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<strong>HORS</strong> <strong>DES</strong> <strong>VIOLONS</strong><br />
Dans la Poétique, Aristote place la tragédie et la comédie dans la catégorie des arts qui<br />
utilisent le langage, la mélodie et le rythme. « La tragédie est la représentation d'une action noble<br />
[…] au moyen d'un langage relevé d'assaisonnements d'espèces variées, utilisées séparément selon<br />
les parties de l'oeuvre […] j'entends par '' langage relevé '' celui qui comporte rythme, mélodie et<br />
chant, par ''espèces variées utilisées séparément'' le fait que certaines parties sont exécutées en<br />
mètres seulement, d'autres au contraire à l'aide du chant » 69 .<br />
Partie constitutive de la tragédie, au même titre que l'histoire, les caractères, l'expression, la<br />
pensée et le spectacle, la musique a donc une place essentielle au drame. Pourtant, on assiste au fil<br />
du texte d'Aristote à une série de déplacements qui aboutissent à la marginalisation de l'élément<br />
musical.<br />
Elle est désignée comme partie secondaire et le « plus important des assaisonnements 70 de la<br />
tragédie 71 ». L'œuvre conclut donc sur un paradoxe qui justifie les ambiguïtés de son interprétation :<br />
bien que la musique soit l'une des parties constructives de la tragédie, elle n'est qu'un ornement.<br />
Les théoriciens qui traduisent et commentent Aristote s'engouffrent dans la brèche, en<br />
s'appropriant l'une ou l'autre position.<br />
Au XVIIème siècle, les théoriciens français comme La Mesnardière utilisent la Poétique pour<br />
promouvoir un théâtre du verbe, d'où la musique - disparue en même temps que les chœurs<br />
tragiques - est désormais exclue.<br />
Corneille suit le même mouvement : « ... Le retranchement que nous avons fait des chœurs, a<br />
retranché la musique de nos poèmes. Une chanson y a quelque fois bonne grâce, et dans les pièces<br />
de machines cet ornement est redevenu nécessaire pour remplir les oreilles de l'auditeur, cependant<br />
que les machines descendent » 72 . La musique est ici rangée du côté du plaisir et du divertissement,<br />
elle n'est pas nécessaire au déroulement de l'action.<br />
Il faudra attendre Racine qui souhaite revenir à la pratique antique et cherche la justification<br />
de l'utilisation de la musique : « [...] J'exécutais en quelque sorte un dessein qui m'avait souvent<br />
passé dans l'esprit, qui était de lier, dans les anciennes tragédies grecques, le chœur et le chant<br />
avec l'action, et d'employer à chanter les louanges du vrai Dieu cette partie du chœur que les<br />
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!<br />
69<br />
LOUVAT, Bénédicte, Théâtre et musique au XVIIème siècle, Paris, Ed. Les cahiers de la comédie Française, n°18,<br />
1996, pg 41<br />
70<br />
Hedusmata : terme grec ayant le sens d'assaisonnement, agrément, ornement (Notes de La Poétique)<br />
71<br />
ARISTOTE, La Poétique, Paris, Ed. Du Seuil, 1980, pg 57<br />
72<br />
CORNEILLE, Pierre, Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique, cité dans LOUVAT, Bénédicte, loc.<br />
cit., pg 44<br />
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