DANS TOUS SES ÉTATS - Orchestre Philharmonique Royal de Liège
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RAVEL CONCErTO<br />
POUr LA mAiN GAUChE (1929-1930)<br />
non seulement me débrouiller dans cette<br />
forêt <strong>de</strong> pattes <strong>de</strong> mouches mais aussi<br />
tenir mes engagements <strong>de</strong> fin d’année<br />
et paraître dans plusieurs concerts. Or,<br />
Ravel, soit au téléphone soit chez moi,<br />
me harcelait sans arrêt, m’empêchant <strong>de</strong><br />
travailler. »<br />
sans présenter quelques rapports avec<br />
ma Sonate pour violon ; il apporte quelques<br />
éléments empruntés au jazz, mais cela<br />
avec modération. […] ».<br />
MARGuERITE LONG. Atteint par<br />
les premiers signes <strong>de</strong> la maladie qui<br />
l’emportera cinq ans plus tard — une<br />
tumeur au cerveau —, n’arrivant pas<br />
à hisser sa technique au niveau exigé<br />
par la partition, Ravel déci<strong>de</strong>ra <strong>de</strong> se<br />
réserver la direction <strong>de</strong> l’orchestre et <strong>de</strong><br />
confier la partie soliste à Marguerite Long<br />
(1874-1966). Dans son livre posthume<br />
Au piano avec Maurice Ravel (1971), la<br />
INFLuENCE du JAZZ. Ravel luimême<br />
a reconnu l’influence, sur ses<br />
<strong>de</strong>ux concertos, du séjour <strong>de</strong> cinq mois<br />
qu’il fit en Amérique au cours <strong>de</strong> l’année<br />
1928. Les changements incessants <strong>de</strong><br />
dynamique et <strong>de</strong> tempo, les emprunts<br />
au jazz (trompettes avec sourdine), une<br />
certaine désinvolture naturelle teintée<br />
d’humour, sont autant <strong>de</strong> signes traduisant<br />
un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie américain rapi<strong>de</strong>, versatile,<br />
turbulent. À l’opposé du Concerto pour la<br />
main gauche qui emprunte aux concertos<br />
<strong>de</strong> Liszt leur forme rhapsodique continue,<br />
le Concerto en sol adopte la division<br />
traditionnelle en trois mouvements. Un<br />
claquement <strong>de</strong> fouet donne le signal <strong>de</strong><br />
gran<strong>de</strong> pianiste française explique les départ <strong>de</strong> l’Allegramente. Instantanément<br />
circonstances <strong>de</strong> ce revirement : « Ravel s’amorce une course-poursuite entre le<br />
avait toujours pensé exécuter son<br />
piccolo et les arpèges du piano. Le second<br />
Concerto. À maintes reprises, il s’épuisa à mouvement Adagio assai est conçu en<br />
essayer d’accé<strong>de</strong>r au niveau <strong>de</strong> virtuosité écho aux mouvements lents <strong>de</strong> Mozart<br />
indispensable. Les longues heures passées (le Larghetto du Quintette pour clarinette,<br />
à briser ses doigts sur les Étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Chopin mais aussi l’Andante du 21<br />
et <strong>de</strong> Liszt le fatiguèrent beaucoup et<br />
privèrent le génial compositeur d’autant<br />
<strong>de</strong> moments d’inspiration fructueuse.<br />
Même quand il se rendit à l’évi<strong>de</strong>nce, il<br />
voulut encore être le premier interprète<br />
<strong>de</strong> son ouvrage et ce n’est que pressé par<br />
ses amis, Lucien Garban en particulier,<br />
qu’il renonça définitivement à affronter les<br />
difficultés réelles <strong>de</strong> cette exécution […].<br />
On comprendra quelle intense émotion me<br />
saisit lorsque le 11 novembre 1931 Ravel<br />
me téléphona <strong>de</strong> Montfort-l’Amaury pour<br />
m’annoncer sa venue immédiate chez<br />
moi avec son manuscrit. J’étais à peine<br />
remise qu’il entra, me tendant les précieux<br />
feuillets […]. Je réalisai surtout que j’avais<br />
bien peu <strong>de</strong> temps <strong>de</strong>vant moi ; il me fallait<br />
20 21<br />
e Concerto<br />
et l’Adagio du 23e dERNIèRES œuVRES. C’est à la spécificité <strong>de</strong> sa démarche <strong>de</strong> compositeur<br />
fin <strong>de</strong> 1929 que Ravel se lance dans la ne repose-t-elle pas en gran<strong>de</strong> partie sur<br />
composition simultanée <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux cette capacité extraordinaire <strong>de</strong> relever <strong>de</strong>s<br />
concertos pour piano, les <strong>de</strong>ux seules<br />
