HORS DES VIOLONS

HORS DES VIOLONS
VERS UNE RÉFLEXION SUR L’UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
NOTES & ENTRETIENS
MÉMOIRE DE FIN D’ÉTUDES DE MERYL MOENS
DIRIGÉ PAR ANNETTE SACHS
MASTER I RÉALISATION THÉÂTRE
INSAS 2011
©Photo. Rostropovitch jouant Bach à la chute du mur de Berlin.

HORS DES VIOLONS
TABLE DES MATIÈRES
Introduction........................................................................................................................................3
PARTIE I : AUX SOURCES ............................................................................................................7
Chapitre I : Introduction aux principes scientifiques sur la perception du son .....................9
A) L'écoute universelle ................................................................................................................9
B) Le son : relation au spatio-temporel.....................................................................................11
Chapitre II : La source de la musique .......................................................................................15
A) La diffusion via un dispositif technique ...............................................................................15
B) Pilotage .................................................................................................................................18
C) Diffusion en direct ................................................................................................................20
Chapitre III : La composante objective et subjective de la musique ......................................23
A) Mémoire collective et référence culturelle ...........................................................................23
B) L'écoute attentive ..................................................................................................................28
Chapitre IV : Du désir partagé à l'interdisciplinaire ...............................................................31
A) Discours musico-théâtral ......................................................................................................31
B) Origines et généalogies .........................................................................................................36
C) L'oeuvre d'art totale...............................................................................................................38
D) Autour du théâtre musical.....................................................................................................44
E) Pluri-, trans-, interdisciplinaire ?...........................................................................................47
PARTIE II : LA MUSIQUE ET LA SCENE ................................................................................49
Chapitre I : La musique de scène ...............................................................................................53
Chapitre II : La musique, de l'inspiration à la méthode ..........................................................57
A) Inspiration .............................................................................................................................57
B) Et la méthode ?......................................................................................................................63
C) Le musicien sur scène et l'acteur-musicien...........................................................................66
Chapitre III : Le compositeur et la scène ..................................................................................75
A) Créations ...............................................................................................................................75
B) Le cas Weill ..........................................................................................................................78
Chapitre IV : La musique comme code .....................................................................................81
A) Visions ..................................................................................................................................82
B) La chanson, cas particulier ?.................................................................................................85
1

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C) Décalage................................................................................................................................87
D) La notion d'effet....................................................................................................................90
E) La Musique du silence ..........................................................................................................94
Conclusion ........................................................................................................................................97
REMERCIEMENTS .....................................................................................................................107
ANNEXES ......................................................................................................................................109
ANNEXE 1 : Partition Les poissons rouges ............................................................................111
ANNEXE 2 : Extrait de partition de comédienne..................................................................113
ANNEXE 3 : La Démembrée – Anne-Cécile Vandalem.........................................................114
ANNEXE 4 : Canevas de Questions .........................................................................................115
ANNEXE 5 : Intervenants.........................................................................................................117
LEXIQUE .......................................................................................................................................121
BIBLIOGRAPHIE.........................................................................................................................124
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INTRODUCTION
! Ouverture Die Zauberflöte, (La flûte enchantée) Wolfgang Amadeus Mozart (Berliner Philarmoniker)
« "Musique !" crie Héloïse Jadoul, 10 ans, brandissant son doigt vers le ciel. Et tout à coup,
Jean-Sébastien Bach envahit la salle... », se souvient Sabine Durand. Nous sommes au théâtre de
La Balsamine, en 2002, devant Ce qui est en train de se dire..., un spectacle de Martine Wijckaert.
« C'est peut-être une musique de Bach, mais c'était tout Bach et toute la musique classique que
cette toute petite fille levait avec son doigt et, en l'écoutant, elle semblait porter le ciel tout
entier » 1 .
La musique envahit souvent le théâtre de ses notes. Mais comment la convoquer ? Et pour
quelles raisons ? C'est dans ces questions que ce mémoire plonge, en interrogeant celui qui appelle
potentiellement la musique au plateau : le metteur en scène.
« Comment utilisez-vous la musique dans votre travail ? » est donc la question que j'ai posée
au cours d'une dizaine d'interviews. Pour me frayer un chemin dans une matière colossale, j'ai
utilisé ces entretiens comme fondations et fil rouge de ce travail pour avancer Vers une utilisation
de la musique dans la mise en scène. Pour encadrer la recherche et les conversations avec les
professionnels, il fallait attaquer la problématique sous différents angles et préciser certaines
notions.
« Que voulez-vous dire par Musique ? »
La musique est l'art d'ordonner des sons et des silences sur une durée selon un rythme et une
hauteur. Elle n'existe que dans l'instant de sa perception et est à la fois une création, un mode de
communication et une représentation. Elle est une forme d'expression individuelle, une source de
rassemblement collectif, un plaisir et/ou un symbole d'une communauté voire d'une nation.
Néanmoins, cette étude exclut le travail de mise en scène sonore (bruitages...) – même s'il est bien
souvent musical –, la modification des voix des acteurs par un système technique, les voix off et
l'ensemble des bruits produits par le jeu ou le spectateur.
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1 Entretien avec Sabine Durand, 2 août 2011
3

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« De quelles pratiques théâtrales parlez-vous ? »
De prime abord, je me suis concentrée sur les utilisations de la musique dans le cadre d'une
mise en scène régulière. Entendons par cette affirmation, les démarches théâtrales qui ne
recherchent pas la maîtrise technique de la musique ou qui ont la volonté de fusionner les deux
disciplines. Ce mémoire n'aborde donc pas de genres spécifiques tels que l'opéra, les comédies
musicales ou le cabaret. L'analyse également se penche exclusivement sur la pratique occidentale.
« Ces précisions établies, quels cadres théoriques utilisez-vous ? »
Cette question constitue la première partie de ce mémoire intitulée Aux sources. La musique
est un art, une discipline à part entière. Elle est composée de savoir-faire, de théories et d'histoires.
Quand elle collabore avec le théâtre, elle amène alors ses bagages avec elle. Quelles sont les
composantes objectives et subjectives de la musique qui intéressent le théâtre ? Afin de répondre à
cette interrogation, j'ai suivi deux intuitions.
Premièrement, nous sommes reliés à la musique par un lien physique.
Celle-ci est composée de sons qui ont une influence objective sur la perception et le corps
humain (Chap.I). Entre acoustique et nouvelles technologies, la mise en perspective de ces principes
scientifiques permet aussi une approche technique de la musique au théâtre. Nous aborderons
comment la source de diffusion de cette dernière (haut-parleur, instrument…) influence
directement sa réception et pose la question: D'où naît la musique ? (Chap.II).
Deuxièmement, nous avons un lien social et historique à la musique.
Chacun a un rapport subjectif au musical, produit de nos souvenirs, de notre éducation et de
notre époque. L'étude de ce rapport - en tant qu'individu mais aussi en tant que société - permet de
dégager les notions de mémoire collective et de référence culturelle. Quand le metteur en scène
choisit une musique préexistante dans son projet, comment ce dernier peut-il utiliser une musique
référencée ? (Chapitre III)
Afin de ne pas être amnésique, l'Histoire qui lie la musique et le théâtre doit être évoquée.
Leurs interactions sont l'objet de nombreuses théories et classifications (Chapitre IV). A travers
celles-ci, nous croisons une terminologie spécifique qui va du principe de synthèse à celle de
l'interdisciplinaire en passant par l'idée de séparation des éléments. Afin de comprendre quelles
réalités – et quelles pratiques - se cachent derrière ces notions, j'ai retenu des fragments historiques,
sorte de panorama en accéléré de l'histoire du théâtre et de la musique.
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Cette première partie théorique examine quelle place la musique a réellement au sein de la
pensée théâtrale. Elle questionne également quels plans du processus de création et de la
représentation elle influence.
« Comment produire des hypothèses de travail en échos avec la pratique actuelle ? »
Pour répondre à cette question, la seconde partie de ce mémoire, La musique et la scène, se
concentre sur la matière des entretiens réalisés. Entre les propos de metteurs en scène, mais aussi de
musiciens, de compositeurs et de comédiens 2 , j'aborde la question de manière plus pratique, mais
aussi, plus sensible. Après avoir observé objectivement le statut de la musique dans l'histoire du
théâtre, la problématique se concentre sur la question de la nécessité de la musique sur nos scènes et
de son expression. En prenant comme point de départ les expériences des praticiens, les «fonctions»
de la musique dans la mise en scène se sont réparties en quatre chapitres.
d'acteur.
Le premier chapitre est consacré à la musique de scène.
Le second se concentre sur comment la musique peut inspirer un projet et la direction
Quant au troisième, il examine la collaboration entre un metteur en scène et un
compositeur en vue de créer une musique originale.
Alors que le quatrième et dernier chapitre interroge comment la musique peut constituer en
association avec le plateau un nouveau langage scénique et établir des codes.
Si ce mémoire est le reflet d'une plongée dans un sujet, il doit faire acte d'une chose : il m'a
donné à entendre, chose que l'on n'oublie parfois devant l'omniprésence musicale de notre
quotidien. Par conséquent, je joins à ce travail un CD, support et trace, qui regroupe des musiques
qui furent évoquées, mais aussi celles qui ont rendu plus aisée l'écriture de ce mémoire, auxquelles
je fais référence au début de certains chapitres.
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2 Biographies en Annexe 5
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« Avant de commencer... »
Enfin, ce mémoire est né d'un agacement. Son titre en sera la trace : Hors des violons, clin
d'œil à la malheureuse expression qui associe cet instrument au fait de jouer sur la corde sensible
pour émouvoir, écho à certaines utilisations de la musique au théâtre. Si ce fut un point de départ, il
fut vite dépassé, car comme le dit Deleuze : « On devrait s'interdire de parler de ce qu'on n'aime
pas. Il devrait y avoir une interdiction absolue. On écrit toujours pour, en rapport à ce qu'on aime.
Une littérature qui n'est pas une littérature d'amour, c'est vraiment de la merde » 3 . Amour, donc.
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3 DELEUZE, Gilles, Sur la musique I, Vincennes, 1977, http://www.le-terrier.net/deleuze/anti-
oedipe1000plateaux/1808-03-77.htm
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PARTIE I : AUX SOURCES
« Le théâtre dominant est un théâtre de l'image.
Nous cherchons à restaurer un théâtre de l'oreille, de l'écoute et de la compréhension [...]
Le grand prix du théâtre, son enjeu politique,
c'est de mettre en œuvre des bouches qui parlent à des oreilles qui écoutent. »
Jean-Pierre Vincent
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CHAPITRE I : INTRODUCTION AUX PRINCIPES SCIENTIFIQUES SUR LA
! The Lemon of pink The books 4
PERCEPTION DU SON
Pour comprendre quelles forces sont en présence quand une musique est utilisée dans un
projet, il convient de rappeler certains principes scientifiques. J'ai retenu quelques notions de base
de la perception du son qui peuvent intéresser le théâtre.
Le son possède un aspect objectif et peut ainsi être considéré comme une cause, objet naturel
des sciences et des techniques. Il désigne à la fois une vibration physique capable d'éveiller une
sensation, et la sensation elle-même. On peut dès lors se demander quelle est la part universelle
inhérente au son.
A) L'ÉCOUTE UNIVERSELLE
Certains sons ont une influence objective sur l'humain et sont ressentis comme négatifs,
positifs et/ou purement informatifs. Par exemple, selon certaines fréquences, l'ouïe identifiera le son
comme agréable – fréquences dites harmoniques – appelé aussi son musical 5 . Le bruit est quant à
lui défini comme toute manifestation sonore non désirée par rapport à un état souhaité. On voit que
par rapport aux usages du langage, les deux définitions ne coïncident pas forcément : « si un son
formé de fréquences quelconques, ni harmoniques, ni harmonieuses, peut-être désagréable, le bruit
d'une cascade peut être agréable, et le bruit du train qui entre en gare est une information utile,
alors qu'une mélodie entendue à travers une cloison quand on veut s'endormir est un bruit
"perturbateur" » 6 . Le contexte d'écoute est par conséquent un paramètre essentiel de la réception.
Un second aspect objectif est la réception des fréquences basses. L'oreille humaine est censée
percevoir des fréquences comprises entre 20 Hz et 20 000 Hz. Un son à basses fréquences, même
non conscientisé par l'auditeur (en deça du seuil de 20 Hz), exerce une pression sur notre corps.
« Des pulsations de sons à basse fréquence, proches du rythme de pulsation du cœur, semblent
causer au corps humain de se régler sur le générateur du son (théorie de J. Orr, 1996). Lorsque
ceci a lieu, un changement dans le rythme sonore provoque un changement dans le rythme
cardiaque, ainsi que dans d'autres fonctions physiques, selon un phénomène appelé "entraînement".
Ce phénomène s'accompagne généralement d'une sécrétion d'adrénaline [hormone de stress] et
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4 CD I Piste 2
5 MERCIER, Denis, Le livre des techniques du son, TOME 1 : notions fondamentales, Paris, Ed. Dunod, 2010, pg 2
6 Ibidem
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d'endorphine [hormone de gratification et de plaisir].C'est pourquoi un film d'action, accompagné
d'une bonne bande son, peut vous tenir en haleine, alors qu'il vous laissera indifférent si la musique
est coupé). » 7 .
Les sciences relatives à l'étude de l'influence des sons 8 sur le corps humain parviennent à la
conclusion que certains sons peuvent se révéler dangereux non seulement du point de vue de l'acuité
auditive mais également sur nos organes, la pression sanguine et le rythme cardiaque. Cependant,
« toutes les lois définissant les relations psychologiques entre grandeurs physiques et sensations
sont des lois statistiques et les limites de validité apparaissent dès que l'incertitude devient plus
grande que le phénomène à mesurer » 9 . Ainsi, la science étudiera globalement ces relations sur une
oreille qualifiée de « moyenne » et gardera à l'esprit les facteurs psychologiques des signaux perçus.
L'écoute - faculté instinctive de prévention contre les dangers éventuels - est permanente : les
événements sonores s'imposent sans que notre oreille ne puisse s'y soustraire. Il n'y a pas de priorité
dans les perceptions des sens. La vitesse de la lumière étant supérieure à celle du son, l'œil peut
voir avant que l'oreille n'entende. Mais cette dernière peut aussi détecter des événements encore
invisibles. Ceci démontre la nécessaire complémentarité de ces sens.
L'écoute s'étudie selon trois catégories :
La première, l'écoute technique, permet d'évaluer par exemple l'importance du bruit de fond.
La seconde, l'écoute esthétique, apprécie les couleurs (le timbre de la musique), les différents
plans (l'oreille peut « zoomer » grâce à l'écoute sélective), les variations... 10
La troisième, l'écoute musicale, appelée aussi écoute spécialisée, concerne une oreille
entraînée qui pourra juger de la qualité de l'écriture, de l'arrangement ou encore de l'interprétation.
Les phénomènes culturels affectent cette écoute puisqu'elle sera orientée en fonction de l'affect, de
l'histoire, du milieu social du spectateur. En musique par exemple, la reconnaissance d'un
instrument ou d'un autre dépend de l'importance de la mémoire sonore. Il ne faut pas perdre de vue
qu'une oreille est éduquée et que la reconnaissance suppose une capacité d'abstraction, de
généralisation pour mémoriser le prototype commun à des signaux acoustiques (les cordes, les
cuivres, la voix...). Ainsi, lorsqu'on ne peut pas reconnaître un instrument, on peut peut-être
reconnaître sa famille. Nous serons également capables de reconnaître les instruments même si le
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
7 Les effets du son sur l'homme, Article général www.etnoka.fr/
8 N.d.l.a. notamment la musico-thérapie et la psycho-acoustique
9 MERCIER, Denis, op.cit., pg 193
10 Ibid., pg 195
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support de reproduction (disque rayé, piano désaccordé...) est dégradé : il y a une différence entre la
qualité auditive et la qualité musicale.
En conclusion, le son – et par conséquent la musique, en étant composée – a théoriquement,
en dehors de tout contexte, une influence objective sur l'homme. Une part de l'écoute est
universelle.
B) LE SON : RELATION AU SPATIO-TEMPOREL
Puisque le son est une onde qui se propage dans un lieu sur une certaine durée, nous pouvons
établir qu'il a une relation au spatio-temporel.
La perception subjective du temps est une grandeur très difficile à évaluer. Si nous plaçons un
spectateur dans le noir, sa perception de la durée d’un silence ou d’un son sera changée. Cette
influence du contexte sur la perception humaine du son est méconnue. Le théâtre – art du temps –
en est un terrain d'expérimentations intéressant.
La perception d'espace est, quant à elle, plus aisément étudiable. A l'origine, avant même de
reconnaître la nature exacte d'un danger, l'oreille peut localiser la source sonore dans l'espace.
Instinctivement, nous nous dirigeons à l'oreille.
Dans la vie quotidienne, nous ne sommes pas exposés à des sons isolés. Dans une perception
globale de ce qui nous entoure, l'oreille peut se concentrer sur un son spécifique (une conversation
dans une boîte de nuit par exemple). Un terme est d'ailleurs associé à cette situation : l'effet
« Cocktail Party ». Il s'agit essentiellement d'une identification d'un signal de forme connue (la
parole) plutôt que de la discrimination spatiale.
Au théâtre, la localisation du son dans une salle est un paramètre important. Les
caractéristiques objectives du milieu (la salle) vont se superposer aux caractéristiques de l'émetteur
du son (enceintes, instruments...). Ce son va permettre à des volumes d'exister.
L'architecture l'a compris depuis longtemps. Dans la construction de nos théâtres, l'attention
fut d'abord portée sur la qualité et le confort de l'écoute :
« La forme plane et la forte inclinaison des amphithéâtres grecs et romains à ciel ouvert
rapprochaient le plus possible les spectateurs des artistes et la pente prononcée permettait de faire
bénéficier les spectateurs d'une réflexion de premier ordre émanant du plancher et d'un écran pour
les bruits de la rue. » 11
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
11 ESSERT, Robert, Conception des salles de concert, in UER-Revue Technique, Hiver1997, p.35
! 11!

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Après les théâtres à ciel ouvert, les architectes élaborèrent des espaces fermés. En musique,
cette révolution a eu des conséquences sur la composition même. Au Moyen-Âge, les cathédrales et
les églises ont pris de la hauteur, permettant ainsi une plus grande réverbération 12 . L'absorption du
son se concentrait au niveau du sol et, les parois étant majoritairement verticales, le son montait
longtemps avant de rencontrer un obstacle qui le fasse redescendre sur les fidèles, donnant
l’impression subjective d'élévation progressive. Les compositeurs comme Monteverdi ou Allegri se
sont inspirés du lieu de représentation pour composer leurs oeuvres. Le fameux Duo des séraphins
des Vêpres de la Sainte Vierge de Monteverdi (! 13 ) se chante avec chacun des solistes placés dans
les transepts de l’église, inventant ainsi une géométrie stéréophonique des sources sonores et une
dynamique unique de leurs réverbérations.
« L'opéra, quant à lui, s'est développé sur un terrain plus "sec" sur le plan acoustique. Le
public était entassé à la verticale le long des murs, jusqu'au plafond. » 14 . L'opéra chinois – comme
le théâtre Nô et le Kabuki – est né en extérieur. Par conséquent, le volume interne d'un espace
n'entre pas en ligne de compte et les surfaces capables de réfléchir le son sont rares, d'où les
techniques vocales perçantes, les orchestrations à base de percussions et la jauge restreinte.
Le dialogue entre espace et son est très riche, et les influences sont réciproques : la musique
peut trouver dans l'architecture une source d'inspiration et de collaboration.
Si notre oreille n'a pas de paupières, elle n'en est pas moins capable de zoomer, de faire le tri
des informations qui s'imposent à elle et de dessiner un espace (qu'il soit conforme à la réalité ou
non). « Tout son est l'invisible sous la forme du perceur d'enveloppes. Qu'il s'agisse de corps, de
chambres, d'appartements, de châteaux, de cités remparées. Immatériel, il franchit toutes les
barrières. [...] Ce qui est entendu ne connaît ni paupières, ni cloisons, ni tentures, ni murailles.
Indélimitable, nul ne peut s'en protéger.[...] Le son s'engouffre. Il est violeur. L'ouïe est la
perception la plus archaïque au cours de l'histoire personnelle, avant même l'odeur, bien avant la
vision, et s'allie à la nuit » 15
Source d'instincts, l’oreille semble être aussi une voie d’accès aux émotions et à l'imagination.
Objet d'études, elle est au centre et aux frontières de plusieurs sciences et disciplines
artistiques concomitantes.
Les recherches sur l'acoustique, l'architecture, les nouvelles technologies numériques ont
influencé la création musicale et son exploitation. En effet, si les avancées techniques nous
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
12 Réverbération : Lexique
13 CD I, piste 3
14 ESSERT, Robert, loc.cit., pg 36
15 QUIGNARD, Pascal, La haine de la musique, Paris, Ed. Gallimard,1996, pg 108
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permettent aujourd'hui, entre autres, d'appliquer une qualité spatiale au son, le champ des possibles
est de plus en plus large. Le cinéma, le théâtre, les compositeurs, les ingénieurs du son et la
performance ont en main un éventail de nouveaux médias sonores et de systèmes d'exploitation
musicale qui ne demandent qu'à être utilisés.
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CHAPITRE II : LA SOURCE DE LA MUSIQUE
! Les French Suite de Jean-Sébastien Bach (Glenn Gould) 16
« Selon moi, le son est ce qui se produit de plus important au théâtre. A l'heure actuelle, il est
très primitif, comme si l'on ne jouait qu'une seule note au piano... » 17
Dans le point suivant, je pose la question du « comment » avant celle du « quoi ». Dans le
cadre d'un projet théâtral, préalablement aux répétitions, le porteur de projet a la tâche de concevoir
et de prévoir tous les éléments de sa mise en œuvre. Outre le travail de préparation, où peut figurer,
par exemple, le choix d'un morceau de musique, il doit établir un budget et choisir ses
collaborateurs avec qui élaborer tout ce qui concerne l'acteur. C'est pourquoi, j'ai choisi d'évoquer
ici différents paramètres du « poste technique » dans lequel la musique s'insère.
Si depuis la constatation de Peter Sellars, la connaissance du sonore théâtral a évolué, son
exploitation reste prudente tant au point de vue budgétaire qu'au programme de nos écoles
artistiques. La diffusion et la sonorisation d'un spectacle se prévoit et implique des choix
dramaturgiques conséquents, ce qui nécessite du temps.
La source de la musique est pourtant essentielle, elle influence directement sa réception et
pose la question suivante : D'où naît la musique ?
A) LA DIFFUSION VIA UN DISPOSITIF TECHNIQUE
Au théâtre, il est devenu courant d'écouter et d'apprécier une musique, une parole,... par
l'intermédiaire d'un système de reproduction électroacoustique.
La première question est celle de la nature des sources.
Un cas de figure fréquent est l'utilisation de haut-parleurs, équipement le plus répandu au
théâtre. Avant même d'aborder leur nombre et leurs dispositions, leur visibilité établit déjà un code.
S'ils sont visibles, cela implique que une décision de révéler les artifices du théâtre, nous sommes
dans un espace de théâtre dans le théâtre, une intégration à la scénographie et ceux-ci font partie de
la narration... Si au contraire, ceux-ci sont « camouflés », la musique acquiert une dimension
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16 CD I Piste 4
17 SELLARS, Peter, Entrevue, UCLA, 1989, cité dans SALTER Chris, Dramaturgies du son – Conception sonore
interactive pour la performance sur scène, in Théâtre/Public, n°197 "Le son au théâtre", vol.1 Le Passé audible, Paris,
2010, pg 73
! 15!

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abstraite. Elle vient de nulle part et de partout. Par convention, le spectateur accepte cette
configuration – puisque commune - sans l'analyser. Cette utilisation peut être rapprochée de la
Bande Originale au cinéma.
Si les haut-parleurs sont courants, d'autres types de sources peuvent – par leur nature d'objet –
devenir un code, un élément de narration, créer un décalage (utilisation de vieilles radios, de tourne-
disque, d'ordinateurs, d'une télévision ou même d'un téléphone portable...). Un choix n'en exclut pas
pour autant un autre puisque différentes combinaisons peuvent créer différents niveaux de lecture.
Dans un entretien avec Virginie Strub, celle-ci développe les plans d'écoutes utilisés dans son
dernier spectacle Les poissons rouges 18 . Un dispositif de haut-parleurs constituait le plan de la
musique « du spectacle » (à la fois l'espace mental de ses personnages et la BO de son spectacle) et
une radio, placée dans une voiture sur le plateau, diffusait des musiques correspondant à la
dynamique de la situation pour les personnages, fonctionnant sur un plan plus narratif.
La réaction de l'acteur est cruciale, aussi bien par rapport à la présence de la source qu'à celle
de la musique elle-même. En fonction, il peut notifier la source, l'utiliser, la manipuler ou encore la
nier. Autant de signes qui permettront d'identifier si la source de la musique participe à la narration
(intradiégétique 19 ) ou appartient à une autre sphère (extradiégétique 20 ) ; celle de la machinerie du
théâtre au même titre que les projecteurs, par exemple. De la même manière, si l'acteur ne semble
pas remarquer la musique, nous sommes peut-être à nouveau dans la situation d'une bande son de
cinéma. Au contraire, si la présence musicale est assumée, nous pouvons être confrontés à une
situation de l'ordre du « numéro musical ».
La seconde question porte sur la disposition des sources dans l'espace théâtral donné.
Cette disposition dépend notamment du « système d'exploitation » de la source. Depuis des
décennies la technique cherche à recréer le confort de l'écoute naturelle.
Le premier système est la monophonie. Prenons en exemple le cas d'un haut-parleur en tant
qu'unique source sonore. La direction des éléments reproduits disparaît au profit de la seule
direction du haut-parleur. L'auditeur perçoit la totalité des événements sonores provenant d'un
même point dans l'espace. S'il est intentionnel, que raconte ce point de focale ? Où est-il placé ? En
coulisse, sous-entend-t-il la présence d'un espace hors-champ, d'un espace mental ?
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
18 (Théâtre Océan Nord | 2011)
19 Intradiégétique : faisant partie de l'action, pouvant être entendu par les personnages, qui relève de la narration.
20 Extradiégétique : Extérieur à la narration, ne faisant pas partie de l'action.
! 16!

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De la même manière, deux haut-parleurs, employés en monophonie, émettront eux aussi
chacun le même son. La place du spectateur, par rapport au dispositif, relativise cette affirmation.
En effet, si nous avons deux enceintes à la face (extrême cour et extrême jardin) dirigées vers le
public, seuls les spectateurs du milieu auront la sensation que le son provient de manière égale des
deux côtés. Pour les autres spectateurs, la distance à parcourir entre l'enceinte du côté opposé à eux
provoquera un léger décalage. Sans entrer dans trop de détails techniques, il existe des méthodes
appelées phasage et déphasage qui diffèrent légèrement le son émis par les sources pour pallier ce
décalage.
La stéréophonie, second système, fait évoluer la perception. S'obtenant avec un minimum de
deux sources, elle forme, avec le spectateur, un triangle appelé la zone d'écoute. Cette reproduction
place ce dernier dans des conditions similaires à une écoute naturelle (nous percevons par exemple
le violon à cour et la batterie à jardin). Elle nous permet déjà de spatialiser tel ou tel son et de
donner du relief à l'espace – et ce même si il n'est pas consciemment perçu par l'auditeur.
La reproduction sonore en multi-canaux, et sa forme la plus connue, la diffusion 5.1,
représente le stade d'évolution suivant. La stéréo peut s'avérer être insatisfaisante puisque limitée
par la dimension Left et Right (qu'importe le nombre d'émetteurs). Le multi-canaux permet une
localisation du son en n'importe quel point, ou presque. Le système de diffusion 5.1 fait intervenir 5
enceintes (3 à l'avant : jardin, centre, cour) et deux à l'arrière (surround jardin, surround cour) ainsi
qu'un caisson de renfort de graves pour les effets spéciaux. La spatialisation est rendue lors du
mixage via un ordinateur dans la plupart des cas et permet d'envoyer un son à une source isolée et,
par la même occasion, le faire voyager entre les différentes sources. Cette méthode nécessite un
matériel adapté et est beaucoup plus coûteuse puisqu'elle implique, notamment, plusieurs sorties à
la console en régie et une bonne préparation (services techniques en plus pour l'ingénieur son).
Techniquement, la qualité d'un dispositif s'exprimera par son uniformité dans la réception :
tous les spectateurs doivent entendre à peu près le même message sonore. Artistiquement, l'angle
d'approche du metteur en scène et de l'ingénieur son peut consciemment miser sur une réception
individuelle différente, un groupe de spectateurs ayant accès à des sons qu'un autre n'entend pas (ou
différemment).
La spatialisation permet d'exploiter la localisation des sources, de modifier les dimensions et
les caractéristiques du lieu (agrandissement, éloignement, étouffement, rendu d'un mouvement...), et
fait apparaître la notion de plans sonores. Comme une caméra, l'univers sonore peut être visualisé
! 17!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
comme une série de gros plans, plans lointains, hors-champs... Dans cette optique, l'entrée et la
sortie de la musique permettent d'établir un langage scénique supplémentaire.
La naissance de la musique donne également une indication sur la réalité théâtrale de la
situation. Par exemple, quand dans La mouette de Tchekhov, l'auteur indique « Arkadina et de la
musique au loin », un traitement de la musique dit naturaliste peut être appliqué. La musique vient
d'une source du quotidien comme un tourne-disque, un piano ou une radio. Sa présence constitue un
élément de la narration et est utilisée pour ce qu'elle est.
Par contre, une diffusion englobant le spectateur et le plateau et dont le dispositif n'est pas
directement visible peut donner aux éléments musicaux une dimension de l'ordre du magique, d'une
présence omnisciente, mentale ou encore divine.
Les dispositifs ne peuvent être appliqués dans une formule tout faite. La sonorisation doit
s'adapter au lieu, aux besoins : il est inutile de faire voyager les violons dans l'espace pour l'effet et
l'avancée technique que cela produit. De la même manière, il est inutile d'opter pour un système de
diffusion haut de gamme quand le support diffusé est d'une qualité médiocre (musique mono
extraite de Youtube) ou incompatible avec le « système » (musique en stéréo diffusée dans des
enceintes mono).
B) PILOTAGE
La diffusion via un matériel électroacoustique n'implique pas nécessairement une musique
enregistrée figée. Les systèmes de pilotage live actuels permettent une souplesse qui s'adapte aux
interprètes, au rythme de la lumière... L'ingénieur du son acquiert alors une place active dans la
représentation et entre en dialogue avec le plateau. « Un bon régisseur est un chef d'orchestre
déclare la metteure en scène Virginie Strub. Il donne le rythme, retient la bête et la relance. » 21
La mise en vue ou l'effacement de la présence de la régie devient un choix dramaturgique.
Est-elle sur le plateau ? Les « tops » musique sont-ils lancés par les acteurs, ou même pilotés par ces
derniers ?
A travers les différents récits des professionnels, les techniques de samples 22 , boucles 23 et
nappages 24 furent souvent évoquées comme des méthodes de composition musicale s'adaptant au
mieux au processus de création-plateau et à sa spontanéité. En effet, à l'instar d'ingénieurs du son et
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
21 Entretien avec Virginie Strub
22 Sample : Lexique
23 Boucle : Lexique
24 Nappage : Lexique
! 18!

