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AUTRES TRADUCTIONS DU MEME EXTRAIT<br />
CRÉON<br />
Et tu as osé passer outre à mon ordonnance ?<br />
<strong>ANTIGONE</strong><br />
Oui car ce n’est pas Zeus qui l’a promulguée, et la Justice qui siège auprès <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong> sous terre n’en<br />
a point tracé <strong>de</strong> telles parmi les hommes. Je ne croyais pas, certes, que tes édits eussent tant <strong>de</strong> pouvoir<br />
qu’ils permissent à un mortel <strong>de</strong> violer les lois divines : lois non écrites, celles-là, mais intangibles.<br />
Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier, c’est <strong>de</strong>puis l’origine qu’elles sont en vigueur, et personne ne les a<br />
vues naître. Leur désobéir, n’était-ce point par un lâche respect pour l’autorité d un homme, encourir la<br />
rigueur <strong>de</strong>s dieux ? Je savais bien que je mourrais ; c’était inévitable - et même sans ton édit ! Si je péris<br />
avant le temps, je regar<strong>de</strong> la mort comme un bienfait. Quand on vit au milieu <strong>de</strong>s maux, comment n’<br />
aurait-on pas avantage à mourir ? Non, le sort qui m’attend n’a rien qui me tourmente. Si j’avais dû laisser<br />
sans sépulture un corps que ma mère a mis au mon<strong>de</strong>, je ne m’en serais jamais consolée ; maintenant,<br />
je ne me tourmente plus <strong>de</strong> rien. Si tu estimes que je me conduis comme une folle, peut-être<br />
n’as-tu rien à m’envier sur l’article <strong>de</strong> la folie !<br />
LE CORYPHÉE<br />
Comme on retrouve dans la fille le caractère intraitable du père ! Elle ne sait pas fléchir <strong>de</strong>vant l’adversité.<br />
CRÉON. — Ainsi tu as osé passer outre à ma loi ?<br />
Traduction : ROBERT PIGNARRE, éd. Flammarion<br />
<strong>ANTIGONE</strong>. — Oui, car ce n’est pas Zeus qui l’avait proclamée ! ce n’est pas la Justice, assise aux côtés<br />
<strong>de</strong>s dieux infernaux ; non, ce ne sont pas là les lois qu’ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pensais<br />
pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel <strong>de</strong> passer outre à<br />
d’autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, <strong>de</strong>s dieux ! Elles ne datent, celles-là, ni d’aujourd’hui<br />
ni d’hier, elles sont éternelles, et nul ne sait le jour où elles ont paru. Ces lois-là, pouvais-je donc, par<br />
crainte <strong>de</strong> quelque homme, m’exposer à leur vengeance chez les dieux ? Que je dusse mourir, ne le<br />
savais-je pas ? et cela, quand bien même tu n’aurais rien défendu. Mais mourir avant l’heure, je le dis<br />
bien haut, pour moi, c’est tout profit : lorsqu’on vit comme moi, au milieu <strong>de</strong> malheurs sans nombre,<br />
comment ne pas trouver <strong>de</strong> profit à mourir ? Subir la mort, pour moi, n’est pas une souffrance. C’en eût<br />
été une, au contraire, si j’avais toléré que le corps d’un fils <strong>de</strong> ma mère n’eût pas, après sa mort, obtenu<br />
un tombeau. De cela, oui, j’eusse souffert ; <strong>de</strong> ceci je ne souffre pas. Je te parais sans doute agir<br />
comme une folle. Mais le fou pourrait bien être celui même qui me traite <strong>de</strong> folle.<br />
LE CORYPHÉE. —Ah ! qu’elle est bien sa fille ! la fille intraitable d’un père intraitable. Elle n’a jamais<br />
appris à cé<strong>de</strong>r aux coups du sort.<br />
Traduction : PAUL MAZON, éd. <strong>de</strong>s Belles Lettres<br />
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