PAYSAGES 2021

à même de visiter ces espaces. La pandémie exacerbe toutefois les
disparités en posant des barrières additionnelles à l’accès aux services
et équipements situés hors des limites des quartiers de résidence.
On remarque conséquemment un rétrécissement du territoire
du quotidien alors que les populations délaissent de plus en plus
l’espace public et tendent à côtoyer les ressources et équipements
localisés à proximité de leur résidence 10 . L’accès équitable aux espaces
verts constitue un enjeu d’actualité qui interpelle la notion
de justice, et plus particulièrement de justice environnementale.
référence au processus de redéveloppement initié par la recherche
d’un mode de vie perçu comme écoresponsable 17 . On voit se développer
de nouvelles installations au sein des quartiers touchés par
ce phénomène (p. ex. pistes cyclables, jardins communautaires,
parcs, etc.). Bien que ces équipements offrent d’importants bénéfices
pour la santé, la hausse du coût de la vie pouvant découler de
ces transformations urbaines conduit au déplacement des populations
les plus démunies qui ne peuvent, dès lors, bénéficier des
avantages liés à l’amélioration du cadre de vie 18 .
La justice environnementale est à la fois un mouvement social et un
champ d’études. Le mouvement prend son élan au début des années
1980, en s’appuyant sur les luttes pour les droits civiques
menées par les communautés noires, latino-américaines et autochtones
aux États-Unis au cours des années 1950 et 1960 11 . Des
communautés se mobilisent en opposition à l’implantation, au cœur
de leur milieu de vie, d’infrastructures posant d’importants risques
environnementaux (pensons aux dépotoirs de matières contaminées,
aux autoroutes et aux industries polluantes) 12 .
Les luttes citoyennes s’appuient sur des études qui commencent
à émerger dès 1983, faisant la preuve d’une implantation disproportionnée
des infrastructures polluantes au sein des communautés
racisées et défavorisées 13 . Au fil du temps, la portée du champ
d’études couvert par la justice environnementale s’est élargie. À
l’heure actuelle, trois conceptions de la justice sont mises de l’avant,
soit la justice distributive, la justice procédurale et la justice interactionnelle.
La combinaison de ces approches évite de limiter l’analyse
aux seuls enjeux spatiaux.
QUEL RÔLE POUR LES ARCHITECTES PAYSAGISTES ?
Les architectes paysagistes sont appelés à jouer un rôle dans la
recherche d’une plus grande justice environnementale. Les différentes
conceptions de la justice discutées précédemment peuvent
guider l’analyse et les pratiques à cet égard.
La justice distributive invite à réfléchir à la localisation des nouveaux
espaces verts, en ciblant de manière prioritaire les emplacements
situés dans des secteurs peu végétalisés. Dans les milieux
densément peuplés comportant peu de sites pouvant accueillir
de nouveaux parcs urbains, le verdissement des interstices et des
surfaces verticales doit être pris en compte. La justice procédurale
invite, quant à elle, à réfléchir à la gouvernance des espaces
verts ainsi qu’à la participation des individus marginalisés au sein
des structures décisionnelles 14 . Enfin, la justice interactionnelle
doit servir de base à l’évaluation de la qualité des interactions se
déroulant au coeur des espaces verts. Il s’agit, entre autres, de
déterminer, de concert avec les professionnels de l’intervention
sociale, si certains groupes sont la cible d’insultes, de harcèlement
ou de discrimination pouvant contribuer à leur exclusion. À l’évidence,
le design ne peut résoudre des enjeux sociétaux tels que le
racisme et le sexisme. Par contre, lorsque les tensions découlent
de conflits d’usage, le design peut faire partie de la solution 15 . Ces
trois approches de la justice gagnent à être croisées afin d’enrichir
l’analyse et l’intervention.
Afin de promouvoir un accès juste et équitable aux espaces verts
pour tous, une vigilance accrue devrait accompagner tout projet de
verdissement en milieu défavorisé. Ceci est particulièrement vrai
des aménagements situés au sein des quartiers centraux ainsi qu’à
proximité de secteurs étant déjà en cours d’embourgeoisement 19 .
L’intervention dans ces milieux plus vulnérables à l’écoembourgeoisement
devrait inclure l’allocation de ressources additionnelles
dédiées au logement social 20 .
Les architectes paysagistes ont la capacité d’agir à titre d’agents
mobilisateurs de changement afin de faire de l’accessibilité universelle
aux espaces verts un objectif rassembleur. Pour l’avenir, des
outils devront toutefois être développés afin de faciliter le travail des
professionnels soucieux de la prise en compte des différents enjeux
éthiques liés à l’intervention au sein des milieux défavorisés.
Illustration : Aless Mc
ÉCOEMBOURGEOISEMENT ET VERDISSEMENT
Les projets de verdissement ne conduisent pas automatiquement à
la réduction des inégalités de santé. Dans certains cas, ils peuvent
mener à la fragilisation des populations les plus vulnérables par le
biais du phénomène d’écoembourgeoisement 16 . Ce concept fait
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