HORS DES VIOLONS
de musiciens comme Thomas Turine 25 , la nature de la composition peut sans cesse être réadaptée et
interagir avec le plateau et ce, même pendant la représentation. La décision d'inclure un concepteur
sonore s'avère coûteuse et nécessite l'élaboration d'un vocabulaire et d'une démarche commune. « Je
ne veux pas que les "autours" arrivent à la mise en forme, raconte le metteur en scène, Claude
Schmitz 26 . Il est essentiel que tous les éléments grandissent ensemble pendant la création. C'est
presque une condition sine qua non. Cela donne une gestion de répétitions à 35 personnes. Un
joyeux bordel ! L'acteur répète, le compositeur lance une boucle, l'éclairagiste un effet... Si tu
n'anticipes pas la présence des éléments, tu ne peux rattraper le temps perdu. Si l'acteur peut être
d'abord confus de ne plus être au centre, tout le monde apprend à s'apprivoiser. » 27 .
Néanmoins, la difficulté de telles démarches au point de vue budgétaire est souvent évoquée:
« Effectuer un travail pointu au point de vue de la diffusion est souvent une aventure compliquée
explique Daphné D'heur : temps de répétitions, matériel... Les théâtres sont équipés au point de vue
son à leur minimum et dès que le spectacle tourne, il vaut mieux prévoir son propre matériel. Si tu
veux travailler sur une musique qui provoque des sensations et que tu es dans un rapport frontal en
mono, la tâche devient impossible. Les choses se perdent. Souvent, tu lisses et aplatis ta
composition par défaut, par la force des choses. ». 28 Différentes expériences en la matière seront
évoquées au Chapitre Le compositeur et la scène.
! !
La troisième question – directement liée au poste de l'ingénieur - est la gestion des équilibres.
Tous les émetteurs sonores démarrent-ils au même niveau ?
« Je sonorise toujours les acteurs, déclare Anne-Cécile Vandalem, pour pouvoir avoir un
niveau de cohérence entre la musique et la voix : les gérer sur un pied d'égalité. Je ne supporte pas
quand l'acteur doit hurler pour passer au dessus de la musique. Finalement, c'est une manière de
les mettre dans la même sphère sonore » 29 .
La différence de niveaux entre les différents éléments est à anticiper. Nous pouvons nous servir
du décalage, ou au contraire décider de les traiter de manière homogène. Les balances et les
questions de volume rentrent alors dans une danse où chacun peut se transmettre la parole : faire
passer la musique au-dessus de tout autre événement sonore ou à l'inverse, chercher à faire tendre
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
25 Thomas Turine : Compositeur et interprète, cherche depuis ses débuts à développer des langages propres et à
questionner la musique. Il compose de nombreuses mélodies et pièces pour instruments électroniques, où il lie le
mélodique traditionnel à la sonorité contemporaine. Depuis 2002, il rencontre des chorégraphes et metteurs en scène
contemporains et se consacre à la recherche (Claude Schmitz, Nicole Mossoux, Isabella Soupart, Pierre Droulers,
Michelle-Anne de Mey,...). http://www.blancasa.be/
26 Entretien avec Claude Schmitz
27 Ibidem
28 Entretien avec Daphné D'heur
29 Entretien avec Anne-Cécile Vandalem
! 19!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
l'oreille... Un volume croissant peut créer une sensation d'oppression, d'ascension, de saturation,
d'apothéose ou inversement, donner l'impression de s'évanouir, de disparaître sans que l'on puisse
s'en rendre compte. Par exemple, dans les spectacles de Pippo Delbono, le volume de la musique est
volontairement fort (jouant avec le seuil de la douleur). 30 Il y a une prise de pouvoir sur le public
par la musique. L'entrée musicale, la progression de sa présence et sa disparition sont autant de
signes qui racontent son interaction avec le plateau.
C) DIFFUSION EN DIRECT
« Il arrive régulièrement qu'il y ait un désir de jouer de la musique live, explique Daphné
D'heur. Et que celle-ci soit prise en charge par les acteurs. La réalité est plus complexe. Cette envie
sous-entend que l'acteur ait suffisamment de solidité musicale, ce qui n'est pas toujours le cas.
Vient alors le désir d'avoir des musiciens sur le plateau, mais on ne sait pas où les mettre. L'origine
de ce désir est le besoin de vivant, d'organique, de quelque chose qui ne triche pas » 31 .
En effet, le porteur de projet pourra envisager une production en direct de la musique via des
instruments ou la voix de l'acteur – chanteur. Que ce soit pour réinterpréter des morceaux existants
ou de la composition originale, cette démarche engage des choix dramaturgiques, économiques et
humains conséquents. Par ailleurs, celle-ci implique un préparation au préalable peut-être plus
importante, dans la mesure où les choix musicaux – ne serait-ce qu'un style de musique – doivent
déjà être établis pour entamer le dialogue avec les différents collaborateurs.
Première question : Quel est le matériel nécessaire ?
En ce qui concerne le chant, la question est plus facile à régler. Qui chante ? Acteurs ou
musiciens ? Dois-je sonoriser ? A quel endroit aura lieu le numéro de chant ?
Si par contre nous avons besoin d'instruments, il faudra penser au statut de ceux-ci dans
l'espace. Ils peuvent être complètement intégrés à la scénographie, avoir une aire délimitée, être
hors plateau ou n'apparaître que lors des moments musicaux. Le traitement visuel de leur présence
constante ou non indique la nature du code théâtral dans lequel nous nous trouvons.
Ici, d'un point de vue purement technique, la seconde question sera : les instruments
nécessitent-ils un soutien technique ?
En cas de sonorisation des instruments, il faudra prendre en compte la direction du son. Veut-
on conserver la localisation du son aux endroits des instruments ou vont-ils être rediffusés dans les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
30 (La Menzogna | 2010 | Théâtre de La place)
31 Entretien avec Daphné D'heur
! 20!

HORS DES VIOLONS
enceintes ? La première possibilité implique une connaissance des techniques de concerts et une
bonne conscience acoustique.
Aussi, selon la logique acoustique abordée (cf. Ch.1 b) Relation au spatio-temporel), la place
de l'instrument dans la salle influencera sa résonance. Ainsi, fixer la disposition des instruments
préalablement au travail de plateau et les geler dans la scénographie se révèlera risqué. L'acoustique
du lieu pourrait étouffer les instruments mal placés, les faire résonner ou les faire couvrir le reste du
champ acoustique du plateau.
Si la diffusion en live peut paraître plus naturelle, elle n'est pas moins lourde au point de vue
technique. Elle nécessite de vrais professionnels capables de s'adapter à une salle et à une situation.
Dans le cas où la musique est prise en charge par l'acteur, il faudra évaluer sa solidité musicale et
déterminer s'il faut faire appel ponctuellement à un collaborateur extérieur pour d'éventuels
conseils. Bien sûr, la démarche théâtrale ne cherche pas systématiquement une maîtrise de l'élément
musical et trouve, aussi, dans sa fragilité, une force. Mais afin de ne pas se laisser surprendre par
une utilisation qui pourrait se révéler parasite, il est utile de comprendre que la musique n'est pas
toujours aussi simple et naturelle qu'une guitare attrapée au coin du feu.
! 21!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
! 22!

HORS DES VIOLONS
CHAPITRE III : LA COMPOSANTE OBJECTIVE ET SUBJECTIVE DE LA
! The power of love Jennifer Rush 32
MUSIQUE
A) MÉMOIRE COLLECTIVE ET RÉFÉRENCE CULTURELLE
Avant son utilisation au théâtre, je vais préalablement m'intéresser aux rapports que nous – en
tant qu'individu et en tant que société – entretenons avec la musique. Il ne faut pas être musicologue
pour sentir qu'une histoire nous lie à elle, une histoire qui peut se souvenir de son passé sacré - des
rituels primitifs au besoin d'élévation de la musique religieuse - en passant par son utilisation dans
la propagande nazie à son ressassement dans la publicité. Quels sont les contours de notre rapport
collectif au musical ? Afin d'examiner cette problématique, j'ai retenu quelques grandes lignes de
l'opuscule Le caractère fétiche de la musique et la régression de l'écoute 33 (1938), œuvre du
sociologue, philosophe et surtout musicologue, Theodor W. Adorno.
Commençons par un rappel de la signification de la notion de « fétichisme ». Le mot fétiche a
le sens d'« artificiel » et par extension, de « sortilège ». A présent, le terme est repris en philosophie
sur la question de la croyance et de l'objet religieux. Mais le fétichisme d'Adorno fait surtout écho à
la théorie introduite par Karl Marx « Le fétichisme de la marchandise » 34 paru en 1867.
Dans cet ouvrage, il est question d'un transfert affectif entre le consommateur et le produit.
Marx fait référence à un double mouvement : la réification 35 des rapports sociaux et la
personnification du matériel (notamment le capital).
Or ici, Adorno fait le même raisonnement sur le rapport aveugle que l'auditeur a par rapport à
la musique – et plus particulièrement l'air à succès – la musique, étant la marchandise, le produit.
Citons un exemple marquant: « ... [le succès] est le simple reflet de ce qu'on paie sur le
marché pour le produit : le consommateur adore véritablement l'argent qu'il a dépensé en échange
d'un billet pour le concert de Toscanini. 36 Il a lui-même " fait " le succès qu'il réifie et qu'il accepte
comme un critère objectif [...] » 37 Ici, le désir de participer au concert pourrait être également
motivé par le prestige social d'avoir accès à la musique « savante ». Adorno qualifie cette logique
de fétichisme musical.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
32 CD I Piste 5
33 ADORNO, Theodor, Le caractère fétiche de la musique et la régression de l'écoute, Paris, Ed. Allia, 2010
34 MARX, Karl, Le capital, édition J.-P. Lefebvre Messidor/Editions sociales, 1867
35 Réification : Fait de transformer en chose une idée, un concept
36 Arturo TOSCANINI : Lexique
37 ADORNO, Theodor, op.cit., pg 29
! 23!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Mais cet exemple fait partie d'un système plus large qui se mord la queue. Pour mieux
exposer la mécanique, Adorno observe les clivages entre les deux grandes sphères musicales : la
musique dites « sérieuse » ou « savante » et la musique légère. La première, trop vite rangée dans la
catégorie de musique inaccessible, devient impopulaire, jugée trop intellectuelle pour être l'affaire
de tous. Les auditeurs préfèrent se retrancher sur les airs à succès beaucoup plus à leur « portée ».
« Les différences entre la musique "classique" et la musique légère n'ont plus de sens concret
au niveau de l'écoute. On ne les invoque que pour des raisons commerciales : celui
qu'enthousiasme un air à succès veut être sûr que ses idoles ne sont d'un niveau trop élevé pour lui,
tout comme celui qui vient d'écouter un orchestre philharmonique confirme, ce faisant, son propre
niveau. Plus le système dresse délibérément des barrières entre les diverses provinces musicales,
plus on soupçonne que sans ces clôtures les habitants pourraient trop facilement se
comprendre. » 38
Ce qui est intéressant ici, ce sont les causes et les conséquences d'une telle constatation. La
musique savante, exclue de l'engouement populaire, se cloisonne dans un perfectionnement
technique. Alors que, grâce à la diffusion de masse – via la radio – la musique légère s'inscrit dans
le grand engrenage de l'industrie culturelle.
Pour Adorno, cette musique légère, malheureusement, propose encore et encore la même
esthétique à quelques détails signifiants et éduque notre oreille : une oreille qui n'est plus capable
d'entendre. La régression de l'écoute, due à ce manque de diversité, s'accentue dans le matraquage
médiatique – qui venait à peine de commencer à l'époque (1930-40) – qui utilise la musique à tout
va.
C'est précisément ici que s'expose un double mouvement :
- Le premier prend sa source dans la création même. La finalité de type « divertissement »
maintiendrait la composition musicale dans une formule à succès garanti et empêcherait le progrès
de la musique « légère »
- Le second mouvement analyse la réception de l'auditeur qui, validant cette musique,
alimente la première tendance.
Développons. La radio diffuse encore et encore les mêmes chansons ; à force celles-ci
acquirent une forme de fétichisme, l'acceptation par l'usure.
La totalité du phénomène qui se produit à ce moment-là est difficile à résumer et n'affirme pas
que tous les acteurs du système soient conscients du schéma.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
38 ADORNO, Theodor, op. cit., pg 21-22
! 24!

HORS DES VIOLONS
D'une part, la chanson pourra être associée à un événement (le moment de son écoute
hasardeuse), à une époque, à l'émotion du souvenir mais aussi au plaisir de reconnaissance d'un air.
« L'impatience et l'irritation à ne pas reconnaître le nom, le titre, les paroles qui permettrait
de maîtriser le fredon resurgi. [...] Curiosité apeurée de cette régurgitation impalpable, sonore, qui
pourtant est exactement comme celle d'un lait maternel ou d'un vomissement » 39 .
Dans tous les cas, l'air prend alors sa place de « fétiche ». L'engouement de l'auditeur,
acceptant l'offre du marché, justifie la demande à laquelle la création répond, et la relance, et ainsi
de suite.
Ce processus ne touche pas que les airs à succès, mais également, la célébrité des morceaux
de musique classique notamment dans l'emploi que la publicité en fait : « [Ces oeuvres] sont
perverties. Une consommation incohérente les dégrade. Non seulement parce que les quelques
morceaux que l'on joue et rejoue finissent par s'user comme une reproduction de la Madonne de la
Chapelle Sixtine affichée dans une chambre à coucher ; la réification atteint aussi leur structure
interne. Elles se transforment en un conglomérat d'inspirations que l'on imprime dans l'esprit des
auditeurs au moyen de techniques comme l'intensification et la répétition, sans que l'organisation
de l'ensemble fasse en revanche la moindre impression sur ceux-ci. […] L'intensification qui
souligne plus précisément les passages réifiés, revêt le caractère d'un rituel magique par lequel
ceux qui reproduisent l'œuvre conjurent tous les mystères de la personnalité, de l'intériorité, de la
vie et de la spontanéité dont l'œuvre était chargée » 40 . Qui ne connaît pas l'ouverture de la 5ème
symphonie de Beethoven ?
Selon cette logique, le théâtre ne reproduit-il pas la même mécanique ? Si une musique a un
passé chargé d'émotions, serons-nous émus par ce qui se passe sur scène ou par le bagage que la
musique véhicule ? Mais également, comment utiliser une musique à la référence culturelle
marquée ?
Le metteur en scène peut peut-être assumer la technique du raccourci. De la même manière
que l'on peut faire référence à Duchamps avec l'entrée d'une pissotière sur le plateau, une musique
connue sera exploitée comme code de langage référé à une époque ou un genre qui facilite la lecture
du spectacle. Finalement, les gestes et sons codifiés du théâtre oriental fonctionnent selon la même
logique : spectateurs et acteurs se sont entendus sur un champ sémantique commun.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
39 QUIGNARD, Pascal, op. cit., pg 57
40 ADORNO, Theodor, op. cit., p. 46
! 25!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
La logique d'association d'une musique à un fait, un moment ou une sensation nous est
accessible par l'expérience. S'il est plus difficile de retracer toutes les forces en présence quand il
s'agit de sensations, on peut clairement identifier une connotation quand il s'agit par exemple des
Valkyries de Wagner et du régime nazi 41 . Finalement, il est question ici de mémoire collective.
Cette hypothèse, additionnée à la notion d'oreille culturellement éduquée (cf. Chap. I, l'écoute
musical) pose plusieurs questions : Est-il impossible de revenir à une écoute sauvage ?
Personne n'est vierge de musique. Et même une musique « nouvelle » est composite de
savoir-faire, d'harmonies, de thèmes que consciemment ou non nous analysons et catégorisons.
Telle pulsation nous met en alerte, telle autre nous calme, cette note nous rappelle la berceuse de
notre enfance... Mais si la connotation d'une musique peut brouiller la réception d'une scène, elle
peut aussi amener un niveau de lecture supplémentaire.
L'utilisation d'une musique corny 42 ou remplie de préjugés dus à une utilisation précédente (
ex. : la musique de Michel Legrand dans Un homme et une femme de Lelouch) peut créer un
champs de tension, une déstabilisation sur une scène qui par convention est noble (ex. : les
retrouvailles de Cordélia et Lear en prison). Il ne s'agit pas d'utiliser la private joke, ou seulement
un décalage qui soit de l'ordre de la dérision, il peut aussi s'agir d'établir un rapprochement d'une
époque à une autre. Jouer avec les conventions n'est pas simple et implique une réflexion sur
plusieurs niveaux.
Le choix d'une musique peut s'orienter selon le vécu du metteur en scène, lui-même produit
de ses propres fétiches. Dans ce cas, comment évaluer la proximité entre son bagage de références
et celui du public ? Chaque choix implique alors une « part perdue » puisque la citation ne sera pas
connue de tous. Il faudra que la « part perdue » ne soit pas supérieure à l'effet produit. C'est
pourquoi il est intelligent dans le cadre d'une utilisation d'une musique préexistante de tester
plusieurs cas de figure, de remettre en question l'habitude d'un air, de re-choisir après avoir choisi :
si la musique parle d'elle-même, la tâche du metteur en scène sera de ne pas la laisser parler toute
seule hors de son interaction avec les autres éléments scéniques.
Ainsi, lors de mes entretiens, les exemples de musique référencée se sont multipliés. Il y a
ceux qui y ont vu un potentiel de jeu :
Selon Claude Schmitz, « Le principe du thème, de l'air que l'on retient, j'y tiens. Comme une
citation. Dans Amerika, la musique était originale, on ne jouait pas avec la mémoire collective.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
41 «Quand j'écoute trop Wagner, j'ai envie d'envahir la Pologne » Woody Allen
42 Corny : en anglais, tarte, niaise, kitsch (expression utilisée par Adorno sur la musique de cinéma)
! 26!

HORS DES VIOLONS
Malgré tout, on utilisait les codes de la musique de cinéma de Série B comme référence.
L'important étant que ce ne soit pas du premier degré » 43 . La composition originale selon un style
ou une logique référencée peut contourner une citation frontale qui rappellera directement une
utilisation précédente, tout en produisant l'effet ou l'atmosphère qui s'y apparente. Ainsi, à choisir
entre l'Internationale communiste et une musique composée selon le même principe
« d'entraînement », le metteur en scène pourra s'orienter vers la seconde option s'il cherche un air à
connotation politique sans l'inscrire dans un mouvement particulier.
Dans le dernier spectacle de Virginie Strub, différentes versions de la chanson My way furent
exploitées sur toute la longueur du dernier acte. Les paroles avaient été remplacées par le texte
Prédictions de Peter Handke. Chaque tableau était encadré par une version de My way - du
meringué ou jazz en passant par le rock – eréinterprétée par les acteurs préalablement aux
représentations. La répétition de la chanson exprimait l'aspect irrémédiablement cyclique des
situations. De la même manière, les spectateurs ayant reconnu l'air de My way obtenaient une grille
de lecture en plus. « Que ce soit "I did it my way" ou la version française "Comme d'habitude", le
sens des paroles d'origine et le côté kitsch de la référence convenait tout à fait à la situation. Il n'y
avait pas besoin de connaître pour comprendre la situation mais ceux qui le pouvaient avaient un
petit plus, comme le bonus d'un DVD » 44 .
La référence est une chose, mais qu'en est-il de ces morceaux avec lesquels nous avons un
passé affectif ? Certains professionnels nous parlent du problème du manque de recul et du sens
caché. Anne-Cécile Vandalem, metteure en scène, raconte son expérience. « Dans mon dernier
spectacle "Habit(u)ations", j'utilise deux musiques pré-existantes. La première "I'll stand by you"
des The Pretenders » est mise à la radio par un des personnages qui commence une danse un peu
éméchée au milieu du salon. La référence ici place le personnage dans une époque, dans une
génération mais fait également échos à ces situations où l'on noie son chagrin et son malaise dans
ces airs tristes de chansons à succès. « La seconde, par contre, a une connotation personnelle qui
m'a joué des tours. La chanson de Jennifer Rush "The power of love", starlette des années 80, était
pour tout le monde lue comme simplement kitsch, de la même manière que "I'll Stand by you". Sauf
que pour moi, elle était associée à la dernière scène du "Septième continent" de Michael Haneke où
une famille entière se suicide en essayant d'effacer les dernières traces de son existence. J'ai du m'y
prendre plusieurs fois pour regarder le film dans son entièreté. Aussi, à chaque fois que les
premières notes de la musique se faisaient entendre, j'avais le même frisson d'horreur, de malaise,
de cruauté. Je demandais à tout le monde : " Est-ce que c'est pas too much ?", j'avais peur de la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
43 Entretien avec Claude Schmitz
44 Entretien avec Virginie Strub à propos de « Les poissons rouges »
! 27!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
dureté de la situation, mais cette lecture m'était personnelle et mon équipe n'avait pas le même
passif avec la chanson. En musique, il est vital d'être entouré de plusieurs paires d'oreilles » 45 . Cet
exemple montre un mouvement de transfert entre le passif du metteur en scène et la référence
commune.
Avoir une relation particulière à une musique peut nous pousser à vouloir la « placer »
absolument dans un projet, à l'inverse elle peut aussi exclure une potentielle utilisation : « Je ne
supporte pas qu'on utilise la musique du " Mépris" de Godart, raconte Armel Roussel, c'est
complètement inconscient, ou alors démagogique. Comme si les choses n'avaient pas d'histoire.
Cela a à voir avec de la bêtise. » 46 . Cette prise de position peut s'apparenter à une sacralisation
musicale : elle se produit quand la référence est tellement marquée affectivement qu'il n'est plus
possible d'envisager ou de recevoir l'œuvre dans une nouvelle interaction.
B) L'ÉCOUTE ATTENTIVE
Nous avons vu qu'Adorno considère que l'écoute subit une régression. Devant la
surabondance de la musique, l'oreille ne peut écouter cette nappe permanente de mélodies. Nous le
voyons dans notre vie quotidienne : la musique d'ascenseur, de supermarché, du métro, du café d'en
face, d'un téléphone dans un bus et ainsi de suite. Il ne nous reste qu'une solution : la demi-écoute
ou comme Adorno le mentionne un état de « déconcentration ».
Dès lors comment rétablir une écoute attentive au théâtre ?
L'entrée d'une musique diffusée, par exemple, peut être attendue si elle se produit dans son
dispositif classique – jeu d'enceintes en salle et plateau dirigées vers le public. Mais nos habitudes
peuvent être bousculées si la musique provient d'une vieille radio placée au dessus de la tête des
spectateurs, ou si son arrivée est brutale, son volume excessivement fort, par exemple. Il s'agira
aussi de dépasser l'effet de surprise d'une arrivée insolite.
Anne-Cécile Vandalem nous raconte : « Dans la mise en scène de Marthaler,
"Papperlapapp", [présenté dans la Cour d'honneur du palais des Papes en 2010] nous assistons à
15 minutes de musique diffusée à un volume très élevé, je ne sais d'ailleurs pas comment il a obtenu
une telle puissance sans nous assourdir. Tout à coup, celle-ci disparaît et au loin, d'une fenêtre de
la bâtisse, un air de piano se fait entendre. Une sonate. J'ai tendu l'oreille, je devinais le son de
l'instrument. Un murmure. J'étais avec. » 47
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
45 Entretien avec Anne-Cécile Vandalem
46 Entretien avec Armel Roussel
47 Entretien avec Anne-Cécile Vandalem
! 28!

HORS DES VIOLONS
Finalement, la qualité de l'écoute est un paramètre supplémentaire dans la réflexion sur la
place musicale dans l'œuvre théâtrale. Entre une écoute active ou inconsciente, la palette de nuances
est large. Le porteur de projet ne doit pas perdre de vue le statut de la musique à notre époque et de
nouveau, exploiter ou se frotter à nos réflexes musicaux.
La pensée d'Adorno remet en question nos conventions de consommation musicale, nous
confronte à notre comfort zone 48 auditive. Cette affirmation fait échos à la description qu'après lui
Brecht a fait des spectateurs devant un concert. « Ce sont des rangées entières de spectateurs
plongés dans une curieuse ivresse, d'êtres complètement passifs, perdus dans une contemplation
intérieure et, de tout évidence, gravement intoxiqués. Leurs regards fixes et hagards montrent
l'impuissance et la docilité dont ces êtres font preuves face à des sentiments qu'ils ne contrôlent
pas. […] Le plus mauvais des films de gangsters traite davantage les spectateurs en êtres
pensants. » 49 . La fascination que peut aisément provoquer une musique est une réception et
réflexion commune. C'est aussi à travers ce constat que nous allons devoir naviguer tout au long de
cette recherche.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
48
Comfort zone : Expression anglophone pour qualifier le champ de nos habitudes dans lesquelles nous nous
rassurons, complaisons.
49
BRECHT, Bertold, Sur l'architecture scénique et la musique, in Ecrits sur le théâtre, Paris, Ed. L'arche, 1989, pg
474-475
! 29!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
! 30!

HORS DES VIOLONS
CHAPITRE IV : DU DÉSIR PARTAGÉ À L'INTERDISCIPLINAIRE
! The Horatian Heiner Goebbels (inspirée d'un texte de Heiner Müller) 50
A) DISCOURS MUSICO-THÉÂTRAL
Le discours cherche souvent à caractériser les choses. La théorie de l'art a besoin de ranger les
notions et les pratiques selon des familles et des spécificités. Il est donc naturel que les pensées en
matière d'interactions entre plusieurs disciplines artistiques (dont la collaboration entre musique et
théâtre) soient l'objet de débats de classifications selon des genres et des époques.
Pour mieux les comprendre, j'ai retenu des fragments de l'histoire musico-théâtrale, ainsi
qu'un aperçu des réalités qui se cachent derrière les termes de fusion, synthèse, interaction, œuvre
totale, interdisciplinaire et celle plus générale de spectacle vivant.
La question de base qui lance le débat est : Quel terrain de jeu appartient à qui ?
« Le théâtre, malgré ses jeux historiques avec sa propre définition, si mouvante, en direction
par exemple de la danse, des arts plastiques ou du cinéma, se réfère à l'espace (il a lieu et nécessite
une "scène" pour advenir fut-elle, à ses limites, purement imaginaire et intérieure) et au texte : la
présence essentielle du verbal, même s'il peut être en définitive nié ou oblitéré, différencie le
théâtre. […] Le théâtre demeure vision, ou pour mieux dire visibilité, monstration du visible ou
évocation de l'invisible, par l'intermédiaire d'un corps. […] Il est toujours question, même si on
jette la scène dans l'obscurité totale et qu'on pratique du théâtre radiophonique, de voir quelque
chose qui au départ n'était pas visible. » 51
Nous pouvons démarrer avec cette définition. Le théâtre s'inscrit dans un espace (l'ici) à
travers une parole, fut-elle silencieuse ou non, animé par un corps, fut-il concret ou « abstrait ».
Nous avons pu observer récemment un cas d'abstraction corporelle dans la mise en scène Les
aveugles du canadien Denis Marleau 52 .
Enfin, n'oublions pas la dimension du maintenant : le temps de la représentation.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
50 CD I Piste 6
51 PLANA, Muriel, SOUNAC, Frédéric, Les relations musique-théâtre : du désir au modèle, Actes du colloque
international IRPALL des 25, 26, 27 octobre 2007, Université de Toulouse II Le Mirail, Ed. L'Harmattan, pg 17
52 (2002| Gand) Les aveugles de Maurice Maertelinck. Les visages des acteurs étaient projetés sur ceux de marionnettes
de taille humaine pendant l'entièreté du spectacle.
! 31!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Quant à la musique, «[elle] au contraire serait un art du temps et du non verbal, même si,
grâce à la voix chantée, elle a pu, depuis l'origine, rencontrer le texte. La musique s'écoute et
s'entend et, même si elle peut donner à voir et à imaginer, lorsqu'elle est descriptive ou lorsqu'elle
se spatialise, elle demeure essentiellement un art qui parle directement au corps en se passant de
l'organe de la vue. Elle n'est pas spectacle : elle n'est pas représentation : elle ne figure pas : elle
n'a pas à provoquer de vision pour atteindre à son plein effet. » 53 . Comme le dit Roland Barthes,
elle est « Champ de signifiance et non système de signes » 54 .
La seconde question qui pourrait naturellement en découler : Quelle est la part de musicalité
dans le théâtre et la part de théâtralité dans la musique ?
Pour aborder cette question, il est intéressant d'évoquer comment les praticiens de la musique
regardent la théâtralité afin examiner les axiomes communs. Dans le cadre d'un colloque sur les
relations entre musique et théâtre à l'Université de Toulouse le Mirail, différents théoriciens ont
débattus les différents points de frictions entre les disciplines sous le nom de désir partagé. Le
premier cercle de constatations prend comme point de départ l'interrogation suivante : qu'en est-il
d'une certaine idée du théâtre dans la pratique du concert ?
Une donnée commune et basique à chacun des deux arts est que tout deux ne trouvent leurs
pleines réalisations que dans l'interprétation. Cette interprétation se produisant sur une « scène »,
elle est liée à une dimension spatial. Or la relation à l'investissement d'un espace est un paramètre
qu'on associe au théâtre (cf définition). L'écriture théâtrale, par conséquent, est une anticipation plus
ou moins consciente de cet espace. Il semble alors qu'il y ait là une manière d'aborder la théâtralité
(ou du moins partiellement) qui intéresse la musique.
De la même manière que le Vêpres de Monteverdi, l'espace est un élément qui peut
conditionner la poétique d'une œuvre.
« Depuis les années 70, la notion d'espace musical est devenue assez commune, pour ne pas
dire proliférante, mais est incontestablement fertile pour alimenter l'hypothèse d'une sorte de
théâtralité interne du son » 55 .
Les avancées techniques actuelles sur les simulateurs d'espace créant l'illusion du son en
mouvement ont changé les habitudes traditionnelles : « le régime de réception ne peut plus être le
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
53 PLANA, Muriel, SOUNAC, Frédéric, op. cit., pg 18
54 BARTHES, Roland, L'obvie et l'obtus, Essais critiques III, Ed. Seuil, 1982, pg 273
55 PLANA, Muriel, SOUNAC, Frédéric, op.cit., pg 24
! 32!

