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Paris Match 1151 du 21/09/2023

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ACTUALITÉ<br />

Soudain, dans un centre de déradicalisation,<br />

apparaît face à nous le fils de Fabien Clain, ce djihadiste<br />

qui a revendiqué les attentats parisiens <strong>du</strong> 13 novembre<br />

De notre envoyée spéciale en Syrie<br />

Manon Quérouil-Bruneel<br />

Il arrive en claudiquant, le teint blême.<br />

Adem, <strong>21</strong> ans, est l’un des 111 enfants<br />

de djihadistes étrangers retenus dans un<br />

centre de déradicalisation, sous bonne<br />

garde, près de la ville de Qamishli, dans<br />

le nord-est de la Syrie. Il est surtout le<br />

fils de Fabien Clain, le terroriste qui a<br />

revendiqué au nom de l’État islamique<br />

« l’attaque bénie » <strong>du</strong> 13 novembre 2015<br />

au Bataclan et dans les rues des X e et XI e<br />

arrondissements de <strong>Paris</strong> qui fit 130 morts et<br />

490 blessés. Après neuf années d’errance qui<br />

l’ont mené d’une cité toulousaine aux geôles<br />

syriennes, Adem se dit « fatigué ». « Je veux<br />

rentrer en France », supplie-t-il. La France,<br />

il y est né et l’a quittée à l’âge de 12 ans,<br />

endoctriné dès le plus jeune âge par sa mère,<br />

Mylène, une Normande convertie qui porte<br />

la burqa, et son père fiché S dont le djihad<br />

a longtemps consisté à en envoyer d’autres<br />

mourir à sa place. En 20<strong>09</strong>, ce dernier fut<br />

condamné à cinq ans de prison pour avoir<br />

organisé l’acheminement vers l’Irak de plusieurs<br />

jeunes Toulousains. Il est abattu dix<br />

ans plus tard par une frappe ciblée dans la<br />

ville syrienne de Baghouz.<br />

N’ayant connu qu’un huis clos radicalisé,<br />

son fils évoque une « famille normale ». Dès<br />

son plus jeune âge, il ânonnait les « anasheed<br />

» (chants religieux) composés par<br />

son mélomane de père, comme d’autres<br />

des comptines. À Toulouse, il fréquente l’établissement<br />

musulman hors contrat Avicenne<br />

Al-Badr. À la veille de son entrée au collège,<br />

un mois après les attaques de « Charlie<br />

Hebdo », ses parents lui annoncent qu’ils<br />

partent tous pour « de longues vacances en<br />

Italie ». En réalité, direction Raqqa. « J’étais un<br />

gamin, je ne pensais qu’à jouer », souffle-t-il.<br />

La suite, l’adolescence sous le califat entre<br />

bombardements, entraînement militaire et<br />

exécutions publiques, est une zone d’ombre<br />

sur laquelle il ne s’étend pas.<br />

Il désigne sa jambe gauche qu’il traîne<br />

comme un poids mort. Blessé par un tir<br />

de mortier à Baghouz, où sa famille s’était<br />

retranchée avec les derniers irré<strong>du</strong>ctibles de<br />

l’État islamique (EI), un nerf a été sectionné.<br />

Pour espérer remarcher normalement, il a<br />

besoin d’une opération impraticable en Syrie.<br />

« Plus j’attends, plus mon corps me lâche.<br />

J’ai l’impression que la France m’a laissé<br />

dans un carton fermé… » La voix nouée,<br />

il interroge : « On me fait payer ce qu’a fait<br />

mon père, mais quelle est ma faute à moi ? »<br />

C’est là toute la question. Selon les confessions<br />

d’un djihadiste repenti, Fabien Clain<br />

et son frère, Jean-Michel, auraient cherché<br />

à mettre en place un réseau d’enfants<br />

kamikazes formés en Syrie pour<br />

perpétrer des attaques sur le sol<br />

européen. Adem Clain a-t-il été<br />

dressé pour tuer ?<br />

Désormais majeur, il sait<br />

qu’en cas de retour il lui faudra<br />

répondre des dérives de tout<br />

un clan – jusqu’à sa grand-mère,<br />

Marie- Rosanne, décédée quelques mois après<br />

avoir rallié la Syrie. « J’espère que je n’irai pas<br />

en prison, murmure-t-il. Je veux bien aller<br />

dans un centre, mais un vrai. Ici, dit-il en<br />

désignant <strong>du</strong> menton le surveillant qui assiste<br />

à l’entretien, c’est trop <strong>du</strong>r. » Au moment de<br />

se quitter, il force un sourire en évoquant sa<br />

mère qu’il n’a pas vue depuis trois ans. Si<br />

vous la voyez, dites-lui que je vais bien. Je<br />

ne veux pas lui casser le moral. »<br />

La jambe gauche<br />

d’Adem Clain, blessé par<br />

un tir de mortier à<br />

Baghouz.<br />

Avant son entrée au<br />

collège, ses parents<br />

lui annoncent<br />

qu’ils partent tous<br />

« pour de longues<br />

vacances en Italie »<br />

Nous avons retrouvé Mylène Clain, alias<br />

Fatima, à une centaine de kilomètres de<br />

là dans le camp de détention de Roj, où<br />

vivent la cinquantaine de familles de djihadistes<br />

français qui refusent obstinément<br />

d’être rapatriées. Yeux bleus qui percent<br />

sous son niqab taché, la mère d’Adem<br />

décline l’accès à sa tente sous prétexte<br />

<strong>du</strong> « bazar » qui y règne, mais accepte<br />

d’échanger quelques mots. « On<br />

ne manque de rien ici, lâche-t-<br />

elle. On a les chaînes françaises,<br />

des tickets pour acheter des<br />

légumes, une certaine normalité<br />

s’est installée au fil des ans. En<br />

pinaillant, il manque une salle<br />

de sport pour se détendre… »<br />

La mère de famille considère<br />

que, pour elle et ses deux filles<br />

majeures, l’idéal serait de pouvoir rester en<br />

Syrie mais de l’autre côté de ces barbelés qui<br />

les tiennent enfermées depuis quatre ans,<br />

dans un pays où elles seraient libres de vivre<br />

« en accord avec la charia ». « Et puis, ajoutet-elle<br />

avant de mettre fin à la conversation,<br />

je ne vais pas vous mentir : je sais que si je<br />

rentre en France, je passerai des années en<br />

prison. Je ne veux pas être séparée de mes<br />

enfants. » Quelques mètres plus [SUITE PAGE 52]

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