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DANS TOUS SES ÉTATS - Orchestre Philharmonique Royal de Liège

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CHOPIN SONATE N° 2 (1837-1839)<br />

SCHuMANN<br />

ÉTUDES SYmPhONiQUES (1834-1835)<br />

4 ENFANTS FOuS. On a souvent insisté et <strong>de</strong> générer une disparité formelle.<br />

sur le caractère « non orthodoxe » <strong>de</strong> cette Est-elle si gran<strong>de</strong> cependant ? Chopin<br />

sonate. Liszt suggérait que la construction prend soin d’écrire quatre mouvements<br />

formelle n’était pas le< fort <strong>de</strong> son collègue : dans le mo<strong>de</strong> mineur pour les sou<strong>de</strong>r<br />

« Nous croyons qu’il a violenté son génie ensemble, et son premier mouvement<br />

chaque fois qu’il a cherché à l’astreindre aux Grave – Agitato est d’une remarquable<br />

règles, aux classifications, à une ordonnance rigueur : pas <strong>de</strong> transition entre le premier<br />

qui n’était pas la sienne ». Et Schumann, le<br />

plus illustre commentateur <strong>de</strong> cette œuvre,<br />

pour qui la sonate — le grand fétiche <strong>de</strong><br />

la musique alleman<strong>de</strong> — représentait une<br />

forme supérieure, écrit à son tour : « S’il<br />

a appelé cela sonate, on dira que c’est par<br />

caprice, ou par un défi, puisqu’il a mis<br />

sous ce joug précisément quatre <strong>de</strong> ses<br />

enfants les plus fous ». Qu’on imagine, dit<br />

Schumann, un vieux cantor <strong>de</strong> province<br />

qui viendrait faire ses emplettes en ville et<br />

achèterait la partition sur la foi du titre : à<br />

la maison, déchiffrant la marchandise, il n’y<br />

trouverait qu’un style « impie » !<br />

4 MOuVEMENTS. Schumann admire<br />

Chopin parce qu’il « n’écrit rien <strong>de</strong> ce<br />

qu’on pourrait trouver chez d’autres »,<br />

mais signale aussi certaines dissonances<br />

et modulations (changements <strong>de</strong> tonalité)<br />

qui risquent <strong>de</strong> lui « aliéner le public »<br />

thème — les étranges halètements du<br />

début — et le second, la mélodie apaisante,<br />

suivie d’une brève conclusion fougueuse.<br />

Le développement suit exactement le<br />

moule défini à la fin du XVIII<br />

16 17<br />

e siècle —<br />

dissections du thème puis modulations<br />

colorées — et la réexposition s’épargne<br />

une reprise scolaire du thème principal :<br />

tout est d’une concision mozartienne.<br />

Le Scherzo, maîtrisé et ramassé, conçu<br />

pour s’insérer dans la courbe générale <strong>de</strong><br />

la sonate, n’est pas « fou » du tout ; seul<br />

le trio s’oublie un peu, avec un type <strong>de</strong><br />

mélodies, dit Schumann, où la « saveur<br />

polonaise disparaît et où Chopin, en se<br />

penchant par-<strong>de</strong>ssus l’Allemagne, se<br />

tourne vers l’Italie ». L’insertion <strong>de</strong> la<br />

Marche funèbre (écrite en 1837) s’autorise<br />

du modèle beethovénien : dans cette page<br />

ressassée on peut écouter comment les<br />

accords à la main gauche alternent selon<br />

un intervalle resserré (la tierce), comme si<br />

les jambes n’avançaient qu’à contrecœur,<br />

et l’extrême dépouillement du nocturne<br />

central, presque blanc, sans ornement<br />

aucun. Dans le Finale (Presto), écrit Chopin,<br />

« la main gauche babille à l’unisson avec la<br />

main droite ». D’où l’indication sotto voce (à<br />

mi-voix) : les tourbillons <strong>de</strong> notes rauques<br />

produisent une musique du corps étranglé.<br />

En imaginant déjà ce qu’on nommera au<br />

XXe Piano Pleyel <strong>de</strong> 1839,<br />

ayant appartenu à Chopin.<br />

siècle une texture, Chopin ouvre un<br />

champ d’interprétations multiples — du<br />

vent sur les tombes jusqu’à la crampe<br />

qui tord le corps <strong>de</strong> douleur — seule<br />

