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Evie, mon amour,<br />
J’ai seulement un petit moment pour<br />
t’écrire avant d’aller dormir.<br />
Hier j’avais peur, j’avais peur de la<br />
mort. Le champ de bataille était un<br />
iman pour les obus, qui tombent<br />
comme la pluie. J’ai été blessé par<br />
un, j’avais peur de perdre ma jambe<br />
mais grâce aux camarades j’ai réussi<br />
à être sauvé. La terre est pleine de<br />
personnes blessées et mortes. La<br />
terre est rouge.<br />
Je ne sais pas ce que je fais ici, tout<br />
est terrible. Nous, les humains, nous<br />
sommes horribles de jouer ce jeu et<br />
d’être les marionnettes des autres.<br />
Tu ne peux pas imaginer l’effort<br />
surhumain que je dois faire pour<br />
avoir l’arme entre les mains et tirer<br />
sur quelqu’un que je ne connais pas,<br />
qui n’est pas le monstre de toute cette<br />
histoire. C’est très dur, chaque jour<br />
est éternel. On ne voit pas le soleil et<br />
on n’écoute pas les oiseaux. On ne<br />
respire pas l’air, on respire la mort.<br />
Je ne sais pas quand cette guerre<br />
finira, j’espère que bientôt. Il y a plus<br />
d’un an que je suis loin de toi, de ma<br />
famille, de ma vie.<br />
Je sais que tu as aidé ma famille et<br />
surtout mon petit frère, c’est pour<br />
cela que je suis tombé amoureux de<br />
toi, parce que tu es un ange.<br />
Ne t’inquiète pas ma petite, je vais<br />
survivre et te revoir. Je t’aime, ne<br />
l’oublie pas,<br />
Nathan »<br />
Après cette lettre, j’en ai envoyé trois<br />
pour lui, mais je n’ai eu aucune<br />
réponse. Qu’est qui s’est passé? J’ai<br />
peur.<br />
Deux jours après, j’ai reçu une lettre<br />
de Nathan.<br />
« 18 février 1916<br />
Ma princesse,<br />
Je suis désolé de ne pas avoir<br />
répondu à tes lettres avant. Nous<br />
sommes dans une situation de<br />
désespoir et nous passons les nuits<br />
sans dormir.<br />
Institut Samuel Gili i Gaya<br />
Tu me manques beaucoup, je<br />
n’aurais jamais pensé que cette<br />
situation serait aussi difficile. Ne pas<br />
regarder dans tes yeux, ne pas<br />
écouter ta voix, ne pas sentir ta<br />
respiration, ne pas avoir tes lèvres<br />
sur les miennes… Je ne peux pas<br />
vivre sans toi, chaque jour et chaque<br />
instant je pense à toi.<br />
Je vais bientôt retourner avec toi et je<br />
ne repartirai jamais à la guerre.<br />
J’aime bien que tu m’appelles « mon<br />
héros », mais je ne suis pas un héros<br />
ma chérie, je suis un lâche. Oui,<br />
Evie, moi et tous les soldats.<br />
Nous ne sommes pas courageux pour<br />
lutter, pour faire une guerre ni pour<br />
tuer d’autres personnes. Tu sais ce<br />
que nous sommes ? Des marionnettes<br />
pour les personnes qui ont commencé<br />
tout cela, les personnes qui sont dans<br />
ces maisons avec ces familles et qui<br />
jouent aux marionnettes avec les vies<br />
des autres, avec nos vies, avec ma<br />
vie. Nous sommes lâches pour suivre<br />
ce jeu et pour ne pas l’arrêter, lâches<br />
de faire tout ce qu’ils disent… Et tout<br />
cela pourquoi ? Pour démontrer qui<br />
est le meilleur et qui a plus de<br />
pouvoir ? Parfois je me demande si<br />
l’humanité existe, si les humains ont<br />
des sentiments et des gestes<br />
d’affection dans la vie. Enfin,<br />
l’unique raison de continuer ici c’est<br />
que tu sois bien…<br />
Le 21 février nous partons vers<br />
Verdun, on ne sait pas ce qu’on va<br />
trouver là-bas et ce qui nous attend…<br />
N’oublie pas que j’ai ta photo qui me<br />
protège.<br />
Il me manque des forces pour<br />
continuer, il me manque ton sourire<br />
et ton regard…<br />
Je t’aime Evie, je t’aime beaucoup,<br />
Nathan »<br />
« 25 février 1916<br />
Evie,<br />
Je ne sais pas comment te le dire,<br />
c’était très difficile pour moi d’écrire<br />
cette lettre, la dernière lettre… Si tu<br />
as lu la première ligne, seulement le<br />
premier mot… C’est que je suis mort.<br />
Le 24 février j’ai presque vu la mort<br />
et la seule pensée que j’ai eue était<br />
de ne pas pouvoir passer mon dernier<br />
jour avec toi. D’unecertaine façon<br />
j’ai prévu ma mort et c’est pour cela<br />
que je t’écris cela.<br />
Ma vie est terminée et je n’ai pas eu<br />
la chance de me marier avec toi,<br />
d’avoir des enfants et de faire notre<br />
vie ensemble. Je sais que tu pleures<br />
maintenant, mais, ne pleures pas ma<br />
petite Evie… Tu vas trouver un<br />
homme qui va t’aimer autant que<br />
moi.<br />
Je ne suis pas fier d’avoir lutté dans<br />
une guerre, rien n’a changé dans ma<br />
vie. Seule la tristesse a envahi mon<br />
cœur et m’a laissé tout seul, sans toi.<br />
Je remercie les étoiles qui ont été les<br />
seules qui m’ont aidé à surmonter les<br />
longues nuits. Ici, l’humanité n’existe<br />
pas, tout le monde lutte pour leurs<br />
intérêts, politiques ou personnels. Je<br />
n’ai jamais eu d’amis, j’ai passé tout<br />
ce temps seul, avec l’espoir de<br />
revenir…<br />
On ne peut rien y faire, qu’être<br />
courageux et suivre son chemin sans<br />
regarder en arrière. Prends soin de<br />
toi et de mon petit frère, parle-lui de<br />
moi, s’il te plaît… Je suis fier de toi,<br />
tu m’as attendu jusqu’à la fin, tu<br />
m’as donné des forces pour continuer<br />
encore plus. Mais il y a une chose<br />
qu’on ne peut pas contrôler ni<br />
changer : le destin. Mon destin était<br />
de mourir dans la bataille de Verdun,<br />
en luttant pour mon pays, en luttant<br />
pour votre liberté.<br />
Je n’ai ni les mots ni les forces pour<br />
continuer d’écrire cette lettre… je<br />
suis désolé. Ne t’inquiète pas ma<br />
chérie, tout ira bien, je serai là, dans<br />
les étoiles, dans l’immensité de<br />
l’univers, dans l’éternité.<br />
Je t’aime. Hier, aujourd’hui et<br />
demain. Je t’ai toujours aimé et je<br />
vais t’aimer pour toujours.<br />
Je t’embrasse très fort Evie :<br />
Nathan »<br />
Mes larmes ont effacé les dernières<br />
lignes. Dans l’éternité Nathan, peutêtre<br />
nous retrouverons- nous dans<br />
l’éternité.