HORS DES VIOLONS
même dans la mesure où l'événement musical ne peut plus être pensé indépendamment de sa mise
en espace et/ou mise en scène » 56 .
Que ce soit avec John Cage, le Fluxus ou simplement l'histoire de l'opéra, il est évident que
les expériences de théâtralisation sont aujourd'hui nombreuses, souvent liées à un désir de
modification et de démocratisation des habitudes d'écoute.
Muriel Plana, dégage trois tendances de théâtralisation :
1. L'altération du rituel : manière douce qui consiste à inclure un
comportement insolite au cœur d'un événement à la dramaturgie figée (comme le concert de
musique classique)
2. L'irruption du verbal : opération plus brutale en ce qu'elle transgresse l'idée
de la musique absolue qu'il est illégitime de faire voisiner avec du langage.
3. La création de spectacles hybrides : cette dernière classification rassemble
des expériences très diverses où l'œuvre musicale n'est plus l'événement principal au profit
d'une interaction entre cette dernière, l'espace, le visuel, le corporel, etc.
La troisième notion que nous pouvons développer suit le mouvement de cette dernière
tendance : la mise en contact du théâtre et de la musique.
« Les arts peuvent, comme les êtres, supposer leur incomplétude et aspirer à l'autre afin
d'atteindre une forme de plénitude hybride, métissée "moderne", qui se refuse, paradoxalement, à la
synthèse, à la pureté et à la perfection identitaire . Il y aura seulement rencontre, une rencontre
dont la forme la plus aboutie sera peut-être de type dialogique » 57 .
La mise en contact, donc, est définie ici par une aspiration à l'altérité et un refus des clivages
entre identités disciplinaires. Elle rejette paradoxalement la notion de synthèse : la référence à cette
notion est inévitable dans une réflexion sur le métissage, qu'il s'en détache ou s'y apparente.
La synthèse, volonté de faire exister au sein d'un seul art la somme des autres, est associée à
l'ère wagnérienne et son œuvre d'art totale (voir c) L'oeuvre d'art totale). Bien que le
Gesamtkunstwerk 58 révolutionne le drame musical et la mise en scène, elle n'est pas la première
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
56
BARTHES, Roland, op. cit., pg 25
57
Ibid., pg 9
58
Gesamtkunstwerk : en allemand, oeuvre d'art total.
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
tentative de synthèse. Le principe synthétique se retrouve dans le théâtre antique ou encore le
théâtre Nô (voir b) Origines et Généalogies).
A l'évidence, ce discours sous-entend également qu'il y ait eu à la base une séparation des
éléments. « The idea of combination of arts, expressed by Wagner and later theorists of
multimedia, logically presupposes their prior séparation. [...] As is generally well known, most
cultures conceive of music more holistically, that is as part of a performance situation that may
include not only the music-making itself but also dance, theater or ritualistic or shamanistic
spectacles 59 » 60 .
Mauricio Kagel et son théâtre instrumental (voir d) Autour du théâtre musical) argumente
qu'il n'existe pas de genres mais une pratique de spectacle vivant qui prend sa source dans le sacré
qu'il cherche à retrouver.
Brecht, quant à lui, analyse cette séparation des éléments dans ses écrits sur le théâtre mais
l'utilise comme procédé dramaturgique afin de mieux laisser sa place à chaque composante. Ainsi
en parlant du cinéma, il évoque un documentaire où l'action et la musique furent traités de manière
autonomes : « Les morceaux de musique étaient manifestement introduits par montage dans
l'action. Le style de jeu des comédiens se modifiait quand intervenaient des parties chantées ou
quand un dialogue était souligné par la musique. L'orchestre était généralement visible et lorsqu'il
jouait un éclairage particulier l'intégrait aux décors. Ceux-ci constituaient un troisième élément
autonome. [...] La musique, le décor et l'acteur représentaient le même processus chacun à sa
manière. [...] Quoiqu'il en soit ce principe a permis d'utiliser une musique qui avait sa valeur
propre afin de rehausser l'effet global. » 61
Il ne faut également pas confondre la synthèse avec la fusion.
Cette dernière se rapporterait à la réunion de minimum deux disciplines mais pas forcément à
un désir de totalité. Elle implique néanmoins un lien plus fort qu'une simple « juxtaposition » ou
« annexion » d'un art à un autre et sous-entend qu'il n'y a pas de rapport hiérarchique d'une
discipline sur une autre.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
59
HEILE, Björn, Mauricio Kagel's instrumental theater, in FERRARI, Giordano (dir.), La musique et la Scène, Ed.
L'Harmattan, Paris, 2007, pg 185
60
T.d.l.a. « L'idée d'une combinaison des arts, exprimée par W. Et les théoriciens du multimédia lui succédant,
présuppose logiquement leurs séparations dans le passé. [Dans le sens commun], il est bien connu que la plupart des
cultures conçoivent la musique de manière plus holistique [*approcher une pensée par l'ensemble, la totalité]. La
musique fait part d'une représentation qui peut inclure, non seulement le fait d'en jouer, mais aussi la danse, le théâtre
et les spectacles chamaniques ou rituels. »
61
BRECHT, Bertold, op. cit., pg 475
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HORS DES VIOLONS
Dans les actes du colloque susmentionné, les auteurs insistent alors sur le terme de rencontre.
Premièrement, parce qu'il n'engage à rien : une rencontre "essaye" de faire dialoguer deux
entités. Deuxièmement parce qu'il permet d'écarter les ambiguïtés que la synthèse contient et qui
furent l'objet de sa critique.
Au terme de rencontre qui me paraît peut-être trop poli pour qualifier les endroits de frictions
parfois explosifs entre les genres, je préfèrerai celui d'interaction. D'abord à l'évidence pour sa
qualité active et pour le mouvement qu'il induit d'allers-retours entre deux pôles qui s'attirent mais
également pour cette influence réciproque qu'il sous-entend. « Une tension s'installera. Un rapport
de force. Désirer l'autre, c'est risquer de se perdre soi-même, c'est risquer d'être dominé par lui. Il
en est sans doute entre musique et théâtre comme entre texte et mise en scène […] un nécessaire
combat sans vainqueur, une " lutte" et une contradiction qui se déploie devant nous,
spectateurs » 62 .
Suite au résumé du vocabulaire utilisé, il convient maintenant d'aborder une quatrième
interrogation : Quelles sont les pratiques qui mettent en contact ces disciplines et comment les
définir ?
Nous entrons alors dans le débat sur les genres. Est-il nécessaire de classifier les choses ? Il
est clair que les catégorisations et les commodités du langage ne rendent pas toujours à la pensée la
tâche facile. Néanmoins, les conflits théoriques révèlent dans la pratique des tentatives radicales de
rapprochement qui constituent la généalogie du théâtre d'aujourd'hui. Dans l'historique suivant,
vous retrouverez les notions évoquées ci-dessus ainsi qu'une introduction au théâtre musical et
instrumental.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
62 PLANA, Muriel, SOUNAC, Frédéric, op. cit., pg 10
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
B) ORIGINES ET GÉNÉALOGIES
Il est important de ne pas être amnésique. Si musique et théâtre se cherchent aujourd'hui, leur
désir partagé remonte aux théâtres des origines. Leurs histoires fut longtemps conditionnée par
cette référence et influencée par une œuvre majeure : La Poétique d'Artistote.
Le théâtre Antique berce en son sein une part majeure de l'histoire musico-théâtrale. Sa
technique fondamentale est une technique de synthèse appelée la choréia ou union consubstantielle
de la poésie, de la musique et de la danse.
Ce qui définit cette dernière est « l'égalité absolue des langages qui la composent : tous sont,
si l'on peut dire, "naturels", c'est à dire issus du même cadre mental, formé par une éducation qui,
sous le nom de "musique", comprenait les lettres et le chant » 63 .
Nous savons que la parole s'organisait selon trois débits : une expression dramatique, parlée
(cataloguè), une expression lyrique, chantée (mélos) et une expression intermédiaire, de l'ordre de
la déclamation (paracataloguè).
thymélé 66 .
La musique était monodique 64 avec le seul accompagnement de l'aulos 65 , joué assis sur le
Le rythme était absolument calqué sur le mètre poétique : chaque mesure pour chaque pied et
chaque note pour chaque syllabe.
Ce qu'il faut dire sur cette musique, « ce qui la distingue de la nôtre, c'est que son expressivité
est codifiée, on le sait, par tout un lexique de modes musicaux : la musique grecque était
éminemment, ouvertement signifiante, d'une signification fondée moins sur l'effet naturel que sur la
convention » 67 .En effet, à l'instar du théâtre oriental 68 , les spectateurs connaissaient parfaitement les
différents éléments et pouvaient lire la représentation conscients de son « lexique ».
Le rapport au sacré dans le modèle tragique et/ou dyonisiaque est une composante inéluctable
et est souvent pris en charge par la musique à laquelle les grecs accordaient toutes sortes de vertus,
notamment celle de pouvoir parler à l'âme. Citons en exemple le mythe d'Orphée qui, grâce à la
musique, convainc Hadès de rendre à la lumière du jour son épouse Euridyce.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
63
BARTHES, Roland, Ecrits sur le théâtre : Le théâtre grec, Paris, Ed. Seuil, 1982, pg 322
64
Monodie : Lexique
65
L'aulos : Lexique
66
Thymélé : Lexique
67
BARTHES, Roland, op. cit., pg 322
68
PERI, Noël, Théâtre Nô : Etudes sur le drame lyrique japonais, Paris, Ed. Ecole française d'Extrême Orient, 2004, pg
17
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HORS DES VIOLONS
Dans la Poétique, Aristote place la tragédie et la comédie dans la catégorie des arts qui
utilisent le langage, la mélodie et le rythme. « La tragédie est la représentation d'une action noble
[…] au moyen d'un langage relevé d'assaisonnements d'espèces variées, utilisées séparément selon
les parties de l'oeuvre […] j'entends par '' langage relevé '' celui qui comporte rythme, mélodie et
chant, par ''espèces variées utilisées séparément'' le fait que certaines parties sont exécutées en
mètres seulement, d'autres au contraire à l'aide du chant » 69 .
Partie constitutive de la tragédie, au même titre que l'histoire, les caractères, l'expression, la
pensée et le spectacle, la musique a donc une place essentielle au drame. Pourtant, on assiste au fil
du texte d'Aristote à une série de déplacements qui aboutissent à la marginalisation de l'élément
musical.
Elle est désignée comme partie secondaire et le « plus important des assaisonnements 70 de la
tragédie 71 ». L'œuvre conclut donc sur un paradoxe qui justifie les ambiguïtés de son interprétation :
bien que la musique soit l'une des parties constructives de la tragédie, elle n'est qu'un ornement.
Les théoriciens qui traduisent et commentent Aristote s'engouffrent dans la brèche, en
s'appropriant l'une ou l'autre position.
Au XVIIème siècle, les théoriciens français comme La Mesnardière utilisent la Poétique pour
promouvoir un théâtre du verbe, d'où la musique - disparue en même temps que les chœurs
tragiques - est désormais exclue.
Corneille suit le même mouvement : « ... Le retranchement que nous avons fait des chœurs, a
retranché la musique de nos poèmes. Une chanson y a quelque fois bonne grâce, et dans les pièces
de machines cet ornement est redevenu nécessaire pour remplir les oreilles de l'auditeur, cependant
que les machines descendent » 72 . La musique est ici rangée du côté du plaisir et du divertissement,
elle n'est pas nécessaire au déroulement de l'action.
Il faudra attendre Racine qui souhaite revenir à la pratique antique et cherche la justification
de l'utilisation de la musique : « [...] J'exécutais en quelque sorte un dessein qui m'avait souvent
passé dans l'esprit, qui était de lier, dans les anciennes tragédies grecques, le chœur et le chant
avec l'action, et d'employer à chanter les louanges du vrai Dieu cette partie du chœur que les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
69
LOUVAT, Bénédicte, Théâtre et musique au XVIIème siècle, Paris, Ed. Les cahiers de la comédie Française, n°18,
1996, pg 41
70
Hedusmata : terme grec ayant le sens d'assaisonnement, agrément, ornement (Notes de La Poétique)
71
ARISTOTE, La Poétique, Paris, Ed. Du Seuil, 1980, pg 57
72
CORNEILLE, Pierre, Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique, cité dans LOUVAT, Bénédicte, loc.
cit., pg 44
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
païens employaient à chanter les louanges de leurs fausses divinités » 73 . Un désir de retour aux
sources exprimé dans un contexte polémique où Opéra et art dramatique se disputent la précellence.
Plusieurs pratiques cherchent à se dégager de la problématique : Molière utilise la comédie-
ballet qui consiste à satisfaire ses contemporains et respecter la tradition antique. Les comédies-
ballets, à la fois divertissantes et galantes, « inscrivent le genre dans une logique de réception
plurielle : les franges populaires et mondaines du public molièresque plébiscitent un genre qui
s'adresse à tous » 74 .
A l'issue de ce bref parcours, nous observons que le drame antique, souvent considéré comme
l'âge d'or de la relation musico-théâtrale, a lui aussi tenté de définir les fonctions de la musique.
Malgré les interprétations variées de la « Poétique », il est indéniable que l'élément musical fut
l'objet d'une réflexion et d'une intégration dans la représentation. « Par conséquent, la tragédie
grecque, qui comprenait une partition aussi musicale que verbale et a pris racine dans des
pratiques religieuses qui, des Dionysies rustiques aux grandes Dionysies, associent le geste
fondateur du théâtre occidental à un univers où l'exacerbation des passions et les sons étaient mis
en rapport constant, ne serait-elle pas le plus lointain ancêtre du théâtre musical ? » 75 . L'évolution
et la remise en question de son statut tout au long de l'histoire – ici, en exemple, dans le théâtre
français – la place au cœur des débats dans un mouvement de référence ou de détachement aux
théâtres des origines.
! Die Walküre Richard Wagner 76
1. Wagner
C) L'OEUVRE D'ART TOTALE
Richard Wagner, compositeur allemand du XIXème, est fasciné par la tragédie d'Eschyle et la
Grèce Antique. Nostalgique, il condamne l'opéra de son temps et met sur pied la théorie d'une vie :
la célèbre œuvre d'art totale. Celle-ci s'inscrit dans le contexte des aspirations du romantisme
allemand. Elle dépasse même le cadre des arts : les saint-simoniens 77 voient dans le
Gesamtkunstwerk un trait d'union entre l'industrie, la religion et la science.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
73
RACINE, Jean, Oeuvres complètes, cité dans LOUVAT, Bénédicte, loc. cit., pg 46
74
Ibidem
75
PLANA, Muriel, SOUNAC, Frédéric, op. cit., pg 127
76 CD I Piste 7
77 Saint-simonisme : Lexique
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HORS DES VIOLONS
En 1848, il compose « un projet pour l'organisation d'un théâtre allemand » et y écrit :
« Dans l'art théâtral s'unissent, dans une plus ou moins grande mesure, tous les arts, pour une
impression immédiate sur le public, telle qu'aucun de ces arts ne peut à lui seul en procurer » 78 .
Wagner part alors « en guerre » et met en place les principes fondamentaux de l'oeuvre d'art
de l'avenir : ni un luxe, ni un passe-temps mais l'unique chance de salut de l'homme. Elle sera union
de tous les genres dans l'œuvre d'art commune.
Mais cette union ne signifie pas un mélange abscons. « Quand un musicien [...] cherche à
peindre, il ne fait ni de la musique, ni de la peinture, s'il veut, par sa musique, accompagner la
contemplation d'une peinture réelle, il peut être certain qu'on ne comprendra ni la peinture ni la
musique » 79 . Par cette citation, Wagner condamne les pratiques d'art cherchant à combiner les
disciplines pour des raisons illustratives.
Il place donc l'œuvre d'art totale sous la règle des 3 T : Tichten (pour Dichten), Tanz-Kunst,
Ton-kunst, respectivement la poésie, la danse et l'art du son.
Mais si ces trois arts sont unis, ils n'en sont pas pour autant égaux. La musique est un
« organe capable d'une expression infinie » et progressivement engendra un déséquilibre dans la
représentation. Sa puissance de suggestion, « sa force d'action psycho-physiologique » 80 lui donne
un statut différent des autres arts. Pour citer Wagner « Là où les autres arts disent : cela signifie, la
musique dit : cela est » 81 , quel que soit le poids donné aux autres composantes, l'action dramatique
est portée par la musique, vécue à travers elle.
La musique devient élément fondamental du travail de Wagner et « les théories les plus
spirituelles, les essais philosophiques les plus convaincus, les rivalités les plus passionnées des
traditionalistes fanatiques et des novateurs, n'y changeront rien » 82 .
Révolutionnant les théories esthétiques théâtrales et lyriques, il revisitera aussi le vocabulaire
et les concepts de composition.
Au terme d'opéra, il préfère celui de drame musical, replaçant l'action au centre. Il confie le
rôle du chœur à l'orchestre, toujours dans le mouvement de retour à la tragédie antique. Il accorde
une toute nouvelle importance aux mélodies qui contiennent, selon lui, l'essence de la musique. La
formule du leitmotiv qui en découle en est représentative. Bien qu'étant une pratique préexistante à
Wagner, il l'érige en concept. Le leitmotiv désigne des motifs ou thèmes que l'on retrouve tout au
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
78
WAGNER, Richard cité dans BABLET, Denis, KONIGSON, Elie, L'oeuvre d'art, Paris, Editions du CNRS, coll.
« Arts du spectacle », 1995, pg 23
79
Ibid., pg 25
80
Ibid., pg 33
81
WAGNER, Richard, cité dans PLANA, Muriel, SOUNAC, Frédéric, op. cit.,., pg 13
82
WAGNER, Wieland, cité dans Ibid., pg 34
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
long du drame. Il identifie une idée, un personnage, une situation : ses apparitions au cours de
l'œuvre font surgir le souvenir lié à sa première entrée. Il fournit un code et participe de la mise sur
pied d'un langage propre à une œuvre – aussi, la maître mot est : toujours court et facile à
reconnaître.
2. Sa critique
Les théories de Wagner et ses adeptes provoquèrent un tourbillon de réactions dans la pensée
moderne. Elles furent l'objet d'interprétations, de réinventions, d'admirations et de critiques
proliférantes. Encore aujourd'hui, tout ouvrage qui porte sur un rapprochement disciplinaire se doit
de mentionner le Gesamtkunstwerk.
L'œuvre d'art totale en tant qu'idéologie esthétique fait se rejoindre de grandes figures de la
mise en scène à commencer par Adolphe Appia. Ce dernier, auteur de La musique et la mise en
scène, voue aux premiers instants de ses recherches une admiration pour la musique de Wagner.
Se confrontant aux écrits, aux partitions mais aussi à la pratique (il mettra en scène plusieurs
opéras du compositeur), il réalise que la synthèse wagnérienne est toute relative.
Après analyse, il rebaptise le Gesamtkunstwerk : Wort- tondrama. Plus représentatif, selon
lui, de la réelle hiérarchie de l'œuvre totale, celui-ci a le sens de « drame de paroles » et de vrai
« drame musical » dans lequel le poète n'utilise que la musique.
Il révèle trois niveaux d'expressions :
1. La musique constitue la vie intérieure, sans l'intermédiaire d'une image ou d'une idée.
2. La poésie entre en rapport avec la musique à travers son contenu expressif, et avec elle,
constitue le drame du sentiment et des émotions.
3. La parole, dernière composante, forme le « drame de l'entendement », elle traduit
l'expérience, décrit et commente les phénomènes, elle explique, elle s'associe à la musique mais
n'en résulte pas. Elle est fonctionnelle.
Tout comme Meyerhold le constatera : « La musique est précisément la sphère d'où
inlassablement naissent et les personnages et l'action et le drame [...] C'est elle qui révèle à notre
conscience les motifs les plus secrets de l'action et donne en même temps à ces actions la possibilité
de se présenter devant nous avec une étonnante clarté » 83 , la musique au sommet de la pyramide est
l'art suprême.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
83 BABLET, Denis, KONIGSON, Elie , op. cit., pg 141
! 40!

HORS DES VIOLONS
L'échec synthétique de Wagner poussera alors ces deux metteurs en scène à formuler leurs
propres équations d'œuvre d'art totale. Pour Appia, l'art intégral n'est possible qu'au prix d'un
principe régulateur dans lequel le metteur en scène a toutes les cartes en main. Meyerhold fait le
même rapprochement : le metteur en scène doit devenir une nécessaire présence réunificatrice grâce
à des compétences techniques dans les divers domaines de la scène.
Alors qu'Appia élabore sa théorie de l'Art vivant, Meyerhold propose une synthèse réduite. Le
premier place la musique à la base de la synthèse mais cette dernière a besoin de l'acteur en
mouvement pour s'accomplir. Le deuxième organise sa synthèse selon un « théâtre de ligne droite »
entre l'acteur, l'auteur et le metteur en scène et où ce dernier serait intermédiaire entre les deux
autres. Mais si la synthèse est réduite, Meyerhold gardera le rêve d'un « théâtre unique » capable de
représenter tous les genres où le personnage n'est pas individu mais groupe, partie d'un chœur dans
une action de type religieux.
De la notion de sacré, Artaud se saisit et, bien qu'il utilise avec parcimonie le vocabulaire du
Gesamtkunstwerk, il mentionne dans Le théâtre et la cruauté : « Pratiquement nous voulons
ressusciter une idée du spectacle total, où le théâtre saura reprendre au cinéma, au music-hall, au
cirque et à la vie même, ce qui de tout temps lui a appartenu » 84 .
A la lecture du Théâtre et son double, il apparait que ce dernier est dans une lutte constante
entre recherche d'une totalité et d'une fragmentation, d'une cassure, d'une perte. De la même
manière que Wagner, il prêche un retour aux origines qu'il place dans le théâtre oriental. Dans le
refus de la mimésis et de la fonction psychologisante des mots, il ne laisse rien au hasard.
Dans le premier manifeste du Théâtre de la cruauté, il théorise chaque composante de la
scène : « Il serait vain de dire que [le théâtre] fait appel à la musique, à la danse, à la pantomime,
ou à la mimique. Il est évident qu'il utilise des mouvements, des harmonies, des rythmes, mais
seulement au point où ils peuvent concourir à une sorte d'expression centrale, sans profit pour un
art particulier » 85 . Le théâtre de l'excès du metteur en scène regorge de références à la musique.
Celle-ci, capable d'accéder aux profondeurs de l'esprit, se retrouve à travers les sons, les bruits, les
pulsations, les vibrations, les rythmes et les notions de « notes rares » et « note limite ».
A l'instar d'Appia et de Meyerhold, il responsabilise le metteur en scène : « Pour moi nul n'a
le droit de se dire auteur, c'est-à-dire créateur que celui à qui revient le maniement direct de la
scène » 86 . Tout trois affirment l'importance du metteur en scène. Mais qu'en-t-il de l'acteur ?
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
84
ARTAUD, Antonin, Le théâtre et son double, s.l. : Ed. Gallimard, coll. Folio Essais, 1964, pg 151
85
Ibid., pg 139
86
BABLET, Denis, KONIGSON, Elie, op. cit., pg 224
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Chez Appia, il assume le rythme et transmet dans un espace l'écoulement du temps exprimé
par la musique. Il trouvera cette réalisation dans la méthode de Paul-Emile Dalcroze – La rythmique
- ; les élèves de Dalcroze évoluent au son de la musique improvisée dans un espace neutre.
Pour Meyerhold, le lieu concret de la synthèse est également le corps de l'acteur dont la
polyvalence requiert l'élévation du niveau de sa qualification : culture plastique et formation
musicale, soumission au dessin d'ensemble, compréhension profonde des indications données,
initiative et capacité d'improvisation. De cette constatation naîtra la théorie de la biomécanique et la
méthode de direction d'acteurs meyerholdienne (cf. Partie II, Chapitre II Et la méthode ?).
Si certains trouvent en Wagner une inspiration, d'autres sont plus prudents. Aux côtés de
Brecht, c'est toute une pensée de gauche qui s'interroge sur l'œuvre d'art totale et ses ambiguïtés.
Walter Benjamin, pour qui l'héritage des valeurs spirituelles de Wagner est de l'ordre de la
fascination et de l'art pour l'art, critique « la solennité avec laquelle on célèbre ce culte est le
pendant du divertissement qui transfigure la marchandise » 87 . Adorno le rejoint en qualifiant la
méthode wagnérienne de tautologique, dans la lignée des œuvres qu'on fétichise.
Quant à Brecht, il est en rupture avec, et le théâtre aristotélicien, et wagnérien. Pour lui, point
n'est question d'un retour aux origines et d'une fusion des arts. La séparation des éléments est la
seule méthode qui permet à chaque composante de s'épanouir. « La grande compétition pour la
primauté entre le verbe, la musique et le jeu (où se pose toujours la question de savoir lequel
d'entre doit être à l'origine de l'autre – la musique à l'origine de l'événement scénique ou
l'événement scénique à l'origine de la musique etc.) peut se régler simplement par la séparation
radicale des éléments […] tant que les arts seront voués à se fondre, ils se dégraderont, chacun se
limitant à donner la réplique à l'autre » 88 .
La question de l'œuf ou la poule l'irrite. Mais le danger se situe ailleurs. Il s'en prend moins à
Wagner qu'aux wagnériens qui ressassent la même musique selon des principes réinterprétés et
mystifiés. Selon lui, la musique de Wagner est devenue une illusion.
L'irréalisme et l'irrationalité du musicalisme dans l'opéra fusionnel en fait un objet de
consumérisme basé sur l'ivresse du public. « Cette musique n'a pas plus que des ambitions
culinaires. Elle entraîne le spectateur à s'abandonner à un acte de jouissance énervant parce que
stérile. Aucun raffinement ne pourra me convaincre que cette musique a une fonction sociale
différent de celle des burlesques de Broadway » 89 .
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
87
BABLET, Denis, KONIGSON, Elie, op. cit., pg 226
88
Ibid., pg 213
89
BRECHT, Bertold, op. cit., pg 449
! 42!

HORS DES VIOLONS
S'inscrivant dans une volonté de mise en tension, entre contradictions et rapprochements, il
n'existe pas un équilibre normatif mais un centre de gravité mouvant où musique, texte et acteur
sont au service d'une cause. Brecht critique le déréalisme de la présence musicale dans le drame
mais affirme qu'elle est outil de mise en scène. Il met en garde contre l'effet narcotique des mélodies
: « C'est surtout avec le chant qu'il importe que soit montré le montrant » 90 . Brecht résume les
fonctions musicales dans un tableau comparatif entre l'opéra et son opéra épique :
Opéra dramatique
Opéra épique 91
La musique sert La musique transmet
Musique rehaussant le texte Commentant le texte,
Musique imposant le texte Présupposant le texte,
Musique illustrant Prenant position,
Musique dépeignant la situation psychologique Donnant le comportement
En effet, comment des considérations esthétiques considérées comme fondées sur la
fascination pourraient s'allier à la dialectique et l'approche didactique du théâtre épique ? Ce dernier
a un objectif pratique ; il doit définir des procès sociaux et donner les moyens d'intervenir sur ceux-
ci. Le spectateur se voit donner différentes options à une situation de telle manière qu'il lui soit
possible de tirer une critique du comportement humain. Puisque la dramaturgie brechtienne même
ne combine pas les éléments dans un destin inéluctable, il est logique que l'esthétique théâtrale en
fasse de même. Le public doit être capable d'analyser chaque chose indépendamment et d'observer
les interactions. « Un tel processus, à dominante critique, remet en question l'idée même de totalité
esthétique » 92 .
C'est dans cette perspective que s'inscrit Mahagonny, « opéra faux » plutôt que faux opéra, la
pièce est entre autre une métaphore de la mascarade de l'opéra dramatique. A travers ses
collaborations avec Weill et Eisler, Brecht mettra en place un nouvel opéra épique, notamment
avec l'utilisation des songs (voir Partie II Chap 4 : La chanson, un cas particulier ?) où la musique,
composante parmi d'autres, sera théorisée. Il faudra perpétuellement la remettre en question et
surveiller ses dangers.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
90 Ibid., pg 227
91 FENEYROU, Laurent, Adorno et Weill, sur Mahagonny, Samedi d’Entretemps, Ircam, 19 novembre 2005, source :
www.entretemps.asso.fr
92 IVERNEL, Philipp, cité dans Ibid., pg 228
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
D) AUTOUR DU THÉÂTRE MUSICAL
Le théâtre musical est une forme spectaculaire contemporaine à distinguer de l'opéra, opérette
et comédie musicale. Il s'efforce de faire se rencontrer texte, musique et mise en scène visuelle, sans
les intégrer, les fusionner ou les réduire à un dénominateur commun (cf. Wagner) et sans les
distancier les uns par les autres (cf. Opéra didactiques de Brecht). Il ne faut pas non plus le
confondre avec le music-hall qui va privilégier le tour de chant, une dramaturgie hétérogène et
enchaîner des numéros.
Historiquement, il se constitue en tant que genre dans les années 50. Communément, les deux
premiers exemples de théâtre musical sont L'histoire du soldat de Stravinski et Ramuz et
Mahagonny-Songspiel de Weill et Brecht.
1. Théatre instrumental
Figure centrale avec son théâtre instrumental, Mauricio Kagel considère le concert comme
représentation et la partition comme mise en scène. Le compositeur, né en 1931 à Buenos Aires,
s'installe à 26 ans à Cologne où il crée en 1959 le Kölner Ensemble für Neue Musik. Proche du
sérialisme à ses débuts, il s'oriente vers le théâtre musical en renouvelant le matériau sonore et les
habitudes d'écoute. Mais il a également exploré les ressources dramatiques du langage musical
contemporain dans des pièces radiophoniques, des films, des œuvres électroacoustiques, des formes
anciennes. Sa démarche est à différencier de l'oeuvre d'art totale, « The insight that Kagel's
instrumental theater is not a synthesis of different arts and media but an attempted reconstruction
of the wholeness of traditional performance 93 » 94 .
Le théâtre instrumental démarre dans l'idée que l'action de faire de la musique est une action
théâtrale en soi. Tout ce qui est requis alors est de faire ressortir la théâtralité de l'événement. Kagel
joue avec deux pôles opposés : premièrement, jouer un instrument est compris comme une action
cinétique, donc contenant de la théâtralité. Deuxièmement, la représentation de la musique est
présentée dans un cadre théâtral, ce qui veut dire que le théâtre est musicalisé.
En exemple : Sonant 1960 dans laquelle « the music results from the characteristic ways of
playing the various instruments 95 » 96 , elle est composée pour une guitare, une harpe, une basse et
une batterie. Les instruments sont choisis moins pour leurs acoustiques que pour leurs techniques de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
93 T.d.l.a. « La vision du théâtre instrumental de Maurico Kagel n'est pas une synthèse de différents arts et médias, mais
une tentative de reconstruction de l'aspect total, plein, de la représentation traditionnelle »
94 HEILE, Björn, in FERRARI Giordano (dir.), op. cit., pg 184
95 T.d.l.a. « La musique résulte des manières caractéristiques que l'on emploie pour jouer d'instruments variés. »
96 HEILE, Björn, op. cit., pg 187
! 44!