manière <strong>de</strong> prolonger la marche funèbre<br />

sans verser dans une transfiguration <strong>de</strong><br />

comman<strong>de</strong>.<br />

LE THèME EST LA GRAINE. Ces Étu<strong>de</strong>s<br />

symphoniques se présentent sous forme<br />

<strong>de</strong> 12 variations auxquelles l'interprète est<br />

libre d'ajouter 5 variations posthumes, en<br />

les intercalant ou en les groupant à la fin.<br />

Dans la secon<strong>de</strong> moitié du XVIIIe inattendues : c’est ce que Beethoven<br />

réalise avec brio dans les Variations Diabelli<br />

qui, avec les Variations Goldberg <strong>de</strong> Bach,<br />

sont le modèle que Robert Schumann<br />

(1810-1856) veut émuler.<br />

siècle,<br />

la variation était la forme <strong>de</strong>stinée aux<br />

amateurs. Dès que l’on passe à <strong>de</strong>s formes<br />

complexes, dira Friedrich Rochlitz, fervent<br />

défenseur <strong>de</strong> Beethoven, le compositeur<br />

« présuppose un auditoire qui ne mette<br />

pas au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout une série <strong>de</strong> petites<br />

variations mignonnes, sous prétexte<br />

qu’elles avancent gentiment et qu’à chaque<br />

moment il y en a une qui se termine ».<br />

Cette forme où le compositeur prend<br />

l’auditeur par la main est alors remplacée<br />

par une forme à variations plus savante : on<br />

admire les variations, dit un auteur en 1803,<br />

quand elles « font surgir tout ce qui était<br />

caché dans le thème <strong>de</strong> départ et quand<br />

elles le déploient à travers une multiplicité<br />

charmante ». Le thème n’est donc plus un<br />

objet statique, statue entourée <strong>de</strong> drapés<br />

ou ornée <strong>de</strong> guirlan<strong>de</strong>s, mais une graine<br />

qui sous nos yeux fait éclore <strong>de</strong>s formes<br />

12 VARIATIONS. La partition imprimée en<br />

1837 précisait que « les notes <strong>de</strong> la mélodie<br />

sont <strong>de</strong> la composition d’un amateur » :<br />

il s’agit du baron von Fricken, flûtiste<br />

amateur et père d’une éphémère fiancée du<br />

compositeur. Dans l’esprit <strong>de</strong> Schumann, ce<br />

thème est une « marche funèbre », et tout<br />

ce cycle doit gar<strong>de</strong>r un caractère noble,<br />

orchestral et « pathétique », si bien que<br />

Schumann renonce aux titres pittoresques<br />

et resserre plusieurs fois le nombre <strong>de</strong><br />

variations, pour aboutir à 12.<br />

TRAVAIL INGÉNIEux. Le thème, dit-il<br />

encore, doit être vu comme à travers<br />

différents « verres coloriés ». Mais cette<br />

jolie image, à <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> Fricken,<br />

masque tout un travail ingénieux :<br />

changement surprenant <strong>de</strong> caractère dès la<br />

première variation (souvenir <strong>de</strong> celle qui lui<br />

correspond dans les Diabelli), utilisation du<br />

thème comme basse, imitations et canons<br />

divers entre <strong>de</strong>s fragments thématiques,<br />

alors que parfois, seules les fonctions<br />

harmoniques sont gardées, comme si le<br />

thème était filtré, réduit à un schéma qui<br />

peut recevoir d’autres formes et visages.<br />

L’avant-<strong>de</strong>rnière variation est lente, comme<br />

<strong>de</strong> coutume (mais c’est un canon, posé sur<br />

le bruissement moelleux d’un nocturne)<br />

et la <strong>de</strong>rnière éclatante comme un « chant<br />

<strong>de</strong> triomphe ». Tout comme Bach cite une<br />

chanson populaire à la fin <strong>de</strong>s Goldberg,<br />

Schumann reprend ici <strong>de</strong>ux thèmes d’un<br />

opéra <strong>de</strong> Marschner (Le Templier et la juive,<br />

d’après Walter Scott), clin d’œil à tous les<br />

amateurs à qui les canons échappent.<br />

MARTIN KALTENECKER

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