COLLECT Belgique Mai 2022
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Bouffons & Clowns<br />
Antidotes à la morosité ?<br />
Bien qu’identifiée et parfois<br />
vivement incarnée, la figure du<br />
clown est encore très souvent<br />
taboue. Conscients des agitations<br />
du monde et de ses prétentions<br />
dérisoires, les artistes en usent<br />
comme d’un contrepoison ou d’un<br />
antidote au cirque des vanités.<br />
A la fois dépossédé et euphorique,<br />
risible et dangereux, repoussant et<br />
pourtant nécessaire, personne ne<br />
souhaite l’incarner véritablement.<br />
<strong>Mai</strong>s l’exposer, lui et ses tours,<br />
ne revient-il pas à condamner sa<br />
part la plus corrosive ? Plusieurs<br />
accrochages, de Namur à Paris en<br />
passant par Binche, lui font ces<br />
temps-ci honneur, aux côtés de ses<br />
comparses que sont le bouffon,<br />
le Fou et le saltimbanque.<br />
TEXTE : CHRISTOPHE DOSOGNE<br />
Traditionnellement, on use du jeu,<br />
du rire, de la farce ou du canular<br />
pour faire vaciller les ordres, les<br />
normes et les figures établies. Par<br />
le coup d’éclat médiatique, la provocation<br />
dans l’espace public, l’exagération de situations,<br />
le clown parvient à faire chanceler<br />
le réel. « Au fond, ce dernier est aussi un<br />
sage, trop conscient de notre finitude et de<br />
notre irréductible impuissance », soulignent<br />
les commissaires de l’exposition Le<br />
Royaume des Clowns, présentée à Paris en<br />
La <strong>Mai</strong>son du Danemark. « Face au désarroi<br />
terrestre, à l’horizon de la mort et des<br />
Champs-Elysées, il nous donne la force<br />
d’envisager l’existence sous des auspices<br />
plus légers. » Le théologien danois Søren<br />
Kierkegaard (1813-1855) prônait aussi cet<br />
humour habité par l’idiotie comme vertu<br />
salvatrice : « Ce rire, cette idiotie est donc<br />
conjuratoire face à notre horizon commun,<br />
car au royaume des humains, nous<br />
finissons tous triviaux et nus comme<br />
des asticots que l’on soit valet, clown ou<br />
roi. » Au sein de l’exposition, qui postule<br />
le clown comme une métaphore de la<br />
dérision scandinave, plusieurs facettes<br />
du personnage sont évoquées. Le clown<br />
se grime sous des formes filmiques avec<br />
l’ABC Cinema ou sous les traits de femmes<br />
vengeresses. Il est noir et grinçant<br />
chez le cinéaste Lars Von Trier, inquiète<br />
et embarrasse dans les satires cruelles<br />
d’Henrik Plenge Jakobsen. Pour la génération<br />
contemporaine, c’est une figure<br />
convoquée en chair et en os, faussement<br />
Il est noir et grinçant<br />
chez le cinéaste<br />
Lars Von Trier,<br />
inquiète et embarrasse<br />
dans les satires<br />
cruelles d’Henrik<br />
Plenge Jakobsen.<br />
naïf et grimaçant dans les peintures de<br />
Magnus Andersen; narcissique et gonflé à<br />
l’hélium chez Esben Weile Kjær ; sexuellement<br />
ambigu dans la figure du Pinocchio<br />
de Tora Schultz Larsen ; enfin il devient<br />
alternativement artiste et spectateur dans<br />
les performances de Christian Falsnaes.<br />
Un postulat qui n’est pas sans rappeler<br />
celui de l’artiste suisse Ugo Rondinone,<br />
dont les clowns faisaient l’objet en 2016<br />
d’une magistrale présentation au musée<br />
Boijmans van Beuningen de Rotterdam. 45<br />
d’entre eux décrivaient ainsi une journée<br />
dans la vie d’un individu, révélant dans<br />
cette installation grimaçante les différents<br />
aspects de l’existence humaine. Prégnante<br />
et facilement identifiable, la figure du<br />
clown est très présente dans les collections<br />
néerlandaises, du musée Van Gogh<br />
au virtuel Circus Museum, en passant<br />
par le Kröller Müller. Ce dernier conserve<br />
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