HORS DES VIOLONS
jeu. En effet, la musique est jouée le plus bas possible et le focus se concentre sur le ballet de
mouvements qu'induit le contact avec une gamme d'instruments variés. « In a way, the physicality
and kinesis of music-making are no longer the collateral damage of the live concert, but an integral
part of the spectacle 97 » 98 .
Dans la plupart des pièces de théâtre instrumental, les musiciens jouent des musiciens. Cette
constatation remet en question les niveaux possibles de représentations que contient le « genre ». Il
n'y a effectivement pas de réalité supplémentaire à la réalité de la représentation, en ce sens elle
pourrait s'apparenter plus à la performance.
2. Aperghis et Goebbels
Né à Athènes en 1945, Georges Aperghis est un compositeur grec de musique contemporaine.
Inspiré par la musique concrète de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry et des recherches de Iannis
Xenakis, il explore le son de la parole d'une manière originale.
Dans Enumérations, il pousse la théâtralité de la production vocale et musicale en faisant
jouer les acteurs-chanteurs-musiciens-bruiteurs avec des objets du quotidien afin de créer de la
musique. Ils récupèrent musicalement tout un environnement physique et visuel.
Collaborateur de Myniana, il construira des interactions ludiques et étonnantes entre
musiciens et acteurs, « [...] c'est un travail qui utilise le mot dans le décalé, dans le musical » 99 ,
nous raconte Ingrid von Wantoch Rekowski qui fut comédienne et pianiste dans l'une de leurs
créations. Ses oeuvres « ont accumulé chausse-trapes et double-sens, et agencé malicieusement des
labyrinthes de discours superposés et d'actions simultanées, afin de chasser l'évidence rationnelle,
de brouiller les codes ou de détourner l'attention » 100 .
Compositeur et metteur en scène allemand, Heiner Goebbels ne se limite pas aux mélanges de
disciplines artistiques, il fait interagir cultures et traditions musicales différentes : comme dans Ou
bien le débarquement désastreux (1993) où musique occidentale électroacoustique ou de rock se
frottent à la kora et à la voix chantée africaine.
On note également la présence de pop music et de musiques populaires urbaines dans ses
oeuvres, ce qui relève de la volonté stratégique de s'approprier des matériaux et formes
d'expressions parmi les plus diversifiées.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
97
T.d.l.a. « Dans un sens, la corporalité et la kinesthésie résultant de l'action de faire de la musique n'est plus un
dommage collatéral du concert live, mais fait partie intégrante du spectacle »
98
Ibidem
99
Entretien avec Ingrid von Wantoch Rekowski
100
DURNEY, Daniel, cité dans SICILIANO, Giancarlo, Le théâtre musical d'Heiner Goebbels : frayage vers une
économie poétique au singulier pluriel, sur www.heinergoebbels.com
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
De la même manière qu'Eisler ou Adorno s'interrogent sur la redondance de la musique au
cinéma, Goebbels affiche sa volonté de : « développer un théâtre où les éléments atteignent un
équilibre indépendant, où même les lumières ont leurs propres qualité indépendante [...] pour que
les éléments ne se répliquent pas. C'est une combinaison de production de sens et en même temps
d'enlèvement de sens par la distance entre les éléments : ceci demande au public – c'est ce qu'il fait
de toute façon – de rassembler ses impressions. Ce qui nous intéresse tous c'est de faire des liens ;
lorsque, par exemple, vous voyez quelqu'un qui parle et fait en même temps un mouvement qui
n'appartient pas à ce qu'il dit, nous établissons immédiatement un lien entre ces deux éléments et
ceci nous garde éveillés. Pas comme dans le théâtre traditionnel où tout est doublé. » 101 .
Il ressort de ces trois brèves présentations l'existence de pratiques hybrides où théâtre et
musique se rencontrent dans une zone d'indiscernabilité 102 . Ce triangle des Bermudes dans lequel,
aujourd'hui, confluent de nombreux projets, revêt plusieurs appellations. De pluridisciplinaire à
hybride, en passant par indisciplinaire, le théâtre s'offre des possibilités inédites hors des tiroirs.
« [...] esthétique du singulier dans le pluriel [...]. Ce n'est plus la situation de la pluralité en
tant que telle, de différents moments de vérités, qui nous préoccupe, mais la circulation de ces
formes plurielles entre chacune d'elles. Comme dans la théorie contemporaine, nous avons quitté
l'ère de l'hétérogénéité pour entrer dans la phase de la transversalité. La différence devient elle-
même le signifié. » 103 .
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
101 GOEBBELS, Heiner, cité dans SICILIANO, Giancarlo, loc. cit.
102 DELEUZE Gilles, GUATTARI, Félix, Qu'est-ce que la philosophie ?, Paris, Ed. Minuit, 1991, pg 164
103 ERLMANN Veit, cité dans SICILIANO, Giancarlo, loc. cit.
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
E) PLURI-, TRANS-, INTERDISCIPLINAIRE ?
On utilise souvent sans précision les termes de pluridisciplinaire, de transdisciplinaire ou
encore d'interdisciplinaire lorsqu'il est question de l'interaction théâtre/musique.
La méthode qui consiste à structurer par discipline est un héritage de la recherche scientifique.
Le mot « discipline » - commun aux notions qui nous intéressent – a le sens d' « action
d'apprendre » et ses variantes « enseignement », « doctrine », « méthode », « punition » et par
extension « principes et règles de vies ». Ici, le mouvement qui réunit ces trois notions est la volonté
de définir les relations et leurs degrés de rapprochement entre différentes pratiques au sein d'un
même projet.
La pluridisciplinarité renvoie à une association de pratiques en parallèle qui serait de l'ordre
de l'addition. Elle a trait plus à une cohabitation où chacune des disciplines garderait ses entières
spécificités, qu'à une réelle interaction.
L'interdisciplinarité suppose le trait d'union, inter- signifiant « entre » exprime donc une
relation réciproque, une dynamique. Sa définition porterait sur un véritable échange entre deux ou
plusieurs disciplines « qui se nourrissent l'une de l'autre pour créer une qualité émergente » 104 .
La transdisciplinarité sous-entend une transcendance ou transgression des frontières entre
les disciplines. Le préfixe trans- signifiant « à travers » - caractérise ce qui dépasse les spécificités.
« On serait là dans un "au-delà" des particularismes, dans une recherche de lignes de fuite
convergentes partant de bases différentes » 105 .
Celle avec laquelle nous sommes le plus en contact est la première. Un spectacle de théâtre
utilisant la vidéo s'apparente à du pluridisciplinaire. On pourrait même avancer que n'importe quel
spectacle utilisant un morceau de musique s'inscrirait dans cette définition.
La notion de transdisciplinarité est quant à elle plus idéologique que concrète. Même si les
intentions artistiques peuvent aller dans ce sens, « il arrive souvent qu'au final une discipline prenne
le pas sur les autres et rende le rapport moins égalitaire qu'imaginé [...] Sans doute est-ce réflexe
de repli ou de confort face au risque grandissant au fur et à mesure qu'on se rapproche de la
création, que de revenir plus près de la pratique d'où l'on est issu et que l'on possède le mieux à
mesure que se développe la complexité d'un processus transversal qui bouscule les acquis » 106 .
Elle correspond donc à une étape supérieure dans la recherche interdisciplinaire puisqu'elle ne se
contenterait pas d'interactions mais « situerait ses liaisons à l'intérieur d'un système total sans
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
104 FRANCK, Philippe, Question de définition(s), in Scènes, n°15 - Inclassable : La scène « in-disciplinaire », La
Bellone, Bruxelles, 2005, pg 35
105 Ibidem
106 Ibidem
47!
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
!
frontières stables entre les disciplines » 107 . La transdisciplinarité acquiert alors un statut
philosophique, elle correspond à « une prise de conscience et une issue contre la catastrophe d'une
société de plus en plus fragmentée contre laquelle elle oppose une nouvelle forme d'unicité
humaniste » 108 . Une charte fut même créée par des artistes et des scientifiques et propose 14
articles, le premier remettant en question tout les tentatives de définitions : « Toute tentative de
réduire l'être humain à une définition et de le dissoudre dans des structures formelles, quelles
qu'elles soient, est incompatible avec la vision transdisciplinaire » 109 .
A la suite de toutes ces classifications, il faut rappeler que celles-ci sont les objets du langage et
de la théorie. Elles sont par extension mouvantes et si elles peuvent aider à établir une phrase
d'accroche dans un programme, il ne faut pas oublier qu'elles n'ont pas les mêmes limites dans la
pratique : « La frontière disciplinaire, son langage et ses concepts propres vont isoler la discipline
par rapport aux autres et par rapport aux problèmes qui chevauchent les disciplines. L'esprit
hyperdisciplinaire va devenir un esprit de propriétaire qui interdit toute incursion étrangère dans
sa parcelle de savoir » 110 . !
Pour cette raison, le terme d'indiscipline règle à mon sens la question. N'y a-t-il pas une
certaine insolence à refuser de se priver des jouets du voisin ? De mes conversations avec les
différents intervenants, l'indiscipline me paraît rendre compte plus justement des choses. Aussi afin
de relativiser ce chapitre, en voici ma définition qui clôt le discours théorique et ouvre la seconde
partie de ce mémoire sur une note plus personnelle :
In-Discipline car :
! Représentative d'une dynamique de liberté de création.
! Infiniment plus en écho avec des pratiques qui réinventent, remettent en questions et
prennent des risques.
! Si il y a des postes douaniers entre les arts, comme en géo-politique, les frontières peuvent
toujours être renégociées.
! « Selon Bernard Dort, le théâtre n'est du reste un art que par son impureté même » 111 .
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
107
FRANCK, Philippe, loc. cit., pg 36
108
Ibid., pg 37
109
Article 1 de la Charte de la transdisciplinarité dans Ibidem
110
MORIN, Edgar, Sur l'interdisciplinarité, cité dans Ibid., pg 36
111
PLANA, Muriel, SOUNAC, Frédéric, op.cit., pg 11
! 48!

HORS DES VIOLONS!
!
PARTIE II : LA MUSIQUE ET LA SCENE
L'information n'est pas la connaissance.
La connaissance n'est pas la sagesse.
La sagesse n'est pas la vérité.
La vérité n'est pas la beauté.
La beauté n'est pas l'amour.
L'amour n'est pas la musique.
La musique est LA MEILLEURE DES CHOSES...
Frank Zappa
! 49!

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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
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HORS DES VIOLONS
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Souvenir...
La musique de Pina Bausch, je l'ai dans mon sang. C'est plus que vibrer ce que cela me fait,
c'est autre chose.
J'ai un souvenir troublant d'un morceau dans Kontakthof. Il y a peu, j'ai vu un documentaire 112 sur
la reprise du spectacle par des adolescents.
Ce que j'ai ressenti en voyant ce film était aussi fort qu'en voyant le spectacle, il y a fort longtemps.
J'ai retrouvé ce morceau dans une scène où une jeune adolescente reprend le rôle d'une danseuse
que j'aimais beaucoup : Mechthild Großmann, qui m'avait bouleversé.
On voit la jeune fille répéter ce passage sur cette musique, et tout à coup, je la vois « trouver ».
Trouver le rapport au corps, à la musique, trouver ce qu'elle doit faire.
Cela m'a un peu emmerdé d'ailleurs d'être troublé à ce point [sourire]. Surtout par rapport à mes
idéologies personnelles car je pensais précisément que la beauté de ce moment venait de
l'interprète et de qu'elle faisait à ce moment-là - évidemment de la musique - mais d'elle surtout, de
ce qu'elle dégageait de vrai, d'elle-même.
Et voir cette adolescente dégager la même émotion en étant dans des questions purement formelles
et de rapport à la musique, une émotion qui n'était pas basée sur la beauté, mais sur une chose plus
profonde... Au fond, je me suis demandé si ce n'était pas plus compliqué que cela la mise en scène
[rires] : le choix de la bonne musique et de la bonne gestuelle. Pourtant, j'étais tellement persuadé
que la force venait de Mechthild.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
112 Les rêves dansants. Sur les pas de Pina Bausch, réal. Anne Linsel et Rainer Hoffeman | 2010
Xavier Lukomski
! 51!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
"#!

! Don't eat the yellow snow Frank Zappa 113
HORS DES VIOLONS !
Sortir les violons = Comme sur le Titanic, quand le bateau coule...
CHAPITRE I : LA MUSIQUE DE SCÈNE
L'imprimeur
Quand on parle de musique de scène, on pense à : « Finalement la musique de scène est un
genre bâtard. Les lois du théâtre autorisent la musique un peu comme les accompagnements au
piano dans les mélodrames de Liszt ». 114 Mais on peut aussi penser à : « La musique de scène est
triangle de partenaires. L'acteur, la musique et celui qui écoute. Il faut que la musique laisse la
place à ce dernier. De la place pour l'écoute, pour l'invention du spectateur. Jouer avec de
l'air. » 115 . De la vision de Chéreau à celle du musicien bruxellois Olivier Thomas, il semble que la
musique de scène ne se rapporte pas à la même chose. En effet, le nom de musique de scène peut
évoquer une pratique d'une époque dépassée, elle fut considérée par les musiciens comme un genre
mineur et par les praticiens de théâtre comme de la composition d'emballage. « Je voulus éviter
l'habituelle musique de scène qui est une forme que je déteste ! Rien de plus faux que l'intrusion
d'une phrase musicale pendant que les acteurs continuent à réciter de leur incontrôlable débit le
texte de l'œuvre, la phrase parlée et la mélodie se mouvant dans deux atmosphères absolument
incompatibles » 116 . Soit. Ici, nous voulons sa définition plus large et vierge de connotations : la
musique de scène sera toute musique convoquée au plateau dans le cadre d'une représentation. Bien
qu'à l'origine, musique de scène sous-entend aussi composition originale, ouvrons sa signification
aux exemples actuels d'utilisations de morceaux préexistants.
Dans cette seconde partie, je propose une plongée dans des cas pratiques à travers différents
portraits de professionnels de la scène qui m'entoure. Vous retrouverez des récits d'expériences et de
souvenirs présentés selon des fonctions que la musique peut occuper au plateau.
Je parle de fonctions mais : « La musique n'a pas de fonctions, explique Olivier Thomas. Ou
plutôt, il serait dommage qu'elle n'en ait qu'une : le soutien, venir raconter autrement le texte, venir
faire un contrepoint, atteindre une émotion que le sens du texte ne peut toucher... On espère que
toutes ces choses puissent prendre place au sein d'un même spectacle. » 117 . Dans le fameux
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
113
CD I Piste 8
114
CHEREAU, Patrice, Un rêve de musique, in Les cahiers de la Comédie française, n°18, Paris, 1996, p. 79
115
Entretien avec Olivier Thomas : Biographie Annexe 5
116
MILHAUD, Darius, compositeur pour la scène, cité dans CORVIN, Michel (dir.), Dictionnaire encyclopédique du
Théâtre, Paris, Ed. Bordas, 1991, pg 584
117
MILHAUD, Darius, cité dans CORVIN, Michel (dir.), op. cit., pg 584
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
dictionnaire encyclopédique du Théâtre, Michel Corvin dénombre huit usages correspondant à des
phases différents du déroulement d'un spectacle :
- Fonction introductive ou propédeutique: annonce et évoque une atmosphère globale ou
tonalité générale d'une pièce, à la manière d'une ouverture d'opéra.
- Fonction descriptive de repérage ou d'identification de la situation dramatique :
caractéristiques sonores d'un lieu, d'une époque, d'une géographie...
- Fonction décorative : fait office de décor ou se substitue à lui.
- Fonction expressive : souligne les fluctuations du vécu psychologique des personnages selon
l'évolution de la situation dramatique.
- Fonction sémantique : à la fois thématique et structurale par séquences musicales
homogènes ou répétitives sous forme de leitmotiv, qui constituent des unités de sens.
- Fonction contrapointique : appelée aussi « épico-dialectique » par Strelher, elle est mise en
œuvre et exploitée par Brecht et tend à subvertir, démentir ou au moins à provoquer un écart de sens
relatif à celui énoncé par le texte et la situation. Créer une décalage ou être en rupture pour
dépsychologiser et déréaliser l'image scénique.
- Fonction syntaxique ou de ponctuation : différentes séquences musicales homo- ou
hétérogènes servant à scander le déroulement du spectacle, non seulement pour souligner les
péripéties et les changements de situations mais pour permettre d'éventuels changements de décor,
costumes ou lumières. Valeur expressive qui n'évite pas la redondance.
- Fonction poétique et pragmatique : forme la plus employée, ne se contente pas
d'accompagner en l'annonçant, la décrivant, l'exprimant, la signifiant, la contredisant et la ponctuant
une action théâtrale reconnue, mais vise à produire elle même cette action et sa théâtralité véritable.
Comme le disait Artaud 118 , la musique ne doit pas communiquer le sens mais agir dessus, faire
vibrer la corporéité du spectateur par le biais du choc émotionnel et introduire dans son imaginaire
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
118 ARTAUD, Antonin, op.cit., pg 119
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HORS DES VIOLONS !
un tissus d'images contrastées ou hétérogènes qui constituent la seule théâtralité authentique, la
scène radicale.
Les nuances apportées par Pavis aux sus fonctions précisent les cadres. Il évoque le cas où la
musique remplace le texte, ceci étant « une forme limite d'un théâtre qui confie à la musique le soin
de soutenir le jeu » 119 . A la fonction décorative, il note : « musique pouvant se diluer dans de la
musique de fond comme le font les supermarchés, pour mettre le spectateur en condition
inconsciente de réceptivité » 120 . Enfin, sur la fonction musicale brechtienne, il résume : « une
musique qui peut s'écouter en soi détachée de la fable, cas rare pour une musique de scène » 121 .
Notons que l'utilisation musicale de Brecht, à travers surtout sa collaboration avec Kurt Weill et
Hans Eisler, préfère le terme de musique gestuelle à celle de musique de scène.
Gestuelle, car représentative des gestus sociaux fondamentaux, son compositeur « doit avoir
la volonté de rendre ses textes vivants et faciles à saisir, il doit tenir compte du principe du gestus
quand il compose et alors il serait peut-être à même d'adopter dans sa musique une part de
politique et philosophique. » 122 . On comprendra mieux cette définition par l'exemple de La mère,
dont la musique est composée par Hans Eisler. La fonction est d'amener le spectateur à prendre une
attitude d'observateur critique – capitale au théâtre épique. Dans « L'éloge de l'étude », qui lie le
problème de la prise du pouvoir par le prolétariat au problème de l'étude, elle donne un gestus
héroïque, mais n'en reste pas moins d'une gaieté naturelle. Grâce à ce gestus de conseil amical, la
musique permet en quelque sorte à la voix de la raison de se faire entendre. De même, le chœur
final « Eloge de la dialectique », qui pourrait facilement donner l'impression d'un chant de triomphe
purement sentimental, est maintenu par la musique dans le domaine du raisonnable. Il est évident
que l'effet produit par cette musique dépend beaucoup de comment celle-ci est jouée. Il est peu
probable que la musique accomplisse son rôle sur le spectateur si les comédiens eux-mêmes ne
saisissent pas leurs gestus.
La musique de scène, donc, se décline selon des utilisations et des points de vues divers.
Comment la convoquer ? Comment jouer avec elle ? « Approfondir la musicalité du temps
dramatique, accentuer la théâtralité du jeu musical ne peuvent s'obtenir qu'à la suite d'une
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
119 PAVIS, Patrice, Dictionnaire du Théâtre, Paris, Ed. Armand Colin, 2002, pg 224
120 Ibidem
121 Ibidem
122 BRECHT, Bertold, op. cit., pg 485
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
démarche collective, d'un cheminement au cours duquel chaque protagoniste du projet devient
complice de ses partenaires au-delà de la spécificité de sa technique ». 123
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
123 BOSSEUR, Jean-Yves, in CORVIN, Michel (dir.), op. cit., pg 583
"&!

HORS DES VIOLONS
!
Sortir les violons = Donner de l'émotion, donner la vibration en plus.
Le violon est un instrument fragile, romantique.
Ce n'est pas que péjoratif. C'est un plaisir. C'est un jeu
Ingrid von Wantoch Rekowski
CHAPITRE II : LA MUSIQUE, DE L'INSPIRATION À LA MÉTHODE
! Messe en si Jean-Sébastien Bach 124
A) INSPIRATION
La musique intervient souvent comme un outil de mise en scène. Ici, elle est à la base même
de la création. A travers plusieurs portraits, nous allons observer qu'elle est aussi une source
d'inspiration, autant dans une méthode de direction d'acteurs que dans la nature même d'un projet.
Quand j'écoute l' Adagietto de la Symphonie n°5, de Mahler, je vois les corps, les
mouvements, les couleurs qui hantent Mort à Venise de Visconti. A quel point la musique pourrait
inspirer un projet ?
« Après presque 20 ans de métier, je me pose toujours la même question : Quel est le cadre
pour entrer ? Quelle est la lunette [optique] ?, me raconte Ingrid von Wantoch-Rekowski. La
musique m'est toujours un point de départ.» 125 .
Metteure en scène et musicienne, son théâtre liant le corps au rythme et la peinture à la
musique, cherche à « provoquer des petites crises dans la pensée, créer une accroche, révéler des
gouffres » 126 . Sa compagnie, Lucilia Caesar, est une cellule laboratoire où se rencontrent différents
univers en toute égalité afin « d'inventer une matière humaine et d'en décortiquer ses
contradictions» 127 . L'objectif de leurs créations est simplement énoncé : « Théâtre pour les oreilles,
musique pour les yeux » 128 . Des spectacles qui trouvent leurs premières impulsions dans cette
dernière, il y en a eu beaucoup : de la musique baroque pour le Tango des centaures, en passant par
la musique contemporaine de Luciano Berio pour A-Ronne II et enfin La messe en si de Bach pour
In H-Moll 129 .
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
124 CD I Piste 9
125 Entretien avec Ingrid von Wantoch Rekowski
126 Ibidem
127 Ibidem
128 Sous-titre de la compagnie sur http://www.luciliacaesar.be/
129 (2001 | Brigittines | Lucilia caesar) « Dans In H-Moll, librement inspiré de la Messe en si mineur, le chef-d'œuvre de
Bach s'incarne dans les voix a capella et inexpertes de dix acteurs qui se répartissent des bribes de la partition,
chuchotées, esquissées, tripotées. » I. Von Wantoch Rekowski, http://www.luciliacaesar.be/
! 57!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
« Il y a des morceaux dans lesquels tu dois entrer pour développer ton travail, en disséquer la
structure pour les comprendre. La messe en si est l'un d'eux. C'est un monument de musique. Il était
impossible de jouer cette musique avec des acteurs, cette impossibilité est devenue le sujet du
spectacle » 130 . La messe en si fut adaptée en une version a capella pour dix voix.
La partition – premier élément fondamental du travail de la metteure en scène – est
empruntée au monde de la musique, certes, mais mis en corps et en voix par des acteurs.
Le mouvement – deuxième élément fondamental – naît de cette rencontre. « Ce genre de
travail nous aide à nous débarrasser d'une part de nos automatismes. C'est excitant pour moi de
chercher un terrain où je suis un peu plus fragile et serai obligée d'emprunter des directions
nouvelles » 131 .
La volonté de se mettre en tant que créateur en danger : peut-être est-ce une part de l'enjeu
entre musique et théâtre ; un besoin de réinventer ce que l'on sait de chaque univers, les remettre en
question en les confrontant l'un à l'autre.
Ingrid von Wantoch Rekowski puise dans la cantate 132 , le madrigal 133 et surtout dans les
notion de choralité et de polyphonie, la forme que prend ses spectacles.
Si la musique peut offrir une forme à l'écriture scénique, elle peut aussi aider à l'écriture en
soi. « J'ai besoin d'écrire en musique, dit Anne-Cécile Vandalem. Je commande un répertoire de
musique à mon compositeur selon un style, une époque, une idée et j'écris le scénario en les
écoutant. Ces musiques ne se retrouvent pas dans le spectacle mais l'écriture a pu se développer
grâce à elles, leurs rythmes, leurs couleurs... » 134 .
Virginie Strub, quant à elle, utilise la musique comme méthode « d'accouchement ». Elle
monte en 2005 une adaptation pour la scène du roman d'Elfriede Jelinek : Les amantes. « Je
travaille à l'oreille : je lis et relis à haute voix. Je cherche à extraire la musicalité de la langue, à
l'intensifier pour ensuite, je l'espère, la traduire et la faire s'incarner dans le corps de l'acteur.
Pour Jelinek, j'ai eu tout à coup cette intuition : l'écriture a la musique d'un quatuor de Schubert.
» 135 Coïncidence, il s'avère que l'auteur est spécialiste et passionnée par le compositeur. « Je ne sais
pas du haut de quel rocher j'ai vu cela. En lisant "Les amantes", c'était "La jeune fille et la mort"
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
130 Entretien avec Ingrid von Wantoch Rekowski
131 VON WANTOCH REKOWSKI, Ingrid, Les jeux de la métamorphose, in Etudes Théâtrales, vol. 3, « Formes
hybrides : vers de nouvelles identités » n°30, Louvain-la-Neuve, 2004
132 Cantate : Lexique
133 Madrigal : Lexique
134 Entretien avec Anne-Cécile Vandalem
135 Entretien avec Virginie Strub
58

HORS DES VIOLONS!
que j'entendais » 136 . Cette découverte influence l'entièreté de l'adaptation. Le thème principal du
premier mouvement accompagne le personnage de Brigitte dont la parole se rythme sur les
premières mesures. Le deuxième mouvement, plus lent, suit et introduit Paula.
Une musique qui inspire, une musique qui impulse, une musique qui met en danger, une
musique qui révèle et une musique qui raconte aussi : le plus bel exemple qui pourrait clôturer ce
point Inspiration est le metteur en scène Christoph Marthaler. Je vous en propose un portrait ainsi
que ma vision personnelle de l'un de ses spectacles : L'heure zéro.
Christoph Marthaler
Ce metteur suisse-allemand est hautboïste de formation ; il fut d'abord dans les années '70
musicien de théâtre avant de se lancer à la fin des années '80 dans la mise en scène. Sa collaboration
avec la dramaturge Stefanie Carp - avec qui il co-dirigera le Schauspielhaus de Zurich de 2000 à
2004 - produira plusieurs créations (Murx den Europäer ! Murx ihn ! Murx ihn ! Murx ihn ab !,
Stunde Null ou dernièrement Papperlapapp) où la musique aura toujours un rôle central.
Effectivement, de ses origines musiciennes, Marthaler gardera « ..., outre une tentation de la
choralité en tant que structure musicale collective, le souci de la rigueur, de la précision et de la
justesse du travail. Moitié musicien, moitié horloger suisse, disent de lui les acteurs berlinois
familiers de son travail » 137 .
Chansons et airs populaires sont présents tout au long du processus, servent d'échauffement,
de point de rassemblement mais aussi de matière première. « Chaque mise en scène est une
composition particulière constituée par la langue, la musique et un enchaînement d'actions
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
136 Entretien avec Virginie Strub
137 MANCEL, Yannick, L'hymne populaire comme symptôme : choralité et chorégraphie dans le « triptyque des
vanités » de Christoph Marthaler, in Alternatives Théâtrales n°76-77 - « Choralités », Janvier 2003, pg 34
59

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
précises, explique Stéfanie Carp. La partition constitue le sous-texte. La forme, toujours musicale,
raconte ce que l'histoire, le contenu de la soirée, le déroulement scénique ne montrent pas. » 138 .
La temporalité occupe dans le théâtre de Marthaler une place centrale.
Le rythme – représentant de ce temps en suspens – est lent et répétitif. La pause fait partie de
tout ses spectacles : les personnages tombent dans l'immobilité, s'endorment sur place ou fixent en
silence. Ceux-ci, somno-lents, parlent, pensent et comprennent dans une décélération constante.
Cette dernière est la forme structurelle des spectacles : au-delà des situations, souvent absurdes,
Marthaler produit un état d'être musico-scénique, entre souvenir, rêve et vide.
« Un état, contrairement à une action, ne porte en lui aucun espoir de progression ou de
changement. La structure musicale se suffit à elle-même, s'épuise elle-même et provoque une
sensation d'inertie absolue » 139 : la lenteur comme tempo, la répétition comme obsession. Le
metteur en scène construit des thèmes et des motifs qu'il transforme : la répétition est variable,
perturbée par des accidents sans importance (une chute de pot de fleurs, un lit de camp qui se
rabat... ). Elle peut être considérée comme un procédé de composition voulant mettre en exergue le
groupe et ses névroses dans une unité et une unanimité.
« Toute l'oeuvre de Marthaler tente de prouver que le théâtre est musique [...] Il y a beaucoup
de Schubert dans Marthaler – le temps que se donne le metteur en scène au-delà de toute mesure –
le pouls de la plupart de ses travaux bat au rythme des larges mouvements d'adagio [...] Le
tournoiement sur eux-mêmes des déroulements mélodiques, larges et étendus, apparemment sans
développement ni progression, la « divine longueur » dont parle Schumann, l'impression de
suspension voire de pétrification du mouvement, mais également l'expressivité surprenante qu'elle
peut prendre subitement – sont là des éléments qui passionnent Marthaler » 140 . De la musique, il
tire aussi les respirations et les décalages. Non sans humour, il trouve l'air ou la situation qui rendra
la place de la musique dérangeante, impromptue, nécessairement au mauvais moment.
Dans Stunde Null, l'action se situe dans un grand hall (hall de gare, d'un hôtel, d'une école...),
un lieu en évoquant mille autres pouvant appartenir à mille époques, option scénographique
récurrente de sa collaboration avec Anna Viebrock.
Dans cet espace fantôme, une ribambelle de politiciens allemands sur le déclin entrent en
scène pour un recyclage en bonne et due forme. Surveillés par Madame Stunde Null, gouvernante
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
138 CARP, Stéfanie, citée « Théâtre e(s)t musique, musique e(s)t théâtre » in FERRARI, Giordano (dir.), pg 196
139 Ibid., pg 197
140 MITTELSTEINER, Crista, citée dans Ibid., pg 200
60

