Version française - CRP Henri Tudor
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PROPOS ACADÉMIQUES: DE L’INNOVATION<br />
par Claude Wehenkel<br />
Altesse Royale, Excellences, Mesdames, Messieurs, chers entrepreneurs et collègues,<br />
Votre lecteur d'un jour est honoré de l'opportunité que lui est offerte. Pour disserter<br />
de l'innovation, je ne remonterai pas à la mythologie grecque, je ne déclencherai pas<br />
un déluge de citations exogènes. Si aujourd'hui mes propos se veulent académiques,<br />
ce n'est certes pas par volonté de brillance ou d'académisme. Mais la formule me<br />
permet d'invoquer la liberté académique, une liberté essentielle, mais souvent mal<br />
comprise et source d'abus. L'exercice de la liberté académique et du libre-arbitre est<br />
propice à l'innovation, mais reste trop souvent un luxe.<br />
D'INSPIRATION JAPONAISE ...<br />
L'analyse de l'heuristique qui a mené au centre de recherche et d'innovation, dont il<br />
est question aujourd'hui, permet de montrer que son développement "bottom up" est<br />
pour l'essentiel la résultante d'accidents politico-administratifs, d'une sorte de<br />
faiblesse du système immunitaire des institutions. Pour la bonne conservation des<br />
connaissances, il serait utile d'identifier toutes les transgressions, même légales, qui<br />
ont permis à ce centre de prospérer, tout en étant, depuis son origine un objet<br />
d'expérimentation par lui-même. Son envergure, son morphisme et ses contenus ont<br />
constamment évolué, il a connu quelques rectifications de trajectoire, mais il est resté<br />
strictement conforme à sa vision initiale et aux principes fondateurs y associés.<br />
Il y a près de vingt ans, les promoteurs de l'idée d'un centre d'innovation et de<br />
transfert de technologies ne pouvaient pas citer de modèle précis qu'ils auraient pu<br />
copier à l'étranger. Quelques années après la création de notre centre, nous avons<br />
découvert un ancêtre intellectuel dans une étude comparative sur les systèmes<br />
d'innovation à travers le monde, dont l'auteur était Thierry Gaudin, ingénieur général<br />
des Mines au Ministère de l'Industrie en France, auteur de nombreux ouvrages sur<br />
l'innovation. Son parcours atypique lui confère une autorité particulière. Fils<br />
d'entrepreneurs, il a été à tour de rôle apparatchik, selon sa propre expression,<br />
stratège en innovation et un des grands penseurs de l'innovation, ce qu'il est toujours.<br />
Supposons que nous eussions clamé notre volonté de créer en 1987 un centre<br />
d'innovation à la Japonaise, et imaginez les clameurs que cela aurait provoqués dans<br />
le débat public. En fait, nous savons maintenant que le modèle qui se rapproche le<br />
plus du nôtre est celui des centres techniques préfectoraux institués à travers le<br />
Japon, il y a juste un siècle.<br />
APPROCHE SYSTÉMIQUE<br />
Cette brève introduction fait apparaître que traiter de l'innovation n'est pas chose<br />
facile. Il faut fuir ceux qui proposent des raisonnements simples et linéaires. Il est de<br />
l'innovation comme il est de la qualité. Il est impératif de faire le distinguo entre les<br />
aspects "facilitateurs" liés aux mentalités et aux systèmes et ceux qui concernent les<br />
résultats mesurables et profitables, c'est-à-dire les procédés et les produits.<br />
Commencer un cours sans donner la définition du titre, sans recours au dictionnaire,<br />
est-ce bien convenable?<br />
Non, certes. Alors, empruntons la définition suivante au "Livre Vert sur l'Innovation"<br />
publié par la Commission Européenne en 1995: "L'innovation est prise comme<br />
1 De l'Innovation, Thierry Gaudin, Editions de l'Aube; voir également le site gaudin.org<br />
2 The new production of knowledge, Michael Gibbons et al, 1994, Sage Publications (édition épuisée)<br />
