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Désolé j'ai ciné #9

Au programme de ce 9e numéro : on revient sur la trilogie Incassable/Split/Glass, des rétrospectives de M. Night Shyamalan et Robert Zemeckis, Dragons 3, pas mal de critiques, une tribune pour défendre le cinéma d'animation, des séries et des chroniques DVD entre autres.

Au programme de ce 9e numéro : on revient sur la trilogie Incassable/Split/Glass, des rétrospectives de M. Night Shyamalan et Robert Zemeckis, Dragons 3, pas mal de critiques, une tribune pour défendre le cinéma d'animation, des séries et des chroniques DVD entre autres.

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shyamalan<br />

clot sa trilogie<br />

analyse d’incassable & de split +<br />

critique de glass<br />

Et aussi : rétro zemeckis, dragons 3, le <strong>ciné</strong>ma d’animation, twin peaks...


2


L’Edito<br />

2018 aura été l’année des grandes promesses<br />

pour un <strong>ciné</strong>ma plus divers, et plus respectueux. Après la rébellion des<br />

femmes face aux Weinstein, Besson et autres dangers publics, après<br />

cet objectif fixé à Cannes d’un 50/50 dans un futur proche idéalement<br />

égalitaire, il a bien fallu regarder la réalité en face. L’égalité et la<br />

justesse dans les représentations et le traitement, on y est pas encore<br />

; nous en voulons pour preuve la 75e édition de la Mostra de Venise où<br />

la seule femme venue présentée son film aura été huée à plusieurs<br />

reprises.<br />

2019 s’ouvre avec un grand <strong>ciné</strong>aste (Zemeckis) qui s’interroge sur sa<br />

propre masculinité. Faut-il y voir un encouragement, un espoir vers un<br />

<strong>ciné</strong>ma aux points de vues plus riches et différenciés, qui saura mieux<br />

laisser sa place aux racisé.e.s, aux femmes, aux personnes transgenres,<br />

aux déclassé.e.s et oublié.e.s ? A l’heure où Shyamalan vient conclure<br />

sa trilogie super-héroïque avec “Glass”, le temps de briser le Glass<br />

Ceiling* dans le monde du <strong>ciné</strong>ma est-il enfin venu ? <strong>Désolé</strong>, mais nous<br />

on a <strong>ciné</strong>. Donc ces questions-là, on va se les poser toute l’année...<br />

*le glass ceiling est un terme utilisé en études de genre, qui peut se<br />

traduire par plafond de verre. Il fait référence à une frontière invisible<br />

qui empêche certaines catégories sociales d’accéder à des privilèges.<br />

Captain jim<br />

3


4


5<br />

le sommaire<br />

P.7 Critiques Netflix<br />

p.10 critiques décembre<br />

P.18 critiques janvier<br />

p.48 critiques février<br />

p.66 incassable & split : le miroir<br />

chez shyamalan<br />

p.80 rétro m. night shyamalan<br />

p.90 rétro robert zemeckis<br />

p.100 la tribune de liam<br />

p.108 l’instant séries<br />

p.120 les chroniques dvd<br />

DIRECTRICE DE LA RÉDACTION : MARGAUX MAEKELBERG<br />

MISE EN PAGE : MARGAUX MAEKELBERG<br />

RÉDACTEURS : CAPTAIN JIM, LIAM DEBRUEL, MEHDI TESSIER, BAPTISTE ANDRE, SEBASTIEN NOURIAN, PRAVINE,<br />

AUBIN BOUILLÉ, RAPHAEL DUTEMPLE ET ALI BENBIHI


6CRITIQ


7<br />

UES<br />

NETFLIX


8<br />

07/12<br />

MOWGL<br />

Il est assez dingue de voir à quel point<br />

la carrière de réalisateur d’Andy Serkis a<br />

méchamment été passé sous silence cette<br />

année puisque ce n’est pas un mais deux<br />

films qui nous ont été offert par celui dont<br />

on ne présente même plus la carrière en<br />

tant qu’acteur. Cantonné au e-cinema<br />

pour son drame «Breathe» avec en tête<br />

d’affiche Andrew Garfield et Claire Foy (film<br />

fabuleusement émouvant avec un Andrew<br />

Garfield au sommet de son art) et désormais<br />

Netflix (après que la Warner l’ai jeté au<br />

dernier moment) pour son «Mowgli», Andy<br />

Serkis peut se tarer d’avoir réalisé deux films<br />

loin d’être honteux.<br />

«Mowgli» s’attarde sur l’enfance du petit<br />

garçon élevé toute sa jeunesse par une<br />

meute de loups au coeur de la jungle<br />

indienne où il apprendra les dures lois de<br />

la jungle bien entouré par l’ours Baloo et<br />

la panthère Bagheera. En plus d’apprendre<br />

à vivre comme un animal à part entière de<br />

la jungle, la menace du terrible tigre Shere<br />

Khan plane sur Mowgli d’autant plus que le<br />

jeune homme va devoir affronter également<br />

ses origines humaines.<br />

Le pari était osé, d’autant plus quand Disney<br />

avait sorti son live action du «Livre de la<br />

jungle» deux ans et demi avant (qui avait<br />

réussi à convaincre plus ou moins tout le<br />

monde) mais Netflix s’inscrit définitivement<br />

dans l’optique d’offrir du contenu de qualité<br />

- la plupart du temps - mais surtout différent<br />

de ce que peut nous offrir les grands écrans de


9<br />

I<br />

DE ANDY SERKIS. AVEC ROHAN<br />

CHAND, ANDY SERKIS, BENEDICT<br />

CUMBERBATCH… 1H44<br />

<strong>ciné</strong>ma. Audacieux dans son choix artistique,<br />

Andy Serkis a fait appel à la performance<br />

capture (qu’il a déjà lui-même expérimenté<br />

dans «Le Seigneur des Anneaux» ou encore<br />

«La Planète des Singes») pour nous offrir un<br />

résultat plutôt déroutant il faut bien l’avouer,<br />

surtout lorsque les images du «Livre de la<br />

jungle» de Disney nous reste en tête mais<br />

qui confère à ses animaux une humanité rare<br />

et touchante. En misant sur cette humanité<br />

intimement liée à la bestialité, Andy Serkis<br />

bâti tout son film sur cette dualité qui ne<br />

cesse de se confronter avec à sa tête le jeune<br />

Mowgli lui-même entre bestialité qui lui a<br />

été inculqué et cette part d’humanité qu’il<br />

va retrouver un temps avec les humains qui<br />

se sont installés en lisière de la forêt.<br />

La vision qu’impose Andy Serkis sur son<br />

«Mowgli» et toute la réflexion qui en découle<br />

les font s’éloigner de la version édulcorée<br />

qu’on a pu connaître lorsqu’on évoque<br />

Mowgli et «Le Livre de la jungle» mais c’est<br />

justement ce parti pris qui rend le film aussi<br />

intéressant qu’audacieux. Dommage que<br />

les studios n’aient pas pris plus de risques,<br />

Netflix peut se lécher les babines d’avoir pu<br />

mettre un avant un film d’une telle qualité.<br />

Margaux Maekelberg


10CRITIQ


UES<br />

DES FILMS DE DÉCEMBRE DONT ON A PAS PU PARLER DANS LE<br />

PRÉCÉDENT NUMÉRO PARCE QU’ON LES A PAS VU MAIS COMME<br />

ON A LA FLEMME ON FERA QUE LES GROS FILMS<br />

11


12<br />

19/12<br />

AQUAMAN<br />

DE<br />

JAMES WAN. AVEC JASON<br />

MOMOA, AMBER HEARD, WILLEM<br />

DAFOE… 2H23


13<br />

Débutant<br />

Consternant<br />

Éculé<br />

Urinaire<br />

Voilà comment caractériser l’état du DCEU actuel, une certaine odeur de<br />

pisse y règne avec des prétendants au trône comme “Suicide Squad” et<br />

“Justice League”. Trêve de méchanceté, s’ils veulent avoir une chance<br />

d’avoir l’ascendant sur leur concurrent Marvel, il va leur falloir développer<br />

des films et patienter. Et ce sont des réalisateurs dotés d’une patte artistique<br />

qui parviennent à sortir des films plutôt bons (Zack Snyder avec “Batman vs<br />

Superman” et Patty Jenkins avec “Wonder Woman”). Alors remercions James<br />

Wan d’avoir sauvé “Aquaman” (qui partait très mal en faisant ses débuts dans<br />

“Justice League”).<br />

Aquaman est un des meilleurs film du DCEU par la construction complexe<br />

d’un univers marin vaste et riche. Bien évidemment, on doit tout ça à James<br />

Wan qui a révolutionné le <strong>ciné</strong>ma horrifique moderne avant de s’attaquer à<br />

“Aquaman”. Il parvient à imposer son caractère et sa vision des choses, il met<br />

en avant un parti pris nanardesque étonnant qui déroute le spectateur qui<br />

n’attend vraiment pas ça (comme la scène d’ouverture du sous-marin). Il en<br />

ressort alors une certaine authenticité et une sincérité qui fait plaisir à voir.<br />

La narration frôle le conte de fée et nous nous situons entre le présent et les<br />

entraînements du passé (quel plaisir de revoir Willem Dafoe dans un film de<br />

super-héros).<br />

Le film n’est pas parfait et souffre de quelques fonds verts dérangeants et surtout<br />

incompréhensibles… Toute la conception visuelle marine est parfaite, mais<br />

pourquoi tourner les séquences sur Terre en fond vert (le ponton notamment)…<br />

Une combinaison entre le réel de la vie en dehors de l’eau et la créativité du<br />

monde aquatique aurait été parfaite (serait-ce une caractérisation du prochain<br />

“Avatar” ?). Certaines scènes souffrent également de longueurs, le récit est<br />

calqué sur “Black Panther” et la comparaison est possible puisqu’ils sont tous<br />

deux prétendants au trône.<br />

On ne peut souligner la photographie et la qualité artistique sans mettre en<br />

avant la mise en scène des combats. On a enfin des combats impressionnants<br />

et lisibles à la fois : ils ne sont pas sur-cutés. On ressent les coups. Jason<br />

Momoa agace par ses mouvements de cheveux qui frôlent le ridicule mais il<br />

parvient à nous conquérir en tant qu’Aquaman.<br />

Même si “Aquaman” est un film classique dans sa structure, tout est là pour<br />