HORS DES VIOLONS!
absurde de cette drôle d'école, ils répètent devant nos yeux une série de discours prononcés depuis
l'heure zéro 141 , dans un choeur entre cacophonie et harmonie passagère.
Devant des tulipes de microphones accrochées au mur, tels des inversions de pissotières,
chacun s'entraîne à pérorer pour se tourner vers un avenir meilleur. Inspirés des événements autour
de la commémoration des 50 ans de la fin de la seconde guerre, Marthaler mélange diarrhée
politique et airs populaires allemands.
Dans le chant, les personnages oscillent constamment entre l'absurdité d'une nostalgie d'une
gloire passée et des moments de sincérité utilisant les techniques du canon, du solo, de la monodie.
« ! D'une voix claire et énergique entonnons la cantique des cantiques,
cet hymne à la patrie, dont la vallée boisée retentit.
A toi Patrie de nos aînés ! Patrie de la fidélité !
A toi, plus libres et indomptés nous exprimons notre dévotion renouvelée.
Nous nous vouons aux vertus millénaires,
à la protection de tes chaumières,
nous aimons la fierté allemande et les vieilles coutumes allemandes. »
La musique évoque, se souvient. Elle joue avec notre mémoire collective ou plutôt, avec
l'image d'une certaine mémoire archétypée de l' « âge d'or » allemand. Le jeu de la référence est
fréquent dans le travail de Marthaler qui considère le théâtre comme l'endroit du souvenir.
Les étudiants n'ont pas de noms, ils sont figures singulières dans un ensemble choral. Seul un
pianiste – le premier de classe – ne parle pas, affichant un sourire figé. De temps à autres, il
accompagne les répétitions d'un air de piano à la manière d'un musicien dans le bar d'un hôtel chic,
les entraîne dans une chanson ou allume la radio jouant la même musique d'ascenseur.
Au milieu d'une ligne musicale allemande, le metteur en scène insère la Vie en Rose,
espéranto européen, choix dramaturgique qui dénote et nous fait donc tendre l'oreille, nous sort de
la lente torpeur dans laquelle un rythme – toujours lent – nous avait plongés. La réaction des
personnages est inattendue. Dans une émotion vive, palpable, entre reniflements et soupirs, ils se
mettent à entonner l'hymne plus déprimés que jamais. Le spectateur rit mais ne sait plus vraiment de
quoi. L'ambiance est cruelle. On s'est attaché à ces fantoches enfantins qui, pleins de bonne volonté,
essayent d'atteindre l'harmonie.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
141 L'heure zéro : L'heure de la fin de la seconde guerre mondiale, remise à zéro pour un nouveau départ.
61

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Les cours sont terminés. Une dernière bière avant d'aller se coucher, on casse son verre sur la
tête de son voisin – le burlesque marthalien - et on sort les lits de camp. Aussi inaptes à être des
hommes politiques que des campeurs : comme on fait son lit, on se couche : le public assiste à une
scène interminable de gags en cascade. Les couchettes résistent, se rabattent, impossible de trouver
le confort et le sommeil. Enfin, le dortoir sens dessus-dessous abandonne et s'offre une dernière
tranche de rigolade, entre copains de chambrée, en chantant sur l'air du Colonel Bogey March :
! Hitler has only got one ball
Goering has two but very small
Himmler has something similar
and Goebbels has no balls at all ! 142
Comme des enfants bienheureux, ils s'endorment pendant que Fraü Stunde Null leur conte La
belle au bois dormant : voilà le tableau de l'avenir de la politique allemande selon Marthaler.
Qu'il s'agisse d'Ingrid von Wantoch Rekowski ou de Marthaler, tout deux font du théâtre de
création, ce qui permet à l'élément musical de se construire simultanément à la partition corporelle
et textuelle.
A mon sens, le théâtre de la compagnie Lucilia Caesar déplace et interroge les formes en
provoquant nos habitudes de spectateur.
Le théâtre de Marthaler, quant à lui, a besoin et utilise la musique dans un tout qui nous donne
accès à une certaine vision du monde. Grâce à la sensation que le rythme impose, le souvenir que la
musique provoque et l'engrenage métronomique des actions, nous comprenons de l'intérieur
l'incapacité des êtres à échapper au temps. Devant les heures qui s'écoulent, l'inertie apparaît comme
la dernière porte de secours d'un monde absurde. C'est comme cela que le théâtre musical de
Marthaler trouve sa nécessité.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
142 T.d.l.a. ! Hitler a seulement une couille, Goering en a deux mais très petites, Himmler a quelque chose de similaire
et Goebbels n'a pas de couilles du tout !
62

!
HORS DES VIOLONS
!
Sortir les violons = Tu n'arrives pas à m'émouvoir alors tu sors la musique triste.
B) ET LA MÉTHODE ?
Comment la musique peut-elle inspirer la direction d'acteur ?
Comme dans la vie, tu triches pour me toucher.
Daphné D'heur
« La musique est l'art le plus parfait, dit Meyerhold. En écoutant une symphonie, n'oubliez
pas le théâtre. L'alternance des contrastes, des rythmes et des tempi, la combinaison du thème
principal et des thèmes secondaires, tout cela est aussi nécessaire au théâtre qu'en musique » 143 .
Si l'on cherche comment le musical peut s'inscrire comme modèle dans la direction d'acteur,
on ne peut manquer d'évoquer Vsevolod Meyerhold. Selon lui, le metteur en scène, nécessaire chef
d'orchestre, doit utiliser dans la création, à l'instar de la musique, les modèles d'alternances et de
contrastes, par exemple, simplement avec la dualité d'un jeu calme et d'une musique angoissante. Le
rapport à la parole est dépendant du canevas du mouvement, lui-même dépendant de la musique.
Cette relation, s'organisant comme la méthode musicale contrapuntique ou polyphonique, débouche
sur une recherche de correspondance entre une partition musicale et gestuelle. Le texte est lui aussi
traité comme une partition : pauses, liaisons, transitions, modulations, accents, phrasés... La
perception sonore va souvent primer sur la compréhension intellectuelle.
L'utilisation de la partition pour un traitement de la parole au théâtre est fréquente.
Précédemment, nous avons évoqué le travail d'Ingrid von Wantoch Rekowski qui s'articule lui aussi
selon cette logique musicale. Dans La Chose effroyable dans l'oreille de V, elle développe une
recherche sur la polyphonie. A la question : Peut-on, à partir de mots, créer des situations musicales
qui dépassent le sens des mots ? Elle propose aux acteurs une longue phrase en langue étrangère,
dont ils ne connaissaient pas le sens et qui fut la matière de départ. A la manière d'une session de
Jazz, les comédiens improvisaient sur des morceaux de leurs phrases.
Virginie Strub cherche, quant à elle, à traduire graphiquement la musicalité du texte à des
comédiens rarement au fait de l'écriture musicale. Comment exprimer la musique de la parole ?
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
143 MEYERHOLD, Vsevolod, cité dans PICON-VALLIN, Béatrice, La musique, vie intérieure du personnage, in Les
cahiers de la Comédie française, op. cit., p. 48
63!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
!
Dans son dernier spectacle Les poissons rouges, elle met sur pied une méthode de « partitionage »
qu'elle applique sur la trilogie de Martin Crimp Ciel bleu ciel, Face au mur et Tout va mieux. Vous
trouverez en Annexe 1 un extrait de partition ainsi que son explication.
A la partition comme conduite de mise en scène se juxtapose l'utilisation du vocabulaire et
notions purement musicales : le rythme et le tempo.
Anne-Cécile Vandalem nous en donne sa définition : « le rythme est inhérent au personnage,
le tempo en est l'humeur. Un personnage peut avoir un rythme intérieur assez lent mais à l'intérieur
de ça, le tempo d'un moment, d'une émotion vient en changer le cours. » 144 . Ainsi, dans
Habit(u)ations, la metteure en scène introduit une méthode influençant directement le tempo.
Pendant le processus, des musiques, choisies par les acteurs, ont accompagné toutes les répétitions
pour être finalement retirées à la mise en forme. « La nécessité d'avoir ces musiques résidait dans le
besoin d'insuffler un tempo extérieur à priori incompatible avec une scène de repas où personne ne
prononce un mot. » 145 .
La musique comme élément stratégique de la répétition est aussi une notion essentielle à
Meyerhold. Il ne travaille qu'en musique, générant une atmosphère de travail fertile et libèrant
l'imagination de l'acteur. Le metteur en scène n'est pas à la recherche d'états d'âmes mais de la
conscience des limites, ou plutôt d'une auto-limitation que l'acteur doit trouver en travaillant avec la
musique. Celle-ci devrait même, selon lui, être une composante obligatoire de la formation de
l'acteur : « Tout cela confronte l'acteur à la nécessité de revoir ses techniques de jeu. Quand il n'y a
pas de musique, le jeu de l'acteur devient plus simple. Pourquoi ? Parce qu'alors, justement, ce
moment n'existe pas. Donc, je m'occupe seulement du costume, du raccourci, d'un truc à déclamer.
Mais quand vient la musique, ouvrez les portes, cassez les vitres, faites tout pour que cette musique
se déverse sur scène et proclame qu'elle y a droit de cité en tant que nouvel élément. Qui donc doit
lui faire une place ? L'acteur. ». 146
La musique est-elle nécessaire au processus de l'acteur ? La pratique de la musique – même
académique, même formelle - enseigne la rigueur et l'endurance. Le musicien doit s'entraîner
chaque jour à son instrument. Si l'acteur – et son instrument, le corps - faisait des gammes autant
que le musicien, il deviendrait ce que Meyerhold appelle un homme-artiste total capable d'une
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
144 Entretien Anne-Cécile Vandalem
145 Ibidem
146 MEYERHOLD, Vsevolod, Ecrits sur le théâtre, Lausanne, L'âge d'homme, 2001, pg 149
&%!

HORS DES VIOLONS
!
meilleure conscience du temps et de son développement, du rythme et de l'espace. A l'évidence,
nous nous trouvons devant des pistes essentielles à envisager dans la direction mais également, la
formation de l'acteur.
&"!

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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
« Mettre un musicien sur un plateau, c'est comme y mettre un enfant ou une poule,
C) LE MUSICIEN SUR SCÈNE ET L'ACTEUR-MUSICIEN
! Nodidem Diamala Tomassenko (La danse des Komnous) 147
cela draine toute l'attention. »
Olivier Thomas
Dans le premier manifeste du Théâtre de la cruauté, Artaud voient les instruments sur scène
comme des objets faisant partie du décor. Il remet en question la capacité des instruments
d'aujourd'hui à avoir les propriétés nécessaires pour agir directement sur la sensibilité des organes.
Dans une recherche sonore, il faudra sortir de nos habitudes quitte à « remettre en usage des
instruments anciens et oubliés, ou à créer des instruments nouveaux.[La musique actuelle pousse] à
rechercher, en dehors [d'elle-même], des instruments et des appareils qui, basés sur des fusions
spéciales ou des alliages renouvelés de métaux, puissent atteindre un diapason nouveau de l'octave,
produire des sons ou des bruits insupportables, lancinants. » 148 . Elément visuel, outil pour toucher
profondément les spectateurs, symbole musicale par excellence, l'instrument en question doit
interroger le metteur en scène. Mais c'est derrière l'instrument que se cache une position peut-être
plus complexe encore à aborder.
Dans quelle réalité théâtrale nous situons-nous en présence d'un musicien sur scène et de son
double, l'acteur-musicien ?
1. Un musicien entre scènes
Interrogations d'un musicien-comédien, homme divisé en deux (ou serait-ce multiplié ?), je
vous propose de découvrir le parcours d'Olivier Thomas entre musique et théâtre..
Olivier Thomas, comédien reconverti en musicien, n'a de cesse de s'interroger sur la
musicalité de l'un et la théâtralité de l'autre. Ne trouvant plus de sens dans le théâtre, il décide de se
diriger vers la musique. Autodidacte, il « est incapable de lire la musique, encore moins de l'écrire,
même si, à force, j'en discerne, sur papier, les contours, j'en perçois les mouvements. Mon
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
147 CD I Piste 10
148 ARTAUD, Antonin, op. cit., pg 147
&&!

HORS DES VIOLONS
!
approche a toujours été intuitive et empirique, trop impatient que je suis de faire ce dont j'ai envie,
sans avoir à me farcir l'écolage [...] » 149 .
Se rassemblant autour de musiciens de Jazz et autres improvisateurs-nés, il fonde le collectif
Tomassenko. Mais comment communiquer son désir de musique quand on n'a pas le support de
l'écrit ? « Je chantais les lignes d'instruments. Cela donnait une sorte de musique a capella qui est
finalement restée – alors que je n'étais pas chanteur à la base. Trouver un langage commun : c'est
ce qui m'a manqué au théâtre, l'utilisation de la langue qui est « censée dire » mais qui racontait
tellement peu. Être dans la musique, sans être forcément dans le sens et dans la narration,
libère. » 150 .
!
Fort de ces constations, Olivier Thomas s'est mis à écrire « Onomatopées, borborygmes,
langues imaginaires. Chanter du son. Raconter en libérant le chant et la musique de la contrainte
du sens. » 151 . Sur ce langage qui n'en était pas un, il y a posé des impulsions, des couleurs, « pour
que celui qui écoute entende malgré tout une sorte d'histoire dont le sens serait ouvert à
l'imagination que chacun y déposerait. Je me souviens d'un concert, où une jeune fille vient me voir
et me dit : "Cette chanson-là a fait pleurer ma mère. Cela parlait de Sacha – son mari – qui venait
de mourir". Or la chanson était écrite en français, traduite en persan et je la chantais en verlan : je
défie quiconque d'y comprendre quelque chose. Un quart d'heure plus tard, un jeune africain vient
me voir et me dit : "Toi, tu as parlé de la mort" et il me cite une longue phrase en africain... J'aime
l'idée finalement que la suggestion soit plus forte que l'imposition d'une narration sur un spectateur
passif avec l'acteur-animateur de soirée. Je préfère induire des questions et proposer du vide.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
149 THOMAS, Olivier, Comme du courant d'air..., in Scènes n°20 – «Musique pour la scène», La Bellone, Bruxelles,
2008, pg 44
150 Entretien avec Olivier Thomas
151 Ibidem
Tomassenko
&'!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
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Comme dit Régis : "Dans le beaucoup de mots...- traduit par le beaucoup de notes – on doit
pouvoir entendre le silence" ». 152
Néanmoins, Olivier Thomas se trouve confronté avec les musiciens à des problèmes
similaires à ceux qui l'ont fait fuir le théâtre subventionné. La forme classique du concert ne
permettait pas une proximité avec le public. « La plupart du temps, autant écouter un disque... Les
musiciens sont devant nous, cachés derrière leurs instruments, confortablement installés dans leurs
dispositif. Et entre eux et nous, un mur. Je cherche à réduire le décalage entre la réalité de la scène
et celle du public » 153 .
Il navigue alors entre le théâtre et la musique, cherchant l'un dans l'autre, l'un avec l'autre, un
nouveau rapport. Réaménageant l'espace, il empêche les musiciens d'être stratifiés selon
l'emplacement de leurs instruments. Il les invite à en changer, à modifier leurs habitudes. Pour les
rythmiciens – une batterie est souvent fixe -, il a fallu inventer des stratagèmes : « un élément de
batterie par là, un autre ici, entre les deux, un cortège où les pas sont le rythme... » 154 .
Le tout « sans jouer » car faire interpréter des musiciens comme des acteurs est pour lui
prendre le problème à l'envers. Il désire que les musiciens soient là mais sans forcer, quitte à rester
sur cette frontière entre eux et eux théâtral.
« Certaines choses me sont irrésistibles, souvent infimes, fragmentaires, délice du hasard au
détour d'une incompétence ou génie instantané d'un musicien, mais un mouvement qui raconte et
qui soulève l'âme, né de nulle part, une ondée qui incite au départ ou à la révolte, un mouvement
qui chante... Et, s'il fallait le saisir, s'il fallait enregistrer cet instant pour en conserver la trace, si
j'y étais vraiment obligé, il faudrait le fixer comme une photo au sujet improbable, absent du cadre,
qui laisse apparaître ce qu'il y a autour : l'impromptu. » 155 .
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
152 Entretien avec Olivier Thomas
153 Ibidem
154 Ibidem
155 THOMAS, Olivier, loc. cit., pg 44
&(!

2. Musicien de scène
HORS DES VIOLONS
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Parallèlement à Tomassenko, Olivier Thomas compose pour la scène. Si l'envie de musique
vivante – par opposition à l'enregistré qui pour lui n'a rien de théâtral – se fait sentir chez les
metteurs en scène, ils ne savent en général pas répondre aux problèmes de codes et de dialogues que
l'introduction d'un travail musical requiert.
L'acteur et le musicien s'effrayent l'un l'autre dans un jeu de compromis qui dessert le projet et
les temps de production – de plus en plus courts - ne permettent pas au metteur en scène, pour qui le
musical n'est pas la démarche principale, de produire une vraie recherche à ce sujet .
« La musique fait peur car elle n'est pas maîtrisable, car elle peut anéantir l'acteur, car elle
est dévorante. Pour un comédien cela doit être difficile de comprendre le travail d'un musicien. Moi
j'ai mis du temps à pouvoir fonctionner dans le rapport du « construire ensemble », du solo, de
laisser la place à un autre instrument, tout le chemin de vases communiquant entre partenaires
musicaux. Et pour un comédien qui a l'habitude de travailler sur des bandes, qui n'est pas
forcément rythmicien, improvisateur, musicien... cela demande une vraie discussion. Dans la
panique, je préfère effacer ma musique et laisser la place au comédien, c'est une lutte inutile.
Comment arriver à exister ensemble ? » 156
Non seulement le musicien devra trouver le chemin pour interagir avec l'ensemble du plateau
mais il devra aussi dans certains cas devenir l'acteur de son jeu musical.
Un metteur en scène peut se concentrer sur la musique en soi, cette dernière – en tant que
matière abstraite - est le point de focale de l'interaction. Mais il peut également demander au
musicien de faire partie, en tant que corps en mouvement et en tant qu'image, de l'interaction et ce
faisant, rendre la présence de la musique concrète.
Comment le metteur en scène de théâtre peut diriger le musicien ?
Il se verra peut-être confronté à la difficulté de ce dernier à lâcher prise sur la technique. Le
musicien qui s'exprime à travers son instrument pourra aussi l'utiliser comme écran et se cacher
derrière. Il ne s'agira pas de former le musicien à un être comédien d'un soir. Si l'on fait le choix de
mettre ce dernier en scène, et si à mon sens on est cohérent, l'intérêt est d'exploiter les particularités
de la différence entre lui et l'acteur. Ainsi, il faudra trouver une situation qui mettra en exergue la
théâtralité du geste musical sans l'altérer.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
156 Entretien avec Olivier Thomas
&)!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
3. L'acteur-musicien : un statut hybride compliqué
Dans un désir d'intégrer la musique à un projet, le metteur en scène pourra demander à l'acteur
de prendre en charge différentes parties musicales. J'ai retenu trois blocs de réflexions inspirées des
récits des professionnels.
Dans la mise en scène, quel est le statut de la part musicale de l'acteur ?
Les moments de musique peuvent appartenir à plusieurs réalités. Si nous sommes dans une
situation de jeu naturaliste, le personnage de l'acteur peut être musicien et le moment musical sera
intégré à la narration. A l'inverse, le code théâtral utilisé peut impliquer une rupture du statut du
personnage et laisser entrevoir l'acteur ou provoquer une cassure dans le temps (suspens...) et la
réalité (fantasme, numéro musical...) de la représentation. Explicitement ou sensiblement, le metteur
en scène devra communiquer à l'acteur quelle est la nature du décalage entre les fonctions de son
jeu théâtral et musical, qu'elles s'imbriquent ou se dissocient.
Dans le jeu, quel chemin emprunte l'acteur pour utiliser les éléments musicaux et théâtraux ?
Une difficulté que le comédien pourrait expérimenter est la tension qu'exerce à l'intérieur
même de son jeu la rencontre des sphères musico-théâtrales. Outre les questions de codes sus-
mentionnées, l'interprète ne convoque pas les mêmes qualités s'il se met au piano ou exprime dans
« la langue de Molière » la supercherie dont il est l'objet. L'exemple est simple, bien sûr, mais rend
compte de la problématique. Pourquoi ai-je besoin de la musique pour communiquer cet instant ?
N'importe quelle discipline inconnue de l'acteur qu'il devra utiliser s'inscrit sous les variantes de
cette question.
Imaginons le cas d'un comédien qui n'est pas « musicien professionnel » et, à un instant x,
doit chanter ou jouer un air de guitare.
En premier lieu, ce dernier sera confronté à « l'angoisse de la technique » ou du moins son
attention sera focalisée sur la maîtrise de la partition.
Après s'être entraîné, il devra dans son parcours de jeu trouver l'impulsion qui provoque la
nécessité de convoquer la partie musicale. « En cet instant, je ne peux m'exprimer qu'à travers la
musique ».
En théorie, nous arrivons au moment où, se connectant à la technique, confiant, l'acteur lâche
prise pour trouver des ressources d'expressions théâtrales. Là, qu'importe la fragilité technique,
l'enjeu est de faire le lien interne entre la matière musicale et le sujet de l'ensemble. L'expression
musicale est aussi théâtrale. L'acteur ne devient pas musicien, il est les deux.
'*!

HORS DES VIOLONS
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Acteur et musicien de formation : une combinaison gagnante ?
«Il y a une chose à laquelle je suis un peu réfractaire : Quand je regarde un spectacle et que
les stages faits par les acteurs sont visibles. Quand le je musical de l'acteur n'est pas tout à fait
intégré à son parcours et finalement on se dit toujours : C'est mignon ! Et tu joues d'un instrument
en plus ? » 157 .
Outre l'effet « multi-virtuose» qui peut, si intentionnel, déclencher un certain plaisir chez les
spectateurs et convenir à certaines situations, il ne faudra pas que cet effet prenne le dessus quand
l'objectif est tout autre.
Aussi quand l'acteur est également musicien de pratique ou de formation, le metteur en scène
pourrait se retrouver devant un comédien qui « passe en mode musique » mais n'arrive pas à
l'intégrer au sein de son jeu. La rigueur n'est pas si loin d'une certaine rigidité et sortir des habitudes
d'une pratique à dessein d'une autre n'est pas toujours simple. Notons que cet exemple ne remet pas
en question l'affirmation que la musique devrait faire partie de la formation de l'acteur. La
problématique, ici, repose sur le cas de deux enseignements dissociés et qui sont rapprochés pour la
première fois. De la même manière qu'au cas précédent, l'acteur devra chercher les impulsions et
les liens entre expressions. Seulement, il ne faudra pas supposer que le présent cas ait une résolution
plus rapide.
En écho à ces trois pistes de réflexions, je vous propose des extraits de mon entretien avec
Xavier Lukomski. Metteur en scène, il a souvent travaillé avec des acteurs-musiciens. Ici, il se
souvient de sa mise en scène de La mouette de Tchekhov 158 .
« Dans La mouette, il y avait trois musiciens avec chacun un statut différent.
D'abord, Annette Sachs qui interprétait Arkadina, elle-même musicienne dans la narration et
jouant du piano. Cela appartenait au récit, on peut dire que c'était réaliste.
Ensuite, il y avait un Jazzman, [le trompettiste Grégory Houben], qui jouait le musicien de
scène - on le lisait comme ça - un gars qui quand il ne joue pas, regarde ailleurs, avale un verre de
whisky et fume sa cigarette.
Enfin, il y avait ce personnage un peu étrange joué par Estelle Lannoy, accordéoniste.
Comme un personnage oublié du spectacle précédent, elle était là en permanence mais n'avait pas
de contact direct avec les autres acteurs. Au bout du compte, sa musique et sa présence musicale
constituaient la colonne vertébrale du spectacle. C'était elle qui donnait les rythmes, les
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
157 Entretien avec Olivier Thomas
158 La mouette d'Anton Tchékhov (2005 | Théâtre le Public | Théâtre des 2 Eaux)
'+!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
!
changements de registres, les couleurs... C'est une ossature, la musique, cela structure. Avec elle,
on a un discours sur le temps.
[...]
Il y avait, dans ce projet, une interaction avec ce personnage que j'aimais ; il y avait des
capillarités musicales entre le plateau et elle. Par exemple, il y a, dans la pièce, un personnage qui
chante tout le temps. Ce personnage est Dorn le médecin, [joué par Didier de Neck].
Le docteur a besoin pour exprimer certaines choses de le faire en chanson. Et ces capillarités
musicales dont je parlais, fonctionnaient très bien entre Dorn et l'accordéoniste. Une chanson
tombait dans l'accordéon et en revient ensuite différemment. L'accordéon attrapait un moment
comme par hasard, cela flottait, cela se baladait...
[...]
[Ces moments de chants] arrivaient d'une manière totalement naturelle. On ne créait pas un
numéro musical ou un moment [hors temps].Tout au long du spectacle – et ce même si la musique
pouvait accompagner des situations sur le plateau- elle n'a jamais été [utilisée] comme dans des
instants « musique », il y avait une volonté de naturel. » 159
4.L'acteur en musique
! Where is my mind ? The Pixies 160
,!-.!/0123456!7!8.!9024/01!46:-016;1

HORS DES VIOLONS
!
Ulysse et les sirènes, Herbert James Draper
« Comment entendre la musique, n'importe quelle musique, sans lui obéir ? Comment
entendre la musique à partir du dehors de la musique ? Comment entendre la musique les oreilles
fermées ?» 161
J'ai retenu trois cas où les relations entre musique et acteur peuvent se révéler problématiques,
cas rapportés par les intervenants :
1. La contamination : Quand le rythme, l'énergie ou la couleur de la musique
déteint sur l'acteur et l'empêche de rester sur la ligne de jeu. Contrairement au montage du
cinéma, le théâtre ne permet pas de mixer séparément la musique du reste. Aussi l'utilisation
d'un morceau dont l'essence est en décalage avec les objectifs du comédien est un procédé
qui implique une résistance. Cette résistance, sauf si elle est l'enjeu de la scène, ne devra
pas dévorer la situation. L'acteur devra trouver en dehors de la musique un moteur de jeu et
s'exercer à dissocier l'événement musical de son action pour éviter la paraphrase.
2. L'état : Quand la musique met l'acteur dans un état. « Il n'y a pas d'étanchéité
de soi à l'égard du sonore. Le son touche illico le corps comme si le corps devant le son se
présentait plus que nu : dépourvu de peau » 162 . Il adhère à la musique, ce qui peut entraîner
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
161
QUIGNARD Pascal, op. cit., pg 208
162
Ibid., pg 110
'$!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
un manque de contrôle. L'état peut donner l'impression à l'acteur que le moment est plus
intense, plus juste ou au contraire rendre le comédien extérieur à la situation. L'acteur,
renvoyé à son intériorité, peut avoir l'impression d'atteindre un instant de grâce ou d'être
plus vulnérable. Dans cet état, il risque de perdre la connexion avec la réalité de la
représentation et de ceux qui la regardent.
3. Le manque : Comme nous le fait remarquer Armel Roussel : « L'acteur
remplace souvent quelque chose par la musique ». Le manque s'exprime quand, dans la
construction, la musique remplace un moment que l'acteur n'arrive pas à résoudre par le jeu.
'%!

HORS DES VIOLONS
!
Sortir les violons = On te met de la vaseline pour t'emmener dans l'émotion. Mon professeur de violon disait :
! Miserere Gregorio Allegri 163
« tu enfles comme une pétufle ». Je trouve cela triste que ce soit associé à cet instrument.
Cette expression est dégradante, tu devrais appeler ton mémoire «Pour une réhabilitation du violon».
Bref. Néanmoins, parfois il faut «sortir le violon», mais alors je n'appellerais pas cela comme ça.
CHAPITRE III : LE COMPOSITEUR ET LA SCÈNE
Virginie Strub
Après le musicien de scène, il arrivera que le metteur en scène collabore avec un compositeur
en vue de créer des arrangements ou une musique originale.
Comment se déroule cette collaboration ? Quelle place a le concepteur sonore et musical dans
le processus, quelles surprises, rencontres et incompréhensions peuvent en résulter ?
A) CRÉATIONS
Daphné D'heur est comédienne et musicienne. Pédagogue et porteuse de projets, elle compose
aussi pour la scène. En 2010, elle collabore avec Georges Lini sur son spectacle Britannicus 164 .
Le metteur en scène lui propose de partir de l'une des formations du Miserere 165 de Gregorio
Allegri, une musique sacrée vocale.
« Georges avait envie que ce morceau revienne comme un leitmotiv. Une manière pour lui de
ramener du sacré dans une histoire où il y a justement, dans les rapports entre les individus, une
absence du sacré.[...]
La première partie du travail s'est fait en amont. La partition de départ est écrite pour être
prise en charge par 9 voix. Ici, pour des questions d'abord de budget, cela devait s'adresser à 2
personnes, une voix – la comédienne interprétant Junie - et une musicienne - en l'occurrence, moi.
J'ai réécrit un condensé, pour la part vocale, de la mélodie principale en travaillant
essentiellement sur les sopranes. Ensuite, j'ai créé un travail de sample 166 , en allant vraiment
chercher dans la musique électro contemporaine - des séquences de Björk, des musiques plus
expérimentales.[...]
Il fallait que la musique accompagne le rythme de l'univers, qu'elle soit un soutien mais
qu'elle ne soit pas "visiblement présente". Je n'avais pas envie que la musique soit une ponctuation
systématique. Nous avons essayé de repérer des endroits clefs (en partant d'une inflexion de voix,
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
163 CD I Piste 12
164 Britannicus de Jean Racine (2010 | Atelier 210 | Cie Belle de Nuit)
165 Miserere : Lexique
166 Sample : Lexique
'"!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
!
ou d'un mouvement d'où la musique pouvait naître) et venir en tension pour amener la situation
suivante. La bande comportait des percussions avec beaucoup de basses, qui étaient à peine
perceptible à l'oreille mais qui impliquaient un mouvement dans le corps. En contraste, nous avions
Junie et ce chant classique très cristallin. Il y avait donc là un double travail : la comédienne en
live et le travail de la bande son. Dans cette dernière, j'avais repris la voix de la comédienne,
distordue ou pas, qui lui permettait de faire un jeu de questions-réponses avec elle-même. [...]
Dans le travail même de la bande son, il y avait une structure qui lui permettait de poser son
chant et qui lui donnait des repères - temporels notamment - mais également une déstructuration
qui tentait de raconter cette espèce de drame : tout son tiraillement.[...]
La dernière étape consistait à repérer les paraphrases, les instants qui tombaient dans le
statut de la musique de cinéma. Nous sommes restés dans quelque chose de léger au niveau de la
diffusion. Pour éviter que les spectateurs ne soient pris par la musique et qu'elle détourne du
plateau mais plutôt, que celle-ci provoque une sensation physique et non, un [ivresse ] qui les
couperait de la situation. [...]
Dans la plupart des cas, j'essaie toujours qu'il y ait une possibilité de respiration sur le
plateau au cas où les choses ne se passeraient pas comme en répétition. Ici, il n'y avait pas un
timing précis des interventions musicales : la musique pouvait toujours se piloter en temps réel à la
régie. La partition n'était pas du tout rigide. Je me suis arrangée pour restreindre l'harmonie dans
la bande son pour que la comédienne puisse caser son chant quand elle le désirait. Que le
comédien ne soit surtout pas dépendant de la bande son ! » 167
Daphné D'heur nous fait le récit du processus d'un compositeur qui, en partant d'une intuition
d'un metteur en scène, libre, s'est adapté et réadapté au besoin du plateau.
Du côté du metteur en scène, «faire de la place» se traduit de différentes manières.
Armel Roussel va, pour un de ses spectacles, établir un studio attenant directement au plateau.
Claude Schmitz fait venir Thomas Turine dès la première répétition. Le travail de création de
la musique et du jeu se fait simultanément, si bien que le jour où le compositeur n'est pas là, les
acteurs sont déstabilisés. La création musicale nourrit le jeu, s'appuie dessus et vice et versa.
Chez Anne-Cécile Vandalem, qui collabore avec le compositeur Pierre Kissling depuis dix
ans, la création de la musique commence en amont. Elle démarre d'ailleurs des personnages. « Dans
mon travail, chaque personnage a un thème que j'ai besoin de connaître pour l'écriture. Avec
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
167 Entretien avec Daphné D'heur
'&!

