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Croyez-vous que cette attitudc est indispensable ? Ne croyez-vous pas que<br />

1'artiste s'écarte ainsi de son ttuvre et de sa profession ?<br />

— Non. Ce qui manque à 1'artiste, bien souvent, c'est justement cette<br />

préoccupation plus grande, qui le porterait vers d'autres connaissances et<br />

donnerait à son travail une autre dimension, en le rendant heureux.<br />

Quand avez-vous commencé à vous intéresser aux problèmes sociaux ?<br />

— Je crois que je suis vemi au monde avec une aversion naturelle contre<br />

Ia bourgeoisie, et ses privilèges. Cest ce qui explique pcut-être que je<br />

n'ai jamais oublié, alors que j'avais à peine douze ans, ma grand-mère<br />

disant à notre domestique, comme si elle était dans sa ferme de Maricá :<br />

« Enleve ce chiffon de Ia tête, les négresses ne mettent pas ça ! ».<br />

Acceptez-vous ceux qui ne pensem pas comme vous ?<br />

— Je suis pour Ia totale liberte de pensée écrite et parlée, c'est Ia raison<br />

pour laquelle j'accepte ceux qui ne pensent pas comme moi. J'ai eu des<br />

amis de toutes les tendances, même dês « intégralistes », et nos divergences<br />

politiques n'ont jamais influé sur notre amitié. Je me disais qu'ils se<br />

trompaient et, bien sür, ils en pensaient autant à mon sujet.<br />

Croyez-vous que les intellectuels et les artistes doivent participer aux problèmes<br />

politiques ?<br />

— Tout le monde participe. Quelques-uns contre, d'autres en faveur.<br />

Même ceux qui se taisent participem. Omettre c'est accepter. Le pire<br />

est qu'ils le font avec Ia conscience lourde, en cherchant un refuge dans<br />

le déterminisme, possédés par cette angoisse douloureuse que Kierkegaard<br />

appelait angoisse d'Abraham.<br />

Avez-vous des préoccupations d'ordre religieux ? Etes-vous catholique<br />

comme Ia majonté des Brcsiliens ?<br />

— Je ne suis pas catholique mais j'aimerais croire à quelque chose.<br />

Pourtant, Ia science est si profonde et Ia vie si hostile que je finis par<br />

me demander comme notre frère Vinícius de Morais : « Si c'était pour<br />

tout défaire, pourquoi 1'avoir fait ? ».<br />

Comment comprenez-vous 1'amitié ?<br />

— J 'aimerais pouvoir parler d'une amitié différenle, 1'amitié qui réunit<br />

les hommes comme de vrais camarades dans cette courte aventure, pleine<br />

de surprises, qu'est Ia vie. Je ne parle pas de l'amitjé défensive, de Ia peur,<br />

des ombres et des mystères, mais de quelque chose de plus grand, quasi<br />

cosmique, plein de comprehension, de détachement et de solidarité. Quand<br />

on parle d'amitié, on se limite aux amis, chacun dans son petit groupe.<br />

Aux autres, à notre frère inconnu et tant de fois misérable, il reste seulement<br />

un intérêt mineur, le reste presque toujours démagogue et jamais<br />

obligatoire.<br />

Queis sont les souvenirs marquants de votre enfance et de votre adolescence<br />