en faire un divertissement bien plus que louable grâce à une mise en scène<br />

exemplaire de James Wan.<br />

Pravine


19/12<br />

Acteur marquant à travers ses seconds rôles dans “There<br />

Will Be Blood” (2007) de Paul Thomas Anderson,<br />

“Prisoners” (2013) de Denis Villeneuve ou bien “Okja”<br />

(2016) de Bong Joon-ho, Paul Dano est un acteur épatant<br />

par ses rôles éclectiques, s’adaptant à la comédie<br />

comme au drame. Son premier long-métrage en tant<br />

que réalisateur est remarqué à Sundance et marque<br />

l’ouverture de la Semaine de la critique à Cannes en<br />

2018. Il est adapté d’un roman de Richard Ford du nom<br />

d’”Une saison ardente”.<br />

Le traitement de l’adolescence au <strong>ciné</strong>ma n’est pas<br />

novateur et des réalisateurs comme Larry Clark (“Kids”,<br />

“Bully”, “Ken Park”...) brillent à travers ce point de<br />

vue, mais Paul Dano s’intéresse plutôt au passage forcé<br />

d’un temps à un autre, de l’adolescence à l’âge adulte<br />

en laissant de côté les crises, la rébellion, l’alcool, la<br />

drogue… Lorsque Jerry, le père de famille perd son travail,<br />

son égo le pousse à s’éloigner de sa famille. Pendant ce<br />

temps, Jeanette et son fils Joe sont livrés à eux-mêmes et<br />

à des changements majeurs.<br />

WILDLIFE<br />

“Wildlife” est un film intime du début à la fin, il y a<br />

cette impression d’enfermement avec les personnages<br />

qui vient des cadres rapprochés, nous faisons parti<br />

de la famille Brinson. Composée du père Jerry (Jake<br />

Gyllenhaal), la mère Jeanette (Carey Mulligan) et le fils<br />

Joe (Ed Oxenbould), cette famille est tout à fait normale<br />

et incarnerait presque l’Amérique des années 60. Ce<br />

déménagement dans le Montana en début de film<br />

permet de positionner le spectateur dans une position<br />

neutre : peu importe ce qu’ils faisaient avant, qui sont-ils<br />

aujourd’hui et que vont-ils faire ? Ce sont les questions<br />

que l’on se pose.<br />

Il s’agit alors pour le film de montrer des conflits<br />

intérieurs et extérieurs au couple en plein cœur puisque<br />

nous adoptons très rapidement le point de vue du fils<br />

de 14 ans. L’enchevêtrement de la vie de couple et<br />

l’adolescence sont traités simultanément de manière à<br />

nous faire comprendre la complexité de l’entre-deux :<br />

comment un adolescent de 14 ans peut-il réagir à des<br />

parents belligérants ? Le film adopte une position passive<br />

en ne nous indiquant pas clairement ce qu’il se passe,<br />

14


15<br />

il y a toujours un fond à chaque scène, des métaphores<br />

et des messages cachés. Tout peut basculer d’un coup<br />

dans un couple et c’est ce qu’il se passe lorsque les<br />

hommes qui éteignent les incendies ne reviennent pas<br />

: les femmes mariées deviennent veuves. De la même<br />

manière, lorsque Jerry s’en va à son tour dans le but de<br />

combattre le feu, on apprend deux choses :<br />

- Il s’en va donc il ne reviendra pas en étant la même<br />

personne.<br />

- Éteindre le feu reviendrait à se battre pour son couple,<br />

mais en revenant, la flamme du couple aura disparu, la<br />

flamme de sa femme est éteinte, l’amour n’est plus. C’est<br />

ce que représente la neige qui intervient à ce moment<br />

précis, on passe de la chaleur au froid, des couleurs<br />

chaudes aux couleurs froides.<br />

La frustration que l’on ressent lors du film est tumultueuse,<br />

on voudrait presque remplacer l’adolescent qui observe<br />

comme nous sans réagir et sans dire quoi que ce soit.<br />

C’est d’ailleurs cet aspect du film qui pourrait agir comme<br />

un répulsif et ennuyer le spectateur qui ne désire pas<br />

aller plus loin que voir des réconciliations rapides et des<br />

mots posés sur toutes les situations. Refuser de prendre<br />

parti indiquerait également la situation des enfants situés<br />

entre les parents, la non-intervention est ici privilégiée<br />

en grandissant personnellement dans son adolescence<br />

en trouvant un travail sans faire attention à la tension<br />

sexuelle qu’entretient sa mère avec Warren (Bill Camp).<br />

Malgré les années 60 et l’écart important avec<br />

aujourd’hui, le message écologique persiste et traverse<br />

les décennies en nous affirmant la beauté de la nature<br />

qui délimiterait presque le récit en tant que huit-clos.<br />

L’excellent Jake Gyllenhaal est ici mis au second plan<br />

en laissant jouer une Carey Mulligan divine, livrant<br />

une performance impressionnante et digne d’un Oscar.<br />

Les acteurs sont sublimés par l’écriture qui décide de<br />

ne pas plonger dans les séquences larmoyantes faciles<br />

et qui, nous le savons, pourraient nous détruire (Jake<br />

Gyllenhaal le faisait très bien dans “Stronger” de David<br />

Gordon Green).<br />

Pravine<br />

DE PAUL DANO. AVEC JAKE<br />

GYLLENHAAL, CAREY MULLIGAN,<br />

ED OXENBOULD… 1H44


16<br />

Sous le règne de Napoléon, François<br />

Vidocq, le seul homme à s’être échappé des<br />

plus grands bagnes du pays, est une légende<br />

des bas-fonds parisiens. Laissé pour mort<br />

après sa dernière évasion spectaculaire,<br />

l’ex-bagnard essaye de se faire oublier<br />

sous les traits d’un simple commerçant.<br />

Son passé le rattrape pourtant, et, après<br />

avoir été accusé d’un meurtre qu’il n’a pas<br />

commis, il propose un marché au chef de la<br />

sûreté : il rejoint la police pour combattre<br />

la pègre, en échange de sa liberté. Malgré<br />

des résultats exceptionnels, il provoque<br />

l’hostilité de ses confrères policiers et la<br />

fureur de la pègre qui a mis sa tête à prix...<br />

Depuis le début de sa carrière, Jean-<br />

François Richet s’est toujours intéressé<br />

aux désœuvrés, aux marginaux, donnant<br />

une voix à ceux qui n’en avaient pas. Le<br />

réalisateur s’est politisé au moment de<br />

sa découverte d’Eisenstein et la question<br />

sociale n’a jamais cessé d’irriguer son<br />

<strong>ciné</strong>ma. Son dyptique sur Mesrine était une<br />

façon de sonder une facette de l’histoire<br />

politique française à travers un des antihéros<br />

le plus connu de l’hexagone. Avec «<br />

L’empereur de Paris », Richet prolonge son<br />

exploration en mettant en scène Vidocq,<br />

une figure fascinante du Premier Empire<br />

dont la dernière incarnation au <strong>ciné</strong>ma<br />

était mémorable, mais pas forcément pour<br />

les meilleures raisons.<br />

La filiation entre Mesrine et Vidocq est<br />

évidente ou en tout cas difficilement niable.<br />

Déjà parce que les deux personnages sont<br />

incarnés par un Vincent Cassel impérial<br />

(sans mauvais jeu de mot). Mais aussi parce<br />

que ce sont deux prolétaires qui s’élèvent<br />

contre une société en disant ‘’nous ne<br />

ferons pas partie de votre monde’’. Mais là<br />

où Mesrine aime le chaos, Vidocq lui, aime<br />

l’ordre. Et si ce dernier a vécu dans les bas<br />

fonds, s’évadant 27 fois (!) du bagne, il n’a<br />

jamais fait partie de la voyoucratie. Dès le<br />

19/12<br />

L’EMPEREU<br />

premier plan, soigneusement mis en scène,<br />

Richet iconise son personnage, le montrant<br />

vulnérable physiquement mais d’une<br />

ténacité incroyable. Tous les autres bagnards<br />

savent qui est François Vidocq. Tous ont un<br />

jour eu vent de son histoire. Dans cette cale<br />

étouffante, on fait connaissance avec celui<br />

qui deviendra une légende vivante.<br />

Le film, tourné en pellicule, a une vraie patte.<br />

Les cadres sont léchés, la lumière sublime<br />

et les décors époustouflants. Les moyens<br />

ont été mis pour que la reconstitution de<br />

Paris pendant le Premier Empire soit des<br />

plus réalistes, et ça se voit. Richet réutilise<br />

des procédés de mise en scène qui lui sont<br />

chers comme l’utilisation des miroirs pour<br />

montrer la complexité des protagonistes. On<br />

pense au plan où l’on découvre La Baronne<br />

jouée par Olga Kurylenko, dont le reflet<br />

annonce la duplicité du personnage. Mais<br />

si la réalisation est inventive et immersive


R DE PARIS<br />

DE<br />

JEAN-FRANÇOIS RICHET. AVEC<br />

VINCENT CASSEL, FREYA MAVOR…<br />

1H50<br />

dans ce Paris des bas-fonds, le montage et le<br />

scénario posent problème. La formation de<br />

l’équipe de Vidocq avait quelque chose de<br />

réjouissant sur le papier mais l’accélération<br />

du récit lors des premières arrestations<br />

reste frustrante. On ne voit jamais les<br />

membres de ce gang utiliser leurs aptitudes<br />

caractéristiques, si bien qu’on ne comprend<br />

pas vraiment qui fait quoi. D’autant que<br />

le reste de l’équipe n’est mis en lumière<br />

individuellement qu’à la fin, quand ils<br />

se font décimer un par un. Vidocq est un<br />

personnage solitaire, perdu entre les malfrats<br />

et une haute société corrompue. Il est donc<br />

dommage de n’avoir pas plus d’interaction<br />

avec les autres personnages, ce qui aurait<br />

amplifier l’effet d’isolement à la perte de<br />

ses compagnons. Malgré tout, la scène où<br />

Vidocq entre dans la cellule avec tous les<br />

prisonniers, avec ce discours hargneux,<br />

restera le point d’orgue du film où l’on ressent<br />

toute la solitude et l’ambiguïté du héros. On<br />

notera l’écriture géniale du personnage de<br />

James Thiérée, en ancien soldat dépossédé<br />

de ses terres, dont l’optimisme désabusé<br />

frôle le romantisme. Car si le film est avant<br />

tout un film d’aventure, avec une séquence<br />

d’action finale réjouissante, Richet y insuffle<br />

une réflexion sous jacente, sur le Premier<br />

Empire et la faculté de cette époque à<br />

faire cohabiter entre eux des gens venant<br />

d’horizons politiques différents voir opposés.<br />

Loin d’être le grand film populaire et<br />

exigeant que l’on était en droit d’attendre,<br />

« L’empereur de Paris » reste une tentative<br />

plaisante de renouer avec le grand <strong>ciné</strong>ma<br />

français d’antan. Reste à savoir si ce genre<br />

de projet restera un coup de franc tireur ou<br />

s’il mettra le pied à l’étrier pour des films<br />

d’ampleurs en France. On croise les doigts.<br />

Mehdi Tessier<br />

17


18CRITIQ


19<br />

UES<br />

JANVIER


02<br />

UNE FEMME D’EXCEPTION<br />

20<br />

Le public français n’aura jamais autant<br />

entendu parlé de Ruth Bader Ginsburg<br />

que ces derniers mois. Alors qu’en octobre<br />

dernier le documentaire «RBG» réalisé par<br />

Betsy West retraçait la vie de celle qu’on<br />

surnomme aujourd’hui «Notorious RBG»,<br />

c’est début 2019 qu’est venu sur nos écrans<br />

«Une femme d’exception». Ce dernier se<br />

concentrant principalement sur les débuts<br />

compliqués de la jeune avocate alors qu’elle<br />

concilie vie professionnelle, vie de famille et<br />

un mari souffrant. Un biopic certes classique<br />

mais nécessaire en tant que figure féminine.<br />

Véritable figure de la culture popaméricaine,<br />

Ruth Bader Ginsburg fait partie<br />

des neuf juges à la Cour Suprême aka la<br />

plus haute juridiction américaine. À 85<br />

ans, cette avocate spécialiste des droits des<br />

femmes s’est fait connaître dans les années<br />

70 en défendant plusieurs affaires devant la<br />

Cour Suprême (elle a gagné la plupart des<br />

affaires qu’elle a défendu) tout en pointant<br />

constamment du doigt les discriminations<br />

qui touchent aussi bien les femmes que les<br />

hommes. S’en suit une carrière incroyable<br />

pour celle qui combat également la<br />

politique de Donald Trump et qui est l’une<br />

des dernières grandes figures du parti<br />

démocrate américain.<br />

Mais cette carrière commença de manière<br />

houleuse, bien même avant de devenir<br />

avocate comme le raconte «Une femme<br />

d’exception». Acceptée à la prestigieuse<br />

Harvard School of Law en 1956 parmi huit<br />

autres femmes - sur environ 500 hommes -,<br />

Ruth Bader Ginsburg (Felicity Jones juste au<br />

regard déterminé tout au long du film) doit<br />

d’ores et déjà se battre contre un monde -


21<br />

/01<br />

DE MIMI LEDER. AVEC FELICITY<br />

JONES, ARMIE HAMMER… 2H<br />

et une société - résolument masculin d’autant plus avec un<br />

doyen aux moeurs qui puent le patriarcat à dix kilomètres.<br />

Mère de famille mais aussi femme aimante et attentionnée -<br />

Ruth va suivre en plus de ses cours ceux de son mari Martin<br />

(Armie Hammer impliqué) à qui on vient de diagnostiquer un<br />

cancer -, cette avocate en devenir va devoir se battre dans une<br />

jungle masculine alors qu’elle prend en charge avec son mari<br />

une première affaire qui dessinait déjà les combats futurs de<br />

RBG : les discriminations basées sur le genre. Mais tout ceci<br />

n’est finalement que secondaire, même si on sort de là en<br />

ayant envie d’en voir encore plus, «Une femme d’exception»<br />

dessine surtout un portrait d’une femme érigée en modèle et<br />

qui semble avoir encore plus sa place aujourd’hui en 2019.<br />

Combat contre le sexisme, mener de front plusieurs vies<br />

et subir constamment une pression pour prouver qu’on est<br />

capable de faire aussi bien qu’un homme. Le combat de Ruth<br />

Bader Ginsburg dans les années 70 est - malheureusement -<br />

toujours le même aujourd’hui. Le syndrome de l’imposteur<br />

dont les plus malveillants sont capable de nous faire ressentir<br />

avec leurs «Tu n’y arriveras pas», «Laisse tomber», des phrases<br />

qu’entendaient déjà la jeune femme et qu’on n’hésite pas à<br />

nous rabâcher encore aujourd’hui. Et qu’aurait été cette femme<br />

d’exception sans son mari Martin ? Loin d’ériger de nouveau<br />

ce lien de cause à effet (Une femme a besoin d’un homme<br />

pour réussir), le film de Mimi Leder dessine avec subtilité un<br />

mari qui a su s’effacer pour laisser le devant de la scène à<br />

sa femme - alors qu’il était un avocat tout aussi brillant avec<br />

de véritables facilités d’élocution - tout en continuant de la<br />

soutenir car oui il est là le secret, arrêter ce combat perpétuel<br />

entre hommes et femmes, arrêter cette guerre d’égo que<br />

certains mâles peuvent avoir pour qu’ils comprennent enfin<br />

que la femme n’est pas là pour effacer l’homme mais qu’à<br />

deux ils peuvent s’entraider pour réussir. Tout est une question<br />

d’équilibre dans ce film, finalement ça l’est aussi dans la vie.<br />

Malgré un biopic classique en tout point - ce qu’on peut<br />

aisément lui reprocher -, «Une femme d’exception» dépasse<br />

largement le cadre du biopic pour offrir une figure à suivre,<br />

un message à faire passer à toutes les jeunes femmes car oui,<br />

nous sommes toutes des femmes d’exception.<br />

Margaux Maekelberg


22<br />

02/01<br />

PREMIÈRES VACANCES<br />

DE PATRICK CASSIR. AVEC<br />

CAMILLE CHAMOUX, JONATHAN<br />

COHEN… 1H42<br />

Ah les querelles amoureuses… Elles en<br />

inspirent bien des films, mais celles des<br />

vacances un peu moins. Faute d’idées<br />

? Peut-être. L’humoriste et comédienne<br />

Camille Chamoux s’est emparée de ce<br />

sujet pour co-écrire «Premières Vacances»<br />

avec son compagnon Patrick Cassir avec un<br />

postulat de départ assez simple : Marion et<br />

Ben décident sur un coup de tête de partir<br />

ensembles en vacances après un premier<br />

rendez-vous Tinder réussi, direction la<br />

Mongolie à mi-chemin de leurs destinations<br />

rêvées : Beyrouth pour Marion et Biarritz<br />

pour Ben. Un rendez-vous d’un soir c’est<br />

bien, supporter l’autre pendant plusieurs<br />

semaines s’en est une autre…<br />

Pour son premier film, Patrick Cassir -<br />

épaulé donc par Camille Chamoux - dépeint<br />

avec humour et justesse les vacances<br />

en amoureux. Mais au-delà des simples<br />

querelles qui rythment ces vacances qui<br />

vont s’avérer houleuses pour l’un comme<br />

pour l’autre, le film pose aussi les questions<br />

des fondements même du couple, celui<br />

de l’écoute et des concessions à faire<br />

pour le bonheur de chacun. Pour jouer<br />

son compagnon à l’écran, c’est un autre<br />

humoriste bien connu du grand public qu’on<br />

retrouve avec Jonathan Cohen. L’alchimie<br />

entre les deux personnages fonctionne<br />

à merveille et les vannes font mouche<br />

presque à chaque fois avec un regard plutôt<br />

bienveillant et littéralement deux modes de<br />

vie différents. En passant des cambrousses<br />

bulgares aux hôtels cinq étoiles, les nerfs<br />

de Ben et Marion sont mis à rude épreuve<br />

dans une comédie qui adopte finalement<br />

les codes de la rom-com traditionnelle dans<br />

un écrin assez rafraîchissant même si on<br />

regrette des seconds rôles finalement peu<br />

exploités.<br />

«Premières Vacances» reste une jolie<br />

comédie qui fonctionne dans son ensemble,<br />

imparfaite mais terriblement sincère avec<br />

une Camille Chamoux solaire et un Jonathan<br />

Cohen décidément incroyable et survolté<br />

comme à son habitude et rien que pour ça<br />

nous on dit oui.<br />

Margaux Maekelberg


02/01<br />

UN BEAU VOYOU<br />

DE PLUCAS BERNARD. AVEC<br />

CHARLES BERLING, SWANN<br />

ARLAUD… 1H44<br />

La comédie en France ça passe ou ça<br />

casse, et soyons réalistes, souvent ça casse.<br />

Pourtant il y a de ces comédies qui sortent<br />

absolument des sentiers battus autant dans<br />

leur scénario que dans leur audace visuelle<br />

et «Un beau voyou» fait définitivement<br />

partie de cette catégorie.<br />

À l’aube de sa retraite, le commissaire<br />

Beffrois reste sur sa faim jusqu’à ce qu’on<br />

vol de tableau attire son attention et le<br />

pousse à enquête sur ce qui s’avère un<br />

voleur de tableaux en série qui avait réussi<br />

à sévir jusque là sous les radars de la<br />

police. Visiblement audacieux, entraîné et<br />

littéralement invisible, le commissaire va<br />

redoubler de ruse pour arriver à mettre la<br />

main sur ce voleur. Le film débute sur une<br />

scène plutôt atypique : un jeune voleur<br />

s’introduit dans un appartement où rien<br />

ne semble de valeur, alors qu’il commet<br />

son méfait le propriétaire de l’appartement<br />

rentre chez lui et le surprend en lui disant<br />

qu’il est commissaire. Scène surréaliste :<br />

le commissaire lui demande de s’assoir et<br />

lui propose un jus de fruit. C’est ainsi que<br />

s’ouvre le film sur le personnage de Beffrois,<br />

un commissaire bientôt à la retraite dont le<br />

credo semble plus être le jemenfoutisme<br />

qu’autre chose à en juger ses chemises<br />

hawaïennes à tel point qu’il laisse le voleur<br />

repartir - après avoir récupéré ses effets<br />

personnels bien sûr -. Drôle de personnage<br />

qu’est ce commissaire et pourtant déjà si<br />

fascinant, encore plus lorsque s’entame la<br />

relation entre lui et Bertrand, petit escroquer<br />

immobilier à ses heures perdues et grand<br />

voleur d’oeuvres d’art une fois la nuit<br />

tombée.<br />

Un véritable jeu du chat et de la souris qui<br />

s’entame entre les deux pour nous offrir<br />

répliques juteuses mais également une<br />

course poursuite sur les toits de Paris aussi<br />

inédite qu’assez impressionnante. Nouveau<br />

visage du <strong>ciné</strong>ma français - après le succès<br />

de «Petit Paysan» -, Swann Arlaud prête<br />

ses traits innocents à cet élégant voleur<br />

tandis que Charles Berling nous offre une<br />

performance tout en humour et légèreté.<br />

«Un beau voyou» est une petite bulle fraiche<br />

et légère aussi audacieux que élégant.<br />

Margaux Maekelberg<br />

23


L’HEURE DE LA S<br />

24<br />

Lorsque Pierre Hoffman intègre le<br />

prestigieux collège de Saint Joseph il<br />

décèle, chez les 3e1, une hostilité diffuse et<br />

une violence sourde. Est-ce parce que leur<br />

professeur de français vient de se jeter par la<br />

fenêtre en plein cours ? Parce qu’ils sont une<br />

classe pilote d’enfants surdoués ? Parce qu’ils<br />

semblent terrifiés par la menace écologique<br />

et avoir perdu tout espoir en l’avenir ? De la<br />

curiosité à l’obsession, Pierre va tenter de<br />

percer leur secret...<br />

Le film de genre en France est souvent<br />

décrié. Si dans les années 200, les auteurs<br />

oeuvrant dans cet abîme obscur du <strong>ciné</strong>ma<br />

français offraient des expériences radicales,<br />

ceux des années 2010 ont bien compris<br />

qu’il fallait être plus malin que le système.<br />

On voit sortir depuis quelques années des<br />

œuvres s’apparentant à du genre dont les<br />

codes sont détournés. Et c’est exactement<br />

ce que fait Sébastien Marnier qui signe ici<br />

son deuxième long métrage.<br />

«L’heure de la sortie» est une adaptation<br />

du roman de Christophe Dufossé et aurait<br />

dû être le premier film du réalisateur. Ce<br />

dernier a préféré faire ses armes en réalisant<br />

le thriller «Irréprochable», offrant ainsi à<br />

Marina Foïs un rôle à contre-emploi. Trois<br />

ans après, il accouche d’un long métrage<br />

maîtrisé. Le <strong>ciné</strong>aste invoque tour à tour «Le<br />

village des damnés», «Rashomon» et même<br />

des éléments du manga «Monster» (quand<br />

les ados jouent à se faire peur et mal dans<br />

la carrière) pour créer l’univers si particulier<br />

de «L’heure de la sortie».<br />

On a du mal à définir le genre de ce film,<br />

et il est difficile de le mettre dans une case<br />

tant il flirte avec les récits paranoïaques et le<br />

fantastique. Exit les atmosphères brumeuses<br />

et les mystères nocturnes, le film prend place<br />

en pleine canicule et se passe souvent de<br />

jour. La mise en scène utilise brillamment<br />

les décors, en subvertissant des lieux banals<br />

pour les rendre de plus en plus effrayants.<br />

Comme cette centrale nucléaire, qui


09/01<br />

ORTIEDE SÉBASTIEN MARNIER. AVEC<br />

LAURENT LAFITTE, EMMANUELLE<br />

BERCOT, LUÀNA BAJRAMI… 1H43<br />

apparaît au détour de plans anodins pour<br />

devenir une véritable entité qui hantera tout<br />

le film.<br />

Car «L’heure de la sortie» est hanté par<br />

l’imminence d’un chaos. Et c’est à travers les<br />

yeux de Pierre Hoffman, joué par un Laurent<br />

Lafitte impeccable, qu’on découvre l’univers<br />

anxiogène et inquiétant de cette classe de<br />

surdoués. La paranoïa s’empare bientôt du<br />

professeur remplaçant, et la frontière entre<br />

réalité et fiction se brouille. La montée en<br />

tension est vertigineuse et le récit prend à la<br />

gorge dès les premières images sans lâcher<br />

le spectateur, le tout renforcé par une B.O.<br />

atmosphérique des plus réussies. Sous ce<br />

soleil de plomb, les pistes se brouillent, et<br />

l’école devient le théâtre d’un jeu pervers<br />

où les professeurs et les élèves revêtent<br />

tour à tour les masques de monstres et de<br />

bourreaux. Le seul bémol sera du côté des<br />

scènes d’actions assez confuses dans leurs<br />

découpages.<br />

Sébastien Marnier signe un film protéiforme,<br />

où l’épouvante est moderne, questionnant<br />

avec brio l’autorité, la notion d’excellence,<br />

de productivité et les inquiétudes<br />

environnementales. En donnant un rôle<br />

ambigu à ce groupe de jeunes, le réalisateur<br />

fait le choix de mettre en lumière une<br />

finitude annoncée d’un monde violent, en<br />

totale autodestruction, et montre ainsi des<br />

adultes en positions de pouvoir préférant<br />

ignorer le problème plutôt que le regarder<br />

en face.<br />

Mehdi Tessier<br />

25


Très pauvrement diffusé dans les salles<br />

françaises, « Bienvenue à Marwen » peine<br />

à trouver son public. Malgré un casting<br />

pourtant porté par Steve Carell et Robert<br />

Zemeckis derrière la caméra, le film ne<br />

semble pas attirer les foules. Et pourtant,<br />

malgré quelques défauts non négligeables,<br />

Zemeckis nous livre le portrait d’un homme<br />

brisé avec toute la bienveillance qu’on lui<br />

connait, réalisant un film important pour sa<br />

filmographie.<br />

09/01<br />

« Bienvenue à Marwen » raconte l’histoire<br />

vraie d’un homme ayant subi une agression<br />

et qui tente désespérément de continuer à<br />

vivre. Autrefois artiste dessinateur, Mark, le<br />

personnage interprété par Steve Carell, met<br />

son talent au service de poupées qu’il met en<br />

scène dans un village fictif de la campagne<br />

belge de la Seconde Guerre Mondiale :<br />

Marwen.<br />

Zemeckis semble attacher à cette histoire<br />

une appréciation toute particulière et<br />

réussi à se l’approprier en abordant les<br />

questions qui lui sont chères. La figure de<br />

l’artiste, la différence et au-delà de ça, l’art<br />

de (se) raconter des histoires. « Bienvenue<br />

à Marwen » est un magnifique film sur les<br />

fantasmes et les névroses d’un homme qui<br />

se rattache comme il peut à ce qu’il lui reste.<br />

Encore une fois, 30 ans après « Qui veut la<br />

peau de Roger Rabbit ? », Zemeckis réussit<br />

à utiliser toutes les ressources mise à sa<br />

disposition et à en extraire le meilleur. Ainsi<br />

les effets spéciaux sont utilisés sciemment<br />

et de sorte qu’ils ne semblent pas de trop.<br />

Certes cette balance entre deux mondes<br />

n’est pas sans défauts, mais malgré certaines<br />

facilités d’écritures et le fait que certains<br />

personnages s’avèrent jetés aux visages<br />

du spectateur, le film reste cependant une<br />

vraie œuvre bienveillante qui fait preuve<br />

d’audace et de sincérité.<br />

BIENVEN<br />

26<br />

Baptiste Andre


27<br />

UE À MARWENDE ROBERT ZEMECKIS. AVEC<br />

STEVE CARELL, LESLIE MANN, EIZA<br />

GONZALEZ… 1H56


28<br />

L’avis de c


aptain jim<br />

29


09/01<br />

FORGIVEN<br />

DE ROLAND JOFFÉ. AVEC FOREST<br />

WHITAKER, ERIC BANA, JEFF GUM…<br />

1H55<br />

Nous sommes en 1994, l’Apartheid prend fin. Nelson Mandela nomme alors L’archevêque<br />

Desmond Tutu en tant que président de la commission Vérité et réconciliation : aveux contre<br />

rédemption. Souvent confronté à d’anciens tortionnaires, Desmond Tutu va rencontre<br />

Piet Blomfield, un des pires assassins condamné à perpétuité. Un véritable bras de fer<br />

psychologique s’engage alors entre les deux hommes.<br />

Adaptation de la pièce de théâtre «L’Archevêque et l’Antéchrist» (un titre qui en dit déjà<br />

long sur l’histoire dépeinte) de Michael Aston, «Forgiven» peine un peu à convaincre sur sa<br />

forme avec quelques longueurs - même si elle fait partie du processus et qu’elle accentue<br />

cette lente montée en violence - et sur une photographie quasi inexistante donnant parfois<br />

l’aspect d’un faux documentaire et une caméra maladroite. Cependant le fond se tient<br />

notamment grâce à un casting impliqué et impeccable que ce soit Forrest Whitaker, Eric<br />

Bana absolument impérial dans ce rôle d’assassin au coeur froid et à la morale douteuse<br />

de prime abord et surtout Thandi Makhubele qui joue le rôle de la mère d’une jeune fille<br />

tuée qui représente à elle seule tout l’esprit du film : le pardon est plus fort que la haine,<br />

plus difficile certes mais toujours plus salvateur. Une idée qui se dessinera dans l’une des<br />

dernières scènes absolument bouleversante et d’une justesse incroyable. Mais tout au long<br />

du film, c’est avant tout un duel psychologique qui se tient entre Desmond Tutu et Piet<br />

Blomfield, deux convictions diamétralement différentes au début du film pour finalement<br />

se rejoindre à la fin.<br />

30<br />

Loin d’être la grosse claque qu’aurait pu nous offrir le film, «Forgiven» reste cependant une<br />

belle leçon de pardon et un très beau message d’espoir qui subsiste encore aujourd’hui<br />

plus que jamais.<br />

Margaux Maekelberg


31<br />

09/01<br />

LES INVISIBLES<br />

DE<br />

LOUIS-JULIEN PETIT. AVEC<br />

AUDREY LAMY, CORINNE MASIERO,<br />

NOÉMIE LVOVSKY… 1H42<br />

Après avoir abordé les méandres de la grande distribution dans «Discount» et les souffrances<br />

au travail dans «Carole Matthieu», Louis-Julien Petit continue dans ses chroniques sociales<br />

avec «Les Invisibles» qui dépeint le quotidien de L’Envol, un centre d’accueil pour les<br />

femmes SDF qui est sur le point de fermer suite à une décision municipale. Pour aider ces<br />

femmes en détresse, les travailleuses sociales de ce centre vont tout faire pour leur trouver<br />

un travail quitte à utiliser quelques feintes…<br />

Adapté du livre «Sur la route des Invisibles» de Claire Lajeunie (elle a également réalisé<br />

un documentaire «Femmes invisibles, survivre dans la rue» en 2014 pour France 5), le<br />

réalisateur Louis-Julien Petit a décidé de se tourner vers la fiction sociale beaucoup plus<br />

tournée vers l’humour - le documentaire ayant déjà pris le parti de la chronique sociale<br />

sérieuse - et le résultat nous offre un film qui transpire l’authenticité et pour cause, toutes<br />

les femmes SDF présentes dans le film - exceptées Sarah Suco et Marie-Christine Orry -<br />

sont des non-professionnelles qui ont toutes vécues l’expérience de la rue et qui s’en sont<br />

sorties aujourd’hui ou qui sont en centre d’accueil. De quoi nous offrir de beaux moments<br />

authentiques, drôles et touchants.<br />

Loin de tomber dans le misérabilisme et le pathos qu’un tel sujet pourrait apporter, «Les<br />

invisibles» se veut avant tout un film plein d’espoir qui réussit à nous faire pleurer autant<br />

de joie que de tristesse, le tout porté par un casting fabuleux que ce soit les femmes SDF<br />

plus rayonnantes les unes que les autres qu’Audrey Lamy qui tient là un de ses plus beaux<br />

rôles.<br />

Margaux Maekelberg


32<br />

09/01<br />

CREED 2<br />

DE<br />

STEVEN CAPLE JR.. AVEC MICHAEL B.<br />

JORDAN, SYLVESTER STALLONE, TESSA<br />

THOMPSON… 2H10


33<br />

Le nouveau «Creed 2», en parti co-écrit par Sylvester Stallone, est une suite<br />

qui bien qu’elle n’égale pas la maîtrise du premier opus n’est pas moins riche<br />

en émotions.<br />

«Creed 2» est un drame construit comme une tragédie grecque ou<br />

shakespearienne : deux fils doivent s’affronter, de deux père rivaux (dont l’un<br />

est le meurtrier de l’autre) et de deux pays ennemis. Tous les ingrédients sont<br />

réunis pour offrir au spectateur 2h10 d’entertainment. Adonis se voit défier<br />

son titre par Viktor Drago, fils d’Ivan Drago (tueur d’Appolo Creed dans Rocky<br />

IV). L’importance de ce combat est primordiale pour chaque parti. D’un côté<br />

il est pour Adonis un moyen de venger ce père qu’il n’a pas pu connaître.<br />

D’un autre, pour Viktor (et par extension son père) ce combat représente la<br />

possibilité de retrouver leur honneur, leur dignité perdue.<br />

En comparaison avec le premier «Creed», «Creed 2» s’oriente plus du côté<br />

des émotions que du côté de l’invention scénaristique. Au fond, «Creed 2»<br />

c’est un peu «Rocky IV» avec quelques changements mineurs. Car ce qui<br />

importe au film est avant tout d’aborder les thématiques de l’héritage et de la<br />

filiation. Au fond que garde-t-on de nos parents ? Hérite-t-on de leurs propres<br />

échecs ? Viktor Drago a pris sur lui le rôle de venger son père, il souffre avec<br />

lui ses blessures passées. Il a tout hérité de lui : sa rage, sa peur, sa honte. En<br />

quelques sortes la relation père/fils des Drago est à mettre en parallèle avec<br />

celle du personnage de Rocky. Sans qu’il s’en rende compte, dans la quête de<br />

victoires, Rocky s’est peu à peu éloigné de son fils et la mort d’Adrienne aura<br />

mis un terme à leur relation. C’est un peu le dilemme auquel fait face Adonis<br />

qui vient de devenir père : que va-t-il léguer à sa fille ? Sera-t-il à la hauteur ?<br />

Adonis est effrayé à l’idée d’échouer. C’est cette fragilité du héros (comme du<br />

vilain) qui hante le film. Ici, chaque personnage n’est jamais complètement<br />

le plus fort. On assiste à la déconstruction complète du héros (Adonis) et à sa<br />

« résurrection » (thème classique des Rocky) qui donne lieu à une magnifique<br />

séquence d’entrainement dans le désert américain. Les combats sont filmés<br />

avec une énergie euphorisante qui nous entraîne et nous pousse parfois à nous<br />

cramponner à nos sièges. Quelques « point-of-view shot » lors des combats<br />

d’ailleurs nous rappellent ceux qu’utilisa Scorcese pour «Ragging Bull». Toute<br />

la force de «Creed 2» se trouve là : dans cette émotion débordante qui nous<br />

fait passer des larmes aux cris de joies d’une scène à l’autre et qui renoue<br />

de ce fait avec ce produit familial et populaire qu’avait su créer les anciens<br />

