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Musique<br />

Les voix d’or du<br />

Cambodge revivent<br />

Ros Sereysothea et Sin Sisamouth,<br />

entre autres, ont fait danser la jeunesse<br />

des années 1960 avant de périr<br />

sous les Khmers rouges. Ils font<br />

aujourd’hui l’objet d’un culte qui dépasse<br />

les frontières du royaume.<br />

Cambodge Soir Hebdo (extraits)<br />

Phnom Penh<br />

Cette année, j’ai 16 ans… Il n’y a pas de<br />

craintes à avoir, la vie est comme une<br />

fleur qui sent bon. Qu’est-ce que<br />

l’amour ? Est-ce amer, aigre ou<br />

sucré ?” Il suffit parfois de quelques<br />

mots sur un air entêtant pour résumer<br />

toute une époque. A l’instar de la chanteuse<br />

Ros Sereysothea et de son tube Chnam Aun Dop-<br />

Pram Mouy (“J’ai 16 ans”), interprètes et paroliers<br />

des années 1960 ont su retranscrire l’atmosphère<br />

de la période du Sangkum Reastr Niyum [régime<br />

politique de 1955 à 1970 (voir chronologie ci-contre)].<br />

“A cette époque, le prince Sihanouk avait réussi à créer<br />

une atmosphère propice à l’épanouissement des<br />

artistes”, raconte John Pirozzi, auteur d’un documentaire<br />

sur les chanteurs cambodgiens des “six-<br />

DR-CENTRE BOPHANA<br />

45 tours d’époque<br />

Sin Sisamouth et Ros Sereysothea<br />

en duo. Les titres :“Oh, t’attendre !”<br />

et “La Lettre sous clé” (à gauche) ;<br />

“La vengeance est un plat qui se<br />

mange froid” et “Le Cœur infidèle”.<br />

ties” : Don’t Think I’ve Forgotten, Cambodia’s Lost<br />

Rock and Roll. “En raison de ses liens étroits avec la<br />

France, le Cambodge a accueilli les tendances venues<br />

de l’Occident, y compris le rock’n’roll.”<br />

Ils s’appelaient donc Ros Sereysothea mais<br />

aussi Sin Sisamouth, ou Pen Raun. Ils chantaient<br />

l’amour, l’insouciance et la joie de vivre. C’était<br />

avant l’horreur. Le 17 avril 1975, dans le chaos de<br />

l’entrée des Khmers rouges à Phnom Penh, certains<br />

affirment avoir vu Sin Sisamouth chercher<br />

sa nouvelle compagne, alors enceinte. Puis les histoires<br />

divergent et de nombreuses personnes affirment<br />

avoir croisé le chanteur pendant sa captivité.<br />

L’histoire de Ros Sereysothea est tout aussi mystérieuse.<br />

Selon plusieurs biographes, elle aurait<br />

été forcée d’épouser un assistant de Pol Pot après<br />

avoir été découverte dans un camp et identifiée<br />

par les Khmers rouges. Elle aurait également été<br />

contrainte d’interpréter des chants révolutionnaires<br />

qui étaient ensuite diffusés dans les camps<br />

de travail par haut-parleur.<br />

Comme elle, la plupart des musiciens restés<br />

au Cambodge ont été tués. Parce qu’ils incarnaient<br />

un symbole de modernité ? Parce que certains<br />

s’étaient ralliés au régime républicain [combattu<br />

de 1970 à 1975 par les Khmers rouges] ? Ou tout<br />

simplement parce qu’ils faisaient partie du “peuple<br />

nouveau” [les citadins qu’il fallait rééduquer, par<br />

opposition au “peuple ancien”, la population paysanne]<br />

? “Aujourd’hui encore, c’est un mystère”,<br />

concède Mao Ayuth, scénariste et actuel secrétaire<br />

d’Etat à l’Information. “Je pense qu’ils étaient perçus<br />

comme des réactionnaires inutiles. Les chansons<br />

d’amour du style ‘si tu me quittes, je vais me suicider’<br />

ne correspondaient évidemment pas à la société des<br />

Khmers rouges.” Le procès des Khmers rouges permettra-t-il<br />

d’établir la vérité ? Aucun proche de ces<br />

artistes n’a déclaré publiquement qu’il se porterait<br />

partie civile.<br />

“Je l’ai écoutée en boucle”<br />

“Il avait la même classe que Frank Sinatra, sans la<br />

machine hollywoodienne derrière lui…” Ses carnets<br />

d’inventaire à la main, EricJay s’arrête devant le<br />

portrait de Sin Sisamouth accroché dans le hall de<br />

son hôtel, le Scandinavian, à Phnom Penh. Celui<br />

qu’on surnomme “la voix d’or” y voisine avec son<br />

alter ego féminin, Ros Sereysothea. Eric a dégoté<br />

ces grandes toiles, peintes d’après les clichés les<br />

plus connus des deux vedettes, dans une obscure<br />

boutique d’enseignes. Aujourd’hui, il s’apprête à<br />

vendre son établissement et hésite : “Le contrat stipule<br />

que je laisse tout au repreneur, mais je vais lui<br />

demander s’il a l’intention de conserver les tableaux à<br />

cet endroit. Dans le cas contraire, il n’est pas question<br />

que je les lui laisse.” “Quand j’ai entendu sa voix pour<br />

la première fois, je l’ai écoutée en boucle pendant des<br />

semaines, poursuit-il. Ce n’était comparable à aucune<br />

autre forme de musique. Dans les années 1960, tous les<br />

artistes du monde essayaient de copier le rock américain,<br />

et Sin Sisamouth avait réussi à le surpasser. C’était<br />

très occidental et très khmer à la fois, génial sans être<br />

prétentieux. Il est un symbole de ce que Phnom Penh<br />

serait devenu sans les Khmers rouges : une des plus<br />

belles villes du monde, loin devant Singapour et les<br />

autres capitales asiatiques.”<br />

Au lendemain de la chute des Khmers rouges,<br />

en 1979, le pays, traumatisé et exsangue, se relève<br />

en tournant le dos aux chanteurs des années 1960.<br />

“L’heure était à la reconstruction et la priorité était<br />

donnée au travail, se rappelle Mao Ayuth. Les chansons<br />

vantaient la renaissance populaire, la solidarité<br />

et l’amitié avec le Vietnam [voir chronologie]. Il a

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