?<br />

— J'ai lu un texte merveilleux d'Alceu Amoroso Lima, Ia visite, pleine<br />

de tendresse, qu'il a fake à sa vieille maison de Cosme Velho. Je me suis<br />

souvenu aussitôt de Ia maison ou je suis né et ou j'ai vécu, rue Passos<br />

Manoel, dans le quartier de Laranjeiras. Cette rue a pris par Ia suite le<br />

nom de mon grandnpère, ministre de Ia Cour Suprême : Antônio Augusto<br />

Ribeiro de Almeida. Les temps passes sont alors revenus à ma mémoire :<br />

Ia rue, tellement inclinée que je me demande encore comment je pouvais<br />

Ia redescendre en courant lorsque je jouais au football; et puis notre<br />

maison, avec ses fenêtres disposées symétriquement sur le devant, Ia<br />

véranda qui Ia contournait jusqu'au bout du jardin, 1'entrée qui, je ne<br />

sais pourquoi, portait les initiales de ma famille...<br />

Je me suis souvenu aussi de ria grand-mère, un trousseau de clefs à Ia<br />

ceinture, fermant portes et fenêtres ou, le dimanche, ouvrant d'un air<br />

sérieux une des fenêtres du salon, 1'oratoire, car on y célébrait Ia messe<br />

en présence de tous nos voisins. Je me suis souvenu bien sür, avec<br />

émotion, de mes grands-parents, de mes parents, de mes frères et sceurs,<br />

de mes oncles et tantes, de ma cousine Milota, qui a été pour moi une<br />

seconde mère, que de < saudade » !<br />

Ensuite, c'est le jardin d'enfant de Dona Herminia Lira da Silva, le<br />

collège et, à quinze ans, le Fluminense Futebol Clube, le Clube de Regatas<br />

Guanabara, le café Lamas et le quartier de Ia Lapa, ma promenade<br />

préférée. Enfin, 1'Ecole Nationale des Beaux-Arts ou j'ai termine mes<br />

études d'arohitecture.<br />

Vous êtes considere comme le plus grand architecte du Brésil et un des<br />

plus grands du monde. Vous avez, d'autre part, énormément de travail.<br />

Etes-vous un homme riche ?<br />

— Cette question ne m'a jamais interesse et je vais vous raconter des<br />

histoires qui vont vous le prouver. Mon premier projet a été l'ceuvre du<br />

Berceau, dans le quartier de Lagoa, à Rio de Janeiro. Je n'ai rien demande<br />

pour ce projet et comme les brise-soleils de Ia façade ne correspondaient<br />

pas aux dessins que j'avais faits j'en ai mis d'autres, en les payant de ma<br />

poche.<br />

Lorsqu'on m'a convoque à Ia Novacap, pour construire Brasília, Israel<br />

Pinheiro m'a dit : « Niemeyer, votre salaire ne pourra pas dépasser Ia<br />

limite maximum établie par les règlements, mais je peux vous donner<br />

une comrrission sur les travaux ». J'ai refusé. J'ai toujours eu une véritable<br />

répulsion pour ce mot de commission. Et pourtant, dans 1 affaire 74<br />

en question, il s'agissait d'un pourcentage habituei, normal, qui a été<br />

fixe par 1'Instkut des architectes. Bref, j'ai fait tous les palais de Brasília<br />

avec mon salaire de fonctionnaire public. Pendant Ia construction de Ia<br />

nouvelle capitale, Juscelino Kubitschek, inquiet de ma situation économique,<br />

m'a invité à faire les projets de Ia Banque du Brésil et de Ia Banque<br />

du Développement Economique. Cétait des ouvrages importants qui<br />

devaient être payés aux tarifs officiels. J'ai refusé et je lui ai demande<br />

de les confier à deux confrères : Ari Garcia Rosa, qui avait remporté, à<br />

Rio de Janeiro, le concours pour le siège de Ia Banque du Brésil, et<br />

Alcides da Rocha Miranda, qui s'intéressait au projet de Ia Banque du<br />

Développement Economique.<br />

Ce n'est pas tout. Pendant longtemps, alors que je ne travaillais plus à Ia<br />

