Parler ou se taire ou le dilemme du salarié lanceur d'alerte. Analyse ...

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Article accepté en juin 2011 par la revue Economies et Societés – forthcoming en juin 2012. terme loyauté envers l’organisation tel qu’il est défini en droit du travail. La loyauté du salarié envers l’organisation résulte en effet des termes de l’article 1135 c. civ. et est intrinsèquement liée à la relation contractuelle entre le salarié et l’employeur. Elle consiste à ne pas nuire à la réputation ou au bon fonctionnement de la société employeur durant toute la durée d’exécution du contrat de travail, notamment par des actes de dénigrement ou de concurrence contraires à l’intérêt de l’entreprise. Il faut noter ici que la violation de cette obligation de loyauté peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement en droit français. Pour notre salarié, l’étau se resserre… L’alerte peut entrer en conflit avec la loyauté due à l’organisation (Lindblom, 2007 : 413). Aussi, le salarié doit-il alerter pour révéler des irrégularités comptables ou financières ? Doit-il dénoncer son manager et/ou refuser d’appliquer ses consignes en passant outre l’autorité hiérarchique qui impose l’obéissance ? Ou, à l’inverse, est-il préférable qu’il adopte un comportement loyal, c'est-à-dire obéissant, en apportant par son silence, sa caution à des irrégularités, et nuire ainsi aux intérêts d’autres catégories d’acteurs ? Le salarié fait ainsi face à un dilemme. Dans le même temps, l’alerte professionnelle est une pratique mise en place par des entreprises, dans une logique de conformité à une loi extra territoriale qui s’impose aux entreprises cotées (Cf. section 1.1 supra). Cette conformité s’exerce via un véhicule – la charte d’entreprise ou les codes de conduite – dont les contenus sont déterminés par les entreprises elles-mêmes, en dehors d’un cadre légal existant sur le sujet. Ceci renforce, selon nous, pour le salarié, le dilemme auquel il fait face puisqu’il ne peut prendre appui sur un cadre juridique pour décider ou non de lancer une alerte professionnelle. Pour autant, sa hiérarchie positionne ce dispositif comme étant une pratique socialement responsable ; alerter pour prévenir des risques et défendre l’intérêt de parties prenantes. Le salarié a ainsi le « choix » de parler ou de se taire. S’il alerte (ou souffle dans le sifflet), il obéit aux injonctions de la charte, laquelle relève le plus souvent de l’expression du pouvoir unilatéral de l’employeur (pas d’obligation de négocier). Parler peut ainsi être interprété comme une forme d’obéissance. La charte a un statut quasi-contractuel aujourd’hui dans les entreprises. Les salariés la signent fréquemment d’ailleurs. Elles leur sont opposables en cas de conflit et la jurisprudence montre que les juges en France en tiennent compte parfois. La salarié qui parle obéit à la charte et se montre loyal envers son organisation. Mais la peur des représailles de la hiérarchie peut l’emporter. Dans ce cas, le salarié va préférer se taire et ne pas dénoncer les fraudes dont il a connaissance. Se taire revient à obéir à ses peurs, et, ce 14
Article accepté en juin 2011 par la revue Economies et Societés – forthcoming en juin 2012. faisant, à « couvrir » fraude et fraudeurs. Ces derniers sont, soit des pairs, soit des supérieurs hiérarchiques, soit les deux ! Cette complicité passive (pour sauvegarder son emploi souvent) s’appelle un « crime d’obéissance » (cf supra). L’on comprend bien ici les termes du débat pour le salarié, termes que nous synthétisons dans le tableau 1 ci-après. Tableau 1 : LE DILEMME DU SALARIE Le salarié PARLER SE TAIRE Obéissance Obéissance à la charte, au code de conduite… Loyauté Envers l’organisation 15 Crime d’obéissance Envers la hiérarchie Ce faisant, il nous semble dès lors opportun ici d’interroger la liberté du salarié en fonction du statut de ce dispositif, qui ne constitue pas un engagement des salariés mais un engagement de l’entreprise avant tout. Que devient la liberté du salarié lanceur d’alerte dans un contexte de transfert de la responsabilité de l’organisation vers le salarié ? 2.2. Le transfert de responsabilité et le statut du dispositif d’alerte en question D’une manière plus générale, la prise en compte des intérêts de parties prenantes place le recours à l’alerte professionnelle dans le champ de la responsabilité sociale. Le groupe de travail de l’ISO 26000 13 définit, dans une acception large, la responsabilité sociale et/ou sociétale comme « la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement , se traduisant par un comportement éthique et transparent qui – contribue au développement durable , y compris à la santé et au bien-être de la société ;- prend en compte les attentes des parties prenantes ;- respecte les lois en vigueur et qui est en accord avec les normes internationales de comportement ; et qui est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations». Cette définition, reprise dans l’ouvrage de Capron, Quairel-Lanoizelée et Turcotte (2010), s’inscrit dans ce que les auteurs appellent une conception mondiale de la RSE. En outre, elle constitue, a posteriori, une justification de la position nouvelle du salarié lanceur d’alerte, en tant que 13 La norme ISO 26 000 est intitulée « lignes directrices relatives à la responsabilité sociale »). Elle a été établie par un groupe de travail au niveau mondial et approuvée à 93% en novembre 2010. Le Professeur Michel Capron a été membre de la délégation française aux négociations de l’ISO 26 000, au titre de représentant de la recherche.
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