Rocky.<br />

Sebastien Nourian


COLETTE<br />

34<br />

Le grand Baudelaire écrit « donne-moi<br />

ta boue et j’en ferai de l’or ». «Colette»<br />

c’est le processus inverse : donne-moi ton<br />

or et j’en ferai de la boue. Au sortir de la<br />

séance, il nous semble avoir assisté à ce qui<br />

s’apparente chez les peuples primitifs à un<br />

sacrifice, dont nous réalisons rapidement<br />

avoir été nous-mêmes (les spectateurs) les<br />

bêtes destinées à passer sous la lame du<br />

couteau aiguisée.<br />

Pour ce film, le choix de Westmoreland<br />

(réalisateur de «Still Alice») est de se<br />

concentrer sur les premières années de<br />

Colette, lorsqu’elle n’était encore qu’une<br />

jeune provinciale naïve ayant épousé un<br />

homme d’affaire parisien et s’installant avec<br />

lui dans la capitale. Colette écrit et son mari<br />

publie ses romans sous son nom à lui car<br />

à l’époque ‘’les femmes ça ne vend pas’’.<br />

Colette continuera à écrire pour lui tout le<br />

long du film jusqu’à une énième dispute<br />

qui conduira à leur séparation définitive<br />

juste avant que les lumières de la salle ne se<br />

rallument.<br />

Au-delà de sa mise en scène classique, qui<br />

peine à nous offrir des images ‘’digérables’’<br />

c’est avant tout sur le fond que Colette<br />

pêche. Le film est dépourvu d’axe narratif. Il<br />

n’y a aucun questionnement et donc aucune<br />

réponse. Colette passera 1h45 du film à se<br />

soumettre, docilement, pour se révolter lors<br />

des cinq dernières minutes et nous délivrer<br />

un monologue d’une platitude et d’une<br />

vacuité abyssale… C’est une Colette avec<br />

laquelle on ne sympathise pas car rien dans<br />

le film n’est fait pour nous faire comprendre à


16/01<br />

DE WASH WESTMORELAND. AVEC KEIRA<br />

KNIGHTLEY, DOMINIC WEST, ELEANOR<br />

TOMLINSON… 1H52<br />

quel point cette femme était<br />

extraordinaire et à quel point<br />

elle a marqué de sa patte<br />

toute la première moitié du<br />

20ème siècle. Peut-être que<br />

les scénaristes auraient pu<br />

se demander ce qui rendait<br />

Colette si exceptionnel, ce<br />

qui en faisait une femme<br />

si puissante… mais pas du<br />

tout ! Le film ne traite en<br />

rien son génie. Il tente par<br />

moment de combler son<br />

vide par l’insertion inutile<br />

de scènes lesbiennes,<br />

instrumentalisant ainsi ses<br />

orientations sexuelles à<br />

des fins narratives. ‘’Oh<br />

regardez, Colette embrasse<br />

une femme !’’, ‘’Oh regardez, Colette s’est coupée les<br />

cheveux’’, ‘’Oh regardez Colette porte un pantalon’’. Bien<br />

que toutes ces choses aient contribué à faire d’elle une<br />

femme avant-gardiste et symbole d’un féminisme naissant,<br />

il serait malheureux de réduire Colette et ce qu’elle<br />

représentait à cela (ce que fait le film !). Non ! Colette c’est<br />

de la littérature, de la littérature avant toute chose et le film<br />

ne l’aborde pas. Il n’est jamais question de ce qui fait la<br />

particularité de sa prose, ni même entendons-nous jamais<br />

des passages être récités de ses romans (tout le monde<br />

parle anglais…). Un axe littéraire plus prononcé aurait<br />

permis de célébrer la femme qu’était Colette. Assurément<br />

un tel axe, centré sur l’œuvre de Colette se serait avérer<br />

une approche beaucoup plus digne du féminisme. Car oui,<br />

dire qu’une femme est féministe parce qu’elle s’adonne à<br />

l’amour libre, ou bien car elle porte les cheveux courts,<br />

désavoue la portée du mouvement. C’est davantage en<br />

montrant comment Colette a su s’ériger comme un talent<br />

incomparable dans un monde littéraire majoritairement<br />

masculin, que le film aurait pu servir au discours d’un<br />

mouvement auquel il a voulu contribuer.<br />

Un autre aspect irritant du film (surtout pour un Français)<br />

c’est qu’il n’est jamais question du monde qui entoure<br />

l’écrivaine. Toute la trame narrative du film évolue dans<br />

le Paris de la Belle Époque et jamais il n’est question de<br />

cela. On ne voit rien des fêtes, du faste, des avancées<br />

culturelles qui ont sûrement influencé Colette dans son<br />

travail. Colette se déplace dans un Paris insipide et sans<br />

vie. La talentueuse Keira Knightley aura beau tenter de<br />

sauver le film, en délivrant une performance juste, elle est<br />

néanmoins desservie par la médiocrité des dialogues. A<br />

rappeler que lors des scènes de disputes conjugales Keira<br />

Knightley ne fait que répéter ‘’you fucking bastard’’ (on a<br />

connu mieux).<br />

Il y aurait tellement à dire sur ce film mais il vaut mieux<br />

s’arrêter ici. Simplement : «Colette» est un mauvais film<br />

qui ne rend hommage à personne et affadis même l’image<br />

qu’on aurait pu avoir de l’écrivaine. Il serait peut-être bon<br />

qu’Hollywood massacre ses propres idoles et laisse les<br />

nôtres en paix !<br />

PS : Si l’ennui possédait le réel pouvoir de tuer, cette<br />

critique n’aurait jamais vu le jour (et moi non plus).<br />

Sebastien Nourian<br />

35


36<br />

A trois semaines d’intervalle sortent<br />

deux films qui sont - drôle de<br />

coïncidence - assez ressemblants.<br />

«My beautiful boy» qui sort le 6<br />

février traite d’une histoire vraie,<br />

celle d’un père qui va se battre<br />

pendant des années pour sauver son<br />

fils de l’addiction. D’un autre côté<br />

nous avons une mère qui, pendant<br />

une nuit entière, va tout tenter pour<br />

retrouver son fils qui retombe à son<br />

tour dans l’addiction. Deux histoires<br />

similaires sauf que l’une fonctionne<br />

et pas forcément l’autre.<br />

C’est la veille de Noël, Holly revient<br />

des répétitions à l’Eglise avec ses<br />

trois enfants Lacey et Liam issus<br />

de sa dernière union avec Neal et<br />

sa grande fille Ivy. Sur le perron<br />

de leur maison se trouve Ben. Son<br />

aîné, encore en centre de désintox<br />

jusqu’à ce jour. Cette fois Holly est<br />

persuadée, Ben va mieux, ça se voit<br />

même - ce qui ne l’empêche pas de<br />

cacher tous les médicaments et les<br />

bijoux de valeur -, Ivy en est moins<br />

sûre, encore moins Neal. Pourtant<br />

ils leur font tous confiance, 24h<br />

ensemble puis il repart en centre. Sauf<br />

que rien ne se passe comme prévu<br />

lorsque le soir ils se font cambriolés<br />

et que leur chien a disparu. Ben le<br />

sait, tout est de sa faute. Il décide<br />

alors de partir retrouver son chien et<br />

se frotter forcément aux mauvaises<br />

personnes. Holly, mère aimante et<br />

protectrice décide alors de partir à<br />

sa recherche. Une nuit entière où<br />

les nerfs de toute la famille vont être<br />

mis à rude épreuve.<br />

Au vu de la bande-annonce ce qu’on<br />

craignait le plus c’était le pathos. il<br />

faut dire que 1m34 où on voit Julia<br />

Roberts s’exclamer d’un naturel<br />

tout… sauf naturel puis pleurer<br />

toutes les larmes de son corps alors<br />

qu’elle hurle à un policier qu’elle<br />

veut retrouver son fils et bah c’est<br />

franchement pas rassurant.<br />

Et bien quand on sort de là on est<br />

rassuré parce que du pathos il n’y en<br />

a pas. En fait, incroyable mais vrai, il<br />

est bien là le problème. Zéro pathos<br />

mais également zéro empathie et<br />

zéro sentiments ne se dégagent<br />

de ce film. Axer le tout sur une<br />

seule nuit empêche toute histoire<br />

personnelle de se développer<br />

malgré un Lucas Hedges qui fait du<br />

mieux qu’il peut - et qui s’en sort<br />

pas trop mal même si la caméra le<br />

bouffe du regard comme c’est pas<br />

permis (merci papa réalisateur) - à<br />

côté d’une Julie Robert qui en fait<br />

trop. D’un classicisme absolu et<br />

attendu de bout en bout, «Ben is<br />

back» a du mal à faire pleurer dans<br />

les chaumières même s’il avait tout<br />

pour s’inscrire dans la fameuse liste<br />

du «Film à Oscar» (étape qu’il n’a -<br />

heureusement - pas atteint» et qui<br />

confirme surtout une filmographie<br />

qui file en demie-teinte pour Julia<br />

Roberts et un Peter Hedges qui a<br />

encore bien du mal à nous offrir des<br />

films de qualité.<br />

«Ben is back» est un film qui ne<br />

fait qu’effleurer tous ses sujets et<br />

se contente de se reposer sur les<br />

épaules de Julia Roberts, mèrecourage<br />

et caution tire-larmes des<br />

plus sentimentaux.<br />

Margaux Maekelberg<br />

BE


37<br />

16/01<br />

N IS BACK<br />

DE<br />

PETER HEDGES. AVEC JULIA ROBERTS,<br />

LUCAS HEDGES, COURTNEY B. VANCE…<br />

1H42


38<br />

Adapté du roman éponyme de Angie Thomas, «The Hate u Give» raconte le<br />

combat d’une jeune afro-américaine contre les violences policières faites aux<br />

noirs. Starr a une double vie partagée entre une éducation blanche dans un lycée<br />

élitiste et une éducation noire dans un quartier violent. Une histoire poignante<br />

réalisée par George Tillman Jr, l’homme derrière «Faster», «Notorious BIG» ou<br />

encore quelques épisodes de la série Marvel’s «Luke Cage». Porté par Amandla<br />

Stenberg, Anthony Mckie et le rappeur Common, le long métrage est une œuvre<br />

poignante et réussie dans le quotidien d’une adolescente.<br />

Après un début pop enlevé, qui permet d’instaurer un rythme endiablé grâce<br />

à une bande originale rap et hip hop, le sujet du film revient rapidement au<br />

galop. Lorsque le meurtre de Khalil survient, le long métrage change d’univers<br />

et tombe dans un film politique, qui met en avant les incessantes violences et<br />

bavures policières. Amanda Stenberg («Darkest Minds») crève l’écran dans un<br />

rôle sur-mesure tandis que le reste du casting permet enfin un véritable film afroaméricain<br />

par les membres de leur communauté et pour les membres de leur<br />

communauté. Pas d’hypocrisie cette fois, les noirs sont au centre de leur film et<br />

mettent en avant leur condition dans une Amérique encore profondément raciste.<br />

Mais «The Hate u Give» n’est pas un biopic classique sur la situation des noirs<br />

aux Etats-Unis. Il y a eu déjà de nombreux films sur le sujet, le dernier en date<br />

étant le superbe «Detroit». George Tillman Jr préfère aborder son film avec<br />

d’avantage de légèreté. Très rythmé, malgré ses 2h12, THUG n’ennuie jamais,<br />

grâce à une approche très moderne de cette condition. Ici pas de pathos, pas de<br />

situations larmoyantes, il s’agit d’un combat, ferme et audacieux. Les personnages<br />

ne s’apitoient pas sur leurs sorts mais préfèrent combattre, se relever et se faire<br />

entendre. A l’image de l’éducation du père de Starr, autoritaire, mais également<br />

utopique, intelligente et méliorative.<br />

L’émotion fonctionne à la perfection. Le spectateur passe des rires aux larmes, de<br />

l’effroi à l’espoir, de la crédulité au respect. Bien évidemment, les manifestations,<br />

mêmes si elles ne reposent pas sur le même sujet, font forcément échos à notre<br />

situation actuelle. Un peuple soulevée contre les injustices répétitives d’un<br />

gouvernement. La communauté afro-américaine ne supporte plus sa condition,<br />

ne supporte plus les injustices répétitives à leur encontre, ne supporte plus toute<br />

cette violence. «The Hate u Give» est là pour le rappeler, et pour l’exprimer de la<br />

plus belle des manières.<br />

Finalement «The Hate u Give» est une adaptation puissante et prenante qui met en<br />

avant la communauté noire américaine. L’actrice principale est rayonnante tandis<br />

que les circonstances, bien que souvent classiques, sont portées par un véritable<br />

souffle émotionnel fort. Le long métrage est rayonnant, à double tranchant, à la<br />

fois informatif mais également très émotionnellement parlant.<br />

Aubin Bouillé


39<br />

23/01<br />

THE HATE U GIVE<br />

DE GEORGE TILLMAN JR.. AVEC AMANDLA<br />

STENBERG, REGINA HALL, RUSSELL<br />

HORNSBY… 2H13


23/01<br />

GREEN BOOK<br />

40<br />

Peter Farrelly est normalement réputé<br />

pour les comédies. C’est l’homme derrière<br />

les excellents «Mary à tout Prix» et «Fous<br />

d’Irène», ou les bourrins «Dumb & Dumber»<br />

et «My Movie Project». Bref pas le <strong>ciné</strong>aste<br />

le plus subtil d’Hollywood. La surprise fut<br />

donc importante lorsque «Green Book» a<br />

été annoncé. Un road-movie sensible porté<br />

par Viggo Mortensen et Mahershala Ali,<br />

franchement on y croyait pas... Et pourtant<br />

Green Book : sur les routes du sud est une<br />

réussite totale.<br />

Certains l’ont comparé à «Miss Daisy et<br />

son chauffeur», une sympathique comédie<br />

dramatique avec Morgan Freeman.<br />

C’est vrai que certaines ressemblances<br />

sont inévitables. Bien évidemment la<br />

confrontation des origines, mais aussi de la<br />

classe sociale, fait échos à ce film de 1989.<br />

Morgan Freeman était le chauffeur d’une<br />

riche aristocrate blanche. Dans «Green<br />

Book», Viggo Mortensen interprète un<br />

émigré italien à la classe sociale modeste,<br />

opposé à un riche et talentueux pianiste afroaméricain<br />

interprété par Mahershala Ali.<br />

Forcément les différences vont se confronter,<br />

et les inhibitions vont devoir tomber.<br />

L’écriture des personnages est très précise<br />

et touchante. Peter Farrelly dresse deux<br />

portraits puissants d’homme très différents.<br />

Tony Lip (Viggo Mortensen) est un bon<br />

vivant, à la culture générale relativement<br />

faible, mais aux principes constitutifs de<br />

sa propre façon de penser. Don Shirley<br />

(Mahershala Ali) est un pianiste issu de la<br />

haute sphère, légèrement hautin, à la culture<br />

très intellectualisée. Bien évidemment ils<br />

vont se confronter, se jauger, se juger et<br />

se supporter. Mais les personnages vont<br />

évoluer dans une appréciation mutuelle. Ils<br />

vont s’inspirer réciproquement, apprendre<br />

chacun de l’univers de l’autre. Tony Lip,<br />

d’abord raciste, va s’éprendre d’amitié avec<br />

le pianiste. En plus de faire le chauffeur il


prendra officiellement fin en 1964. Don<br />

Shirley, pianiste de renom, décide de sortir<br />

de son cercle de tranquillité pour se lancer<br />

sur les routes du sud, dans les états où le<br />

racisme atteint son paroxysme. Tony Lip<br />

va devoir le protéger contre les violences<br />

physiques. Peter Farrelly met en corrélation<br />

les situation des deux personnages. Tony<br />

Lip va réellement découvrir le racisme et se<br />

rendre compte que la condition prestigieuse<br />

de Don Shirley ne le protège en aucun cas<br />

contre la discrimination.<br />

DE PETER FARRELLY. AVEC VIGGO<br />

MORTENSEN, MAHERSHALA ALI, LINDA<br />

CARDELLINI… 2H10<br />

va devoir faire le garde du corps. Si cette<br />

approche paraît peut-être un peu classique,<br />

l’exécution est parfaitement maîtrisée. Les<br />

personnages sont très empathiques, et leurs<br />

tribulations passionnantes. Il y a un véritable<br />

contraste entre les deux protagonistes. Surtout<br />

grâce à Viggo Mortensen qui interprète à<br />

la perfection Tony Lip : un homme un peu<br />

bourru mais qui parvient encore à trouver<br />

l’émerveillement d’un enfant. Un homme<br />

dont la culture musicale va le pénétrer, tout<br />

comme la volonté de s’ouvrir au monde.<br />

Quant à Mahershala Ali, il n’a pas volé son<br />

Golden Globes du meilleur acteur dans un<br />

second rôle.<br />

Peter Farrelly évite tout pathos pour signer un<br />

drame social des plus réussis. Les dialogues<br />

sont toujours très relevés, ce qui permet<br />

d’éviter les facilités du genre. De même que<br />

les situations qui montrent constamment une<br />

vision précise de la situation sociale actuelle.<br />

Le film se déroule en 1962, la ségrégation<br />

En plus d’être une puissante représentation<br />

de ce qu’était la ségrégation, c’est aussi une<br />

manière de représenter la manière dont les<br />

êtres humains se comportent les uns avec<br />

les autres, comment les préjugés peuvent<br />

tomber facilement face à une réalité tout<br />

autre. «Green Book» est un film intelligent<br />

doublé d’un road movie à travers les Etats-<br />

Unis. La mise en scène de Peter Farrelly<br />

est parfaitement maîtrisée, portée par une<br />

photographie des plus plaisantes. Le long<br />

métrage finit sur une belle touche d’espoir,<br />

inspirée de la véritable histoire de ce duo<br />

hors du commun.<br />

«Green Book : sur les routes du sud» est<br />

une réussite totale, inspiré des véritables<br />

histoires de Tony Lip et Don Shirley. Une<br />

amitié qui a par la suite perduré à travers<br />

le temps et les préjugés. Peter Farrelly<br />

démontre quant à lui qu’il sait faire autre<br />

chose que des comédies,et on l’encourage<br />

à continuer dans cette voie.<br />

Aubin Bouillé<br />

41


42<br />

23/01<br />

LES FAUVES<br />

DE VINCENT MARIETTE. AVEC LILY-ROSE<br />

DEPP, LAURENT LAFITTE, CAMILLE<br />

COTTIN… 1H23<br />

Un été en Dordogne, la rumeur court qu’une panthère rôderait autour du camping dans<br />

lequel séjourne Laura et sa cousine Anne. Une rumeur persistante qui effraie la plupart des<br />

vacanciers mais pas Laura qui développe même une curiosité envers cette histoire. Une<br />

curiosité qui s’exacerbe encore plus lorsqu’un garçon avec qui elle a flirté vient à disparaître<br />

et qu’elle devient la suspecte numéro une d’une policière bien décidée à trouver la vérité.<br />

Pendant ce temps, la jeune fille est étrangement attirée par Paul, un vacancier qui s’avère<br />

être un écrivain de polars et qui semble avoir un étroit lien avec toute cette histoire.<br />

Le genre français a le vent en poupe dont Laurent Lafitte semble être le capitaine en ce début<br />

d’année après «L’Heure de la sortie» dans lequel il est traqué, cette fois il prend la place du<br />

traqueur dans «Les Fauves» ou le récit initiatique d’une jeune fille, Laura, qui semble bien<br />

plus intéressée par cette menace invisible que par les vacances et les premiers amours de<br />

jeunesse. Devenue élève de Paul, elle va construire avec lui une relation ambigüe autant<br />

pour eux que pour nous. Cependant la sauce ne prend jamais dans ce film qui se perd dans<br />

un fantastique de surface et malheureusement pas forcément aidé que ce soit le scénario<br />

qui perd très vite en intensité que par un casting qui a du mal à nous faire ressentir quoique<br />

ce soit entre un Laurent Lafitte qui ne semble pas à sa place et une Lily-Rose Depp aussi<br />

inexpressive que le chat de mon voisin - quoique lui est même plus expressif c’est pour<br />

dire -.<br />

Essayant vainement d’instaurer un tant soit peu de thriller dans ce film, Vincent Mariette<br />

réussit juste à nous assumer à coup de scénario long et de dialogues creux.<br />

Margaux Maekelberg


23/01<br />

L’ORDRE DES MÉDECINS<br />

DE DAVID ROUX. AVEC JÉRÉMIE RENIER,<br />

MARTHE KELLER, ZITA HANROT… 1H33<br />

Première réalisation pour David Roux qui s’attaque à un sujet douloureux : la perte d’un<br />

proche. Un exercice mis en plus en exergue lorsque la perte de ce proche touche un<br />

médecin, lui-même confronté à la mort tous les jours. Simon a 37 ans et est un médecin<br />

aguerri dans son service de pneumologie. La mort il connaît, il sait comment la gérer, il<br />

apprend aux autres à savoir la gérer le deuil mais que se passe-t-il lorsqu’il doit lui même<br />

faire face au décès imminent de sa mère ? C’est là qu’est toute la question.<br />

Jérémie Renier tient à lui tout seul le film. Tantôt médecin téméraire intelligent et parfois<br />

même brusque avec les jeunes externes, tantôt ‘’fils de’’ qui ne conçoit pas que sa mère<br />

puisse mourir, usant ainsi de sa position pour obtenir une ou deux faveurs. Sa mère s’y<br />

est faite elle à l’idée de mourir, pas Simon qui doit en plus de ça gérer son père au bord<br />

de la dépression et sa soeur sur le point de divorcer. Chronique amère d’un homme qui<br />

se retrouve pour la première fois de l’autre côté de la barrière, «L’Ordre des médecins»<br />

dessine avec beaucoup de pudeur et parfois presque un côté documentaire ce quotidien, les<br />

questionnements et les épreuves que doivent parfois subir ces médecins car on a peut-être<br />

tendance à l’oublier mais eux aussi sont humains, en témoigne la dernière scène poignante<br />

mettant un point final d’une beauté incroyable à ce film. On regrettera cependant la galerie<br />

de personnages tout autour qui sont assez peu exploités et qui ne sont finalement là que<br />

pour entourer et mettre encore plus en avant le personnage principal.<br />

Il n’empêche que pour un premier film, David Roux semble avoir capté à perfection le<br />

coeur de son sujet dans un film imparfait mais porté par un Jérémie Renier impliqué, une<br />

jolie photo et une humanité déconcertante.<br />

Margaux Maekelberg<br />

43


30/01<br />

MINUSCULE<br />

Quelle aventure qu’est «Minuscule». Après une série<br />

télévisée et un premier film «Minuscule : La vallée des<br />

fourmis perdues» qui s’est vu obtenir le César du meilleur<br />

film d’animation (mérité), le duo Thomas Szabo et Hélène<br />

Giraud revienne pour un nouveau tour avec «Minuscule 2 :<br />

Les mandibules du bout du monde». On reprend les mêmes<br />

personnages et on recommence… enfin pas tout à fait quand<br />

même. Car nos personnages ont quand même bien grandis.<br />

44<br />

Notre chère coccinelle a désormais une famille à charge et<br />

lorsque son amie la fourmi l’appelle à l’aide elle fonce tête<br />

baissée sans se rendre compte que son enfant l’a accompagné<br />

par curiosité. Après une bataille terrible entre fourmis rouges<br />

et fourmis noires, la coccinelle enfant se retrouve coincée dans<br />

un carton en direction de la Guadeloupe. Pas d’autres choix,<br />

toute l’équipe doit partir en Guadeloupe pour la sauver. Et<br />

qui dit Guadeloupe dit forcément nouveaux horizons et donc<br />

nouveaux animaux. En incluant cette fois-ci les humains,<br />

«Minuscule 2» prend du galon et ose de nouvelles choses pour<br />

notre plus grand plaisir. Beaucoup plus abouti visuellement,


45<br />

2<br />

DE THOMAS SZABO, HÉLÈNE GIRAUD.<br />

AVEC THIERRY FRÉMONT, BRUNO<br />

SALOMONE, STÉPHANE COULON… 1H32<br />

de nouveaux insecte font l’apparition donnant ainsi lieu à<br />

de nouveaux gags toujours aussi exquis comme la course<br />

poursuite entre coccinelle et mante religieuse. Mais derrière<br />

cet enjeu se principal se dessine d’autres sous-intrigues tout<br />

aussi douces et drôles que ce soit la fourmi et l’araignée toutes<br />

deux à bord d’un navire pour aller sauver leurs amis dans un<br />

voyage… imprévisible et une troisième histoire qui se déroule<br />

avec la coccinelle enfant en tant que protagoniste mais dont<br />

on taira les tenants et les aboutissants pour vous laisser la<br />

surprise intacte.<br />

Une nouvelle fois, «Minuscule 2» nous offre du rêve à n’en<br />

plus finir. C’est délicat, toujours aussi drôle et intelligent et<br />

visuellement d’une richesse infinie. Le duo Szabo/Giraud<br />

refait des merveilles quatre ans après un premier opus qui<br />

était déjà plus que réussi.<br />

Margaux Maekelberg


46<br />

Son arrivée sur les écrans français aura été<br />

fastidieuse mais Boots Riley aura réussi.<br />

Après qu’un distributeur ai jugé le film<br />

trop «afro-américain», c’est finalement<br />

Universal qui a récupéré le film pour<br />

pouvoir nous l’offre sur grand écran dès<br />

le 30 janvier prochain. Grand bien nous<br />

fasse car nous serions probablement<br />

passés à côté d’une grosse pépite indé<br />

et franchement ça nous aurait foutu les<br />

boules.<br />

Le <strong>ciné</strong>ma indépendant explose et<br />

se complait à dénoncer les inégalités<br />

toujours aussi importantes et le <strong>ciné</strong>ma<br />

indépendant américain en est - et a<br />

toujours été - un très bon exemple. Mais<br />

ces derniers temps une tendance se<br />

dessine vers des films résolument pop<br />

avec de nouvelles propositions toujours<br />

plus abouties et jusqu’en boutiste que ce<br />

soit «Blindspotting» ou «Assassination<br />

Nation» pour parler de 2018. Et ce début<br />

2019 sera marqué à coup sûr par le premier<br />

long-métrage de Boots Riley : «Sorry to<br />

bother you». Tout commence lorsque<br />

Cassius Green décroche un boulot en tant<br />

que vendeur en télémarketing. Un univers<br />

impitoyable mais dans lequel il réussi<br />

à exceller et à rapidement grimper les<br />

échelons. Tandis que Cassius Green rentre<br />

dans les hautes sphères de la société -<br />

celles qu’il a toujours convoité -, ses amis<br />

se bat contre cette même entreprise car<br />

ils s’estiment exploités. Puis finalement<br />

entre dans le game le big boss de tout<br />

ça, un patron aussi extraverti qu’accro à<br />

la cocaïne qui a une vision bien ) lui du<br />

travail…<br />

Boots Riley met les pieds dans le plat et<br />

jette à la gueule du capitalisme des piques<br />

colorées et cyniques comme il faut, juste<br />

assez pour nous faire rire mais aussi nous<br />

faire réfléchir. Sur un ton très décalé, on<br />

30/01<br />

SORRY TO<br />

découvre d’abord comme Cassius Green<br />

réussit à grimper les échelons et pour cela<br />

rien de plus simple, il suffit de prendre une<br />

‘’voix de blanc’’ comme l’explique son<br />

collègue. Rêvant de gloire et de richesse,<br />

Cassius en vient à oublier d’où il vient mais<br />

surtout les combats qu’il est censé défendre<br />

alors que ses amis et sa petite-amie se<br />

battant contre une entreprise qui les utilise<br />

quasiment comme esclaves dans un ton et<br />

une esthétique toujours tirés vers quelque<br />

chose qui tiendrait presque de l’absurde. Et<br />

c’est là toute la force du film, au lieu d’être<br />

un énième film qui surfe sur la tendance<br />

‘’Je dénonce les inégalités’’, Boots Riley<br />

charge son canon pour tirer des boulets


BOTHER YOU<br />

DE<br />

BOOTS RILEY. AVEC LAKEITH<br />

STANFIELD, TESSA THOMPSON, STEVEN<br />

YEUN… 1H51<br />

aussi énormes que ce que prépare Steve Lift<br />

le boss de l’entreprise qui a quand même<br />

son idée bien à lui. «Sorry to bother you» va<br />

ainsi sur des terrains absolument inattendus<br />

afin de prendre le spectateur au dépourvu à<br />

peu près toutes les 10 minutes une fois que<br />

la machine est lancée.<br />

Et par dessus tout, Boots Riley réunit un<br />

casting incroyable avec des personnages<br />

haut en couleur mais sans qu’il y en ai un<br />

qui ai moins d’importance qu’un autre.<br />

Evidemment Lakeith Stanfield capte toute<br />

l’attention avec ses airs naïfs et son envie<br />

dévorante de réussir mais on ne peut<br />

que décemment saluer des prestations<br />

impeccables comme celle de Tessa<br />

Thompson, Steven Yeun ou encore Armie<br />

Hammer qui tient là sa performance la plus<br />

délurée de toute sa carrière et qui nous<br />

prouve que le bonhomme peut partir dans<br />

d’autres comédies.<br />

Hilarant, extrême, inattendu, surprenant…<br />

Tant d’adjectifs pourraient correspondre à<br />

ce qui s’avère être la grosse surprise de cette<br />

fin janvier. L’attente aura valu le coup parce<br />

que quand certains décident de taper dans<br />

les cornes du capitalisme américain, ça fait<br />

mal… très mal…<br />

Margaux Maekelberg<br />

47


48CRITIQ


49<br />

UES<br />

FEVRIER


50<br />

06/02<br />

MY BEAUTIFUL BOY<br />

DE FELIX VAN GROENINGEN. AVEC<br />

STEVE CARELL, TIMOTHÉE CHALAMET,<br />

JACK DYLAN GRAZER… 2H01


51<br />

On le disait récemment, «Ben is back» et «My beautiful boy» partagent<br />

ironiquement plus ou moins la même histoire : un parent qui va tout tenter<br />

pour sauver son enfant de l’addiction. Dans «Ben is back» c’est la mère et<br />

dans «My beautiful boy»c’est au tour du père de tout faire pour sauver son fils<br />

de la toxicomanie. Un rude combat que dépeint «My beautiful boy» tiré d’une<br />

histoire vraie et porté à merveille par Timothée Chalamet et Steve Carrel.<br />

Felix van Groeningen avait un matériel très dense pour réaliser ce film soit non<br />

pas un bouquin mais deux. «Beautiful Boy : A Father’s Journey Through His Son’s<br />