HORS DES VIOLONS
!
Pierre, on parle beaucoup des personnages. Inspiré de nos conversations, il écrit un thème qui peut
se développer sous plusieurs formes. Cela aide l'écriture et les acteurs à aborder les
personnages » 168 .
Sur la nécessité d'établir un vocabulaire ensemble, le besoin de se créer un groupe de référents
musicaux communs est souvent une première méthode. Ces trois metteurs en scène fonctionnent en
binôme avec des concepteurs et compositeurs qui les ont accompagnés sur plusieurs productions.
D'autre part, Olivier Thomas, lui, nous parle de son expérience par rapport à la « commande »
: elle est l'objet de collaborations ponctuelles, voire uniques, entre le compositeur et un metteur en
scène :
« Pour arriver à une vraie relation, une vraie réflexion sur le statut de la musique cela
demande un temps de discussion que le metteur en scène n'a souvent.[...]
La commande se fait alors sous plusieurs formes.
- Il y a ceux qui écoutent de la musique préexistante à gauche et à droite et qui commencent à
répéter avec cette dernière. Cela est le cas de figure le plus compliquée pour moi. Ils ont dans
l'oreille quelque chose de précis et finalement, c'est cette musique-là, déjà créée, qu'il faudrait
remâcher et resservir sans grande modification pour les satisfaire. Mais alors, je ne sais ce que je
viens faire là.[...]
- Dans d'autres cas de figures, un metteur en scène me donne un texte et me pointe les
moments « musique » et le format. Là j'ai tendance à ne pas être d'accord. La difficulté finalement
est que le fantasme du metteur en scène m'empêche de travailler ou de le rencontrer. [...]
! Autre cas de figure, ceux qui ont décidé : ils déstructurent la musique que tu amènes pour
pouvoir fonctionner dans leurs canevas. Là, tu es plus dans un « pot pourri » et il a besoin d'une
musique - en gros - où il aura des droits d'auteurs relatifs à payer. Il utilise la matière mais comme
on l'utilise dans les restaurants, il est DJ et toi, banque de données. » 169
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
168 Entretien avec Anne-Cécile Vandalem
169 Entretien avec Olivier Thomas
''!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
B) LE CAS WEILL
! There is no whisky in this town Kurt Weill (Mahagonny-Songspiel) 170
« Les textures sonores qu[e le compositeur] crée, doivent se déposer délicatement sous les
mots, rien d'autre. Le reste, la musique de trop, est affaire d'orchestrateur mercenaire [...] "Tendre
vers" serait le fin mot du compositeur ; offrir des sons qui, privés de sens – à l'opposé des mots -,
permettent aux mots de se déposer sans contrainte. Prélinguistique, la musique offre un peu de la
volupté primitive qui se situe en amont des langues. » 171 .
Une vision d'un compositeur discret et d'une musique « sans sens », Kurt Weill voit la chose
différemment : « la musique ne doit pas abandonner tout le travail au drame et son idée au texte et
au décor : elle doit participer activement à la représentation de l'action » 172 .
Collaborateur de Brecht, sa musique, « dégénérée pour les nazis », « la seule capable d'un
impact social et polémique » selon Adorno 173 , n'est pas aisément classifiable. « Prolixe en ce qui
concerne la fonction de la musique de scène [...] il reste laconique dès qu'il s'agit de dépeindre son
style musical proprement dit et, surtout, sa manière de composer » 174 . Dans un style qui qualifiera
lui-même de naïf, il passera, entre Berlin, Paris et New-York de compositeur d'opéra, de chansons
et plus tard, à Broadway, de comédies musicales.
Concentrée ici sur sa période Berlinoise, l'évocation de sa composition de Mahagonny-
Songspiel révèle une démarche de création active.
Mahagonny-Songspiel, pièce chantée qui introduit historiquement le principe du song, fut
adaptée ensuite en opéra-critique (cf. Wagner et sa critique) et deviendra Grandeur et décadence
dans la ville de Mahagonny.
Sa première forme, sur un livret de Brecht, est une composition hétérogène entre l'esthétique
des chansons de cabaret, celle du concerto, de la cantate et de l'opéra. Hétérogène dans l'esthétique,
la pièce l'est aussi dans la méthode des structures musicales ; certaines séquences s'apparentant à la
quinte 175 , d'autres au triton 176 .
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
170 CD Piste 13
171 CÔTE Michel, Le silence va bien aux mots, in Cahiers de théâtre n° 124 - « Théâtre et musique », Montréal, 2007
pg 74
172 WEILL, Kurt, cité dans TRUBERT, Jean-François, Langage musical et gestus, in FERRARI, Giordano (dir.), op.
cit., pg 18
173 ADORNO, Theodor, cité dans « On the social situation of music » in ADORNO, Theodor, LEPPERT, Richard,
Essays on music, Presses de l'université de Californie, 2002, pg 263
174 TRUBERT, Jean-François, in FERRARI, Giordano (dir.), op. cit., pg 13
175 Quinte : Lexique
176 Triton : Lexique
'(!

HORS DES VIOLONS
!
Quant à la structure générale, « elle se présente comme celle d'une cantate scénique où les
passages concertants alternent avec les numéros chantés qui sont caractérisés par le contraste des
typologies vocales », elle permet aussi de contrôler le déroulement des événements, voire de les
impulser, répondant aux objectifs du compositeur qui veut sa musique active. « De véritables
stratégies compositionnelles sont à l'œuvre et participent à la fois de la construction et de la
représentation de la dramaturgie, Weill se substituant quasiment au metteur en scène puisque ces
stratégies règlent autant le rythme scénique que la structure des événements » 177 .
Suivant le principe de distanciation du théâtre épique, il utilise un langage musical simple,
émaillant les objets musicaux issus de la tonalité. Fausses cadences 178 , accords classés 179 ,
participent à une ironie décalant les paroles de Brecht.
En exemple, un extrait de partition où chaque syllabe correspond à une note induisant un
parlé-chanté faisant allusion à l'univers liturgique, en particulier le psaume.
!Par un matin grisâtre, imbibé de whisky
Dieu vient à Mahagonny, Dieu vint à Mahagonny
Imbibé de whisky, nous avons vu Dieu à Mahagonny
Vous vous êtes saoûlés comme des éponges de mon bon grain Année après Année
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
177 TRUBERT, Jean-François, in FERRARI, Giordano (dir.), op. cit., pg 14
178 Cadence: Lexique
179 Accord classé : Lexique
')!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Personne n'a attendu que j'arrive, quand je viens, tout est-il prêt ?
Les hommes de Mahagonny se regardent
Oui, disent les hommes de Mahagonny
Ironie et décalage, pour que la musique de Weill fasse effet, l'acteur doit accomplir « un
changement de fonction et modifie son style de jeu : il dit-contre-la-musique, montre quelqu’un qui
chante, laisse percer le plaisir qu’il prend à une mélodie qu’il ne suit pas aveuglément et dont il
ignorerait presque le contenu affectif : "Pour le chant, en particulier, il importe que celui qui
montre soit montré". » 180 .
La composition de Weill utilisant la forme particulière du chant, nous le retrouvons avec le
song au chapitre suivant La musique comme code dans La chanson, cas particulier ?
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
180 FENEYROU, Laurent, citant Brecht dans Adorno et Weill sur Mahagonny, Samedi d'Entretemps, Ircam, 2005,
source : www.entretemps.fr , pg 2
(*!

HORS DES VIOLONS
!
Sortir les violons = Créer une émotion qui tire vers la tristesse.
CHAPITRE IV : LA MUSIQUE COMME CODE
Anne-Cécile Vandalem
« La musique est déjà un code en soi. Au théâtre, elle doit s'associer pour s'exprimer. Elle a
besoin d'un deuxième, voire d'un troisième code pour devenir langage. Elle trouvera ces ressources
dans l'image, l'acteur, la lumière, le spectateur... » 181 . Un code est un ensemble de signes exposés
au public qui, de cette combinaison, déduira le langage scénique d'un spectacle. Ce chapitre est
construit autour de blocs de réflexions sur des concepts d'associations codifiées et les techniques s'y
apparentant. Ceux-ci s'inspirent des expériences et souvenirs des intervenants.
Le premier bloc s'interroge sur la cohérence et les liens entre choix musicaux dans une vision
d'ensemble d'un projet. Il abordera comment la musique peut être un fil conducteur selon sa
récurrence, sa quantité et sa place au sein d'un concept.
Le second bloc questionne le statut particulier de la chanson, forme intermédiaire entre le
parlé et le musical. Les professionnels évoqueront également leurs précautions face au choix de
certains styles de chants.
Le troisième bloc s'attaque à la notion de décalage. Entre humour et provocation, comment la
nature même de la musique peut devenir une arme pour faire réagir le spectateur ?
Le quatrième bloc découle naturellement du précédant en interrogeant la notion d'effet, son
utilité et ses limites.
Et, enfin, le dernière bloc évoquera le rapport au silence.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
181 Entretien avec Virginie Strub
(+!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
A) VISIONS
! La jeune fille et la mort Franz Schubert (Quatuor Talich) 182
Qu'est-ce qui lie les choix musicaux les uns aux autres?
Y a-t-il une cohérence, une unité particulière ? Le metteur en scène table-t-il sur quelques
musiques récurrentes ou sur des styles hétéroclites ? A quelle fréquence la musique est-elle
convoquée ?
Car selon Pascal Quignard : « Quand la musique était rare, sa convocation était
bouleversante comme sa séduction vertigineuse. Quand la convocation est incessante, la musique
devient repoussante et c'est le silence qui vient héler et devient solennel » 183
D'abord, utilisé comme méthode d'accouchement dans l'écriture de l'adaptation des
Amantes 184 , le quatuor La jeune fille et la mort se retrouve au final au cœur de la représentation de
Virginie Strub. Travaillée par touches, la musique revient de manière obsessionnelle : au départ,
constamment les mêmes mesures, vite interrompues. Puis, petit à petit, le leitmotiv se déploie
jusqu'à envahir les personnages et se fondre en eux. « Le morceau de Schubert a un statut unique
dans le spectacle : il est le corps du texte, sa structure et sa respiration.» 185 .
A la récurrence du quatuor s'ajoute un système de play-back sur le Requiem de Mozart
encadrant chaque nouvelle séquence. Brigitte est soprane, Paula alto, Enrich baryton et Hans basse.
La différence de fonction entre les deux musiques est clairement marquée : là où La jeune fille et la
mort appartient au processus, à l'écriture même et aux thèmes des personnages, le Requiem est outil
de théâtre, à la fois clin d'oeil cynique, à la fois décalé et violent. Même si la présence de la musique
est importante, l'économie du choix (2 morceaux) rend la lecture de leurs utilisations distinctes
aisée.
Car comme le rappelle Brecht : « Si donc la musique peut dire beaucoup de choses, il faut,
pour qu'on l'entende, lui laisser la liberté de ne prendre qu'assez rarement la parole. Elle jouera un
rôle d'autant plus important qu'on l'emploiera à des doses plus faibles. Et elle remplira d'autant
mieux ses fonctions qu'elle en aura moins. [...] » 186 .
Il ajoute une notion qui est à mon sens précieuse : « On doit savoir également que si l'on peut
avoir avantage à doper à coups de musique une scène dialogué trop faible, il faudra le payer d'un
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
182 CD 1 Piste 14
183 QUIGNARD, Pascal, op. cit., pg 254
184 Spectacle de Virginie Strub (Théâtre Océan Nord | 2005)
185 Entretien avec Virginie Strub
186 BRECHT, Bertold, op. cit., p. 476
(#!

HORS DES VIOLONS
!
inconvénient : dans une scène ultérieure, la musique ratera peut-être son effet. Cette propriété la
musique la partage avec d'autres drogues » 187 .
Finalement, je n'ai que très peu évoqué des utilisations que je juge être de l'ordre de
l'emballage. Car les procès d'intentions ne déclenchent pas la créativité, ils la distraient. Cependant,
que ce soit de ma propre expérience ou celles des professionnels rencontrés, j'observe que la
précipitation de la mise en forme trouve en la musique une solution facile. Réalité de temps de
production trop courts, inconscience ou habitude d'usage ? Toujours est-il que le phénomène se fait
vieux (on se souvient de l'assaisonnement de Corneille...) et que devant les souvenirs d'interactions
puissantes entre musique et théâtre, la phrase de Brecht sonne comme un avertissement à tout jeune
« metteur en scène-décor-acteur ».
Mais la quantité peut se vouloir une métaphore. A sa façon, Armel Roussel relie la musique à
une génération dans Pop! 188 . En effet, on pourrait juger la présence musicale – 50 minutes de
musique pour un peu moins de deux heures de représentation - comme surabondante. Roussel y voit
lui l'écran de notre époque : en réponse à la banalisation et la permanence musicale de notre
quotidien – ne pas écouter de musique est une prise de position – il renvoie l'image d'une
communauté décadente version « juke-box».
La lecture des fonctions musicales est rendue inutile et chaque spectateur s'accrochera à l'un
ou l'autre tableau selon la proximité qu'il pourra établir avec celui-ci. Le spectacle ne cherche pas –
même à travers une cohérence musicale éclatée – une adhésion totale du public.
La métaphore est essentielle aux concepts de spectacle d'Anne-Cécile Vandalem qu'elle
construit grâce à la dualité du son et de l'image dans une vision d'ensemble.
Sa trilogie des Parenthèses, constituée de (Self)Service (2008), Habit(u)ations (2010) et d'un
troisième volet en création (2013), s'articule autour de la question : Comment une réalité peut être
racontée sous plusieurs formes en parallèle ?
La réalité concrète – le niveau zéro – à savoir ce qui est réellement en train de se passer pour
une personne – est prise en charge par le son. L'image – ce qui est donné à voir – est la métaphore.
Dans le cas de (Self)Service, le niveau zéro raconte la dernière soirée d'une femme dans son
appartement, qui prend des médicaments et agonise seule. Dans la métaphore, nous nous trouvons
face à cinq personnages enfermés dans une maison qui s'effondre sur elle-même.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
187 BRECHT, Bertold, op. cit., p. 476
188 (2004| Théâtre Varia| Bruxelles| Utopia II)
($!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
« La démultiplication des personnalités est l'une de mes obsessions. Mais au lieu de prendre
un seul acteur qui changerait d'apparence - comme dans « Hansel et Gretel » le projet précédant la
trilogie – j'ai décidé de travailler avec plusieurs acteurs, unifiés par la voix » 189 .
A cette fin, elle décide d'utiliser la technique du morphing et d'essayer de créer
numériquement à partir des cinq voix des comédiennes, une seule. Après de nombreuses recherches,
il s'est avéré que cela prendrait des années. La metteure en scène et comédienne décide alors de
prendre en charge toutes les voix elle-même.
La première étape de répétitions s'est déroulée dans des conditions normales de plateau.
Toutes les comédiennes parlaient avec leurs propres voix. « On travaille comme une mise en scène
classique. A un moment donné, on gèle et filme une version satisfaisante. » 190 . Cette version
devient une piste témoin sur laquelle Vandalem suit le parcours des voix et des respirations.
La deuxième étape fut l'enregistrement. La metteure en scène « double » à partir de
l'empreinte vidéo le parcours des comédiennes, incluant le temps des déplacements (prendre tasse,
mettre dans l'armoire...). Elle désire réaliser l'enregistrement en une prise pour que la respiration des
cinq personnages soit celle d'une seule personne. Elle commence par prendre tour à tour les
intonations et les inflexions vocales, se rapprochant au plus près des comédiennes. Au fur à mesure,
elle différencie de moins en moins les voix les unes des autres. L'enregistrement dure une semaine.
A la troisième étape, les comédiennes se confrontent à la matière et passent une semaine,
casques sur les oreilles, à apprendre en play-back la conduite sonore. La contrainte majeure étant
qu'on peut difficilement retoucher les intentions de jeu, le plus gros de cette dernière étape fut
technique d'appropriation (parler, manger, respirer au bon moment) et lâcher prise.
Poussant au maximum son concept, elle fait alors entrer la musique en jeu. Dans
(Self)Service, nous assistons au suicide d'une jeune femme. Celle-ci met un disque qui
accompagnera et adoucira sa mort. Dans la métaphore, cela donne le personnage d'une chanteuse
qui entonne irrémédiablement la même chanson tout au long du spectacle selon des styles
différents. Le temps concret de la représentation est donc subjectif et dans la vision de la metteure
en scène, l'entièreté du spectacle se passe sur le temps d'une chanson, La démembrée (Annexe 3).
Les paroles – en anglais – ont été écrites par Anne-Cécile Vandalem et content l'histoire d'une
femme que son mari quitte : ayant toujours l'odeur de ce dernier sur elle, elle décide de se couper un
bras, puis une main, une jambe jusqu'à en mourir. Métaphore, à nouveau, de ces femmes tombant
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
189 Entretien avec Anne-Cécile Vandalem
190 Ibidem
(%!

HORS DES VIOLONS
!
les unes après les autres sans comprendre ce qui leur arrive. Six styles musicaux pour une seule
chanson - slow orchestre, pop 60's, mambo, slow 60's, rockabilly, ballade - déclinée de plus en plus
joyeusement et de plus en plus brièvement jusqu'à ce qu'il n'y ait plus personne pour la chanter.
!France Culture Arnaud Fleurent-Didier 191
B) LA CHANSON, CAS PARTICULIER ?
Mariage de musique et parole, la chanson a un statut à part. Si elle est prise en charge par le
comédien, sa fonction dépendra énormément du type d'adresse qu'il choisira. Au public ? Un autre
personnage ? Frontale, intérieure ? Du point de vue de la mise en scène, elle est de l'ordre du code.
Par exemple, chez Brecht, les songs appartiennent à un autre temps. Ils créent une rupture
dans la continuité de la représentation sous un paradoxe extrêmement intéressant : la mise à
distance et le rassemblement.
Distanciation car le chant n'est pas intégré à la narration, il ne découle pas réalistement de
l'action. Pourtant il n'en est pas moins essentiellement narratif. Sous l'apparence d'un instant musical
à part, adressé au public, le song arrive en commentaire d'une situation afin de faire ressortir les
comportements sociaux : « les songs, les légendes, les conventions gestuelles distinguent chaque
situation des autres. Les intervalles qui en résultent ne favorisent pas l’illusion du public. Ils
paralysent sa volonté de s’identifier » 192 . Dans La mère, le chant comporte non seulement un
décalage, une respiration mais aussi, un message didactique. L'utilisation de la chanson permet par
son aspect populaire et amical de faire « entendre la voix de la raison » 193 .
Effectivement, il ne faut pas oublier la capacité de la musique à rassembler, à « créer un
sentiment de connivence entre l'acteur et le spectateur » 194 . Selon le choix de la chanson, le metteur
en scène pourra tisser des liens entre son époque et la pièce et permettre au public, confronté à une
forme ressentie dans la conscience collective comme plus légère, de comprendre différemment un
personnage, une histoire, un concept...
« Dans le dernier spectacle d'Armel Roussel, raconte Daphné D'heur, Ivanov Remix 195 ,
Nicolas Luçon - qui jouait Ivanov - commence à interpréter la chanson "France culture" 196 . J'ai
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
191
CD 2 Piste 1
192
BENJAMIN, Walter, Essais sur Brecht, Paris, La Fabrique, 2003, pg 326
193
BRECHT, Bertold, op. cit., pg 459
194
Entretien avec Armel Roussel
195
(Tanneurs| Bruxelles | 2011)
196
Arnaud Fleurent-Didier « France culture », Album La reproduction , 2009
("!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
!
vraiment du mal à mettre des mots là-dessus. Pour moi, c'est un bouleversement. Tout à coup, au
milieu d'une mise en scène, où les codes troublent continuellement tes notions d'acteur-personnage-
être humain, tu comprends de l'intérieur la pièce de Tchekhov. Tu es directement en relation avec le
sens, avec le sens de la chanson, avec le sens du personnage, avec les interrogations de l'acteur. Tu
ne sais plus qui te parle. On utilise une musique qui est une musique du moment, qui passe la radio,
qui parle de notre génération dans un Tchekhov et qui me connecte totalement à ma réalité
émotionnelle et culturelle. » 197 .
Néanmoins, toutes les chansons peuvent-elles être employées ?
« Le cas de "France culture" est particulier, raconte Armel Roussel. Bien que la chanson soit
actuelle, au moment de son utilisation elle est encore méconnue – en tout cas du public du théâtre.
De plus, l'interprétation de Nicolas est éloignée de celle d'Arnaud Fleurent-Didier. Simplement, il
l'interprète avec tout ce qu'il est, tout les souvenirs qu'on peut y mettre, tout le parallèle avec
Ivanov, là où Arnaud la déclame de manière assez monotone et presque parlée. [...] Je ne
m'attendais pas aux réactions face à cette chanson. On m'en a beaucoup parlé. Elle a
même "blessé" certaines personnes qui se sentaient visés (de l'âge de mes parents). Son actualité ne
résidait pas dans sa "célébrité", mais dans le sens de ses paroles – sens qui est entré en écho avec
le public d'une manière assez impressionnante. » 198 . En voici, quelques extraits :
! Il ne m'a pas appris l'anglais
Il ne m'a pas appris l'allemand
Ni même le français correctement
[...]
On m'a donné un modèle libéral, démocratique
On m'a donné un certain dégoût
Disons désintérêt de la religion
[...]
Mais il ne m'a pas dit à quoi servait le piano
Ni le cinéma français qui, pourtant, le faisait vivre
Elle ne m'a pas dit comment ils s'étaient mariés, trompés,
séparés
Ni donné d'autre modèle à suivre
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
197 Entretien avec Daphné D'heur
198 Entretien avec Armel Roussel
[...]
On ne m'a pas donné de coups
On m'a sans doute aimé beaucoup
Il n'y avait pas de choses à faire
À part, peut-être, polytechnicien
Il n'y avait pas de choses à ne pas faire
À part, peut-être, musicien
[...]
(&!

HORS DES VIOLONS
!
En effet, pour le metteur en scène, il n'est pas évident d'utiliser une chanson du moment. La
proximité d'une œuvre peut faire sortir le spectateur de la représentation, renvoyé à son quotidien.
« Quand une chanson est trop banalisée, elle devient impersonnelle, elle n'arrive pas à
appartenir au spectacle. Elle appartient à l'air du temps » 199
La chanson, entre texte et musique, offre un outil au metteur en scène capable de créer un lien
avec le spectateur, « dire autrement », créer des décalages dans le temps de la représentation, son
sens et sa forme.
! Liebe – Males Chorus– Franz Schubert 200
C) DÉCALAGE
Le décalage n'est pas le propre de la chanson. Ce procédé – se rapportant à l'action de
déplacer le point de vue - est applicable sur toutes les composantes de la représentation et vaut donc
pour la musique au sens large.
A travers trois exemples rapportés par les professionnels rencontrés, nous observons que la
musique peut produire des effets immédiats visant à faire réagir le spectateur.
Dans Red M.U.D.H. II, Claude Schmitz nous présente « l'histoire d'un nain géant qui devait
aller chercher du miel pour son petit fils dans une ruche qu'il y avait au fond du jardin. Mais à
chaque fois qu'il allait dans la ruche, il restait coincé parce qu'il était trop gros, du coup il
pleurait » 201 . Pour dénoncer l'absurdité de la situation, si besoin en était, à chaque fois que le nain se
met à pleurer, une chanson de Frank Zappa retentit. S'ajoute au comique de répétition, l'ironie
inhérente à Zappa qui, en boucle, s'additionne encore et encore à l'absurde pour aller au-delà. Mais
au-delà de l'absurde, où sommes-nous ? Le spectateur a une mémoire et, si au premier essai du nain
mal-adapté, il sourit, il remettra en question le souvenir de cette première impression grâce à
l'accumulation : la scène, vaine, devient cruelle, irritante, oppressante...
L'humour est une qualité qu'engendre aisément la conjugaison de deux univers à priori
incompatibles. Armel Roussel l'a bien compris lorsqu'il décide de monter Hamlet : version athée.
Dans son adaptation de Shakespeare, Ophélie – Sophie Sénécaut - enceinte jusqu'aux yeux, décide
d'avorter à l'aide d'aiguilles à tricoter dans sa chambre d'adolescente. Une télévision diffuse une
émission de la Star Academy et à l'instant, où elle procède à « l'opération », du poste retentit la
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
199 Entretien avec Armel Roussel
200 CD 2 Piste 3
201 Entretien avec Claude Schmitz
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
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chanson « Bouba le petit ourson » (! 202 ) de Chantal Goya, et simultanément une douche de sang lui
tombe dessus. Iconoclasme violent, le metteur en scène parle aussi d'un désenchantement
adulescent. La destruction de symboles tels qu'Ophélie d'une part, et « Bouba le petit ourson »
d'autre part – quelle que soit la référence associée à Chantal Goya - fait effet.
! Bouba, Bouba, mon petit ourson
Tu roules et tu glisses sur la blanche, blanche, neige
Bouba, Bouba, fais bien attention
De ne pas t'éloigner du chemin de ta maison
Chantal Goya, comme icône de l'enfance ou comme style « enfant-poubelle », le code tend de
toutes les manières vers la provocation.
Xavier Lukomski se souvient d'un spectacle où la musique l'a particulièrement titillée.
« Dans Ruhe 203 , Josse De Pauw travaille avec le Collegium Vocale de Gand dans un récital
brutalement entrecoupé de témoignages d'individus qui se sont engagés volontairement chez les SS
en 1940. Il avait donc repris des interviews d'anciens nazis mêlés à des Lieder de Schubert. Le
choeur - très impressionnant – était dans le public. Josse de Pauw se baladait au milieu de nous et
lisait des extraits d'entretiens. Après chaque partie de texte, un choeur d'hommes se levait, ils
grimpaient sur leurs chaises et chantaient un petit Lied. J'étais très très mal à l'aise. Tu es [baladé]
entre les justifications d'anciens nazi mêlées à la beauté et à la force de ce choeur masculin. Et
l'agressivité qui en découlait... Et quand tu es au milieu d'un choeur et que tu ne chantes pas, c'est
désagréable : tu es pris à parti et cela a créé chez moi des choses très contradictoires en tant que
spectateur. » 204 . Prise de pouvoir musical pour provoquer un dégoût, un refus, une prise de position
? « La musique peut être un facteur qui provoque l'esprit critique » me dit Virginie Strub.
Finalement, peut-être est-ce cela « hors des violons » ; utiliser la beauté de la musique -
l'histoire aussi de la beauté de la musique - pour créer une plus grande répulsion.
Si le théâtre est censé remettre en question le monde, le chemin commence sans doute avec la
remise en question du spectateur.
Sensiblement, ici, le lied déclenche des mécanismes profonds – une adhésion, un phénomène
d'entraînement - que le spectateur doit refuser face à une situation jugée inacceptable-ici, une
justification au nazisme.
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202 CD 2 Piste 2
203 (Kunstenfestival |2007)
204 Entretien avec Xavier Lukomski
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HORS DES VIOLONS
!
La résistance aux violons fait apparaître des contradictions dans l'identité du spectateur à qui
on demande de se positionner.
Dans le film Cabaret, la scène Tomorrow belongs to me utilise – grâce au décalage entre
l'image et la musique – un procédé similaire.
Gros plan : un petit garçon – blond, yeux bleus, air angélique – entonne de sa voix de ténor un
air doux sur la nature ; l'audience le regarde, émue. La caméra dé-zoome et révèle que l'avant-bras
du garçonnet est habillé d'une brassière nazie. La musique, alors, se développe et prend des airs de
marche, le garçon est rejoint par un public, debout, entonnant le chant devenu hymne martial.
Tomorrow belongs to me résonne d'une toute autre manière.
La première impression – attendrie mais trompeuse – se transforme, faisant écho peut-être
ainsi à la sensation de Sabine Durand : «Particulièrement au cinéma, mais aussi au théâtre, je
déteste me faire avoir. » 205 . Se jouer de l'adhésion du public revient peut être à utiliser la notion
d'effet. Or dénoncer l'effet, renvoie au spectateur sa capacité à se faire « manipuler » et donc, par
la mise en exergue de cette réalité, à se remettre à en question.
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205 Entretien avec Sabine Durand
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Sortir les violons = Encore une musique qui te fait comprendre que c'est un très beau moment!
! Lux aeterna Clint Mansell (BO. Requiem for a dream) 206
Qu'est-ce qu'un effet ?
D) LA NOTION D'EFFET
Claude Schmitz
Un effet a les sens premiers de « résultat », d'« impression produite sur quelqu'un », d'une «
sensation provoquée ». Par extension, « faire un effet » a le sens d'« impressionner » mais aussi, de
« truquer », d' « avoir l'air de » et, enfin, en littérature, l'expression « à effet » signifie «
prétentieux» 207 . En musique, « un effet désigne un dispositif électronique qui modifie les propriétés
du son, d'un instrument ou d'une voix pour lui donner une propriété particulière et améliorer son
rendu » 208 .
La notion d'effet comme technique de mise en scène est à différencier des effets, au sens
premier, objectifs et subjectifs inhérents à la musique. Au théâtre, la critique – qu'elle se prétende
professionnelle ou non – se sert fréquemment dans son jargon de la notion d'effet pour qualifier une
séquence, une technique ou le jeu d'un acteur qu'elle trouve racoleur, tape-à-l'oeil, artificiel. S'en
tenant à la définition stricto sensu, si l'effet est censé impressionner, la notion sus-mentionnée serait
de l'ordre, alors, de l'effet raté.
L'« effet efficace » (les deux termes ont d'ailleurs une racine commune) serait comme le
crime parfait, invisible. Le propre de ce « crime-ci » est qu'il est prémédité : « Faire un effet,
explique Armel Roussel, c'est être dans la volonté. Et si tu veux quelque chose, tu n'es pas quelque
chose. C'est donc l'opposé de l'être et cela a tout à voir avec l'avoir » 209 . Pourtant, associer
volontaire à condamnable serait faire un raccourci trop facile. N'arrive-t-il vraiment jamais à la mise
en scène d'utiliser des « Trucs et ficelles pour emballer son spectateur » 210 ?
C'est cette interrogation qui a motivé ce mémoire. La question a été posée aux professionnels
quant à l'utilisation et la définition de l' effet musical. Voici les points récurrents dégagés de leurs
réponses :
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
206
CD 2 piste 4
207
Le nouveau petit Robert, Montréal, Canada : Ed. DicoRobert Inc., 1993, pg 720
208
(wikipédia)
209
Entretien avec Armel Roussel
210
MALGHEM, Luc, Dix lignes de bling, dix lignes de blang, in Scènes n°20, op. cit., pg 32
)*!