Municipalité de Brasília, j'ai continue à coopérer avec les autontés fédérales<br />

qui faisaient appel à mes services. Cest ainsi que j'ai fait plusieurs<br />

avant-projets : stade de Brasília, bâtiment annexe de Ia Chambre des<br />

Deputes, bâtiment annexe de Ia Cour Suprême, bâtiment annexe du<br />

Palais du Planalto, Palais de 1'Armée, Ecole Militaire, Musée de Ia Terre,<br />

gare, etc. J'avais pour seul souci de conserver 1'unité architectonique de<br />

Brasília. Après j'ai eu beaucoup de travail ailleurs, mais si vous interrogez<br />

mes amis les plus proches, ils vous dirortt que je dépense et que je dorme<br />

tout ce que je gagne. Aujourd'hui, comme hier, il faut que je travaille.<br />

Je crois que j'aurais honte d'être riche.<br />

F.st-ce que Ia pauvreté vous attire ?<br />

— II ne s'agit pas de cela. Mais je pense que nous y trouvons beaucoup<br />

de souffrance et aussi beaucoup de grandeur. II y a quelques jours, j'ai<br />

rendu visite à quelqu'un qui m'a envoúté. II m'a dit : « M. Niemeyer,<br />

ce n'est pas pour moi que je panle. Je n'ai jamais habite dans un appartement<br />

comme celui-ci; je suis un homme pauvre >. Le jour ou des<br />

phrases comme celle-là ne seront plus 1'exception qui nous étonne et nous<br />

émeut, ce jour-là Ia société aura atteint cette étape supérieure souhaitée<br />

par Theillard de Chardin. Ce jour-là, c Etre et Savoir » seront plus importants<br />

que • Posséder »,<br />

Comment voyez-vous Ia vie ? Etes-vous un homme pessimiste ?<br />

Sartre dit avec son pessimisme permanent : « Toute 1'existence est un<br />

échec ». Cest une phrase négative qui ne mène nulle part. Mais comme<br />

il est difficile de Ia contredire ! Ce qui est important. sans aucun doute.<br />

c'est de changer Ia vie, pour Ia rendre plus juste et plus humaine et<br />

quant à 1'homme, lui faire intégrer, en toute modestie, 1'échelle biologique<br />

de 1'Univers ou kl retournera un jour à jamais. Et cela, sans amertums:<br />

ni revolte, orgueilleux de tout ce qui 1'entoure, prêt à découvrir dans<br />

les fleuves, les océans, les nuages et les montagnes un peu de lui-même.<br />

Oscar Niemeyer a !a Rédaction de l'A.A<br />

numero.<br />

lors de Ia préparation du présen'.<br />

d'une conversation entre Marc Emery et Oscar Niemeyer (janvier<br />

ei est votre système de travail ?<br />

Je prends premièrement contact avec le problème, le programme, les<br />

nditions locales, les possibilites techniques, économiques, etc. Après<br />

laisse mon cerveau travailler tranquille. Quand je commencé mes<br />

jquis le chemin architectural est déjà fixe. Mes premiers dessins sont<br />

jjours à échelle réduite, 1/500, et quand une idée arrive je commencé<br />

Ia développer, cherchant parallèlement à Ia préciser avec un texte<br />

jlicatif. Je sais que si mon explication n'est pas convaincante, ma<br />

ution est deficiente. Le projet tel qu'rl est me satisfait seulement quand<br />

trouve qu'il ajoute quelque chose, aussi petite soit elle, à 1'architecture.<br />

rec une maquette je controle mon travail, les volumes, les formes, et<br />

espaces libres.<br />

trait du discours prononcé en 1962 à 1'occasion de Ia remise du prix<br />

ie a Oscar Niemeyer.<br />

asses cinq ans, nous voici maintenant réunis dans cette viIle que<br />

u celino Kubitschek a fait construire en plein désert.<br />

l > est-il advenu de nos frères ouvriers qui ont aidé à bâtir cette vil le ?<br />