Addiction» de David Sheff et «Tweak : Growing Up on Methamphetamines»<br />

de Nic Sheff son fils. Un même combat raconté des deux points de vue dont<br />

le réalisateur s’est emparé pour réaliser «My beautiful boy» qui impose quand<br />

même beaucoup plus le regard du père sans pour autant omettre le fils. Un<br />

vrai combat qui a duré près de dix ans pour cette famille qui n’a eu de cesse<br />

de vivre dans les tourmentes de l’addiction aux drogues. Evidemment le film<br />

peut compter sur un casting de choix entre Steve Carrel dont le talent n’est<br />

même plus à démontrer et qui offre une partition émouvante pleine de rage;<br />

accompagné par la nouvelle coqueluche d’Hollywood Timothée Chalamet<br />

qui réussit une nouvelle fois à proposer une performance tout en retenue.<br />

Les deux, sans jamais sombrer dans un pathos quelconque, dessinent les<br />

méandres qu’engendre la toxicomanie comme pour prévenir des dangers que<br />

cela peut comporter. D’ailleurs c’est peut-être ça qu’on peut reprocher au film,<br />

garder cet aspect très préventif sans pour autant s’attarder sur leur histoire et<br />

même si le film fait le job à 100%, il nous manque ce petit quelque chose à<br />

laquelle nous raccrocher pour être autant ému qu’à la toute fin. Très convenu<br />

dans sa forme, le film fonctionne cependant sur son fond, sur la relation<br />

Carrel/Chalamet qui fonctionne à merveille et sur ces moments solaires qui<br />

nous sont offerts, éphémères certes mais terriblement salvateurs, comme une<br />

bouffée d’oxygène avant de replonger au plus bas.<br />

Un combat qui est finalement universel face à une menace qui touche tous les<br />

jeunes venant autant des classes moyennes que des classes aisées. Mais loin<br />

de tomber dans un certain misérabilisme, «My beautiful boy» reste porteur<br />

d’un certain espoir et que quelque part, à force de persévérance, l’amour des<br />

proches peut sauver quelqu’un.<br />

Margaux Maekelberg


13/02<br />

52<br />

Cinq ans après sa première aventure à<br />

travers les jeux vidéo, Ralph se lance dans<br />

ce monde sauvage et étrange qu’est Internet.<br />

Mais est-ce que cette suite risque de se<br />

mettre à dos les Trolls ?<br />

(Question piège : on parle d’internet. Bien<br />

sûr que les Trolls vont réagir.)<br />

Si le premier volet a su attirer un fort succès<br />

public et critique, l’auteur de ces lignes<br />

avoue le considérer comme moyen parmi la<br />

production animée de Disney. Les références<br />

sont certes amusantes et on est intrigué par<br />

l’univers qui se construit dans le monde<br />

vidéo ludique mais le tout souffre d’une<br />

narration prévisible, d’une modélisation qui<br />

aurait pu aller plus loin (visuellement, les<br />

personnages se ressemblent tous dans des<br />

univers disparates) et d’une morale dont la<br />

maladresse d’exécution laisse penser à un<br />

propos conservateur sur une impossibilité<br />

de changer sa nature. Il faut donc avouer<br />

que c’est plus la curiosité que l’envie qui<br />

motivait ce visionnage. Alors, ravi ? Oui…<br />

et non.<br />

Pour commencer avec le négatif, si l’on<br />

s’amuse encore devant certaines références,<br />

certaines dégagent une sensation vaine et<br />

risquent de dater le film dans les années à<br />

venir. Là où un « Ready Player One » théorisait<br />

par la présence de figures populaires sur<br />

l’importance de la pop culture sur la création<br />

de sa personnalité (tout en étant logique<br />

au vu de l’amplitude de l’OASIS), on a ici<br />

plus une envie de référenciation drôle que<br />

de véritable création d’univers par celle-ci.<br />

C’est d’ailleurs quand le film n’aborde pas de<br />

marques/sites connus que l’internet se voit<br />

comme un autre monde, dans sa description


RALPH 2.0<br />

DE RICH MOORE, PHIL JOHNSTON.<br />

AVEC LES VOIX DE JOHN C. REILLY, GAL<br />

GADOT… 1H52<br />

des spams ou des jeux en<br />

ligne. Bref, certaines scènes<br />

risquent de diviser selon<br />

le regard qu’on leur porte,<br />

entre amusement sincère et<br />

énervement cynique (cf les<br />

princesses Disney). De plus,<br />

certaines idées importantes<br />

du premier film sont mises à<br />

la trappe (Ralph quitte quand<br />

même son jeu pendant plus<br />

de deux jours).<br />

Néanmoins, tout cela<br />

dissimule une nette<br />

amélioration dans les<br />

intentions. Comme dit plus<br />

haut, une fois affranchi de<br />

tout lien à notre univers,<br />

Internet se voit abordé avec<br />

une envie d’approfondir un<br />

petit monde et de quand<br />

même tisser des rapports<br />

à notre consommation de<br />

celui-ci. Ralph se voit ainsi<br />

obligé de créer le buzz<br />

pour atteindre son but<br />

mais également confronté<br />

aux commentaires négatifs<br />

(« Première règle d’Internet :<br />

ne jamais regarder les<br />

commentaires ! »). On<br />

pourra également noter<br />

un meilleur usage dans<br />

l’animation concernant<br />

notamment les personnages<br />

de jeux en ligne. Mais ce<br />

qui fonctionne mieux reste<br />

le traitement des relations<br />

possessives et leur toxicité,<br />

amené avec plus de subtilité<br />

que les messages sur les<br />

réseaux sociaux et tout ce<br />

qui est relatif à Internet.<br />

Ralph casse peut-être<br />

Internet dans son titre original<br />

mais il ne casse néanmoins<br />

pas la production animée<br />

des studios Disney, loin<br />

d’atteindre ses meilleurs titres<br />

récents comme « Frozen »<br />

(oui, son succès est plus que<br />

mérité) et « Vaiana ». Cela<br />

ne l’empêche pas d’être<br />

amusant et de fonctionner<br />

sur le public. C’est donc<br />

une sortie familiale<br />

recommandable mais pas<br />

indispensable.<br />

Liam Debruel<br />

53


54<br />

Gestation longue et douloureuse – financer un premier film n’est jamais chose facile –<br />

pour la réalisatrice qui nous offre son premier long-métrage. Depuis 2009, Jordana Spiro<br />

avait en tête cette idée de comprendre et analyser ce qui traversait l’esprit de ces enfants<br />

et adolescents placés – ou sortant – de familles d’accueils. « Long Way Home » s’intéresse<br />

à l’une d’entre elles. La jeune Angel, dix-huit ans, tout juste sorti de prison après y avoir<br />

été incarcéré pour port d’arme illégal – ajouté à cela d’autres délits -. Deux choix s’offrent<br />

alors à la jeune femme : combler son désir de vengeance ou prendre soin de sa petite soeur<br />

Abby, actuellement en famille d’accueil.<br />

Sujet ambitieux, important mais également casse-gueule si sa réalisatrice sombre dans le<br />

pathos, les conséquences de la destruction de la cellule familiale sur des enfants qui n’ont<br />

pas les outils ni l’amour nécessaire pour appréhender la vie comme il faudrait. D’autant<br />

plus qu’Angel a été témoin du meurtre de sa mère perpétré par son propre père. Un début<br />

de descente aux enfers pour la jeune femme jusqu’à passer par la case prison. Une fois<br />

en dehors il faut tout reconstruire et surtout retrouver sa petite soeur Abby, placée dans<br />

un foyer qui n’en a que faire d’elle – la mère touche de l’argent de l’Etat en prétextant<br />

que les enfants sont dérangés afin d’obtenir des médicaments que les enfants revendent<br />

en cachette pour se faire de l’argent -. Tiraillée entre ce désir de vengeance et celui de<br />

reconstruire une famille, la réalisatrice suit le chemin de rédemption semé d’embûches<br />

d’une jeune fille sans repères.<br />

Véritable souhait de la réalisatrice, le film prend son temps, se sublime dans les silences<br />

et les regards pleins d’intensités de son actrice principale Dominique Fishback même s’il<br />

n’évite pas de temps en temps quelques longueurs qui pourraient nous faire décrocher mais<br />

c’est indubitablement les deux prestations électrisantes et tout en sensibilité de Dominique<br />

Fishback et Tatum Marylin Hall qui font que le film se plaçait facilement dans le haut du<br />

panier de la compétition du dernier Festival de Deauville d’où il est d’ailleurs reparti avec<br />

le Prix du Jury.<br />

« Tu n’es pas comme lui » affirme la jeune Abby à sa soeur alors que cette dernière lui<br />

demande si elle est comme leur père. « Long Way Home » est aussi un message pour tous<br />

ces jeunes issus de familles d’accueil et qui, comme Angel, sont en perdition. Celui qu’il<br />

n’est jamais trop tard pour prendre sa vie en main et enfin devenir quelqu’un. Jordana<br />

Spiro s’attaque à un sujet sensible typiquement américain : celui de ces structures censées<br />

aider ces enfants et qui, mal encadrées, sont souvent à l’origine de bien des problèmes<br />

de ces enfants. D’autant plus que ce sont généralement les enfants de couleurs qui sont<br />

plus touchés par les maltraitances et abus sexuels que les enfants caucasiens. Un terrible<br />

constat vecteur de problèmes plus profonds chez une grande partie de ces enfants qui, une<br />

fois adultes, ne sont pas préparés.<br />

Pour son premier essai, Jordana Spiro nous offre un film touchant et sensible grâce à un<br />

duo d’actrices solaires et qui plus est, sont afro-américaines – il est également rapidement<br />

évoqué qu’Angel soit lesbienne -, de quoi insuffler un vent de fraicheur dans une industrie<br />

qui a bien besoin de nouvelles figures féminines.<br />

Margaux Maekelberg


55<br />

13/02<br />

LONG WAY HOME<br />

DE<br />

JORDANA SPIRO. AVEC DOMINIQUE<br />

FISHBACK, TATUM MARILYN HALL, MAX<br />

CASELLA… 1H27


56<br />

13/02<br />

DEUX FILS<br />

DE FELIX MOATI. AVEC VINCENT<br />

LACOSTE, BENOÎT POELVOORDE,<br />

MATHIEU CAPELLA… 1H30


57<br />

Après une carrière extrêmement prolifique en tant qu’acteur, Félix Moati passe<br />

derrière la caméra. Après un premier court-métrage «Après Suzanne» - où il<br />

dirigeait déjà Vincent Lacoste - présenté et plutôt bien accueilli au Festival<br />

de Cannes 2016, Félix Moati s’attaque au long-métrage avec «Deux Fils».<br />

Une tranche de vie où se dessine trois générations bien différentes mais qui<br />

cherchent toutes la même chose en fin de compte : l’amour et la réconciliation<br />

avec le monde qui les entoure.<br />

Le frère de Joseph vient de mourir et c’est le déclencheur d’à peu près tout<br />

dans le film. Passé de médecin accompli à écrivain raté, Joseph ne sait plus<br />

vraiment quoi faire et passe son temps enfermé dans sa chambre. À côté de ça<br />

son aîné Joachim ressasse encore et toujours une histoire d’amour qui n’a plus<br />

lieu d’être si bien que son avenir prometteur dans ses études de psychiatrie<br />

sont également mises en péril. Et au milieu de tout ça, le jeune Ivan qui, à 13<br />

ans, découvre les joies mais aussi les peines que provoquent l’amour et tente<br />

de se trouver une place alors qu’il n’a plus de repères familiaux et que ses<br />

figures paternelles partent littéralement en couilles.<br />

Félix Moati donne le ton dès la première scène : Joseph découvre le cercueil<br />

dans lequel reposera son frère. Il assure que ce cercueil sera trop petit et<br />

pour le prouver il décide de monter dedans. Absurde et pourtant révélateur<br />

de l’état de Joseph et de sa famille : encloisonnés. Le ton est donné, on rira,<br />

beaucoup, mais on pleurera aussi, pas mal. Et c’est ce juste dosage qui fait<br />

de «Deux Fils» une très belle réussite. Le scénario est d’une justesse folle<br />

toujours sur ce fil dramatique sans en faire trop, ironique, sans en faire trop<br />

aussi mais ce qui porte le film c’est surtout son casting de luxe. En effet Moati<br />

se paye quand même les services d’un Benoît Poelvoorde magistral et tout en<br />

retenue - sans pour autant renier son humour ce qui est plutôt malin - tandis<br />

que Vincent Lacoste n’a décidément plus rien à prouver. À leurs côtés, c’est<br />

une petite révélation que nous avons là en la personne de Mathieu Capella<br />

qui campe le jeune Ivan. Complètement déboussolé et incapable de se référer<br />

à un adulte entre son père dépressif et son frère dont il n’arrive plus à être<br />

proche, Ivan enchaîne les dérives (alcool, cigarette, violence…) car il doit<br />

devenir un homme comme son frère et son père ne le sont pas. Une jolie<br />

première performance qui nous promet de belles choses pour la suite.<br />

«Deux Fils» est emprunt d’une jolie mélancolie évidemment tenu par un<br />

casting impeccable mais il est indéniable que Félix Moati a de véritables<br />

talents de réalisateur et de scénariste si bien qu’à 28 ans, le jeune homme<br />

s’inscrit déjà parmi les réalisateurs les plus prometteurs de sa génération et si<br />

ses prochains films sont du même acabit que celui-là, le <strong>ciné</strong>ma français n’a<br />

vraiment aucun souci à se faire.<br />

Margaux Maekelberg


58<br />

La plus grande réussite des studios<br />

Dreamworks s’apprête à connaître une<br />

conclusion début février. Voilà donc<br />

l’occasion de revenir sur deux films qui<br />

auront marqué l’animation grand public par<br />

ses proportions formelles et thématiques.<br />

Adaptation d’un roman, le premier<br />

«Dragons» débarque dans les salles en<br />

2010. On y suit Harold (Hiccup en version<br />

originale), fils d’un chef viking régulièrement<br />

décrié pour son physique moins musculeux<br />

que la plupart des habitants. Ce village,<br />

Beurk, doit subsister avec la présence de<br />

dragons, attaquant en permanence les<br />

vivres. Un jour, Harold arrive à toucher la<br />

plus dangereuse de ces créatures, une Furie<br />

Nocturne…<br />

Le long-métrage ressasse des thématiques<br />

déjà abordées dans le <strong>ciné</strong>ma d’animation<br />

comme la communion avec la nature ou le<br />

manque de communication entre un père<br />

et son fils. Pourtant, Dean DeBlois et Chris<br />

Sanders arrivent à donner un ton différent<br />

à leur long-métrage, notamment par la<br />

confrontation culturelle entre les habitants<br />

de Beurk et Harold. Ce dernier, en marge<br />

des autres, va devoir remettre en question<br />

les habitudes ancrées dans son village,<br />

notamment la crainte extrême envers les<br />

dragons. On passe donc par un message de<br />

tolérance avec une soif d’aventures grisante,


59<br />

Dragons : la fin<br />

d’une saga<br />

représentée à l’image par une magnification<br />

de certaines scènes. Les séquences de vol<br />

dégagent ainsi une sensation euphorique<br />

par leur représentation et ont un pouvoir<br />

d’émerveillement sur n’importe quel<br />

spectateur un tant soit peu engagé dans le<br />

récit.<br />

Si celui-ci fonctionne autant, c’est par un<br />

ton prenant sérieusement sa mythologie<br />

et la situation sociale de Beurk mais<br />

également par un travail visuel de qualité.<br />

Il n’est guère étonnant de découvrir que<br />

le célèbre chef opérateur Roger Deakins<br />

(Oscar de la Meilleure <strong>ciné</strong>matographie<br />

pour l’exceptionnel «Blade Runner 2049»)<br />

est consultant visuel sur la saga. On peut<br />

ainsi déceler un véritable travail dans la<br />

photographie du film au point de se situer<br />

lors de certains plans dans la pure tradition<br />

mythique nordique. Le tout fonctionne avec<br />

un humour assez universel et efficace, sans<br />

tomber dans la vulgarité ou le méta d’un<br />

«Shrek».<br />

Au vu des excellents retours critiques et<br />

publics de ce premier épisode, il n’était<br />

guère étonnant d’avoir droit à une suite<br />

4 ans plus tard. On y retrouve Harold et<br />

Krokmou, devant faire face à un homme<br />

cherchant à créer une armée de dragons.<br />

Qui dit ouverture du monde dit ouverture<br />

de la mythologie. Tel Harold, nous sommes<br />

à la découverte d’un univers en expansion,


60<br />

avec des regards extérieurs à Beurk par rapport aux dragons. On<br />

en découvre bien évidemment plus sur leur fonctionnement par<br />

le biais de la mère d’Harold, grande défenseuse de ces créatures<br />

et doublée par une Cate Blanchett au travail vocal toujours aussi<br />

qualitatif.<br />

Néanmoins, la proportion plus large du récit ne nie pas du tout<br />

les qualités intimistes du premier volet et les prolonge avec une<br />

poésie émouvante. Il suffit d’une réplique lors des retrouvailles<br />

entre le père d’Harold et sa femme pour mettre la larme à<br />

l’œil. Dean DeBlois (désormais seul à la réalisation) assume les<br />

moments les plus dramatiques de son histoire et les inscrit avec<br />

une maturité désarçonnante, notamment dans une production<br />

Dreamworks qui est souvent tombé dans le graveleux (les «Shrek»)<br />

ou le facile («Les Trolls») et dont les plus grandes réussites n’ont<br />

pas connu le respect mérité («Les cinq légendes»).<br />

On pourra noter que jamais les films «Dragons» n’ont traité<br />

leur public avec prétention ou en réduisant leurs capacités<br />

intellectuelles en leur offrant les meilleurs films possibles, aussi<br />

bien dans la forme que le fond. On peut donc parler d’une<br />

saga de qualité dans le domaine de l’animation. Savoir que ce<br />

troisième volet sera le dernier provoque autant de tristesse de<br />

devoir dire au revoir à des personnages aussi attachants que<br />

soulagement de ne pas tomber dans le mercantilisme sans fin<br />

cherchant plus le retour financier que la satisfaction du public.<br />

Quand on sait qu’un reboot de «Shrek» est à l’ordre du jour, il<br />

est dommageable que toutes les licences ne connaissent pas ce<br />

sort. Néanmoins, c’est avec une émotion forte que nous nous<br />

préparons à clôturer une série de films d’animation à la beauté<br />

resplendissante et aux ramifications thématiques passionnantes,<br />

le tout avec un souffle épique et revigorant autant réjouissant<br />

que touchant. Voilà bien la marque des plus grands.<br />

Liam Debruel


61


06/02<br />

DRAGONS 3<br />

Avec la multiplication des franchises au <strong>ciné</strong>ma, avec l’apparition des formats épisodiques<br />

et des dérives à foison, on en vient à regretter un élément de narration qui se fait étrangement<br />

rare dans le <strong>ciné</strong>ma grand public, le <strong>ciné</strong>ma spectacle, le <strong>ciné</strong>ma populaire : la fin. Oui,<br />

la conclusion, celle qui nous donne le sentiment d’avoir refermé un livre qui nous a<br />

accompagné dans notre vie, nous a vu grandir et changer, nous émouvoir et nous indigner,<br />

bref une œuvre qui nous a vue autant que nous l’avons visionnée.<br />

62<br />

C’est un sentiment que nous avions déjà redécouvert lorsque la trilogie de la “Planète des<br />

Singes” se terminait il y a quelques années ; un poids sur le cœur et une élévation tout à<br />

la fois. Grâce à Dean Deblois, le réalisateur et scénariste de la trilogie “Dragons”, grâce à<br />

Dreamworks qui renaît de ses cendres, ce sentiment nous revient en 2019. Les aventures<br />

de Harold et Croqmou, neuf ans après leurs débuts, c’est terminé. Aussi après avoir ignoré<br />

totalement et avec insolence les livres dont elle s’inspire, la saga décide pour se clôturer<br />

de se référer enfin au matériau d’origine : « autrefois, il y avait des dragons ». Vous l’aurez<br />

compris, “Dragons 3 : Le Monde Caché” raconte comment les créatures magiques vont<br />

disparaître de la surface de la terre pour ne devenir que les légendes que nous connaissons<br />

aujourd’hui. Attendez-vous donc à avoir le cœur brisé en mille morceaux, et de pleurer<br />

assez de larmes pour vous préparer une petite tisane.


