Le sens, le texte d’une œuvre dépassentle champ des intentions éventuellesde celui ou de celle qui l’a créée.Le trou, le manque génèrent de la signification.Pour moi, l’art, c’est œuvrer à la présentationde l’indicible, de tout ce qui est inefficace, sanspertinence. C’est un dialogue avec ce quin’a ni nom ni identité, avec ce qui échappeà tout cadre conceptuel, avec ce qui estau-delà des mots et pourtant si proche.Ce sont des trous qui me laissent perplexeet dont j’ignore les voies qu’ils ouvrent ou lessecrets qu’ils cachent. Ce qui y réside suscitedu malaise, ne se prête à aucun encadrementet échappe à toute tentative de le cernerpar la raison. Que d’efforts pour un si piètrerésultat, qui côtoie l’impossibilité. Mais c’estce qui me pousse à poursuivre sur cette voie.Le style, le médium et le matériau n’ont qu’unevaleur relative, car leur rôle se limite à dégagerdes solutions graphiques pour faire apparaîtrecet innomé dont l’existence se soustrait auxconcepts existentiels, et qui “déambule” entreles signes, les formes et les couleurs – à lafaçon des blancs séparant les mots d’un texte.Ce vide nous rend créatifs, parce qu’il nous forceà partir à la recherche de ce qui manque – unedémarche qui connaît beaucoup de noms. Iln’y a pas de synthèse, car la synthèse, c’estce qui est absent, c’est ce qui nous manque.Le style ne saurait pas davantage y remédierpar la recherche d’une unité de forme, enfaisant miroiter une certitude inexistante.Toutefois, sa qualité esthétique est capablede séduire les regards et de leur offrir unpoint de repos en attendant de poursuivrel’exploration. Les images se voient donnerla possibilité de décliner une série infinie designifications, aujourd’hui, demain, voire aprèsdes années. Une œuvre n’est jamais achevée,elle est proposée comme un devenir permanent,comme des trous qui laissent perplexe et quine se laissent jamais fermer définitivement.Il ne faudrait pas en conclure que chacunede mes œuvres réclame une lecture dansce contexte, car certaines d’entre ellesrelèvent plutôt d’études graphiques.L’utilisation de matériaux et de supports divers,imposant chacun du respect et de la patienceen vertu de leur spécificité, est susceptibled’accroître la composante artisanale, sourced’une dose de plaisir manuel certain.Quoi qu’il en soit, il y a quelque chose d’acharné,de fou et d’enfantin dans la méthode fastidieuse,artisanale et sale pour aboutir à une imagecondensée et vraie, qui peut être placée à côtéd’une production graphique propre, relevantde la technologie la plus sophistiquée.L’art n’a pas de place, l’art trouve de la place.Au sujet de la gravureL’alchimie de la gravure est essentiellementl’impression d’une image enfoncée,alimentée par l’encre, qui se développe ets’unit au papier humide. La plaque blesséeest réconfortée et guérie par l’encre.Colette Cleeren est née en 1953 à Hasselt, en Belgique.Diplômée en arts graphiques de l’Académie Sint-Lucasd’Anvers, elle a poursuivi ses études à l’Académie desbeaux-arts de la ville de Hasselt en y intégrant aussi lapeinture. Elle a participé à plusieurs stages et ateliers,notamment aux séances de travail annuelles au Centreinternational de l’estampe Frans Masereel. Elle a été invitéeà résider en Chine à la Guanlan Original Printmaking Base.Son œuvre est représentée dans divers muséeset collections publiques.Plusieurs fois lauréate, elle s’est vu décerner des prixnationaux et internationaux dans différentes disciplines.Elle a réalisé une contribution graphique au recueil depoèmes Blindganger, de Gerda De Preter, et a collaboréavec des gens de lettres dans divers projets. Par ailleurs,elle a publié dans des revues d’art et de poésie.Elle vit et travaille à Anvers.www.colettecleeren.bewww.bamart.bewww.kunstinhuis.bewww.instagram.com/ateliercc38
Colette CleerenPage 39 : The Silence of the Lambs VI, papier peint imprimé, gravure polymère, cyanotype,chine collé, gampi, wenzhou, papier noir, 70 × 50 cm id. papier, 2019Page 40 : Adagio Sostenuto, gravure, pointe sèche, lino offset, chine collé, gampi, hahnemühle litho gray, 35 × 56 cm, 2017Page 41 : Resonance Room I & II, papier peint imprimé, gravure polymère, novilon intaglio, aluminium spit bite, techniquessèches, chine collé, encre shellac sur papier japonais, papier de soie, simili japon, 129 × 48 cm id. papier, 2014LandeScape II, gravure, pointe sèche, aquatinte, chine collé, gampi, hahnemühle, 30 × 25 cm, 2019Pages 42 et 43 : Closing Time III, encre shellac, lino offset, novilon intaglio, eau-forte, gravure polymère,chine collé, collage, papier japonais, zerkall, 55,8 × 39 cm id. papier, 201739