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ACTUALITÉ<br />
Soudain, dans un centre de déradicalisation,<br />
apparaît face à nous le fils de Fabien Clain, ce djihadiste<br />
qui a revendiqué les attentats parisiens <strong>du</strong> 13 novembre<br />
De notre envoyée spéciale en Syrie<br />
Manon Quérouil-Bruneel<br />
Il arrive en claudiquant, le teint blême.<br />
Adem, <strong>21</strong> ans, est l’un des 111 enfants<br />
de djihadistes étrangers retenus dans un<br />
centre de déradicalisation, sous bonne<br />
garde, près de la ville de Qamishli, dans<br />
le nord-est de la Syrie. Il est surtout le<br />
fils de Fabien Clain, le terroriste qui a<br />
revendiqué au nom de l’État islamique<br />
« l’attaque bénie » <strong>du</strong> 13 novembre 2015<br />
au Bataclan et dans les rues des X e et XI e<br />
arrondissements de <strong>Paris</strong> qui fit 130 morts et<br />
490 blessés. Après neuf années d’errance qui<br />
l’ont mené d’une cité toulousaine aux geôles<br />
syriennes, Adem se dit « fatigué ». « Je veux<br />
rentrer en France », supplie-t-il. La France,<br />
il y est né et l’a quittée à l’âge de 12 ans,<br />
endoctriné dès le plus jeune âge par sa mère,<br />
Mylène, une Normande convertie qui porte<br />
la burqa, et son père fiché S dont le djihad<br />
a longtemps consisté à en envoyer d’autres<br />
mourir à sa place. En 20<strong>09</strong>, ce dernier fut<br />
condamné à cinq ans de prison pour avoir<br />
organisé l’acheminement vers l’Irak de plusieurs<br />
jeunes Toulousains. Il est abattu dix<br />
ans plus tard par une frappe ciblée dans la<br />
ville syrienne de Baghouz.<br />
N’ayant connu qu’un huis clos radicalisé,<br />
son fils évoque une « famille normale ». Dès<br />
son plus jeune âge, il ânonnait les « anasheed<br />
» (chants religieux) composés par<br />
son mélomane de père, comme d’autres<br />
des comptines. À Toulouse, il fréquente l’établissement<br />
musulman hors contrat Avicenne<br />
Al-Badr. À la veille de son entrée au collège,<br />
un mois après les attaques de « Charlie<br />
Hebdo », ses parents lui annoncent qu’ils<br />
partent tous pour « de longues vacances en<br />
Italie ». En réalité, direction Raqqa. « J’étais un<br />
gamin, je ne pensais qu’à jouer », souffle-t-il.<br />
La suite, l’adolescence sous le califat entre<br />
bombardements, entraînement militaire et<br />
exécutions publiques, est une zone d’ombre<br />
sur laquelle il ne s’étend pas.<br />
Il désigne sa jambe gauche qu’il traîne<br />
comme un poids mort. Blessé par un tir<br />
de mortier à Baghouz, où sa famille s’était<br />
retranchée avec les derniers irré<strong>du</strong>ctibles de<br />
l’État islamique (EI), un nerf a été sectionné.<br />
Pour espérer remarcher normalement, il a<br />
besoin d’une opération impraticable en Syrie.<br />
« Plus j’attends, plus mon corps me lâche.<br />
J’ai l’impression que la France m’a laissé<br />
dans un carton fermé… » La voix nouée,<br />
il interroge : « On me fait payer ce qu’a fait<br />
mon père, mais quelle est ma faute à moi ? »<br />
C’est là toute la question. Selon les confessions<br />
d’un djihadiste repenti, Fabien Clain<br />
et son frère, Jean-Michel, auraient cherché<br />
à mettre en place un réseau d’enfants<br />
kamikazes formés en Syrie pour<br />
perpétrer des attaques sur le sol<br />
européen. Adem Clain a-t-il été<br />
dressé pour tuer ?<br />
Désormais majeur, il sait<br />
qu’en cas de retour il lui faudra<br />
répondre des dérives de tout<br />
un clan – jusqu’à sa grand-mère,<br />
Marie- Rosanne, décédée quelques mois après<br />
avoir rallié la Syrie. « J’espère que je n’irai pas<br />
en prison, murmure-t-il. Je veux bien aller<br />
dans un centre, mais un vrai. Ici, dit-il en<br />
désignant <strong>du</strong> menton le surveillant qui assiste<br />
à l’entretien, c’est trop <strong>du</strong>r. » Au moment de<br />
se quitter, il force un sourire en évoquant sa<br />
mère qu’il n’a pas vue depuis trois ans. Si<br />
vous la voyez, dites-lui que je vais bien. Je<br />
ne veux pas lui casser le moral. »<br />
La jambe gauche<br />
d’Adem Clain, blessé par<br />
un tir de mortier à<br />
Baghouz.<br />
Avant son entrée au<br />
collège, ses parents<br />
lui annoncent<br />
qu’ils partent tous<br />
« pour de longues<br />
vacances en Italie »<br />
Nous avons retrouvé Mylène Clain, alias<br />
Fatima, à une centaine de kilomètres de<br />
là dans le camp de détention de Roj, où<br />
vivent la cinquantaine de familles de djihadistes<br />
français qui refusent obstinément<br />
d’être rapatriées. Yeux bleus qui percent<br />
sous son niqab taché, la mère d’Adem<br />
décline l’accès à sa tente sous prétexte<br />
<strong>du</strong> « bazar » qui y règne, mais accepte<br />
d’échanger quelques mots. « On<br />
ne manque de rien ici, lâche-t-<br />
elle. On a les chaînes françaises,<br />
des tickets pour acheter des<br />
légumes, une certaine normalité<br />
s’est installée au fil des ans. En<br />
pinaillant, il manque une salle<br />
de sport pour se détendre… »<br />
La mère de famille considère<br />
que, pour elle et ses deux filles<br />
majeures, l’idéal serait de pouvoir rester en<br />
Syrie mais de l’autre côté de ces barbelés qui<br />
les tiennent enfermées depuis quatre ans,<br />
dans un pays où elles seraient libres de vivre<br />
« en accord avec la charia ». « Et puis, ajoutet-elle<br />
avant de mettre fin à la conversation,<br />
je ne vais pas vous mentir : je sais que si je<br />
rentre en France, je passerai des années en<br />
prison. Je ne veux pas être séparée de mes<br />
enfants. » Quelques mètres plus [SUITE PAGE 52]