DH/Les Sports+ - ExtraSpoort - Ed. 27 novembre 2023

Dele Alli,
l’homme qui valait
171 millions d’euros
Il était l’un des joueurs les plus courtisés
d’Europe en 2018 avant de disparaître
totalement des radars. Le médian offensif
d’Everton n’a plus joué depuis février 2023.
Mais où est donc passé Dele Alli ?
8Par Laurent Lemoine7
Je suis anglais, milieu de terrain, ma valeur marchande a atteint plus de
150 millions d’euros. Également capable de marquer beaucoup de buts et de
délivrer de nombreuses passes décisives, qui suis-je ? Jude Bellingham très
probablement ? Raté. On parle ici de Dele Alli. Cet enfant né à Milton Keynes,
un 11 avril 1996. Un joueur, un temps extraordinaire, qui a émerveillé l’Europe
et la planète entière. Son Mondial 2018 a marqué la fin de son apogée et le
début de sa chute. Cinq ans plus tard, Dele Alli est un footballeur chambranlant
mais surtout un homme détruit par un passé dont le mot atrocité à des
allures d’euphémisme. Aujourd’hui à Everton, le milieu de terrain britannique
n’a plus foulé les pelouses depuis six mois, en raison d’une
blessure. Récit d’un joueur et d’un être dont la vie a été
rythmée uniquement de hauts et de bas.
Né à Milton Keynes d’un papa nigérian et d’une maman
anglaise, Dele Alli a connu une enfance ô combien difficile.
À trois ans, ses parents ont divorcé et son paternel est parti
vivre au Nigeria. Un moment compliqué mais presque anecdotique lorsqu’on le
compare à la suite. Une suite composée d’atrocités sans nom. Comme il l’a
révélé lors de son interview poignante à Gary Neville cet été. “À l’âge de six
ans, j’ai été agressé par un ami de ma mère qui était souvent à la maison. Ma
mère était alcoolique et j’ai été envoyé en Afrique pour apprendre la discipline.
J’ai été renvoyé (en Angleterre) à sept ans ; j’ai commencé à fumer, à vendre de
la drogue.” Mais le pire, l’épouvantable, était à venir. “À onze ans, j’ai été
pendu à un pont par un homme du quartier.” Si ces épreuves horribles n’ont
pas eu d’impact sur le début de sa carrière, elles ont
laissé des cicatrices non refermées. On le constatera
plus tard.
La révélation
Par bonheur, sa vie va changer à douze ans. Quand la
famille de l’un de ses coéquipiers du club de Milton,
Keys Dons, va l’accueillir chez lui. Les Hickorfd seront
son nouveau foyer, en dépit du fait qu’ils n’aient
jamais été légalement considérés comme ses parents
adoptifs. Ce changement d’environnement familial va
lui permettre de se concentrer sur la chose dans
laquelle il est le plus doué : le football. Lors de ses
premiers matchs en professionnel avec son club natal,
Dele Alli rayonne. Il inscrit notamment 22 buts lors de
ses deux premiers exercices complets dans le club de troisième division. Ce qui
lui vaut d’attirer l’œil de toutes les plus grandes écuries du Royaume. À l’été
2015, c’est Tottenham qui parvient à enrôler le nouveau joyau britannique,
pour la famélique somme de cinq millions d’euros.
L’ascension fulgurante
Dès ses premières foulées sur le pré de White Hart Lane, Dele Alli impressionne.
Sa première saison est une réussite totale. Avec dix buts et neuf
passes décisives, il est élu meilleur jeune joueur de Premier League. Dans le
même temps, le jeune Anglais effectue ses premiers pas avec la sélection aux
Three Lions à dix-neuf ans seulement. Il ne lui faudra que trois matchs et une
rencontre face à l’équipe de France, en novembre 2015, pour s’illustrer. D’une
merveilleuse frappe en lucarne, il fait retentir son nom à travers l’Europe et le
monde. La suite n’est que logique. Sa saison 2016-2017 est un récital à 22
“À onze ans, j’ai été
pendu à un pont par un
homme du quartier.”
Les supporters d’Everton ont affiché leur soutien à Dele Alli dans
l’épreuve que traverse leur joueur. AP
buts et 13 passes décisives. Des statistiques hors norme pour un milieu de
terrain, qui ne sont pas sans rappeler celle de son cadet, Jude Bellingham. Qui
explose dans des proportions similaires au Real Madrid, cette saison. Club
contre lequel le natif de Milton Keynes va briller un soir d’automne 2017 à
Wembley. Au sommet de son art, il inscrit un doublé face au grand Real. Sa
valeur marchande explose. Début 2018, le CIES (centre international d’économie
du sport) le valorise à 171 millions d’euros, faisant de lui le sixième joueur
le plus côté de la planète juste devant Kevin De Bruyne.