DE DEAN DEBLOIS. AVEC LES VOIX DE KIT<br />

HARINGTON, AMERICA FERRERA, CATE<br />

BLANCHETT… 1H34<br />

Comme dans le volet précédent, les dragons<br />

sont en danger. Il y a beaucoup de redite<br />

d’ailleurs, dans la trilogie de Dean Deblois,<br />

à un point tel où l’on ressent une obsession<br />

chez lui ; il veut raconter une chose et la<br />

décline sous toutes les formes possibles<br />

et imaginables. Mais cette fois, les vikings<br />

ne semblent plus en mesure de protéger<br />

leurs amis/animaux de compagnie; Harold<br />

se souvient alors de ce que son père lui<br />

racontait quand il était enfant. Il lui parlait<br />

d’un monde caché d’où les dragons<br />

proviennent... Si ce monde existe, ce sera le<br />

Jérusalem de la bande à Croqmou.<br />

L’intérêt du film repose dans la quête de<br />

Harold; plutôt que de chercher ce monde<br />

pour son ami, il le cherche pour lui-même.<br />

63


Là est tout le souci, le p’tit mec qu’a la même gueule que moi se prend pour<br />

un dragon. Persuadé d’avoir toujours été un moins que rien avant d’avoir<br />

rencontré son Furie Nocturne, il ne pense n’avoir de la valeur que lorsque les<br />

dragons sont impliqués. La leçon du film, c’est celle du héros qui apprend à<br />

se mettre en retrait pour mieux accepter sa propre identité; et justement, ce<br />

dernier volet est le plus réussi quand les humains disparaissent. Toutes les<br />

scènes, quasi silencieuses, qui n’impliquent que des dragons – notamment les<br />

scènes de drague entre Croqmou et sa nouvelle future meuf, la Furie Diurne à<br />

paillettes disco -, sont de loin les plus réussies du film. Ce sont ces moments<br />

qui tout au long de la trilogie auront fait la force de la réalisation de Dean<br />

Deblois; ce sont des films pour enfants qui savent prendre leur temps, faire<br />

confiance à l’image, ne pas surcharger l’histoire. Le spectateur, adulte ou<br />

enfant, a le temps de réfléchir, d’emmagasiner, de structurer, de ressentir...<br />

Pour enfin faire le deuil.<br />

Car oui, “Dragons” c’est fini. C’est avec ce poids sur le cœur et cette élévation<br />

que l’on quitte la salle, avec ce sentiment de refermer un livre que nous avions<br />

commencé il y a neuf ans. Pour moi, c’était par hasard : j’étais à Bordeaux avec<br />

des amis. La bande-annonce ne m’avait pas trop emballé, mais j’ai suivi le<br />

mouvement. Aussitôt j’étais bouleversé. J’étais en plein milieu de mes études<br />

supérieures, je n’avais pas encore vécu tous les hauts et les bas que l’on peut<br />

connaître en neuf ans de vie. Neuf ans plus tard, je referme le livre la larme à<br />

l’œil (les larmes, soyons honnêtes), et le cœur empli de gratitude. Merci pour<br />

nous avoir offert une fin.<br />

64<br />

Captain Jim


06/02<br />

LA POSITION D’ANDROMAQUE<br />

DE ERICK MALABRY. AVEC MIKAEL<br />

GONCALVES, ISOLDE COJEAN,<br />

MORGANE RASPAIL… 1H12<br />

Il y a de ces petites douceurs qui débarquent de nulle part et «La position d’Andromaque»<br />

en fait partie. Ami.e.s parisien.ne.s ce film sortira au Saint-André des Arts là et seulement<br />

là. C’est peu certes mais que ceux qui ont l’occasion aillent y jeter un coup d’oeil. Au<br />

pire que risque-t-ils ? pas grand chose, j’ouvrirai le bureau des plaintes s’il le faut mais<br />

honnêtement ça m’étonnerait. En 1h12, Erick Malabry - dont c’est le premier long après<br />

un paquet de courts - met en scène des non-professionnels tous issus du même cours de<br />

théâtre du soir. Une première pour eux qui confère au film une belle authenticité. Maladroit<br />

par certains moments mais emprunt d’un amour et d’une douceur incroyable - accentués<br />

par l’utilisation du 35mm qui vient sublimer le film comme le numérique n’aurait jamais<br />

pu permettre-.<br />

Régulièrement, Mikaël monte sur Paris pour rendre visite à sa cousine Isolde et par la<br />

même occasion réaliser son bilan orthophonique nécessaire à cause de son handicap.<br />

Deux personnalités à l’opposé entre une qui enchaîne les coups d’une nuit après une<br />

déception amoureuse et un qui n’a jamais connu l’amour de sa vie. Alors lorsque Mikaël<br />

suit par curiosité sa cousine dans son cours de théâtre du soir, c’est probablement toute sa<br />

vie qui risque d’être chamboulée.<br />

Un premier film sans prétention qui irradie grâce à son casting. Tous plus naturels les uns<br />

que les autres, certaines performances nous touchent comme celle de Mikaël Goncalves<br />

tandis que d’autres capturent le regard de la caméra pour ne plus le lâcher comme Isolde<br />

Cojean. Petite troupe attachante et film qui ne manque pas d’humour et d’amour avec une<br />

jolie mise en avant du théâtre et de certains textes, «La position d’Andromaque» est une<br />

douce sucrerie qu’on a pris grand plaisir à découvrir. Du coup vous savez ce qu’il vous<br />

reste à faire le 6 février.<br />

Margaux Maekelberg<br />

65


66<br />

CHEZ SHY<br />

INCASSABLE ET S


67<br />

PLIT : LE MIROIR<br />

AMALAN


68<br />

INCAS


69<br />

Shyamalan est surement un as du poker ! En<br />

2016, sort son nouveau film «Split», vendu<br />

comme un thriller psychologique traitant<br />

d’un homme aux personnalités multiples.<br />

Rien ne laissait alors présager, même pour<br />

le <strong>ciné</strong>phile le plus versé dans l’univers de<br />

Shyamalan, que «Split» s’avérerait être la<br />

suite d’un des films les plus emblématiques<br />

du <strong>ciné</strong>aste : «Incassable». Ce n’est qu’avec<br />

la scène finale, à l’apparition de Bruce Willis<br />

(alias David Dunn) que l’on comprend, avec<br />

une certaine euphorie, que les deux films<br />

forment un même univers. En une scène<br />

seulement, Shyamalan vient de relancer<br />

une idée dont la genèse remonte à plus de<br />

seize-ans auparavant. Sans nul doute un<br />

coup de maître ! La venue prochaine d’une<br />

suite est dorénavant inévitable ! La franchise<br />

est relancée ! Et voilà que deux ans plus<br />

tard, «Glass «arrive dans nos salles obscures<br />

pour clôturer un cheminement entrepris il y<br />

a plus d’une décennie.<br />

SABLE<br />

«Incassable» est, il faut le rappeler, un film<br />

éminemment audacieux. Dans les années 80<br />

et 90, le <strong>ciné</strong>ma c’est avant tout des talents<br />

tels que Spielberg, ou encore Zemeckis ; un<br />

Hollywood exalté, exaltant, galvanisant les<br />

foules, fabriquant du rêve aussi facilement<br />

que l’on fabrique des voitures, à la chaine.<br />

«Incassable», réalisé en 1999, sorti en 2000,<br />

c’est l’envers de ce <strong>ciné</strong>ma-là, un retour<br />

à une réalité moins envoûtante, terne, où<br />

les héros sont moroses, acariâtres, aussi<br />

mélancoliques que les personnages que<br />

peint Edward Hopper. David Dunn (Bruce<br />

Willis) n’est pas heureux. Rien ne va dans<br />

son couple. Il est indifférent à son entourage.<br />

Lors de la première scène du film il considère


70<br />

même l’adultère. Au regard des principes<br />

moraux de la société américaine, c’est un<br />

antihéros ! Un mal-être ronge David Dunn,<br />

le sentiment d’avoir raté sa vie, de valoir<br />

plus que ce qu’il est … On aurait beau y<br />

voir un film sur le désenchantement d’une<br />

société américaine qui a perdu son rêve,<br />

aux accents nihilistes, Incassable n’est rien<br />

de cela puisque tout ce qu’opère le film vise<br />

à faire surgir l’extraordinaire/le fantastique<br />

du quotidien. Et si notre garagiste était<br />

en réalité Superman ? Et si la caissière du<br />

supermarché était un être doté de pouvoirs ?<br />

À toutes ces personnes qui se sentent en<br />

constant décalage avec l’évolution du<br />

monde, qui ont du mal à trouver leur place,<br />

à rentrer dans des cases, à se contenter de<br />

leur vie, Shyamalan répond « peut-être estce<br />

parce que tu es unique, que tu es un<br />

héros… ». C’est la réponse que donnera<br />

Mr. Glass (joué par l’incroyable Samuel L.<br />

Jackson) à David Dunn. Fan de comics, Mr.<br />

Glass est convaincu que les super-héros<br />

existent bel et bien dans notre réalité. Son<br />

rôle sera double : adjuvant, en aidant David<br />

Dunn à se comprendre et s’accepter, mais<br />

également ennemi comme on l’apprendra<br />

plus tardivement.<br />

C’est la quête de la vérité, la vérité la plus<br />

folle, cette vérité que l’on paie de son<br />

sang pour avoir (comme Mr. Glass chutant<br />

des escaliers à la poursuite de l’homme<br />

au revolver), cette vérité qui mène à la<br />

découverte de soi, que travaille le film en<br />

utilisant tout du long un leitmotiv, celui du<br />

miroir.<br />

Le miroir chez Shyamalan va de pair avec des<br />

dualités préexistantes qu’il révèle : Envers/<br />

Endroit, Réalité/Reflet, Vérité/Illusion, Soi/<br />

Autre. Dans «Incassable», le miroir est à<br />

appréhender sous l’angle du déboulement<br />

et de la quête de la vérité sur soi. D’ailleurs,<br />

dès la première scène d’»Incassable», un<br />

dialogue s’effectue au travers d’un miroir et


71<br />

rapidement l’œil du spectateur est trompé<br />

et il ne sait plus distinguer le vrai du faux,<br />

la vraie personne de son reflet. Toujours, la<br />

caméra de Shyamalan travaille ces dualités,<br />

que ça soit en filmant une conversation de<br />

miroir ou bien lorsque Mr. Glass découvre<br />

la BD que lui a offerte sa mère; posée à<br />

l’envers dans sa boîte la caméra effectue<br />

au même moment que Mr. Glass s’en saisit<br />

une rotation qui vient réajuster l’image et<br />

remettre à l’endroit la BD.<br />

Lorsque chez Ovide, Narcisse contemple<br />

son reflet sur la surface de l’eau, il en vient<br />

à tomber amoureux de cette image. Cet<br />

amour, contrairement au sens péjoratif<br />

que lui a attribué l’ère contemporaine, est<br />

pour Ovide le signe de la plus belle forme<br />

d’acceptation de soi, de l’affirmation de son<br />

être. Cela poussera même le poète allemand<br />

Rilke à souhaiter que l’on devienne tous des<br />

‘‘Narcisse exaucé’’.<br />

C’est justement cette idée que travaille en<br />

profondeur «Incassable». Sous son histoire<br />

de super-héros et de super-vilain, le film<br />

traite d’une véritable quête de soi qui passe<br />

ici par la destruction de son propre reflet,<br />

toujours trompeur. Car ce reflet, c’est le<br />

regard que l’Autre, nous pousse à avoir sur<br />

nous. David Dunn se sent ordinaire et refuse<br />

d’ailleurs de croire à ce que lui raconte Mr.<br />

Glass, car depuis longtemps, le regard qu’il<br />

porte sur lui est le regard que la société porte<br />

sur lui. De toute évidence David Dunn est<br />

faussé par son propre reflet qu’il prend pour<br />

lui-même.<br />

Une scène marquante du film témoigne<br />

aussi de cette idée : lors d’un flashback, Mr.<br />

Glass jeune, assis sur son fauteuil roulant,<br />

se contemple à travers l’écran éteint de la<br />

TV. On peut voir dans son regard toute la<br />

haine, tout le dégoût que sa condition lui<br />

inspire. Les autres enfants se moquent de<br />

lui et Mr. Glass est souvent (comme David


72<br />

Dunn) tenté de les croire. Est-il (comme on le force à penser) une erreur de<br />

la Nature ? Car ce qu’il manque à Mr. Glass comme à David Dunn c’est<br />

un autre qui serait un double opposé et complémentaire, une sorte de Yin<br />

et de Yang pour faire simple. Sans Mr. Glass, David Dunn en tant que héros<br />

n’existe pas, et il en va de même pour Mr. Glass sans David Dunn. Il n’y<br />

a pas de héros sans méchants et tout le principe de l’harmonie du monde<br />

découle de la présence de ces deux forces. Chacun trouve en l’autre le sens<br />

de sa propre vie.<br />

Mais il est possible d’en dire plus : ce qui est frappant après plusieurs<br />

visionnages du film, c’est l’économie de moyen utilisé par Shyamalan pour<br />

arriver à nous faire croire à son histoire au point où on en arrive parfois<br />

à douter que David Dunn soit vraiment un héros. Bien sûr le spectateur<br />

est d’abord convaincu que Mr. Glass a raison (et le restera tout le long du<br />

film). Mais au fond, que nous a vraiment montré Shyamalan pour nous<br />

convaincre ? Aucun rayon laser tiré avec ses yeux, aucun immeuble New-<br />

Yorkais détruit, David Dunn ne vole pas, il n’a pas arrêté de balles avec<br />

sa main… On se questionne alors en tant que spectateur : est-ce moi qui<br />

imagine tout cela ? Suis-je au fond aussi naïf ? Le fils de David Dunn voit son<br />

père porter des poids lourds (très lourds) et en conclue qu’il est l’équivalent<br />

de Superman. N’est-ce pas la chose la plus normale du monde, s’imaginer<br />

que ses parents sont des super-héros ? Il est intéressant de constater cela.<br />

Car, «Incassable» nous montre comment le <strong>ciné</strong>ma lui-même est un miroir,<br />

celui de nos attentes, où la vérité qui surgira ne dépendra que de la force<br />

imaginative de celui qui regarde.


Alors que dans «Incassable» le miroir<br />

est un lieu où l’on se découvre et<br />

on apprend sur soi, «Split» (comme<br />

son nom l’indique) joue sur la<br />

fragmentation du miroir. Le miroir<br />

est devenu un puzzle à recomposer<br />

et chaque morceau, une personnalité<br />

bien distincte.<br />

James McCoy (aka Kevin Wendell<br />

Crumb + 22 identités) joue<br />

ce personnage aux multiples<br />

personnalités. Parmi les personnalités<br />

qui coexistent, plus d’une dizaine,<br />

renommée la Horde, à pris les<br />

commande et prépare l’arrivée La Bête<br />

(la soi-disant 24ème personnalité).<br />

Pour se faire, ils enlèvent trois jeunes<br />

73SPLIT<br />

filles qui seront livrées à la Bête en<br />

sacrifice.<br />

«Split» est avant tout un film sur le<br />

refoulement. On tait des choses en<br />

soi, on les cache pour qu’on ait plus<br />

à les voir, pour que la glace ne nous<br />

renvoie pas ces horreurs-là lorsqu’on<br />

s’y regarde. Le miroir ici c’est Kevin<br />

Wendell Crumb, celui qui unifie<br />

toutes les personnalités entre elles.<br />

Cependant, le jour où le miroir se<br />

fissure, se fragmente, car les souvenirs<br />

de douleurs passées ressurgissent,<br />

Kevin disparait de « la lumière » et les<br />

personnalités les plus « obscures »<br />

remontent à la surface. Le film donne<br />

d’ailleurs constamment la sensation


74<br />

que quelque chose est à l’œuvre dans l’arrière cours de la<br />

conscience, dont on ne voit rien mais dont on peut pressentir<br />

la venue. On le constate en effet dans différents plans : que ce<br />

soit les plans de la serrure à travers laquelle les filles tentent<br />

d’apercevoir quelque chose ou bien les plans en contre plongée<br />

des escaliers tout au long du film, on ressent qu’une chose<br />

va venir des profondeurs, bien qu’on ne puisse pas encore<br />

la voir car notre vision est gênée (comme les trois filles). A<br />

bien y regarder, la Bête n’est pas une entité démoniaque qui<br />

possède les individus comme dans l’»Exorciste» ou autres<br />

films d’épouvante du même type, elle est l’Autre effrayant qui<br />

sommeille en nous.<br />

La psychiatre du personnage de James McCoy nous l’avoue :<br />

pour réussir à éliminer la horde et stopper la Bête, il faut<br />

appeler Kevin par son nom entier ‘’Kevin Windell Crumb’’.<br />

Ce procédé peut s’apparenter à un procédé réfléchissant (le<br />

miroir) par lequel l’on force l’individu à se regarder, par lequel<br />

on lui renvoie son identité à la figure.<br />

L’idée du miroir fissuré, se retrouve aussi chez Casey Cook<br />

(jouée par Anna Taylor Joy) dont certains souvenirs qu’elle a<br />

tenté toute sa vie d’enfouir, ressurgissent suite à son enlèvement.<br />

Elle ne maîtrise plus rien, tout lui revient en tête, le passé la<br />

hante. Ainsi, on apprendra, à la suite de plusieurs flashbacks<br />

intelligemment disséminés, que lorsqu’elle était enfant son<br />

oncle a abusé d’elle. Les deux personnages principaux du film<br />

se ressemblent sur ce point : ils ont tous les deux à rassembler<br />

les morceaux cassés du miroir de leur vie et à s’affranchir de<br />

leur douleur passée. Kevin n’y arrivera pas puisque la Bête<br />

triomphera. Cependant, Casey y parviendra. Lors d’un des<br />

flashbacks relatant des abus qu’elle a subi, on la voit un fusil<br />

à la main pointant en direction de son oncle sur lequel elle ne<br />

réussira pas à tirer (dommage !). Mais, lorsqu’elle affrontera la<br />

Bête elle se saisira d’un même fusil est réussira à tirer sur elle<br />

(bien que la Bête ne symbolise en rien les hommes qui lui ont<br />

fait du mal).<br />

Même dans sa forme narrative «Split» est comme un miroir<br />

fragmenté. Le spectateur ramasse tout au long du film des


75


outs de miroir qu’il essaie de réassembler. Ce qui s’apparente<br />

au début pour n’être qu’une histoire de pervers enlevant des<br />

filles dans l’optique d’abuser d’elles ne l’est en fait pas du tout.<br />

On pense ensuite à un simple fou à la Norman Bates (qui doit<br />

surement cacher dans une autre pièce le corps de sa mère<br />

morte) et une nouvelle fois on se fourvoie. Assimiler toutes les<br />

personnalités de Kevin (malgré les trois les plus dominantes) peut<br />

s’avérer tout autant être un challenge. Jusqu’à l’arrivée de la Bête<br />

le spectateur est face à un puzzle qui le déroute, dont il a du<br />

mal à assembler les pièces. «Split» réussit ce tour d’illusionniste<br />

d’avoir su jouer tout du long avec les attentes des spectateurs<br />

tout en faisant preuve d’une économie de moyen qui n’est pas<br />

sans rappeler le grand Hitchcock.<br />

«Glass», sorti en salle le 16 janvier, abouti sans nulle doute le<br />

concept du miroir avec brio. Alors que dans «Incassable» le<br />

miroir permettait de se découvrir, «Split» le fissure et «Glass» le<br />

brise. Le miroir n’existe plus. Il ne reste plus ainsi qu’un jeu de<br />

regards francs et cruels portés sur les choses et le monde. Mais<br />

cela, c’est au spectateur d’aller le découvrir.<br />

76<br />

Sebastien Nourian


77<br />

16/01<br />

GLASS<br />

DE<br />

M. NIGHT SHYAMALAN. AVEC JAMES<br />

MCAVOY, BRUCE WILLIS, ANYA TAYLOR-<br />

JOY… 2H10


78<br />

Ma préférée, c’est probablement la glace<br />

à la framboise de mon papa; mais la vanille<br />

du Glacier des Alpes à Annecy n’est pas mal<br />

non plus. Quoi, on parle pas du tout de ça<br />

mais de la conclusion à la fois très attendue<br />

et inattendue d’une trilogie inespérée<br />

d’un grand réalisateur en plein regain de<br />

confiance et d’estime après une longue<br />

traversée du désert ? Autant pour moi, je<br />

pose mon cornet et vais donc vous parler de<br />

“Glass”.<br />

Il serait absurde de voir ce troisième volet<br />

- qui vient après “Incassable” (2000) et<br />

“Split” (2016) - de ne pas observer cette<br />

trilogie à l’aune de la carrière de son auteur<br />

réalisateur. Night M. Shyamalan est passé<br />

de génie incontesté aux yeux de beaucoup<br />

à un raté intersidéral, une blague méritant<br />

d’être parodié dans les Scary Movie. Et ça<br />

c’était avant qu’il commette le péché ultime<br />

qu’est «Avatar, le dernier maître de l’air», et<br />

le film sans âme “After Earth” sur lequel son<br />

nom n’apparaissait quasiment pas... C’est<br />

Jason Blum qui a sauvé sa carrière, d’abord<br />

en produisant un petit film d’horreur très<br />

ingénieux intitulé “The Visit”.<br />

Mais c’est “Split” qui a tout changé. A la<br />

projection, il y a deux ans, le réalisateur<br />

nous supplie avant le visionnage de surtout<br />

ne parler à personne de ce qui arrive à la<br />

toute fin du film. Aujourd’hui, tout le monde<br />

est au courant : par un simple plan dans un<br />

bar, Shyamalan révèle que le monstre aux<br />

personnalités multiples de “Split” existe<br />

dans le même univers que David Dunn, le<br />

héros «d’Incassable». 18 ans après le début<br />

de son histoire, le réalisateur a donc enfin<br />

la possibilité de la terminer... Mais est-ce<br />

réussi ?<br />

Il y aura probablement débat. Certaines<br />

choses fonctionnent à 100 %, c’est<br />

indéniable; les univers des deux films<br />

parviennent à se mélanger aisément, ce qui<br />

est particulièrement grisant à regarder. James<br />

McAvoy, encore un peu artificiel dans son<br />

jeu dans le volet précédent, a dépassé cette<br />

fois toute forme de simple parodie et donne


éellement vie à toutes ses personnalités. La<br />

première heure de “Glass” propose une idée<br />

de départ qui se fait la continuité logique de<br />

cette réécriture des mythes de super-héros<br />

: et si tout ça n’était qu’une désillusion ? Et<br />

si notre société malade nous forçait à rêver<br />

d’exception ? Et si l’on pouvait expliquer<br />

scientifiquement les capacités de nos trois<br />

protagonistes, David Dunn, The Beast, et M.<br />

Glass ? La deuxième heure du film, riche<br />

en twists en tout genre et bien plus directe,<br />

risque de diviser davantage. Elle repose sur<br />

des facilités de scénario tout en établissant<br />

une réponse au discours pessimiste sur le<br />

super-héros comme désillusion.<br />

C’est le personnage de Sarah Paulson qui<br />

construit ce discours dans le lieu quasi<br />

unique du film, son hôpital psychiatrique.<br />

Sa démarche est tout sauf scientifique; elle<br />

tente de plier le monde à sa théorie plutôt que<br />

de l’observer et d’en tirer des conclusions.<br />

En cela, elle est l’ennemie parfaite pour le<br />

vrai héros du film, M. Glass. Lui aussi veut<br />

faire rentrer tout l’univers dans son moule,<br />

celui des comics... En cela, on comprend<br />

rapidement que si Shyamalan fait de son<br />

film un divertissement plus conventionnel<br />

dans sa deuxième heure, c’est parce qu’il<br />

décide d’arrêter de parler de comic books.<br />

A la place, il parle de lui. Un réalisateur à la<br />

vision indéniable, qui est incapable de voir<br />

le monde autrement qu’il le construit dans<br />

sa filmographie. Sarah Paulson, M. Glass,<br />

ce ne sont que des itérations de sa persona<br />

de réalisateur. M. Glass manipule le pauvre<br />

Kevin et ses 22 personnalités, tout comme<br />

le réa dirige ses acteurs. Et les méchants du<br />

film, sans trop spoiler, ce sont évidemment<br />

les majors qui veulent aussi imposer leur<br />

image de ce que c’est qu’un film de superhéros.<br />

On pourra critiquer Shyamalan sur<br />

la facilité de sa conclusion, sur la bêtise<br />

crasse de certaine de ses péripéties et sur<br />

ses dialogues toujours aussi mal branlés, on<br />

ne peut pas lui retirer cet accomplissement.<br />

Il a pondu une trilogie unique en son genre<br />

sur le super-héros. Une trilogie donc, qui lui<br />

ressemble.<br />

Captain Jim<br />

79


RÉTROSPECTIVE<br />

80


M. NIGHT SHYAMALAN<br />

81


82<br />

SIXIÈME SENS (1999)


83<br />

Premier film notoire du réalisateur, «Sixième Sens» n’a pas perdu de sa force.<br />

20 ans après, le film, hybride, s’inscrit comme une pierre angulaire, à la fois<br />

dans le <strong>ciné</strong>ma de Shyamalan que dans le <strong>ciné</strong>ma d’épouvante.<br />

