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Une annonce dans les haut-parleurs : un passager qui manque à l’appel sur son vol. Hadley ne peut
empêcher l’idée de venir insidieusement lui trotter dans la tête : et si elle séchait le sien ? Comme s’il
avait lu dans ses pensées, le garçon qui marche devant elle jette un coup d’œil par-dessus son épaule
pour s’assurer qu’elle est toujours là. Elle réalise alors qu’elle est bien contente d’avoir de la compagnie
en un jour pareil – aussi imprévue que puisse être la compagnie en question.
Ils passent devant une enfilade de baies vitrées qui donnent sur le tarmac où les avions sont alignés
comme à la parade. Rien que de se dire qu’elle va bientôt devoir embarquer, Hadley sent son cœur
s’emballer. De tous les lieux clos de la planète – tous ces sas, cabines, boîtes, tubes qui t’attendent à tous
les coins de rue –, aucun ne la met dans cet état comme un avion : il lui suffit d’en voir un pour
commencer à trembler de partout.
La première fois, c’était il y a juste un an, dans une chambre d’hôtel à Aspen. Cette vertigineuse
angoisse, quand l’estomac vire à l’essoreuse et le cœur au marteau-piqueur : l’apprentissage de la
panique. Derrière la vitre, il neigeait à gros flocons serrés et son père était au téléphone dans la pièce d’à
côté. Elle avait soudain eu l’impression que les murs étaient trop près, et qu’ils se rapprochaient encore,
l’enserrant de plus en plus, centimètre par centimètre, avec l’inéluctabilité d’un glacier. Elle était restée
là, tentant de contrôler sa respiration, les battements désordonnés de son cœur si forts à son oreille qu’ils
en étouffaient presque la voix de son père assourdie par l’épaisseur du mur.
« Oui, disait-il, et ils annoncent encore quinze bons centimètres cette nuit. Pour demain, ça devrait être
parfait. »
Deux jours qu’ils étaient à Aspen, deux jours entiers à s’efforcer de faire comme si c’étaient des
vacances de Pâques ordinaires. Tous les matins, ils se levaient tôt pour être sur les pistes avant la
bousculade. Au retour, ils buvaient en silence leurs grandes tasses de chocolat chaud au chalet et jouaient
à des jeux de société toute la soirée devant la cheminée. Mais, en fait, ils passaient tellement de temps à
ne pas parler de l’absence de sa mère que, finalement, ils ne pensaient plus qu’à ça.
Et puis il ne fallait quand même pas la prendre pour une imbécile. On ne partait pas enseigner la poésie
un semestre à Oxford pour, tout à coup, demander le divorce sans avoir une bonne raison. Et quoique sa
mère n’en ait pas dit un mot – elle était même devenue quasiment muette, sur tout ce qui touchait à
« papa », de manière générale –, Hadley savait bien que cette bonne raison ne pouvait être qu’une autre
femme.
Elle avait prévu de le confronter sur le sujet pendant leur séjour au ski. À peine descendue d’avion,
elle pointerait sur lui un index accusateur et exigerait qu’il lui dise pourquoi il ne rentrait pas à la maison.
Mais quand, en sortant de la zone de retrait des bagages, elle l’avait trouvé là qui l’attendait, il lui avait
semblé tellement changé, avec sa barbe tirant sur le roux qui jurait avec ses cheveux bruns, et ce sourire,
si large qu’elle pouvait voir ses couronnes… Ça ne faisait que six mois, mais ça avait suffi pour qu’il
soit presque devenu un inconnu. Et c’est seulement quand il l’avait prise dans ses bras qu’elle l’avait
retrouvé, avec cette odeur de cigarette et d’après-rasage qui n’appartenait qu’à lui et cette voix