean-Louis : 84<br />

Schleiermacher, Friedrich : 39<br />

Schopenhauer, Arthur : 80<br />

Schwager, Raymond : 156<br />

Serres, Michel : 143, 168<br />

Shakespeare, William : 163<br />

Socrate : 196, 223<br />

Spinoza, Baruch : 50, 70<br />

<strong>Stanguennec</strong>, André : 8, 36-40, 43,<br />

47-50, 52, 54, 56, 57<br />

Stein, Edith : 78, 88<br />

Stendhal : 144-146<br />

Thomas d’Aquin : 50, 51, 126, [197]<br />

Tonquédec, Joseph de : 64, 76<br />

Treguer, Michel : 144<br />

Trigano, Shmuel : 207<br />

Vattimo, Gianni : 159, 165<br />

Vincent, Gilbert : 186, 190, 221, 225<br />

Waterlot, Ghislain : 75<br />

Weil, Éric : 5-8, 19, 37, 39, 42, 49,<br />

52, 53, 139, 160, 170, [180], 197,<br />

198, 205, 206, 211, 212, 217, 218,<br />

224, 226<br />

Weil, Simone : 75, 88, 168<br />

Worms, Frédéric : 75<br />

Whitehead, Alfred North : 43


SOURCES<br />

Chapitre I : « La puissance de l’imaginaire. En hommage à Cornélius<br />

<strong>Castoriadis</strong> », dans Études, septembre 1998, p. 195-204.<br />

Chapitre II : « Finitude, réflexion, sens. La systématique métaphysique<br />

d’André <strong>Stanguennec</strong> », dans Revue des Sciences philosophiques et théologiques,<br />

2014-1, p. 103-122.<br />

Chapitre III : « Henri <strong>Bergson</strong>, penseur de l’expérience spirituelle. L’humain<br />

au-delà de lui-même », dans Études, octobre 2015, p. 43-55.<br />

Chapitre IV : « Franz <strong>Rosenzweig</strong>. Paradoxes et sens d’une “conversion”<br />

», dans Études, septembre 2014, p. 51-60.<br />

Chapitre V : « Un étrange amour. Sur le “style” philosophique de J. <strong>Derrida</strong><br />

», dans Études théologiques et religieuses, 2007-3, p. 361-378.<br />

Chapitre VI : « Venue, passage, partage. La voix singulière de Jean-Luc<br />

<strong>Nancy</strong> », dans Études, octobre 2000, p. 357-371 ; on lui a ajouté, en annexe,<br />

un bref essai sur les deux volumes de La déconstruction du christianisme.<br />

Chapitre VII : « Face à la violence, la pensée audacieuse de René<br />

<strong>Girard</strong> », dans Esprit, février 2016, p. 107-122.<br />

Chapitre VIII : « Entre critique et conviction. Le chemin de pensée de<br />

Paul <strong>Ricœur</strong> », dans Études théologiques et religieuses, 2017-2, p. 393-410.<br />

Chapitre IX : « Rationalité philosophique et inspiration biblique. Le<br />

“deux-en-un” de la pensée chez Catherine <strong>Chalier</strong> », est issu d’une conférence<br />

donnée au colloque « Judaïsme et altérité. Autour de Catherine <strong>Chalier</strong><br />

» (25 et 26 novembre 2015).


TABLE DES MATIÈRES<br />

Préface. Sens en éclats .......................................................................... 5<br />

L’ombre de l’Absolu .............................................................................. 5<br />

Histoire et libertés .................................................................................. 7<br />

Expérience et transcendance ................................................................ 9<br />

Déconstruction et création .................................................................... 12<br />

Le religieux en héritage(s)...................................................................... 14<br />

Envois ...................................................................................................... 18<br />

Première partie<br />

HISTOIRE ET LIBERTÉS<br />

Chapitre premier. La puissance créatrice de l’imaginaire.<br />

En hommage à Cornelius <strong>Castoriadis</strong>............................................ 23<br />

Une histoire à prendre en charge.......................................................... 24<br />

L’institution politique du champ social .............................................. 27<br />

La formation éthique du psychisme .................................................... 30<br />

L’élucidation aporétique de la réalité .................................................. 32<br />

Intégralité ouverte .................................................................................. 34<br />

Chapitre II. Finitude, réflexion, sens. La systématique métaphysique<br />

d’André <strong>Stanguennec</strong> ...................................................................... 36<br />

L’histoire de la pensée en héritage herméneutique ............................ 38<br />

Le déploiement d’une dialectique réflexive ........................................ 41<br />

Ana-logie, onto-logie, théo-logie : explicitations logiques ................ 46<br />

Ouvertures interrogatives ...................................................................... 51


236 Table des matières<br />

Deuxième partie<br />

EXPÉRIENCE ET TRANSCENDANCE<br />

Chapitre III. Henri <strong>Bergson</strong>, penseur de l’expérience spirituelle.<br />

L’humain au-delà de lui-même ...................................................... 61<br />