L’apogée russe
Nous sommes le 7 juillet 2018 dans la touffeur de Samara, en Russie. La sélection
britannique dispute ce jour-là son quart de finale de Coupe du monde face
à la Suède. Un match important, évidemment, mais qui peut surtout devenir
historique. Pour une Angleterre qui n’a plus goûté aux joies des demi-finales
d’un Mondial depuis 1970. L’occasion est trop belle face à une modeste équipe
suédoise. Alors, les Three Lions la saisissent. Dele Alli en premier lieu, qui
glisse une délicieuse tête pour permettre à son équipe de l’emporter 2-0. Le
milieu anglais de 22 ans alors, n’est plus qu’à quelques encablures de parvenir
à décrocher le Graal. Mais la demi-finale perdue face à la Croatie va ramener
les Anglais sur la terre ferme et Dele Alli avec. Il y aura un avant et un après
pour le joyau britannique. Si l’après-midi du 7 juillet 2018 va marquer son
apogée, la nuit moscovite, quatre jours plus tard, va amorcer le début de sa
chute vers les abysses.
Le déclin, ce moment tant redouté par le sportif qui semble toujours être à la
recherche d’une jeunesse éternelle. Pour beaucoup, l’heure du déclassement
intervient après la trentaine, pour Dele Alli, la chute aura lieu bien plus tôt, à
23 ans seulement. Son année post-Coupe du monde semble être celle de la
résurgence de ses problèmes antérieurs. Sur le terrain, il enchaîne les blessures
et les contre-performances. Pire, lors de l’exercice 2019-2020, il n’est plus que
l’ombre de lui-même et inscrit seulement huit buts, pour quatre passes décisives
sous les ordres de José Mourinho. Leur relation semble être aux antipodes
de celle, quasi-filiale, tissée avec Mauricio Pochetinno. Le technicien portugais
lui déclare : “Tu dois juste savoir qu’aujourd’hui, j’ai 56 ans et, hier, j’en
avais vingt. Le temps passe vite. Un jour, je pense que tu le
regretteras si tu n’atteins pas ce que tu devrais atteindre.”
La valeur marchande de Dele Alli dégringole au fil des
matchs. En 2022, les Spurs s’en débarrassent, direction
Everton. Sans indemnité de transfert, pour services rendus,
si ce n’est liée à ses performances futures. Alors que l’Europe
lui faisait les yeux doux quatre ans plus tôt.
Depuis 2020, le bilan sportif de Dele Alli est accablant avec trois clubs différents
(Everton le prêta à Besiktas, la saison dernière) pour seulement trois
minuscules buts. Forcément une chute aussi soudaine, ça pose question.
Observateurs et supporters n’ont compris que le 11 juillet dernier, les raisons
d’un tel déclin. Lors de son interview déchirante à Gary Neville, Dele a déclaré
être tombé dans une terrible dépression. “Un matin, je me suis réveillé, je
devais aller m’entraîner et je me souviens m’être regardé dans le miroir. Cela
peut paraître dramatique mais je me regardais littéralement
dans le miroir et je me demandais si je pouvais
prendre ma retraite maintenant. À 24 ans, vous savez,
en faisant ce que j’aime. Pour moi, c’était un crève-cœur.”
Une phase de sa vie apocalyptique agrémentée de
dépendance toxique. “J’étais dans un mauvais cycle, je
m’appuyais sur des choses qui me faisaient du mal.
J’allais à l’entraînement, je feignais de gagner le combat,
je souriais, je montrais que j’étais heureux mais, à
l’intérieur, j’étais définitivement en train de perdre la
bataille.” Il ajoute : “Je pense que sans m’en rendre
compte, je faisais des choses pour m’endormir que ce
soit l’alcool ou autre chose, je pense. Puis, j’ai développé
une dépendance aux somnifères.”
Sur le chemin de la résurrection
Tombé dans les abysses, Dele Alli semble en sortir peu à peu. Son retour à
Everton en provenance de son prêt au Besiktas a amorcé une prise de conscience.
“Quand je suis revenu de Turquie, j’ai découvert que j’avais besoin d’un
traitement car j’étais dans une mauvaise passe mentalement. J’ai donc décidé
de faire une cure de désintoxication moderne pour la santé mentale et les
traumatismes.”
Blessé depuis mars dernier, le milieu anglais n’a plus disputé le moindre match
depuis le 26 février 2023. Sa valeur marchande actuelle ? Cinq millions
d’euros…
Le chemin vers la résurrection est long mais le gamin de Milton Keynes semble
enfin voir le bout du tunnel. On espère le voir rejouer, dans ses prochaines
semaines, de son meilleur instrument : ses pieds.;
12 ; La Dernière Heure-Les Sports Novembre 2023