Télécharger ce livre au format PDF - Index of

Hadley a les yeux qui pétillent.
— Et il ne l’a pas lâchée depuis.
— Oh ! Tout vrai gentleman en aurait fait autant, proteste Oliver, jouant la fausse modestie.
— Seulement les plus galants.
Cet échange semble réjouir la vieille dame, constellant son visage de minuscules ridules.
— Et vous voilà côte à côte.
Oliver sourit.
— Et nous voilà côte à côte.
Hadley est surprise par la force avec laquelle elle souhaite voir se réaliser ce vœu qu’elle sent monter
en elle comme une prière : elle voudrait que tout ça soit vrai, que ce soit plus qu’une simple histoire, que
ce soit leur histoire.
Mais il se retourne vers elle et le charme est rompu. Tout juste si ses prunelles ne crépitent pas
d’étincelles tant il a l’air de trouver ça drôle. Il s’assure même du regard qu’elle est bien de connivence.
Elle réussit à lui adresser un petit sourire, avant qu’il ne revienne vers la vieille dame, qui s’est lancée
dans le récit de sa rencontre avec son mari.
Ces choses-là n’arrivent jamais, songe Hadley. Pas en vrai. Pas à elle.
— … et notre petit dernier a quarante-deux ans, poursuit la vieille dame.
Sous son menton, la peau tombe en plis mous qui tremblent comme de la gelée quand elle parle, et
Hadley porte machinalement la main à sa gorge, faisant glisser ses doigts le long de son cou.
— … et, en août, ça nous fera cinquante-deux ans de vie commune.
— Ouah ! s’extasie Oliver. C’est incroyable.
— Incroyable ? Non, je ne dirais pas ça, lui rétorque la vieille dame, en clignant des yeux. C’est tout
simple : il suffit de tomber sur la bonne personne.
Le couloir est désormais vide, en dehors du personnel de bord qui le parcourt de long en large pour
vérifier les ceintures de sécurité, et la vieille dame sort une bouteille d’eau de son sac, ouvrant sa paume
parcheminée pour révéler un somnifère.
— Lorsque vous regardez ça de la rive opposée, reprend-elle, cinquante-deux ans peuvent sembler à
peine cinquante-deux minutes. (Elle penche la tête en arrière et avale son comprimé.) Tout comme, quand
on est jeunes et amoureux, un trajet de sept heures en avion peut sembler durer toute une vie.
Oliver se tapote les genoux – coincés contre le dossier du siège de devant.
— J’espère bien que non ! plaisante-t-il.
Mais la vieille dame se contente de sourire.
— Je n’en doute pas une seule seconde, chantonne-t-elle, en enfonçant un bouchon d’oreille dans son
oreille droite, avant de répéter la même opération dans la gauche. Bon voyage !
— À vous aussi, lui répond Hadley.
Mais la tête de la vieille dame a déjà roulé sur le côté et, en un quart de seconde, la voilà qui ronfle.
Sous leurs pieds, l’avion se met à vibrer. Un grondement leur annonce que les moteurs viennent de se
réveiller. Dans le haut-parleur, une des hôtesses leur rappelle qu’il est interdit de fumer et que les
passagers sont tenus de rester assis tant que le commandant de bord n’a pas éteint le signal lumineux