qui, comme nous, plus que nous, ont souffert pour elle et pour elle<br />

r lutté en toute humilité. Qu'est-H advenu de ces braves compagnons,<br />

r véritó les bâtisseurs de cette capitale ?<br />

st Ia question que je pose aux deputes et aux sénateurs, aux hommes<br />

gouvernement, s'ils me demandent de parler de Brasília. Je leur<br />

3 iellerai, bien qu'ils le sachent dójà, que ces compagnons sont loin<br />

Ia capitale qu'ils ont construite et que les maisons quils ont<br />

B es, les écoles, les creches, les clubs et les palais, tout ce qu'ils<br />

bati, ne leur ont, en fait, jamais appartenu. On ne leur a laissé que<br />

3Pi 4A/, P)i0A^.O.esi ,^CU 4-/26, p-23<br />

Quelles sont vos impressions d'architecte à travers le monde ?<br />

— Je suis un des architectes qui a elabore le plus grand nombre de<br />

projets, presque tous dans mon pays. Cest pourquoi je suis inquiet de<br />

voir comme est difficile Ia tache de mes confrères du vieux monde. Ce<br />

sont des règlements qui s'accumulent jour après jour pendant des années,<br />

limitant leur force créative ; des concepts depassés de tradition et culture<br />

et une bureaucratie qui s'intéresse à bien des choses, mais pas à Ia<br />

création architecturale.<br />

Dans les pays du tiers monde, auquel je prête ma collaboration —<br />

1'Algérie spécialement — c'est le contraire. S'il leur manque une technique<br />

avancée, si Ia main-d'oeuvre est deficiente, il leur reste un élan, un<br />

désir d'affirmation incontestable ce qui, pour moi, est plus important.<br />

Dans les pays en voie de développement, integres dans Ia technique<br />

moderne, ces caractéristiques «'accentuent; les architectes ne se soucient<br />

que de leurs projets en cours, convaincus que c'est par le travail, 1'expérience<br />

professionneHe, qu'ils seront prêts à intervenir dans 1'arcbitecture<br />

et dans Ia technique constructive. II est certain que ces dix ans de voyages<br />

et de séjours à travers le vieux monde, que j'adm»re tant et auquel je<br />

commencé à dire adieu, m'ont été utiles, en me permettant de prendre<br />

contact avec les problèmes qui m'ont toujours attiré, problèmes en<br />

dehors de 1'archkecture, plus lies au monde et à l'homme. Je pense toujours<br />

à mon Brésil lointain, à cette Amérique Latine qui souffre et<br />

s'agrandit comme une force de Ia nature, qui assiste révoltée au crime<br />

contre AMende, voyant avec tristesse que le chant de protestation et<br />

d'amour de notre frère Neruda est toujours muet. 11 nous reste heureusement<br />

un espoir. La certitude que Ia vie va changer, que le monde<br />

merlleur dont nous avons toujours rêvé est dans le sens de l'histoire.<br />

Ia misère séculaire qui les opprime, base de leur exploitation et de leur<br />

pénurie. Que dire, en outre, des villes-satellites oú on les a logés, de<br />

ces incroyables villes-dortoirs, cet amoncellement de bidonvilles oü Ia<br />

pauvreté est un cri de revolte permanent ? Je tiens à leur rappeler<br />

que nos frères sont Ias de cet abandon qui les avilit, ils savent que<br />

1'heure a enfin sonné de leur laisser prendre en mains leur propre destin<br />

et dexiger le pain et Ia terre qu'on leur a refusés jusqu'à présent. Je<br />

n'hésiterai pas non plus à vous avertir três franchement que l'on est en<br />

train de modifier le plan de Lúcio Costa. On a refusé les ensembles<br />

résidentiels aux nécessiteux alors que tous les habitants de Brasília<br />

devaient en bénéficier afin d'y grandir et de se développer, en equilibram,<br />

par le contact direct entre riches et pauvres. Ia dure réalité de<br />

leurs modestes foyers. Et je peux vous montrer, si vous le voulez, comment<br />

Ia discrimination impregne tout le District Federal, comment les<br />

bords du lac par exemple, prévus à des usages collectifs, ont été ostensiblement<br />

remis aux clubs prives de Ia bourgeoisie — cette intervention<br />

de Ia spéculation immobilière — dont les quote-parts excessivement<br />

élevées les ont rendus inaccessibles à Ia classe ouvrière.<br />

Je vous demanderai alors : que pense-t-on faire pour corriger toutes<br />

ces injustices ?

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