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Veilleurs aux frontières. Penseurs pour aujourd’hui (Bergson-Rosenzweig, Girard-Ricœur-Chalier, Derrida-Nancy, Castoriadis-Stanguennec)

En philosophie comme en d’autres domaines, la puissance de l’Absolu semble bien à présent nous être refusée. Sa relève s’est vue opposer non seulement la violence de la révolte, mais la pluralité invincible des perspectives finies et la reconnaissance raisonnable de l’irréductible multiplicité du patrimoine spirituel de l’humanité. Tout se passe comme si nous avions pris conscience que l’intrigue première n’était pas celle de la pensée et de ses catégories essentielles, mais celle de la liberté et de ses attitudes existentielles. Les questions ultimes ne disparaissent pas pour autant, mais elles échappent désormais aux prétentions magistrales d’une théorie unique. C’est seulement du dialogue, toujours à reprendre, des libertés en quête de raison que peut renaître, sans trop d’illusions, la visée d’un sens de l’existence qui ne peut que se diffracter en perspectives multiples. C’est dans cet esprit que Francis Guibal met en vis-à-vis Cornelius Castoriadis et André Stanguennec sur «hist

En philosophie comme en d’autres domaines, la puissance de l’Absolu semble bien à présent nous être refusée. Sa relève s’est vue opposer non seulement la violence de la révolte, mais la pluralité invincible des perspectives finies et la reconnaissance raisonnable de l’irréductible multiplicité du patrimoine spirituel de l’humanité. Tout se passe comme si nous avions pris conscience que l’intrigue première n’était pas celle de la pensée et de ses catégories essentielles, mais celle de la liberté et de ses attitudes existentielles. Les questions ultimes ne disparaissent pas pour autant, mais elles échappent désormais aux prétentions magistrales d’une théorie unique. C’est seulement du dialogue, toujours à reprendre, des libertés en quête de raison que peut renaître, sans trop d’illusions, la visée d’un sens de l’existence qui ne peut que se diffracter en perspectives multiples.
C’est dans cet esprit que Francis Guibal met en vis-à-vis Cornelius Castoriadis et André Stanguennec sur «hist

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Préface<br />

7<br />

HISTOIRE ET LIBERTÉS<br />

Tout se joue donc <strong>pour</strong> nous dans l’espace d’une finitude dont il s’agit<br />

de discerner et de promouvoir les possibilités raisonnables, en refusant<br />

notamment le règne menaçant d’une rationalité purement techno-scientifique<br />

dont la violence « monoculturelle 4 », destructrice des hommes et<br />

du monde, « fonctionne à plein régime » dans une époque qui semble<br />

n’avoir plus d’autre « fonction majeure 5 ». Face à l’impérialisme d’une<br />

économie « malade de sa finance », il importe d’en appeler à une reprise<br />

ou à un infléchissement politique qui est « la clé d’un ressaisissement 6 »<br />

signifiant. Mais cela ne saurait aller sans le réveil et la sagesse pratique<br />

d’acteurs-sujets s’efforçant de se faire co-citoyens en charge du monde et<br />

des partages signifiants qu’il appelle. La créativité de nos libertés doit<br />

apprendre à s’exercer non en se repliant sur la suffisance prétendue de<br />

sujets substantiels ou transcendant<strong>aux</strong> crispés sur leur conscience de soi,<br />

mais en s’engageant dans l’épreuve partagée d’une condition moderne<br />

dont la finitude même exige de nous que nous tentions d’y articuler au<br />

plus juste le réalisme historique de l’action et le jugement responsable de<br />

la pensée 7 .<br />

La recherche de Cornelius <strong>Castoriadis</strong> s’est ainsi centrée tout entière sur<br />

ce qui pousse les libertés dans l’histoire vers une autonomie responsable,<br />

tant individuelle que collective, qui trouve ses racines dans l’élan de l’ima-<br />

4. Pour Gérard Granel, la « monoculture » qui menace notre monde est une « vaste<br />

machine de destruction » obéissant à la « domination mondiale de la logique du Capital<br />

» (« ¿Monocultura ? ¿Incultura ? Perspectivas desde el tercer milenio », dans La<br />

mirada de los otros. Diálogos con la filosofía francesa contemporánea, M. Giusti editor,<br />

Fondo editorial de la PUC, Lima, 2015, p. 298 et 300).<br />

5. Maurice Bellet, Un trajet vers l’essentiel, Seuil, Paris, 2004, p. 30 ; cette « fonction<br />

majeure » ayant jadis été remplie par la Nature, Dieu ou la Raison (dans l’histoire).<br />

6. Marcel Gauchet, dans Que faire ? Paris, Philo-édition, 2014, p. 92 et 95. Le problème,<br />

comme l’indique bien Michel Rocard, est que, si « l’essentiel des réponses »<br />

<strong>aux</strong> défis de notre monde « est d’ordre politique », nous assistons trop souvent à une<br />

« mort lente du politique » (Suicide de l’Occident, suicide de l’humanité ?, Flammarion,<br />

Paris, 2015, p. 60-61).<br />

7. Éric Weil, entre autres, a toujours insisté sur ce lien entre ces deux dimensions<br />

également constitutives d’une philosophie digne de ce nom.

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