œuvres d’envergure écrites au cours <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> sa vie : le Concerto<br />
en sol et le Concerto pour la main gauche,<br />
entrepris à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du pianiste<br />
autrichien Paul Wittgenstein (1887-1961)<br />
et créé le 5 janvier <strong>de</strong> la même année<br />
au Grosser Musikvereinssaal <strong>de</strong> Vienne.<br />
Blessé au cours <strong>de</strong> la Première Guerre<br />
mondiale — il a le bras droit arraché sur le<br />
front russe —, Paul Wittgenstein sollicite<br />
<strong>de</strong> nombreux compositeurs <strong>de</strong> son temps<br />
pour élargir le répertoire pour la main<br />
gauche. Richard Strauss, Serge Prokofiev<br />
et Benjamin Britten lui écriront d’autres<br />
œuvres concertantes.<br />
défis ? Que ce soit dans La Valse (1919-<br />
1920), une interprétation toute personnelle<br />
et obsédante <strong>de</strong> la valse viennoise, les<br />
Tableaux d’une exposition <strong>de</strong> Moussorgski,<br />
dont l’orchestration ravélienne transcen<strong>de</strong><br />
l’original, ou encore dans le Boléro (1928),<br />
un immense crescendo basé sur un<br />
seul thème répété inlassablement, le<br />
magicien Ravel réaffirme son goût pour la<br />
gageure surmontée avec malice, l’obstacle<br />
contourné avec délectation.<br />
dEux MAINS ? Génie <strong>de</strong> l’illusion, Ravel<br />
prit le parti — au contraire <strong>de</strong> ce qu’allait<br />
faire Britten dix ans plus tard — <strong>de</strong> donner<br />
le plus possible l’impression d’une écriture<br />
NOTORIÉTÉ. De toutes les œuvres<br />
composées pour Paul Wittgenstein, c’est<br />
toutefois le Concerto pour la main gauche<br />
<strong>de</strong> Ravel qui jouit aujourd’hui <strong>de</strong> la plus<br />
gran<strong>de</strong> notoriété. D’abord retouché par<br />
son commanditaire pour la création <strong>de</strong><br />
1932, sous la direction <strong>de</strong> Robert Heger,<br />
Concerto). Le piano y<br />
le concerto dut attendre le mois <strong>de</strong> mars<br />
débute seul par un long monologue <strong>de</strong><br />
1937 — moins d’un an avant la mort <strong>de</strong><br />
33 mesures au charme énigmatique. La<br />
Ravel ! — pour connaître une exécution<br />
main gauche et la main droite, construites<br />
conforme à l’original, donnée cette fois<br />
sur <strong>de</strong>s métriques différentes (l’une<br />
ternaire-3/4, l’autre binaire-6/8) créent une<br />
atmosphère étrange, aux appuis contrariés<br />
et à l’harmonie ambiguë. L’orchestre se<br />
joint finalement à la rêverie. Pendant<br />
symétrique <strong>de</strong> l’« artisanat furieux » du<br />
premier mouvement (Marcel Marnat),<br />
le Presto final éclate littéralement en<br />
quatre accords violents. À l’imitation <strong>de</strong>s<br />
« chasses » qui clôturaient <strong>de</strong> nombreuses<br />
œuvres baroques et classiques, Ravel signe<br />
ici un morceau où fougue et hardiesse<br />
prédominent.<br />
à la Salle Pleyel par le pianiste Jacques<br />
Février, sous la direction <strong>de</strong> Charles<br />
Munch. Si Ravel menaça <strong>de</strong> poursuites<br />
judiciaires le grand pianiste Alfred Cortot,<br />
qui voulait réaliser une transcription<br />
pour <strong>de</strong>ux mains du Concerto pour la main<br />
gauche, le compositeur lui-même laissa<br />
un arrangement pour <strong>de</strong>ux pianos à quatre<br />
mains, publié à Paris en 1937.<br />
dÉFI. Ravel, le facétieux, ne pouvait être<br />
qu’émoustillé par la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> insolite<br />
d’un « concerto pour la main gauche ». La<br />
pour <strong>de</strong>ux mains. Il s’en est expliqué<br />
clairement dans un entretien accordé au<br />
Daily Telegraph (11 juillet 1931, cité par<br />
Alfred Cortot) : « […] Le Concerto pour la<br />
main gauche seule est <strong>de</strong> caractère assez<br />
différent [du Concerto en sol] et en un seul<br />
mouvement avec beaucoup d’effets <strong>de</strong><br />
jazz et l’écriture n’est pas aussi simple.<br />
Dans une œuvre <strong>de</strong> ce genre, l’essentiel<br />
est <strong>de</strong> donner non pas l’impression d’un<br />
tissu sonore léger, mais celle d’une partie<br />
écrite pour les <strong>de</strong>ux mains. Aussi ai-je<br />
Paul Wittgenstein.