La réalité positive de l’esprit .................................................................. 62<br />

L’esprit de la créativité personnelle ...................................................... 64<br />

Les résistances de l’esprit de pesanteur................................................ 67<br />

Les (res)sources de l’esprit de rénovation............................................ 69<br />

L’esprit du christianisme et sa mission ................................................ 71<br />

À l’aune de l’expérience ? ...................................................................... 74<br />

Chapitre IV. Franz Rosenzwzeig. Paradoxes et sens d’une conversion 77<br />

En quête d’orientation............................................................................ 78<br />

Le chemin du retour .............................................................................. 81<br />

Le déploiement d’une fidélité................................................................ 83<br />

Envoi ........................................................................................................ 87<br />

Troisième partie<br />

DÉCONSTRUCTION ET CRÉATION<br />

Chapitre V. Un étrange amour. Sur le « style » philosophique de<br />

Jacques <strong>Derrida</strong> ................................................................................ 91<br />

Plus d’une langue .................................................................................... 93<br />

Le tact au-delà du contact ...................................................................... 96<br />

L’hospitalité, sans condition ? .............................................................. 98<br />

Le don, l’abandon, la responsabilité .................................................... 101<br />

La vie, la mort, la bénédiction .............................................................. 106<br />

Salut sans retour ...................................................................................... 110<br />

Chapitre VI. Venue, passage, partage. La voix singulière de Jean-<br />

Luc <strong>Nancy</strong> .......................................................................................... 113<br />

Envois d’une pensée .............................................................................. 114<br />

Espacement(s) du monde ...................................................................... 117<br />

Passion de l’existence ............................................................................ 119<br />

Partages de l’être-ensemble .................................................................. 121<br />

Arts de la déliaison.................................................................................. 124<br />

Naître à la présence ................................................................................ 127<br />

Annexe. Déconstruction du christianisme ? ........................................ 129<br />

À la croisée d’une double déclosion .................................................... 130<br />

Effacement de Dieu, sens du monde .................................................... 132<br />

La tenue de l’existence, l’adoration ...................................................... 134<br />

Questions en guise d’adresse ................................................................ 137


Table des matières<br />

237<br />

Quatrième partie<br />

LE RELIGIEUX EN HÉRITAGE(S)<br />

Chapitre VII. Face à la violence. La pensée audacieuse de René<br />

<strong>Girard</strong>.................................................................................................. 143<br />

Aux sources de la violence, le désir mimétique .................................. 144<br />

La conjuration « religieuse » de la violence : le bouc émissaire ........ 147<br />

La violence démasquée : la révélation biblique et évangélique ........ 151<br />

La violence réfrénée : les rationalisations ambiguës de l’histoire .... 157<br />

La violence déchaînée : l’apocalypse <strong>aujourd’hui</strong> ? ............................ 162<br />

Questions ouvertes.................................................................................. 167<br />

Chapitre VIII. Entre conviction et critique. Le chemin de pensée<br />

de Paul <strong>Ricœur</strong> .................................................................................. 172<br />

La cohérence intentionnelle d’un parcours sinueux .......................... 173<br />

Une orientation anthropologique sans absolu divin.......................... 177<br />

Une foi biblique sans prétention spéculative ...................................... 182<br />

Une réciprocité herméneutique sans relève unitaire ........................ 187<br />

Envoi ........................................................................................................ 192<br />

Chapitre IX. Rationalité philosophique et inspiration biblique.<br />

Le « deux-en-un » de la pensée chez Catherine <strong>Chalier</strong> .............. 194<br />

L’écoute au cœur de la raison ? ............................................................ 195<br />

L’esprit des Écritures .............................................................................. 200<br />

Le premier sens et le dernier mot ........................................................ 204<br />

Envoi ........................................................................................................ 208<br />

Conclusion. Responsabilité – de la pensée .......................................... 211<br />

Juger : la pertinence d’un retrait............................................................ 212<br />

Vivre : l’originalité d’une appartenance .............................................. 214<br />

Travailler : l’ambiguïté de l’œuvre de nos mains................................ 216<br />

Agir : la fragilité des affaires humaines ................................................ 219<br />

S’orienter : inspiration, ouverture, discernement .............................. 221<br />

Exister : une singulière universalité ...................................................... 226<br />

Index des noms cités.............................................................................. 229<br />

Sources .................................................................................................... 233<br />

Table des matières .................................................................................. 235


Du même auteur<br />

Dieu selon Hegel. Essai sur la problématique de la Phénoménologie de l’Esprit,<br />

Aubier-Montaigne, coll. Philosophie de l’Esprit, 1975.<br />

Et combien de dieux nouve<strong>aux</strong>… t. 1 : Heidegger ; t. 2 : Levinas, Aubier-Montaigne,<br />

coll. Philosophie de l’Esprit, 1980.<br />

Gramsci. Filosofía, Política, Cultura, Tarea, 1981.<br />

Mariátegui hoy, Tarea, 1987.<br />

L’homme de désir. Sur les traces de Georges Morel, Cerf-Cérit, coll. Arguments,<br />