HORS DES VIOLONS
!
« La musique n'est pas un fumigène, dit Virginie Strub, mais elle a toutes les capacités
pour.» 211 . En effet, le premier point récurrent des réactions des metteurs en scène interrogés, est la
définition du terme effet en tant que trucage, qu'illusion par la musique.
Ici, non seulement elle devient camouflage, mais elle force en quelque sorte l'émotion.
« Il y aurait toujours quelque chose dans la musique qui nous submerge et nous surprend
quoi que nous fassions » 212 . Imposée à notre oreille, elle serait capable de produire des impressions
involontaires chez le spectateur « et, court-circuitant l'intellect, [la musique] s'immisce dans notre
perception et y produit ses effets, prescrit le sens, crée l'empathie et induit l'identification au
personnage ou à la situation. En ce sens, la musique peut être assurément vue comme un moyen de
manipulation affective et sémantique insidieux » 213 .
A l'évocation du terme manipulation, plusieurs exemples se rappellent au souvenir des
intervenants:
«[Dans des spectacles très « modernes » 214 ], l'emploi d'une musique qui va chercher les
jeunes avec une musique électronique, est fréquent, raconte Anne-Cécile Vandalem, trois fois trop
forte, cherchant l'accord de tous, elle est putassière. Pour moi, il y a des musiques qui amènent
toujours cet effet : elles prennent les gens, avec des basses, avec des formules toutes faites.» 215 .
D'une musique qui « prend », Armel Roussel parle de prise d'otage – pas nécessairement
négativement - « la musique chez Castelluci est une arme de destruction massive. Le son est utilisé
comme endroit physique qui fait effet sur tes nerfs, ton corps, et tu ne peux pas y échapper. Une
prise d'otage, parfois utile, parfois superficielle » 216 .
Effet organique donc, « la musique attire les corps humains. C'est encore la sirène dans le
conte d'Homère. Ulysse attaché au mât de son vaisseau est assailli par la mélodie qui l'attire. La
musique est l'hameçon qui saisit les âmes et les mènent vers la mort » 217 . Radicale et morbide
fonction pour Pascal Quignard, l'effet musical sur nos corps et nos émotions n'en fait pas pour
autant un élément nécessairement néfaste ou « malhonnête ».
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211 Entretien avec Virginie Strub
212 Ibidem
213 Ibidem
214 N.d.l.a.
215 Entretien avec Anne-Cécile Vandalem
216 Entretien avec Armel Roussel
217 QUIGNARD Pascal, op. cit., pg 200
)+!

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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
« Wayn Traub 218 , raconte Anne-Cécile Vandalem, metteur en scène et auteur flamand, avait
créé une trilogie il y a quelques années : [Maria Dolorez, Jean-Baptiste, Maria Magadalena]. Il
était capable, lui, de maîtriser les effets et le jeu avec les émotions-sensations de la musique. Dans
ce cas-là, les effets musicaux cherchant à provoquer des émotions ne m'ont pas dérangés, mais c'est
rarement bien fait. » 219 .
Travailler sur les émotions n'est pas simple, mais les utilisations maladroites sont peut-être
dues à une peur de cette dite émotion musicale : « On se refuse souvent le plaisir de l'émotion,
déclare Claude Schmitz. Et la musique est l'un de ces éléments qui diffuse du plaisir.» 220 .
Olivier Thomas évoque une constatation similaire par rapport à son travail de musicien : «
Bien sûr que l'effet tire-larmes, je n'aime pas. Mais en même temps, c'est dangereux de ne pas
aimer. Cela pourrait m'empêcher d'écrire des mélodies. J'ai eu très longtemps peur dans la
composition et je fonctionnais par interdictions. Je me disais que je ne voudrais pas que l'ON croie
que je veux faire de l'émotion pour l'émotion. Parfois, on a envie, parfois, on est romantique. Les
musiciens ont peur de cela : d'être simplement touchés, touchants. La réalité est que seul l'excès est
écœurant, et oui, l'émotion peut être aussi une orientation musicale imposée. Mais dans ce cas-là,
c'est pour faire pleurer les grand-mères et convaincre les foules. Le mauvais effet est celui où tu
sens l'intention, où on te force à sentir, et où tu n'as pas d'autres options » 221 .
Au fond, la question est celle de l'équilibre. Equilibre entre la volonté de transmettre une
émotion et la tentation de fabriquer la dite émotion par un effet de musique. La musique a
inévitablement un effet sur nos sensations, certes, mais ceci ne signifie pas qu'elle doit être en soi un
effet. La limite se situerait alors dans l'objectif de l'utilisation de la musique : « J'associe l'effet à la
gratuité, répond Armel Roussel. Un accent bref qui cherche à faire rire, pleurer et qui n'a pas
d'autre valeur, à part que cela fait de l'effet » 222 . Le sens péjoratif de la notion d'effet - qui fut
souvent abordé - navigue donc entre l'idée de superficiel, de spectaculaire et de manipulation.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
218 Wayn Traub : fonde en 1994 sa compagnie de théâtre Zhebilding et travaille en parallèle à des créations vidéos.
Dès lors son travail interdisciplinaire associera différentes approches scéniques alliant au sein de performances le
théâtre, les musiques, des chorégraphies, et la vidéo qui lui valut d'être comparé à Jan Fabre. D'un point de vue
thématique son travail est tourné vers des questionnements sur la religion, le mysticisme, et le rituel. En tant que
chorégraphe il est apparenté au mouvement de danse contemporaine de la « non-danse » et a été particulièrement
remarqué pour sa trilogie informelle composée de Maria-Dolores (2001), Jean-Baptiste (2004) et Maria-
Magdalena(2008)
219 Entretien avec Anne-Cécile Vandalem
220 Entretien avec Claude Schmitz
221 Entretien avec Olivier Thomas
222 Entretien avec Armel Roussel
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HORS DES VIOLONS
!
Enfin, il est intéressant de confronter l'effet au terme d'efficacité. L'efficacité qualifie la
capacité d'une personne ou d'un système à parvenir aux objectifs qu'il s'est fixé. Alors, un spectacle
peut être efficace sans nécessairement être « à effet », mais peut pour être efficace utiliser des effets.
Notons que l'efficacité n'est pas un objectif en soi.
La question : « est-ce que cela fonctionne ? » n'est pas une base de recherche artistique. Car, à
mon sens, le metteur en scène ne devrait pas considérer le spectateur comme un client à satisfaire,
au risque de faire écho au compositeur des airs à succès du fétichisme musical d'Adorno. Si
l'efficacité était la logique fondamentale du théâtre, on l'enseignerait dans les écoles de commerce.
« C'est comme si le processus de rationalisation de l'art lui-même, la maîtrise consciente des
moyens de celui-ci, avait été détourné de son but par le champ de force social et n'était plus orienté
que vers des rapports d'efficacité. Le progrès a consisté uniquement dans la rationalisation de
l'effet produit sur le public, amalgame de papotages de salon enthousiastes et de la sensiblerie de
midinettes » 223 .
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
223 ADORNO, Theodor, EISLER Hans, Musique de cinéma, Paris, Ed. L'Arche, 1972, pg 63
)$!

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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
C'est l'heure du silence. Le silence ne définit en rien la carence sonore : il définit l'état où l'oreille est le plus en
alerte. L'état où l'oreille est le plus en alerte est le seuil de la nuit. C'est l'heure que je préfère. C'est l'heure où, parmi
Y a-t-il une Musique du silence ?
toutes les heures où j'aime être seul, je préfère être seul. C'est l'heure où je voudrais mourir.
E) LA MUSIQUE DU SILENCE
Pascal Quignard 224
!" [...] la musique au théâtre se révèle fréquemment encombrante. Pour quelle raison la
musique s'y fait presque toujours entendre, je ne sais. Une antique habitude, peut-être. Toujours
est-il que nous oublions que le silence va bien aux mots ; que leur résonance seule souvent suffit,
que la musique s'y trouve déjà (idée plaisante, à défaut d'être toujours vraisemblable) » 225 . A
travers la rencontre avec la metteure en scène et pédagogue Sabine Durand, nous nous interrogerons
sur le besoin de musique et sa présence régulière à la scène. Avons-nous peur du silence ?
A la question « Pourriez-vous imaginer faire un projet sans musique ? », Anne-Cécile
Vandalem réfléchit un temps, fait la moue, répond par l'affirmative et ajoute « mais il faudrait une
bonne raison : une raison dramaturgique et non esthétique. La musique est une force et sans elle –
en plus de me priver d'un certain plaisir et de nécessaires respirations – ma méthode devrait se
réinventer pour trouver la même densité » 226 . Armel Roussel, quant à lui, ne parle pas de peur du
silence mais de silence artificiel. En effet, « le silence théâtral n'est pas naturel. Le silence est un
artifice, pas forcément la musique. Et non seulement il est un artifice, mais une illusion. Par
conséquent, il est dangereux, mais passionant » 227 .
La question se formule autrement dans le théâtre de Sabine Durand. Celle-ci ne trouve pas en
la musique une nécessité. Encore jamais convoquée, la musique s'exprime par son absence. « Cette
non-utilisation n'est pas un principe délibéré, raconte la metteure en scène, ni une position. C'est lié
à la nature de mon travail jusqu'à présent. » 228 . Si elle ne travaille pas en musique, elle travaille
néanmoins à l'oreille : l'oralité, les bruits du plateau et de la salle résonnent d'autant plus qu'il n'y
aura jamais rien pour les couvrir. « Quand rien ne vient supporter une émotion - car la musique
donne une indication très claire et, à la limite, assez collective, assez immédiate sur une indication
émotionnelle - quand rien ne vient, donc, l'acteur le sent très bien. Il sait que pendant deux heures
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
224 QUIGNARD, Pascal, op. cit., pg 135
225 CÔTE, Michel, loc. cit., pg 74
226 Entretien avec Anne-Cécile Vandalem
227 Entretien avec Armel Roussel
228 Entretien avec Sabine Durand
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HORS DES VIOLONS
!
et demi, il n'y aura que son propre bruit, que son propre son, que c'est lui qui va amener l'émotion.
C'est à lui de peupler ce silence musical.» 229 .
A la recherche d'espaces invisibles, elle souhaite voir – et par extension entendre – ce qui n'est
pas là grâce à l'acteur. Bien qu'elle n'en exclut pas la possibilité, l'utilisation de la musique s'est
révélée jusqu'à présent en concurrence. « Plus on précisait le jeu, plus s'excluait tout apport
musical » 230 . Son spectacle D'Oedipe en est bon exemple : « A certains moments, il fallait presque
que cela soit totalement silencieux . Oedipe était en train de construire sa propre architecture, et ce
faisant, l'acteur, concentré, avait besoin de silence, presque d'aucune distraction pour que le public
arrive à suivre son cheminement. Les acteurs avec qui j'ai collaboré n'ont, de fait, jamais ressenti le
besoin d'une musique » 231 . Quand elle est spectatrice, elle n'assiste que trop rarement à un endroit
où la place de la musique est résolue. Entre effets et solutions faciles, elle parle de peur du vide.
Une peur du vide qui peut peut-être entrer en échos avec la ritournelle de Deleuze et
Guattari 232 . Un chantonnement pour soi, rituel simplifié, qui rassure quand on est désorienté, une
façon d'ordonner le chaos. Ils placent la ritournelle comme naissance de la musique, avant même
qu'elle ne soit destinée à l'art. « La nuit, quand tu marches seul dans la rue, raconte Virginie Strub,
peut-être chantes-tu parce que tu as peur de la mort ? » 233
Si le théâtre, hors de ses utilisations superficielles, répondait à cette angoisse, instinctivement,
par la présence musicale ?
« Je ne suis pas musicienne. Malgré tout, je sens que dans la grande musique, il y a une
qualité de silence. Elle t'emmène même dans un silence méditatif, un endroit de ta tête solitaire.
Quand je pense au silence, je l'associe à une grande solitude, un endroit où je suis pas forcément
triste, pas forcément seule, une forme de solitude partagée » 234
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
229 Entretien avec Sabine Durand
230 Ibidem
231 Ibidem
232 DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, op. cit., pg 174
233 Entretien avec Virginie Strub
234 Entretien avec Sabine Durand
)"!

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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
)&!

HORS DES VIOLONS
!
CONCLUSION
[Sortir les violons] = C'est « La passante du Sans souci », le dernier film de Romy Schneider.
Son fils, David, de 14 ans meurt empalé pendant le tournage. Il était violoniste.
Dans la dernière scène du film, elle est assise à la table d'un restaurant
avec l'enfant qui joue son fils à l'écran,
son partenaire de jeu qu'elle hait.
Des musiciens entrent et se mettent à jouer du violon.
Elle, elle ne joue rien du tout parce que c'est au-delà de ce qu'il y a de jouable.
Et l'enfant se lève, saisit l'instrument et commence à faire de la musique en la regardant.
Elle pose des yeux remplis de larmes sur lui et ce qu'elle voit, c'est son fils à elle, disparu.
Voilà ce que m'évoque « faire jouer les violons »
Armel Roussel
)'!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
)(!

HORS DES VIOLONS
!
CONCLUSION
! Pa-Pa-Pa (Zauberflöte) Wolfgang Amadeus Mozart (La Flûte enchantée) 235
Au théâtre, il y a Musique et musique.
La première est une notion. La deuxième est un objet.
La Musique est l'art du temps. Elle peut être utilisée comme une métaphore de la vie : la
Musique du silence, la Musique de la mort, la Musique du mouvement... Elle se rapporte à un
concept plus large de l'ordre de la métaphysique. Elle est l'indicible. Les mots la définissent
difficilement.
La musique, quant à elle, est une œuvre. Elle est composée de sons, vibrations physiques, qui
ont une influence objective sur la perception. Elle a été théorisée selon des structures (rythme,
tempo), une écriture (partition), des méthodes (solfège, ...), des constituantes (notes, accords,
harmonies). Comme un texte, un morceau de musique renvoie à un objet donné et ce, même si il est
perçu comme abstrait.
Au théâtre, donc, il y a Musique et musique. La compréhension de cette distinction est
essentielle pour évaluer quelle place le musical occupe au théâtre.
Premier cercle de constatations : la musique
En poursuivant une approche scientifique de la musique, le premier chapitre de ce mémoire
examine comment cette dernière peut être étudiée comme une cause.
L'écoute, faculté instinctive de défense, est permanente. Même un spectateur endormi
percevra encore l'univers sonore autour de lui.
La musique a un lien physique à l'homme. En effet, si l'homme est semblable au serpent
d'Artaud 236 , le théâtre peut trouver en la musique un moyen de retourner au corps, à un endroit
physique qui mélange émotions et instincts.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
235 CD 2 Piste 6
236 @Si la musique agit sur les serpents, ce n'est pas par les notions spirituelles qu'elle leur apporte, mais parce que les
serpents sont longs, qu'ils s'enroulent longuement sur la terre, que leur corps touche la terre par sa presque totalité : et
les vibrations musicales qui se communiquent à la terre l'atteignent comme un massage très subtil, et très long : eh
bien, je propose d'en agir avec les spectateurs comme avec les serpents qu'on charme et de les faire revenir par
l'organisme jusqu'aux plus subtiles notions@!ARTAUD, Antonin, op.cit., pg 117!
))!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Ensuite, la science établit que le son – et par extension la musique – influence notre rapport à
l'espace. Cette influence inspire les nouvelles technologies qui créent depuis des décennies des
systèmes et dispositifs qui exploitent la qualité spatiale du son.
En poursuivant une approche technique, le second chapitre observe comment le théâtre
utilise ces technologies. La source de diffusion (haut-parleur, instrument...) a évolué vers plus de
souplesse et de possibilités. Les choix sont donc plus complexes. L'exploitation de la spatialisation
sonore permet de raconter d'où vient la musique et à quelle réalité elle appartient (intra et
extradiégétique notamment).
Ces choix ont des conséquences économiques et humaines. En amont du travail artistique, la
priorité budgétaire induira aussi la place de la musique dans un projet.
Si le metteur en scène est, comme le dit Meyerhold, une nécessaire force réunificatrice, il
trouvera dans la connaissance de ces potentialités techniques une alliée pour mieux collaborer avec
les postes de l'autour. En effet, actuellement, un porteur de projet devra non seulement coopérer
avec un compositeur mais aussi un ingénieur du son ou concepteur sonore avec qui il faudra trouver
un langage commun.
En poursuivant une approche sociologique et philosophique, le troisième chapitre nous
introduit à la pensée adornienne. La théorie du fétichisme musical, en comparant le consumérisme
d'un produit à celui d'un morceau de musique, provoque de nombreux débats dans l'Histoire de la
musique. Si on peut s'opposer à cette analyse, elle a le mérite d'interroger notre rapport collectif –
en partie inconscient – au musical.
La musique n'est pas neutre. Elle appartient à notre mémoire collective et à notre culture.
Au quotidien, la musique est inévitable. Son omniprésence l'en rend presque banale, contraints
que nous sommes de nous couper de ses notes envahissantes. Pour certains, elle fait même l'effet
d'un viol !"#$ .
Même si nous avons des goûts musicaux différents, nous entendons tous les mêmes airs dans
le métro, les restaurants, les magasins… La démocratisation actuelle de la musique la rend tellement
collective que la réutiliser, dans un autre contexte et à d'autres fins, devient un défi. L'emploi d'une
musique référencée au théâtre devient alors affaire de symboles et de codes. La co-présence de
Bouba le petit ourson et de l'avortement d'Ophélie dans le Hamlet, version athée d'Armel Roussel
est un bon exemple de jeu avec les symboles, jeu poussé jusqu'à un iconoclasme violent.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
237 QUIGNARD, Pascal, op.cit., pg 202
+**!

HORS DES VIOLONS
!
En poursuivant une approche pratique, les récits des professionnels ont révélé que la musique
occupe une place importante dans le processus de création. Elle est source d'inspiration pour Ingrid
von Wantoch Rekowski et son théâtre pour les oreilles qui remet en question les formes avec des
spectacles où se rencontrent des improbables et des impossibles.
Si la musique peut être la matière première d'un projet, elle inspire aussi, de par sa nature, des
cadres et des structures. De la divine longueur de Marthaler à la contrainte technique chez Virginie
Strub, les vocabulaires théâtraux et musicaux se confondent en des notions essentielles. Rythme,
tempo, partition, gammes, répétitions, thèmes, autant de termes dont la formation et direction de
l'acteur usent continuellement.
Car la musique est un outil de mise en scène puissant. Brecht et Weill sont de bons exemples.
Le théâtre épique tisse un lien étroit entre les formes musicales et l'articulation dramatique. La
musique est, dans sa structure même, dans la lignée de la dramaturgie et agit sur celle-ci comme
n'importe quelle autre action de la représentation.
La musique de Weill et le song sont utilisés aussi pour déplacer le point de vue. Entre
distanciation et rapprochement, elle fait réagir le spectateur aux liens et décalages qu'elle produit.
Rappelons l'exemple de la chanson France Culture dans Ivanov/Remix d'Armel Roussel ; par
son actualité et sa résonance avec notre époque, la musique crée un pont entre l'oeuvre de Tchekhov
et le spectateur, entre le personnage d'Ivanov et l'acteur qui le joue et, de l'intérieur, donne accès au
sens de la pièce.
Bien que la chanson soit un cas particulier dans le musical, elle est un exemple de la manière
dont celui-ci peut venir en rupture par rapport à une scène donnée.
La musique, grâce notamment aux références qu'elle véhicule, permet des raccourcis qui ont
des effets immédiats sur le spectateur. Elle permet de faire éprouver de l'intérieur les contrastes
d'une situation, là où les mots ont besoin de beaucoup de virgules. L'utilisation de Lieder de
Schubert dans le spectacle Rühe de Josse De Pauw est un autre exemple marquant. L'adhésion que
la beauté de la musique provoque rentre directement en contradiction avec le rejet que devrait
engendrer une justification au nazisme. Le violon est utilisé contre le violon. En dénonçant l'effet, le
spectacle met le public face à sa capacité à se faire manipuler et par cette révélation, le force à se
positionner, à remettre en question ses certitudes.
Cette notion d'effet est un dommage collatéral possible de l'utilisation de la musique. Nous
avons questionné quelles pourraient en être les limites et les justifications. L'influence du musical
sur l'émotion est une récurrence des récits des praticiens de théâtre. Entre fabriquer une émotion
+*+!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
!
grâce à la musique et transmettre une émotion avec la musique, les frontières sont troubles et les
objectifs ambigus. Néanmoins, ces possibles débordements ne doivent provoquer ni la peur de la
musique, ni un emploi facile motivé par une envie d'efficacité. Le titre de ce mémoire « Hors des
violons » invite d'ailleurs fermement à réévaluer le principe d'efficacité, surtout dans l'utilisation de
la musique, au risque de rappeler au « metteur-en-scène-décor-acteur » l'aspect racoleur et
commercial d'une démarche artistique qui ne cherche qu'à convaincre.
Deuxième cercle de constatations : la Musique
La Musique est l'indicible. Elle appartient au monde et à l'homme, avant la conscience et la
parole. Elle est cette notion étrange, entre magie et divin, qui semble attirer le Théâtre autant qu'il
l'attire.
Ce désir partagé découvert dans l'approche historique et théorique du quatrième chapitre de
ce mémoire est fait d'allers-retours. De l'assaisonnement à la synthèse, la Musique ne va pas de soi
et est continuellement réinterrogée. Ce mouvement de remise en question se perpétue dans
l'indiscipline de la scène actuelle. Entre question de hiérarchie et d'égalité, l'équilibre est mouvant et
délicat.
Pourtant la Musique et le Théâtre ont des origines communes et se retrouvent perpétuellement
dans l'Histoire. Tous deux sont les premières formes de représentations. A mon sens, il y aura
toujours un élan que Musique et Théâtre partageront : celui de rejoindre un endroit qui rappelle le
rituel, un art du sacré, une communion nécessaire. Le Théâtre, impur 238 par définition, est peut-être
un art de l'incomplétude 239 qui cherche autour de lui ce qui peut le rendre toujours plus proche du
vivant. La Musique est avant tout de l'ordre du vivant.
Musique e(s)t théâtre, Théâtre e(s)t musique 240 pourrait être le secret de leurs multiples points
de croisements.
Le Théâtre et la Musique sont, de deux manières différentes, des arts du Temps. La
temporalité musicale est sensiblement différente du temps concret. Au théâtre, elle peut permettre
d'ouvrir des gouffres dans les réalités de la représentation. Le lentissimo de Marthaler, métaphore de
la vie, rallonge les heures. Le temps subi par les personnages, sursautant épisodiquement en une
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
238 DORT Bernard, op.cit.
239 PLANA Muriel, op.cit.
240 MILLTELSTEINER Crista, titre de son article sur Marthaler dans La musique et la scène, op.cit., pg 118
+*#!

HORS DES VIOLONS
!
respiration collective musicale, agit sur le spectateur. La Musique permet non seulement de raconter
le temps qui passe mais également de le faire vivre : « La musique est le salaire que l'homme doit
au temps » 241 .
Si la musique peut ne pas être convoquée au théâtre, la Musique en est-elle jamais absente ?
Si on peut l'imaginer dans le silence, la voir dans une lumière, la sentir dans un mouvement, elle
n'est jamais loin de toute représentation du vivant.
Regard critique
La distinction finale entre deux réalités possibles de la relation entre musique et théâtre m'ont
été nécessaire afin de répondre aux mouvements concrets et abstraits présents dans ces matières
sensibles. C'est seulement par ces deux pistes que la conclusion de ce travail peut approcher la
question de la nécessité de la musique au théâtre.
Ce mémoire a la volonté de couvrir un large spectre de théories et de pratiques. Bien que le
travail laisse des marges nécessaires, il a voulu s'exposer à un maximum de champs de possibilités,
au lieu, par exemple, d'analyser une utilisation dans un spectacle particulier. Il se positionne dès le
départ comme une plongée qu'un novice en la matière pourrait effectuer avec ses découvertes et ses
contradictions. Bien que j'ai une éducation musicale, je me suis attelée à remettre en question mes
certitudes et à reconstituer un chemin de réflexion qui place un pied devant l'autre, petit à petit.
J'ai eu la chance de penser ce mémoire avec différents professionnels, qui ont joué le jeu de
la confidence 242 . Il fallut trouver le chemin pour que chacun puisse évoquer la musique et le théâtre
avec des mots. Plus de 22 heures de conversations où silences, onomatopées, intonations - véritable
musique du fil de la pensée - devaient être retranscrits sans être trahis, sans en extraire l'essence.
Parfois, il faut le dire, j'ai eu la sensation de traduire une langue étrangère, « discourir » sur la
musique m'a semblé souvent être un paradoxe en soi. Entre expériences et souvenirs, l'utilisation de
la musique n'a pas été étudiée de manière statistique ou spéculative. Ce mémoire est donc le reflet
des regards qu'il a rencontré.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
241 QUIGNARD Pascal, op.cit. Pg 126
242 ADORNO Theordor, Le caractère fétiche de la musique et la régression de l'écoute.
+*$!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Nouvelles perspectives
Deux récurrences des entretiens ne furent pas abordées et nécessiteraient chacune une
nouvelle étude pour éclairer à nouveau le sujet.
La première récurrence fut que le statut de la musique s'est souvent discuté par rapport à la
parole. Prima la musica ? Prima la parole ? 243 La question est peut-être rhétorique supposant que le
théâtre est véritablement le lieu de cette dichotomie. Malgré tout, le théâtre fut et est encore appelé
"Art de la parole" et, même si aujourd'hui on le remet en question, sa pratique fut longtemps texto
centrique. Le verbe, donc, peut être facilement opposé à la musique. L'un serait de l'ordre du sens,
de l'explication, de l'intellect, quand l'autre parle aux émotions et aux pulsions 244 . "Que la musique
puisse, à l'heure où l'image règne et le texte, bien qu'affaibli, n'est pas mort, être une issue possible
pour la représentation théâtrale dialogique moderne dans la perspective d'un renouvellement ou
d'une sortie de l'esthétique post dramatique. La musique serait alors pensée comme le moyen idéal
de résistance, sur les scènes aujourd'hui, tant au retour du texto-centrisme qu'à la tyrannie de
l'image" 245 . Moyen de résistance ? Peut-être. Mais les fonctions des composantes de la scène ne
sont pas exclusives. Les notes peuvent être aussi explicatives que les mots et, une mélodie
(l'Histoire l'a démontré) peut aussi exercer sa tyrannie.
La deuxième récurrence est l'influence du cinéma sur l'utilisation de la musique au théâtre.
Des metteurs en scène comme Claude Schmitz et Anne-Cécile Vandalem reconnaissent s'en inspirer
énormément, notamment au point de vue musical. L'analyse de la musique au cinéma est l'objet de
nombreux ouvrages. Pour n'en citer que deux, Musique de cinéma de Hans Eisler et d'Adorno et,
plus récemment, La musique au cinéma de Michel Chion sont des points de départs intéressants
pour entamer une recherche.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
243 LOUVAT Bénédicte, Théâtre et musique, op. cit., pg 1
244 "C'est qu'on a habitués depuis quatre cent ans, c'est-à-dire depuis la Renaissance, à un théâtre purement descriptif
et qui raconte, qui raconte de la psychologie […] Cette idée d'art détaché, de poésie-charme et qui n'existe que pour
charmer les loisirs, est une idée de décadence et elle démontre notre puissance de castration" ARTAUD Antonin,
Op.cit., pg 119
245 PLANA Muriel, op.cit., pg 21
+*%!

tombé.
HORS DES VIOLONS
!
Sortir les violons, une dernière définition...
Le 9 novembre 1989 à Bruxelles, j'ai onze mois. Le 9 novembre 1989 à Berlin, le mur est
Je suis censée donc n'en avoir aucun souvenir. Pourtant, de toutes les histoires qu'on a pu me
raconter pour me faire comprendre, me faire sentir ce que cela pouvait représenter, une seule m'en a
donnée l'impression. Et si je devais définir enfin, ce que devrait vouloir dire [sortir les violons];
c'est cette histoire que je raconterais.
246 Nous sommes le 9 novembre 1989. Cris de joie, des bruits de coup de marteau, des larmes,
le ciment qui s'effrite et un concerto de Bach.
D'une impulsion, un vieil homme a pris son violoncelle et devant un public improvisé, d'est en
ouest, d'âges et de milieux différents, joue de la musique.
Le silence ne se fait pas entièrement, la représentation est loin du concert guindé, de
spectateurs admiratifs. La musique ne cherche pas à être belle. Elle ne vole pas le moment d'un de
ses effets, elle est partagée.
Car l'instant est à la proximité, au rassemblement, à la joie. Rostropovitch, ce grand
musicien, n'est là pour être grand, bien qu'il se fait acteur d'une scène qui deviendra historique.
Il n'est là que pour offrir Bach aux cris et aux larmes, comme il le peut. La musique s'arrête,
enfin… Sourires. Un jeune homme lui tend une pièce de monnaie. Le violoncelliste incline la tête
doucement :"C'est le plus beau salaire que j'ai gagné de ma vie, car il vient du cœur" 247 .
A mon sens, cette histoire symbolise un instant d'une merveilleuse justesse où une
représentation, au fond aussi très théâtrale, et la musique se rejoignent dans une envie spontanée
d'interagir avec le vivant dans ce qui l'entoure.
La musique ne cherche plus ni à embellir, ni à éblouir.
!
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246 Photo en couverture
247 !ROSTROPOVITCH Mitslav!
+*"!