Tout le <strong>ciné</strong>ma de Shyamalan réside déjà dans ce film où l’on retrouve<br />

l’importance du twist finale, son goût pour le fantastique et l’horreur<br />

quotidienne lié à l’intime, son attachement pour les personnages en marge<br />

d’une société sourde et son rejet des effets grandiloquents pour mieux souligner<br />

la force de la peur dans les petites choses. « Sixième Sens » raconte l’histoire<br />

du jeune Cole qui aurait un « secret », il aurait le sixième sens et pourrait voir<br />

les morts. Suivit par le Docteur Malcolm Crowe, psychiatre, tout deux vont<br />

voir leur relation évoluer et s’articuler autour de l’écoute, de la confiance et<br />

de la patience.<br />

Comme beaucoup de <strong>ciné</strong>astes de son époque, Shyamalan réussi à tirer une<br />

force des citations qu’il invoque. Ainsi on retrouve Hitchcock dans certains<br />

plans, comme celui d’une poignée rouge, symbole de l’inaccessible et de<br />

l’insécurité du personnage de Bruce Willis. Les apparitions paranormales<br />

que subit le jeune Cole font échos à «The Shining» de Kubrick. Pourtant<br />

Shyamalan, étrangement, ne fait pas dans le superflus et réussit à distiller son<br />

propos et son histoire grâce à une réelle maitrise de la mise en scène. On<br />

pense notamment à la scène du ‘’jeu’’ lorsque Crowe invite Cole à faire un<br />

pas vers lui s’il réussit à lire dans ses pensées. Ici se joue un moment crucial du<br />

film : en apportant des informations essentielles à son spectateur, Shyamalan<br />

n’est pourtant pas paresseux et réussit, dans un habile jeu de travelling<br />

avant et arrière, à dynamiser cette scène qui redouble alors d’émotions. La<br />

photographie du film capture la détresse de ses personnages. Fujimoto, ayant<br />

alors déjà à son actif des films comme «La Ballade Sauvage» de Malick, va ici<br />

travailler avec une palette de couleur assez terne et froide pour deux raisons<br />

principales. La première afin d‘appuyer sur cette aspect pâle et glaciale de<br />

la vie de ses personnages cherchant à tout prix à échapper à un quotidien<br />

morose et tourmenté. La seconde dans le but d’appuyer sur certaines touches<br />

de couleur rempli de sens : le rouge notamment, symbole de détresse, de<br />

danger, d’inquiétude, mais aussi d’espoir.<br />

«Sixième Sens» est un film qui révèle un réalisateur affirmé, doué d’une<br />

importante maitrise de son médium et qui ouvre les années 2000 avec la<br />

promesse d’un <strong>ciné</strong>ma grand public intelligent.<br />

Baptiste Andre


84<br />

Tous ceux qui suivent la carrière de M.<br />

Night Shyamalan le savent : sa carrière a<br />

connu un revirement de situation envers le<br />

grand public et la critique après les succès du<br />

«Sixième sens» et d’»Incassable». Beaucoup<br />

s’accordent ainsi à établir «Signes» comme<br />

film déterminant dans ce début de la fin<br />

pour le réalisateur avant que «The visit»<br />

et «Split» le ramènent sur le premier plan.<br />

Mais pourquoi ce film en particulier ?<br />

Graham Hess est un ancien pasteur qui<br />

a perdu la foi à la suite du décès de sa<br />

femme. Mais tandis qu’il s’occupe de sa<br />

ferme en compagnie de ses enfants et<br />

son frère, il découvre dans son champ<br />

des agroglyphes. Serait-ce le signe d’une<br />

présence extraterrestre ?<br />

Avec «Signes», Shyamalan a voulu reprendre<br />

à son compte les crop circles que l’on<br />

trouve dans les champs pour s’attaquer à<br />

une famille américaine en plein deuil. Une<br />

mélancolie ambiante pèse tout au long du<br />

récit car c’est la perte qui amène l’avancée<br />

des personnages. Les enfants ont perdu<br />

une mère, le héros sa femme ainsi que sa<br />

foi tandis que son frère subsiste dans une<br />

gloire sportive passée. Cette nostalgie et ce<br />

besoin d’avancer étaient déjà primordiaux<br />

dans «Sixième sens», obligeant Malcolm<br />

Crowe à accepter sa propre mort afin<br />

que sa femme puisse tourner la page. On<br />

ressent également cette confrontation d’une<br />

imagerie fantastique face à une réalité plus<br />

désenchantée, comme dans «Incassable».<br />

Difficile donc de ne pas déceler en<br />

«Signes» des thématiques qui nourrissent<br />

la filmographie de Shyamalan, dans ce qui<br />

rend ses films doucement tragiques.<br />

Néanmoins, on oublie souvent qu’une<br />

noirceur sourde plane également dans ses<br />

œuvres, donnant un sens désespéré aux<br />

actes de ses héros. Cela se ressent dans les<br />

retournements de situation du «Sixième<br />

sens» (avoir suivi un personnage mort depuis<br />

le début), «Incassable» (Elijah responsable<br />

d’atrocités pour trouver un super-héros, le<br />

condamnant à être un méchant), «Le Village»<br />

ou même «Phénomènes» (rien n’expliquera<br />

véritablement la cause de ces suicides). On<br />

pourrait même faire un rapprochement plus<br />

forcé entre ce dernier film (encore moins<br />

aimé) et «Signes», de par leur climat de<br />

paranoïa ambiante ne pouvant totalement<br />

se justifier. Car si beaucoup se sont moqués<br />

de la faiblesse des extraterrestres à l’eau,<br />

combien se sont demandé si leurs attentions<br />

étaient réellement hostiles ?<br />

Ceux qui ont vu le ‘’Chroma’’ sur le film le<br />

savent sans doute mais une théorie renverse<br />

S


IGNES (2002)<br />

la critique d’un prosélytisme religieux pour<br />

mieux retourner une Amérique face à ses<br />

faiblesses. Nous sommes en 2002, Bush<br />

part dans une guerre revancharde suite<br />

aux chutes des World Trade Center et tout<br />

le monde a définitivement peur d’attaques<br />

terroristes devenues plus communes mais<br />

surtout plus médiatisées. Le film profitera<br />

d’ailleurs de la prolifération plus aisée<br />

d’images vidéo amateurs pour tirer une scène<br />

efficace révélant le look des extraterrestres<br />

(critiqué d’ailleurs pour son aspect commun,<br />

choix pourtant délibéré de Shyamalan<br />

voulant reprendre les témoignages de<br />

personnes ayant vu certains ‘’visiteurs’’).<br />

Si la foi religieuse est bien restaurée, c’est<br />

au détriment d’immigrés victimes de leurs<br />

apparences et auquel on ne réagit que par<br />

la violence, violence exacerbée par des<br />

médias belliqueux jouant de la peur des<br />

gens pour l’inconnu pour maintenir leur<br />

attention.<br />

Beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît,<br />

«Signes» profite de la revalorisation de<br />

M. Night Shyamalan pour connaître une<br />

nouvelle vie. Traitement justifié au vu de la<br />

réflexion religieuse bien plus élaborée qu’il<br />

n’y paraît tout en faisant du <strong>ciné</strong>ma de son<br />

réalisateur un reflet de ses terreurs internes<br />

post-11 septembre.<br />

Liam Debruel<br />

85


LE VILLAGE (20<br />

86<br />

M. Night Shyamalan aura connu un<br />

retournement assez fort du public et de la<br />

critique. Surnommé le nouveau Spielberg<br />

au début des années 2000, on finira par lui<br />

coller une image d’auteur prétentieux qui<br />

privilégie les retournements de situations à<br />

ses histoires. Cette image sera accentuée de<br />

manière bien caricaturale car, si ses œuvres<br />

se terminent souvent par un ‘’twist’’, celui-ci<br />

nourrit la narration, rendant nécessaire un<br />

deuxième visionnage pour mieux apprécier<br />

la richesse de l’intrigue. «Le Village» est de<br />

ces films, décrié à sa sortie alors qu’il colle<br />

à l’ambiance américaine ambiante.<br />

Tandis qu’une communauté subsiste dans<br />

la crainte des créatures habitant la forêt qui<br />

l’entoure, une jeune femme se voit obligée<br />

de se confronter aux peurs du village…<br />

Attention, le reste de cet article dévoile des<br />

éléments sur le film. Il est donc recommandé<br />

de l’avoir vu auparavant.<br />

Rappelons le contexte de sortie : nous<br />

sommes en 2004, trois ans après la chute<br />

du World Trade Center, menant à une<br />

politique se voulant forte de Bush et une<br />

perte de repères identitaires aux États-Unis.<br />

En cela, Shyamalan use d’une promesse<br />

de fantastique pour mieux offrir un miroir<br />

sociétal aux américains. Le Village du titre<br />

est autocentré, se forgeant ses propres<br />

ressources et vivant dans la crainte d’attaques<br />

de monstres vivant dans la forêt entourant<br />

la cité. En cela, l’aspect fable se voit mis<br />

en avant, notamment par son héroïne qui<br />

cherche à découvrir le monde extérieur.<br />

Cette nature de conte se voit transfigurée<br />

par Bryce Dallas Howard, dont la beauté<br />

diaphane aura été sublimée par le metteur en<br />

scène. Il se dégage de son personnage une<br />

grâce, un charme autre digne d’adaptations<br />

des écrits des Frères Grimm. Shyamalan<br />

reprend les codes narratifs du genre avec


04)<br />

notamment les règles imposées par la<br />

société, règles qui devront être transgressées<br />

pour amener l’évolution de l’héroïne.<br />

Sauf qu’il y a le twist. Et là où l’on nous a<br />

vendu un film d’horreur rempli de créatures<br />

extérieures, on fait face à leur nature factice.<br />

Cette société médiévale est en réalité<br />

contemporaine à la nôtre. Et là, c’est une<br />

lecture plus précise et acerbe qui se fait de<br />

la société américaine. On en est à un point<br />

où certains critiques parlent de ‘’trahison du<br />

fantastique’’. Pourtant, si le film n’a en effet<br />

plus rien de surnaturel, il offre une nouvelle<br />

couche dans sa narration. La supercherie<br />

dévoilée, c’est donc une confrontation dure<br />

face aux promesses de la promotion. Le<br />

spectateur se trouve confronté au besoin des<br />

dirigeants du Village de faire une expérience<br />

sociale afin de prouver les dangers du<br />

monde extérieur sur une communauté.<br />

Aucune intention négative, seulement<br />

l’envie d’éviter d’autres tragédies humaines.<br />

Ce repli permanent a néanmoins des<br />

conséquences, comme cela aura été prouvé<br />

dans la politique américaine actuelle.<br />

La tragédie est au cœur de toute société<br />

et chercher à prévoir l’imprévisible est<br />

superflu. La dernière partie du récit s’agence<br />

dans ce sens : quoi qu’on fasse, qu’importe<br />

la puissance du repli sur soi, on ne peut<br />

échapper à la terreur qui s’immisce dans<br />

le cœur de n’importe quel être humain.<br />

Shyamalan filme cela avec une forme de<br />

poésie, gérant ses tournures les plus sombres<br />

avec une précision d’orfèvre, symbolique de<br />

la maîtrise narrative du réalisateur appuyant<br />

la justification du retournement narratif. Il<br />

serait dommageable néanmoins de passer<br />

sous silence la photographie subtile de Roger<br />

Deakins, la musique puissante de James<br />

Newton Howard et un casting impeccable.<br />

Si «Le Village» aura été un des films<br />

marquant la fracture entre Shyamalan et son<br />

public, c’est sans doute pour son rapport<br />

déplaisant avec une situation politique<br />

tendue dans une Amérique aux blessures<br />

pas encore cicatrisées. Le film marque<br />

pourtant un sommet dans la carrière du<br />

réalisateur, par sa maîtrise absolue dans<br />

tous ses domaines et son final, sans doute<br />

l’un des retournements les mieux gérés du<br />

septième art par l’approfondissement qu’il<br />

amène et son côté amer, annonçant la fin<br />

d’une jeunesse obligée de sacrifier son<br />

innocence pour ce qui passe comme le<br />

bien-être de sa société. Au vu de la situation<br />

politique causée par Donald Trump, on<br />

peut néanmoins constater (et regretter)<br />

l’intemporalité du récit.<br />

Liam Debruel<br />

87


PHÉNOMÈN<br />

88<br />

Nous l’avons répété à maintes reprises :<br />

M. Night Shyamalan aura connu un<br />

retournement de veste général avec à la clé<br />

les moqueries de nombreuses personnes,<br />

critiques amateurs ou professionnelles. On<br />

pense à l’influent Nostalgia Critic, passé<br />

maître en la matière de se moquer de ses<br />

longs-métrages les plus décriés (on parle<br />

quand même d’une personne qui décrit<br />

Peyton Reed comme ‘’auteur’’ sur ‘’Ant-<br />

Man’’, mais soit…). Mais à qui peut-on<br />

reprocher cette virulence ? Au public ? Aux<br />

critiques (cf «La jeune fille de l’eau», où<br />

l’un meurt sauvagement) ? À Shyamalan<br />

lui-même ? Un peu à tous sans doute. Les<br />

explications du désaccord financier et<br />

critique se trouvent néanmoins au cœur de<br />

«Phénomènes».<br />

Quand une vague de suicides irrationnels<br />

envahit les États-Unis, un professeur et ses<br />

proches tentent de survivre coûte que coûte.<br />

En voilà un film qui s’est bien fait ratiboiser<br />

par tout le monde, Mark Wahlberg compris !<br />

Pourtant, à l’opposé d’un «Bird Box» au<br />

récit bien proche, le film de Shyamalan<br />

s’avère plus intéressant qu’il n’y paraît.<br />

Beaucoup se sont moqués d’une direction<br />

d’acteurs aux fraises et d’une révélation<br />

déclarée comme stupide et mal amenée,<br />

mais ont-ils pris en compte certains points<br />

plus discrets mais essentiels d’une histoire<br />

noyée sous une paranoïa ambiante ? En<br />

effet, comme «Signes» et «Le village» avant<br />

lui, «Phénomènes» peut être interprété par<br />

le biais de la crise de confiance américaine<br />

post-11 septembre. On pourrait même<br />

parler de véritable trilogie sur la peur<br />

américaine et la manière dont elle amène à<br />

une autodestruction individuelle et sociétale<br />

tout en abordant la notion de vide avec<br />

intérêt.<br />

Qu’est-ce qui pousse les gens à se suicider ?


ES (2008)<br />

La plupart des personnes ont pris comme<br />

argent comptant un personnage déclarant<br />

que cela venait des plantes, mais est-ce que<br />

cette confiance est réellement justifiée ?<br />

Comme toujours chez Shyamalan, les<br />

apparences sont trompeuses et il faut creuser<br />

un peu plus pour découvrir… absolument<br />

aucune explication. Si certains trouveront<br />

cela décevant, le traitement est passionnant.<br />

N’y a-t-il rien de plus terrifiant que<br />

l’incertitude, le vide et l’absence de raisons<br />

logiques ? Le manque de réponses amène<br />

encore plus à une dégradation de la société et<br />

de ceux qui la composent. On nous présente<br />

ainsi dès l’introduction un comportement à<br />

la régulation trop «parfaite» (deux femmes<br />

lisant le même livre au même rythme) pour<br />

complètement retourner cette situation.<br />

Tout se dérègle au point que les individus ne<br />

peuvent même plus agir de manière normale<br />

et se comportent avec une forte crainte pour<br />

les autres qu’une folie interne semblant les<br />

consumer à petit feu.<br />

Injustement moqué, «Phénomènes»<br />

mériterait un regain d’intérêt. Bien qu’il soit<br />

largement perfectible, le film de Shyamalan<br />

arrive à mieux traiter la crainte de l’invisible<br />

que d’autres celle de ce qui est visible.<br />

Une menace grondant aveuglément sera<br />

toujours plus terrifiante car elle ne pourra<br />

jamais totalement se mesurer et être<br />

estimée. Shyamalan l’a bien compris et en a<br />

tiré un film à débat parmi les scénaristes qui<br />

tenteraient de quantifier le niveau de terreur<br />

que peut provoquer le vide. Bref, ce n’est<br />

pas le meilleur film de son réalisateur mais<br />

il est bien loin d’être honteux, n’en déplaise<br />

à ceux qui aiment critiquer sans analyser…<br />

Liam Debruel<br />

89


90<br />

RÉTROSPECTIVE


ROBERT ZEMECKIS91


92<br />

I WANNA HOLD YOUR HAND (1978)<br />

Sorti en 1978, ce film n’est pas vraiment une œuvre de Zemeckis. Bien sûr, il l’a co-écrit<br />

et réalisé, mais lui-même n’est pas encore sûr de quel réalisateur il souhaite devenir.<br />

Il faut donc penser ce premier long métrage comme un moment d’expérimentation,<br />

des balbutiements de langage <strong>ciné</strong>ma qui vont construire la technique de Zemeckis,<br />

avant même de nous donner à voir ses passions.<br />

«I Wanna Hold Your Hand» est, vous l’aurez compris grâce au titre, un film sur les<br />

Beatles. Ou plus précisement sur la Beatlemania, c’est-à-dire sur les fans des Beatles.<br />

L’action se passe à New York, devant l’hôtel où les Fab Four sont censés être avant<br />

d’aller jouer sur le plateau du Ed Sullivan Show. Toute l’histoire peut être résumée à<br />

ceci : des adolescents tentent de voir les Beatles. Des considérations bien minimes<br />

mais qui à leurs yeux représentent tout l’univers, ce qui veut dire qu’on reconnaît<br />

déjà une thématique qui deviendra chère à Zemeckis : accomplir l’exceptionnel.<br />

Tout ce qui fait la richesse et la qualité du film, c’est qu’il a su se construire autour<br />

de sa contrainte majeure : il lui est impossible de montrer les Beatles. Zemeckis<br />

joue donc avec le cadre pour suggérer sans cesse et comprend déjà l’importance<br />

capitale de savoir placer sa caméra, et la déplacer pour créer de l’émotion. C’est<br />

un film mineur, relativement inoffensif, et pourtant il pose des bases essentielles<br />

à la filmographie d’un des plus grands <strong>ciné</strong>astes américains de son époque. Pour<br />

bien des raisons, «I Wanna Hold Your Hand» est encore mal connu de nos jours. Il<br />

a pourtant été remasterisé récemment, ce serait donc une bonne occasion de se le<br />

procurer et de découvrir un petit film très intéressant et très amusant.<br />

Captain Jim


QUI VEUT LA PEAU DE ROGER RABBIT ? (1988)<br />

Le film vient de fêter ses 30 ans l’année dernière et n’a pourtant rien perdu de sa superbe.<br />

En 1988, Robert Zemeckis est un des rares réalisateurs hollywoodiens qui s’affirme comme<br />

un véritable auteur. Trois ans après «Retour vers le futur», Bob Zemeckis sort enfin un<br />

projet qui l’attirait déjà en 1982 mais Disney choisissait alors de le mettre à l’écart. Pour un<br />

film avec la genèse et les difficultés de production qu’il a eu, «Qui veut la peau de Roger<br />

Rabbit ?» brille d’ingéniosité et devient dès lors un tournant dans l’histoire de l’animation<br />

au <strong>ciné</strong>ma.<br />

Los Angeles. 1947. Eddie Valliant, détective privé, se voit confier l’enquête suivante :<br />

surveiller la vedette d’un studio <strong>ciné</strong>ma qui semble entretenir une liaison avec un certain<br />

Mr. Acme. Liaison qui peut ternir l’image du studio et bouleverser le mari de ladite vedette,<br />

Roger Rabbit. Jusque là le film sonne comme beaucoup de Film Noir sortie autour des<br />

années 40-50, à cela près que l’univers dans lequel évolue nos personnages est partagé<br />

entre humains et Toons, des personnages issus des cartoons.<br />

Là où Zemeckis réussi un pari que peu peuvent se pavaner d’avoir remporté c’est qu’avec<br />

l’aide de Richard Williams (à la supervision de l’animation), il réussit à rendre plausible<br />

cet univers mêlant prise de vue réelle et animation. Véritable tour de force, le scénario lie<br />

habilement les enjeux de ce monde tout en créant un grand moment de divertissement et<br />

de <strong>ciné</strong>ma. Offrant ainsi des personnages emblématiques comme Roger Rabbit, ce lapin<br />

surexcité qui ne vit que par et pour le rire, Jessica Rabbit, sulfureuse pin-up volant la vedette<br />

à Betty Boop, ou encore Eddie Valliant, détective bourru merveilleusement interprété par<br />

Bob Hoskins. Hommage à la fois à l’âge d’or des cartoons américains (la scène d’ouverture<br />

en témoigne) et aux films noirs, Zemeckis réussit avec «Qui veut la peau de Roger Rabbit<br />

?» à rendre des images animées chaleureuses au cœur même d’un film teinté d’une réelle<br />

noirceur. Beaucoup d’enfants des années 90 seront ainsi traumatisés par la scène finale du<br />

Juge DeMort.<br />

Outre les bons moments que nous propose le film, ce qui le place véritablement sur un<br />

piédestal ce sont toutes les heures de travail qu’il aura bénéficié, toute cette équipe engagée<br />

à faire un film qui leur plaisait, les inventions et avancées technologiques qui le rendent<br />

intemporel. Roger Ebert dira à la sortie du film que ce que l’on ressent quand on voit un<br />

