Un ambassadeur de la culture Rohingya : rencontre avec le poète Mayyu Ali
Français : Un ambassadeur de la culture Rohingya : rencontre avec le poète Mayyu Ali Transcription de la conférence du 15 mai 2021, à l’INALCO avec Mayyu Ali, Emilie Lopes – journaliste indépendante et Alexandra De Mersan – anthropologue, maitresse de conférences à l’INALCO Anglais : An ambassador of Rohingya culture: Encounter with the poet Mayyu Ali Transcript of the conference held on May 15, 2021, at INALCO with Mayyu Ali, Emilie Lopes - freelance journalist and Alexandra De Mersan - anthropologist, lecturer at INALCO
Français : Un ambassadeur de la culture Rohingya : rencontre avec le poète Mayyu Ali
Transcription de la conférence du 15 mai 2021, à l’INALCO avec Mayyu Ali, Emilie Lopes – journaliste indépendante et Alexandra De Mersan – anthropologue, maitresse de conférences à l’INALCO
Anglais : An ambassador of Rohingya culture: Encounter with the poet Mayyu Ali
Transcript of the conference held on May 15, 2021, at INALCO with Mayyu Ali, Emilie Lopes - freelance journalist and Alexandra De Mersan - anthropologist, lecturer at INALCO
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En 2012, à la suite des violences intercommunautaires, de
nombreuses ONG sont arrivées, des médias aussi, ainsi que des
think tanks. Le pays s'ouvre d’une manière générale. Tout d'un
coup, un flot d'articles et de littérature paraissent. On pourra en
discuter. La situation change. Les ONG et les médias qui
s’installent - qui ne connaissent pas bien la région et son histoire à
vrai dire - vont devenir des acteurs à part entière. Localement, un
nouvel équilibre se crée et qui, sans doute, va attiser - de mon
point de vue de chercheuse - certaines tensions qui étaient déjà là.
C'est vrai qu'il n’y a pas besoin de cela, mais c'est un facteur du
basculement de 2012.
Mayyu Ali, vous avez commencé à travailler pour différentes ONG à
partir de 2011 et en parallèle vous rentrez dans un réseau
clandestin de Rohingya qui cherche à documenter et à garder des
preuves tout au long du temps où vous allez rester en Arakan,
d'accumuler des documents sur les violences qui sont faites à
l'encontre des musulmans d'Arakan. C'est extrêmement
dangereux. Vous avez un vrai engagement personnel en plus de
votre engagement auprès des ONG. La situation est tendue. En
2013, il y a surviennent des pogroms anti-musulmans à travers
toute la Birmanie. Des violences contre les musulmans s'étendent
dans tout le pays. En 2015, juste avant les nouvelles élections, la
loi dite "de protection de la race et de la religion", qui peut aussi se
traduire par la loi “de protection de la nation et de la religion", va
être votée. Cette loi est vraiment construite, élaborée et portée
par les nationalistes bouddhistes contre les musulmans en
particulier.
Puis, en 2016, un groupe armé va attaquer des postes frontaliers
au nom d'un groupe qu'on ne connaissait pas jusque-là. Cette
attaque envenime la situation qui prend alors une autre tournure.
En 2017 à nouveau, des attaques de ce petit groupe, connu sous le
nom de ARSA (Arakan Rohingya Salvation Army). La répression de
l'armée birmane est menée au prétexte de chercher des
terroristes, en 2016 tout d’abord puis en 2017. Elle aboutit à ce
drame dont on a tous entendu parler, abondamment relaté dans les
médias. Vous avez contribué à rendre compte de tous ces crimes,
de toutes ces violences. La situation devient tellement intenable
que vous-même Mayyu Ali, faites partie de cet exode. Vous devez
partir en septembre 2017 si je me souviens bien. Vous êtes obligé,
car votre vie est en danger, de quitter l'Arakan pour le Bangladesh.
MAYYU ALI
Les violations des droits humains et les violences de 2017 sont
les plus fortes, les plus brutales et les plus horribles que les
Rohingya aient connu. Amnesty International a documenté que plus
de 700 000 Rohingya ont dû prendre la fuite à ce moment-là et se
réfugier au Bangladesh. Des milliers de femmes et de jeunes filles
ont été violées et d’hommes tués, et j’y ai assisté. Au moment de
cette répression, je travaillais pour ACF et j'étais basé dans la ville
de Maungdaw. Ma mère m'a appelé pour m'informer que mon
village, situé à environ 2 à 3 heures de route de là, était en feu. Je
pouvais voir la violence, les incendies, entendre les coups de feu.
Puis tout était silencieux. Les militaires patrouillaient dans les
rues de la ville.
Quelques jours après, ma famille a fui le village et a traversé la
rivière pour se réfugier au Bangladesh. Comme j'étais à Maungdaw,
c'était plus difficile pour moi de prendre la fuite. J’ai donc dû
organiser mon exil et prendre un autre chemin pour essayer de les
rejoindre, quelque temps plus tard, au Bangladesh.
Quand je suis parti, j'ai fui avec l’un de mes collègues d'ACF dont la
maison avait été incendiée. Il a perdu des frères et sœurs,
assassinés en essayant de s'échapper. Il m'a rejoint là où j'étais
avec sa mère. On a finalement pu fuir pour essayer de se rendre au
Bangladesh dans la soirée du 6 septembre 2017. Sur notre périple
vers la frontière, nous avons vu les cadavres des Rohingya, des
hommes et des femmes, du sang partout... Tout le monde essayait
de fuir le plus vite possible. On a pu rejoindre un endroit où
embarquer. Il y avait des bateaux, mais des milliers de personnes
attendaient pour embarquer et traverser. Les capitaines qui
contrôlaient les bateaux devaient payer les forces de sécurité - qui
n'étaient qu'à quelques kilomètres de là - pour que nos vies soient