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— Je t’ai raconté que mon père avait quitté ma mère pour une autre et que je ne l’ai pas revu depuis un
an. Alors, s’il te plaît. Question drame familial, tu m’avoueras qu’on peut difficilement faire pire.
— Tu ne m’avais pas dit ça. Que tu ne l’as pas vu depuis si longtemps. Je croyais que c’était juste elle
que tu n’avais pas vue.
Au tour d’Hadley de s’agiter sur son siège maintenant.
— On se parle au téléphone. Mais je lui en veux toujours. Trop pour le voir.
— Et est-ce qu’il le sait ?
— Que je lui en veux ?
Oliver opine du bonnet.
— Évidemment. (Elle incline la tête vers lui.) Mais ce n’est pas de moi qu’on est censés parler, là, je
te signale.
— C’est juste que je trouve ça fascinant. Que tu en parles si ouvertement, j’entends. Tout le monde est
toujours remonté contre quelque chose, dans ma famille. Mais personne ne dit jamais rien.
— Peut-être que ça vous ferait du bien.
— Peut-être…
Hadley se rend alors compte qu’ils chuchotent, penchés l’un vers l’autre, unis dans l’ombre projetée
par la lampe de lecture du monsieur devant. C’est presque comme s’ils étaient seuls au monde. Après
tout, ils pourraient être n’importe où, sur un banc, dans un parc, ou dans un restaurant, des kilomètres plus
bas, avec les pieds fermement ancrés au sol. Elle est si près qu’elle peut voir la petite cicatrice qu’il a
au-dessus de l’œil, la barbe naissante qui bleuit sa mâchoire, la longueur incroyable de ses cils. Elle
s’écarte machinalement et il la dévisage, surpris par ce brusque mouvement.
— Désolé, s’excuse-t-il, en se redressant et en retirant sa main de l’accoudoir. J’oublie que ça te rend
claustrophobe. Ça doit être un calvaire pour toi.
— Non. Ce n’est pas si terrible que ça, en fait.
Il désigne du menton le store toujours baissé.
— Je persiste à croire que ça aiderait si tu pouvais voir dehors. Même moi, je me sens à l’étroit, làdedans,
sans fenêtres.
— C’est un truc de mon père. La première fois que ça m’est arrivé, il m’a dit d’imaginer le ciel. Mais
ça ne marche que si le ciel est au-dessus de toi.
— Eh bien oui, c’est logique.
Ils s’abîment subitement dans la contemplation de leurs mains, tandis que, peu à peu, le silence
s’installe entre eux.
— Avant, j’avais peur du noir, lâche Oliver au bout d’un moment. Et pas seulement quand j’étais petit.
Ça a duré jusqu’à ce que j’aie pratiquement onze ans.
Elle lui jette un coup d’œil incertain. Elle ne sait pas trop quoi dire. Elle lui trouve un visage plus
enfantin, tout à coup, moins anguleux, des yeux plus ronds. Elle éprouve soudain une brusque envie de lui
prendre la main. Elle se retient.
— Mes frères me faisaient marcher, éteignant la lumière dès que j’entrais dans une pièce. Ils
s’éclataient comme des petits fous avec ça. Ça les faisait hurler de rire. Quant à mon père, il détestait
cette… « faiblesse ». Il n’avait absolument aucune compassion. Je me souviens que, quand j’allais me