film comme celui-ci n’est pas de l’appréciation. C’est de la gratitude.<br />

Baptiste Andre<br />

93


RETOUR VERS LE<br />

94<br />

Quand une première œuvre a fonctionné,<br />

quel que soit son domaine, on envisage très<br />

rapidement une suite afin de surfer sur sa<br />

popularité. Le <strong>ciné</strong>ma n’est pas exempt de<br />

ce modèle économique, de grands films<br />

ayant connu des suites tantôt mauvaises<br />

(«Le fils du Mask», «Les Bronzés 3»), tantôt<br />

bonnes («Ocean’s Twelve») et parfois même<br />

supérieures («The Dark Knight»). Pressé<br />

de livrer une copie de «Retour vers le<br />

futur», Robert Zemeckis livrera exactement<br />

ce qu’on lui a demandé… ainsi qu’un<br />

exercice de style qui marquera le <strong>ciné</strong>ma de<br />

divertissement.<br />

Cet épisode deux se collera directement<br />

à la fin du premier volet, obligeant à<br />

retourner complètement la séquence afin<br />

de remplacer l’actrice jouant Jessica, la<br />

copine de Marty. Le sort qui lui sera réservé<br />

reste révélateur de l’aspect satirique et non<br />

réfléchi de cette fin originale, critiquant<br />

une forme de capitalisme qui aura touché<br />

la famille McFly. Cette même fin conduira<br />

indirectement à un autre choix narratif, la<br />

mort du père de Marty, suite au désistement<br />

de Crispin Glover. Cette absence marquera<br />

ainsi la narration de manière durable, Marty<br />

devant sauver à nouveau un père de sa<br />

propre volonté cupide. Cet arrière-plan reste<br />

passionnant par ce qu’il prolonge au fur et à<br />

mesure de la trilogie sur les pères, spirituels<br />

ou non, et leur influence sur notre héros.<br />

Le long-métrage captive aussi par sa<br />

manière de réécrire le premier volet et aller<br />

jusqu’au bout de ses paradoxes temporels.<br />

Le film joue de son statut de suite pour se<br />

réapproprier narrativement l’opus original,<br />

tout en constituant un véritable défi<br />

technique dans certaines séquences. C’est<br />

ainsi que les remarquables maquillages<br />

originaux laissent place à des interactions


FUTUR (1989)<br />

entre des personnages incarnés par le même<br />

acteur, que ce soit la famille du Marty du<br />

futur ou la rencontre entre le Doc et son<br />

lui du passé. La technologie reste, comme<br />

toujours chez Zemeckis, inscrite dans la<br />

volonté de raconter une bonne histoire et<br />

passe avec une telle fluidité que, tel un<br />

bon magicien, on se rend compte du tour<br />

seulement après qu’il ait été effectué.<br />

Le film est également marqué par son statut<br />

d’épisode central d’une trilogie. Le troisième<br />

épisode, pur western à réévaluer, devait<br />

ainsi constituer le climax de cette suite<br />

avant d’être finalement prolongé en film à<br />

part entière pour des raisons financières.<br />

Néanmoins, sa manière d’être annoncé en<br />

avance reste intéressante, surtout à une<br />

époque où divers blockbusters, fonctionnant<br />

avec une construction de séries, sont<br />

plus proches de bandes annonces pour le<br />

film suivant qu’une œuvre à part entière.<br />

Les indices disséminés ci et là sont assez<br />

discrets pour la personne n’ayant toujours<br />

pas vu ce deuxième « Retour vers le futur »<br />

(y en a-t-il encore ?) pour ne pas gâcher la<br />

séance tandis qu’ils feront sourire le fan un<br />

peu plus connaisseur, sans réduire à néant<br />

la place particulière de ce deuxième volet.<br />

Toujours porté par la mise en scène aussi<br />

passionnée que passionnante de Zemeckis,<br />

«Retour vers le futur 2 « est un exemple<br />

concret de suite parfaite, osant jouer de<br />

son statut pour se sortir de la case de pur<br />

produit financier dans laquelle on cherchait<br />

à l’enfermer. C’est un divertissement de<br />

grande qualité qui ne vieillit que par sa<br />

représentation de 2015, malheureusement<br />

pour ceux qui espéraient se promener tous<br />

les jours en hoverboard…<br />

Liam Debruel<br />

95


THE WALK (2015<br />

96<br />

Si on rattache Robert Zemeckis à tout un pan<br />

de classiques de la pop culture, on oublie<br />

facilement que ses films les plus récents ont<br />

tout autant de puissance <strong>ciné</strong>matographique.<br />

Preuve en est avec «The Walk».<br />

1974. Philippe Petit, funambule français, va<br />

tenter de traverser sur un fil les deux tours<br />

du World Trade Center peu de temps avant<br />

leur inauguration.<br />

La performance technique a toujours été au<br />

cœur du <strong>ciné</strong>ma de Zemeckis, comme un<br />

enfant qui pose des questions à l’apparence<br />

invraisemblable. Comment transformer<br />

Tom Hanks en six personnages différents ?<br />

Comment faire interagir un acteur avec luimême<br />

? Comment filmer à travers un miroir<br />

pour questionner le rapport sans doute<br />

faussé au père ? Comment permettre à Tom<br />

Hanks de rencontrer Nixon et Lennon ?<br />

Ces interrogations sont ainsi autant de<br />

promesses technologiques qui ont surtout<br />

été riches de manière narrative. Ici, si les<br />

effets semblent plus discrets, ils sont tout<br />

autant essentiels pour l’histoire qui va être<br />

narrée. Car ici, Zemeckis aborde par le<br />

biais du merveilleux le deuil envers l’une<br />

des tragédies ayant marqué l’histoire des<br />

États-Unis, le tout dissimulé dans un film de<br />

braquage romanesque.<br />

Certains tiquent sur l’aspect carte postale<br />

dans la représentation de la France. Cette<br />

innocence de prime abord dissimule<br />

pourtant un œil neuf sur l’Amérique, son<br />

fonctionnement et ses ambitions culturelles.<br />

Le regard étranger de Petit cherche à amener<br />

quelque chose d’extérieur aux États-Unis,<br />

afin d’aborder l’un de ses pans historiques<br />

de manière cachée. Pas de critique frontale<br />

ici mais quelque chose de plus subtil, tel le<br />

final parodique (et mécompris) de «Retour<br />

vers le futur». La discrétion est encore de<br />

mise, le merveilleux et le questionnement<br />

nous prenant à revers par la suite.<br />

Le film fut ainsi un défi technique pour les<br />

responsables des effets spéciaux, notamment<br />

par la longueur des plans de Zemeckis. Là<br />

où des trucages moins bons peuvent passer<br />

inaperçus lors de séquences sur-découpées,


)<br />

une réalisation aussi lisible qu’ici impose<br />

un travail de qualité permanent, notamment<br />

dans la reconstruction de décors d’époque<br />

hyper détaillés, notamment en arrière-plan<br />

du climax. Ce dernier, tout aussi numérique<br />

que la plupart des blockbusters actuels, a<br />

été le fruit d’une méticulosité de la part des<br />

responsables techniques, censé privilégier<br />

un rapport au réel permanent dans cette<br />

reconstruction historique d’un événement<br />

non filmé. Car, point important, si l’on a de<br />

la traversée de Philippe Petit des images,<br />

on n’en a aucune vidéo suite à une caméra<br />

défectueuse.<br />

Le film prend dès lors la tournure d’une<br />

allusion artistique par rapport à la recréation<br />

d’une réalité sur grand écran. Là où un<br />

«Bohemian Rhapsody» cherchait à faire un<br />

copier-coller du concert Live Aid pour les<br />

spectateurs n’ayant pas pu le vivre, «The<br />

Walk» semble s’interroger sur la légitimité<br />

de son action et l’on pourrait voir en Petit<br />

une personnification de Zemeckis. Lui qui a<br />

été un pionnier de la performance capture,<br />

il fonce droit vers l’inconnu, malgré les<br />

accidents de dernière minute qui confèrent<br />

plus de force à son acte encore. Mais au<br />

fond, pourquoi agissent-ils ainsi, prêts à<br />

ruiner leur carrière, l’un par les dangers de<br />

la traversée, l’autre par l’incertitude d’un<br />

box-office prompt à féliciter tout produit<br />

commercial bien vendu plutôt que les<br />

propositions différentes ? Pour donner vie à<br />

l’immatériel.<br />

Et là, on touche à la grâce de «The Walk» :<br />

en offrant une vision de cette traversée<br />

majestueuse entre les World Trade Center,<br />

Zemeckis cherche à aider les américains à<br />

se les réapproprier. Rattachés à jamais aux<br />

avions ayant foncé dessus le 11 septembre<br />

2001, les tours ne sont désormais plus que<br />

des souvenirs, des traumas béants dans le<br />

patrimoine américain. En rejouant cette<br />

déclaration d’amour, le réalisateur de «Forrest<br />

Gump» fait de même, offrant aux tours<br />

jumelles une valeur <strong>ciné</strong>matographique et<br />

cherche à les transcender autrement que par<br />

la terreur. En cela, la fin douce-amère du film<br />

joue à une reconstruction psychologique<br />

par rapport à un acte terroriste toujours<br />

aussi ancré aux États-Unis. Cette marche<br />

est donc également une main tendue vers<br />

un chemin de rédemption, d’avancée vers<br />

l’acceptation de l’acte et une possibilité de<br />

tourner la page. L’échec financier du film<br />

n’en est que plus dommageable, évitant le<br />

bellicisme propre aux attentats pour aborder<br />

une forme de victoire sur la crainte amenée<br />

par le terrorisme.<br />

Et pourtant, «The Walk», derrière son<br />

apparente simplicité, reste un long-métrage<br />

remarquable à bien des niveaux et fonctionne<br />

toujours autant, même sans vivre sur grand<br />

écran les frissons du vertige. Car si l’abîme<br />

est bien sous nos pas, le craindre ne conduit<br />

qu’à une impossibilité de vivre, tel un deuil<br />

permanent dont on ne sait se relever…<br />

Liam Debruel<br />

97


ALLIÉS<br />

98<br />

S’il est une preuve de l’injuste traitement<br />

accordé aux films plus récents de Robert<br />

Zemeckis, ce sont bien les retours frileux<br />

reçus par «Alliés», sorti en 2016. Sur le<br />

papier, tout devrait conduire à une réussite<br />

financière : un réalisateur culte, deux des<br />

acteurs les plus glamours et bankables<br />

actuellement (Brad Pitt et Marion Cotillard),<br />

le tout sur fond de thriller romantique tel<br />

qu’Hitchcock aurait adoré mettre en scène.<br />

Au final, un four au box-office (120 millions<br />

de recettes pour un budget de 85, sans<br />

frais marketing) et une critique mitigée. Et<br />

pourtant, Zemeckis y livre comme toujours<br />

du divertissement de qualité à la profondeur<br />

narrative exemplaire.<br />

Forcés de collaborer pour éliminer un<br />

membre éminent du régime nazi, une<br />

espionne française et son homologue<br />

canadien tombent amoureux. Mais est-elle<br />

vraiment la personne qu’elle prétend ?<br />

Tout est ici question de faux semblants,<br />

un jeu d’apparence qui passe d’abord par<br />

la gestion des acteurs. Leur esthétisation<br />

rappelle un <strong>ciné</strong>ma d’antan, où les interprètes<br />

semblaient éternellement figés sur pellicule.<br />

Zemeckis arrive à rappeler cette sensation<br />

tout en donnant corps à ses héros. Il semble<br />

ainsi que jamais Brad Pitt et Marion Cotillard<br />

n’ont été autant sublimés par la caméra<br />

auparavant. Leurs sentiments se voient<br />

exacerbés par sa mise en scène, que ce soit<br />

une scène de sexe durant une tempête de<br />

sable portée par des traveling circulaires au<br />

plus proche des corps transformant le tout en<br />

sommet de sensualité ou un accouchement<br />

qui se fait sous les bombes, les explosions<br />

poussant à affirmer son identité.<br />

L’identité est d’ailleurs le cœur central<br />

du récit au vu de la situation. Au vu de la<br />

paranoïa ambiante, comment peut-on être<br />

soi-même ? Ce questionnement sur un faux


99<br />

(2016)<br />

semblant permanent plairait à un Brian de<br />

Palma, et par extension à Alfred Hitchcock,<br />

dont l’aspect identitaire était central à ses<br />

productions (notamment au quotidien, dans<br />

le parfait «Fenêtre sur cour»). La tension<br />

apparente de la situation pousse chacun<br />

à mesurer le moindre de ses gestes, le<br />

moindre de ses mots. On pourrait en cela<br />

voir dans ce film une allégorie du métier<br />

d’acteur, dont la maîtrise permanente et<br />

millimétrée de ses mouvements est souvent<br />

d’une discrétion telle qu’elle n’en est que<br />

plus efficace. La symbolique du miroir rentre<br />

également dans cette analyse tant l’objet<br />

est omniprésent. SPOILERS C’est d’ailleurs<br />

lorsque les personnages peuvent s’aimer à<br />

Londres que l’on représente des morceaux<br />

de verre brisé, annonciateurs des malheurs<br />

à venir… FIN DES SPOILERS.<br />

«Alliés» est donc une réussite aussi<br />

remarquable que son échec est injuste.<br />

Zemeckis y livre un pur film rétro à la tension<br />

permanente et au casting impeccable, le<br />

tout avec la même virtuosité visuelle qui en<br />

fait un réalisateur essentiel, même avec ses<br />

derniers titres mal-aimés par le box-office.<br />

Il n’est pourtant pas interdit de voir dans ce<br />

récit d’espionnage, entre «Casablanca» et<br />

Hitchcock, un grand film tel qu’Hollywood<br />

a du mal à en créer actuellement. Ou quand<br />

la romance tourmentée marque durablement<br />

la pellicule, à défaut d’un public aux goûts<br />

assez variables…<br />

Liam Debruel


100<br />

La tribune de Li<br />

Le <strong>ciné</strong>ma d’ani


am :<br />

mation<br />

ma vie de courgette (2016)<br />

101


Il existe des préjugés qui irritent à chaque fois<br />

qu’ils sont déclamés avec une nonchalance<br />

tentant de faire passer ces propos pour des<br />

vérités irréfutables. Cela est d’autant plus<br />

vrai dans le domaine de la culture : certaines<br />

personnes, spécialistes ou amateurs,<br />

réagissent avec dédain et prétention par<br />

rapport à des créations avec une absence<br />

de remise en question intellectuelle. Parmi<br />

ces remarques désobligeantes, l’une des<br />

plus énervantes et stupides concerne le<br />

<strong>ciné</strong>ma d’animation et son statut dans<br />

la production. Ces réflexions peuvent se<br />

résumer en ‘’c’est pour les gamins de toute<br />

façon donc c’est nul’’. Au vu du traitement<br />

accordé par certains pour «Spider-Man :<br />

New Generation» alors que le film a sans<br />

doute plus appréhendé le genre aussi bien<br />

dans sa forme que dans son fond que tout<br />

le MCU réuni, il est temps de défendre (ou<br />

du moins tenter humblement) le <strong>ciné</strong>ma<br />

d’animation.<br />

L’animation pour adultes.<br />

102<br />

Apparemment, ceux qui aiment insulter le<br />

<strong>ciné</strong>ma d’animation en le réduisant à de<br />

la production infantile a la mémoire assez<br />

courte. Pourtant, le ‘’scandale’’ «Sausage<br />

Party» a bien fait parler de lui, aussi bien<br />

dans les médias traditionnels que les réseaux<br />

sociaux. L’auteur de ces lignes se rappelle<br />

personnellement d’une mère de famille<br />

se plaignant d’avoir emmené sa fille de 4<br />

ans voir ce film tout en traitant Disney de<br />

‘’connard pervers’’ (soupir…). Le film, suivant<br />

des produits de supermarché confrontés<br />

à leur mort prochaine par consommation<br />

humaine, avait choqué certains par la<br />

crudité de son langage et une orgie finale,<br />

qui a dû provoquer bien des rires dans les<br />

cours de récré. Pourtant, le problème ne<br />

venait pas du film (plus intelligent qu’il n’y<br />

paraît avec son interrogation sur notre statut<br />

à la religion) mais de la consommation<br />

d’adultes qui ont cru bon d’emmener des<br />

enfants voir ce film (ou le télécharger) car<br />

(ça c’est probablement la tête des parents<br />

devant le film)<br />

‘’c’est de l’animation’’. Une telle forme<br />

systématique de consommation sans<br />

réflexion n’a malheureusement pas eu droit<br />

à un débat plus fourni dans des médias plus<br />

reconnus alors qu’il serait essentiel, surtout<br />

par rapport à la manière dont nous allons<br />

dans les salles ou choisissons les films que<br />

nous allons regarder.<br />

Un bref coup d’œil à l’histoire du <strong>ciné</strong>ma<br />

rappelle que l’animation peut toucher<br />

un public plus averti. On se souvient de<br />

grands noms japonais tels qu’»Akira» ou<br />

«Ghost in the shell», tous deux développant<br />

une imagerie futuriste à la violence non<br />

dissimulée. Aux États-Unis, des séries<br />

comme «American Dad», «Family guy»,<br />

«South Park» ou «Queer duck» marquent par<br />

un humour à la vulgarité assumée. Même<br />

les films d’animation Disney, parangons de


vertu pour certains, regorgent de moments<br />

qui choqueraient certains parents affiliés à<br />

l’association ‘’Promouvoir’’ ou cherchant<br />

absolument à aseptiser toute production qui<br />

ne leur conviendrait pas. Souvenons-nous<br />

de «Blanche-Neige» et sa course effrénée<br />

dans une forêt aussi accueillante qu’un<br />

membre de Rassemblement National (et qui<br />

fait toujours son effet dans l’attraction de<br />

Disneyland, non, ce n’est pas du vécu). Ou<br />

encore la mort de Clayton dans «Tarzan»,<br />

avec l’ombre de son corps se reflétant devant<br />

un Tarzan désemparé. Autre exemple avec<br />

«Roger Rabbit», aux connotations sexuelles<br />

appuyées et son méchant au rire pouvant<br />

traumatiser n’importe quel enfant (non, ce<br />

n’est toujours pas du vécu…). La plupart des<br />

grands films d’animation (ou en comportant)<br />

arrivent à jouer sur toutes les émotions pour<br />

ne s’aliéner aucun public.<br />

Le <strong>ciné</strong>ma d’animation est<br />

un format, non un genre<br />

À une époque où les blockbusters se<br />

rapprochent de plus en plus de l’animation<br />

avec leurs nombreux effets numériques,<br />

pourquoi garder un œil hautain sur le<br />

genre ? Car le voir de cette manière est une<br />

erreur, tout simplement. Si certains metteurs<br />

en scène se servent du dessin animé, de<br />

la stop-motion ou autre animation en<br />

3D, c’est car c’est le meilleur format à<br />

leurs yeux pour raconter leurs histoires.<br />

Prenons «Anomalisa» : Charlie Kaufman<br />

et Duke Johnson profitent du format pour<br />

traiter le syndrome de Fregoli (un trouble<br />

psychologique qui pousse la personne<br />

atteinte à suspecter de voir un autre individu<br />

dans d’autres personnes de son entourage)<br />

par le biais de figurines aux visages presque<br />

tous similaires. Ils profitent même de<br />

l’imperfection de la technique pour tirer<br />

une scène de cauchemar marquante tout<br />

en appuyant la souffrance du personnage<br />

anomalisa (2016)<br />

principal. Prenons plusieurs titres au hasard<br />

pour souligner la multitude de propositions<br />

artistiques en animation : le film superhéroïque<br />

(«Les Indestructibles», «Spider-<br />

Man New Generation»), contes (la plupart<br />

des Disney), comique («Kuzco»), action<br />

(«Resident Evil»), horreur («Blood the last<br />

vampire»), aventure initiatique («Kubo et<br />

l’armure magique»), steampunk («Avril et le<br />

monde caché»), science-fiction («Paprika»),<br />

drame («Perfect Blue»), … La liste s’allonge<br />

encore et encore.<br />

On oublie d’ailleurs l’importance<br />

de l’animation dans les débuts de la<br />

représentation <strong>ciné</strong>matographique. Nous<br />

sommes ainsi passés par le théâtre d’ombre,<br />

auquel tente de se raccrocher le conte des<br />

trois frères dans la première partie d’»Harry<br />

Potter et les reliques de la mort». Venu de<br />

103


harry potter et les reliques de la mort - Partie 1 (2010)<br />

104<br />

Chine et d’Indonésie, cet art de la projection<br />

de figures sur un écran pour raconter des<br />

histoires s’apparente à de l’animation dans<br />

sa manière d’utiliser des figurines. Les<br />

lanternes magiques rentrent dans la même<br />

catégorie au vu de l’utilisation d’images<br />

dessinées dans leur utilisation. Les cartoons<br />

diffusés dans les <strong>ciné</strong>mas avant l’apparition<br />

de la télévision n’hésitaient pas à montrer<br />

leurs sous un jour grivois dans leurs gags.<br />

L’animation, pas un art ?<br />

On peut dès lors s’interroger : comment peuton<br />

cloîtrer le <strong>ciné</strong>ma d’animation comme<br />

un genre et non pas comme une technique ?<br />

Nous pourrions y voir une forme d’irrespect<br />

dissimulé envers les artistes qui s’échinent<br />

à donner vie à leurs personnages. Pourtant,<br />

qu’importe la technique utilisée, chacune<br />

requiert autant de travail, d’acharnement<br />

et de passion pour arriver à son but. Même<br />

un désastre dans tous les domaines comme<br />

«Foodfight» a pu compter sur des personnes<br />

pour au moins terminer cette abomination.<br />

Mais toutes les featurettes, tous les ateliers<br />

d’apprentissage et toutes les interviews de<br />

professionnels dans le domaine ne suffisent<br />

pas à changer l’opinion des gens sur le<br />

sujet. En jetant un œil aux Oscars (bien<br />

que la cérémonie provoque de plus en plus<br />

de réactions négatives), on constate que le<br />

<strong>ciné</strong>ma d’animation est toujours cloîtré dans<br />

un domaine unique, et ce depuis que «La<br />

Belle et la Bête» eut l’audace d’être nominé<br />

en tant que meilleur film en 1992.<br />

En refermant l’animation à un domaine,<br />

on lui nie son art. Séparerait-on un film en<br />

noir et blanc d’un film en couleurs car leur


105<br />

aspect est différent ? Refuserait-on un prix<br />

à un long-métrage muet car son concurrent<br />

est sonore ? La nature protéiforme de l’art<br />

devrait être célébrée et non pas divisée en<br />

catégories que l’on pourrait qualifier de<br />

discriminantes. Cela rentre dans une logique<br />

où le <strong>ciné</strong>ma (voire la culture en général) est<br />

désapproprié par sa nature économique.<br />

Comment vendre une œuvre au public qui<br />

irait le consommer ? Comment peut-on<br />

pousser des gens de tous les jours à voir<br />

son film et pas celui de la concurrence ? Le<br />

marketing a un impact destructeur dans ce<br />

qu’il oblige à expliquer à un large public<br />

composé donc de personnalités hétéroclites<br />

pourquoi son long-métrage doit être vu, au<br />

risque de se mettre à dos des personnes qui<br />

auraient pu être intéressées si on leur en<br />

avait parlé différemment. Il est dès lors plus<br />

aisé de vendre des produits marketables que<br />

des œuvres d’art. Regardons les résultats<br />

stagnants au box-office des films des studios<br />

Laika («Coraline», «Paranorman», «Les<br />

Boxtrolls», «Kubo»). Évidemment qu’un film<br />

traitant de la puissance de l’art par rapport<br />

à un bellicisme primaire est plus difficile<br />

à promouvoir que des Minions devenus<br />

rapidement objets marketings plombants.<br />

Pourtant, en soulignant l’aspect aventure<br />

et le côté merveilleux du visuel, peut-être<br />

que «Kubo et l’armure magique» aurait pu<br />

survivre plus longtemps financièrement.<br />

kubo et l’armure magique (2016)<br />

Les enfants, un public<br />

délaissé.<br />

Et là, on touche à un autre point sensible<br />

dans notre questionnement de départ : si<br />

la remarque d’origine dénigre le <strong>ciné</strong>ma<br />

d’animation, elle dénigre également le<br />

public plus jeune. Si on avait plus de<br />

respect pour les enfants, on ne cautionnerait<br />

jamais un tel étron aussi creux, débile et<br />

irrespectueux que «Les nouvelles aventures<br />

d’Aladin», vendu comme un film ‘’pour


106<br />

toute la famille’’. Il est en effet si évident que voir Kev Adams se foutre une<br />

flûte dans le cul était quelque chose que tout le monde souhaiterait voir sur<br />

grand écran (non). Il faudrait pourtant plus d’intelligence dans la manière<br />

d’appréhender le <strong>ciné</strong>ma pour enfants et non cautionner des produits aussi<br />

dangereux cautionnant l’homophobie et réussissant à être racistes envers à peu<br />

près n’importe qui, y compris votre cerveau. On l’oublie régulièrement mais<br />

si nous sommes passés par les mythes et les récits d’antan, c’est car ceux-ci<br />

servent d’apprentissage et de ciment pour notre construction sociale, comme<br />

la pop culture le fait aujourd’hui. Par la narration (<strong>ciné</strong>matographique ou<br />

autre), nous pouvons jeter un œil différent à notre société ainsi qu’aux autres et<br />

