26.09.2023 Views

Paris Match 1151 du 21/09/2023

Paris Match 1151 du 21/09/2023

Paris Match 1151 du 21/09/2023

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

De Marie-Laure Delorme<br />

LA CRITI UE<br />

Dans une écriture enchanteresse,<br />

le monde se nimbe de mystère.<br />

« Les heures heureuses » sont faites<br />

de lectures, d’associations libres,<br />

de musique, d’amour et d’amitié,<br />

de marches infinies. Le temps n’est<br />

pas linéaire. Les noms et les dates<br />

sont des conventions balayées par la<br />

sauvagerie de notre intériorité. Ils ne<br />

signifient rien. D’emblée, les lieux :<br />

la plage d’Ischia en Italie, la maison<br />

au bord de l’Yonne à Sens, la baie<br />

de Saint-Florent en Corse, L’Île-aux-<br />

Moines en Bretagne. L’espace-temps<br />

est fragmenté. Chaque chapitre se<br />

différencie <strong>du</strong> précédent. Le cycle<br />

« Dernier royaume » évoque, dans<br />

tout son déploiement, la liberté et le temps. La liberté<br />

est source d’intensité dans le bonheur comme dans le<br />

malheur. Pascal Quignard se montre ici plus équanime.<br />

Le bonheur revient sans cesse. Il décrit : « J’adore cette<br />

sensation de bandeau qu’on dénoue, d’écharpe qu’on<br />

retire, de liberté et de lumière. »<br />

Parmi les fragments, on croise notamment Emily<br />

Dickinson, Chopin, Sandor Ferenczi. L’auteur des<br />

« Ombres errantes » (éd. Grasset, prix Goncourt 2002)<br />

parle de la dépression <strong>du</strong> mois de novembre, <strong>du</strong> <strong>du</strong>c de<br />

La Rochefoucauld et de Mme de Sablé, de Port-Royal, <strong>du</strong><br />

roulement des saisons. Les années s’écoulent et, avec<br />

l’âge, les nuances s’aiguisent. « Les heures heureuses »<br />

offre un regard de biais sur l’Univers. « La nature est la<br />

merveille de ce monde. » Il faut vivre plusieurs automnes<br />

pour savoir que chacun d’entre eux possède sa singulière<br />

beauté. Fidèle à un trait autistique de son enfance, Pascal<br />

Quignard avoue se dissoudre parfois dans la nature. Il<br />

marche comme un somnambule, étranger aux différents<br />

dangers. L’a<strong>du</strong>lte et l’enfant se retrouvent alors<br />

dans cette présence-absence comme manière de se mouvoir<br />

parmi les autres. L’écrivain de « Tous les matins <strong>du</strong><br />

monde » (éd. Gallimard, 1991) redit<br />

son amour de la source, de l’origine.<br />

« Dans la vie, dans la mort, il n’y a<br />

que <strong>du</strong> départ. »​<br />

Pascal Quignard restitue sa longue<br />

amitié avec Emmanuèle Bernheim.<br />

LA SEMAINE DE<br />

L’auteure de « Tout s’est bien passé » (éd. Gallimard, 2013)<br />

est morte en 2017, des suites d’un cancer <strong>du</strong> poumon.<br />

Qu’est-ce qu’aimer quelqu’un, si ce n’est voir ce que les<br />

autres ne voient pas ? Portrait d’une petite fille massacrée,<br />

d’une boxeuse éper<strong>du</strong>e, d’une femme océanique.<br />

Emmanuèle Bernheim se regardait dix fois par jour dans<br />

un petit miroir rond pour tenter de réparer son visage<br />

endolori par l’enfance. Emmanuèle Bernheim et Pascal<br />

Quignard ne parlaient ni de littérature ni de politique<br />

ensemble. Les deux anciens enfants meurtris marchaient<br />

<strong>du</strong>rant des heures sans un mot. Alors que tous ont préten<strong>du</strong><br />

la connaître à sa mort, l’ami de toujours avoue ne<br />

pas l’avoir connue. Dans cette bouleversante méconnaissance,<br />

il y avait un lien fait d’une connivence absolue.<br />

Emmanuèle Bernheim était violente, désespérée, virulente.<br />

Elle était elle. Ils se sont tellement tus ensemble.<br />

L’amitié est le contraire de la confidence : un respectueux<br />

silence.​<br />

Dans les « Pensées », Blaise Pascal écrit : « Peu de chose<br />

nous console parce que peu de chose nous afflige. »<br />

L’œuvre de Pascal Quignard est consolation et affliction.<br />

La force <strong>du</strong> malheur éprouvé (l’enfance mutique,<br />

la dépression, la mort d’une amie) entre en résonance<br />

avec la force <strong>du</strong> bonheur retrouvé. Dans la brûlure de<br />

la vie, on apprend à observer autrement l’oiseau, les<br />

saisons, les chats, l’aube. Le corps prend le pas sur<br />

la tête. L’art de l’intensité fait que chaque heure est<br />

susceptible d’entraîner sa propre joie. Rien n’est fini,<br />

tout se revit. Le bonheur est ce que l’on reconnaît. Chez<br />

Pascal Quignard, la consolation est là : il y a plus ancien<br />

donc plus grand que soi.<br />

PASCAL QUIGNARD<br />

TROUVER LE BONHEUR<br />

« Les heures heureuses »,<br />

tome 12 <strong>du</strong> cycle « Dernier royaume »,<br />

est un éloge de l’intensité.<br />

« Les heures heureuses »,<br />

de Pascal Quignard, éd. Albin Michel,<br />

230 pages, 19,90 euros.<br />

PARIS MATCH DU 00 <strong>21</strong> AU MOIS 27 SEPTEMBRE 2022<br />

<strong>2023</strong><br />

26

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!