1980.<br />

Autonomie et altérité, Cerf/Cérit, coll. Arguments, Paris, 1993.<br />

Vigencia de Mariátegui, Amauta, 1995.<br />

Historia, razón, libertad. Una introducción al pensamiento político y filosófico<br />

de Éric Weil, Pontificia Universidad Católica del Perú, 2002.<br />

La Gloire en exil. Le témoignage philosophique d’Emmanuel Levinas, Cerf,<br />

2004.<br />

Emmanuel Levinas ou les intrigues du sens, PUF, coll. Philosophie d’<strong>aujourd’hui</strong>,<br />

2005.<br />

Fenomenología, ontología, metafísica. Emmanuel Levinas en el espacio filosófico<br />

contemporáneo, Universidad de Chile, 2005.<br />

Approches d’Emmanuel Levinas. L’inspiration d’une écriture, PUF, coll.<br />

Études d’histoire et de philosophie religieuses, 2005.<br />

Cornelius <strong>Castoriadis</strong>. Lo imaginario y la creación de la autonomía, Fondo<br />

editorial de la Universidad Ruiz de Montoya, 2e éd., 2009.<br />

Emmanuel Levinas. Le sens de la transcendance — autrement, PUF, coll. Philosophie<br />

d’<strong>aujourd’hui</strong>, 2009.<br />

Le courage de la raison. La philosophie pratique d’Éric Weil, Le Félin, coll.<br />

Les marches du temps, 2009.<br />

Le sens de la réalité. Logique et existence selon Éric Weil, Le Félin, coll. Les<br />

marches du temps, 2011.<br />

À-Dieu. De la philosophie à la théologie ?, Cerf, coll. Cogitatio Fidei, 2013.<br />

Philosopher à l’écoute du monde. Un chemin de pensée, Presses universitaires<br />

de Strasbourg, 2013.<br />

Figures de la pensée contemporaine. Éric Weil et Emmanuel Levinas en<br />

contrastes, Hermann, coll. Le Bel Aujourd’hui, 2015.<br />

Faut-il renoncer à la métaphysique ?, Éditions Facultés jésuites de Paris, 2016.<br />

Le souffle et la parole. Liberté philosophique et inspiration biblique, Le Félin,<br />

coll. Les marches du temps, 2017.


Achevé d’imprimer en novembre 2018<br />

sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery<br />

58500 Clamecy<br />

Dépôt légal : novembre 2018<br />

Numéro d’impression : 810476<br />

Imprimé en France<br />

La Nouvelle Imprimerie Laballery est titulaire de la marque Imprim’Vert®


En philosophie comme en d’autres domaines, la puissance<br />

de l’Absolu semble bien à présent nous être refusée. Sa relève<br />

s’est vue opposer non seulement la violence de la révolte, mais la<br />

pluralité invincible des perspectives finies et la reconnaissance<br />

raisonnable de l’irréductible multiplicité du patrimoine spirituel<br />

de l’humanité. Tout se passe comme si nous avions pris<br />

conscience que l’intrigue première n’était pas celle de la pensée<br />

et de ses catégories essentielles, mais celle de la liberté et de ses<br />

attitudes existentielles. Les questions ultimes ne disparaissent<br />

pas <strong>pour</strong> autant, mais elles échappent désormais <strong>aux</strong> prétentions<br />

magistrales d’une théorie unique. C’est seulement du dialogue,<br />

toujours à reprendre, des libertés en quête de raison que peut<br />

renaître, sans trop d’illusions, la visée d’un sens de l’existence<br />

qui ne peut que se diffracter en perspectives multiples.<br />

C’est dans cet esprit que Francis Guibal met en vis-à-vis<br />

Cornelius <strong>Castoriadis</strong> et André <strong>Stanguennec</strong> sur « histoire et<br />

libertés » ; Henri <strong>Bergson</strong> et Franz <strong>Rosenzweig</strong> sur « expérience<br />

et transcendance » ; Jacques <strong>Derrida</strong> et Jean-Luc <strong>Nancy</strong> sur<br />

« déconstruction et création » ; René <strong>Girard</strong>, Paul <strong>Ricœur</strong> et<br />

Catherine <strong>Chalier</strong> sur « Le religieux en héritage(s) ».<br />

Francis GUIBAL, professeur émérite de philosophie de l’Université<br />

de Strasbourg. Spécialiste de Hegel, attentif <strong>aux</strong> pensées contrastées<br />

d’Éric Weil et d’Emmanuel Levinas, il s’intéresse particulièrement<br />

<strong>aux</strong> questions-<strong>frontières</strong> : rapports de la philosophie avec la<br />

politique et l’histoire, la culture et la religion.<br />

ISBN :978-2-87299-343-7<br />

9782872 993437<br />

22 €<br />

www.editionsjesuites.com

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