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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
+*&!

A Annette Sachs,
HORS DES VIOLONS
!
REMERCIEMENTS
pour notre collaboration et son cours de première année qui a inspiré ce mémoire,
Merci aux différents professionnels qui ont accepté de partager leurs expériences et points de
vue,
Daphné D'heur, Sabine Durand, Iannis Héaulme, Xavier Lukomski, Armel Roussel, Claude
Schmitz, Virginie Strub, Olivier Thomas, Anne-Cécile Vandalem, Ingrid von Wantoch
Rekowski.
A l'ensemble du corps professoral,
Aux différents lecteurs
Alessandro de Pascale, Jean-Noël Boisse, Clément Longueville, Ève Gilmet, Charlotte
Bourlard, William Moens, Liliane Tenenbaum.
Merci à Marianne Marichal de la bibliothèque de la Bellone pour sa bienveillance,
Merci à la Médiathèque et son pass Curioso...
+*'!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
+*(!

HORS DES VIOLONS
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ANNEXES
+*)!

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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
++*!

HORS DES VIOLONS
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ANNEXE 1 : PARTITION LES POISSONS ROUGES
La logique de la partition inclut le rapport au temps, à la respiration, au corps, à l'action, à la
pensée et à la musique de la parole de l'acteur.
L'entièreté du texte est organisée comme une variation sur un thème imposé. Virginie Strub
en a extrait les ouvertures notées [---démarr], des thèmes [---A, ---B, ...] et sous-thèmes [---A',---
B'...]. Comme en musique, les thèmes se déclinent en enchaînements, développements et
conclusions.
Le rapport au temps se décline avec un • [équivalent d'un temps], la pause [10 temps], la # [3
temps], le suspens [l'acteur retient sa respiration, noté ' ] et le « à la ligne » qui provoque une reprise
de la respiration à chaque fois.
La parole se décompose comme une phrase musicale. Cette dernière ne commence que
lorsque le premier mot de la ligne débute par une [majuscule]. Une phrase musicale correspondant à
un mouvement de pensée. Tant qu'il n'y a pas de nouvelle majuscule, toutes les répliques restent
donc sur la même ligne de pensée et tout les acteurs respirent ensemble, même ceux qui ne parlent
pas concrètement (au niveau sonore). La ponctuation de base utilisée par l'auteur indique une
+++!

VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
!
intention ou une texture mais n'influence pas le rythme et la dynamique. L'italique implique que
l'acteur adresse la parole vers ses partenaires – sans néanmoins les regarder - tandis qu'elle est
projetée vers le public quand le texte est en capitales. Certains petits mots en italique tels que
« donc », « oui », « c'est ça » ont une valeur de « à soi ».
Les différences d'alignements des répliques – ici « quel tableau? » et « Le tableau du
bonheur » - complètent les indications de respirations collectives. Les passages décalés
représentent des digressions créant des lignes de discours parallèles. Les acteurs d'une ligne
respirent ensemble selon un rythme, ceux de l'autre, un autre. Les respirations sont désynchronisées
et ne doivent pas se contaminer jusqu'à ce que tous les acteurs reviennent sur la même ligne.
La musicalité des mots est représentée par des accents et des []. Une fois qu'un acteur a lancé
sur un mot ou un groupe de mots une inflexion, tout les autres doivent reproduire la même musique.
Le mot a valeur de note et le groupe syntaxique, d'accord musical. De manière générale donc, une
phrase musicale sera composé d'accords, composés eux-mêmes de notes, invariablement les mêmes.
La partition corporelle se compose sur trois niveaux :
! le IN/ OUT : indique si le comédien suit la construction de pensée en « accrochant » son
regard au lointain avec les autres personnages (IN) ou se trouve dans une action (OUT)
! le Figé/Dissocié : ces notions ne peuvent exister que lorsque le comédien est en IN. le figé
implique que les yeux sont fixes au lointain et que le tronc ne suit que les mouvements de
construction ci-dessous. Le dissocié annonce que le corps du comédien est divisé en deux. La tête
est dans la parole (IN) et le reste du corps se trouve dans l'action (OUT).
! les mouvements de construction déclinés selon les symboles suivants :
[+] = le comédien souligne une avancée dans la phrase musicale par un mouvement du
tronc vers l'avant
[repeat] = stagnation, le comédien reproduit le même mouvement du corps qui a
accompagné l'avancée musicale précédente
[

HORS DES VIOLONS
!
ANNEXE 2 : EXTRAIT DE PARTITION DE COMÉDIENNE
- Partition des Amantes de la comédienne Mathilde Lefèvre -
Les temps correspondent aux temps du premier mouvement Allegro du quatuor de Franz
Schubert
« La jeune fille et la mort » dans une version du Quatuor Talich
++$!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
It was night, it was fall, when he left
Left his wife, left it all, no regret
He was gone
A letter on the desk
The man who was her own
Would never be back
Slowly, she returned to her bedroom
She didn’t cry
She never cried
She undressed and went to bed
She was tired, she wasn’t sad
ANNEXE 3 : LA DÉMEMBRÉE – ANNE-CÉCILE VANDALEM
In the mid of the night, she got up
A scent she knew made her alert
She could sense it in her hair
A bitter sweet scent in her hair
The one of her man, gone earlier
She took a bath, the scent was still on her
So with one hand, one hand only
She cut her hair and went back to sleep. Lonely
He was gone
A letter on the desk
The man who was her own
Would never be back
But in the mid of the night she woke up once more
Stressed by the scent she had felt before
She could sense it on her feet
And tried to wash it out quick
But she scrubbed and scrubbed again
The bitter sweet scent remained
So with one hand, one hand only
She cut her feet and went back to sleep. Lonely
He was gone
A letter on the desk
The man who was her own
Would never be back
But in the mid of the night she woke up once more
The scent she knew bothered her more
She could sense it on her thighs
The bitter sweet scent. She grabbed the knife
And with one hand, one hand only
She cut her legs, her thighs, her knees
He was gone
A letter on the desk
The man who was her own
Would never be back
And so went the night
Going and coming back
And so went the fight
Between the woman and the scent
But she cut and cut again
With one hand, one hand only
The bitter scent would still remain
And so would the memories
He was gone
A letter on the desk
The man who was her own
Would never be back
She woke up the next morning
And couldn’t sense anything
Gone was the scent of her beloved
She opened her eyes and raised her head
But all she saw was a bright light
Had she won or lost the fight?
++%!

INTRODUCTION
Avez-vous une formation musicale ?
PARTIE I : STATUT
HORS DES VIOLONS
!
ANNEXE 4 : CANEVAS DE QUESTIONS
1 | Quand vous utilisez de la musique diffusée ou jouée en live, comment choisissez-vous ?
Quels critères interviennent dans le choix de celle-ci ?
2 | Cherchez-vous un décalage ? De quel ordre est-il ? Que cherchez-vous à obtenir avec celui-ci ?
3 | Y a-t-il une architecture semblable chez vous dans le choix de la musique ?
| Dans un spectacle, cherchez-vous une cohérence d'ensemble musical ? (ex. : Unité de genre musical,
ou même d'un même morceau ou compositeur)
4 | A votre avis, toutes les musiques peuvent elles fonctionner sur scène ?
|Y a-t-il un genre musical que vous utilisez plus volontiers ? Y a-t-il des musiques, des genres
musicaux que vous excluez ?
| La musique avec paroles ? En utilisez-vous ? Concordance du sens ? Interférence avec le sens du
texte ?
5 | Avez-vous déjà utilisé de la musique originale pour un de vos spectacles ? Comment s'est passée
la création ? De quel ordre sont les compromis quand la musique est créée simultanément au travail
plateau ?
6| Dans votre façon particulière d'approcher la chose, avez-vous une méthode pour aborder la partie
musicale de vos spectacles ?À quel moment celle-ci intervient-elle dans le processus ? Est-ce que
vous prévoyez déjà les musiques en amont, préalablement aux répétitions ? Comment les préparezvous
? Définissez-vous les moments ? La quantité ? Entre la scénographie, la lumière, le texte, le
son, les costumes, la musique, comment départager les priorités ?
| Quel équilibre est à maintenir au point de vue de la présence de la musique ?
| Une fois un choix arrêté, vous laissez-vous, après un temps d'essai sur plateau, une nouvelle phase
où vous rechoisissez ?
7 | Est-ce les propositions des acteurs entrent en ligne de compte dans le choix de la musique ? Et
pourquoi ? Est-ce que les acteurs formulent un besoin de musique ?
8 | En tant que metteur en scène, quels changements/comportements avez-vous observé chez les
acteurs dès l'introduction de la musique au jeu ? Que met la musique en branle dans le corps de
l'acteur ?
9 | Et une fois que la musique rentre en jeu sur le plateau, sentez-vous votre émotion changer ?
Vous laissez-vous prendre ? Est-ce que vous y voyez un risque ? Comme un manque de recul dans
l'analyse de ce que vous faites ? Avez-vous déjà observé les changements qu'elle provoque dans la
perception des spectateurs ?
10| Pourriez- vous imaginer un spectacle sans musique ? Quelles conséquences ce choix pourrait-il
engendrer ?
! 115!

!
PARTIE II : Souvenirs
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
| Avez-vous déjà vécu un spectacle, en tant que spectateur, où vous sentiez votre émotion orientée,
influencée, imposée ? L'avez-vous accepté ou rejeté ?
| En tant que spectateur, avez-vous vécu un spectacle qui sans la musique ne vous aurait pas
marqué ?
Avez-vous un souvenir musical marquant ?
| Avez-vous déjà ressenti en tant que spectateur une surabondance de la musique dans un spectacle
? Qu'en avez-vous pensé ?
| Comment parleriez-vous de l'aspect émotionnel de la musique ?
| Que signifie pour vous « sortir les violons » ?
++&!

Daphné D'heur :
HORS DES VIOLONS
!
ANNEXE 5 : INTERVENANTS
Daphné D’heur est née à Bruxelles en Décembre 1977. Formée à l'INSAS, en interprétation
dramatique, sa recherche artistique interroge la musicalité du théâtre et la théâtralité de la musique
et c’est ainsi qu’on la retrouve dans des spectacles qui allient ces deux média artistiques. Comme
comédienne, on l'a vue régulièrement dans les mises en scène de Michel Dezoteux (Un noir, une
blanche, Richard III, L’Avare,…) mais elle collabore aussi avec Charlie Degotte (Youpi), Cali
Kroonen (Divertissements touristiques), Dominique Serron (Une Terrible envie), ou encore Régis
Duqué et Guillaume Istace (Modèles Vivants).
Très vite, elle compose ses premières musiques de scène pour les créations intimistes et poétiques
d’Annette Brodkom, L’Amant de Duras, L’enfant de mer de J. Supervielle ; viendront ensuite les
compositions pour des spectacles tels que Richard III, le Babel de R. Benbouchta, Révolutions de S.
Cotton, Incendies et Littoral de W. Mouawad, ou encore L’Oiseau Bleu de Maeterlinck.
Elle poursuit également une carrière de chanteuse qui l’a amené à rendre hommage à Léo Ferré en
compagnie de Jean-Luc Fafchamps.
Elle a remporté le premier prix de la biennale de la chanson Française, ainsi que celui du public
avec ses propres compositions.
Depuis quelques années, elle se consacre également à l’enseignement du chant et de l'art dramatique
au Conservatoire de Bruxelles.
(centre-des-arts-scéniques)
Sabine Durand :
Après des études de littérature en France, Sabine Durand se forme à l'INSAS (Institut Supérieur des
Arts du Spectacle) à Bruxelles. Elle sort diplômée en 2002 de la section mise en scène. Avec sa
compagnie SIX-65 elle travaille sur des œuvres-phare de l'histoire du théâtre sur lesquelles elle
intervient en en re-scénarisant certains éléments tout en restant très près de l'auteur qu'elle traite :
Affabulazione de Pier Paolo Pasolini en 2004 ; Cid d'après Corneille en 2006 (Prix du Jury du
festival Emulation, Liège 2006) ; D'Oedipe d'après Sophocle en 2009. Parallèlement, depuis 2002,
elle collabore au théâtre d'objet d'Agnès Limbos comme metteure en scène et/ou co-auteure :
Dégage, Petit! (2002) ; Ô! (2006) ; Troubles (2007). Sabine Durand est également dramaturge aux
côtés de Claude Schmitz : Red M.U.D.H. II (2004) ; Amérika (2006) et de Martine Wijckaert : Ce
qui est en train de se dire (2002) ; Table des matières (2005) ; Le territoire (2008) ; WIJ, un
interlude (2010). Depuis 2007, Sabine Durand dirige des séminaires de jeu au Conservatoire de
Liège (2007), à l'INSAS depuis 2008. (www.balsamine.be)
Xavier Lukomski :
Comédien, formé à l’Institut Supérieur des Arts du Spectacle (INSAS), il a travaillé notamment
avec Philippe Sireuil et Michel Dezoteux au Théâtre Varia de Bruxelles et avec les « jeunes
compagnies » de Layla Nabulsi et de Christine Delmotte. Mais c'est principalement en tant que
metteur en scène qu'il continuera son travail. En 1984, il crée la compagnie "Le Théâtre des 2
Eaux". Parmi ses dernières créations figurent La Mouette de Tchekhov (2005), Les Hommes quand
même titre provisoire (2007) Tokyo Notes de Oriza Hirata (2008), Planète de Evguéni Grichkovets
(2008). Xavier Lukomski a dirigé les Tanneurs à Bruxelles de juillet 2005 à janvier 2010. Il
travaille en ce moment à sa nouvelle mise en scène ; La Forêt de Alexandre Ostrovski sera
présentée au Théâtre Le Public en mars et avril 2012. www.theatredes2eaux.com/
! 117!

!
VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Armel Roussel :
Armel Roussel est né à Paris en 1971. Après un cursus de secondaires en audiovisuel, il poursuit ses
études à l'Insas en section "Mise en scène théâtre".
Il est assistant de Michel Dezoteux sur une dizaine de spectacles entre 1992 et 1998.
Artiste polymorphe, il crée des vidéos pour le théâtre, écrit deux pièces, signe trois scénographies,
réalise des performances et participe comme acteur à plusieurs pièces et films. Il fonde la
Compagnie Utopia en 1993, rebaptisée Utopia 2 en 2002 et [e]utopia3 en 2010.
Il met en scène Roberto Zucco en 1996, Les Européens en 1998, enterrer les Morts/réparer les
Vivants en 2000, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier en 2002, Hamlet (version
athée) en 2004, Pop ? en 2005, And Björk of course… en 2006, Fucking Boy en janvier 2007. Il
crée Si demain vous déplaît... en 2009. Il dirige et met en espace un happening textuel, Nothing
hurts, en 2010. Sa dernière création, Ivanov/ReMix est en tournée en 2011-2012.
Par ailleurs, il dirige de nombreux ateliers de formation en France, en Belgique et en Suisse. Il est
professeur principal en interprétation dramatique à l'Institut National Supérieur des Arts et du
Spectacle (Insas) depuis 2000.
http://www.utopia2.be/welcome/index.php
Claude Schmitz :
Claude Schmitz est un auteur et metteur en scène belge né en 1979, collaborateur régulier du
compositeur Thomas Turine, Sabine Durand et Arié Mandelbaum.
Diplômé de l'Insas, il vit et travaille à Bruxelles. Depuis 2001, il oriente son travail de théâtre vers
des spectacles de création dont il devient progressivement l’auteur et le metteur en scène. Il crée
successivement Red M.u.d.h I (2003), Red M.u.d.h II (2004) avec Arié Mandelbaum, Julien
Bruneau et Boris Lehman. En 2006, il écrit et met en scène Amerika. Ce spectacle est créé en
Grande Halle aux Halles de Schaerbeek, dans le cadre du festival Les Giboulées. Suite à Amerika,
Claude Schmitz entame, en 2007, l’écriture de The Inner Worlds, diptyque créé en mai 2008 dans le
cadre du KunstenFESTIVALdesArts. En 2010, dans la cadre de la tétralogie Tovarich, il met en
scène Mary Mother of Frankenstein, spectacle sur la vie et l'œuvre de Marie Shelley. Ce projet est
créé en collaboration avec le Groupov. Pour la saison 2011-2012, il sera au Théâtre de La
Balsamine avec son Salon des refusés, petit théâtre dans le grand théâtre qui proposera une
programmation parallèle, en plusieurs épisodes.
http://www.balsamine.be/index.php/ArtistesAssocies/ClaudeSchmitz!&AB4C4DEF4.G
Virginie Strub :
En 2003, après avoir obtenu son diplôme de mise en scène de l'INSAS à 22 ans, elle prend en
charge un atelier pour jeunes comédiens professionnels sur Hermès dans la ville de Lothar Trolle
(présentations publiques au théâtre Varia, à Bruxelles). En tant qu'éclairagiste, elle prend la
direction technique et fait la création lumière de CID, mise en scène de Sabine Durand à
l'Epongerie, Bruxelles (reprise au festival Emulations, Liège), ainsi qu'une nouvelle création
lumière pour la reprise de Tennis party de Laure Bourgknecht, à Dunkerke. Egalement plasticienne,
elle crée notamment des sculptures monumentales en métal et bois pour le festival Couleur Café
(Bruxelles) depuis 2004, ainsi que des installations en collaboration avec Christophe Wullus,
notamment pour l'exposition KUBE de l'asbl Zinneke et le Symposium de sculpture en milieu
naturel de Silly (2007).
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HORS DES VIOLONS
L'adaptation pour le théâtre de Les Amantes d'Elfriede Jelinek est créée au Théâtre Océan Nord, à
Bruxelles, en 2005, repris en 2006 et 2007. En Janvier 2011, elle crée son second spectacle Les
poissons rouges, à partir de trois textes de Martin Crimp et Prédictions de Peter Handke au Théâtre
Océan Nord. www.kirsh.com
Olivier Thomas : Diplômé de l'IAD en Théâtre, Olivier est comédien, musicien et compositeur
pour la scène. Il a fondé avec Catherine Delaunay le collectif musical Tomassenko.
Sur scène, il allie les pratiques du théâtre et de la musique, que ce soit sur ses propres projets (Le
jour de l'envol) ou ceux d'autres metteurs en scène (L'un et l'autre/Véronique Dumont).
Au cinéma, Il a crée la musique du générique du film " Thomas est amoureux "
www.tomassenko.com
Anne-Cécile Vandalem :
Anne-Cécile Vandalem a travaillé, en tant que comédienne, auprès de metteur en scènes tels que
Charlie Degotte (La revue Panique, Le couronnement de Poppée, &Dieu !), Isabelle Gyselinx (Les
contes urbains), Dominique Roodthooft (L’opéra Bègue - SMATCH), et le collectif
Transquinquennal (Harry).
En 2003, elle crée la compagnie Résidence Catherine qui deviendra ensuite Das Fräulein
(Kompanie) au sein de laquelle elle écrit, met en scène et joue les spectacles Zaï Zaï Zaï
Zaï , Hansel et Gretel et la trilogie des Parenthèses."
(Self) service, premier spectacle de la trilogie écrit en solo, a été repris dans le courant de la saison
2009-2010 en Belgique et en France, pour une vingtaine de dates. Il a également été nominé
comme Meilleure création artistique et technique, aux prix de la critique 2009. Brigitte Dedry y a,
par ailleurs, reçu le prix d’interprétation pour son rôle dans (Self) service.
Le deuxième volet Habit(u)ations, présenté dans le cadre du Kunstenfestival 2011, est une
coproduction du Théâtre de la Place et du Théâtre National.
Ingrid von Wantoch Rekowski :
De nationalité franco-allemande, Ingrid von Wantoch Rekowski est née en 1967. Elle étudie
d’abord le piano, la danse et la peinture aux Etats-Unis avant d’aborder la mise en scène à l’INSAS.
Ses appétits et compétences multiples façonnent un langage inédit mêlant les codes des différentes
disciplines étudiées. Elle crée ainsi des spectacles insolites, développe une théâtralité polyphonique
et pluridisciplinaire qui s’étend aux champs de l’opéra, de la performance ou de la vidéo. Théâtre
musical et foisonnement baroque, formes théâtrales plus hybrides, poétiques et décalées, voilà son
terrain de recherche ; l’interrogation de l’humain, de ses désirs et sentiments désaccordés, son
champ de bataille. Elle dirige également de nombreux ateliers pour interprètes en formation. Elle
fonde sa compagnie Lucilia Caesar en 1994 à Bruxelles.s http://www.luciliacaesar.be/
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
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HORS DES VIOLONS
LEXIQUE
Accords classés : un accord désigne une combinaison d'au moins trois notes simultanées formant
un tout ; s'il est réductible à une superposition de tierces, il est dit « classé »
Boucle : (ou looping) technique de la musique électronique, motif musical qui se reproduit en
boucle.
Cadence : une cadence est au départ une formule mélodique et harmonique ayant pour fonction de
ponctuer (conclure, ou provoquer un enchaînement) un morceau, ou tout au moins, une phrase
musicale. (wikipédia)
Cantate : composition musicale à une ou plusieurs voix avec accompagnement musical.
(Dictionnaire Larousse 2008) Elle porte généralement sur un thème qui peut être profane ou sacré,
mais à la différence de l'opéra, elle ne comporte aucun aspect théâtral. C'est à l'époque baroque que
la cantate a véritablement pris son essor et qu'elle s'est imposée comme un genre majeur.
(wikipédia)
Demi-ton diatonique : demi-ton diatonique sépare 2 notes d'un nom différent ex: DO#-Ré
(wikipédia)
Echelle diatonique : Une échelle diatonique est une échelle musicale heptatonique (dont la gamme
contient 7degrés), composée de 5 tons et 2 demi-tons. Les deux demi-tons sont toujours séparés par
2 ou 3 tons. Ce type d'échelle est à la base de la musique occidentale. (wikipédia)
L'aulos : instrument à vent de la Grèce antique traduit en général par « flûte » mais plus proche du
hautbois joué par l'aulète. (wikipédia)
Madrigal : est une forme ancienne de musique vocale qui s'est développée au cours de
la Renaissance et au début de la période baroque. (wikipédia)
Miserere : Psaume de la pénitence par lequel les fidèles implorent la pitié de Dieu (Larousse 2008)
Le Miserere d'Allegri est une oeuvre musicale chantée a capella. Neuf voix la chantent en deux
formations de cinq et quatre voix. Le Miserere devient légendaire au XVIIe, dès sa première
interprétation, un vendredi saint dans la chapelle Sixtine. A l'occasion de cette exécution, les
meilleurs chanteurs de la chapelle pontificale furent appelés pour l'interpréter, la difficulté résidant
dans ses notes si aiguës. Cette composition est le leg d'une formation musicale que seule Rome
connaît à l'époque et fut longtemps gardée par le Vatican. La légende du mystérieux Miserere
d'Allegri en est née.
(http://lestroarmonico.unblog.fr/2008/03/21/le-miserere-de-gregorio-allegri/). Blog dédié aux
passerelles entre la photographie, la musique et la peinture.
Monodie : La monodie désigne une musique à l'unisson dans un premier cas. Dans un deuxième,
elle qualifie un procédé d'écriture musicale où une voix ou groupe de voix chante à l'unisson la
mélodie principale et une voix ou un groupe de voix chante l'accompagnement simultanément. Ici,
elle a le sens de « chanté à l'unisson ».(wikipédia)
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
Nappage : Les nappes, en musique électronique, désignent les sons longs aux rythmes peu marqués
qui servent à souligner des notes ou des accords. Elles peuvent être produites par les synthétiseurs
d'ondes, ou tout instrument appelant des ensembles de cordes («String» en anglais). (wikipédia)
Quinte : En musique, une quinte désigne l'intervalle entre cinq degrés de l'échelle diatonique.
Lorsqu'on parle de « quinte » sans davantage de précision, le mot renvoie alors à la quinte juste,
dont l'étendue exacte est de trois tons et un demi-ton diatonique. (wikipédia)
Réverbération : Effet sonore visant à reproduire l'ambiance d'un lieu et à donner une certaine
présence au son. La réverbération est créée à partir de réflexions (ou échos). Elle peut être
« naturelle » en utilisant des matériaux divers (panneaux d'isolation, boîtes d'oeufs...) afin de
profiter de la réverbération d'un milieu voir l'amplifier. Elle peut aussi s'appliquer électroniquement
ou numériquement. (wikipédia)
Saint-simonisme : doctrine socio-économique et politique du XIXème, elle tient son nom du comte
français dit de Saint-Simon. Ce dernier préconise une société fraternelle fondée sur l'égalité et
l'association des hommes. Il donne le pouvoir spirituel aux scientifiques, dont les industriels sont
garants. Au point de vue politique, les pays seraient gérés comme une entreprise dans laquelle
chaque dirigeant, industriel, cultivateur aurait son mot à dire. Il souhaite que la société devienne un
grand atelier où chaque classe a un rôle utile. Le saint-simonisme bien que déterminant
idéologiquement au XIXème, fut généralement considéré comme une secte. (wikipédia)
Sample : Un échantillon (sample, en anglais) est un extrait de musique ou un son réutilisé dans une
nouvelle composition musicale, souvent joué en boucle. L'extrait original peut être une note, un
motif musical ou sonore quelconque. Il peut être original ou réutilisé en dehors de son contexte
d'origine. L'échantillonnage (sampling en anglais) peut être réalisé avec
un échantillonneur (sampler en anglais), qui peut être un équipement électronique ou un programme
informatique sur un ordinateur. (wikipédia)
SCHAEFFER Pierre : Compositeur, ingénieur et théoricien français, il est considéré comme le
fondateur de la musique concrète. (wikipédia)
Thérémine : le thérémine est un des plus anciens instruments de musique électronique, inventé
en 1919 par le Russe Lev Sergeïevitch Termen (connu sous le nom de Léon Theremine). Composé
d’un boîtier électronique équipé de deux antennes, le thérémine a la particularité de produire de la
musique sans être touché par l’instrumentiste. Dans sa version la plus répandue, on commande la
hauteur de la note de la main droite, en faisant varier sa distance par rapport à l’antenne verticale.
L’antenne horizontale, en forme de boucle, est utilisée pour faire varier le volume selon sa distance
par rapport à la main gauche. Le son est produit à partir d'un signal électrique généré par
un oscillateur hétérodyne à tubes électroniques. L’effet de capacitance apporté par le corps de
l’instrumentiste, à proximité des antennes, affecte la fréquence produite, tout comme une personne
se déplaçant dans une pièce peut altérer la qualité d’une réception de radio ou de télévision. Le
thérémine, disposant d’un seul oscillateur, est un instrument monophonique. Son timbre, que l’on
ne peut modifier, s’apparente de loin à celui de la voix humaine ou à celui de la scie musicale.
(wikipédia)
TOSCANINI, Arturo : (1867-1957) chef d'orchestre italien célèbre considéré par ses
contemporains comme l'un des plus grands chefs d'orchestre de son époque. Il connut de son vivant
un succès immense et travailla sur les chefs d'oeuvres de Verdi, Wagner, Schubert, Beethoven,
Stravinski, Brahms.
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HORS DES VIOLONS
Thymélé : autel de sacrifice particulièrement connu dans la Grèce antique, dédié à Dionysos, et qui
occupait la place centrale de l'orchestre du théâtre antique. (wikipédia)
Triton : intervalle dissonant de quarte ou de quinte formé de trois tons, en musique (dictionnaire)
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
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Blue volkswagen – Dead man Ray - single
Bouba le petit ourson – Chantal Goya
-MULTIMEDIA & DISCOGRAPHIE-
Cello concerto Benjamin Britten – album interprété par Mitslav Rostropovitch
Emotion 98.6 – Mylo - single
France Culture – Arnaud Fleurent-Didier – La reproduction, album, 2009
French Suites - Jean-Sébastien Bach par Glenn Gould
Hitler has only got one ball – Chanson populaire
La danse des Komnous -Tomassenko - album
La flûte enchantée – Wolfgang Amadeus Mozart – album Berliner Philarmoniek
La jeune fille et la mort – Franz Schubert – album Quatuor Talich
Les Vêpres (Vespro a voce sola) – Claudio Monteverdi – Chant : Carlos Mena, Album
Mahagonny Songspiel – Kurt Weill - album
Males choruses– Franz Schubert - album
MARTHALER Christoph, L'heure Zéro, Hambourg : Schauspielhaus, VHS, 1995
Messe en si – Jean-Sébastien Bach - album
Miserere – Giorgio Allegri
Rêves secrets d'un prince et d'une princesse- Michel Legrand
SCHMITZ Claude, The inner worlds, Halles de Schaerbeek, WBTD Production, DVD 2008
Surrogate cities - Heiner Goebbels, album, 1993
Symphonie n°5, Mort à Venise, Adagietto – Gustav Malher, 1901
The lemon of pink – The books - single
The power of love – Jennifer Rush, single, 1985
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VERS UNE RÉFLEXION SUR L'UTILISATION DE LA MUSIQUE DANS LA MISE EN SCÈNE
The Ride of Valkyries– Richard Wagner -album
Where is my mind – Pixies - album
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