à nous-mêmes. Le <strong>ciné</strong>ma pour enfants peut donc avoir une place essentielle<br />

pour le jeune public, si tant est qu’on lui accorde assez d’importance et qu’on<br />

délaisse l’envie de se faire de l’argent en vendant n’importe quoi, au pire de<br />

propager des messages dangereux dans les merdes distribuées.<br />

En résumé, quand vous dites que ‘’le <strong>ciné</strong>ma<br />

d’animation, c’est pour les gamins’’, vous<br />

ne faites que vous donner une image de<br />

personne irrespectueuse à la bêtise aussi<br />

élevée que l’intolérance. En une phrase,<br />

vous insultez :<br />

- le <strong>ciné</strong>ma d’animation et ses professionnels,<br />

souvent vus avec dédain alors que leur<br />

manière d’aborder le septième art devrait<br />

être célébrée par leur quête régulière d’offrir<br />

quelque chose de neuf dans leur art ;<br />

- le public familial et populaire, qui aura<br />

vu cette dernière dénomination devenir un<br />

mot craché de manière acerbe par certains<br />

connards arrogants alors qu’il devrait<br />

rappeler la volonté noble de toucher le plus<br />

de spectateurs possibles avec qualité ;<br />

- le <strong>ciné</strong>ma en lui-même. Le septième art<br />

est fruit de nombreux conflits, de nombreux<br />

débats souvent peu constructifs exacerbés<br />

par les connaissances diverses en la matière.<br />

Tandis que certains peuvent se permettre<br />

par le format vidéo ou écrit d’insulter les<br />

créateurs et leurs adeptes avec la maturité de<br />

Cyril Hanouna, dire cette phrase rentre dans<br />

le même niveau d’intelligence, d’absence<br />

critique et de respect pour qui que ce soit.<br />

Alors, comme toujours devant une œuvre,<br />

qu’importe son domaine culturel, essayez<br />

d’agir avec bienveillance et réflexion plutôt<br />

qu’avec arrogance et prétention. Le <strong>ciné</strong>ma,<br />

par sa pluralité aussi bien formelle que<br />

narrative, devrait être célébré, surtout quand<br />

des esprits créatifs tentent de repousser les<br />

limites, de divertir mais aussi d’émouvoir,<br />

tout en étant respectueux pour son public.<br />

En réfutant ce droit de créer au <strong>ciné</strong>ma<br />

d’animation, on ne fait que participer au<br />

dénigrement régulier de ce format tout en<br />

interdisant toute forme de débat constructif<br />

et lucide sur le septième art en général. Bref,<br />

ne soyez pas idiots et arrêtez de traiter les<br />

films d’animation comme une personne<br />

hautaine qui cherche à cacher par son ton<br />

son manque de connaissance et de respect.<br />

C’est un art qui, comme toute forme d’art,<br />

cherche à être aimé. Alors pourquoi ne pas<br />

aimer avec considération plutôt que de<br />

vouloir à tout prix casser ?<br />

Liam Debruel


107


108<br />

L’instant


séries<br />

109


Twin Peaks : The Return<br />

110<br />

Près d’un an et demi après la sortie de<br />

«Twin Peaks : The Return», nos cerveaux<br />

sont toujours chamboulés. Les scènes se<br />

bousculent dans nos têtes sans ordre ni<br />

logique. Des flash-backs nous envahissent,<br />

nous émeut. Des plans, des chansons, des<br />

thématiques restent; l’espace est disloqué,<br />

condensé, éclatée. Lorsqu’on visionne<br />

«Twin Peaks», on atteint un point de nonretour<br />

: on ne peut pas plus prétendre ne<br />

pas avoir vu : David Lynch nous remet face<br />

à nos responsabilités de la plus belle façon.<br />

Il est impossible de décrypter les nombreux<br />

messages subliminaux de Lynch; il est juste<br />

question de voir, de vivre et de se souvenir...<br />

Audrey’s Dance<br />

Cette danse est un rêve inespéré. Enfermée<br />

dans un champs contre-champs depuis<br />

plusieurs épisodes, Audrey Horne est enfin<br />

de retour sur le devant de la scène, au sens<br />

littéral du terme.<br />

Apres plusieurs épisodes passés à se disputer,<br />

Audrey et son mari arrivent enfin au Bang<br />

Bang Bar où ils espèrent trouver un certain<br />

Billy.<br />

Au lieu de ça, une annonce : Audrey’s dance.<br />

Les gens s’écartent , la musique commence<br />

; il se passe quelque chose dans le regard<br />

d’Audrey, elle s’avance, commence à danser.<br />

Hypnotisé, comme nous l’étions devant<br />

sa danse dans la saison 1, nous regardons<br />

Audrey Horne danser sur son jazz enivrant;<br />

thème qui se rapproche de la «Dance of the<br />

dream man» du Nain de la Black Lodge.<br />

Les interprétations varient mais il semble<br />

probable que David Lynch ‘’fabrique’’ cette<br />

scène, non pour faire écho au Twin Peaks 1<br />

mais bien pour montrer que tout a changé<br />

depuis... Le personnage évidemment, mais<br />

surtout le monde qui nous entoure et cette


société ; il est évident au fil des épisodes<br />

que David Lynch porte un regard critique<br />

sur notre monde : et le plus malheureux,<br />

c’est que «Twin Peaks» fasse partie de ce<br />

monde...Il y a milles et une façon d’expliquer<br />

la bagarre qui vient mettre fin à ce doux<br />

rêve et ce ‘’What ?’’ à la fin de la scène<br />

mais la vérité est qu’encore une fois, David<br />

Lynch se joue de nous en nous négligeant le<br />

retour d’Audrey, provoquant au passage de<br />

l’amertume et un goût de trop-peu, procédé<br />

qu’utilise Lynch de nombreuses fois dans ce<br />

retour... Mais qu’importe le reste tant qu’on<br />

a cette danse..?<br />

The End...<br />

Qu’on le voulait ou non, la fin du retour de<br />

«Twin Peaks» début septembre pointait le<br />

bon de son nez...<br />

Comment David Lynch allait-il clore ses 18<br />

heures de rêve ? Après un épisode 17 qui<br />

offrait une fin belle et tragique avec cette<br />

reprise du mythe d’Orphée, arrive l’épisode<br />

18 qui se vaut comme le Fire Walk With<br />

Me du «Twin Peaks» original. Totalement à<br />

part...<br />

Il fallait s’y attendre, la fin ne serait<br />

certainement pas celle qu’on espérait tout<br />

au long du retour, David Lynch n’a pas<br />

cessé de nous faire tourner en bourrique,<br />

nous donnant un bout de nostalgie pour<br />

finalement nous l’arracher aussi vite... La<br />

fin n’y échappe pas... Dans on-ne-sait-quel<br />

espace-temps, Dale ‘’Richard’’ Cooper et<br />

une certaine Carie Page, sosie de Laura<br />

Palmer, retournent à Twin Peaks devant la<br />

maison de Laura... What Year is this ? On<br />

ne sait effectivement pas quand tout cela se<br />

passe puisque les habitants de la maison ne<br />

sont pas les Palmer et ne connaissent pas ce<br />

nom...<br />

111


112<br />

Incompréhension... puis soudain tout<br />

revient à la figure de ‘’Carie Laura Page<br />

Palmer’’ qui, suite à violent déclic et face à<br />

tant de violence, hurle jusqu’à en provoquer<br />

un choc électrique... Un cri... la fin.<br />

Qu’est ce que tout cela veut dire ? Judy<br />

les a retrouvés dans une autre dimension<br />

? Les deux personnages se retrouvent-ils à<br />

nouveau dans la Black Lodge au moyen des<br />

poteaux électrique ?<br />

Cette fin est violente. Comme à la fin de la<br />

saison 2, le mal gagne : Le dopelganger de<br />

Cooper s’est échappé de la Black Lodge;<br />

cette fois, Judy retrouve Laura Palmer. La<br />

fin fait finalement sens, Laura, fille de deux<br />

figures maléfiques, enfant du bien et de mal,<br />

hurle face à toute cette violence, qu’on voit<br />

dans la série ou pas... David Lynch ne peut<br />

se résoudre à quitter Twin Peaks et encore<br />

moins Laura Palmer qui est au centre de tout;<br />

il le prouve encore avec cette fin… Tous les<br />

maux du monde peuvent avoir surgit en ses<br />

yeux au moment ou Laura entend les cris<br />

désespérés de sa mère...<br />

Comme toujours avec David Lynch, il faut<br />

voir cette fin, non pas comme une fin en<br />

soi, mais comme un signal d’alerte : il faut<br />

recommencer.<br />

Même si cela semble inespéré, voire<br />

impossible, on espère de tout coeur une<br />

saison 4; le mal ne peut plus vaincre comme<br />

il le fait dans les deux «Twin Peaks»; mais<br />

là encore, tout est fait pour qu’on imagine<br />

nous-même cette saison 4 si jamais Lynch<br />

vint à quitter définitivement ce monde qu’il<br />

aime tant...<br />

Raphael Dutemple


113<br />

No Stars<br />

Un clair de lune. La devanture du ‘’Bang Bang Bar’’,<br />

anciennement ‘‘The Roadhouse’’. Une dame se tient<br />

là, prête à chanter, vêtue d’une robe noir aux stries<br />

noirs et blancs. Une guitare, un synthé et une batterie<br />

suffisent pour accompagner la voix de Rebekah Del<br />

Rio vers un ‘’endroit où tout à commencer’’.<br />

Nous sommes à la fin de l’épisode 10 et David<br />

Lynch nous alors habitué à voir un épisode se<br />

terminer par une performance d’artistes filmé avec<br />

élégance et humilité, laissant place à la musique<br />

et à l’atmosphère. Or, avec Rebekah Del Rio c’est<br />

une tout autre relation que le spectateur peut tisser.<br />

Beaucoup se remémore alors la scène du Club<br />

Silencio de «Mulholland Drive». Lynch invoque<br />

une entité ancré dans nos mémoires et bouscule<br />

notre appréhension de cette scène.<br />

Ayant co-écrit les paroles avec la chanteuse, il parait<br />

évident que la chanson «No Stars» qu’interprète<br />

Rebekah Del Rio nous révèle bien plus que les autres<br />

chansons jusqu’alors performées. La noirceur de la<br />

série se reflète dans les paroles et l’on entre dans<br />

un monde où le rêve tient une place importante.<br />

«Under the starry night, long ago», le ciel était<br />

rempli d’étoiles, mais maintenant c’est un rêve, et il<br />

n’y a plus d’étoiles. No Stars.<br />

La musique, tragiquement, sonne comme une<br />

dernière ballade. La présence de Rebekah Del Rio<br />

nous rappelle un vieux temps, un temps qui semble<br />

perdu, corrompu dans l’univers de Twin Peaks. Mais<br />

David Lynch nous laisse presque une dizaine de<br />

minutes contemplé cet ancien temps.<br />

Mais la présence de la chanteuse ne fait pas<br />

seulement office de clin d’œil, elle ouvre également<br />

une nouvelle pensée : la ‘‘White Lodge’’ dont<br />

parlent les personnages n’est-elle pas représentée<br />

par la chanteuse. Arborant une robe aux formes si<br />

facilement reconnaissable, celle de la Black Lodge,<br />

mais cette fois si le rouge est remplacé par le noir. En<br />

attendant, fatalement, le générique se met à défiler<br />

et l’épisode 10 se clôt encore une fois sur ces mots<br />

qui résonnent en nous : ‘’No Stars’’.


I am the FBI<br />

On réalise pleinement la force d’écriture de Mark Frost et David Lynch lorsque ceux-ci sont<br />

capable de rendre l’un des personnages les plus appréciés de l’univers télévisuelles en un<br />

petit homme apathique du doux surnom de Dougie, sans pour autant nuire à la série. Bien<br />

au contraire.<br />

Dale Cooper brillait dans «Twin Peaks» par son sens de déduction, sa bonne humeur et sa<br />

force de caractère. Alors quand la troisième saison réduit Cooper à Dougie, cet homme bien<br />

mou, la surprise fut déconcertante. Mais au fil des épisodes, on s’attache à ce personnage,<br />

à cet original. Petit à petit, David Lynch fait grandir l’espérance du spectateur vis-à-vis du<br />

retour de Cooper. Est-ce dans cet épisode ? Le suivant alors ? Cette attente rend encore plus<br />

jouissif son retour dans l’épisode 16, à la suite d’une prise de conscience inattendue.<br />

Dougie, assis, mange impassible une part de gâteau. Il appuie au hasard sur les touches de<br />

la télécommande pour finalement allumer la télévision qui diffuse «Sunset Boulevard» Les<br />

phrases ‘‘The old team together again’’ et ‘’Get Gordon Cole’’ semble résonner en lui, puis,<br />

étrangement attiré par la prise, Dougie plante sa fourchette à l’intérieur et s’électrocute.<br />

114<br />

Cet acte aura en partie raison de lui, puisque Dougie n’est plus, Dale Cooper est revenu à<br />

100%. Cet enchainement d’événements rend la scène de l’hôpital absolument remarquable<br />

car cette fois ci les ordres fusent, des phrases entières sont prononcées et Dale Cooper<br />

reprend les choses en main. C’est une véritable leçon d’écriture car la patience et l’amour<br />

dont fait preuve David Lynch dans l’écriture et l’évolution de son personnage permet de<br />

créer une scène libératrice et pleines de souvenirs. Jusqu’à cette réplique, prononcé avec<br />

assurance, joie et dévotion, marquant définitivement le retour de Dale Cooper : ‘’I am the<br />

FBI !’’<br />

Baptiste Andre


115


titans - saison 1<br />

116<br />

S’il y a une équipe super-héroïque qui<br />

aura connu un sort particulier dans ses<br />

itérations culturelles, c’est bien les Titans.<br />

D’abord adaptée en une série animée qui<br />

aura marqué la jeunesse de nombreuses<br />

personnes (notamment l’auteur de ces<br />

lignes), elle sera rebootée de manière plus<br />

ouvertement cartoonesque. Cette orientation<br />

divisera largement et provoquera la colère<br />

de nombreux fans, qui ignoreront des clins<br />

d’œil assez sombres pour reprocher le ton<br />

ouvertement humoristique. Après un longmétrage<br />

animé assez intéressant sur ses<br />

reproches sur l’overdose super-héroïque,<br />

c’est donc maintenant au format live que<br />

s’adapte les Titans. Pour le meilleur ou pour<br />

le pire ? Disons que nous sommes assez<br />

divisés.<br />

D’un côté, il faut admettre que l’aspect plus<br />

‘’sombre’’ est assez bien géré. Là où l’on<br />

craignait une rage adolescente immature,<br />

on fait face à quelque chose d’un peu<br />

plus profond. La colère qui gronde chez<br />

nos personnages résonne par leur aspect<br />

asocial, en particulier chez un Robin<br />

à l’écriture qualitative. Son interprète,<br />

Brandon Thwaites, confirme le talent que<br />

l’on a pu voir en lui à travers des projets<br />

indépendants comme «The signal» et<br />

«Oculus», et que certains occultaient à la<br />

suite de blockbusters aux recettes déceptives<br />

comme «Gods of Egypt» ou le cinquième<br />

«Pirates des Caraïbes». La série établit ainsi<br />

sa propre mythologie avec un certain intérêt<br />

qui donne envie de continuer de visionner<br />

les épisodes.<br />

Mais de l’autre côté, certains points nous<br />

perturbent. Le dernier épisode condense<br />

les soucis que peut poser la série : une<br />

trop grande mise en avant de Robin par<br />

rapport à d’autres membres de l’équipe,<br />

une affiliation à l’univers DC par moments


117<br />

incertaine ainsi qu’un traitement maladroit<br />

dans certains points narratifs. On mettra<br />

de côté quelques effets trop voyants pour<br />

souligner l’incertitude générale par rapport<br />

au ton et à l’orientation à choisir en général.<br />

Loin de la catastrophe annoncée, «Titans»<br />

est intéressant dans le paysage télévisuel DC<br />

et mérite la curiosité entourant le projet. On<br />

espère néanmoins plus de confiance dans la<br />

saison 2 pour voir ce qu’elle pourra raconter<br />

à propos de ces héros plus proches de la<br />

version Dark de la Justice League que de<br />

l’équipe devenue flamboyante et symbole<br />

d’espoir dans sa diégèse du DCEU.<br />

Liam Debruel


118<br />

Au fur et à mesure des scandales entourant son<br />

métier, le journaliste a vu sa représentation<br />

culturelle dévaluée au fil des années. C’est<br />

ainsi qu’on le voit comme un profiteur,<br />

faisant passer des informations fausses ou<br />

dangereuses par bien-être économique sans<br />

penser à son auditorat ou tout simplement<br />

au bien commun. La sortie l’année passée<br />

de «Pentagone Papers» s’est dès lors révélée<br />

rafraîchissante, le journaliste étant ré-iconisé<br />

sans ignorer les tiraillements économiques<br />

(publier avant la concurrence, gérer avec<br />

le pouvoir) inhérents au métier. En cela,<br />

« Press » agit avec la même ambition mais<br />

via des armes différentes.<br />

Deux journaux concurrents partagent le<br />

même immeuble. On retrouve d’un côté<br />

The Herald, média sérieux cherchant des<br />

informations de qualité, et de l’autre, The<br />

Post, tabloïd qui privilégie la rapidité à la<br />

sûreté.


119<br />

press - saison 1<br />

En traitant de deux types de médias papiers<br />

connus, « Press » aurait pu tomber dans<br />

une dichotomie facile et manichéenne.<br />

Pourtant, cette série britannique parvient à<br />

conserver ses nuances tout en expliquant<br />

le fonctionnement de journaux aussi<br />

antinomiques en apparence que proches<br />

dans plusieurs de leurs méthodes. On<br />

nous plonge en plein milieu du travail de<br />

divers journalistes au portrait dressé parfois<br />

simplement mais avec assez d’épaisseur<br />

pour les reconnaître et donner un sens plus<br />

humain et faillible au récit.<br />

Plusieurs facteurs souvent oubliés dans la<br />

description journalistique prennent ainsi<br />

une place prépondérante dans leurs actions<br />

et dans leur quête d’informations. On<br />

parle de sources devant rester absolument<br />

anonymes, d’internet qui pousse à publier<br />

toujours plus vite, parfois trop vite, ou<br />

encore de scandales dont la manière d’être<br />

géré provoque le questionnement sur leur<br />

traitement médiatique. «Press» est ainsi<br />

totalement ancré dans les interrogations<br />

actuelles et perpétuelles de journalistes<br />

qu’on a trop vite fait de critiquer tout en<br />

ignorant leurs obligations en coulisses,<br />

que ce soit envers leurs employeurs, leurs<br />

lecteurs ou même leur éthique personnelle.<br />

«Press» est assez éloigné d’un «Newsroom»<br />

mais profite de son ‘’faux calme’’ britannique<br />

pour brosser avec efficacité le portrait d’un<br />

métier malmené de tous les côtés. Si la<br />

série risque de ne pas amener autant de<br />

vocations qu’un «Pentagone Papers», elle<br />

devrait permettre de découvrir plus en détail<br />

pourquoi le journalisme n’est pas un métier<br />

mais un sacerdoce.<br />

Liam Debruel


120<br />

les chroni<br />

Burning de Lee Chang-Dong - 2018<br />

(2h28), avec Yoo Ah-in, Jeon Jong-seo<br />

et Steven Yeun. En DVD le 5 février.<br />

«Burning» est de ces films qui s’immiscent<br />

dans nos souvenirs pour y venir s’y terrer<br />

et nous laisser un étrange goût. Celui d’être<br />

passé à côté de quelque chose. Il muri doucement<br />

pour finalement s’instaurer comme<br />

l’un des grands films de l’année 2018.<br />

Inspiré par le livre intitulé «Les Granges Brulées»,<br />

Lee Chang-dong nous donne à voir<br />

l’évolution de Jongsu au sein d’un étrange<br />

triangle de relations. Tout à fait par hasard,<br />

il rencontre Haemi, une vielle connaissance<br />

d’enfance à qui il se lie très vite. Cette dernière<br />

lui demande de bien vouloir s’occuper<br />

de son chat pendant son absence puisqu’elle<br />

part en Afrique pour vivre l’expérience des<br />

Great Hunger, ces gens jeunes avides de découvrir<br />

un sens à la vie. Mais sa relation avec Haemi se voit contraint lorsque celle-ci<br />

rentre accompagné de Ben, un jeune homme étrangement tranquille et visiblement aisé.<br />

Lee Chang-dong joue ainsi avec son spectateur et ses attentes en faisant doucement grimper<br />

la tension tout en veillant à parsemer son histoire d’indices (ou non) sur la véritable<br />

nature de Ben. On évolue ainsi sur une pente qui ne cesse de sembler de plus en plus descendante.<br />

Mais le réalisateur réussit à insuffler à certaines scènes un souffle presque mystique<br />

et voir danser Haemi face à un couché de soleil sur du Miles Davis est définitivement<br />

un grand moment de <strong>ciné</strong>ma.<br />

Baptiste Andre


ques dvd<br />

Coffret « Il était une<br />

fois…Hollywood »<br />

Edité par les Editions<br />

Montparnasse et<br />

réalisé par Clara &<br />

Julia Kuperberg. 2018. 10<br />

épisodes d’environ 52<br />

minutes.<br />

«Il était une fois…<br />

Hollywood» est un<br />

splendide coffret DVD de<br />

10 films documentaires<br />

sur l’âge d’or du <strong>ciné</strong>ma<br />

américain dans les studios<br />

hollywoodiens. Clara et<br />

Julia Kuperberg font preuve<br />

d’un éclectisme magistrale<br />

permettant aux spectateurs<br />

de revisiter cette période<br />

sous des angles peu ou pas<br />

abordés dans les histoires<br />

du <strong>ciné</strong>ma contemporaines.<br />

Ainsi, Orson Welles côtoie<br />

Gene Tierney, Ronald<br />

Reagan ou encore Steve<br />

Schapiro. On revient sur les<br />

périodes importantes et on<br />

redécouvre avec plaisir cette<br />

époque pleine de censure,<br />

d’espions, de commères. Un<br />

trait d’honneur est également<br />

mis sur l’importance<br />

éminente des femmes, stars<br />

ou de l’ombre, à Hollywood.<br />

Outre la diversité de son offre, le coffret brille d’autant plus<br />

grâce à un contenue riche en archives de l’époque et à la<br />

qualité des interventions des interviews (on voit notamment<br />

passer Martin Scorsese et James Ellroy). En bref, «Il était<br />

une fois… Hollywood» n’a rien à envié aux documentaires<br />

de Bertrand Tavernier ou Martin Scorsese car il nous donne<br />

tout autant envie de découvrir ou redécouvrir ce pan de<br />

l’histoire du <strong>ciné</strong>ma !<br />

Baptiste Andre<br />

121


122<br />

Under The Silver Lake<br />

De David Robert Mitchell, 2018<br />

(2h19), avec Andrew GarFieLd, Riley<br />

Keough, Topher Grace. En DVD le 11<br />

décembre.<br />

Sam (Andrew Garfield) un jeune homme<br />

sans emploi, enquête sur la disparition<br />

de sa mystérieuse voisine, Sarah (Riley<br />

Keough). Entre théories complotistes et<br />

références pop culture, il est forcé de<br />

traverser un Los Angeles surréaliste pour<br />

avoir le fin mot de cette histoire. Second<br />

long métrage de David Robert Mitchell,<br />

l’homme derrière le gros succès qu’a été<br />

“It Follows”, “Under The Silver Lake” était<br />

attendu au tournant. Mais ce néo-noir<br />

postmoderne tient-il ses promesses ?<br />

Derrière cette représentation onirique de<br />

la capitale mondiale du <strong>ciné</strong>ma — ce<br />

qui n’est pas sans rappeler des films tels<br />

que “Mulholland Drive”, pour n’en citer<br />

qu’un — se cache un propos complexe<br />

sur ce qu’on fait de la pop culture : les<br />

citations sont variées, allant du plus classique<br />

comme le <strong>ciné</strong>ma d’Hitchcock au<br />

<strong>ciné</strong>ma presque actuel comme l’ère Andrew Garfield de “Spider-Man”,<br />

d’ailleurs au top de sa forme dans ce rôle de détective<br />

improvisé. “Under The Silver Lake” emprunte beaucoup<br />

à l’histoire du <strong>ciné</strong>ma mais garde malgré tout son style bien à<br />

lui, bien loin du mash-up indigeste qu’il aurait pu être.<br />

Mais ce film est aussi un labyrinthe, à la fois dans l’enquête<br />

intra-diégétique du film et, plus largement, dans sa forme. Il<br />

est de ce genre de films qui fascinent, appelant à de multiples<br />

visionnages pour mieux en saisir l’essence, quitte à se retrouver<br />

à la place du héros du film et finissant, aussi, par peut-être<br />

donner plus de significations à ses oeuvres préférées qu’elle<br />

ne prétendent en avoir.<br />

Ali Benbihi


passade De gorune aprikian, 2017<br />

(1h25), avec fanny valette, amaury de<br />

crayencour.<br />

C’est avec plaisir que nous avons reçu des<br />

éditions Montparnasse un exemplaire de<br />

«Passade». Mais est-ce que le visionnage fut<br />

tout aussi plaisant ?<br />

Paul et Vanessa viennent de faire l’amour.<br />

Lui est dessinateur, elle escort-girl. Dans<br />

leur chambre d’hôtel s’entame une<br />

conversation…<br />

Ah, l’amour, quel vaste sujet ! Présent partout<br />

culturellement, ce sentiment est sans doute<br />

le sujet principal de maintes et maintes<br />

œuvres à travers les siècles. «Passade» fait<br />

indubitablement partie de cette liste, le<br />

dialogue entre nos deux héros se portant sur<br />

l’amour et ses conséquences. Leur chambre<br />

a ainsi un rôle cloisonnant, la fenêtre<br />

donnant sur une vue aussi belle qu’elle est<br />

inaccessible, un peu comme une satisfaction<br />

totale d’un point de vue sentimental. On a<br />

par instants une sensation de théâtre filmé<br />

de par le huis clos « imposé » par la situation<br />

des personnages. Néanmoins, le film arrive<br />

à échapper aux carcans des clichés du<br />

film ‘’auteuriste’’, comme certains aiment<br />

s’en plaindre, pour atteindre une forme de<br />

douceur.<br />

L’une des grandes réussites du film est le<br />

duo d’acteurs Fanny Valette et Amaury de<br />

Crayencour, à l’interprétation sensible de par<br />

leurs détails, dans un petit geste par-ci, un ton<br />

par-là. Ils soufflent une forme d’innocence<br />

à leurs personnages, idéalistes confrontés<br />

à un renfermement sentimental extérieur<br />

qui ne peut que laisser leurs blessures à<br />

l’air libre. Sauront-ils se soigner chacun<br />

ou retomberont-ils dans leur quotidien<br />

douloureux ? C’est un questionnement<br />

intemporel qui émerge du film avec un<br />

traitement à la simplicité apparente pour<br />

mieux désarçonner, surprendre dans les<br />

doutes de chacun. Si l’édition DVD reçue<br />

est épurée au niveau des bonus, il n’y a rien<br />

à dire sur son aspect technique.<br />

«Passade» est donc un huis clos amoureux<br />

mélancolique, 83 minutes de douceur<br />

évanescente et de questionnements sur les<br />

douleurs et les plaisirs provoqués par l’amour<br />

et nos relations sentimentales. Certains<br />

rejetteront en bloc cette proposition, les plus<br />

sensibles risquent d’en ressortir touchés par<br />

la nature humble et délicate de celle-ci.<br />

Liam Debruel<br />

123

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