à l’occasion de l’inauguration du 29JFK, le 17 juin 2003<br />
synonyme de produire et exploiter avec succès la nouveauté dans les domaines<br />
économique et social. Elle offre des solutions inédites aux problèmes et permet ainsi de<br />
répondre aux besoins des personnes et de la société".<br />
Cette définition astucieusement générale a le mérite de résister par rapport au premier<br />
mythe de l'innovation formulée par Thierry Gaudin 1: "Le premier mythe de l'innovation<br />
est que la théorie précède la pratique. Le chercheur dira que les inventions ne sont que<br />
des applications de résultats de recherche, l'inventeur que les machines ne sont que des<br />
mises en pratique de ses idées." Par rapport à ce mythe, on trouvera autant d'exemples<br />
que de contre-exemples. Deux technologies qui ont vraiment révolutionné notre<br />
société ne sont pas directement issues de connaissances théoriques profondes. Il<br />
s'agit de la machine thermique et de l'informatique, dont les principes de base peuvent<br />
être expliqués à un enfant de dix ans ou moins. Par contre, leur évolution et leur<br />
perfectionnement continuent à être tributaires des acquis de la Science, avec un grand<br />
S.<br />
Vous aurez déjà remarqué, chers auditeurs, que notre thématique se prête à un jeu<br />
confusant pour les décideurs de haut niveau. Avec un brin de mauvaise foi - ce n'est<br />
pas ce qui manque aux experts - on peut aisément prouver une chose et son contraire,<br />
il suffit de trouver l'argument massue, dont l'évidence semble être à toute épreuve.<br />
Fort de la sagesse acquise dans l'exercice de son métier, le décideur se dégage de cette<br />
querelle d'experts. Puisque manifestement les chemins vont de la pratique à la théorie,<br />
et vice-versa, le décideur semble bien avisé s'il décide de favoriser toutes les activités<br />
qui mènent à l'innovation: la recherche fondamentale ou appliquée, le développement<br />
de nouveaux produits et procédés, l'entrepreneuriat innovant et toutes sortes<br />
d'activités d'accompagnement, comme la sensibilisation, le conseil désintéressé et la<br />
formation de haut niveau.<br />
Évident, n'est-ce pas?<br />
PRODUCTION DE CONNAISSANCES<br />
J'ose prétendre que rien n'est évident, je propose une réponse de Normand. C'est "oui"<br />
au niveau d'une stratégie mondiale et universelle, c'est "non" au niveau d'une<br />
stratégie locale. Entre les deux, il existe un continuum de réponses nuancées.<br />
L'introduction de l'espace et du temps dans ce raisonnement de logique formelle en<br />
réduit le confort intellectuel. Il paraît que nous vivons dans une société du savoir,<br />
sans toujours savoir ce que savoir signifie. Par rapport à notre propos, il convient de<br />
distinguer, tout en schématisant, entre savoir universel et souvent libre d'accès, en<br />
général issu du mode de production monodisciplinaire des connaissances, et savoir<br />
contextuel, lié au mode pluri- et interdisciplinaire. Dans un ouvrage théorique publié<br />
en 1994, Gibbons et al 2 ont désigné ce dernier comme deuxième mode de production<br />
des connaissances, le mieux apte à renforcer la "dynamique de la science et de la<br />
recherche dans les sociétés contemporaines". Ce deuxième mode est bien antérieur à sa<br />
formulation théorique, mais son poids augmente dans la société du savoir. Les<br />
programmes-cadres européens de R&D, qui se sont succédé depuis les années quatrevingt,<br />
sont tous fondés sur ce deuxième mode. La bipartition proposée par Gibbons et<br />
al est en fait au centre des interrogations et discussions publiques qui agitent tous<br />
les pays économiquement avancés. Il n'y a pas de divergences de vues notables sur<br />
l'enjeu global que constitue l'innovation permanente pour le maintien ou la<br />
RAPPORT ANNUEL 2003 47